Hémisphères N° 20 - Les limites de la théorie

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D A T A

La révolution des Big Data signe-t-elle la fin de la pensée, comme on l’entend parfois ? Les scientifiques du futur se contenteront-ils de passer sans trop réfléchir d’énormes quantités de données à la moulinette algorithmique ? Ce serait méconnaître à la fois la nature de la science et de notre intellect.

Les données massives n’enterrent pas la science de papa TEXTE

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Frank Herbert (1920-1986) est un auteur de science-fiction américain. Sa saga romanesque Dune a débuté en 1965 et comprend sept romans. Après sa mort, son fils Brian Herbert a continué la série avec Kevin J. Anderson. Parmi les nombreuses idées explorées dans ces livres, il y a les dangers liés au leadership, l’écologie, les liens entre politique et religion, ou encore l’intelligence artificielle.

| Lionel Pousaz

La science avance par hypothèses et vérifications expérimentales. Et si elle puisait directement à la source du réel, plutôt que de démarrer avec une intuition, forcément biaisée ? Le savoir peut-il approcher une forme d’objectivité parfaite ? C’est ce que promettaient les Big Data, il y a une quinzaine d’années, quand elles ont débarqué en fanfare dans le monde de la recherche. Il suffisait de déverser dans une machine des quantités de données disparates – météorologie, trafic automobile, densité de population, clics sur des pages web – et de laisser un algorithme digérer le tout. Des corrélations devaient apparaître, auxquelles l’on n’avait souvent pas même songé. Au final, on obtenait un modèle prédictif sur la consommation des ménages, les émissions de CO2, l’utilisation des médias… On s’en doute, en pratique les choses se sont révélées un peu plus complexes.

L’idée sous-jacente aux données massives ne date pas d’hier. Le premier data center a vu le jour en 1965, sous l’impulsion de l’administration américaine des impôts. Il s’agissait de stocker des dizaines de millions de déclarations fiscales sur le fleuron de la technologie d’alors – des bandes magnétiques – pour accélérer leur traitement, fournir des statistiques et traquer les fraudeurs. Cette même année, la science-fiction abordait également le sujet – ironiquement, dans un monde imaginaire où les ordinateurs sont proscrits, parce qu’ils visent à imiter l’intelligence humaine. Dans son roman culte Dune, Frank Herbert 1 inventait les mentats : des individus formés pour prendre la place des machines interdites et penser comme elles. « J’ai toujours été fier de voir les choses ainsi qu’elles sont vraiment, déclare par exemple le mentat Thufir Hawat. C’est la fatalité


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