Hémisphères No 1 - L'intelligence des réseaux - dossier

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L’INTELLIGENCE DES RÉSEAUX

LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE HES-SO UNIVERSITY OF APPLIED SCIENCES WESTERN SWITZERLAND





HÉMISPHÈRES LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

L’intelligence des réseaux

ÉDITÉE PAR LA HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE HES-SO VOLUME I



HÉMISPHÈRES

Le nom de cette revue, Hémisphères, a été choisi pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’il évoque l’exploration de nouveaux territoires, ce qui est précisément le rôle d’une publication dédiée à la recherche appliquée; on pense aux hémisphères d’un monde aujourd’hui bien cartographié, mais aussi à celles du cerveau humain, qui ont encore tout à révéler. Mais c’est une autre raison, plus anecdotique, qui a achevé de nous convaincre: ce mot contient deux fois la succession des lettres HES. Comme un signe du destin. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce premier dossier est consacré aux réseaux: les connexions de neurones constituent un formidable champ d’investigation pour les chercheurs (pp. 40-43), tout comme les maillages électriques intelligents (pp. 48-51) et, bien sûr, l’internet participatif (pp. 25-27, pp. 82-87). Autant de sujets que les journalistes d’Hémisphères ont pu aborder en s’appuyant sur l’expertise des chercheuses et chercheurs de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale HES-SO, qui ellemême constitue un vaste réseau.

PRÉFACE Nouveaux territoires de recherche

Marc-André Berclaz, Président du Comité directeur de la HES-SO

Créé en 1998, ce réseau connecte plus de 15’500 étudiantes et étudiants, 7 cantons, 27 écoles et 33 sites. Avec une hiérarchie moins marquée, une décentralisation efficace, une telle organisation engendre créativité et innovation. Ce réseau promet ainsi des convergences inédites entre les chercheurs et les chercheuses de nos six domaines. Faire travailler des économistes avec des travailleurs sociaux, ou des musiciens avec des ingénieurs, représente une voie riche. Nous entrevoyons encore à peine son immense potentiel et notre nouveau magazine veut refléter ce dynamisme. Son programme est clair: raconter les plus belles découvertes des chercheurs, soigner l’enquête et la narration, et mettre en valeur le travail d’illustrateurs et de photographes qui, eux aussi, explorent de nouveaux territoires. Nous vous souhaitons une agréable navigation dans cette nouvelle revue.

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HÉMISPHÈRES

HISTOIRE

Réflexion sur l’histoire des réseaux

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SCIENCES

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Duncan Watts TOURISME

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Voyager à l’heure du tourisme 2.0 INNOVATION

25 |

Atizo, boîte à idée sans frontière MARKETING

26 |

Economie communautaire PORTFOLIO

Jürg Lehni

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L’intelligence des réseaux SOMMAIRE

ÉCONOMIE

36 |

Consommation collaborative INGÉNIERIE

40 |

Neuroweb DESIGN

44 |

Design interactif SANTÉ

46 |

Plateforme santé (Khresmoi) ÉNERGIE

48 |

Smartgrid

HYDROLOGIE

52 |

Eau potable

CARTOGRAPHIE

54 |

Un réseau de triangles

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HÉMISPHÈRES

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HÉMISPHÈRES

MARCHÉ DE L’ART

58 | Réseaux

de collectionneurs

CARRIÈRE

60 | L’artiste

self-manager

MUSIQUE

62 | Concerto

en réseau majeur

SPAMS

64 | Spams,

la chasse aux gangs INFOBÉSITÉ

68 | Menace

pour la génération internet MANAGEMENT

70 | Travail

en réseau

SOCIAL

74 | LAMal PORTRAITS

76 | Un

rapport individualisé au réseau

SOMMAIRE

MOBILITÉ

80 | Saturation

des autoroutes

GENRES

82 | Réseaux:

les femmes plus nombreuses SANTÉ MENTALE

83 | Facebookothérapie PSYCHOLOGIE

84 | Agression

par internet

PRINTEMPS ARABE

86 | Révolution

en réseau

FLORILÈGE

89 | Réseaux

d’ici et d’ailleurs

90 | Contributions 92 | Adresses utiles 94 | Iconographie 95 | Impressum

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HISTOIRE

Des filets de pêche à internet, brève histoire du réseau Après les structures pyramidales ou arborescentes, la mode est aujourd’hui aux représentations en réseaux. Flashback. TEXTE

| Geneviève Grimm-Gobat

La métaphore réticulaire (relative aux réseaux) parvient également à conquérir la pensée de philosophes qui la trouvent féconde. En France, Saint-Simon, contemporain de l’avènement de la société industrielle, fera l’éloge des réseaux financiers. Pour lui, le réseau devient un instrument au service du bien collectif; la connexion organisée alimente une nouvelle utopie.

Les arborescences ont connu de longues heures de gloire. Des formes dendritiques ont été répertoriées partout, des végétaux aux cours d’eau, en passant par le corps humain et les relations familiales. L’exemple archétypique étant l’arbre des connaissances. Que de relations causales transcrites à l’aide d’arbres! C’est en recourant à des réseaux qu’actuellement on tente d’approcher une réalité dont la complexité s’est accrue. Mais quelle est l’origine de ce terme tant prisé? Son étymologie: retis, qui signifie filet en latin. Durant plus de vingt siècles, ce vocable s’est contenté de désigner un filet, soit un ouvrage formé d’un entrelacement de fils qui sert à capturer des animaux.

Ils sont partout

La science, toujours en quête d’universaux, s’emparera aussi des réseaux. «Les réseaux sont un sujet d’étude privilégié, car des entités interconnectées et variant dans le temps, il est aisé d’en découvrir partout: urbanisme, réactions chimiques, biologie, cerveau, télécommunications, écosystèmes», explique Hugues Bersini, l’auteur de Des Réseaux et des sciences (Vuibert Informatique).

Une métaphore utile

Il faut attendre le XVIIe siècle pour voir arriver d’autres acceptions. Le mot est alors utilisé par les tisserands et les vanniers en référence à des fibres. La médecine va ensuite se mettre à en user pour rendre compte du fonctionnement de l’organisme (organes constitués de tissus, réseau neuronal et réseau sanguin). Dès le XIXe siècle, l’intérêt du concept n’échappera pas à tout ce qui relève de l’aménagement du territoire: adduction d’eau, construction des routes et chemins de fer, ouvrages de défense militaire ou encore distribution d’électricité, sur un territoire donné.

La recherche sur les réseaux a une forte composante hongroise. Des noms: Pal Erdös, Alfred Renye, Frigyes Karinthy et Albert Laszlo Barabasi. On doit à Karinthy la théorie des «six degrés de séparation» selon laquelle on pourrait entrer en contact avec n’importe qui dans le monde à travers une chaîne comprenant au plus cinq personnes. Mais qu’est-ce qu’un réseau? Les conditions structurelles minimales qui lui donnent nais-

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HISTOIRE

Des filets de pêche à internet

sance sont la présence de nœuds et de connexions reliant ces nœuds deux à deux. Ils se départissent des graphes chers aux mathématiciens par l’ajout d’une dimension: le temps. Grâce aux programmes informatiques, les réseaux, aussi différents soient-ils en apparence, dévoilent un nombre important de propriétés structurelles et dynamiques communes.

MOTS EN RÉSEAU Ami Les réseaux sociaux ont changé la signification du mot «ami». De l’amitié, on est passé à une simple connexion, qui intègre une palette beaucoup plus large, et souvent plus superficielle, de relations humaines. Cloud computing «L’informatique en nuage» consiste à déporter des processus informatiques sur un réseau de serveurs distants.

L’ère des réseaux

Avec la mise en place du réseau internet, du web et de sites sociaux, on a fait appel à l’ancienne métaphore du filet pour décrire les multiples liens entre hommes ou machines. L’image des maillages ne saurait mieux convenir. Les humains sont entrés dans «l’ère des réseaux». A la différence d’une structure arborescente, pyramidale ou hiérarchique, dans un réseau, aucun point n’est privilégié par rapport à un autre, ce qui explique sans doute son succès. Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825) Ce philosophe français est le fondateur du Saint-simonisme. Cette doctrine socio-économique a eu une influence déterminante en France au XIXe siècle. Pour changer la société d’alors et en finir avec les guerres, les privilèges et les inégalités, SaintSimon conçoit une société fraternelle qui récompense ses membres au mérite. Sa doctrine s’appuie sur les notions de réseau et de capacité.

Connectome Ce terme, choisi par analogie au génome, désigne la totalité des connexions du système nerveux d’un organisme. Crowdsourcing Délégation de tâches traditionnellement effectuées par un collaborateur spécialisé, à une communauté, au moyen d’un réseau.

Une véritable révolution a eu lieu. Sans révolte du prolétariat, grâce à un «pronétariat» de tous les pays. Pronétariat est un néologisme créé en 2005 par Joël de Rosnay du grec pro, devant, favorable et de l’anglais net, réseau. Un clin d’œil au «prolétariat» à l’heure où le réseau est traité comme une idéologie susceptible d’apporter non seulement des explications mais aussi des solutions aux problèmes d’environnement ou de vie en société.

Erdös Le nombre d’Erdös représente de façon humoristique le degré de séparation entre les mathématiciens. Il calcule leur distance au mathématicien hongrois Paul Erdös. Hub Dans un réseau en étoile, les nœuds sont liés à un élément central, le hub, ou concentrateur.

Un homme nouveau

Comme l’affirme Manuel Castels, dans La Société en réseaux (Fayard), ce qui est nouveau, c’est que «le paradigme des technologies de l’information fournit les bases matérielles de son extension à la structure sociale tout entière». Behaviorisme, cognitivisme et constructivisme laissent place au «connectivisme» avec les nouvelles technologies qui prennent peu à peu le pas sur des facultés de notre cerveau «externalisées».

Like Signe que l’on attribue par Facebook à une information pour indiquer à son auteur qu’elle a retenu notre attention (amusement, approbation, étonnement). Mème Ce terme issu du grec mimesis, imitation, désigne un élément d’information (gag, image, vidéo) que les internautes envoient à leurs amis et qui se multiplie ainsi à l’infini. L’étude des mèmes, ou mémétique, peut être comparée à une sorte de génétique culturelle.

La «révolution» en cours ne serait pas seulement technologique, économique, politique ou culturelle, elle aurait une portée anthropologique. La vie en réseau modifie en effet nos rapports au temps, à l’espace, à la mémoire, à l’identité, bref, au réel. Elle donne naissance à un homme nouveau: l’homo reticulus.

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HISTOIRE

Des filets de pêche à internet

Les structures en arborescence seraient les ancêtres des réseaux.

Neurone Le cerveau humain en possède 100 milliards. Les neurones assurent la transmission d’un signal bioélectrique appelé influx nerveux.

Cet arbre des connaissances humaines est tiré de la table «Entendement» de L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 par Diderot et d’Alembert.

Peer-to-peer Les systèmes P2P permettent à plusieurs ordinateurs de partager des fichiers, des flux multimédias continus ou un service (Skype etc.) sur internet. Routeur Elément intermédiaire dans un réseau informatique qui fait transiter les messages d’une interface réseau à une autre. Social Le développement des réseaux sociaux a changé le sens de cet adjectif, qui perd un peu de sa connotation altruiste et devient un synonyme de «contributif». Wiki Un wiki est un site dont les pages sont modifiables par les visiteurs.

Dès le XVIIIe siècle, la médecine se met à utiliser métaphoriquement le terme réseau. Cette planche représente des réseaux de nerfs crâniens et cervicaux. Elle est tirée de l’Atlas d’anatomie humaine et de chirurgie, édition complète des planches coloriées, J. M. Bourgery & N. H. Jacob, 1831-1854.

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HISTOIRE

Des filets de pêche à internet

Ci-contre, le connectome du ver de terre Caenorhabditis elegans. C’est jusqu’ici le seul système nerveux dont l’ensemble des connexions ont été, une par une, reconstruites et cartographiées. L’animal comporte 302 neurones et environ 7000 synapses. Rien, donc, par rapport aux 100 milliards de neurones du cerveau humain!

L’intérêt du concept de réseau n’échappe pas à tout ce qui relève de l’aménagement du territoire et des transports à partir du XIXe siècle. Les plans de chemin de fer se construisent en réseau, comme celui du Meitetsu Limited Express à Nagoya, au Japon.

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SCIENCES

Les réseaux, science du XXIe siècle Impossible de connaître l’être humain sans comprendre les liens que nous tissons entre nous. Avec ses travaux sur le small world, le chercheur australien Duncan Watts a révolutionné la science des réseaux – et ambitionne de réinventer la sociologie. TEXTE

| Daniel Saraga

Mais en fait, l’écrasante majorité des e-mails (plus de 98%) n’aboutit pas, et le chercheur doit utiliser une technique statistique pour tenir compte du désistement élevé des participants. Peut-on donc vraiment dire que nous sommes tous connectés?

Vous faites la connaissance de quelqu’un dans une fête et vous vous rendez compte que vous connaissez tous deux la même personne. «Comme le monde est petit!» pensez-vous. Vous avez raison. Lancée en 1929 par l’écrivain hongrois Frigyes Karinthy, l’idée que chaque personne sur Terre est reliée à toutes les autres par un petit nombre de liens s’avère correcte. C’est le phénomène du small world, connu également sous le nom des «six degrés de séparation». A la fin des années 1970, le célèbre psychologue Stanley Milgram avait voulu en avoir le cœur net. Il demanda à 300 participants d’atteindre une personne par courrier, en envoyant une lettre à l’une de leurs connaissances qui elle-même allait envoyer la lettre à une de leurs relations pour tenter de se rapprocher de la cible. Résultat: la moitié des lettres qui avaient atteint la cible avait transité par moins de six personnes.

«Il existe sans aucun doute une chaîne d’intermédiaires entre n’importe quelles deux personnes sur Terre, répond Duncan Watts. Mais est-ce vraiment important? Il n’est pas du tout certain que vous saurez retrouver cette chaîne. D’ailleurs, le nombre exact de liens est plutôt un concept rhétorique – il n’y a aucune raison pour que ce soit six ou sept, et son importance dépend fortement de votre but. Si vous cherchez à influencer quelqu’un, ce nombre reste bien trop élevé: ce n’est pas parce que vous êtes séparé de Barack Obama par six personnes qu’il va vous inviter à dîner… Dans le cas d’une épidémie, par contre, c’est très peu.»

En 2001, un chercheur australien reproduit cette expérience. Duncan Watts recrute en ligne plus de 20’000 participants en leur demandant de rejoindre par e-mail une cible inconnue. Avec sept intermédiaires en moyenne, ses résultats sont en ligne avec ceux de Milgram.

Cette propriété du small world – des courtes chaînes reliant toute paire de nœuds – se retrouve dans une multitude de réseaux: d’internet aux neurones du cerveau en passant par les réseaux routiers et électriques, les voies de signalisations en génétique ainsi que les liens

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Frigyes Karinthy (1887-1938) Ce célèbre écrivain hongrois a publié de nombreuses chroniques, nouvelles et poèmes depuis son adolescence. «En humour, je ne plaisante jamais», compte parmi ses aphorismes les plus souvent cités. Il a inventé le concept des six degrés de séparation dans sa nouvelle intitulée Chaînes, en 1929.


SCIENCES

Duncan Watts

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SCIENCES

Duncan Watts

formés par les acteurs ayant joué dans les mêmes films (un phénomène connu en tant que six degrés de Kevin Bacon).

«Nous sommes rassurés de ne pas être seuls»

C’est Duncan Watts, en collaboration avec le mathématicien Steven Strogatz, qui découvre cette universalité en 1998. Ils décrivent le secret du small word: une structure à la fois régulière et un peu chaotique, où les personnes s’organisent en petits groupes eux-mêmes reliés par quelques liens «longue distance», qui transitent par des hubs (les plaques tournantes).

A cheval entre mathématiques et sociologie, Duncan Watts travaille aujourd’hui aux Yahoo Labs à New York. Reconnu comme l’une des grandes figures de la théorie des réseaux, il a accordé une interview exclusive à Hémisphères. Pourquoi sommes-nous tellement fascinés de savoir que seules six personnes nous relient avec le monde entier?

Les travaux de Watts montrent que l’organisation de type small word est la plus efficace pour transmettre rapidement une information dans le réseau tout entier – mais également un microbe lors d’une épidémie ou un virus informatique à travers internet. Pour la médecine autant que pour la sécurité informatique, la science des réseaux devient alors incontournable. Cité près de 5000 fois, le modèle théorique proposé par Watts et Strogatz aura joué un rôle majeur dans l’essor de la science des réseaux. Il est aujourd’hui utilisé autant par des ingénieurs d’ABB pour simuler les réseaux électriques que par des informaticiens étudiant la structure d’internet.

C’est peut-être lié à la question du sens de la vie. Nous sommes rassurés de ne pas être seuls, d’être connectés et de faire partie de quelque chose qui nous dépasse. Vous avez analysé les messages sur Twitter pour comprendre comment les influences se propagent. Qu’avez-vous trouvé?

Nous avons étudié le mythe des «personnes influentes», une stratégie marketing qui consiste à se focaliser sur un petit groupe de personnes – les «influenceurs» – dans l’espoir qu’ils génèrent un effet boule de neige. Les gens du marketing disent toujours: «Trouvons les influenceurs!» mais sans définir concrètement ce concept ni démontrer si leur hypothèse fonctionne vraiment. A ce niveau-là, je peux dire que «nous sommes tous des influenceurs».

L’analyse graphique des réseaux sociaux, fondée entre autres par le psychiatre américain d’origine roumaine Jacob Moreno dans les années 1930, profite désormais de la mine d’or offerte par internet. Des chercheurs retracent les liens créés par les e-mails que nous envoyons, les messages que nous postons sur Twitter et les relations que nous affichons sur notre profil Facebook. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Duncan Watts – devenu entre-temps sociologue – a quitté en 2007 la prestigieuse Université de Columbia au profit des Yahoo Labs. «Répondre aux questions que je me pose demande une très grande quantité de données ainsi qu’une énorme puissance de calcul», dit Duncan Watts. Chez Yahoo, son équipe s’attelle à développer «la science du web». Même si le chercheur reconnaît que «personne ne sait encore à quoi elle ressemble vraiment!».

Nous avons trouvé que cette méthode ne fonctionne pas très bien. Pour lancer un buzz, les personnes très suivies sur Twitter – disons une célébrité telle que Paris Hilton – n’auront pas forcément beaucoup plus d’impact qu’une foule d’anonymes. Ce n’est pas très surprenant: j’ai tendance à davantage suivre l’avis d’un ami que celui d’un inconnu, même s’il s’agit d’une star. Les modes sont-elles dues au hasard?

Je pense, en grande partie. Dans une autre expérience, nous avons mis en place un marché de musique en ligne et observé comment les gens finissent par suivre le goût des autres. Mais les hits n’ont jamais été les mêmes lorsque nous avons répété l’expérience, ce qui confirme qu’il reste très difficile de prédire le prochain succès.

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SCIENCES

Duncan Watts

pour être utiles. Ma recommandation à un chercheur en science des réseaux: moins se focaliser sur les similarités et davantage sur des problèmes concrets.

Vous affirmez dans votre dernier livre que nous nous trompons lourdement dans nos analyses du passé.

Everything Is Obvious: Once You Know the Answer, (Crown Business, 2011)

Nous sommes souvent convaincus que nos explications du passé sont les bonnes – pensez par exemple à la thèse selon laquelle Facebook a joué un rôle absolument déterminant dans les révolutions arabes au début 2011, ou encore qu’une mode vestimentaire a été «lancée» par un petit groupe de personnes influentes. Mais en fait, nous restons incapables de prédire le futur: quand la prochaine révolution aura-t-elle lieu? Qui sera la prochaine star? Si on ne peut pas prédire l’avenir, cela signifie nécessairement que nos explications du passé n’ont pas de grande valeur prédictive.

Comment êtes-vous passé de physicien à sociologue?

J’ai toujours voulu être physicien et comprendre la nature. A la fin de mes études, je me suis rendu compte que les domaines qui m’intéressaient – la physique des particules et l’astronomie – étaient déjà trop mûrs. Je me suis tourné vers la théorie du chaos en me demandant comment les criquets synchronisaient leur chant sans l’aide d’un «chef d’orchestre». Cela m’a amené à étudier comment ils sont liés les uns aux autres et je me suis dit qu’il fallait faire la même chose pour comprendre les êtres humains.

Prenez un feu de forêt: après coup, vous trouverez peut-être l’allumette qui l’a déclenché. Mais la raison de l’incendie se trouve plutôt du côté de la forêt qui était prête à flamber. C’est pareil pour la mode ou les révolutions: lorsqu’elles surviennent, c’est que la société est prête.

Vous dites que la sociologie est la science du XXIe siècle. Grâce à l’arrivée des mathématiciens et des informaticiens?

Observer en temps réel les interactions de millions d’individus en ligne représente une opportunité unique. Mais la technologie n’est pas tout. Les physiciens voient la sociologie comme une discipline triviale, à cause de notre intuition dans ce domaine… Je respecte vraiment le point de vue des sociologues, qui soulignent l’importance de bien réfléchir aux questions que l’on se pose avant de se lancer dans l’analyse des données. La technologie a également sa face d’ombre: je perçois une relation inverse entre le pouvoir technologique à notre disposition et le soin avec lequel nous définissons clairement les buts de notre recherche.

La science des réseaux fascine, mais a-t-elle déjà eu un impact sur des problèmes concrets?

Loi de Pareto ou Loi des 80/20 Loi empirique observée par Vilfredo Pareto (1848-1923), économiste et sociologue italien: 80% des effets sont le produit de 20% des causes.

On peut donner de nombreux exemples où elle pourrait avoir un impact, mais pour l’instant, je ne connais aucun problème social vraiment important qu’elle ait permis de résoudre – comme la réduction des risques financiers, les mesures de lutte contre le chômage ou encore l’organisation efficace en cas de catastrophe. La seule application que je connaisse est le concept de PageRank utilisé pour les moteurs de recherche (développé par Google, ndlr).

Quel rapport entretenez-vous avec les médias sociaux?

Mon premier travail sur les réseaux en 1998 s’est focalisé sur l’universalité du small word, mais il faut faire très attention avec ce genre de généralisation. Les physiciens veulent toujours trouver des lois universelles! La distribution des richesses dans les populations suit toujours une loi de Pareto, mais cela ne vous aide pas vraiment à prendre des mesures politiques…

Je me limite aux e-mails et n’utilise ni Twitter, ni Facebook ou ni Skype. Ce n’est pas que je n’apprécie pas ces outils, c’est simplement pour éviter d’être distrait dans mon travail. Je possède un compte Yahoo. Analysez-vous mes e-mails?

