Hémisphères N° 8 - Le Jeu roi - Dossier

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Design et Arts visuels Economie et Services Ingénierie et Architecture Musique et Arts de la scène Santé Travail social

LE JEU ROI

VOLUME VIII DÉCEMBRE 2014

LE JEU ROI

HES-SO

LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS HÉMISPHÈRES

CHF 9.– E7.– N°ISSN 2235-0330

VOLUME VIII

HES-SO HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE UNIVERSITY OF APPLIED SCIENCES AND ARTS WESTERN SWITZERLAND


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Les dominos naissent en Italie.

Le premier flipper apparaît aux Etats -U nis

AVANCE DE

CE N A 2 AV DE

Les premières cartes à jouer apparaissent en Chine.

RECULE DE 3

Succès mondial pour le jeu de société Monopoly.

1974 Le Hongrois Ernő Rubik invente le Rubik’s Cube.

av. J.-C.

Le backgammon naît en Asie.

AVANCE DE

C’est la révolution des jeux vidéo sur smartphone avec Angry Birds. Le jeu a atteint le milliard de téléchargements en 2012 et participe à la féminisation des jeux vidéo.

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LE JEU CONTINUE

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1100 Le jeu d’échecs, inventé en Inde, arrive en Europe.

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Les enfants tiennen t dans leurs mains leu r première Ga me Boy, livrée avec le jeu Te tris.

2006

le jeu vidéo. La Wii démocratise rimente pé ex lle mi Toute la fa ère de jouer, une nouvelle mani plus physique.



HÉMISPHÈRES LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

Le jeu roi

ÉDITÉE PAR LA HES-SO HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE VOLUME VIII


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Le coloriage de mandalas est réputé bon pour l’âme. Remplissez les surfaces numérotées avec les couleurs correspondantes. A vous de jouer!

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HÉMISPHÈRES

Après le règne de l’Homo economicus, le monde est désormais entré dans l’ère de l’Homo ludens. Le milliard d’adeptes de jeux vidéo, les 500 millions de fans de l’application smartphone Angry Birds, ou le nombre croissant d’adultes qui redécouvrent les plaisirs des albums de coloriage semblent n’indiquer qu’une chose: l’omniprésence du jeu dans notre société. Les frontières qui délimitent traditionnellement le domaine ludique du reste des activités humaines ont disparu: le jeu n’occupe plus seulement les enfants ou les loisirs, mais il sert désormais à éduquer (lire l’article en p. 56), à guérir des blessures (lire en p. 18), à vendre des produits de luxe (lire en p. 23), voire même à améliorer le monde! Plus personne n’ose désormais parler d’abrutissement ou de perte de temps.

PRÉFACE Le jeu roi Geneviève Ruiz, responsable éditoriale d’Hémisphères

Ce dossier d’Hémisphères souhaite questionner ces nouvelles formes ludiques et leur potentiel de transformation de notre société. L’éducation en jouant n’a-t-elle par exemple que des vertus? Certains articles font également découvrir au lecteur des facettes inattendues de la thématique, comme celui consacré aux 70 millions de spectateurs de compétitions de jeux vidéo, ou cet autre qui révèle le blues des gagnants du loto… Ce ne sont pas les seules surprises qui vous attendent à la lecture de ce huitième volume d’Hémisphères, que nous vous souhaitons d’entamer l’esprit curieux et léger, tout comme cette nouvelle année 2015.

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HÉMISPHÈRES

RÉFLEXION

8 | «Homo ludens»,

vieux comme le monde PORTFOLIO

13 | L’ECAL repense la maison intelligente GRAND ENTRETIEN

14 | Aurélien Fouillet TECHNOLOGIE

18 | Jouer, c’est du sérieux! MARKETING

23 | Le jeu au service du luxe INDUSTRIE

26 | Du pain et des jeux vidéo

Le jeu roi SOMMAIRE PORTRAITS

36 | Un rapport individualisé au jeu DESIGN

40 | La conception de jouet:

un passionnant casse-tête MUSIQUE

44 | Le jeu augmenté des

instruments classiques HISTOIRE

48 | La généalogie des manettes SANTÉ

51 | «Gambling Disorder»:

addiction sans substance ÉDUCATION

56 | Le jeu s’immisce à l’école

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61 | Bibliographie 63 | Contributions 66 | Iconographie 67 | Impressum


RÉFLEXION

Les mille visages d’Homo ludens

«Homo ludens», vieux comme le monde Le jeu semble universel: toutes les civilisations et même les animaux s’y adonnent. Histoire en accéléré, des pions antiques à la gamification. TEXTE | Matthieu Ruf

Mais dire cela, ce n’est encore pas dire grandchose de son omniprésence, bien visible dans le langage courant. Ne parle-t-on pas de jouer au piano, du jeu d’une comédienne, d’un joueur de tennis, de jeux érotiques, de mots, de lumière, de jambes? Difficile de cerner cette infinie variété: «Ce que nous désignons par le mot jeu n’englobe pas la même chose partout, signale l’anthropologue Thierry Wendling, de l’Université de Neuchâtel. Le verbe utilisé par les peuples sibériens pour rendre compte de l’action rituelle du prêtre, le fait de «chamaniser», est le même qu’ils emploient pour jouer d’un instrument ou aux pions, ce qui n’est pas le cas chez nous.»

Des loups domestiqués. Voilà l’étrange compagnon qu’Homo sapiens a amené avec lui en débarquant en Europe, il y a 30’000 ans. Des bêtes utilisées pour leur fourrure, leur viande, mais surtout comme auxiliaires de chasse, pensent les chercheurs d’aujourd’hui. L’historien Ulrich Schädler, directeur du Musée du jeu de La Tour-de-Peilz, a une autre et malicieuse idée: et si l’homme avait «inventé» le chien dans le premier but de… jouer? «Le jeu est plus ancien que la culture.» C’est ainsi que l’intellectuel néerlandais Johan Huizinga commençait son célèbre essai «Homo ludens», paru en 1938. «Son existence n’est liée à aucun degré de civilisation, à aucune forme de conception de l’univers.» Présent sur tous les continents, observable chez maints animaux, le jeu apparaît bel et bien universel, car lié à notre condition d’êtres sociaux. Mais comment le définir? Aujourd’hui, il est de moins en moins considéré comme improductif ou inutile. Mais d’autres caractéristiques signalées par Huizinga font encore consensus. Le jeu est une activité librement choisie, intrinsèquement motivée (les moyens ont plus de valeur que la fin), qui suit des règles (même si elles peuvent laisser beaucoup de place à la créativité), et imaginative: le joueur est extrait du monde immédiatement présent, pour vivre un temps donné dans le «cercle magique» du jeu.

