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Les vins suisses du futur se pressent sans hâte
Grosse consommatrice de pesticides, la viticulture peut miser sur les cépages multi-résistants pour un avenir plus durable. Mais le chemin sera long avant que ces nouvelles variétés ne se retrouvent aux côtés des cabernets, pinots noirs ou chasselas.
TEXTE | Lionel Pousaz
1 Le mildiou désigne une série de maladies provoquées par des microorganismes qui affectent notamment la vigne. Ses symptômes typiques sont des taches brunes, blanches ou cotonneuses, suivies d’un flétrissement des feuilles ou de toute la plante. Originaire d’Amérique, le mildiou a envahi les vignobles européens au XIXe siècle.
L’avenir de la vigne se trouve dans son ADN. Sur ce point, Vitis vinifera est plutôt bien pourvue, avec une diversité génétique dix fois supérieure à celle de l’humain. Qu’une maladie ravage les vignobles – particulièrement sensibles aux infections fongiques – et les chances sont grandes que, quelque part dans le monde, pousse une variété résistante. La vigne peut en effet compter sur plus de 10’000 variétés cultivées.
Pour autant, il ne suffit pas de croiser du pinot noir avec un quelconque cépage résistant. Encore faut-il que l’on puisse faire du bon vin. Le processus de sélection prend des années et des centaines d’essais infructueux – le temps pour les nouvelles variétés de pousser, avant que l’on s’assure qu’elles satisferont les exigences sanitaires et gustatives. Puis, dans le meilleur des cas, il faudra encore quelques décennies pour que les vigneronnes et les vignerons les adoptent et que – santé ! – elles se fraient un chemin vers les tonnelles.
La nécessité de diminuer l’usage des produits phytosanitaires
Sur le site de CHANGINS – Haute école de viticulture et œnologie – HES-SO, les spécialistes n’en doutent pas un instant : face aux impératifs écologiques et aux désirs des consommatrices et des consommateurs, la viticulture devra modérer son usage de produits phytosanitaires. Les variétés conventionnelles demandent environ huit traitements par saison, voire plus de 15 s’il y a du mildiou 1 comme en 2021, explique Marie Blackford, collaboratrice scientifique à CHANGINS ainsi qu’à Agroscope, centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire : « Les pesticides représentent un problème, non seulement en termes d’image, mais aussi
de contamination environnementale ou d’effets indésirables, par exemple sur la santé humaine. Or la meilleure manière de limiter les traitements, ce sont les cépages résistants. »
En Suisse, les agronomes se penchent sur ce problème depuis longtemps. Au début des années 1970, Agroscope, sélectionnait le gamaret, un croisement de gamay et de reichensteiner, pour sa résistance à la pourriture grise. Il figure aujourd’hui au quatrième rang des cépages rouges les plus plantés dans le pays. Récemment, il était homologué en France dans une indication géographique protégée du Beaujolais. En 1996, Agroscope sélectionnait le successeur de son gamaret. Issu d’un croisement entre ce dernier et du bronner – un cépage allemand résistant, lui aussi développé dans les années 1970 –, le divico est disponible sur le marché depuis 2015. Il combine les atouts de ses parents, avec une bonne résistance aux pathogènes les plus courants – mildiou, oïdium et pourriture grise. Gustativement, il se placerait dans la lignée de son ancêtre.
Aujourd’hui, Agroscope continue de combiner des variétés résistantes récemment développées en Suisse, en France et en Allemagne, explique Marie Blackford : « Nous voulons conjuguer non seulement des résistances pour plusieurs maladies, mais aussi plusieurs gènes de résistance pour une même maladie, afin de prévenir l’évolution de pathogènes qui passent outre les défenses.» Une stratégie qui rappelle les multi-antibiothérapies, où l’on administre plusieurs molécules en parallèle, pour éviter que les bactéries ne deviennent elles-mêmes résistantes.
À la recherche de vignerons pionniers
Mais le travail ne s’arrête pas à la sélection. Une fois le cépage développé, il faut le faire passer entre les mains expertes des viticultrices et des viticulteurs, et jusque dans le verre des consommateurs. Le défi est de taille. Pour les viticulteurs, cultiver une variété nouvelle relève presque d’un acte de foi, les appelés étant bien plus nombreux que les élus. Chez les consommateurs, le nom des cépages traditionnels – pinot noir, cornalin, cabernet – résonne avec plus de force. Selon Florian Burdet, économiste à CHANGINS, il faut diffuser l’information par tous les canaux possibles : « Les nouveaux cépages ont besoin d’un gros effort de communication auprès des vigneron·nes, mais aussi des organes de promotion du vin, du secteur de la restauration. Il faut organiser des séances de dégustation, tirer parti des travaux de nos étudiant·es pour élargir notre réseau… »
Les vigneron·nes prennent donc du temps pour apprivoiser la culture des nouveaux cépages. « Il a fallu plus de dix ans pour que l’on se rende compte que le gamaret avait une plus grande susceptibilité à certaines maladies du pied », observe Florian Burdet. Un constat que partage Marie Blackford, qui ajoute : « Avec le chardonnay ou le pinot noir, nous avons des données du monde entier. Quant aux cépages en phase de développement, Agroscope les étudie dans cinq terroirs différents en Suisse, sous divers climats. C’est très bien, mais ça ne permet pas de tout tester. Nous aurons toujours besoin de vigneron·nes avec l’esprit pionnier. » Précurseur des nouveaux cépages, la Suisse a d’ailleurs réussi la gageure d’intégrer sans remous une variété résistante au cœur de son terroir. Au point que beaucoup de Vaudoises et de Vaudois seraient surpris d’apprendre que le gamaret, devenu l’un des emblèmes de la viticulture lémanique, est une variété moderne. Ils ignorent probablement aussi que son descendant, le divico, est en passe de devenir le cépage de référence des vignobles… britanniques.