Nous analysons le trafic ainsi que ce que les gens introduisent sur le moteur de recherche. Mais personne ne lit vos e-mails. Nous sommes très concernés par la protection des données. Nous avons simplement trop à perdre.

Je pense que la bonne science se situe entre les deux: elle doit pouvoir énoncer des observations générales valables dans différents contextes, mais qui restent suffisamment spécifiques

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SCIENCES

Duncan Watts

Le visage d’internet Internet est un petit monde fractal, disent les chercheurs qui l’étudient. Pour accélérer et sécuriser internet, mieux vaut connaître son organisation. Le réseau des réseaux, c’est internet. Développé dans les années 1960 par des chercheurs du Département de la défense américain, il s’est construit de manière organique en reliant petit à petit une multitude de réseaux informatiques existants. «Il faut distinguer internet du web, précise Rudolf Riedi, professeur à la Haute école d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg, qui a enseigné à l’Université de Rice à Houston et travaillé à l’Université de Yale avec Benoît Mandelbrot, reconnu comme le père des fractales. Internet représente le support physique – câbles, antennes, satellites, routeurs – alors que le World Wide Web décrit le contenu, c’est-à-dire les pages web qu’affiche votre ordinateur.» A travers internet, l’information choisit son propre chemin pour emprunter le passage de moindre résistance – exactement comme une voiture va essayer d’éviter les bouchons. Entre deux ordinateurs comme entre deux villes, le chemin préféré n’est donc jamais le plus direct, mais le plus court.

Tout comme internet, le chou romanesco (Brassica oleracea) présente une organisation fractale. La géométrie de ce légume originaire d’Italie est constituée d’un ensemble de fleurs pyramidales, disposées en couronnes spiralées. Il s’agit d’une surface de forme irrégulière qui se crée en suivant des règles déterministes.

«Cette architecture pose un problème pour transmettre de très grandes quantités de données, note Rudolf Riedi. Nous nous intéressons à des réseaux parallèles au web, qui utilisent la même infrastructure mais de manière séparée et sécurisée. Ils permettraient, par exemple, à des hôpitaux de transmettre rapidement des images médicales en très haute résolution.» Pour augmenter la vitesse du trafic, il vaut mieux avoir une vue globale et pouvoir estimer à l’avance la quantité maximale d’informations que pourra supporter un trajet sans créer de bouchon. Rudolf Riedi met au point des simulations capables de reproduire automatiquement et de manière artificielle la structure d’internet ainsi que son trafic afin de mieux les étudier. «Internet présente une organisation fractale, c’està-dire que l’on retrouve les mêmes structures à différentes échelles, qu’elles soient internationales, régionales ou locales. Ceci est dû à la grande variation dans le nombre de connexions existant à chaque nœud du réseau.» C’est d’ailleurs grâce à ce caractère fractal qu’internet possède la propriété du small world: pour rejoindre rapidement deux points, il suffit de transiter par les hubs.

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Le schéma ci-contre représente la vitesse du trafic sur internet: les connexions les plus lentes sont en rouge, les plus rapides en bleu. Basés à l’Université de Californie à San Diego, les chercheurs de Caida (Cooperative Association for Internet Data Analysis) mesurent, analysent et visualisent les performances d’internet depuis 1998.


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Duncan Watts

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TOURISME

Voyager à l’heure du tourisme 2.0 Le web participatif a bouleversé nos manières de voyager en favorisant le couchsurfing ou la location d’appartements. Et en forçant l’industrie touristique à une plus grande transparence auprès des consommateurs. TEXTE

| Melinda Marchese

à l’Université de Lausanne et spécialiste des réseaux sociaux. Avant de partir, on informe ses amis de sa destination, on prend note de leurs conseils, on les tient informés pendant le séjour, et dès le retour on poste des commentaires sur les hôtels et autres services que l’on a testés.»

Avant de réserver une chambre d’hôtel, 59% des consommateurs ont le même réflexe aujourd’hui: vérifier sur internet les évaluations et les photos postées par des internautes ayant séjourné dans l’établissement en question. Ce chiffre, issu d’une étude réalisée par l’agence américaine PhoCusWright, témoigne d’une tendance en croissance depuis près de dix ans: le voyageur du XXIe siècle est avant tout un «consommacteur», qui s’informe par lui-même, conseille et alerte les autres voyageurs.

Confiance collective

Ces interactions entre voyageurs ont aussi permis l’émergence d’une nouvelle manière d’appréhender la découverte d’une région: le logement chez l’habitant – ce parfait inconnu qui, sur la recommandation de cette «communauté virtuelle du voyage» devient son hôte, voire même son guide ou son compagnon de route.

Les prospectus et autres promesses des touropérateurs ne suffisent plus pour convaincre. «Nous accordons à présent plus de crédit à des recommandations formulées par d’autres consommateurs qu’à celles issues des offices de tourisme ou de tout autre organisme chargé de la promotion d’un service, note Jean-Claude Morand, auteur de l’ouvrage Tourisme 2.0 et professeur en tourisme à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (hepia). L’accès à des récits d’expériences vécues par d’autres est plus rassurant.»

Le concept du couchsurfing illustre parfaitement ce créneau: littéralement «passer d’un canapé à l’autre», il permet aux globe-trotters de trouver un coin où dormir gratuitement chez des locaux. Les membres de ce réseau notent aussi bien l’hôte que l’invité. Lancé en 2004 aux Etats-Unis, le site réunit près de 3 millions de personnes dans le monde entier. Un tiers d’entre elles ont entre 18 et 24 ans. «Ce nouveau type d’offre s’adresse avant tout à la jeune génération, qui a une conception différente du partage que les plus âgés, estime Hilary Murphy, professeur de e-marketing à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Ils ont l’habitude de partager

Blogs, forums, réseaux sociaux ou sites de partage de photos et de vidéos, ces outils ont transformé la conception du tourisme. «D’une entreprise individuelle, le voyage est devenu une expérience collective, constate Olivier Glassey, sociologue

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Le voyageur du XXIe siècle est avant tout un consommacteur, qui s’informe par lui-même et partage ses connaissances avec les autres voyageurs.


TOURISME

Voyager à l’heure 2.0

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TOURISME

Voyager à l’heure 2.0

fesseur à l’Institut économie et tourisme de la HES-SO Valais. Des gestionnaires proactifs pourraient ainsi transformer ces «déficits» en forces pour créer de véritables avantages concurrentiels. Mais pour le moment, cela sonne encore comme une musique d’avenir pour la plupart des PME hôtelières.»

leurs expériences et leurs photos sur internet, ils sont moins attachés à leur intimité et, dans ce sens, se montrent plus enclins à partager une chambre ou un appartement.» Dans la même idée, la location d’appartement met en lien locaux et touristes, moyennant une rétribution cette fois-ci: comme la jeune startup lausannoise Housetrip (lire p. 24), le site leader Airbnb couvre plus de 8000 villes à travers le monde. Le voyageur trouvera par exemple une chambre au centre-ville de Genève pour moins de 100 francs. «Ces concepts fonctionnent grâce à une confiance qui se crée collectivement, analyse Olivier Glassey. Pour se laisser convaincre, l’internaute doit lire plusieurs commentaires. La réputation d’un «commentateur» – s’il poste souvent ou pas – va aussi compter dans son choix.»

Selon Jean-Claude Morand, les réseaux sociaux pourraient également créer de nouvelles opportunités, en ne se limitant plus à favoriser les échanges. «Si Facebook ou encore Google Travel (qui vient d’acquérir ITASoftware, une entreprise spécialisée dans la comparaison des coûts pour les billets d’avion) offrent à l’avenir de réelles possibilités de commercialisation, nous assisterons à une nouvelle mutation de l’écosystème touristique, qui pourrait être alors une aubaine pour les plus agiles.»

Pour le sociologue, «l’envie de s’extraire d’expériences préfabriquées» explique le succès de ces nouveaux services. «Ces interactions permettent d’être au plus proche de la réalité. Prenons l’exemple de l’application Foursquare: elle permet de savoir où se déroule une soirée sympa dans le quartier dans lequel on se situe à l’instant même, grâce à une information postée par une personne qui s’y trouve déjà.» Se rapprocher des populations locales en adoptant, le temps d’un séjour, leur mode de vie, devient ainsi l’intérêt principal du voyage. Profiter des feedbacks

Des conséquences pour l’industrie touristique? «Désormais, on ne peut plus montrer que le «beau», estime Jean-Philippe Trabichet, professeur à la Haute école de gestion de Genève (HEG) et spécialiste de la e-réputation des entreprises. Une grande route entre l’hôtel et le bord de mer, qui pouvait alors être masquée, selon l’angle de vue, sur un visuel promotionnel, doit à présent être assumée. Si un internaute se plaint d’un mauvais service, l’hôtelier peut répondre et s’expliquer. Car les réseaux sociaux ou les sites d’évaluation collaborative sont avant tout des espaces de dialogue.» «Ces feedbacks du web participatif peuvent se révéler très utiles pour la gestion de la qualité de ses prestations, ajoute Roland Schegg, pro-

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«En famille, je préfère louer un appartement» Sandrine Koch, employée de banque de 34 ans, a choisi de louer un appartement pour son prochain week-end à Berlin. «J’ai deux enfants, de 1 et 3 ans; le fait de séjourner dans un appartement nous permet, à mon mari et moi-même, de mieux nous organiser, surtout pour la préparation des repas.»

«J’ai couchsurfé pendant près d’une année» En 2009, Déborah Rouault, 25 ans, est partie, sac au dos, découvrir l’Amérique du Sud. «Je souhaitais, pour ce voyage, trouver des alternatives aux auberges de jeunesse afin de ne pas côtoyer que des touristes, mais surtout des locaux. Le site Couchsurfing.com m’a rapidement convaincue.»

Cette Vaudoise a entendu parler des services de Housetrip dans la presse. «Ce site m’a permis de visionner facilement plusieurs logements. Les photos ont été décisives dans notre choix. Sans cette plateforme, je n’aurais pas su comment m’y prendre. Jusqu’à présent, lorsque nous voyagions en couple, nous allions toujours à l’hôtel.» Pas d’agence de location comme intermédiaire, les interactions ont eu lieu directement avec le propriétaire. «J’ai envoyé un e-mail pour connaître les disponibilités et poser quelques questions quant à l’équipement.»

Pendant près de douze mois, cette coordinatrice au sein d’une association loge autant que possible chez l’habitant. «Dans ce concept, j’aime le partage de culture, mais aussi la valeur d’entraide.» Depuis son retour, elle héberge également des globe-trotteurs dans son appartement genevois. «L’âge de la personne importe peu. Je me fie à son profil. On a forcément plus d’affinités avec certaines personnes, mais cela s’est toujours bien passé. Les commentaires postés rassurent. Une personne malintentionnée est rapidement repérée et supprimée du système.»


TOURISME

Voyager à l’heure 2.0

«L’industrie hôtelière doit miser sur la valeur ajoutée» Pour Roland Schegg, professeur à l’Institut de tourisme de la HES-SO Valais, les professionnels du tourisme se démarqueront par un service d’excellence.

virtuelle» manuellement, sans profiter des outils automatisés et gratuits tels que les alertes par e-mail ou les flux RSS. Le web 2.0 a aussi permis l’émergence de concepts tels que le couchsurfing. Une menace pour l’industrie hôtelière?

Je ne pense pas, c’est plutôt une chance et cela démontre que des produits très ciblés peuvent, grâce aux nouvelles technologies, trouver une clientèle. Par contre, le segment de moyenne gamme, qui correspond à la majorité des hôtels suisses, perd des parts de marché depuis quelques années à cause d’un manque de positionnement et d’adaptation du produit aux exigences d’une clientèle qui change. Pour conserver leur place au sein du marché, ces établissements devront se différencier, en proposant des services de niche inédits, en offrant de la valeur ajoutée à leur clientèle. De même pour les agences de voyages.

Est-ce que l’industrie hôtelière a su intégrer les réseaux sociaux dans ses stratégies marketing?

En Suisse, seulement quelques pionniers dans l’hôtellerie ont su profiter des nouveaux médias sociaux. La grande majorité des hôtels lutte encore pour créer des sites web up-to-date et utiles pour les clients. Mais le web 2.0 peut devenir un outil marketing précieux, car il a permis le retour en force, à une puissance démultipliée à l’échelle mondiale, du plus vieux média du monde, le bouche à oreille. Grâce à internet, l’avis d’un consommateur sur un produit ne touche plus exclusivement ses proches, mais une multitude de clients potentiels.

Des spécialistes prédisent justement la disparition des agences de voyages ou du moins leur diminution. Comment l’expliquez-vous?

Tout d’abord à cause de l’importance croissante des ventes en ligne. Une deuxième explication est probablement l’évolution dynamique des compagnies low-cost dans le secteur aérien ces dix dernières années, suivie de la réaction des compagnies classiques qui ont tenté de vendre davantage de vols en direct, sans passer par les intermédiaires.

Les hôteliers sont-ils conscients du manque à gagner?

Comment se démarquer?

La branche en est consciente, comme l’a montré une enquête menée en mai 2008 par la HES-SO Valais auprès de 324 entreprises touristiques suisses. La majorité des entreprises interrogées considère les portails d’évaluation comme «très importants», voire «indispensables», et elles les voient comme une «chance». Toutefois, 75% de ces entreprises continuent de vérifier leur «image

A l’avenir, fournir une réelle valeur ajoutée et pas juste une information que le client aurait pu trouver sur le web ou dans un guide sera essentiel. Le client n’est plus prêt à payer pour une information standard dans une époque de l’information gratuite, mais il y aura toujours une volonté de payer pour un service ou une expérience d’excellence.

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TOURISME

Voyager à l’heure 2.0

Mon appartement est un hôtel La start-up lausannoise HouseTrip base son modèle d’affaires sur la mise en réseau d’appartements. Portrait. TEXTE

de partir en quelque sorte «gratuitement». «Nous avons l’ambition de réunir 100’000 propriétaires sur le site d’ici à fin 2011», relève Arnaud Bertrand. Et pour ce faire, il se donne les moyens: la société a levé à ce jour 4 millions de francs et emploie 25 personnes. Elle compte des propriétés dans 350 destinations à travers le monde et répartit son travail sur trois sites: Lausanne représente le quartier général, Londres le centre pour la construction et le design du site et Lisbonne, le lieu où s’effectuent le service client et une partie des ventes B2B. Un fonctionnement en réseau, en somme, pour une start-up qui base son modèle d’affaires sur la mise en réseau des appartements.

| William Türler

«Les propriétaires d’appartements définissent combien ils veulent recevoir par nuit pour leurs locations. Nous ajoutons à cela une commission qui varie entre 10 et 20%, en fonction de la demande.» Voilà le très simple modèle d’affaires de HouseTrip, résumé par son fondateur Arnaud Bertrand. Ce Français de 26 ans a décidé de lancer sa start-up à Lausanne en 2009. Elle dispose aujourd’hui de bureaux à Londres et à Lisbonne et propose plus de 10’000 appartements en location, principalement dans des grandes villes européennes.

La croissance est au rendez-vous: +1600% en 2010! «Cette année, nous restons ambitieux et prévoyons près de 1000% de croissance», se réjouit l’entrepreneur, dont le but est de conquérir de nouvelles parts de marché plutôt que de devenir rapidement rentable: «Nous pourrions être profitables le mois prochain si nous réduisions notre croissance.» Pour l’instant, la société compte 50’000 locataires, surtout des familles et des groupes d’amis. Les appartements sont à la fois mis à disposition par des particuliers et des agences.

«Tout est parti de ma propre expérience: j’ai toujours préféré les locations d’appartements aux hôtels, mais j’ai été frustré par la difficulté du processus de réservation.» Ayant étudié l’hôtellerie, le jeune homme se familiarise avec les outils que les hôtels utilisent pour faciliter la réservation de la clientèle, et les transpose au secteur des appartements de location: il s’agit de supprimer un maximum d’étapes (contact avec le propriétaire par téléphone, transfert de caution, contrats, confirmation, etc.) pour se limiter à la recherche de l’appartement et à sa réservation en ligne en payant par carte de crédit. «Je pars du principe qu’étant donné que l’expérience de loger dans un appartement entier est bien supérieure à celle de rester dans une chambre d’hôtel, pour un prix identique et même souvent moins cher, en rendant la réservation aussi aisée que pour un hôtel, on devrait assister à un grand transfert de clientèle.»

Et pour continuer à se développer dans ce secteur à fort potentiel, Arnaud Bertrand mise, en bon entrepreneur, sur divers réseaux. Celui des investisseurs, «les principaux investisseurs en Europe se connaissent et une fois entré c’est bien plus facile de lever des fonds», celui des développeurs informatiques, mais aussi le réseau «interne» à la société: «C’est aussi important que d’installer une bonne culture au sein de l’entreprise: personne ne va jamais fournir l’énergie et faire les sacrifices nécessaires au travail dans une start-up s’il n’aime pas y travailler!» D’ailleurs, ses premiers investisseurs n’étaient autres que des camarades de classe de l’Ecole hôtelière de Lausanne.

Cette année, l’objectif de HouseTrip sera de convaincre un maximum de propriétaires, privés ou professionnels, de louer à court terme leur appartement à des touristes, par exemple lorsqu’ils partent eux-mêmes en vacances, afin

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INNOVATION

Une boîte à idées sans frontières La plateforme de crowdsourcing Atizo.com propose aux entreprises d’ouvrir leurs processus d’innovation et de recueillir les idées d’une communauté de créatifs. TEXTE

| Luca Di Stefano

Qui sont les personnes qui innovent sur Atizo.com?

Cela peut aller de l’étudiant à la femme de ménage. Il y a là l’idée que n’importe qui dans la foule peut devenir un acteur de l’innovation. Concrètement, une communauté de créatifs s’est formée sur Atizo, mais nous avons évidemment plutôt affaire à des fans d’internet. Lorsqu’une entreprise ou même un parti politique est à la recherche d’une idée, la communauté reçoit un e-mail et chacun peut contribuer en répondant à la question posée. Les idées sont ensuite commentées, sélectionnées et finalement évaluées.

Antoine Perruchoud a créé la plate-forme Atizo.com, basée sur le principe du crowdsourcing. Son principe: n’importe qui dans une foule peut devenir un acteur de l’innovation.

S’agirait-il d’une boîte à idées virtuelle?

Je pense que l’on va bien plus loin. Le brainstorming qui se faisait avant entre collègues dans une salle et durant un temps limité devient virtuel, exploitant un réseau illimité. Parmi les atouts figurent également la transparence et la traçabilité. Sur Atizo, on sait qui a proposé quelle idée, les innovateurs peuvent remporter des points et ainsi se faire une réputation.

«Quelle nouvelle variété de confiture donnerait une note particulière au petit-déjeuner?» La question posée par une chaîne de supermarchés désireuse de développer un nouveau produit n’est plus uniquement l’affaire d’experts en marketing. Désormais, les innovateurs, ça peut être vous, moi, ou tout autre esprit créatif. La plateforme Atizo.com s’est développée autour de ce principe d’innovation ouverte (crowdsourcing). Les questions sont posées à une communauté virtuelle composée d’esprits innovateurs bien réels. Atizo.com a été développée dans le cadre d’un projet de l’Agence pour la promotion de l’innovation de la Confédération, avec la collaboration de la HES-SO Valais. Rencontre avec Antoine Perruchoud, professeur et responsable du projet.

A quoi cela sert-il d’être innovateur?

Sur Atizo, l’auteur de la suggestion retenue remporte une prime dans la majorité des cas. Cette question se pose également pour l’opensource. Pourquoi créer quelque chose et le mettre à disposition des autres? Finalement, les études montrent que le gain majeur est celui de la réputation. Au-delà de ça, trouver des idées et des solutions à des problèmes et les partager, c’est fun.

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MARKETING

Les entreprises explorent de nouvelles dimensions sociales Les réseaux participatifs permettent aux marques d’intensifier leurs contacts avec les clients. Exemples auprès de Migros et de Nespresso. TEXTE

| Didier Bonvin

Migros a basculé une partie de sa communication sur les réseaux sociaux. La marque helvétique la plus traditionnelle a même créé son propre réseau social: Migipedia. Lancé il y a un an, il compte déjà près de 20’000 abonnés. Il permet à la Migros d’établir un contact direct avec les clients et d’évaluer les besoins. Cela a même débouché sur des décisions concrètes. «Nous avons remarqué que sur les réseaux sociaux, nos clients demandaient du Ice Tea en bouteille en plastique», explique Martina Bosshard, porte-parole de Migros. Après un sondage et des évaluations, nous avons lancé le produit. Nous allons également lancer une confiture cet automne, issue d’une évaluation sur les réseaux sociaux.»

La réussite de Facebook et des médias sociaux affole le web. Elle pousse les entreprises à repenser toutes leurs stratégies de relation client et de marketing. Certaines y parviennent avec plus ou moins de succès et de moyens investis. Quand la réussite est au rendez-vous, le retour sur investissement peut être très intéressant, notamment pour l’image. Sans compter que le coût pour animer ces médias est peu élevé par rapport à l’impact potentiel. Le succès de Facebook en termes de temps que les internautes y passent est exponentiel et ne montre aucun signe d’essoufflement. Selon les dernières projections du cabinet d’études Comscore, 12,3% du temps passé en ligne aux Etats-Unis l’est sur Facebook. C’est une augmentation de 7,2% en une année. Les internautes passent plus de temps sur Facebook que sur n’importe quelle autre marque, site ou nom de domaine de l’internet mondial. La banque d’investissement Goldman Sachs a évalué la valeur de Facebook à 50 milliards de dollars! Soit plus que Boeing, Time Warner ou eBay.

Encore dans sa phase d’essai, Migros se dit déjà satisfaite du retour sur ses plateformes sociales. Pour la petite histoire, l’input est venu des internautes. Constatant que la page Facebook «Ice Tea de la Migros», entièrement créée par des fans, rassemblait plus de 85’000 personnes, l’enseigne a décidé d’investir sérieusement dans les réseaux sociaux.

D’ici à 2013, Facebook pourrait tirer la majorité du trafic du web. Il devient ainsi chaque jour de plus en plus difficile et onéreux pour les entreprises d’attirer du trafic vers leur site. Une présence sur Facebook devient incontournable. Mais comment diable en tirer profit?