Thot et l’invention de l’abstraction

«Les jeux survivent dans un sociotope, indique Ulrich Schädler. Ce sont des sortes de parasites qui ont besoin des joueurs pour vivre.» L’historien souligne que, s’il est impossible de dater les premières apparitions du jeu humain, certaines de ses formes laissent des traces, qui nous en apprennent beaucoup sur lesdits sociotopes. Ainsi, la première apparition certifiée d’un jeu de plateau (jeu de pions, ndlr) remonte au IVe millénaire avant notre ère, en Egypte. «C’est l’époque de la naissance des villes et de l’agriculture, et donc de l’écriture et des mathématiques, explique Ulrich Schädler. Des

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compétences abstraites, comme le jeu! L’invention de l’écriture et du jeu est d’ailleurs attribuée au même dieu, Thot, l’équivalent d’Hermès chez les Grecs.»

Loterie et biais cognitifs Semaine après semaine, des millions de personnes tentent leur chance à la loterie. Mais comme le disait un certain Stendhal: «La loterie: duperie certaine et bonheur cherché par des fous.»

Dans la mythologie hindoue, ce sont les dés qui nous éclairent sur la conception du monde indien. Le dieu Shiva y joue constamment avec sa partenaire, Parvati. Shiva perd, et la partie recommence, leur mouvement permettant ainsi au monde d’être en activité, d’exister. Pourquoi Shiva ne se décourage-t-il pas? Parce que Parvati lui a promis de l’embrasser s’il gagne. «On retrouve cela dans toutes les cultures, pointe Ulrich Schädler: sans enjeu, il n’y a pas de jeu.»

Les clients des jeux de loterie sont des rêveurs, non des calculateurs. Entre un gain de plusieurs millions ou de quelques milliers de francs, ils optent pour le premier, même si la probabilité de gagner est nettement plus élevée pour le second. Leurs émotions prennent les commandes. Les millions font rêver à une vie nouvelle, les milliers de francs à une nouvelle voiture! Plus le jackpot est élevé, plus le nombre de grilles jouées est grand. L’explication: le biais de «neglect of probability». Les règles élémentaires du calcul de probabilité, cette modélisation du hasard, semblent échapper aux intéressés. A les entendre, certains chiffres ne sortiraient jamais, d’autres très souvent et on ne devrait pas rejouer ceux qui sont sortis au tirage précédent. Ignorés, l’indépendance dans l’occurrence des événements et le hasard qui n’a pas de mémoire! Les charlatans misent sur cette méconnaissance pour vendre leurs méthodes de «gain garanti».

La ludification rapide du monde

Mentionner l’enjeu du jeu, c’est inévitablement parler de son utilisation, voire de sa récupération. Au moins depuis le «pain et les jeux» romain, il a été exploité par les puissants de ce monde. Aujourd’hui, ce sont ses implications économiques qui sont les plus évidentes. Certaines sont spectaculaires et bien connues: droits télévisés des compétitions de football, paris, fiscalité des jeux en ligne…

Parce qu’il est intuitif, le choix des joueurs les expose à des erreurs de jugement. Ainsi, malgré une probabilité de perdre extrêmement grande, même en jouant chaque semaine, ils continuent à jouer en invoquant «la chance qui va finir par sourire». Un argument jamais évoqué concernant la possibilité, nettement plus importante, d’avoir un accident de la circulation. C’est le biais d’optimisme qui opère. Il attribue une chance supérieure aux événements positifs de se produire et minimise la possibilité que des événements malencontreux surviennent.

D’autres sont plus récentes, comme les nouvelles techniques de marketing, regroupées sous le concept plus général de gamification («ludification» en français). Celles-ci utilisent la multiplication des écrans personnels et les principes de défi et de récompense pour, par exemple, promouvoir une marque via un jeu vidéo gratuit. D’autres enjeux financiers, enfin, sont insoupçonnés. En Haïti, Thierry Wendling a observé que même les plus pauvres jouaient tous les jours à une loterie, la «borlette»: le taux de redistribution étant assez élevé, elle remplace les banques, auxquelles ils n’ont pas accès.

La personne qui achète un ticket de loto est-elle victime d’un biais cognitif ou néglige-t-elle sciemment la réalité statistique, histoire de rêver? Contrairement aux fumeurs, confrontés à une mise en garde sur leur paquet de cigarettes, on ne trouve rien de tel sur les billets de loterie. Pas de message du style «L’achat de ce produit est consécutif à une erreur de jugement. Prenez garde, votre santé intellectuelle est altérée!» Les opérateurs de loterie s’en réjouissent; ce ne sont pas des êtres rationnels qui remplissent leurs caisses. Des caisses dont ils redistribuent une part afin de concrétiser le rêve de rares élus. Autant de preuves vivantes qui renforcent très efficacement l’attrait du jeu auprès des perdants.

C’est cependant l’aspect éducatif du jeu qui est le plus naturellement utilisé. «Le jeu est un terrain d’essai», résume le psychologue Jean Retschitzki, de l’Université de Fribourg. Les exemples sont innombrables, du Ludo Globi du cardinal allemand Nicolas de Cues (XVe siècle) – un jeu de boule qu’il concevait comme un enseignement philosophique et théologique –, au jeu d’échecs, utilisé pour préparer le jeune Louis XIII à l’art de la guerre.

L’économie du divertissement a de beaux jours devant elle. Pascal, le père du calcul des probabilités, l’avait prédit. Par Geneviève Grimm-Gobat

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RÉFLEXION

Les mille visages d’Homo ludens

Lexique ludique Adrià Budry Carbó

AAA C’est le blockbuster du jeu vidéo: ce «triple A» désigne une production à gros budget. Grand public, ces jeux sont parfois critiqués pour leur manque d’inventivité. Atari A la simple évocation de son nom, une vague de nostalgie envahit les gamers aguerris. Fondée en 1972, Atari a créé le célèbre jeu d’arcade Pong (mais oui, vous savez, deux plateformes qui se renvoient une balle) et l’une des premières consoles de jeu vidéo. Casino Comment parler de jeu sans évoquer le casino, sorte de temple païen dédié au culte ludique? Roulettes, machines à sous, jeux de cartes: tout est fait pour alléger votre portefeuille! Colisée Du pain et des jeux! Le cirque romain est probablement l’ancêtre le plus connu de l’«ultimate fighting» actuel (un combat d’arts martiaux mixtes dans une cage). On s’y déplaçait en nombre pour voir le sang couler et assister à de ludiques et interactives joutes entre «barbares».

Ce dessin à colorier figure dans un livre destiné à éveiller l’intérêt des enfants sur la menace terroriste. Une polémique a accueilli sa publication aux Etats-Unis, où il a été accusé d’islamophobie. L’éditeur, Really Big Coloring, fait ici référence aux cinq détenus de Guantanamo relâchés par Barack Obama en 2014. Une autre image de ce livre propose de colorier un chrétien crucifié.

Surnommé «l’escroc des stars», le Français Christophe Rocancourt est connu pour avoir dévalisé plusieurs célébrités d’Hollywood en se faisant passer pour un héritier de la famille Rockefeller dans les années 1990. Il est photographié ici avant de rejoindre sa cellule dans la Prison de Hampton, au Canada.

Gameplay Terme utilisé pour qualifier l’ensemble des sensations ressenties par un joueur face à un jeu vidéo. Un anglicisme équivalent en français à «jouabilité» ou «expérience de jeu». God Mode Sublimation du jeu, le mode «Dieu» octroie l’invincibilité à son utilisateur. Un pouvoir qui est généralement peu apprécié quand il est employé par un tricheur lors d’une partie à plusieurs joueurs…

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«François Hollande est devenu le premier beau parti de France. Eh oui, faute d’avoir pu inverser la courbe du chaud mâle, Valérie, remerciée, a dû se résoudre à quitter le Palais Royal et son one-man-chaud, bouillant même à la suite d’un problème de domicile qu’on juge mal.»

Jeu Du yoyo aux jeux vidéo, les individus ont toujours cherché des loisirs afin de se détourner de leur morne routine. Cette activité, d’ordre psychique ou physique, est par définition improductive. Certains pédagogues tentent toutefois d’intégrer le jeu au processus d’apprentissage (lire en p. 56).

Citation tirée du recueil de chroniques «Retour en absurdie» de Stéphane De Groodt, humoriste belge et acrobate verbal.

Ludologie Science qui étudie les jeux vidéo. Un domaine de recherche qui s’intéresse tant au comportement des joueurs qu’à la ludification de l’apprentissage. Nash (équilibre de) Dans la théorie des jeux, l’équilibre de Nash est une combinaison de décisions individuelles où chacun anticipe les choix de l’autre. La situation en résultant n’est pas optimale, mais aucun des joueurs n’a individuellement intérêt à modifier sa stratégie. Retrogaming Pratique consistant à collectionner ou à jouer à de vieux jeux vidéo ou d’arcade, par nostalgie. C’est aussi un marché en pleine expansion.

Le scénariste américain Zack Penn montre l’une des mille cartouches Atari du jeu «E.T. l’extraterrestre» déterrée en avril 2014 dans la décharge d’Alamagordo (Nouveau-Mexique). Une découverte qui a confirmé la légende urbaine racontant que l’entreprise de jeux vidéo Atari y avait enfoui les exemplaires invendus de ce jeu en 1983.

Shoot’em up Type de jeu vidéo dans lequel le joueur dirige généralement un avion ou un vaisseau spatial devant détruire des vagues d’ennemis tout en esquivant leurs attaques. Le jeu d’arcade japonais Space Invaders (1978) est considéré comme l’archétype du genre. Nommée «Black Lotus», cette carte est issue du jeu de société «Magic the Gathering». Elle serait l’une des cartes à collectionner les plus chères du monde. Imprimée entre 1993 et 1994 elle est considérée comme la plus puissante de son édition. Un collectionneur l’aurait acquise pour plus de 27’000 dollars (environ 26’000 francs suisses) sur eBay.

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Tetris Sorte de puzzle digital consistant à empiler des pièces de formes variables sans laisser d’espaces. Un grand classique qui vit une seconde jeunesse grâce aux téléphones portables. Tomb Raider Série de jeux vidéo dont l’héroïne Lara Croft, véritable «bombe digitale», a fait fantasmer des générations de joueurs. On n’oublie pas les heures passées à gravir des parois ou à chasser les méchants. C’était quoi le code, déjà?


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Les mille visages d’Homo ludens

la conclusion que Camille Jacquey tire de son observation des joueurs de poker: «Tout l’enjeu de la partie, c’est de savoir ce que l’adversaire a réellement. On se base sur ses décisions, mais aussi sur la voix, le regard, la goutte de sueur… pour tenter de percer ce mystère-là, qui est aussi celui du jeu de la communication en général, dont une partie nous échappe toujours.» En outre, assis pendant des heures à essayer de prendre les bonnes décisions, en étant à la merci d’un revers de fortune, on éprouve littéralement son destin. «Il nous fait rire, pleurer, transpirer. Ce n’est pas une page d’horoscope! Comme dans tout jeu, on se confronte ainsi à l’infinité vertigineuse des possibles de l’existence.»

Intense et vertigineux

Des effets profitables qui sont parfois mis en avant pour masquer une dimension plus opaque, plus inquiétante du jeu. «A partir du moment où on bascule dans le simple divertissement, le jeu est perçu comme improductif, voire conflictuel, analyse Julien Lalu, chercheur en histoire à l’Université de Poitiers. Les spécialistes du jeu vidéo, aujourd’hui, essaient de le justifier en lui trouvant un aspect éducatif, alors qu’il n’y en a pas toujours.» Cette face obscure du jeu lui a de tout temps valu des condamnations. Hier, les jeux de hasard étaient considérés comme contrevenant à la volonté divine: sous l’empereur Justinien (VIe siècle), un amateur de dés risquait ses droits civiques. Aujourd’hui, les jeux d’argent suscitent toujours des mesures drastiques – en Equateur par exemple, les casinos sont interdits depuis 2012. «Dans les médias, on parle souvent de l’addiction, ou alors de l’aspect économique, et on laisse de côté les millions de parties sans enjeu, sur Internet ou entre amis. Il faut rappeler le caractère de gratuité du jeu», plaide cependant Camille Jacquey, chercheur en sociologie à l’Université Paris V. Car, que l’on s’intéresse aux osselets antiques ou au poker, comme lui, on bute, au-delà des enjeux, sur un mystère. Pourquoi joue-t-on?

Le backgammon ou la révolution

Les jeux de tables pour deux joueurs ont une origine très ancienne, qui remonte jusqu’à 2000 ans av. J.-C. Mais le backgammon, aujourd’hui pratiqué à tous les coins de rue d’Istanbul, a connu une inflexion de son destin à la fin des Temps Modernes, au détriment du trictrac. «Ce sont deux jeux de la même famille, raconte l’historien Ulrich Schädler. Le trictrac était le roi des jeux à l’époque baroque, quand la richesse, la complication, la longueur étaient des qualités. Après la Révolution française, avec la prévalence de la pensée économique et bourgeoise, influencée par l’Angleterre, cela devient des défauts et le backgammon, qui va à l’essentiel, devient plus populaire. L’évolution d’un jeu est liée aux changements de régime politique et de mentalités: lorsqu’une autre idée de la gestion du temps s’installe et que le jeu apparaît comme une perte de temps, un jeu court et dynamique prend l’avantage.»