Sur le web, la marque Nespresso a totalement intégré sa communication aux plateformes sociales. Avec un beau succès en termes de «followers»: sa page Facebook compte plus de 750’000 fans. Cette page fonctionne comme un

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MARKETING

Economie communautaire

hub pour les autres comme YouTube et Twitter. La marque anime ces plateformes, par différentes actions, sous forme de jeux, de sondages, d’invitations ou d’exclusivités. Un moyen de connaître les goûts des clients. Preuve de l’attention que Nespresso porte aux réseaux sociaux, une histoire de tweet avait défrayé la chronique début 2011. Un client canadien de Nespresso s’est plaint sur Twitter d’avoir attendu son café trop longtemps. Six mille kilomètres plus loin, au siège de Paudex, la réaction a été immédiate. Le gérant de l’établissement canadien a été contacté directement par le siège mondial à la suite de ce malheureux tweet. Preuve que la marque est sans arrêt à l’écoute des médias sociaux pour améliorer son service.

TROIS QUESTIONS À Karine Pasquier Collaboratrice scientifique à la Haute école de gestion de Genève (HEG), qui travaille sur l’e-réputation et a mené une recherche sur ce que Facebook peut apporter aux entreprises. Quelle utilité pour une entreprise de créer une page Facebook? Cela permet d’être plus à l’écoute du consommateur. Les entreprises y trouvent une masse d’informations gratuites. Les internautes y mettent leurs intérêts, leurs préférences, cela permet une publicité ciblée. La pub y est bon marché pour un forfait à l’affichage: elle coûte environ 0,02 dollar pour 1000 clics. Il faut savoir que chaque mois, un utilisateur met 90 commentaires sur les pages où il est abonné.

Pour Scott Galloway du Think Tank L2, un groupe de réflexion sur le web social, en 2013, Facebook rassemblera 51% du trafic web total. Autant dire que le web deviendrait privatisé. Des systèmes permettent déjà de créer son shop sur Facebook et d’effectuer ses paiements sans sortir du site social. Certaines petites marques veulent rassembler tout leur trafic sur cette plateforme sociale et ne cherchent même plus à attirer les internautes sur leur homepage pour des raisons de coûts. Des «pop-up store» apparaissent ainsi. Ils offrent pour une durée limitée dans le temps des produits vendus à prix cassés. Pour les marques, c’est un excellent moyen de tester la tendance du e-commerce sans investir pleinement dans le développement d’un site web. Des compagnies, comme l’agence Fluid, se sont même spécialisées dans le domaine de la vente sur les réseaux sociaux. Leur credo: élargir l’expérience du shopping avec une composante «sociale».

Quelle est l’entreprise qui utilise le mieux Facebook? Un très bon exemple est Nespresso, ils font tout pour que les utilisateurs interagissent sur leur page avec des sondages, des concours, etc. L’entreprise est très vivante et réagit, elle fait bénéficier des offres à ses fans, demande leur avis sur de nouveaux produits.

Les jeunes générations sont connectées en permanence sur Facebook, elles désertent le web pour les plateformes sociales, c’est là que les marques vont désormais les chercher. Les premières expériences, bonnes ou mauvaises, apportent une connaissance stratégique qui permettra d’élaborer un futur business model. Pour l’instant, le seul à générer des milliards reste encore le site Facebook lui-même qui, à en croire certains observateurs enthousiastes, pourrait devenir la plus forte cotation du monde.

Quelle est la différence avec Twitter? Twitter est beaucoup moins utilisé en Suisse. En se basant sur les statistiques de Google Trends, Twitter est à 2% alors que Facebook est à 83%. Mais Twitter permet de faire une veille plus pointue que Facebook, car on y a accès à ce que le monde entier publie. Cela permet de monitorer son image.

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SCRIPTOGRAPHER

Jürg Lehni, le gentil vandale de la technologie Ce designer de robots est aussi l’inventeur de Scriptographer, outil communautaire de transformation d’images. Rencontre avec un artiste qui s’interroge sur la création en réseau. TEXTE

| Sylvain Menétrey

Célèbre pour ses machines à dessiner qu’il a présentées dans des musées aux quatre coins du monde, Jürg Lehni est aussi un homme de réseaux. Plusieurs de ses projets défendent l’informatique opensource et la création en communauté. Depuis deux ans, il codirige avec le graphiste hollandais Jonathan Puckey un projet de recherche à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) autour de Scriptographer, un outil qu’il a inventé en 2001. Ce petit programme à télécharger est un plug-in qui se greffe dans le menu du logiciel de dessin vectoriel Adobe Illustrator. Il permet d’augmenter les possibilités du logiciel américain par la création de scripts en langage JavaScript. L’usager peut expérimenter de nouvelles méthodes de dessins et de transformation d’images avec des outils de sa propre invention, générés par une série de codes.

Comment vous définissez-vous? Vous sentez-vous davantage un graphiste, un ingénieur ou un artiste?

Je n’essaie plus de définir ce que je suis. Je n’arrive pas à trouver un mot qui corresponde à mon activité, même si celle-ci me semble très claire. Je n’aime pas dire que je suis un artiste. Le terme de designer me convient, il est plus généraliste que celui de graphiste (graphic designer en anglais). J’avais écrit une phrase un jour qui disait: «I work collaboratively across disciplines dealing with the nuances between tools, technologies and the human condition» (je travaille de manière collaborative entre des disciplines qui traitent des nuances entre les outils, la technologie et la condition humaine). Je m’intéresse au rôle des technologies, à leurs promesses, à leurs défaillances. J’aime ce moment poétique où elles échouent. En ce sens je suis un artiste, même si lorsque mon travail est exposé dans des musées, certains arguent que je n’en suis pas un, parce que je propose des plateformes, mais pas de contenu.

Depuis son lancement, Scriptographer fonctionne aussi comme une communauté active sur internet, au sein de laquelle les membres communiquent leurs scripts, s’échangent des conseils ou signalent des bugs. Cette mise en réseau des expériences vient perfectionner le programme et l’enrichit de nouvelles fonctionnalités. Rencontre avec un designer qui détourne la technologie pour la démystifier.

C’est la raison pour laquelle vous travaillez régulièrement en collaboration?

J’ai besoin d’un dialogue pour produire du contenu et je suis assez doué pour trouver les bonnes personnes avec qui m’associer. Je travaille ainsi depuis longtemps avec Alex Rich,

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SCRIPTOGRAPHER

Jürg Lehni

des didacticiels pour que les gens puissent s’en servir. J’ai lancé un forum qu’il fallait animer. Il fallait aussi répondre aux demandes, sélectionner et motiver les gens prometteurs. Après bientôt dix ans, la plateforme fonctionne enfin sans que j’intervienne.

un graphiste anglais minimaliste conceptuel passionné de technologie et de processus bizarres. Nous menons depuis plusieurs années une discussion autour de technologies obsolètes qui à une époque résolvaient des problèmes de communication ou d’affichage d’information. Nous tentons d’établir une histoire alternative du design graphique, qui ne s’attache pas au style mais aux moyens de production. Cette discussion a donné lieu à une exposition intitulée A Recent History of Writing and Drawing au ICA de Londres en 2008 qui était une sorte de bibliothèque d’idées qui nous inspirent. Nous donnons aussi ensemble des conférences à implication économique et sociale où nous évoquons comment les grandes entreprises contrôlent les consommateurs par la technologie.

La version complète de la revue est en vente sur le site www.revuehemispheres.com

Ce genre de réflexion n’est-elle pas aussi au centre de votre plateforme opensource Scriptographer?

Quand je me suis inscrit à l’ECAL après des études d’ingénieur à l’EPFZ et de nouveaux médias à Bâle, tout le monde utilisait le dessin vectoriel. C’était très à la mode d’en ajouter sur des photos, par exemple. Le logiciel Illustrator d’Adobe avait une influence énorme sur l’esthétique, mais personne n’avait de réflexion sur cet outil. J’ai voulu remettre en question cette manière de travailler. Je n’aimais pas l’idée qu’une entreprise détienne un monopole et définisse tous les standards. Au début de l’informatique, quand ces programmes complexes n’existaient pas, la seule manière de créer quelque chose, c’était de le programmer. Sur Commodore 64, rien que pour charger un jeu, il fallait entrer un code! Le développement de logiciels nous a abstrait de ce qui se passe dans les circuits. Avec Scriptographer, j’ai voulu redonner la possibilité aux gens de définir leurs standards. Le but éducatif était d’utiliser un langage et une syntaxe de programmation simples pour que les étudiants puissent apprendre à l’utiliser. C’est pour cette raison que j’ai choisi JavaScript qui, par chance, est depuis lors devenu un des langages les plus populaires.

Avant Scriptographer, vous aviez développé un autre système participatif baptisé Vectorama.org. De quoi s’agissait-il?

En 1999, quand j’étais encore étudiant à l’EPFZ, nous avions développé avec mon frère Urs Lehni et Rafael Koch, tous deux graphistes, des applications avant l’heure, à partir du logiciel Director, un ancêtre de Flash. Lego Font Creator était un spécimen interactif pour une typographie en briques de Lego. On pouvait déconstruire les lettres et jouer avec une bibliothèque de briques. J’ai fait ensuite une autre version avec le graphiste Cornel Windlin à partir du Rubik’s Cube. Ces travaux nous ont conduits à la plateforme Vectorama.org dont le but était de démystifier la technologie en créant un illustrateur pour le peuple. Nous mettions en ligne une bibliothèque de nos travaux réalisés avec ces applications. Les gens pouvaient jouer avec, les reprendre et les transformer. Cela donnait lieu à des batailles. Certains détruisaient les travaux des autres. Aujourd’hui presque plus

L’idée de créer une communauté autour de cet outil était-elle à la base du projet?

Oui, mais cela a pris beaucoup de temps à démarrer. J’ai d’abord passé des semaines à écrire

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SCRIPTOGRAPHER

personne ne possède le plug-in Director, mais le site fonctionne toujours.

Jürg Lehni

Jürg Lehni en dates 1978 Naissance à Lucerne.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cet aspect participatif de la création?

1998-1999 Etudes d’ingénieur à l’EPFZ.

Sur un plan heuristique, l’idée de Vectorama.org consistait à observer ce que les gens font quand ils sont libres avec la technologie. Mais malgré l’infinitude des possibilités, les projets étaient rarement étonnants. Ma dernière création Empty Words développée avec Alex Rich joue en partie la carte participative, mais de manière plus contrôlée. J’ai modifié légèrement une machine industrielle à tracer des traits de coupe sur des autocollants pour qu’elle transperce des feuilles. Reliée à un programme informatique et à une Apple TV gentiment vandalisée, elle permet d’écrire des mots en séries de petits trous sur des affiches. Lors de la présentation de l’installation à la Kunst Halle de Saint-Gall (Things to Say, 2009) et au ICA de Londres, nous avons placé délibérément les utilisateurs face à l’angoisse de la feuille blanche, accentuée par la pression d’affiches collées au mur. Comme dans un karaoké, les gens devaient sentir qu’ils ne sont pas seuls. C’était une réaction ironique face aux systèmes entièrement ouverts.

1999-2001 Etudes de nouveaux médias à HyperWerk, Bâle. 2001-2004 Etudes de communication visuelle à l’ECAL. 2001 Développement du logiciel Scriptographer. 2002 Mise en ligne de la plateforme Scriptographer.org 2002 Création avec l’ingénieur Uli Franke d’Hektor, une machine à sprayer. Rencontre avec Alex Rich. 2006 Résidence au Sony’s Set Laboratory, Tokyo. 2008 Création de Viktor, machine à dessiner sur des grands formats. 2008 Exposition à l’Institute of Contemporary Arts, Londres. 2009 Exposition Empty Words, Swiss Institute, New York. 2010 Publication avec Alex Rich de Things to Say (Viktor), (Nieves).

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Explorations scriptographiques Le portfolio de Scriptographer, présenté dans ce numéro d’Hémisphères, est le résultat de travaux d’étudiants de l’ECAL. Ils ont été effectués durant une série de workshops animés par Jürg Lehni et Jonathan Puckey, assistés de Florian Pittet, entre 2008 et 2011. Leur esthétique est surprenante, car elle mélange la qualité du dessin manuel et l’automatisme du digital.


SCRIPTOGRAPHER

Portfolio

Afternow de Philippe Decrauzat, en collaboration avec Jürg Lehni, 2005 Scriptographer a été utilisé ici pour produire une série limitée de posters, inspirés par le groupe allemand Faust.

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SCRIPTOGRAPHER

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Esquirre Portrait de Jonathan Puckey, 2009 Ce portrait d’un écuyer russe a été réalisé par Jonathan Puckey avec son outil Delaunay Raster Script.

Briefpapier_ new_2_cs de Jonathan Puckey et Peter Ström, 2007 Il s’agit de l’identité de l’organisation créative The Beach, dessinée au moyen de l’outil Tile Script.

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SCRIPTOGRAPHER

Faisceau de Raphaël Verona, Gaël Faure et Vinzenz Wolf, 2008 Ce travail a été réalisé grâce à un outil qui facilite le dessin de rectangles et de triangles connectés.

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Portfolio


SCRIPTOGRAPHER

Portfolio

Plantus. Scriptum de Joachim Felix Correia, Robert Hubert et Gaël Kilchherr, 2008 Le développement d’une famille de plantes à partir de différents scénarios de dessin a facilité la croissance de paysages entiers et même de montagnes.

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SCRIPTOGRAPHER

Skycrapegrapher de Sandro Schieck et Matthias Werner, 2010 Une paire d’outils a été créée pour la construction d’éléments aux angles et aux dimensions variées. Son potentiel expressif a permis le développement efficace de paysages urbains entiers, qui semblent vivre en mouvement.

Scriptosaurus de Myriam Combier, Dimitri Dimoulitsas et Diego Thonney, 2010 Un ensemble d’outils a initialement été développé pour dessiner des structures architecturales et des escaliers en trois dimensions. Ils ont ensuite trouvé une application surprenante dans la création de ce dinosaure.

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Portfolio


ÉCONOMIE

Les consommateurs mutants de la génération Y Les moins de 30 ans consomment en réseau, loin des canaux traditionnels. Les entreprises doivent adapter leur offre. TEXTE

| Albertine Bourget

Ne plus acheter sa propre voiture, mais louer un véhicule en cas de besoin ponctuel. Troquer un meuble, un berceau ou une télévision sur un site de petites annonces. Echanger des livres, se faire héberger gratuitement, proposer directement ses bijoux ou ses photos... Autant de pratiques en hausse, en Suisse comme ailleurs. Dans le but de consommer mieux et moins cher. En anglais, le concept est en train de se faire connaître sous le nom de «collaborative consumption». La paternité de l’appellation est attribuée au spécialiste en marketing Ray Algar, dans un article paru en 2007. Mais c’est avec les ouvrages What’s mine is Yours et The Mesh que l’idée a suscité un engouement médiatique et est entrée dans la deuxième phase de son histoire.

et largement prêt à prendre ses distances avec l’hyperconsommation.»

Le succès public et critique des ouvrages américains, assorti d’un site internet du même nom, a en fait éclairé une tendance qui se renforçait tranquillement et discrètement par le biais, notamment, des réseaux virtuels. Depuis la parution de l’ouvrage What’s Mine is Yours, Rachel Botsman, qui se définit comme une «innovatrice sociale», enchaîne conférences et articles. Ce qui la surprend le plus, dit-elle, «c’est justement la manière dont l’idée de consommation collaborative a été accueillie. Je savais que c’était une culture émergente. Mais le buzz autour des compagnies qui la pratiquent montre bien que le monde est avide de changements

Fin 2008, Adèle Thorens interpellait d’ailleurs le Conseil fédéral sur les opportunités de «l’économie de fonctionnalité», le terme vert pour la consommation collaborative. Ce à quoi le gouvernement avait répondu qu’«imposer des limitations de la propriété privée des biens d’investissement et des biens de consommation durables est une mesure peu souhaitable.» «Comme si j’avais demandé l’abolition totale et immédiate de la propriété, ce qui est parfaitement ridicule, s’agace aujourd’hui Adèle Thorens. Mon postulat demande un état des lieux de ce qu’est aujourd’hui l’économie de fonctionnalité en Suisse, ainsi qu’une analyse

Voilà qui fait furieusement penser à la décroissance prônée par les courants écologistes. Mais attention à ne pas confondre les deux termes. «Ce que l’on cherche, c’est une optimisation de la consommation des ressources, pas une baisse du PIB, dit la conseillère nationale verte et éthicienne de l’environnement Adèle Thorens. Il s’agit de minimiser le gaspillage qui caractérise actuellement notre économie, pour le plus grand bénéfice des consommateurs. L’économie de fonctionnalité utilise a priori moins de ressources, mais les besoins continuent à être comblés, et pour moins cher.»

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SCRIPTOGRAPHER

Portfolio

«Monstres» de Daniel Bär, Guillaume Chuard et Arnaud Milliquet, 2008 Ces étudiants ont développé divers outils pour créer des éléments connus de dessins animés, comme des yeux, des bouches, des fourrures et des lignes d’accélération. Ils ont ensuite dessiné des monstres minimaux, mais bien distincts.

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ÉCONOMIE

La consommation collaborative

des opportunités et des risques que représenterait son éventuel développement.» De son côté, le Vert genevois Antonio Hodgers fait remarquer que «si l’on renonce à acheter sa voiture, soit une économie de 8 à 10% du budget mensuel, on peut aller au théâtre, au cinéma, prendre le train pour partir en week-end... Il s’agit d’un autre type de consommation, plus immatériel.»

Un réseau de vélos à travers toute la Suisse

Préoccupation écologique, engouement médiatique, tout sauf un feu de paille, prévient en tout cas Rachel Botsman. Et qui est inséparable des nouveaux réseaux sociaux. «La consommation collaborative remonte en fait à la dernière décennie, avec le site d’enchères eBay, le site de location de films et de séries Netflix et Zipcar, site de partage de voitures américain, équivalent de l’entreprise suisse Mobility. Elle est liée à la capacité de la technologie de faciliter le partage et de renforcer notre volonté de partager. Grâce aux réseaux, nous avons désormais l’accès et la possibilité d’échanger, de troquer, de négocier, de partager, de prêter, etc., en P2P (peer-to-peer), à un niveau jamais atteint jusqu’à présent. Qui plus est, la technologie crée le lien social qui permet à la confiance de naître entre de parfaits étrangers.»

Est-ce que Velopass est une copie conforme du concept français Vélib? La tendance du vélo en «libre-service» s’est d’abord développée en Europe. Nous avons souhaité, contrairement à la France où différents systèmes se mettent en place indépendamment, créer un service centralisé. Nous proposons une solution en coordination avec les collectivités publiques et nous nous appuyons sur des partenaires locaux.

Partager son vélo au lieu de le posséder, Lucas Girardet, directeur de Velopass, croit à ce concept. Il a mis en place un réseau de deux-roues en libre-service en Suisse.

Quelle est la marche à suivre pour emprunter un vélo? Les vélos sont verrouillés dans des stations. L’utilisateur, via un abonnement ou un forfait journalier, possède une carte qu’il applique sur une borne, ce qui libère le vélo. Il peut ensuite le rapporter dans n’importe quelle station. Chaque station indique les places et les vélos disponibles ailleurs.

Une opinion confirmée par Antonin Léonard, jeune entrepreneur et blogueur français. Il souligne qu’une majorité d’adeptes de ces nouvelles formes de consommation sont issus de la génération X (nés avant 1978) et surtout Y (après 1978). «Facebook, Twitter, tous ces sites de partage d’infos ont un impact incroyable. Les générations X et Y sont en train de franchir le pas en se mettant à partager biens, objets et activités commerciales. Ce sont les mêmes qui font du covoiturage, du couchsurfing et se lancent, pour certains, dans le domaine de la consommation collaborative via des start-up.» Il évoque le site américain Etsy (www.etsy.com), vente de particulier à particulier: «Du but non lucratif, on est passé au profit. Car les nouveaux utilisateurs n’ont aucun mal à faire confiance à de parfaits inconnus, start-up ou particuliers. Malgré la distance physique, géographique, ces échanges fonctionnent selon une stratégie de proximité.»

Vous avez également des partenariats avec d’autres transports comme Mobility… Oui, la mobilité douce vient en première ligne, mais nous sommes attachés à l’idée d’une mobilité combinée. Les gens se déplacent comme ça aujourd’hui. Techniquement, passer d’un vélo à une voiture en libre-service est possible grâce au système de carte RFID (Identification par Fréquence Radio). De tels systèmes existent déjà à Lausanne et Yverdon, notamment avec la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD). Nous en mettons un autre en place à Fribourg, qui devrait bénéficier aux étudiants des Hautes écoles du plateau de Pérolles.

Ingénieur en télécommunications et auteur d’un blog sur lequel il plaide pour la décroissance,

Par Julia Schaad

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ÉCONOMIE

La consommation collaborative

le Neuchâtelois, Mathieu Despont estime que la technologie n’est qu’un amplificateur d’habitudes latentes. Il voit ces formes de consommation comme «une manière d’optimiser et de partager des ressources que tout le monde a, mais qu’il est difficile de partager sans infrastructure complexe. Le web apporte cette infrastructure.» Et ce phénomène est en train de s’étendre «à tous les domaines: voyage, finances, cuisine, mode... », indique Rachel Botsman. Exemple: le succès de la plateforme d’hébergement Airbnb, qui a dépassé les 1,2 million de réservations l’année dernière, avec une progression de 800%, et a également des membres suisses. Antonin Léonard en est convaincu: la consommation collaborative n’en est qu’à ses débuts. Moins, estime-t-il, pour des préoccupations environnementales que pour une raison toute simple: «Elle fait du sens parce qu’elle est moins chère.» Les entrepreneurs traditionnels sont en train de réagir face au phénomène. Ce mois d’avril, BMW lance en Allemagne sa propre flotte de covoiturage. Fondé récemment, le site Groupon vise à rassembler via internet le plus grand nombre de clients pour faire baisser les prix d’une offre. Plus étonnant, le Département de l’énergie et de l’environnement de Bâle-Ville coorganisait en mars dernier une bourse d’échange de vêtements féminins, et se félicitait de promouvoir un «mode de vie durable».

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INGÉNIERIE

Un réseau pour visualiser l’activité du cerveau Des ordinateurs mis en réseau cartographient l’activité du cerveau pour combattre l’épilepsie. TEXTE

| Daniel Saraga

sur la tête du patient. Pour résoudre ce casse-tête mathématique, il faut nécessairement combiner l’information de capteurs voisins. «Des superordinateurs avec de nombreux processeurs mis en réseau pourraient faire l’affaire mais reviendraient trop cher», relève Cédric Bilat.