Au XIXe siècle, rappelle Jean Retschitzki, toute une série de «théories de fauteuil» ont tenté d’expliquer biologiquement l’activité ludique. «Certains ont avancé qu’il s’agissait d’un surplus d’énergie à dépenser; d’autres, au contraire, de recréer de l’énergie après le travail!» On s’intéresse désormais davantage au jeu pour son intensité que pour ses causes hypothétiques. «C’est un acte social très fort, souligne Thierry Wendling. On le voit avec les enfants, capables d’établir par le jeu un lien très intense avec des camarades qu’ils ne connaissaient pas. Dans certaines cultures, on joue même aux cartes avec les morts, pour s’attirer l’abondance qu’ils sont censés pouvoir procurer aux vivants.» Il se pourrait bien, en somme, que quelque chose de fondamental se joue dans le jeu. C’est

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PORTFOLIO

Souffler «Nous voulions offrir au visiteur une interaction directe avec l’objet, explique Victor Férier, l’un des trois étudiants de l’ECAL à l’origine de «Windblower». Après le toucher, nous avons rapidement pensé au souffle.» En tournant, la petite hélice enclenche électroniquement le grand ventilateur. Sa puissance est multipliée par deux.

Le logis en folie De drôles d’appareils occupaient le showroom de l’ECAL à la foire de Milan en avril dernier. On y découvrait un ventilateur réagissant au souffle, une main d’automate écartant un rideau, un miroir qui capte la présence humaine… «Ces objets bourrés d’électronique ne répondent pas à leur fonction première, explique Alain Bellet, l’un des chefs de projet. Ils sont pensés comme un clin d’œil à la domotique des années 1960.» Par leur aspect interactif, ces prototypes incarnent aussi la tendance à la «gamification» qui caractérise ce début de XXIe siècle. Très remarqués lors de l’exposition milanaise, ils ont eu l’honneur d’une présentation au Victoria And Albert Museum de Londres à l’automne. Ce portfolio présente une sélection des travaux des 40 étudiants impliqués dans cette exposition baptisée «Delirious Home», fruit d’une collaboration des départements Media & Interaction Design et Design industriel de la Haute école d’art et de design de Lausanne avec le designer hollandais Chris Kabel.

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GRAND ENTRETIEN

«Le jeu répond à l’ennui de nos sociétés» Longtemps jugé futile, le jeu pourrait servir à réenchanter un monde désabusé. C’est la thèse du sociologue Aurélien Fouillet, fin observateur des processus de gamification. TEXTE | Albertine Bourget

poupée, à World of Warcraft ou encore au Cosplay (pratique venue du Japon qui consiste à se déguiser lors de rassemblements en personnage de bande dessinée, de manga ou de film, ndlr). Tous ces jeux constituent en fait des espaces où l’on va expérimenter, modifier, détourner les rôles et les façons de vivre ensemble définies par un ensemble de règle usuelles.

Où que l’on regarde, le jeu est omniprésent: du petit écran diffusant les compétitions sportives aux réseaux sociaux, en passant par les séries télévisées et leurs produits dérivés. De «Game of Thrones» à «Sherlock», celles-ci sont déclinées en jeux de plateau ou encore en sites interactifs et ludiques. Les mécanismes propres au jeu ont dépassé la seule sphère du divertissement pour influencer de nombreux autres domaines. Manifestation inquiétante d’une société «immature»?

Le jeu comme évasion, donc?

Non, comme lieu de création, d’expression d’une force vitale dans une société en perte de repères, en saturation. Le jeu réinvente le vivre ensemble. Ce qui change aujourd’hui, c’est le regard que nous portons sur cette activité longtemps mise en marge, reléguée à la sphère des loisirs, alors que le travail était central. Ces codes sont bouleversés: l’importance et le modèle de l’entreprise sont remis en question. Le jeu n’est plus seulement quelque chose d’enfantin, de frivole, sans conséquences.

Pas aux yeux d’Aurélien Fouillet, spécialisé dans la «sociologie de l’imaginaire». Chercheur dans un institut au nom tout aussi poétique – le Centre d’études sur l’actuel et le quotidien à l’Université Paris V René Descartes –, il pose sur la «gamification» effrénée de notre planète un regard rafraîchissant. Dans l’ouvrage «L’Empire ludique. Comment le monde devient (enfin) un jeu»*, qui a rencontré un fort écho dans la presse francophone, il montre comment le jeu, activité souvent dépréciée, permet en réalité de se réinventer dans un monde aux codes bouleversés. Entretien.

Pourquoi cette omniprésence du jeu?

Mais par ennui! Nos sociétés ont produit de l’ennui. Voyez la foule solitaire, les centaines de personnes réunies dans les mêmes wagons de métro et isolées malgré tout. Le corollaire de la standardisation de la vie contemporaine est la disparition de l’aventure, de l’imprévu. Cet ennui se traduit par une angoisse sociale. Angoisse qui va produire un appel irrépressible à

Dans votre livre, vous dites que l’«esprit du jeu» revient en force aujourd’hui. Mais de quel jeu parlez-vous?

De tous les jeux! Je ne fais volontairement pas de différence entre jouer au Monopoly, à la

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Portrait ludique Sept éléments ont été transformés dans l’image du bas. Saurez-vous les trouver?


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Aurélien Fouillet

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l’aventure. Cela passe par le jeu, qui permet de se réadapter et de réenchanter le monde. Dans quel sens?

Nous vivons une phase d’indécision et d’incertitudes, et nous avons oublié combien la modernité a d’abord été magique. Je me souviens de mon grand-père qui me racontait l’arrivée de la première voiture dans son village! L’eau qui coule du robinet, l’électricité, les voitures... Depuis, la standardisation, la consommation de masse, les crises sanitaires, sans parler du sida ou d’Ebola en ce moment sont venus noircir le tableau. Même l’espace de la ville, longtemps perçu comme un refuge protecteur, s’est fragilisé. Voyez Détroit ou La Nouvelle-Orléans aux Etats-Unis. Les promesses s’épuisent, d’où le désenchantement. Qu’il s’agisse de jouer à la marelle, aux cow-boys ou à Tinder (app de rencontre, ndlr), le jeu est un moyen d’appropriation et de détournement, mais aussi un espace «transitionnel»: le jeu fait lien entre soi et le monde. En ce sens, je m’appuie sur les travaux de Donald Winnicott (pédopsychiatre britannique, 1896-1971, ndlr), qui voyait le jeu comme l’espace où se construit, pour l’enfant, ce qu’il y a entre ses espérances et le monde réel. N’est-ce pas problématique que ce réenchantement passe par le monde virtuel?

Photographié en Belgique (en haut), cet amateur de Cosplay (une pratique japonaise qui consiste à se déguiser en personnages de fiction) a passé plus de deux ans à concevoir son armure samouraï de la période Edo. Les deux filles ci-contre posent lors du World Cosplay Summit 2014 qui a eu lieu à Moscou au mois d’avril.

A mon sens, cette distinction entre réel et virtuel est artificielle. Je parlerais plutôt d’un déplacement de la vérité vers la sincérité. Le virtuel, c’est ce qui est aussi de l’ordre du possible. Les joueurs sont en quête de l’expérience partagée de quelque chose qui pourrait se réaliser. J’évoque dans mon livre l’histoire de cette femme d’une cinquantaine d’années, mariée et mère de famille, qui est tombée amoureuse d’un avatar rencontré dans le jeu vidéo World of Warcraft. Peut-être cet avatar était-il quelqu’un qui ne lui aurait pas plu du tout «en vrai». Mais ses sentiments étaient sincères, bien réels. Quel est le rôle de la technologie dans ces évolutions?