Quarante-huit heures: c’est le temps que prendrait un ordinateur de bureau pour reconstruire seulement deux secondes d’activité cérébrale à l’aide de la magnétoencéphalographie. Cette nouvelle technique d’imagerie cérébrale peut mesurer les infimes champs magnétiques du cortex générés par les neurones. Très onéreuse, elle n’est encore disponible que dans un nombre restreint d’établissements. Son but: améliorer et faciliter le traitement de l’épilepsie.

Le chercheur s’est donc décidé pour la solution du calcul partagé (ou volunteer computing): l’algorithme découpe la tâche et la répartit sur de nombreux calculateurs dans des hautes écoles en France et en Suisse. Ceux-ci travaillent sur ce projet commun lors de leurs périodes d’inactivité. L’architecture de Neuroweb se base sur des connexions peer-to-peer, similaires à celles des programmes utilisés par les internautes pour partager des films et des fichiers musicaux.

«Nous voulons écouter le cerveau de patients atteints d’épilepsie afin de localiser précisément l’épicentre de la crise», explique Cédric Bilat. Le professeur à la Haute Ecole Arc a mis sur pied le projet Neuroweb pour analyser les résultats de magnétoencéphalographie obtenus à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. «Lorsque les crises sont sévères et ne réagissent pas aux médicaments, la seule solution consiste à opérer pour enlever un petit bout du cortex et diminuer ainsi leur intensité. Notre technique permettra au neurochirurgien de savoir exactement où intervenir et d’estimer si l’opération risque d’avoir des séquelles sur des fonctions importantes telles que la parole ou la mobilité des membres.»

Partager le calcul, c’est tout simplement profiter des foules anonymes gratuites. Popularisée par le projet seti@home, cette méthode a permis depuis une dizaine d’années à des millions de particuliers de contribuer, anonymement et avec modestie, à des programmes scientifiques ambitieux: déchiffrer le ciel à la recherche de messages d’extraterrestres, raffiner les modèles du changement climatique, comprendre la structure des protéines, trouver des nouveaux médicaments ou encore analyser les avalanches de données issues des expériences du CERN. Au XXIe siècle, la science sera contributive ou ne sera pas.

Mais la tâche des ordinateurs s’avère extrêmement complexe: ils doivent reconstituer l’activité d’environ 60’000 groupes de neurones en se basant uniquement sur l’information délivrée par 256 capteurs, intégrés dans un bonnet placé

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INGÉNIERIE

L’activité du cerveau

Le cortex calculé par un ordinateur Pour reconstituer l’activité cérébrale de patients atteints d’épilepsie, des ordinateurs mis en réseau cartographient la surface du cortex cérébral à l’aide d’un maillage composé de 60’000 nœuds.

La version complète de la revue est en vente sur le site www.revuehemispheres.com

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INGÉNIERIE

L’activité du cerveau

Des neurones tels que Santiago Ramón y Cajal (1852-1934) les dessinait il y a plus d’un siècle. A l’époque, les dessins de ce scientifique espagnol ont bouleversé la compréhension du cerveau. Pour la première fois, ils montraient que le tissu nerveux était composé de cellules distinctes – les neurones – et non pas d’une sorte de grand maillage fusionné. Autre défenseur de cette «théorie du neurone», avant qu’elle ne soit reconnue, le savant suisse Auguste Forel (1848-1931), originaire de Morges dans le canton de Vaud.

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L’image à droite montre des neurones de l’hippocampe. Pour traiter des épilepsies aiguës, on retira une grande partie de cette région du cerveau à l’Américain Henry Gustav Molaison (19262008). Du jour au lendemain, cette opération le rendit amnésique et révéla ainsi le rôle central de l’hippocampe dans le fonctionnement de la mémoire.


INGÉNIERIE

L’activité du cerveau

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DESIGN

Monde numérique: place à l’interactivité La mise en réseau de l’information et les avancées technologiques forcent les designers à repenser la manière d’interagir avec l’environnement. Explications et exemples. TEXTE

| Francesca Sacco et Benjamin Bollmann

Chacun sait comment consulter un livre. Un roman, par exemple, se tient aisément d’une main. Ses pages se tournent de la première à la dernière sous l’action des doigts. La lecture d’un journal, elle, commence à n’importe quelle page et se pratique généralement à l’aide des deux mains. Cela fait longtemps que les graphistes réfléchissent aux façons d’interagir avec un assemblage de feuilles. Le comportement des lecteurs n’est pas un hasard. Il est dicté par le design.

Le livre électronique

A quoi doit ressembler l’interaction avec un livre électronique? L’appareil de lecture doit-il simuler l’expérience du livre physique ou, au contraire, exploiter les libertés du numérique? «On peut imaginer différentes approches, répond Alain Bellet, responsable de l’unité Media & Interaction Design de l’ECAL. L’appareil Kindle d’Amazon mise sur la reproduction du papier. En revanche, l’iPad ouvre un monde jusqu’ici inconnu au domaine du livre: la possibilité d’ajouter des images interactives, comme des vidéos, des graphiques sur lesquels les gens peuvent cliquer, ou des objets en 3D qu’ils peuvent examiner sous tous les angles.» Et avec internet, le livre n’est plus un objet isolé. Connecté à la toile, il devient dynamique et peut évoluer. «C’est aux designers de proposer aux auteurs de nouveaux concepts d’accessibilité et de navigation des contenus, estime Alain Bellet. Ceux-ci adapteront leurs pratiques dans un deuxième temps.»

Aujourd’hui, les supports ont évolué. Les vieilles habitudes d’interaction sont remises en cause par les avancées technologiques et la mise en réseau de l’information. Le «design interactif» est devenu une discipline en soi, qu’on enseigne dans les écoles d’art et de design. Il s’agit d’imaginer la manière dont les humains interagissent avec les objets, les données et les services qui les entourent. «Le designer interactif est un scénariste, précise Lionel Tardy, enseignant à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et cofondateur du bureau About Blank Design. Il doit respecter des critères d’ergonomie, de fonctionnalité et d’esthétisme.» Des sites web aux applications iPad, en passant par l’architecture interactive: l’emploi du design interactif ne se limite pas à un domaine particulier. Les exemples suivants illustrent son potentiel.

A Lausanne, la spin-off de l’EPFL Ozwe s’est alliée à l’agence de communication Bread and Butter pour créer Bookapp, un nouveau format de livres électroniques. Les lecteurs peuvent s’en servir pour partager entre eux leurs notes personnelles en marge des pages. L’auteur luimême peut intervenir sur le texte ou répondre

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DESIGN

Place à l’interactivité

aux commentaires. Par ailleurs, le système permet de sélectionner n’importe quel mot et d’être redirigé vers une encyclopédie en ligne. En Suisse romande, l’innovation séduit et la demande explose (magazine Femina, Nestlé, Jaeger LeCoultre, etc.). «Si Bookapp fonctionne, c’est parce que des ingénieurs et des designers travaillent main dans la main, souligne Frédérick Kaplan, fondateur de Ozwe et ingénieur à l’EPFL. Dans ce domaine, la multidisciplinarité joue un rôle clé.» La réalité augmentée

Sur toutes les lèvres en ce moment, une technologie vidéo promet d’apporter une panoplie de nouvelles interactions au quotidien des gens: la réalité augmentée. Il s’agit de greffer à des images filmées en direct une couche d’informations virtuelles. L’arrivée des caméras sur l’iPad 2, qui est commercialisé en Suisse depuis mars 2011, en fait un outil particulièrement séduisant pour le design interactif. Leader dans ce domaine, la société française Total Immersion a récemment présenté une application ludique pour iPad 2, qui utilise la reconnaissance faciale pour identifier l’utilisateur et appliquer à son visage des lunettes de soleil en 3D, une coiffure farfelue ou d’autres accessoires. Une autre application, Star Walk, indique en temps réel la position des constellations et des planètes lorsque l’iPad est pointé vers le ciel étoilé. Ainsi, la technique se place actuellement au centre d’énormes enjeux pour les industries du divertissement et du marketing.

Mariage heureux entre design interactif et réseaux sociaux Après avoir remporté en 2008 le Prix Pierre Bergé du meilleur diplôme européen de design interactif pour son travail de Bachelor à l’ECAL, Camille Scherrer a été en 2010 l’une des 12 lauréates de la Fondation Leenaards. Avec cette bourse de 50’000 francs, elle se lance dans un nouveau projet qui lui permettra de jeter un pont entre design interactif et réseaux sociaux: équiper d’appareils photo une quantité de niches d’oiseaux dans le Pays-d’Enhaut. Chaque fois qu’un spécimen s’y attardera, il sera pris en photo. L’image rebondira ensuite sur la toile. Il suffira de s’inscrire en tant qu’utilisateur pour suivre, en temps réel, la vie quotidienne de ces volatiles.

Dans un registre plus artistique, une ancienne étudiante de l’ECAL fait figure de précurseur en matière de réalité augmentée. En 2008 déjà, Camille Scherrer présente pour son travail de diplôme Le Monde des montagnes, un livre et une lampe dotée d’une caméra. Cette dernière filme les pages au fur et à mesure qu’elles sont tournées. Elle est branchée à un ordinateur qui, grâce à une technologie développée en collaboration avec l’EPFL, reconnaît les images et les anime: à l’écran, des cerfs se lancent en parachute et des oiseaux prennent le téléphérique. Une manière poétique, donc, de marier l’expérience sensorielle du livre avec la dynamique du monde numérique.

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SANTÉ

Une plateforme pour la santé du futur Un vaste projet européen vise à assurer la fiabilité des informations sur la santé diffusées en ligne. Lancement en 2014. TEXTE

| Luca Di Stefano

sera parfois technique ou parfois vulgarisée», précise le professeur Henning Müller, professeur à la HES-SO Valais et coordinateur de ce projet européen. Au centre de cette initiative démarrée en septembre 2010 se trouve un réseau de 12 partenaires académiques et industriels, qui rassemble les compétences nécessaires à l’élaboration de cette plateforme complexe. «De l’interface homme-machine à la traduction automatique, en passant par la recherche d’images et l’extraction de relations entre les mots-clés, chacun apporte ses connaissances spécifiques», explique le coordinateur du projet. Concrètement, Khresmoi devrait voir le jour en 2014.

Internet a bouleversé les méthodes des professionnels de la santé, mais aussi les connaissances des patients, toujours plus enclins à y rechercher les informations. Les forums de discussion abondent, les sites de type wiki, plus ou moins certifiés, se multiplient. Une étude menée en 2007 dans sept pays européens a démontré que 46% de la population considèrent internet comme une source essentielle d’information médicale. Une situation qui peut parfois poser problème, car les informations qui circulent sur le réseau ne sont pas toujours validées par des professionnels. Face à cette évolution, la qualité et la fiabilité de l’information médicale sont devenues des priorités. C’est afin de répondre à ces enjeux que le projet Khresmoi (Knowledge Helper for Medical and Other Information users) a vu le jour.

Quand les médecins se parleront en réseau Un projet de recherche baptisé MediCoordination vise à permettre l’échange électronique d’informations médicales entre les hôpitaux et le personnel soignant. Une étape importante car, en Suisse, les médecins ne sont de loin pas tous connectés à internet. «Pour le moment, de nombreuses données médicales sont transmises par la poste, par fax ou de main en main, explique Michael Schumacher, professeur d’informatique à la HES-SO Valais, à la tête du projet. Cela prend beaucoup de temps et des éléments peuvent se perdre.» Développé par le réseau des instituts de la HES-SO, MediCoordination a démarré en 2007. Ses responsables espèrent qu’il sera implémenté prochainement: «L’échange d’information électronique représente un fort potentiel d’économie dans le domaine de la santé, précise Michael Schumacher. De nombreux documents produits pour chaque patient exigent actuellement un travail administratif qui coûte cher.»

L’objectif de Khresmoi consiste à créer une plateforme multilingue en ligne, qui produira des informations médicales fiables et adaptées aux différents niveaux de connaissances de ses utilisateurs. «Entre les patients, les radiologues, les médecins généralistes ou les spécialistes, les besoins ne sont pas les mêmes, l’information

Par Gwenaëlle Reyt

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SCRIPTOGRAPHER

Portfolio

«Boutons de ventre» de Naomi Cahen, Alexandre Devaud, Anne-Laure Fuchs et Aurore Poffet, 2008 Une série d’outils a été développée pour dessiner des éléments liés aux habits, tels des boutons, des dentelles ou des coutures. Ils ont trouvé une application inattendue dans l’anatomie humaine.

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ÉNERGIE

L’immense chantier du smartgrid Si les technologies sont déjà disponibles, le réseau énergétique intelligent tarde à se déployer. A terme, il permettra de mieux intégrer les énergies renouvelables, diminuer les pics de consommation et réduire la facture des consommateurs. TEXTE

| Bertrand Beauté

l’électricité est achetée aux pays voisins à prix fort. Mais la raréfaction des combustibles fossiles, l’augmentation du prix de l’énergie ainsi que le réchauffement climatique imposent un changement de dogme.

La révolution est en marche. Aux Etats-Unis, Barack Obama a annoncé, en 2009, le déblocage de 3,4 milliards de dollars afin de munir 18 millions de ménages américains de «compteurs électriques intelligents». En Suisse, les Forces motrices bernoises, Swisscom, La Poste et IBM ont décidé de regrouper leur savoir-faire pour tester un système similaire à Ittigen (BE) et Zurich auprès de 1’200 clients. A Lausanne, un projet pilote fonctionne dans deux immeubles du quartier du Bugnon depuis février 2011, tandis qu’ailleurs en Occident, des réseaux électriques intelligents, ou smartgrid, sont également testés.

Mais les énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, souffrent d’un handicap majeur: l’intermittence et la variabilité de leur production. Comment intégrer dans le réseau électrique, qui doit satisfaire les besoins des usagers, une source qui débite brusquement beaucoup de courant, lorsque le vent souffle, ou ne rien produire du tout par temps calme? S’il faut suppléer une source d’énergie renouvelable par des centrales thermiques activables rapidement mais fortement émettrices de CO2, l’intérêt se trouve limité.

De quoi s’agit-il? «Le smartgrid est un réseau de distribution électrique qui utilise les technologies informatiques afin d’optimiser production, distribution et consommation d’électricité», explique Hubert François Sauvain, professeur en génie électrique à la Haute école d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg. Objectif: impliquer davantage les usagers afin d’en faire des «consommacteurs» et mieux intégrer les énergies renouvelables.

Afin de mieux intégrer les nouvelles énergies, le réseau intelligent a été développé. Il s’agit de faire communiquer producteur et consommateur, afin que l’usager utilise de l’électricité lorsque celle-ci est disponible. Concrètement, les habitations seront équipées de compteurs intelligents, les smartmeters, en lieu et place des compteurs électriques traditionnels. Ceuxci communiqueront entre eux et avec les sites

Jusqu’à présent, la production d’électricité est optimisée afin de répondre en permanence à la demande. En cas de pics de consommation,

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Le chantier du smartgrid se calquera sur le réseau électrique européen existant.


ÉNERGIE

Le chantier du Smartgrid

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ÉNERGIE

Le chantier du Smartgrid

communication pour système industriel à la HES-SO Valais. Grâce aux compteurs intelligents, il sera possible de leur dire, par exemple, que trop d’appareils restent en veille toute la journée. Ils pourront ainsi faire des choix et modifier leur comportement.» Ces changements d’habitudes pourraient conduire à une économie de 5 à 15% d’énergie. Afin d’inciter les usagers à moins et mieux consommer, des prix différenciés en temps réel (surtarification aux heures de pic) seront établis. Ils permettront aux clients de suivre leur facture en temps réel, plutôt que d’attendre un relevé différé. «La mise en place d’un réseau intelligent en Suisse devrait coûter entre 1,6 et 2 milliards de francs, pour remplacer les quelque 4 millions de compteurs du pays, estime Hubert François Sauvain. La question est qui va payer? Le consommateur ne doit pas s’acquitter d’un montant qui irait au-delà des économies qu’il réalisera. Si l’économie d’énergie est dans la fourchette de 3 à 5%, nous estimons que

de production, via le réseau électrique luimême ou via internet, pour connaître la disponibilité énergétique. La décision pourra alors être prise à distance de déclencher une machine à laver ou de recharger sa voiture électrique lorsque la production d’électricité est importante, ou de différer l’action quand le courant manque. «Ce système va permettre aux producteurs d’effectuer des économies en supprimant les pics de consommation, souligne Hubert François Sauvain. Le consommateur, quant à lui, devrait payer moins cher son énergie, grâce à une réduction de sa consommation.» En effet, en analysant la consommation des clients, les smartmeters permettront de leur prodiguer des conseils en temps réel. «Aujourd’hui, les usagers ne savent rien de leur consommation, les factures sont cryptiques, constate Dominique Gabioud, professeur en

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Cette vue nocturne de la Terre depuis un satellite permet de distinguer les réseaux électriques les plus denses. Si ces réseauxlà se mettaient à fonctionner «intelligemment», le gain d’énergie serait conséquent.


ÉNERGIE

Le chantier du Smartgrid

Domotique, tu te connecteras Les technologies d’automatisation et de gestion de l’habitat n’ont pas encore réalisé leur révolution. L’intégration d’internet, prévue pour 2012, pourrait les aider à prendre enfin leur envol. L’idée d’une maison automatisée et intelligente a commencé à conquérir les esprits à la fin des années 1970. A l’époque, les systèmes électroniques et informatiques se miniaturisent et, très vite, des réseaux de communication numériques apparaissent. Trente ans plus tard, selon Hervé Dedieu, professeur à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) qui effectue des recherches dans le domaine avec une équipe de la HES-SO, l’apogée de la maison intelligente n’a pourtant toujours pas été atteint: «Mais il sera pour bientôt, grâce notamment à l’arrivée en 2012 d’Internet Protocole Version 6 (IPV6), nettement supérieur en capacité à notre actuel IPV4. Une fois qu’IPV6 sera adopté, il y aura une convergence de la domotique classique et du multimédia. Chaque objet dans la maison (capteur, actuateur, senseur) pourra avoir une adresse IP et l’on rentrera pleinement dans l’internet des objets.»

l’utilisateur ne devrait pas voir sa facture changer. Mais pour le moment, la question du coût n’est pas complètement réglée.» Autre écueil: les possibles atteintes à la vie privée que permettent les compteurs intelligents. En théorie, les gestionnaires du réseau électrique pourront savoir minute par minute dans quelle pièce se trouve le consommateur et ce qu’il y fait. «Il est donc essentiel que les données sur les consommateurs soient protégées et que des mesures en matière de confidentialité et de sécurité soient mises en place», souligne le Bureau européen des unions de consommateurs. «Les compteurs intelligents vont permettre au producteur d’électricité de disposer de nombreuses informations privées sur le consommateur, confirme Dominique Gabioud. Au niveau légal, ce point doit être éclairci, afin qu’il n’y ait pas d’intrusion dans la vie privée. Les juristes vont s’intéresser de près à ce problème qui, in fine, est susceptible de tout bloquer.»

L’ordinateur central qui appelle la police en cas d’effraction ou le frigidaire qui détecte les aliments manquants, puis se connecte à un site de courses pour les commander, feront bientôt partie du quotidien de chacun. Hervé Dedieu renchérit: «On peut aussi imaginer la cafetière d’une grande marque de café détecter les capsules manquantes et communiquer cette information en direct au fabricant.» Mais jusqu’où irons-nous, juste par confort? L’avènement d’IPV6 n’est cependant pas le seul élément qui rendra nos maisons intelligentes. Le développement du smart metering (compteurs intelligents), déjà en plein essor dans certains pays, par souci d’économie d’énergie, boostera aussi l’idée de la smart home. Hervé Dedieu ajoute: «Une tendance se dessine avec la notion d’Energy Hub: les distributeurs d’énergie communiqueront avec leurs abonnés au travers d’un terminal intelligent, qui permettra au consommateur d’intervenir sur sa consommation. Ce terminal aura aussi vocation à contrôler le chauffage, la ventilation, l’éclairage.» Une petite révolution, qui transformera les maisons de demain. Par Sabrina Faetanini

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HYDROLOGIE

Livraison d’or bleu à bon compte Deux chercheurs genevois ont créé un outil permettant d’évaluer la distribution d’eau potable. Les entreprises du secteur ne sont de loin pas égales. TEXTE

| Sophie Gaitzsch

Tourner le robinet et se servir un verre d’eau. Un geste quotidien qui semble une évidence. Pourtant, on oublie souvent que l’eau potable qui coule dans notre cuisine a parcouru bien du chemin avant d’atteindre sa destination finale. En Suisse, plus de 3’000 sociétés se chargent d’acheminer le précieux liquide à bon port. Et ces entreprises ont une particularité: elles appliquent des tarifs très variables. Au final, un usager paiera jusqu’à dix fois plus qu’un autre pour la même quantité d’eau, selon le lieu où il habite. Interpellés par ce constat, deux chercheurs de la Haute Ecole de gestion de Genève (HEG) ont décidé de s’intéresser au réseau de distribution d’eau. «Nous avons choisi de nous concentrer sur les coûts auxquels sont confrontés les distributeurs», expliquent Andrea Baranzini, professeur d’économie, et Anne-Kathrin Faust, assistante en économie. Car, comme les prix, les coûts moyens varient fortement d’une société à l’autre, entre 20 centimes et 3 francs par mètre cube livré.

Andrea Baranzini, professeur d’économie, s’est intéressé aux coûts des distributeurs d’eau en Suisse.

densité de population. «Certains distributeurs livrent moins de 100’000 m3 d’eau par année à quelques centaines de personnes seulement. D’autres desservent des agglomérations de 400’000 habitants, à coups de millions de mètres cubes», précise Andrea Baranzini.

Ici, toute une série de facteurs ont une influence. Certains sont propres à l’entreprise, comme la quantité de travail ou d’énergie utilisés. Mais le distributeur doit aussi composer avec des contraintes extérieures telles que la topographie, le type de clients, la provenance de l’eau ou la

Les deux scientifiques ont analysé et quantifié ces multiples facteurs, ce qui leur a donné un outil pour comparer les entreprises et évaluer ainsi leur efficacité. Ils en ont conclu que dans un tiers des cas, un regroupement d’entreprises pourrait faire baisser le coût du mètre cube d’eau. En partie, l’avenir de la distribution d’eau en Suisse passera donc par moins de distributeurs.

Provenance de l’eau Un milliard de mètres cubes d’eau: c’est ce que diffusent les distributeurs d’eau suisses chaque année. Si ce chiffre peut paraître énorme, il ne correspond qu’à 2% des précipitations naturelles. La Suisse tire 40% de son eau potable de ses sources, 40% de ses aquifères (nappes phréatiques) et 20% de ses eaux de surfaces (surtout des lacs).

Baisse de la consommation En 1981, la population suisse consommait 500 litres d’eau par habitant quotidiennement. Depuis, ce chiffre a baissé d’environ 100 litres. Une évolution qui s’explique par des progrès de l’industrie, des changements de comportements individuels (la douche a remplacé le bain) et les appareils économes en eau.

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HYDROLOGIE

Les bisses: un réseau peut en cacher un autre Chaque année, des milliers de personnes empruntent les sentiers longeant les bisses valaisans. Destinés hier aux gardiens de ces précieux canaux, ces petits chemins au faible dénivelé (la pente minimale à laquelle l’eau reste en mouvement est de 0,5 ‰) constituent aujourd’hui des buts de randonnée très appréciés. Pendant des siècles, pour échapper aux conséquences de la sécheresse, les paysans ont construit un réseau d’irrigation destiné aux prés, vignobles

et cultures en terrasses. Leurs parcours parsemés d’obstacles témoignent de l’audace de leurs constructeurs et fascinent les promeneurs. Ils leur coupent même quelquefois le souffle face à des à-pics impressionnants (les passages les plus spectaculaires se trouvent au Nirwärch, à la Wyssa et à l’Ancien bisse du Rho). Presque tous les bisses ont leur nom propre, soit une cinquantaine. Autant d’histoires d’eau! Celui de Saxon détient le record de longueur avec ses 32 km. Les aqueducs romains auraient-ils servi d’exemple à ces constructions

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ou les doit-on aux Sarrasins? Les points de vue divergent. Des documents du XIIe siècle attestent de bisses plus anciens encore, mais non datés. C’est entre le XIIIe et le XVe siècle qu’ils ont connu le plus grand essor. Au fil du temps, certains bisses ont été mis hors service alors que les sentiers adjacents sont entretenus et balisés pour leur seul usage touristique. Progressivement, un réseau d’irrigation laisse place à un réseau de randonnées; une nouvelle affectation inimaginable dans l’esprit de ses bâtisseurs.


CARTOGRAPHIE

Un réseau de triangles Ces pyramides métalliques ont servi à établir les premières cartes topographiques suisses. Devenues obsolètes, elles cèdent leur place à un nouveau réseau. TEXTE

| Geneviève Grimm-Gobat

Bien des sommets suisses sont dominés par des pyramides métalliques. Elles font partie du paysage. Installées sur des points culminants, elles appartiennent au réseau national de triangulation qui permet d’établir l’altitude du sol helvétique. L’origine de ces mesures étant la Pierre du Niton, un bloc erratique situé dans la rade de Genève (373,6 m).

La première édition de la carte Siegfried a été publiée à partir de 1870. Pour la première fois, ces cartes ont été établies à partir de relevés originaux sur le terrain.

Leur position a été choisie pour offrir le plus grand champ de vision, afin de calculer les coordonnées de nouveaux points, grâce à des théodolites (des instruments de visée permettant de mesurer des angles) puis, à l’aide de la trigonométrie. Cette méthode est basée sur des réseaux à trois points, d’où son appellation de triangulation. Quatre-vingts pyramides métalliques ont été érigées de 1884 à 1970. Que de randonneurs ont été pris en photo à proximité de celles-ci! Des images qui feront bientôt date car le réseau de triangulation est aujourd’hui démonté. Le développement des méthodes de la géodésie spatiale, l’utilisation du système GPS (Global Positioning System), offre la possibilité de déterminer la position et l’altitude de repères avec une précision bien supérieure à celle de la triangulation classique. D’où son abandon. Devenues obsolètes, les pyramides cèdent leur place à un nouveau réseau. Vingt d’entre elles ont déjà disparu. Mais Sandrine Klötzli, porteparole de l’Office fédéral de topographie, rassure: «Si les communes veulent les conserver pour faire joli, elles en ont la possibilité.»

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CARTOGRAPHIE

Un réseau de triangles

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CARTOGRAPHIE

Un réseau de triangles

Cette ancienne carte de la Suisse permet de visualiser le réseau de triangulation. La position des pyramides métalliques avait alors été choisie pour offrir le plus grand champ de vision possible. Elles ont été érigées sur quatre-vingt sommets entre 1884 et 1870.

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CARTOGRAPHIE

Un réseau de triangles

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MARCHÉ DE L’ART

Collectionner entre amis Des plateformes internet réservées aux collectionneurs leur permettent d’échanger des informations sur des artistes, des galeries ou des foires. Une auto-organisation qui marque la fin de l’isolement de ces acteurs et témoigne de leur poids croissant sur le marché de l’art. TEXTE

| Sylvain Menétrey

mande une logistique lourde. On ne peut pas envoyer simplement une pièce par FedEx. Il y a aussi le risque que l’œuvre soit endommagée. Et de toute façon, on ne peut pas faire l’économie de contacter un marchand pour se renseigner sur le prix de vente», explique le galeriste genevois Edward Mitterrand.

Internet est une aubaine pour les collectionneurs. Livres anciens, disques introuvables, tout se chine désormais sur la toile. Des plateformes, à l’image du site Discogs.com qui joue le rôle de base de données encyclopédique de la musique et de communauté d’échange, alertent leurs membres quand un objet est mis en vente par un internaute.

Mais le but d’Independent Collectors n’est pas de créer un marché parallèle qui rivalise avec les maisons de vente aux enchères. «Nous avons une option «maybe» qu’un collectionneur peut cliquer pour indiquer qu’il est prêt à vendre une de ses œuvres, mais elle est très peu utilisée. Nous mettons par ailleurs en garde nos membres sur les risques inhérents à ce type de commerce main à main», déclare le fondateur du site. Les quelque 3’800 membres actuels du site l’emploient davantage comme une base de données sur laquelle ils téléchargent des visuels des pièces de leur collection. Ils ont la possibilité de montrer ce portfolio ou de le privatiser par un mot de passe. Entre collectionneurs aux goûts similaires, des dialogues peuvent alors se créer et l’information peut circuler. «Mon profil me permet de gérer ma collection, explique Stéphane Ribordy, jeune collectionneur et galeriste genevois. Le site m’a aussi permis de découvrir des artistes et de

L’art faisait exception à cette mise en réseau de passionnés jusqu’au lancement du site Independent Collectors en 2008 par le collectionneur berlinois Christian Schwarm et ses deux associés Ulrich Grothe et Uwe Thomas. «De manière générale, l’art est en retard au niveau technologique. Cela tient au fait que les galeries sont généralement de petites structures. Bien qu’énorme par rapport à ses concurrentes, la galerie Gagosian ne compte pas plus de 100 employés. L’âge des collectionneurs joue également un rôle. L’âge moyen de notre communauté est de 48 ans, ce qui en fait sans doute la plus mûre d’internet», constate Christian Schwarm. Autre explication de cette apparition tardive, le fait qu’on n’échange quasiment pas d’œuvres d’art entre particuliers. «Il est beaucoup plus compliqué de vendre des œuvres d’art que des pochettes de disque. Cela de-

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MARCHÉ DE L’ART

Les Berlinois Christian Schwarm, Ulrich Grothe et Uwe Thomas ont été les premiers à lancer un réseau de collectionneurs d’art en 2008.

Collectionner entre amis

des œuvres d’artistes que nous collectionnons. Nos amis fournissent d’autres œuvres de ces artistes pour compléter les portfolios, sans intervention de galeries ou de collectionneurs institutionnels.» C’est ainsi que des réseaux ou de petits rhizomes se forment petit à petit sur le site.

faire de nouvelles connaissances. J’ai rencontré par ce biais des collectionneurs de Los Angeles avec qui je partageais certains intérêts.» «J’ai lancé Independent Collectors parce que je ne rencontrais jamais d’autres collectionneurs de mon âge, explique Christian Schwarm. Je me disais qu’il devait y avoir un moyen de les trouver en ligne. Le site fonctionne d’ailleurs surtout comme une plateforme d’organisation, le but étant de favoriser les rencontres dans la vie réelle.»

Cette auto-organisation des collectionneurs témoigne du poids croissant et de la confiance prise par ces acteurs sur le marché de l’art. Les cotes des artistes sont toujours plus influencées par l’entrée de leurs pièces dans de grandes collections. Naguère discrets et esseulés, les collectionneurs prennent désormais plaisir à montrer leur collection à leurs pairs, ainsi qu’au public. «A Miami, les collections Margulies et De La Cruz viennent chacune de se doter d’un espace public. Les collectionneurs veulent démontrer qu’ils sont aussi capables de monter des expositions, qu’ils appartiennent au monde des institutions», analyse Edward Mitterrand. Une extraversion qui n’est pas jugée comme une concurrence ou un empiètement. «Elle sert les gens comme moi, affirme le galeriste genevois. Car cela montre aux clients jusqu’où peut mener l’activité de collectionneur.»

La Rosenblum Collection & Friends est un autre réseau de collectionneurs lancé par Chiara et Steve Rosenblum, un jeune couple d’Américains basé à Paris. Au cœur du dispositif, un espace convivial d’exposition que le couple a ouvert dans la Ville Lumière. «Nous voulons que chacun passe un bon moment dans cet espace, non seulement pour y découvrir des œuvres d’art, mais aussi pour y flâner, s’y relaxer ou y dîner», explique Steve Rosenblum sur le site de la collection qui héberge aussi un réseau social sur lequel les «amis» du couple peuvent se retrouver. A l’image des groupes de fans sur Facebook, ce sont les œuvres d’artistes collectionnées par les membres du réseau qui fédèrent. «Sur cette plateforme, Chiara et moi montrons exclusivement

www.independent-collectors.com www.rosenblumcollection.eu

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CARRIÈRE

L’artiste self-manager Un nouveau défi pour l’artiste d’aujourd’hui: savoir se vendre sans que le marketing prenne le pas sur la création, et «réseauter» pour rencontrer ses employeurs de demain. TEXTE

| Tania Araman

interviennent curateurs et galeristes, pour apprendre aux étudiants à mettre en valeur leur travail, à établir des connexions, à mieux se vendre. Comme si pour réussir, il suffisait d’être efficace sur le marché!» L’artiste lausannois reste convaincu, pour sa part, que le vrai talent finira forcément par être reconnu. Et croit davantage aux rencontres fortuites qui jalonnent une vie qu’à une construction artificielle de relations. «Aujourd’hui, on maintient les jeunes artistes dans l’illusion qu’ils doivent atteindre rapidement la renommée. Or à mon époque, on attendait parfois jusqu’à l’âge de 40 ans avant de recueillir le fruit de nos efforts. En ce qui me concerne, c’est au fil de mes amitiés que j’ai bâti mon réseau. D’ailleurs, plutôt que ce terme qui évoque le monde de l’économie ou des lobbies, je préfère parler de familles.» Des familles rassemblées par affinités intellectuelles et organisées, pourquoi pas, en collectifs. «Dans cette optique, j’encourage mes étudiants à se regrouper, à discuter d’art entre eux, à organiser des expos de leurs œuvres dans un espace commun. Bien souvent, ce sont les familles formées pendant les études qui résisteront le mieux à l’épreuve du temps.»

«En tant qu’artistes, nous sommes à la merci des autres pour réussir ou manquer notre vie.» A l’heure du marketing, du self-branding et du réseautage, cette citation du peintre anglais Norman Reid sonne d’autant plus juste. L’artiste peut-il encore se contenter de «produire» son œuvre dans un coin de son atelier, ou de son studio, en attendant d’être découvert? Ne doitil pas également se démener pour faire connaître ses créations? Pour établir les connexions qui le conduiront au succès? «Même si cela ne m’amuse pas, ça fait partie de mon job.» Pour le chanteur genevois de 33 ans Ales Rock – déjà bien établi sur la scène romande – pas de doute: l’autopromotion s’avère indispensable «pour faire bouger son histoire. Aujourd’hui, disposer d’une bonne maquette n’est plus suffisant. Et puis, avec le MP3, la manière de consommer la musique a complètement changé.» D’où sa présence très nette sur la toile: site internet, profils Facebook et MySpace, vidéos sur YouTube, tout y est. «Même si cela demande du temps, il ne faut pas hésiter à sortir l’artillerie lourde. On n’a pas vraiment le choix.» Jean-Luc Manz, chargé de cours à la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD), ne partage pas cette philosophie: «Certaines écoles proposent des workshops dans lesquels

L’école comme terrain fertile de rencontres des partenaires de demain: voilà un postulat qu’Ales Rock ne remettra pas en question. C’est lors de

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CARRIÈRE

Pour le chanteur genevois Ales Rock, l’autopromotion s’avère indispensable sur la toile.

L’artiste self-manager

«Nous devons sans cesse cultiver notre réseau, en allant voir des spectacles, en envoyant des CV, en rencontrant un maximum de personnes du milieu. En Suisse, il n’y a pas de bureau de casting: tout fonctionne au bouche à oreille.»

ses années d’études à Paris, à l’ATLA (Ecole des musiques actuelles) qu’il a fait la connaissance de Carlos Leal, leader du groupe Sens Unik. De cette rencontre naîtra quelques années plus tard une collaboration, une «véritable aventure artistique» aussi bien pour l’un que pour l’autre.

Mais, même à l’époque des réseaux, l’isolation reste nécessaire à certains artistes pour créer: «Lorsque j’étais à Paris, j’évoluais dans les milieux alternatifs, je jouais dans des bars et des clubs et je me retrouvais dans des soirées avec Kate Moss et Mick Jagger, raconte Ales Rock. C’est sûr que l’on se construit au contact d’autres personnes. Mais à un moment donné, j’ai eu besoin de prendre du recul, de m’isoler. Je me suis enfermé pendant huit mois pour me consacrer uniquement à ma musique et enregistrer mon premier sept titres.»

Dans le milieu du théâtre également – et peutêtre encore plus qu’ailleurs – les liens établis sur les bancs d’école se révèlent primordiaux. Ainsi, Emilie Blaser, 25 ans, issue de la volée 2010 de la Haute école de théâtre de Suisse romande - La Manufacture, a été remarquée par un metteur en scène lors d’une audition organisée par l’école peu avant sa sortie. «Ce rôle m’a permis d’en obtenir un autre, dans une pièce du même auteur.» Mais au terme de son contrat, la jeune comédienne ne pourra pas se reposer sur ses lauriers:

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MUSIQUE

Concerto en réseau majeur En jouant ensemble depuis différents lieux, des musiciens inventent des orchestres délocalisés et suscitent de nouveaux modes de création. TEXTE

| Cynthia Khattar

Jules Verne en rêvait, internet l’a fait. En 1875, l’écrivain français envisageait, dans un texte intitulé Une ville idéale en l’an 2000, la possibilité d’un concert en réseau: «Pianowski, jouait à Paris, à la salle Hertz; mais au moyen de fils électriques, son instrument était mis en communication avec des pianos de Londres, de Vienne, de Rome, de Pétersbourg et de Pékin. Aussi, lorsqu’il frappait une note, la note identique résonnait-elle sur le clavier de ces pianos lointains, dont chaque touche était mue instantanément par le courant voltaïque!» Ce scénario imaginaire est désormais devenu une réalité. Grâce aux nouvelles technologies, de plus en plus de musiciens séparés géographiquement expérimentent le champ des possibilités offertes par la «télémusique».

mencé à jouer de la guitare face à l’écran et Michiko à chanter. Tout est parti de là.» Quelque temps plus tard, lorsque des amis de Christian l’invitent à participer à leur festival de nouveaux médias, il propose, un peu par plaisanterie, de réaliser un concert en duo avec Michiko, alors au Japon. Le concept était lancé. Avec le décalage horaire entre la Suisse et le Japon, leurs concerts à distance engendrent des situations plutôt étonnantes. «Alors que Christian joue sur scène devant un public, moi je chante dans ma chambre à 5 heures du matin, seule et en pyjama!» raconte la chanteuse. Moins cocasse, le fait que Michiko ne puisse pas voir le public quand elle chante, la technologie étant trop lourde, et de ne pas pouvoir échanger ses impressions avec Christian juste après le concert. «Christian doit rapidement éteindre son ordinateur et quitter la scène. Moi je vais me coucher.» Cette collaboration à distance les incite «à expérimenter de nouvelles manières de créer», confie Michiko. Mais pour Tim & Puma Mimi, les concerts sur Skype n’apparaissent pas comme une fin en soi, et ils préfèrent se produire ensemble sur la même scène.

Musique à distance

C’est ainsi le cas du duo de musique électropop Tim & Puma Mimi. Lui mixe à Zurich, elle chante à Tokyo, et ils se produisent en concert ensemble, via Skype. Tim est sur scène, tandis que Puma Mimi apparaît sur grand écran. Ce choix s’est en fait imposé par hasard et plutôt à défaut de ne pouvoir être réunis physiquement. Christian Fischer et Michiko Hanawa, de leurs vrais noms, se sont rencontrés pendant leurs études en Hollande. «Par la suite, nous sommes restés en contact par le biais de Skype, raconte Christian Fischer, alias Tim. Un jour, après deux ou trois heures passées devant nos webcams, comme on n’avait plus rien à se dire, j’ai com-

George Robert, directeur du département de jazz de la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU), se réjouit de son côté des nouvelles possibilités qu’offrent les concerts en réseau. Ce saxophoniste s’est récemment produit avec quatre autres musiciens répartis en Europe. Une

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MUSIQUE

initiative de la société Cisco, spécialisée dans l’élaboration de systèmes de visioconférence: «Le projet consistait à déterminer comment réaliser un concert en simultané et où se situaient les problèmes techniques», explique George Robert. Ils ont alors constaté que deux musiciens parvenaient à être sur la même longueur d’onde, mais dès le troisième, apparaît un décalage. «La technologie actuelle est adaptée pour des personnes en conférence et ne pourrait pas dépasser la vitesse de la lumière», indique George Robert. Les techniciens planchent donc sur une manière de pouvoir réduire le temps de latence. Un décalage sonore à exploiter

Pour le jazz, la synchronisation rythmique est essentielle, d’où l’intérêt de réduire les décalages. Il n’en va pas de même pour la musique plus expérimentale. Jérôme Joy, chercheur et compositeur français, exploite d’ailleurs pleinement les contraintes imposées de la musique en réseau: «A quoi bon tenter de reproduire fidèlement les concerts traditionnels? Il me semble plus intéressant de développer d’autres pistes, en intégrant le décalage de son.»

Concerto en réseau majeur

se joue au téléphone et via Skype. Le spectateur se retrouve en ligne avec l’opérateur d’un centre d’appel en Inde, à Calcutta. Est-ce un comédien? Ce qu’il raconte est-il inventé? Une conversation s’engage alors, entre fiction et réalité. Le collectif Rimini Protokoll, dont fait partie le metteur en scène soleurois Stefan Kaegi, est reconnu pour être l’un des initiateurs du théâtre dénommé «mouvement de la réalité». Le collectif met en scène des personnes de la vie réelle, des «experts», qui jouent sur scène leur propre rôle, brouillant ainsi la frontière entre fiction et réalité. La performance Call Cutta in a Box a été récompensée en 2009, à l’occasion du Prix Ars Electronica, une compétition internationale d’art numérique.

Jérôme Joy utilise ainsi une technologie qui permet un son de plus grande qualité que sur Skype mais dont le temps de latence est de vingt-cinq à trente secondes. «Sur ce vaste espace acoustique que représente internet, les conditions de jeu sont évidemment différentes, mais elles suscitent la production de nouvelles écritures musicales.» Ainsi, parmi ses nombreux projets en cours dans le domaine, Jérôme Joy collaborera l’an prochain avec le compositeur anglais John Eacott sur une œuvre créée en direct, à partir d’un capteur placé dans un fleuve. «Les données récupérées à partir de ce milieu seront analysées et musicalisées en direct par des instrumentistes. Un concert joué par des musiciens mais composé par le fleuve en quelque sorte.» On touche ici au domaine de la sonification, en d’autres termes: comment rendre sonores des données qui ne le sont pas? Un phone-spectacle intercontinental

Au théâtre aussi, les réseaux ont fait leur entrée sur scène. En 2008, le collectif germano-suisse Rimini Protokoll a mis en scène Call Cutta in a Box. Un «phone-spectacle» intercontinental qui

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SPAMS

La chasse aux gangs de spams Microsoft et les autorités américaines ont annoncé le démantèlement d’un réseau de spams. Mais les «pourriels» ne sont pas près de disparaître. TEXTE

| Jean-Cosme Delaloye

dont Leo Kuvayev alias BadCow ainsi que le groupe ukrainien Canadian Pharmacy. «C’est difficile de lutter contre ces gangs, explique Brett Stone-Gross, doctorant à l’Université de Californie et coauteur d’une enquête sur le réseau botnet Cutwail. La plupart d’entre eux opèrent depuis des pays comme la Russie, où l’envoi de spams n’est pas un crime.» Le Spamhaus Project estime qu’une centaine de groupes de spammeurs est à l’origine de l’envoi de 80% des pourriels.

L’opération «b 107» a porté ses fruits. Menée par les autorités américaines et le groupe informatique Microsoft, elle a permis en mars dernier le démantèlement du réseau «botnet» (multiples ordinateurs utilisés pour générer du spam) Rustock. Il comprenait un million d’ordinateurs infectés par un virus. Contrôlées à distance par des hackers, ces machines pouvaient envoyer jusqu’à 30 milliards de «pourriels» par jour. «La destruction d’un botnet n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, car d’autres émergent rapidement», prévient Olivier Bourgeois, patron de la société Fastnet à Saint-Sulpice (VD).

La principale stratégie de lutte contre les pirates informatiques consiste à infiltrer leurs réseaux et à identifier leurs serveurs. Des professeurs et chercheurs de la HES-SO ont lancé le projet Internet Surveillance for Criminal Intelligence Analysis qui a pour but de recueillir le plus de données possible sur les spams, pour les transmettre ensuite aux autorités. «Nous faisons l’extraction de toutes les informations techniques des spams, glisse Christian Buchs. Nous essayons notamment de les cataloguer grâce à la géolocalisation d’adresses IP.»