Elle est un catalyseur. Elle ouvre un espace qui n’est pas codifié par les normes traditionnelles. Par exemple, le téléphone portable a ouvert le jeu à tout un pan de la société. Le jeu vidéo, longtemps réservé aux hommes, n’est plus du

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GRAND ENTRETIEN

Aurélien Fouillet

tout masculin. Que ce soit sur Second Life ou World of Warcraft, on réinvente de nouvelles règles, des alliances, des logiques d’appartenance.

Que voulez-vous dire?

Historiquement, le jeu traverse les âges et les pratiques sociales. Il imprègne toute civilisation, comme l’a bien montré le livre «L’esprit du jeu chez les Aztèques» (de Christian Duverger, 1979, ndlr). Qu’est-ce que le carnaval chez nous, sinon un jeu de rôle? L’industrie du divertissement, la pop culture, des personnalités comme Nabilla, sont des symptômes de notre carnaval contemporain, des parenthèses dans lesquelles chacun peut faire l’expérience qu’un autre monde est possible.

Vous évoquiez la solitude de la modernité. Que faites-vous du joueur absorbé des heures durant par son écran?

Je ne dis pas que le risque de perdre pied n’existe pas. Je ne suis pas psychiatre, mais je pense que la folie est dans l’addiction à l’écran, non dans les jeux vidéo eux-mêmes comme on l’entend souvent. L’addiction, et non le jeu, est la névrose de nos sociétés, comme l’hystérie était celle des sociétés du XIXe siècle. Par ailleurs, de moins en moins de jeux sont solitaires. Même dans une application qui paraît toute bête comme Candy Crush (lancée sur Facebook en 2012, ndlr), le but est de donner et de recevoir des vies. Rappelez-vous de l’aspect intergénérationnel de la console Wii, des campagnes publicitaires pour Nintendo qui mettent en scène parents et enfants réunis... Le jeu est prétexte à partager quelque chose, il permet de recréer du lien social. C’est en ce sens qu’il réinvente le vivre ensemble.

Nabilla, vraiment?

Je fais exprès de prendre un exemple extrême! Mais oui, d’une certaine manière, Nabilla est une figure carnavalesque. Qu’elle puisse devenir quelqu’un «d’important» est la preuve qu’un autre monde est possible, que la transformation est possible. On retrouve cet aspect carnavalesque aussi bien dans le «Cosplay» que dans une émission de télé-réalité comme «Masterchef». Un tourneur-fraiseur qui s’inscrit au télé-crochet «The Voice» se projette dans une autre vie, dans de multiples aventures.

Outre les jeux vidéo, des pratiques comme le «Cosplay» relèvent également de ces nouveaux liens sociaux?

Des zombies ou Nabilla comme figures emblématiques, ce n’est pourtant pas très encourageant...

Oui, dans le sens où ces figures et leurs déguisements se diffusent dans l’ensemble de la société, là où se fait la culture. Dans une structure tragique, on se «dépatouille» du réel avec ses amis, avec une histoire qui va donner du sens. Ces figures, prétexte pour se raconter une histoire, appartiennent aujourd’hui à une mémoire collective, un patrimoine commun. Dans les années 1980, les héros étaient des individus forts et seuls contre tous, comme Rambo. Aujourd’hui, que ce soit dans Harry Potter ou Hunger Games, le héros ne peut pas s’en sortir seul. Nous assistons à un retour du communautaire, du «tribal» selon Michel Maffesoli (sociologue français auteur de «Le temps des tribus: le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes», 1988, ndlr). Même le selfie, qui évoque le culte du «je», n’existe que s’il est partagé. Aujourd’hui, on revient au jeu comme créateur de culture.

Face au monde qui change, j’entends rester optimiste. Bien sûr, Tinder remet en question l’idée du couple traditionnel par exemple. Mais on ne peut pas simplement se dire «tout fout le camp»! Je constate que «quelque chose», autre chose, est en train de naître. Nous assistons à l’émergence de nouvelles formes d’organisations, de nouveaux modèles de collaboration. Les jeunes générations réinventent les codes sociaux. C’est à elles de le faire et c’est encourageant qu’elles le fassent. Il a fallu des siècles pour affirmer de nouvelles formes sociales. Et puis, les enfants, en faisant des expériences, se trompent. Mais c’est ainsi qu’ils grandissent. *«L’Empire ludique, comment le monde devient (enfin) un jeu» (éditions François Bourin)

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TECHNOLOGIE

Jouer, c’est du sérieux! Employer des ressorts ludiques pour instruire, informer ou soigner: voici l’objectif des jeux dits sérieux. Explications. TEXTE | Erik Freudenreich

lopper des aptitudes comme l’esprit critique ou les apprentissages de manière informelle, poursuit l’expert français. Dans le monde de la santé, par exemple, les perspectives en matière de rééducation sont prometteuses mais nécessitent des accompagnements.» Les chercheuses de la Haute école de Santé-Genève (HEdS-GE) Lara Allet et Ilona Punt viennent ainsi de réaliser une étude sur l’utilité de la «Wii Fit Board» – un accessoire de la console Wii de Nintendo – dans la guérison des entorses de cheville et la prévention des récidives.

A l’école comme à l’université, dans les hôpitaux ou en entreprise, on emploie désormais des «serious games». Ces programmes empruntent aux jeux vidéo certaines de leurs mécaniques: prises de décision, points à récolter, récompenses. Mais à l’inverse de la production vidéoludique traditionnelle, les jeux sérieux ont une visée utilitaire, que l’on peut distinguer en trois grandes catégories: diffusion de messages, collecte de données ou formation. Fer de lance de cette déferlante, le titre «America’s Army». Développé par le Pentagone, ce jeu de tir en vue subjective constitue aujourd’hui un outil de choix dans le recrutement des futurs soldats de l’armée américaine. «L’essor des jeux sérieux date effectivement de 2002 avec le lancement de cet opus. Mais il en existait bien avant, remarque Julian Alvarez, responsable du Play Research Lab, un laboratoire consulaire dédié à la ludologie et aux play studies basé à Valenciennes (France). Certains serious games datent des années 1950. Nous pensons même qu’ils ont précédé l’arrivée des jeux vidéo classiques! Car avant d’être dédiés au seul divertissement, les jeux se destinaient d’abord à la communication et à l’entraînement.» Potentiel dans la santé

Malgré ce potentiel, les serious games font face à un obstacle de taille: ces produits nécessitent des adaptations pour s’exporter. Barrières culturelles ou habitudes différentes sont autant d’éléments à prendre en compte au moment de leur conception. «Développer un serious game à destination de médecins américains, suédois ou français nécessitera par exemple de faire attention aux marques des appareils que ces pays ont l’habitude d’utiliser dans leurs blocs opératoires, pour ne pas perturber l’apprentissage, explique Julian Alvarez. D’une manière plus globale, si vous faites un serious game avec des décors européens, il conviendra de remplacer ces décors par des paysages arabes ou asiatiques selon les pays visés pour en faciliter l’adoption...»

Si on retrouve les serious games désormais partout, qu’en est-il de leurs effets? «Il ressort des études menées sur le sujet que les jeux sérieux permettent de renforcer des connaissances ou des compétences déjà acquises, voire de déve-

En matière de serious games, la Suisse n’est pas en reste. Outre les nombreux projets développés par la HES-SO (lire les encadrés), une mul-

Développeurs helvétiques

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TECHNOLOGIE

Jouer, c’est du sérieux

Utilisée à la fois comme un outil de recrutement et de formation, la série «America’s Army» permet au joueur d’incarner un soldat américain lors de joutes multijoueurs en ligne. Le jeu de tir «Re-Mission» place le joueur dans la peau d’un robot miniature qui doit défendre le corps d’un patient contre les attaques de cellules cancéreuses et autres infections bactériennes. Une manière pour les jeunes patients de mieux appréhender leur maladie et son traitement.

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TECHNOLOGIE

Jouer, c’est du sérieux

titude de développeurs indépendants se sont lancés sur ce marché en plein essor.

qui supervise le projet au sein de l’association valdo-genevoise.

Le jeu «Genève 1815», conçu – paradoxalement! – par le studio lausannois L’Avenue Digital Medial (ADM), en est un bon exemple. Réalisé dans le cadre du bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération, l’opus propose de s’immerger dans un environnement 3D reproduisant l’ancienne cité genevoise. «Nous avons choisi la ville comme acteur principal du jeu, afin de multiplier les niveaux de lecture possibles, économiques, sociaux ou culturels», précise Didier Waldmeyer, associé chez ADM et producteur exécutif du jeu.

Une chose est certaine: le jeu sérieux n’en est qu’à ses débuts. L’élaboration de tels jeux est en outre liée à chaque type de marché: «Les domaines de la santé, de la défense, de la formation, de la publicité ou encore de la culture ont tous des besoins spécifiques, note Julian Alvarez. Par exemple pour réaliser un serious game dédié à la santé, nous pourrons combiner un mannequin médical et une Kinect… L’industrie du jeu vidéo ouvre en parallèle des perspectives d’innovations. Ainsi les objets tangibles comme les «Skylanders», robotisés et associés à des tables interactives préfigurent de nouveaux types de serious games permettant l’interaction sociale tout en combinant le réel et le virtuel. Cela pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en termes d’apprentissage. L’hybridation des objets et le détournement des usages sont la clé des innovations actuelles en matière de jeu sérieux.»

De son côté, l’organe de soutien aux start-up Genilem a mis en chantier un jeu sérieux visant à apprendre les bases de la gestion d’entreprise. «Nous voulons permettre aux futurs entrepreneurs d’acquérir des connaissances théoriques, mais aussi de repérer les erreurs à ne pas commettre, grâce aux processus interactifs et répétés propres au jeu vidéo», relève David Narr,

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TECHNOLOGIE

DES JEUX SÉRIEUX DÉVELOPPÉS AU SEIN DE LA HES-SO L’usage des serious games dans la formation supérieure s’est largement répandu au cours de ces dernières années, et ce tant au niveau des cours proposés aux étudiants qu’en termes de travaux de recherche menés par les équipes des hautes écoles suisses romandes. Gros plan sur une sélection de projets prometteurs. «Serious Game for Rehabilitation», un opus pour la réhabilitation corporelle

Fruit d’une collaboration entre plusieurs hautes écoles (HE-Arc, HEIG-VD, hepia et HESAV), «Serious Game for Rehabilitation» («SG4R») a pour but de favoriser la réhabilitation du système locomoteur de personnes ayant perdu l’usage de leurs jambes suite à un AVC ou un traumatisme de la colonne vertébrale. «Cette problématique cible actuellement des patients entre 15 et 45 ans», explique Stéphane Gobron, responsable du projet et chargé de cours à la HE-Arc Ingénierie à Neuchâtel (découvrez son visage actuel en p. 62). Les exercices menant à une potentielle guérison sont relativement rébarbatifs et doivent être répétés à intervalle fréquent. D’où l’intérêt d’utiliser les éléments de motivation propres aux serious games, en les combinant avec un appareil de mobilisation à retour de force développé par les équipes de mes collègues Carl Schmitt et François Birling à la HEIG-VD.» A l’heure actuelle, les chercheurs du projet «SG4R» ont commencé la mise en place d’une plateforme prototype constituée de quatre jeux visant à reproduire un large spectre d’exercices: «cycling», «press-leg», contrôle asynchrone des jambes ou des chevilles. Pour deux de ces jeux, l’utilisateur se voit plongé en réalité virtuelle via un casque Oculus Rift 2.0 avec notamment pour scénario la recherche de différents éléments placés dans un environnement 3D.

Jouer, c’est du sérieux

AdMed, l’armoire à pharmacie virtuelle

«Wegas», la star des jeux de gestion

Cela fait plus de deux ans que les étudiants de la filière Bachelor en soins infirmiers de la Haute école de Santé Genève (HEdS-GE) s’entraînent sur internet à calculer le bon dosage des médicaments ou à identifier ceux-ci dans l’armoire à pharmacie. «Les élèves ont souvent de la peine à imaginer le résultat de leurs calculs sur papier, explique Brigitte Chatelain, chargée d’enseignement HES et cheffe de projet. C’est ainsi que la plateforme AdMed est née en collaboration avec le centre elearning HES-SO. Ce logiciel interactif et ludique rend les choses plus concrètes.» Chaque armoire virtuelle contient dix exercices, pensés par niveau. «Sur les 160 étudiants de première année, 80% se sont déjà prêtés au jeu. Ils recommencent souvent le même exercice tant que celui-ci n’est pas assigné d’une pastille verte signifiant qu’il est validé», note la responsable. Le logiciel, en cours d’amélioration, devrait être ouvert à tous les centres HES-SO dès 2015 et servir également à la formation continue.

Conçu par le laboratoire AlbaSim de la HEIG-VD, «Wegas» (Web Game Authoring System) est devenu en quelques années une véritable référence dans le domaine des serious games de formation. «L’idée de Wegas est de disposer d’un outil permettant de mettre au point facilement simulations et jeux sérieux, explique l’initiateur du projet, Dominique Jaccard. L’intérêt de ce dernier pour les serious games est né de son expérience de professeur à la HEIG-VD. «En matière d’enseignement, on distingue plusieurs niveaux d’apprentissage selon la taxonomie établie par le psychologue américain Benjamin Bloom: mémorisation, compréhension et application dans un premier temps; suivies d’apprentissages de niveaux plus élevés: analyse, synthèse et capacité à évaluer et émettre des jugements. Or dans les cours traditionnels, on transmet le plus souvent les compétences des premiers niveaux d’apprentissage. L’approche globale et pratique proposée par les serious games permet de dépasser ces stades d’acquisition initiaux.» Investigation de scènes de crime, management de l’énergie au sein d’une entreprise ou examen de patients dans le domaine de la santé sont quelques exemples de jeux développés avec l’environnement «Wegas». Il est aujourd’hui utilisé au sein de la HES-SO et de nombreuses autres hautes écoles telles que les universités de Genève, de Lausanne, de Marseille ou encore à l’Ecole polytechnique de Paris.