A l’heure actuelle, entre 75 et 95% des e-mails envoyés chaque jour à travers le monde sont des pourriels. La compagnie Symantec, spécialiste mondiale de la sécurité internet, estime leur nombre quotidien à plus de 150 milliards. «Un ordinateur sur cinq est infecté et peut être utilisé dans un botnet», explique Christian Buchs, professeur à la Haute école d’ingénieurs et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD). En 2009, le groupe Ferris Research à San Francisco, a chiffré le coût du spam à 130 milliards de dollars (117 milliards de francs), une somme qui a doublé depuis 2005.

Une étude de l’Université de Californie datant de 2008 montrait qu’un spam sur 12,5 millions obtenait une réponse. Un taux qui suffit à assurer aux spammeurs un revenu conséquent. Brett Stone-Gross estime que le gang derrière le réseau Cutwail a gagné entre 1,7 et 4,2 millions de dollars depuis juin 2009.

Les principaux spammeurs sont connus et recensés par le Spamhaus Project, un groupe antispams. Parmi eux, on retrouve plusieurs Russes

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SPAMS

La chasse aux gangs

Avec son projet Polyspam, la photographe espagnole Cristina De Middel s’est intéressée au phénomène du pourriel et des escroqueries par e-mail. Elle a recréé les décors et les circonstances narrées dans certains de ces messages et en propose sa propre vision. Polyspam a été exposé dans le cadre du festival veveysan Images 2010. Née en 1975, Cristina De Middel travaille pour plusieurs quotidiens espagnols, tout en développant parallèlement des projets plus personnels, sur la prostitution ou le tourisme de masse, par exemple.

De: Marisol@bp06.net Objet: Marisol Date: vendredi 6 juin 2008, 10:00 A: info@lademiddel.com Répondre à: marisol@astrologi-gratuita.com

Bonjour, Je m’appelle Marisol, j’ai 37 ans et je pratique la voyance avec passion depuis dix-neuf ans. Au cours des dix dernières années j’ai participé à plus de 50 émissions télévisées. (...) Je n’ai recherché ni gloire ni argent, j’ai connu des passes difficiles, des moments de doute, des difficultés financières, des tourments, la dépression. (...) J’ai fondé l’Ecole de voyance de Madrid. Les meilleurs professionnels d’Espagne travaillent dans mon cabinet (clairvoyants, astrologues et tarologues). Aujourd’hui, je suis une professionnelle réputée qui met toutes ses compétences au service de sa vocation. (...) Je peux me permettre de ne pas vous faire payer pour mes services, si vous souhaitez bénéficier de mes conseils vous pouvez m’appeler au 806.556.336*. Marisol * Seul le coût de l’appel vous sera facturé: 1,16 e depuis votre téléphone fixe et 1,51e depuis votre téléphone portable.

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SPAMS

La chasse aux gangs

De: s.nzi005@yahoo.fr Objet: Salut mes chers Date: 16 janvier 2008 19:01:32 GMT+01:00 A: s.nzi005@yahoo.fr Répondre à: s.nzi2007@yahoo.fr

Salut mon cher, Comment ça va avec votre famille? Aujourd’hui est un bon jour pour écrire mais ce n’est pas obligatoire et je ne vous oblige en aucune façon de faire quoi que ce soit contre votre gré. Je m’appelle Sandrine Nzi. J’aurai 25 ans demain. Je suis la fille unique du chef (feu) M. Joseph Nzi. De son vivant, mon père était un mineur d’or réputé en Côte d’Ivoire. (...) Avant sa mort, l’orateur a demandé au secrétaire qui l’accompagnait à l’hôpital et lui a dit qu’il avait déposé la somme de US $10’500’000 dans l’une des principales banques à Abidján, Côte d’Ivoire. Il lui a également dit que l’argent était déposé en mon nom et qu’il avait donné des consignes écrites à son avocat qui affirme qu’il est en possession de tous les moyens et documents juridiques en rapport avec ce dessous et la banque. J’ai à peine 20 ans et suis étudiante à l’université et ne sais vraiment pas quoi faire. Maintenant je veux un compte à l’extérieur sur lequel on peut transférer l’argent. (...) Répondrez-vous à cette offre? S’il vous plaît, réfléchissez-y et manifestez-vous dans les meilleurs délais. Merci d’être là pour moi. Cordialement, Sandrine Nzi.

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SPAMS

La chasse aux gangs

De: susan-morrison@excite.com Objet: Re: Salutations Date: 10 septembre 2006 03:33:57 GMT+02:00 A: info@lademiddel.com

Bonjour, Vous serez peut-être surpris de recevoir ce courriel, en le lisant n’ayez pas trop pitié de moi car je sais que tout le monde meurt un jour. Je m’appelle Mme Susan Morrison, une femme d’affaires à Londres. J’ai été diagnostiquée avec un cancer de l’œsophage à un stade très avancé car j’ai été laxiste avec ma santé. Mon cancer est désormais résistant à tout type de traitement et d’après les médecins il ne me reste que quelques heures à vivre. (...) Les derniers fonds dont aucune personne n’a connaissance sont déposés en espèces dans l’une des banques ici. Je souhaite savoir si vous pouvez m’aider à transférer ces fonds à des organisations caritatives. 20% du montant total de $ 1’500’000 (un million cinq cent mille dollars) vous sont réservés pour le temps et la patience que vous consacrerez à l’exécution de cette tâche. En d’autres termes, vous conserverez $ 300’000 (trois cent mille dollars) et verserez le reste à une organisation caritative. Que Dieu soit avec vous car vous avez pris une décision courageuse en acceptant de guérir le monde avec moi, même si je meurs. Je vais maintenant subir une intervention chirurgicale à laquelle je ne pense pas survivre. Meilleures salutations, Susan Morrison.

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INFOBÉSITÉ

L’infobésité, une menace pour la génération internet Avec la généralisation du web et des réseaux sociaux, l’être humain consomme toujours plus d’informations. Certains experts craignent qu’il se noie dans les flots de données. TEXTE

| Jean-Cosme Delaloye

est réel. «L’année dernière, l’infobésité a coûté 997 milliards de dollars à l’économie américaine, affirme-t-il. Nous avons calculé ce montant en nous basant sur une réalité: les employés américains perdent 25% de leur journée à cause du trop-plein d’informations qu’ils reçoivent.»

L’être humain croule sous les informations. Le volume qu’il reçoit chaque jour pourrait remplir 174 journaux. Et si toutes les données disponibles en 2007 à travers le monde étaient publiées, elles permettraient de recouvrir les Etats-Unis de 13 couches de livres. «Ce volume double tous les trois ans et quatre mois», précise Martin Hilbert, professeur à l’Université du Sud de la Californie et auteur d’une étude sur le volume des données que l’être humain entrepose, récemment publiée dans la revue Science.

Une étude réalisée en 2009 par trois chercheurs de l’Université de Stanford montre que les gens qui sont constamment en ligne et font plusieurs choses à la fois perdent plus facilement leur concentration. Jonathan Spira affirme que l’infobésité a un impact négatif sur la mémoire et sur la concentration. Il compare ce phénomène à une drogue: «Nous développons une tolérance à l’infobésité et nous avons besoin de toujours plus d’informations pour nous satisfaire.»

Pour le chercheur, pas de doute: l’être humain souffre d’infobésité (information overload en anglais). Martin Hilbert ne s’inquiète pas pour autant: «Ce phénomène est aussi vieux que l’information, mais le cerveau humain s’adapte. A l’époque de nos arrière-grands-parents, on lisait en moyenne une cinquantaine de livres dans une vie. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un étudiant lise 50 livres en un semestre. Et quand le volume d’informations nous dépasse, nous pouvons toujours compter sur l’intelligence artificielle, les ordinateurs et les moteurs de recherche que nous programmons pour nous aider à nous y retrouver.»

En 2008, les Américains consommaient de l’information près de douze heures par jour. C’est le résultat d’une étude dont Roger Bohn, professeur à l’Université de Californie San Diego, est le coauteur. «La consommation d’information est encore traditionnelle et vient en majorité de la télévision, dit-il. Mais les habitudes évoluent rapidement avec internet.»

Pour Jonathan Spira, patron de Basex, une société qui calcule le coût de l’infobésité pour les entreprises, et auteur du livre Overload, le fléau

Entre 1960 et 2005, l’offre d’informations disponibles aux Etats-Unis a été multipliée par 10, selon Russell Neuman, professeur de techno-

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Coût de l’infobésité en 2010: 997 milliards de dollars. Un employé perd 25% de sa journée de travail à cause de l’infobésité. Le temps nécessaire pour retrouver son niveau de concentration est 10 à 15 fois plus élevé que le temps qu’a duré l’interruption. Source: Basex - Jonathan Spira.


INFOBÉSITÉ

Menace pour la génération internet

2,9

En millions, le nombre d’e-mails envoyés chaque seconde.

10

Source: Radicati

En millions, le nombre de SMS échangés chaque jour en Suisse sur le réseau mobile Swisscom, parmi lesquels 3 millions sont envoyés par des automates.

50

Source: Swisscom

En millions, le nombre de messages postés sur Twitter chaque jour dans le monde. Source: Twitter

35

En heures, le nombre de vidéos mises en ligne sur YouTube chaque minute. Source: YouTube

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logie média à l’Université du Michigan. Le chercheur affirme que l’être humain a su s’adapter à cette explosion: «La capacité de notre cerveau à filtrer les informations s’améliore toujours plus.» Roger Bohn n’est pas aussi convaincu: «Il est vrai que nous savons nous adapter, mais la question est de savoir dans quelle mesure. Face à l’explosion du volume d’informations, nous devons faire des sacrifices et sommes peut-être moins attentifs aux détails.»

En petabytes (millions de gigabytes), le nombre de données traitées par Google chaque jour. Source: MapReduce

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MANAGEMENT

Le monde professionnel s’adapte aux réseaux Les relations professionnelles ont radicalement changé avec internet. Les entreprises repensent les manières de travailler, avec moins de hiérarchie et plus de transparence. TEXTE

| Gwenaëlle Reyt

Ressources humaines & Management à la HEIG-VD, cela responsabilise encore plus le salarié face à ses actes. «Si un collaborateur se permet de critiquer ouvertement son supérieur via des réseaux sociaux tels que Facebook, il y a fort à parier que des retombées se feront ressentir et qu’il devra en assumer les conséquences. De leur côté, les entreprises n’ont plus d’autre choix que de vérifier sur la toile tout ce qui les concerne.»

Recruter son personnel via les réseaux sociaux. Utiliser internet pour promouvoir son entreprise ou encore exercer sa profession en télétravail: le monde professionnel a été transformé par l’évolution des nouvelles technologies. «Tout s’est déformalisé, explique Christa Muth, professeure de management à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD). Avant, l’envoi d’une simple lettre demandait plusieurs procédures. L’arrivée des emails a tout bouleversé. On échange davantage, plus vite et avec plus de monde.»

Limites floues

Au-delà des relations internes, c’est la structure même de l’entreprise qui est en train de changer. Pour Jean-Michel Bonvin, professeur à la Haute école de travail social et de la santé (EESP), les délimitations des entreprises deviennent de plus en plus floues: «Avant, elles étaient identifiables par un lieu physique où des employés travaillaient. D’un fonctionnement très vertical, on est passé à un fonctionnement en réseaux avec de la sous-traitance à distance et des employés en télétravail.» Cela peut offrir une plus grande marge de manœuvre, mais peut aussi favoriser l’intensification du travail en diffusant l’entreprise jusque dans les foyers. «Le contact professionnel n’a plus besoin d’être physique. Le mail et internet donnent les moyens techniques et soutiennent cette évolution», note Jean-Michel Bonvin, qui voit aussi dans ce mouvement un risque de dégradation des conditions de travail.

Moins de hiérarchie

Cette augmentation du flux d’informations crée une hyperconnectivité entre les individus et a pour conséquence de modifier les rapports hiérarchiques au sein des entreprises. «La hiérarchie avec ses passages obligés et son monopole de l’information perd en importance. Avec internet, les employés ont accès à tout et parfois avant la direction. Cela change la donne en termes de management», assure Christa Muth. Plus de responsabilité

Problème de fuite d’informations confidentielles ou déballage d’affaires internes sur les réseaux sociaux, l’usage d’internet peut avoir de lourdes conséquences pour l’entreprise. Comme l’explique Esther Ivanyi, psychologue du travail et collaboratrice scientifique à l’unité

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SCRIPTOGRAPHER

Portfolio

Kate de Jonathan Puckey, 2009 Ce portrait de la top model Kate Moss a été dessiné par Jonathan Puckey avec son outil Delaunay Raster Script.

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MANAGEMENT

Les réseaux et le monde professionnel

Mobilité accrue

Ayant grandi avec les nouvelles technologies, les moins de 25 ans semblent davantage à l’aise avec cette forme de travail que leurs aînés. En travailleurs nomades, ils changent de poste, souvent, sans pour autant se désinvestir de l’entreprise. «La notion de loyauté envers une entreprise reste, mais elle s’exprime à travers les réseaux tels que LinkedIn, explique Esther Ivanyi. Les anciens collègues gardent le contact. Ils se font une sorte de vie professionnelle patchwork.»

TROIS QUESTIONS À Anne-Dominique Salamin Les réseaux transforment les rapports entre étudiants et enseignants. Anne-Dominique Salamin dirige le Cyberlearn, une plateforme de promotion du e-learning au sein de la HES-SO.

Créativité nécessaire

Les jeunes arrivent donc avec de nouveaux comportements qui incommodent parfois les entreprises. Face à l’incompréhension des cadres, plusieurs colloques organisés dernièrement en Suisse romande ont abordé l’intégration de la génération Z (les moins de 25 ans) au monde du travail. Pour Christa Muth, l’enjeu est de taille et les entreprises devront redoubler d’efforts pour garder leurs employés: «Elles doivent offrir une plateforme où les personnes peuvent trouver du sens à ce qu’elles font et miser sur la créativité et l’innovation. On ne peut plus rester dans une forme de management classique avec le salaire comme seule motivation de travail. Les salariés travaillent pour se réaliser. Trop peu d’entreprises l’ont compris.»

Le professeur et son auditoire, une image dépassée? Non, mais nous souhaitons adapter nos cours à ce que j’appelle «l’étudiant 2.0». Notre objectif est d’apporter des instruments supplémentaires aux professeurs et aux étudiants. Ils peuvent publier et mettre en commun des documents, des présentations multimédias interactives et bientôt des applications mobiles. Cela crée un noyau de connaissances qui se disséminent…

Plus de la moitié des entreprises recrutent sur les réseaux sociaux

Que ce soit pour recruter de nouveaux collaborateurs ou pour vérifier le profil de candidats potentiels, plus de 50% des entreprises de l’Arc lémanique utilisent les réseaux sociaux. «C’est devenu incontournable», explique Sabine Emad, de la Haute école de gestion de Genève (HEG). A la fin 2010, elle a effectué avec sa collègue Magali Dubosson Torbay une enquête auprès de la population genevoise et des entreprises de l’Arc lémanique pour connaître leur utilisation des réseaux sociaux pour le recrutement et la recherche d’emploi. «Le mode de recrutement varie en fonction des secteurs et de l’âge. Les annonces dans les journaux fonctionnent encore pour les secteurs plus traditionnels, les postes moins qualifiés et les personnes qui ont 50 ans et plus.» Mais la recherche révèle aussi que les entreprises ne recrutent pas sur les sites où les personnes cherchent du travail: «Etonnamment, les employeurs utilisent majoritairement LinkedIn, Viadeo et Xing, alors que les chercheurs d’emploi vont d’abord sur Facebook et YouTube. Trouver un travail ne correspond qu’à 5,2% des raisons pour lesquelles les Genevois utilisent les réseaux sociaux. Bien que les entreprises semblent disposées à utiliser les réseaux sociaux pour recruter, la population genevoise semble moins encline à le faire.»

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L’étudiant 2.0 est-il différent des générations précédentes? L’étudiant d’aujourd’hui a changé. Il est connecté en permanence et n’étudie plus dans un seul lieu. Il aime proposer son expertise au professeur. Il peine aussi à se concentrer... Nous vivons une époque charnière car la manière d’enseigner est parfois restée verticale. Le développement d’un réseau comme Cyberlearn permet d’offrir plus d’interactivité. Votre démarche rencontret-elle du succès? Les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis sa création, la base de données Cyberlearn est passée de 16 à 2’500 cours disponibles en ligne. Les feedbacks des étudiants sont positifs et une majorité de nos professeurs participent à ce projet. Par Loïs Siggen Lopez


MANAGEMENT

Les réseaux et le monde professionnel

«Les moins de 25 ans sont des consommateurs jusqu’au travail»

La version complète de la revue est en vente sur le site www.revuehemispheres.com

Alain Max Guénette, professeur en ressources humaines à la Haute Ecole de gestion Arc, a étudié la manière dont les jeunes adultes s’intègrent dans le monde du travail. INTERVIEW

Quel est le rapport de ces jeunes à la hiérarchie et au monde du travail?

Elevés dans le monde de «dispositifs» que l’on range sous la bannière des «réseaux sociaux», les plus jeunes ont une arme. Devant d’éventuelles injustices, ils sont en effet capables de les porter à la connaissance du plus grand nombre via Facebook, par exemple. Il faut comprendre les modifications de la hiérarchie d’abord grâce à ce type d’outils, qui leur donnent un formidable pouvoir.

| Loïs Siggen Lopez

En quoi la génération des 25 ans et moins diffère-t-elle des précédentes?

Ces jeunes, que l’on range sous la bannière de la génération Z et qui se situent à la pointe avancée de l’évolution du capitalisme, comprennent bien les règles du jeu du monde du travail, mais semblent moins les accepter que leurs prédécesseurs. Leur caractéristique principale, c’est d’être des consommateurs jusqu’au travail! Ce qui gêne alors les responsables des ressources humaines, c’est qu’ils n’acceptent absolument pas ce que leurs aînés, génération X (nés avant 1978) et baby-boomers, se sentaient obligés d’accepter à en souffrir.

A quelles évolutions peut-on s’attendre?

De nombreux psychanalystes remarquent que la jouissance chez les plus jeunes a remplacé le désir. Des sociologues notent aussi le souci d’individuation très fort de nos jours, avec une tension entre égalité et singularité. Finalement, ce à quoi nous assistons est sans doute une transformation de fond des personnes, une mutation anthropologique, culturelle, de grande ampleur.

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SOCIAL

«Les réseaux de santé: une solution à privilégier» Il faut repenser les mécanismes fondamentaux du système de santé suisse en créant une caisse nationale publique et en développant les réseaux de santé. C’est l’opinion du professeur Stéphane Rossini. TEXTE

| Alexandre Willemin

Vous militez pour une politique nationale de santé. Est-ce la solution pour freiner la hausse des primes des assurances-maladie?

Le fédéralisme est très problématique en matière de santé. Les véritables compétences sont aujourd’hui dans les mains des cantons, qui gèrent les hôpitaux, les EMS, les soins à domicile et participent aux investissements. De l’autre côté, il y a la Confédération qui définit la LAMal. Les compétences sont donc très éclatées. Berne doit donner une ligne directrice pour inciter les cantons à collaborer davantage et à travailler plus vite dans la rationalisation. Le but n’est pas de tout centraliser pour autant, mais de tenir compte des particularités locales. Les problèmes de santé ne sont pas les mêmes dans les cantons-villes comme Genève ou Bâle que dans les cantons plus ruraux comme le Valais et le Jura.

Pour Stéphane Rossini, une solution serait de diminuer la participation aux frais de santé des malades qui appartiennent à un réseau.

C’est devenu une tradition. Chaque automne, les Suisses apprennent que les primes des assurances-maladie explosent. Un prix plus élevé, pour des prestations qui sont, elles, revues à la baisse. Consciente du problème, la Confédération a entamé dès 2000 un processus de révision de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). De longs débats pour des résultats qui se font encore attendre. Pour Stéphane Rossini, professeur à la Haute école de travail social et de la santé (EESP) et membre de la Commission de la santé du Conseil national, la solution viendrait d’une caisse publique et des réseaux de santé.

Une stratégie moins radicale pour abaisser les coûts serait de favoriser les réseaux de santé. Une bonne solution selon vous?

Un renversement de la philosophie d’accès au système de santé s’impose pour éviter les traitements inappropriés, les répétitions d’analyses ou les consultations multiples. Le médecin est l’acteur clé de ce processus et il est souvent déjà conscient de la nécessité de collaborer entre les

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SOCIAL

Les réseaux de santé

Hausse des primes des assurances-maladie

323 2009

351 315 2008

2010

313 2007

290

280

269

306 2006

2005

2004

2003

245 2002

223

212

2001

204

2000

197 1998

1999

188 1997

173 1996

différentes disciplines. De l’autre côté de la chaîne, il est important de faire comprendre aux assurés qu’une meilleure coordination des soins apporte aussi une meilleure qualité des soins. Aujourd’hui, le parlement essaie de trouver des incitatifs financiers pour favoriser l’adhésion des assurés aux réseaux de santé. Une solution serait de diminuer la participation aux frais de santé des malades s’ils appartiennent à un réseau. Leur quote-part se situerait entre 5 et 7,5%, contre 15 à 20% pour un autre assuré.

2011

Source: OFSP

374

Tarifs moyens par personne et par mois chez les adultes (plus de 26 ans), en francs

Répartition des coûts de la santé Prestations brutes (avec participation des assurés) de l’assurance-maladie obligatoire en 2009 Source: OFSP

médecine ambulatoire médicaments

42%

23% médecins

7% pharmacies

13,5% hôpital (ambulatoire)

2,5% établissements médico-sociaux

La récolte de signatures pour une assurancemaladie publique va commencer. Quelles différences avec le projet de caisse unique refusé par le peuple en 2007?

8%

autres

séjours à l’hôpital

4%

23%

Les opposants à une caisse unique craignent que les primes n’augmentent davantage si on supprime la concurrence entre les caisses. Qu’en pensez-vous?

Nous proposons de supprimer les assurancesmaladie actuelles pour former une caisse nationale publique, mais qui serait organisée cette fois-ci par des agences cantonales. Un modèle similaire donc à celui qui existe déjà pour l’assurance-invalidité, vieillesse ou accident. Il est nécessaire de changer complètement le système actuel, sans quoi la dynamique d’évolution des coûts restera toujours la même.

J’estime que le marché des assurances-maladie est un non-marché. De 1996 à 2011, la concurrence entre les caisses n’est jamais parvenue à abaisser les coûts. Avec le vieillissement de la population et les attentes élevées des Suisses en matière de santé, il n’est pas possible de parvenir à un tel but. Le discours sur la concurrence des caisses est une provocation idéologique. Pour arriver à limiter la hausse des primes, il faut que le système soit régulé et organisé par les pouvoirs publics.