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PORTFOLIO

Ouvrir «Créer une séparation fluide pour jouer avec l’espace d’un habitat»: telle était l’intention de Léonard Golay, Anne-Sophie Bazard et Tristan Caré lors de la création d’ «Il Portinaio», un rideau ludique qui s’ouvre automatiquement. «Le stéréotype du portier nous plaisait, remarque Léonard Golay. La main installée sur le rail est dotée d’une caméra qui permet de suivre le déplacement du visiteur. A son approche, la main ouvre le rideau et le laisse passer.» Pour les trois étudiants en première année de l’ECAL, le défi a été d’améliorer le mécanisme de la main pour qu’elle fonctionne durant toute une semaine lors de la foire de Milan.

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MARKETING

Des outils ludiques pour vendre des articles de luxe Utilisé depuis plusieurs années déjà à des fins publicitaires, le jeu touche désormais de nouveaux créneaux, comme le marketing horloger. Explications. TEXTE | Camille Andres

Pour de nombreux analystes, ce recours au numérique permet une meilleure entrée en matière qu’une publicité classique pour des articles de luxe, car il fait appel aux sens, en l’occurrence le toucher et le son. «Au supermarché, si l’on est attiré par une dégustation, on se familiarise déjà avec le produit. Un test, même virtuel, contribue à renforcer l’intention d’achat», poursuit François Courvoisier. En ce sens, les nouvelles technologies semblent confirmer des pratiques développées dès les années 1980 par le «marketing expérientiel». Théorisé par Morris Holbrook et Elizabeth Hirschmann, celui-ci insiste sur la création d’expériences uniques vécues par le consommateur avec la marque, afin de créer une relation particulière entre eux

Les publicités sur papier glacé de l’horlogerie de luxe sont souvent très convenues, parfois à la limite de la caricature. «Depuis plusieurs années, on voit le même type d’illustration: une montre sur une page entière ou alors en second plan d’une personnalité, d’un bateau, d’un avion, d’une formule 1…», explique François Courvoisier, doyen de l’Institut du marketing horloger à la HEG Arc à Neuchâtel. Encore timides, des innovations en matière de publicité existent pourtant bel et bien et s’inspirent largement du monde numérique: TAG Heuer figurait parmi les premières marques à investir ce terrain, publiant dès 2009 une application iPhone permettant de visualiser le modèle «Monaco V4» en trois dimensions. Si le graphisme paraît aujourd’hui désuet, l’idée était pionnière: permettre au consommateur d’interagir et de «jouer» de manière virtuelle avec l’objet et ses fonctionnalités. La marque Bulgari est allée plus loin techniquement: l’application «B Magsonic», créée en 2010 par Turi Cacciatore, un graphiste italien installé à Genève, se déploie en temps réel: le modèle 3D de la montre change en fonction de l’inclinaison du téléphone, de l’heure et du lieu, de manière à le rendre plus «réaliste» aux yeux de l’utilisateur.

Du shopping en jouant

Vecteur privilégié d’émotions, le jeu a toute sa place dans cette conception du marketing. Les différents types d’interactions possibles, mais aussi l’infinité des options du numérique ouvrent la voie à toutes sortes de possibilités: à chaque marque son univers, à chaque article de luxe son jeu dédié. Ainsi l’agence genevoise Digital Luxury Group (DLG) a imaginé un test en ligne pour la marque Montblanc, diffusé sur le réseau social chinois Weibo. «Nous avons

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MARKETING

Le jeu au service du luxe

joué sur les images différentes du gentleman. Les utilisateurs pouvaient trouver leur profil et le partager», explique David Sadigh, le fondateur et CEO de DLG. La plateforme véhicule instantanément non seulement l’image de la marque et le prestige qui y est associé, mais aussi celle qu’on souhaite donner de soi-même. «Le jeu permet d’entrer dans un processus ludique. En termes de marketing, c’est plus intéressant que de concevoir un type de publicité que l’on voit déjà partout», précise David Sadigh. Lorsque le jeu donne en plus l’occasion de récolter des données sur les utilisateurs, celles-ci peuvent être employées par la marque, selon la législation en vigueur, pour faire du «marketing relationnel», c’est-à-dire essayer de lui proposer les offres les plus personnalisées possibles. Car le but des applications de ce type, encore peu présentes en Suisse mais très appréciées en Asie, reste de faciliter le passage direct du jeu à l’acte d’achat en ligne. Derrière les cartes de fidélité

Une étape que certaines enseignes franchissent toutefois avec quelques hésitations. «Le gaming peut être pertinent pour une marque. Mais le propriétaire de la marque de confection Tod’s, par exemple, était intransigeant sur un point: certains produits ne resteraient accessibles qu’en magasin et ne seraient pas livrés à la maison suite à une commande en ligne.» Le jeu ne remplace pas encore la coupe de champagne et l’accueil personnalisé!

Savez-vous réellement ce que vous offrent les points de la carte de fidélité de votre grande surface favorite? Sami Coll, sociologue à l’Université de Genève, a soutenu une thèse sur le sujet. Parmi ses conclusions: les utilisateurs ne connaissent dans leur grande majorité pas les modalités de récompenses des cartes de fidélité qu’ils utilisent... Ce qui ne les empêche pas d’être «dans la course aux points» ni de se mettre en colère lorsque la caissière oublie de leur demander le précieux sésame! «Tout ce que le consommateur exige, au final, c’est qu’il n’y perde rien, explique Sami Coll. Ce «jeu», s’il ne rapporte rien financièrement, ne lui cause pas non plus de perte. Mais ce que le client oublie souvent, c’est que sa carte est un réservoir de données personnelles, qui permet à la firme de connaître en détail ses paniers d’achats, de lui adresser de la publicité ciblée, et plus globalement, de constituer des profils de consommation.»

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Lancée en 2011, la «Nanomania» était l’une des premières actions de collection du groupe Migros. Les clients recevaient un nano et une vignette à échanger pour chaque tranche d’achat de 20 francs. Véritable succès, la campagne a laissé place à de nombreuses autres, telles que la Twistymania (toupies) ou la Captormania (univers subaquatique).


MARKETING

Le jeu au service du luxe

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INDUSTRIE

Du pain et des jeux vidéo Née en même temps que la bombe atomique, l’industrie des jeux vidéo est longtemps restée très masculine. Aujourd’hui, les studios de création fleurissent dans toute la Suisse. Flashback. TEXTE | Clément Bürge et Julie Zaugg

personnes plus âgées ont commencé à s’y intéresser.» Le marché a explosé. Des milliers de jeux ont été vendus. Une véritable «guerre» faisait rage entre les constructeurs Nintendo, Sony et Sega. Puis, dans les années 2000, de nouveaux acteurs flairant le potentiel de cette industrie se sont lancés, comme Microsoft et sa Xbox.