C’est le seul moyen pour vaincre les effets pervers, tels que la sélection des «bons risques» par les assurances ou le manque de transparence entre l’évolution des coûts et celle des primes.

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PORTRAITS

Un rapport individualisé au réseau «Nous sommes ce que nous partageons», écrit l’auteur américain Charles Leadbeater dans son dernier livre We Think. Les réseaux, sous leurs multiples formes, inspirent, fascinent ou laissent indifférents. Portraits en chaîne. TEXTE

| Geneviève Ruiz et Emilie Veillon | David Gagnebin-de-Bons

PHOTOS

Caroline Vitelli, 31 ans, observatrice assidue de Facebook «Facebook est un médicament venimeux» Il ne se passe pas un jour sans que l’artiste contemporaine genevoise Caroline Vitelli ne passe du temps sur Facebook. «J’y ai plusieurs centaines d’amis, même si ce mot est usurpé. Etre en contact artificiel avec autant de monde, c’est à la fois étrange et hallucinant. Cela nous confronte directement au concept des six degrés de séparation entre chaque être humain du sociologue Stanley Milgram.» Observer comment les gens se mettent en scène sur ce réseau fascine cette passionnée de dadaïsme: «On voit de belles histoires, mais aussi des choses pathétiques. Assister en direct à la séparation de certains couples peut devenir trash.» Facebook représente également un outil de travail pour Caroline Vitelli: «C’est une plateforme de promotion. Des collectionneurs m’y contactent directement. Les échanges avec d’autres artistes peuvent être créatifs. Mais parfois aussi désespérants… Pour cela, je dis que Facebook est un médicament venimeux.»

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PORTRAITS

Aura Pucci, 26 ans, déconnectée

Un rapport individualisé au réseau

«Je préfère voir mes amis dans la vraie vie» Quatre cent millions de gens sont sur Facebook? Et alors… Aura Pucci ne voit aucun intérêt à exposer sa vie privée sur un site social. «Je n’aime pas l’idée de figurer sur un réseau élargi, sans connaître toutes les personnes qui en font partie.» La jeune étudiante en design préfère voir ses amis en tête à tête pour prendre de leurs nouvelles. Un choix qui ne manque pas de faire réagir son entourage. «Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi je suis réticente. Ils pensent que je passe à côté de quelque chose et que c’est même dommageable de ne pas faire partie de la grande toile.»

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Si c’est vrai qu’il lui est arrivé une fois ou deux de ne pas être mise au courant d’événements, elle n’a jamais manqué une information capitale. «Mes amis connectés me tiennent toujours au courant…»


PORTRAITS

Un rapport individualisé au réseau

Frédéric Schütz, 36 ans, contributeur régulier sur Wikipédia «Ce réseau d’information m’est devenu indispensable» Plus de 100’000 contributeurs dans le monde rédigent les 15 millions d’articles de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Parmi eux, Frédéric Schütz, un statisticien genevois. Sa première fois? «C’était il y a sept ans. J’aimais bien l’idée que tout le monde puisse retoucher un texte. Alors j’ai enrichi la page consacrée au Jet d’eau avec des compléments historiques.» De mot en mot, l’internaute passe de plus en plus de temps sur cette gigantesque bibliothèque virtuelle. Il devient même membre de l’association Wikimedia CH qui promeut le projet et motive la publication de pages liées à la Suisse. En moyenne, il y consacre une dizaine d’heures par semaine, en se concentrant sur les sujets qu’il connaît bien ou sur lesquels il est facile de se documenter. Dernièrement, il a par exemple créé des pages sur les parlementaires fédéraux. Ce qui le fascine dans Wikipédia? «Le fait qu’en théorie un tel site ne devrait pas fonctionner. Et pourtant, c’est un succès. Grâce à l’honnêteté des contributeurs qui ne cherchent pas à semer le chaos.»

nombreux partenaires de la branche, le canton de Genève connaîtrait encore des maladies comme le typhus et aurait ses rues inondées à chaque gros orage. Bien loin des catacombes moyenâgeuses infestées de rats, les égouts du XXIe siècle sont propres, performants et équipés des dernières technologies. Des caméras-robots se chargent de contrôler régulièrement leur état. Surtout, l’assainissement des eaux prend maintenant en compte les enjeux écologiques. «La qualité de l’eau qui retourne à nos cours d’eau est bien meilleure qu’il y a quelques

Olivier Broillet, 55 ans, chef de réseau d’assainissement des eaux «Cet univers souterrain me fascine» Un réseau de 1450 km, qui traite près de 80 millions de m3 d’eaux usées par an et dont la valeur s’élève à plus de 3 milliards de francs: les égouts genevois connectent 99% de la population du canton, ainsi que les régions frontalières. Sans Olivier Broillet, chef du secteur réseau et raccordement, les égoutiers et

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décennies», raconte Olivier Broillet, qui se dit fasciné par ce monde souterrain, invisible pour la plupart des citoyens. Les défis qu’il affronte dans son travail sont immenses et reflètent la croissance spectaculaire de la région franco-valdo-genevoise: «Nous devons entretenir un réseau vieillissant, intégrer les nouvelles normes écologiques, tout en prévoyant l’explosion démographique du canton sur les trente années à venir. Convaincre la collectivité de financer cette immense structure souterraine n’est pas une mince affaire.»


PORTRAITS

Daniel Hess, 60 ans, franc-maçon «On ne vient pas chez nous pour trouver des avantages» Cela fait plus de trente ans que Daniel Hess a intégré les francs-maçons. Originaire de Neuchâtel, cet ancien pâtissier est aujourd’hui responsable du secrétariat de la grande Loge Suisse Alpina, qui fédère plus de 80 loges maçonniques suisses. Ce que lui ont apporté les francs-maçons? «Une solidarité difficile à trouver à notre époque, une rencontre avec

Un rapport individualisé au réseau

d’autres générations et classes sociales, ainsi que des outils pour s’améliorer constamment.» Et les rituels, les secrets? «Il existe beaucoup de fausses légendes et d’exagérations. Je peux comprendre que des gens qui voient notre accoutrement nous trouvent bizarres. Mais nous aimons les rituels car ils représentent des étapes importantes sur notre cheminement. Et plus grand-chose n’est secret: de nombreux livres ont été écrits et on peut tout voir sur YouTube si on le souhaite.» La francmaçonnerie, c’est un grand réseau? «Ce n’est pas un réseau au sens

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américain, car on ne vient pas chez nous pour trouver des avantages ou des opportunités de business. Bien sûr, nous avons des contacts avec des loges du monde entier et y sommes accueillis comme des frères. Mais pour nous, le réseau s’apparente à de la solidarité et à du partage.»


MOBILITÉ

Population en hausse, infrastructures saturées La Suisse est confrontée à l’immense défi d’étendre son réseau autoroutier, si elle veut éviter sa paralysie. TEXTE

| Albertine Bourget

Professeur à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD), Cédric Bornand, par le biais de son entreprise Tabrasco, espère commercialiser la Sécuflex. Cette caméra, pour l’heure un prototype, contient un logiciel de détection des mouvements, et est destinée à des systèmes d’application: portes de travail, chantier d’usine et passages piéton. Placée à proximité d’une école ou d’un EMS, elle permettrait aux voitures de s’arrêter uniquement quand le besoin est réel. Et donc, de fluidifier le trafic.

Quatre cent cinq kilomètres de routes nationales seront surchargés en 2020, selon les prévisions du Département fédéral des transports (Detec). Les routes nationales, elles, affichent déjà une hausse de trafic de près de 3% par année, et 18% d’heures d’embouteillage en plus en 2009, en raison d’un réseau ayant atteint ses limites: l’engorgement des routes de Suisse, notamment celles du bassin lémanique, n’a pas fini de faire les gros titres. Selon une récente étude, la population vaudoise devrait atteindre, en 2040, le million d’habitants. Une croissance exponentielle qui induit des besoins en infrastructures diverses, notamment des logements, et, si la tendance actuelle se poursuit, une mobilité renforcée. Au niveau suisse, c’est «l’équivalent de la population d’une ville comme Lucerne qui vient s’ajouter chaque année à la population résidente», prévient Moreno Volpi, responsable de la communication du TCS.

Reste que, selon Moreno Volpi, «des mesures sont nécessaires au niveau de l’infrastructure rail et route, qui a été pensée dans les années 1960, car seule la complémentarité entre ces deux moyens de transport pourra absorber la demande». A moins que les Suisses ne se mettent à écouter les conclusions du Programme national de recherche PNR 54, qui évoquait en janvier dernier le coût des infrastructures du pays, qui s’élève à 65 milliards par an.

Début avril, l’Office fédéral des routes rappelait qu’une étude sur le tronçon de l’A1 à hauteur de Morges et de l’Ouest lausannois, censée trouver des solutions à l’engorgement, serait prête en début d’année prochaine. Experts et chercheurs planchent donc sur des solutions plus ou moins ambitieuses: liaisons courtes ou longues, en tunnel ou en surface, mesures d’optimisation de la situation... Pour l’heure, l’utilisation de la piste d’urgence entre Morges et Lausanne soulage les pics de trafic.

Président du comité de direction du PNR 54, Eugen Brühwiler, professeur à l’EPFL, souligne que le rapport ne porte pas sur la saturation des réseaux. Mais, ajoute-t-il, «si l’on suit nos recommandations générales, les questions qu’il faut plutôt se poser sont: faut-il continuer à augmenter la capacité des voies de circulation? Ou plutôt se demander comment atteindre une forme de «décroissance», tout en améliorant la qualité de vie.»

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Cette carte routière du début du XXe siècle montre à quel point le réseau routier suisse était encore peu développé, en particulier dans les régions de montagnes.

La situation est radicalement différente en 2008: la Suisse possède l’un des réseaux autoroutiers les plus denses au monde. La carte ci-contre indique le trafic voyageur sur route, en millions de personnes par année.


MOBILITÉ

Infrastructures saturées

< 1 mio < 5 mios < 10 mios < 20 mios > 30 mios < 30 mios

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GENRES

Réseaux: les femmes plus nombreuses Les plateformes internet telles que Facebook attirent davantage de profils féminins. A l’opposé, le beau sexe est quasiment absent des contributions à Wikipédia. TEXTE

| Ludovic Chappex

moyenne (130), les femmes parlent davantage d’elles-mêmes et postent plus d’informations que les hommes (+55%) sur leur mur.

Les réseaux sociaux séduisent un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes. C’est ce que révèle une étude réalisée en mai 2010 par la société américaine Comescore, spécialisée dans la mesure des médias numériques. Il ressort de cette enquête que 75,8% de femmes dans le monde ont visité un réseau social contre seulement 69,7% d’hommes. En Europe, elles sont même 85,6% à l’avoir fait, contre 80,6% parmi les internautes masculins.

Dans le détail, les statistiques montrent également qu’aux Etats-Unis les femmes représentent 59% des utilisateurs de Twitter et 57% des profils de Facebook. Ces dernières données sont toutefois à considérer avec précaution, car certains internautes hommes se font passer pour des femmes – l’inverse étant moins fréquent…

L’étude de Comescore fait apparaître une autre spécificité féminine: une fois sur les réseaux sociaux, les femmes y passent en moyenne 30% de temps en plus que les hommes. Elles y consacrent cinq heures trente par mois, contre tout juste quatre heures pour les hommes.

En dépit de leur activisme sur les réseaux sociaux, il est pourtant un domaine de l’internet participatif auquel les femmes s’intéressent peu: en effet, comme le montre une enquête de la fondation Wikimedia, publiée en 2009, 13% seulement des contributeurs anonymes et bénévoles de Wikipédia sont des femmes. Le New York Times, qui a relaté cette étude, a observé pour sa part que les sujets connotés «féminins» (les bracelets brésiliens, la série Sex and the City) sont traités de façon beaucoup moins approfondie que les sujets typiquement masculins (le base-ball, la série les Sopranos). Aucune étude scientifique n’a encore expliqué les raisons de ce déséquilibre des genres, au-delà de l’approche purement féministe, qui pointe le sexisme toujours en vigueur dans le monde informatique, notamment.

«On observe que les femmes ont un intérêt plus prononcé pour la communication interpersonnelle, relève à ce propos Olivier Glassey, enseignant à l’Université de Lausanne et spécialiste de l’utilisation des nouveaux médias. Pour leur part, les hommes sont plus enclins à la prise de parole en public et à l’affirmation de soi.» Observation confirmée par une statistique de la société américaine Hubspot, qui dévoile les comportements respectifs des hommes et des femmes sur Facebook: si les représentants des deux sexes ont le même nombre d’amis en

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SANTÉ MENTALE

Facebookothérapie Les réseaux virtuels se muent en de véritables outils thérapeutiques pour guérir les patients souffrant d’anxiété sociale. TEXTE

| Cynthia Khattar

L’utilisation des réseaux sur internet ne se fait pas au détriment des réseaux réels. Pour Aziz Salamat, il ne faut pas les opposer à la réalité: «Les deux mondes se complètent. Les réseaux virtuels donnent simplement davantage de possibilités de connaître des gens et de se sentir mieux.»

L’importante mise en scène du moi qu’implique un réseau social comme Facebook peut être utilisée dans le cadre de thérapies liées à l’anxiété sociale. C’est du moins la conviction d’Aziz Salamat, professeur à la HES-SO Valais, dans le domaine Santé et Social. Comment les réseaux sociaux peuvent-ils se transformer en outils thérapeutiques? «Le soutien des autres joue un rôle important pour diminuer les troubles de phobie sociale, explique le chercheur. Plus on se sent entouré, plus on a de chances de se sentir bien. D’où l’intérêt de faire usage des réseaux virtuels, où la socialisation peut être clairement identifiée.»

Aziz Salamat souhaite poursuivre ses recherches concernant l’impact des réseaux sociaux sur le trouble d’anxiété sociale, en collaboration avec le Service d’addictologie des Hôpitaux universitaires genevois. L’anxiété sociale s’accompagne en effet, dans la majorité des cas, de dépression ou de consommation d’alcool et de substances illicites. «L’étude permettra de déterminer l’effet des réseaux sociaux virtuels sur les réseaux réels, ainsi que sur les troubles des patients, indique l’enseignant. Les traitements faisant usage du virtuel ne remplaceront sans doute jamais les thérapies réelles, mais je suis convaincu qu’ils s’avèrent utiles et que leurs résultats sont similaires à une exposition in vivo.»

Facebook est donc désormais utilisé par certains thérapeutes. Ils incitent par exemple leurs patients souffrant d’anxiété sociale à mettre davantage de photos d’eux sur leur profil ou à actualiser leur statut. Cela favorise leurs échanges avec autrui. Dans la même logique, les patients peuvent tester dans le monde virtuel de Second Life des activités qui seraient impossibles pour eux dans la réalité.

Pour le professeur Aziz Salamat (au centre), les réseaux virtuels donnent davantage de possibilités de connaître des gens et de se sentir mieux.

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PSYCHOLOGIE

Agression par internet Les réseaux sociaux facilitent la résurgence des bas instincts de l’homme: mépris, violence verbale ou harcèlement y sont légion et peuvent parfois mener des jeunes au suicide. TEXTE

| Francesca Sacco

Philip Jaffé parle de «cri électronique»: devant un ordinateur, l’individu laisse libre cours à ses émotions; comme il ne peut pas vérifier l’effet qu’elles produisent sur les autres, il a tendance à les amplifier. Sur internet, jamais les révoltés n’ont été si révoltés, jamais les désespérés n’ont été si désespérés: «L’impossibilité de s’ajuster à la réaction de l’autre encourage l’expression théâtrale.» Cette absence de limites exerce un attrait puissant chez les jeunes: «Il existe chez eux un goût pour le dévoilement de soi qui semble de plus en plus marqué, observe Tiziana Bellucci. On ne sait pas à quoi exactement attribuer cela.» «Si vous ne vous exposez pas, vous n’existez pas. Ce qui était l’apanage des stars s’est généralisé à tout le monde», écrivent pour leur part les consultants français Alexandre des Isnards et Thomas Zuber dans leur livre Facebook m’a tuer (Nil, mars 2011).

La communication à l’ère du numérique semble facile, parce qu’elle est immédiatement et en permanence accessible. Mais elle est superficielle, égocentrée, faussée par le besoin de projeter une image de soi enjolivée, sans égards pour la sensibilité des autres. Bref, elle est en réalité extrêmement compliquée. «Tous les non-dits, les messages infra-verbaux, les signaux corporels échappent aux internautes», souligne le psychologue Philip Jaffé, directeur de l’Institut universitaire Kurt Bosch à Sion. Or, la confrontation physique à l’autre est indispensable lorsqu’il s’agit de parler de choses importantes: «Il serait difficile de concevoir un procès juridique sans face-à-face, par exemple. Même un contrat, on ne le signe pas volontiers sans avoir rencontré l’autre partie. Nous avons encore besoin d’humer les phéromones!»

Des sondages effectués il y a quelques années avaient révélé que le temps consacré par l’individu moyen à surfer sur internet avait atteint la limite maximale, compte tenu des heures de travail. Mais des recherches plus récentes montrent que ce temps a encore augmenté, au détriment… des heures de sommeil.

«Du point de vue de l’Evolution, peut-être ne sommes-nous tout simplement pas outillés pour communiquer de cette façon?» s’interroge Tiziana Bellucci, directrice générale d’Action Innocence à Genève. Les règles sociales qui prévalent normalement dans les échanges – «chacun son tour», par exemple – sont inutilisables. Les propos incohérents ou déplacés ne sont pas freinés par la visible stupéfaction de l’autre. Toutes les digues sont ouvertes.

Action Innocence a publié, à l’intention des adolescents, un guide intitulé «Vivre, aimer et

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PSYCHOLOGIE

Agression par internet

Tyler Clementi (1992-2010)

séduire à l’ère du numérique», qui résume les règles élémentaires de bonne conduite: «Je ne diffuse pas d’informations pouvant nuire à quelqu’un», «Je respecte mon intimité et celle des autres», etc. La brochure vise essentiellement la prévention du cyber-harcèlement, version électronique du mobbing. Un travail essentiel, car les jeunes sont les premiers à souffrir du manque de règles sur la toile. Depuis 2003, l’agence Associated Press a recensé au moins 12 suicides touchant des adolescents de 11 à 18 ans aux Etats-Unis, tous victimes de harcèlement par internet ou SMS. En France, la Commission nationale informatique et libertés parle d’une dizaine de plaintes par mois pour harcèlement via internet ou cyberbulling. Poser les nouvelles bases d’un comportement éthique dans un univers virtuel, qui en est pour l’instant dépourvu, apparaît donc comme une urgence.

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Tyler Clementi avait tout juste 18 ans lorsqu’il s’est suicidé en sautant d’un pont le 22 septembre 2010. Cet étudiant américain avait auparavant été filmé à son insu lorsqu’il avait eu des relations sexuelles avec un homme dans son dortoir. Une vidéo avait ensuite été diffusée sur la toile. Cette tragédie a mobilisé le monde politique et judiciaire afin de lutter contre le cyberharcèlement.


PRINTEMPS ARABE

Révolution en réseau Si les révolutions débutent habituellement dans la rue, le printemps arabe a, lui, été initié sur la toile. Facebook, Twitter, YouTube ont servi de catalyseur aux mécontentements jusqu’à faire tomber les dirigeants tunisiens et égyptiens. TEXTE

| Bertrand Beauté

«Révolution numérique», «révolution 2.0», «révolution Facebook». Depuis quelques semaines, ces expressions reviennent en boucle lorsque sont évoquées les manifestations qui ont fait basculer le destin de la Tunisie et de l’Egypte. Comme si le réseau avait réussi à faire chuter deux dictateurs, faisant souffler un vent de liberté sur la toile, ainsi que l’espoir de voir se propager cette énergie libératrice dans toutes les autres dictatures. Après les exemples tunisien et égyptien, les appels à manifester sur le web se sont propagés à d’autres pays: Libye, Yémen, Bahreïn, Syrie, Irak, Maroc, Chine, ViêtNam…

égyptiens, est ainsi devenue l’une des clés de la mobilisation du 25 janvier dernier. «Alors que les médias traditionnels contrôlés par le gouvernement ne parlaient pas de ce type d’événement, des pages comme «We are all Khaled Said», appelant à la mobilisation et à la révolte sont apparues. Internet s’est transformé, grâce aux réseaux sociaux, en un espace de liberté où chacun pouvait à la fois s’informer et communiquer, explique Olivier Glassey. Dans un pays sous surveillance permanente, il est important de s’apercevoir que d’autres personnes partagent votre opinion. Se sentir nombreux a certainement donné du courage aux révolutionnaires.»

«Les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans ces révolutions, affirme le sociologue Olivier Glassey, spécialiste des nouvelles technologies à l’Université de Lausanne. Facebook et Twitter ont fait office de caisse de résonance, amplifiant et répercutant les frustrations et revendications. Puis, ces outils ont permis de coordonner les manifestations, grâce aux appels à descendre dans la rue.»

Pour autant, parler de «révolution 2.0» est-il adéquat? En 2009, les médias occidentaux ont fait l’éloge du rôle libérateur d’internet en Iran – le New York Times titrant même «Les manifestants tirent des tweets face aux balles». Mais finalement, le régime contesté de Mahmoud Ahmadinejad se maintient. «Cela me paraît délicat de parler de «révolution internet», estime Olivier Glassey. C’est une vision occidentale de la situation qui voudrait qu’il s’agisse d’une révolte technologique. En fait, les révolutionnaires se sont servis de tous les moyens à leur disposition. Parmi eux, le bouche à oreille a joué

«We are all Khaled Said». Cette page Facebook, lancée par Wael Ghonim à la mémoire d’un jeune homme torturé à mort par des policiers

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Mohammed Nabbous (1983-2011) était un bloggeur et journaliste libyen. Au début de la guerre civile, il a fondé la division internet de la première télévision privée dans le territoire contrôlé par les rebelles. Il a été tué le 19 mars 2011, alors qu’il avait passé les dernières semaines de sa vie à attirer l’attention internationale sur le crise humanitaire de son pays.


PRINTEMPS ARABE

Révolution en réseau

La version complète de la revue est en vente sur le site www.revuehemispheres.com

Wael Ghonim, directeur de Google Middle East et administrateur de la page Facebook qui a lancé les manifestations égyptiennes, est devenu célèbre suite à son interview télévisée, dans laquelle il craquait après avoir enduré 11 jours de détention par la police.

Le Caire, Egypte, février 2011: un manifestant contre le gouvernement tient un panneau faisant référence à Facebook. Les protestations initiales contre le gouvernement ont été organisées au moyen des réseaux sociaux.

cyber-résistance était en place depuis plusieurs années, poursuit Fabrice Epelboin. Mais les blogs d’opposants ont été systématiquement bloqués et leurs auteurs arrêtés.»

un rôle sous-estimé.» En Egypte dès le lendemain de la manifestation du 25 janvier, l’accès à Twitter et à Facebook a été bloqué, puis le gouvernement a purement et simplement coupé l’accès à internet et aux téléphones portables dans tout le pays.

Slim Amamou, cyber-résistant tunisien de la première heure, a été emprisonné en mai 2010 pour avoir tenté d’organiser une manifestation via internet. Si la Tunisie possède un réseau développé, celui-ci était largement contrôlé par le gouvernement. «Le régime de Ben Ali a mené des opérations de phishing afin de récupérer les codes secrets des internautes activistes, explique Fabrice Epelboin. Par ailleurs, des trolls ont été utilisés pour pourrir les débats et faire de la désinformation.» Internet est une arme à double tranchant: outil libertaire, mais aussi de surveillance.

Malgré cette censure, les manifestations se sont poursuivies ce qui, selon le politologue spécialiste du Maghreb Ahmed Benani, démontre que «Facebook et Twitter n’ont pas fait la révolution. Ce sont des outils de communication qui ont simplement joué leur rôle. Derrière, il faut des hommes et des pensées pour aboutir à la chute d’un dictateur.» «Ce ne sont pas des ordinateurs qui sont descendus dans la rue, mais des humains, confirme Fabrice Epelboin, ancien rédacteur du site ReadWriteWeb. En Egypte, Facebook a initié le mouvement qui a abouti à la manifestation du 25 janvier. En Tunisie, au contraire, les réseaux sociaux n’ont eu qu’un rôle tardif et secondaire. Celui de support opérationnel de la révolution.»

Dans son livre The Net Delusion, le chercheur Evgeny Morosov doute du rôle d’internet dans la démocratisation des pays en montrant que, si le net est utilisé par les dissidents il l’est aussi et surtout par les autorités afin de renforcer leur surveillance, mais aussi la propagande officielle. Selon Reporters sans frontières, 117 net-dissidents sont actuellement en prison, dont 77 en Chine, 17 au ViêtNam et 11 en Iran.

En effet, depuis les grèves de 2008 dans les mines de phosphate de Gafsa, les mobilisations se multipliaient en Tunisie. «Sur les réseaux, une

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FLORILÈGE

Réseaux d’ici et d’ailleurs Arts

Luxe

Troc

Independent-collectors.com

Moddoscommunity.com

Easyswap.org

Le lieu préféré des collectionneurs d’art contemporain

Un réseau social haut de gamme, dont les membres bénéficient d’avantages exclusifs auprès de certaines marques

Site d’échange de biens ou de services, avec une monnaie virtuelle, le swap

Mupiz.com

Le réseau social dédié aux musiciens francophones

Economie Carrotmob.org

Un réseau de boycott positif, qui utilise la technique du bâton et de la carotte pour inciter les entrepreneurs à devenir plus écologiques Capitalproximite.ch

Le site de rencontre suisse pour investisseurs et entrepreneurs

Gastronomie Itaste.com

Pour partager ses critiques gastronomiques et ses goûts en matière de restaurants

Watchonista.com

Pour partager sa passion des montres

Social Joindiaspora.com

Financé par Mark Zuckerberg, ce réseau social ambitionne de donner aux internautes le contrôle total sur leurs données privées Wayn.com

Pour partager ses bons plans et rencontrer des personnes qui se trouvent dans la même ville Mixin.com

Permet de communiquer et de partager son emploi du temps avec ses amis Dreamshake.com

Histoire Notrehistoire.ch

Des centaines de familles romandes l’utilisent pour diffuser leurs photos et vieux films super-8

Pour réaliser ses rêves, ses envies, ses projets, ou aider ceux qui souhaitent le faire

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Voyages Toursbylocals.com

Pour trouver un guide touristique parmi les locaux Foursquare.com

Pour connaître les bons plans du quartier dans lequel on se trouve


Karine Pasquier Cette collaboratrice scientifique à la Haute école de gestion de Genève travaille sur l’e-réputation. Dans son interview, elle estime que Facebook peut apporter une masse d’informations utiles et gratuites aux entreprises.

Jean-Cosme Delaloye Ce journaliste suisse basé à Brooklyn aux Etats-Unis s’est intéressé pour Hémisphères aux spams et à l’infobésité. Il conçoit les réseaux comme la clé de la démocratie.

Benjamin Bollmann Pour cet infographiste et journaliste chez LargeNetwork, le réseau évoque le cerveau, cet immense enchevêtrement de 100 milliards de neurones, duquel émergent la perception des sens, la pensée ou la conscience de soi. Page 44-45

Pages 64-69

Page 27

Daniel Saraga Les réseaux incarnent la complexité du monde pour ce journaliste scientifique, qui a réalisé l’interview de Duncan Watts: une pelote de ficelle remplie de nœuds et impossible à démêler. Pages 14-19, 40-43

Olivia de Quatrebarbes Cette passionnée de photographie a coordonné la recherche des visuels pour Hémisphères. Elle voit le réseau comme un vecteur de savoir, d’idées et d’informations, dont on ne peut plus se passer. Geneviève Grimm-Gobat Cette chroniqueuse pour le site Largeur.com a rédigé l’article sur l’histoire des réseaux. Elle confie que les réseaux, comme tous les termes tendance, lui inspirent de la méfiance! Pages 10-11, 54-57

Jürg Lehni L’inventeur de Scriptographer est un homme des réseaux, qui se révèle dans une interview. Un portfolio de ses dessins et transformations d’images se trouve disséminé tout le long du dossier. Pages 28-35

Melinda Marchese Journaliste chez LargeNetwork, elle a enquêté pour ce numéro sur le tourisme 2.0. Passionnée par le web participatif, elle aime le lien particulier qui s’y lie entre les êtres, sans statut et sans distance physique. Pages 20-23

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Hervé Dedieu Ce professeur à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud effectue des recherches avec ses équipes sur les maisons de demain, qui seront connectées à un réseau informatique.

Aziz Salamat La mise en scène du moi sur un réseau comme Facebook peut être utilisée dans des thérapies liées à l’anxiété sociale. C’est la conviction de ce professeur à la HES-SO Valais.

Page 51

Page 83

Rudolf Riedi Les réseaux de communication ont bouleversé la vie sur notre planète, explique ce professeur à l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg. Il est impressionné par leur taille, leur complexité et leur vitesse de croissance. Pour en savoir plus sur sa spécialité, les fractales, lire en

Sabine Emad Pour recruter des nouveaux collaborateurs, plus de 50% des entreprises de l’Arc lémanique utilisent, d’une manière ou d’une autre, les réseaux sociaux. C’est ce que conclut cette professeure de la Haute Ecole de gestion de Genève dans ses recherches.

Page 18

CONTRIBUTIONS

George Robert Le directeur du département de jazz de la Haute Ecole de Musique de Lausanne se réjouit des nouvelles possibilités qu’offrent les concerts en réseau. Pages 62-63

Geneviève Ruiz Geneviève Ruiz a géré la production éditoriale de ce numéro d’Hémisphères. Les réseaux représentent pour elle une immense ouverture des possibles et la grande chance du XXIe siècle. Page 76

Page 72

Stéphane Rossini Il faut repenser les mécanismes fondamentaux du système de santé suisse en développant les réseaux de santé: c’est ce que pense Stéphane Rossini, professeur responsable du Master en action et politiques sociales à la HES-SO. Michael Schumacher Un réseau d’échange d’informations entre les hôpitaux, c’est ce que développe Michael Schumacher, professeur d’informatique à la HES-SO Valais, à la tête du projet MediCoordination. Page 46

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Pages 74-75


Siège Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale HES-SO Rue de la Jeunesse 1 Case postale 452 CH-2800 Delémont +41 32 424 49 00 www.hes-so.ch

Haute Ecole Arc Direction générale Place de la Gare 4 CH-2002 Neuchâtel +41 32 930 11 11

HES-SO Fribourg Direction générale Boulevard de Pérolles 80 Case postale 32 CH-1705 Fribourg +41 26 429 65 04

www.he-arc.ch www.hemge.ch

www.heg-fr.ch www.eia-fr.ch www.heds-fr.ch www.hef-ts.ch www.hemu.ch

BERNE/JURA/ NEUCHÂTEL

www.heig-vd.ch Haute Ecole vaudoise Avenue de l’Elysée 4 CH-1014 Lausanne +41 21 316 94 95

FRIBOURG

www.ecal.ch www.hemu.ch www.hecvsante.ch www.ecolelasource.ch www.eesp.ch

HES-SO

VAUD HES-SO Valais Wallis Direction générale Route du Rawyl 47 Case postale 2134 CH-1950 Sion 2 +41 27 606 85 11 www.hevs.ch

VALAIS

GENÈVE

www.ecav.ch www.hemu.ch

www.hesge.ch/heg HES-SO Genève Direction générale Ch. du Château-Bloch 10 CH-1219 Le Lignon +41 22 388 65 00 www.hesge.ch

www.hesge.ch/head www.hemge.ch http://hepia.hesge.ch www.hesge.ch/heds www.hesge.ch/hets www.eichangins.ch

Etablissements privés ou fondations de droit privé

www.ehl.edu www.hetsr.ch

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Haute Ecole Arc Ingénierie Haute Ecole Arc Gestion Haute Ecole Arc Conservation-restauration Haute Ecole Arc Santé Haute Ecole de Musique de Genève HEM Site de Neuchâtel

Haute Ecole de gestion de Fribourg Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg Haute Ecole de santé Fribourg Haute Ecole fribourgeoise de travail social

Design et arts visuels Haute Ecole de Musique de Lausanne – HEMU Site de Fribourg

Economie et services Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion de Vaud - HEIG-VD ECAL/Haute Ecole d’art et de design Lausanne

Ingénierie et architecture

Haute Ecole de Musique de Lausanne– HEMU Haute Ecole cantonale vaudoise de la santé – HECVSanté

Musique et arts de la scène

Haute Ecole de la Santé – La Source Haute Ecole de travail social et de la santé – EESP – Lausanne

Santé

HES-SO Valais Wallis – Sciences de l’ingénieur-e HES-SO Valais Wallis – Santé & Social HES-SO Valais Wallis – Economie & Services

Travail social

Ecole cantonale d’art du Valais – ECAV Haute Ecole de Musique HEMU Site de Sion

Haute Ecole de gestion de Genève Haute Ecole d’art et de design Genève – HEAD

Siège HES-SO DELÉMONT

Haute Ecole de Musique de Genève Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève – hepia Haute Ecole de Santé Genève BERNE

Haute Ecole de travail social Genève

NEUCHÂTEL FRIBOURG

Ecole d’ingénieurs de Changins – EIC

VAUD

Ecole hôtelière de Lausanne – EHL Haute Ecole de théâtre de Suisse romande

VALAIS GENÈVE

HETSR – La Manufacture

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Couverture: Faisceau de Raphaël Verona, Gaël Faure et Vinzenz Wolf, 2008 Rabats: Bibliothèque cantonale de Genève, 1_h_1_11 Offizielles Kursbuch 2011, SBB-KB1-S-11©SBBRelief: © DHM25/SRTM-DTED® swisstopo/NASA, NGA (JA100134) www.sbb.ch/trafimage www.duplexmap.ch DR Bibliothèque cantonale de Genève, 1_h_1_21 Verkehrsmodellierung VM-UVEK (ARE), INFOPLAN-ARE, BFSGEOSTAT, swisstopo, © ARE © CAIDA Thierry Parel Facebook DR DR © trinkwasser.ch Entsoe Abbaye de Saint-Maurice, Médiathèque du Valais, Martigny Jürg Lehni Cristina de Middel Galya Kovalyova Paul Mullett Louis de Loménie, Galerie des contemporains illustres, par un homme de rien, t. 2, Bruxelles, Meline, Cans et Cie, 1848. Auteur: Charles Baugniet «L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers», éditée de 1751 à 1772 par Diderot et d’Alembert. «Atlas d’anatomie humaine et de chirurgie, édition complète des planches coloriées», J. M. Bourgery & N. H. Jacob, 1831 - 185, Tome 3, planche 40 Dmitri B. Chklovskii, Janelia Farm, Howard Hughes Medical Institute, USA. DR Myrna Suarez DR Visualization: Young Hyun, youngh@caida.org Data Analysis: Bradley Huffaker, brad@caida.org Walrus is a CAIDA tool developed with support of DARPA NGI N66001-982-8922, DARPA NMS N66001-01-1-8909,

p. 21 p. 22 p. 23 p. 25 p. 27 p. 29 p. 31 p. 32 p. 33 p. 34 p. 35

p. 37 p. 41

NSF ANI-9996248, NSF N66001-01-1-8909, and the support of CAIDA members. CAIDA is based at the University of California’s San Diego Supercomputer Center Mimmo Mendicino Anthony Leuba Bertrand Rey Bertrand Rey Anthony Leuba Ivan Jones Philippe Decrauzat, Jürg Lehni, Jonathan Puckey Jonathan Puckey, Peter Ström Raphaël Verona, Gaël Faure, Vinzenz Wolf Joachim Felix Correia, Robert Hubert, Gaël Kilchherr Sandro Schieck, Matthias Werner Myriam Combier, Dimitri Dimoulitsas, Diego Thonney Daniel Bär, Guillaume Chuard, Arnaud Milliquet HE-ARC

p. 56 p. 59 p. 61 p. 63 p. 65 p. 66 p. 67 p. 71 p. 72 p. 73 p. 74 p. 76 p. 77 p. 78 p. 79 p. 81

p. 83 p. 85 p. 87

ICONOGRAPHIE p. 90

Thierry Porchet p. 42 Herederos de Santiago Ramón y Cajal p. 43 T. Weissman en collaboration avec J. Tollet, G. Feng, J. Lichtman, J. Sanes, Harvard p. 45 Camille Scherrer p. 46 Bertrand Rey p. 47 Naomi Cahen, Alexandre Devaud, Anne-Laure Fuchs, Aurore Poffet p. 49 Entsoe p. 50 C. Mayhew & R. Simmon (NASA/GSFC), NOAA/ NGDC, DMSP Digital Archive p. 52 Anthony Leuba p. 53 Olivier Bruchez p. 54 Carte Siegfried, 1890, feuille 458, Bibliothèque cantonale de Genève p. 55 Carte Siegfried, 1890, feuille 458, Bibliothèque cantonale de Genève Sommet de Montoz, Abbaye de Saint-Maurice,

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Médiathèque du Valais, Martigny Rochers de Naye, Abbaye de Saint-Maurice, Médiathèque du Valais, Martigny Bibliothèque cantonale de Genève, 1_h_7_2 Independent Collectors Anthony Leuba Alex Herzog Galya Kovalyova DR Cristina de Middel Cristina de Middel Cristina de Middel Jonathan Puckey Bertrand Rey Jean-Luc Cramatte Anthony Leuba David Gagnebin-de-Bons David Gagnebin-de-Bons David Gagnebin-de-Bons David Gagnebin-de-Bons Bibliothèque cantonale de Genève, 1_h_1_3 Verkehrsmodellierung VM-UVEK (ARE), INFOPLAN-ARE, BFSGEOSTAT, swisstopo, © ARE Bertrand Rey DR DR DR John Moore/Getty Images News/ Getty Images Bertrand Cottet Ivan Jones Anthony Leuba Thierry Parel Bertrand Rey Bertrand Cottet Jean-Luc Cramatte Ivan Jones Anthony Leuba Thierry Parel Bertrand Rey


HÉMISPHÈRES La revue suisse de la recherche et de ses applications www.revuehemispheres.com Edition HES-SO Siège Rue de la Jeunesse 1 2800 Delémont Suisse T. +41 32 424 49 00 F. +41 32 424 49 01 hemispheres@hes-so.ch Comité éditorial Luc Bergeron, Claudio Bolzman, Jean-Michel Bonvin, Rémy Campos, Annamaria Colombo Wiget, Angelika Güsewell, Lysianne Léchot Hirt, Philippe Longchamp, Vincent Moser, Pierre Pompili, Laurent Sciboz, Anne-Catherine Sutermeister, Marianne Tellenbach Réalisation éditoriale et graphique LargeNetwork Press agency Rue Abraham-Gevray 6 1201 Genève Suisse T. +41 22 919 19 19 info@LargeNetwork.com

IMPRESSUM Responsables de la publication Pierre Grosjean, Gabriel Sigrist Direction de projet Geneviève Ruiz Rédaction Tania Araman, Bertrand Beauté, Benjamin Bollmann, Didier Bonvin, Albertine Bourget, Jean-Cosme Delaloye, Luca Di Stefano, Sabrina Faetanini, Sophie Gaitzsch, Geneviève Grimm-Gobat, Cynthia Khattar, Melinda Marchese, Sylvain Menétrey, Gwenaëlle Reyt, Geneviève Ruiz, Francesca Sacco, Daniel Saraga, Julia Schaad, Loïs Siggen Lopez, William Türler, Emilie Veillon, Alexandre Willemin Images Sandro Bacco, Bertrand Cottet, Jean-Luc Cramatte, Olivia de Quatrebarbes, David Gagnebin-de-Bons, Anthony Leuba, Mimmo Mendicino, Thierry Parel, Thierry Porchet, Bertrand Rey Maquette & mise en page Sandro Bacco Relecture Alexia Payot, Samira Payot www.lepetitcorrecteur.com Couverture Faisceau de Raphaël Verona, Gaël Faure

et Vinzenz Wolf, 2008 N°ISSN 2235-0330

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La présente revue a été imprimée en mai 2011 sur les presses de Pressor SA à Delémont. Le caractère Stempel Garamond (serif) est basé sur le travail que le graveur Claude Garamont (1480-1561) effectua lors de la création de la célèbre Garamond. Le caractère Akzident Grotesk (linéale) a été créé par la fonderie H. Berthold AG en 1896. Le papier est un FSC Edixion offset blanc 100 g/m2 et 250 g/m2. La revue a été tirée à 16’000 exemplaires. Imprimé en Suisse.


D E U T S C H L A N D

Mulhouse

Schaffh Zell (Wiesental)

Belfort

Waldshut

Weil a. R. Lörrach Basel EuroAirport Basel Bad Bf St-Louis R’felden

Möhlin Laufenburg

Basel

Boncourt

Liestal

Rodersdorf

Bonfol

Aesch

Dornach

Baden Wettingen

Wildegg

Porrentruy

Aarau Delémont

Waldenburg

Glovelier

Dietiko

Othmarsingen Suhr Lenzburg

Olten

Affoltern Thalw a. Albis Beinwil Sihlw

Schöftland

Niederbipp

Saignelégier

Zofingen Menziken

Le Noirmont Tavannes

Solothurn

Grenchen -Nord

SoncebozSombeval

Sihlbr

St. Urban

Langenthal Herzogenbuchsee

-Süd

Sursee Rotkreuz

Biel/Bienne Büren a/A

Prêles

La Chaux-de-Fonds

Ligerz

Les Brenets

Neuchâtel Ins

Travers

Brünnen Westside

Murten

Boudry Pontarlier

Laupen Buttes

Flamatt

Orbe Vallorbe

Belp

Schwarzenburg

Bercher

Beaten-Ost berg

Romont

Moudon

Apples

Renens VD

Schwarzsee

Morges

La Cure

Puidoux

Broc Zweisimmen Châtel-St-Denis Schönried Mt-Pèlerin Les Pléiades Montbovon

Vevey Montreux

St-Cergue

Nyon Thononles-Bains

Boltigen

Blonay

St-Gingolph Evianles-Bains

Rochersde-Naye Leysin

Châteaud'Oex

Montana

Leuk

Gletsch Oberwald Ulrichen

Bettmeralp <2337> Fiesch Riederalp Betten Mörel Brig

B

Visp

Stalden-Saas

Sion

S St. Niklaus

Les Verbier Haudères Le Châble Sembrancher

Le Châtelard

Furka

Raron

Sierre/ Unterbäch Siders

Zinal

Martigny La Roche-sur-Foron

Stechel- Jungfraujoch berg

Grächen

Champéry

Bellegarde

And Realp

Grindelwald Wengen Kl. Scheidegg

Fafleralp

Leukerbad Goppenstein Crans

Gösch

Schynige Platte

Kandersteg

Adelboden Lenk i. S.

Monthey

Genève-Eaux-Vives

Sörenberg Engelb Brienzer Rothorn Brienz Brünig-Hasliberg Hasliberg-Reuti Meiringen Innertkirchen

Mürren

Le Sépey

Bex St-Maurice

Alpnachstad

Interlaken

Lauterbrunnen Grütschalp

Frutigen

Schilthorn

Villars-sur-Ollon

Annemasse LancyPont-Rouge

-West Wilderswil

Gstaad

Les Diablerets Col-de-Bretaye

Aigle

Genève

Spiez

Palézieux

Lausanne

Bière

Erlenbach i. S.

Bulle

Cossonay

Le Brassus

Morez

Thun

Chavornay

Le Day

Vitznau Hergiswil Seel

Konolfingen

Fribourg

L’Isle

La Plaine

Pilatus

Schüpfheim Langnau

Worb

Rigi

Luzern

Ramsei

Ste-Croix

Yverdonles-Bains

Wolhusen

Gümligen

Fleurier

Payerne

GenèveAéroport

SumiswaldGrünen

HasleRüegsau

Bern

Kerzers

Emmenbrücke

Burgdorf

Jegenstorf

Les Ponts-de-Martel

Huttwil

Wynigen

Lyss

Le Locle

Frasne

Uetliberg

Wohlen

Balsthal

Oensingen

Moutier

F R A N C E

Niederweningen Turgi

Sissach

Laufen

Besançon

Bad Zurzach

Koblenz

Stein-Säckingen Brugg Frick Gelterkinden

Pratteln

Delle

Montbéliard

2010

Erzingen (Baden)

Orsières

Saas-Fee

Iselle di Trasquera

Domodossola

Täsch Ferpècle Arolla

Zermatt Gornergrat

V

F R A N C E Annecy

ChamonixMont Blanc

St

Le GrandSt-Bernard

I T A L I A

Pré-St-Didier Aosta

A


CHF 9.– E7.– N°ISSN 2235-0330


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