Programmé en 1958, «Tennis for Two» est considéré comme le premier jeu vidéo du monde. Le moniteur était rond et son fond noir. Une petite balle sautait d’un côté à l’autre de l’écran. Ce jeu est l’œuvre de William Higinbotham, un physicien nucléaire du Brookhaven National Laboratory, aux Etats-Unis, également à l’origine du Projet Manhattan, qui a donné lieu à la bombe atomique. Il l’avait inventé pour amuser les visiteurs lors d’une journée portes ouvertes de son laboratoire.

Aujourd’hui, l’arrivée des smartphones, omniprésents dans nos poches, permet de toucher encore plus de personnes. «Les femmes ont aussi commencé à jouer», remarque Marc Bodmer. L’industrie a connu un boom impressionnant. Le chiffre d’affaires des jeux vidéo est passé de 4,7 milliards de dollars en 1990 à 67 milliards de dollars en 2013.

Par la suite, des jeux comme «Spacewar!» et «Pong» ont pris d’assaut les salles d’arcade dans les années 1970. Des consoles de jeu individuelles, comme l’oubliée Magnavox, sont arrivées dans les salons. Mais, dès leur naissance, les jeux vidéo n’ont jamais été pris au sérieux. «Ils étaient avant tout perçus comme un produit pour les enfants, pas comme une création artistique comme le cinéma», explique Marc Bodmer, un journaliste spécialisé en jeux vidéo, qui a réalisé un projet de recherche sur le sujet pour la Haute école des sciences appliquées de Zurich.

Cette fièvre s’est aussi emparée de la Suisse. «En 2009, le pays ne comptait que quatre studios de jeux, dont trois se trouvaient à Zurich, détaille Sylvain Gardel, responsable des programmes liés à la culture numérique chez Pro Helvetia. Il y en a aujourd’hui une cinquantaine.» Ils produisent entre 30 et 40 jeux par an. Plusieurs écoles supérieures, comme la Haute école d’art et de design HEAD à Genève, ou encore la Haute école des arts de Zurich, proposent des formations en conception de jeux vidéo. Résultat: les concepteurs helvétiques, qui devaient au-

La sortie de la PlayStation de Sony en 1994 a marqué une étape importante «Cette nouvelle console de salon permettait de créer des jeux au graphisme plus réaliste, indique l’expert. Des

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William Higinbotham (1910-1994) Ce physicien américain était chercheur au Brookhaven National Laboratory d’Upton (New York). Il a créé le premier jeu vidéo «Tennis For Two» pour les portes ouvertes de ce centre de recherche dans l’intention d’amuser les visiteurs.


INDUSTRIE

Du pain et des jeux vidéo

trefois s’exiler, à l’image de Ru Weerasuriya, l’un des développeurs de «World of Warcraft», parti vivre aux Etats-Unis, peuvent désormais exercer leur art en Suisse.

Le jeu lausannois aux 55’000 téléchargements «The Firm» se veut frénétique. Dans un décor ultra-pixelisé, le joueur incarne un trader qui doit acheter et revendre des actions. Si le trader fait des erreurs, il se fait renvoyer ou se suicide en sautant d’un immeuble. Développé par une équipe de diplômés de l’école Ceruleum à Lausanne, le jeu a été téléchargé près de 55’000 fois.

Mais malgré cette expansion perpétuelle, la réputation des jeux vidéo reste souvent négative. «La grande majorité des débats autour des jeux vidéo se concentrent autour de la violence, regrette Douglas Eric Stanley, un professeur de design algorithmique à la HEAD-Genève. On ne comprend pas quel est leur potentiel artistique ou éducatif.» La faute au milieu luimême: «L’industrie du jeu vidéo cultive cette image des joueurs blancs mâles et adolescents. Et les femmes y sont souvent représentées de façon grossière. Les concepteurs de jeux vidéo doivent sortir du ghetto dans lequel ils se sont enfermés et montrer que leurs créations sont dignes d’intérêt!»

«Des traders nous ont écrit pour nous féliciter et nous donner des conseils sur l’industrie, s’enthousiasme Gabriel Sonderegger, l’un des cinq membres de Sunnyside Games, le studio à l’origine de «The Firm». Nous voulions parler des travers provoqués par le stress et l’argent.» L’un des membres est lui-même issu de la finance: «Nous nous sommes inspirés de son expérience stressante et étouffante dans cette industrie», glisse le jeune homme de 25 ans.

Feinheit Kreativ: le studio militant zurichois «First Strike» est terrifiant. Le joueur se choisit une nation dotée de l’arme nucléaire. Le but: détruire le reste de la planète pour être le seul survivant. Mais l’objectif des cinq concepteurs de ce jeu, membres du studio Feinheit Kreativ à Zurich, n’est pas de promouvoir l’arme nucléaire. «Nous voulons que les gens se rendent compte de l’horreur de la puissance atomique», souligne le CEO Moritz Zumbühl. Détail subtil: le seul moyen de compléter le jeu est de jouer une partie sans envoyer de missiles nucléaires. «Le message est que la seule nation qui gagne vraiment doit être pacifiste», souligne-t-il. Le studio a aussi décidé de donner 20% des revenus générés grâce au jeu à des organisations qui luttent contre la prolifération nucléaire. Jusqu’à aujourd’hui, First Strike a été téléchargé près de 70’000 fois au prix d’environ 4 francs. «Nous pensons vraiment que les jeux vidéo peuvent faire passer un message profond», explique Moritz Zumbühl.

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INDUSTRIE

Du pain et des jeux vidéo

Street fighter II: The World Warrior est une référence parmi les jeux vidéo de combat. Sorti en 1991, il a renouvelé le succès des jeux d’arcade. Son adaptation pour la console Super Nintendo en 1992 s’est vendue à plus de 6,3 millions d’exemplaires.

Deux projets innovants imaginés par des étudiants issus de la HEAD - Haute école d’art et de design Genève s’inspirent des jeux vidéo: le premier (à droite), intitulé «OKO» (l’œil en russe), met au défi le joueur de reconstruire des photographies satellitaires de la NASA via un écran tactile. Il a été réalisé par Nadezda Suvorova. Le second (en bas) est un film d’animation interactif nommé «IDNA», basé sur un scénario post-apocalyptique. Il a été créé par le studio de design genevois Apelab. Celui-ci regroupe cinq designers et développeurs, pour la plupart diplômés de la HEAD.

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Le spectacle du sport électronique

détourné des canaux de publicité traditionnels comme la télévision et la presse écrite. Ces joueurs compétitifs sont d’origines diverses. «On voit des adolescents au look geek, mais il y a aussi beaucoup de gens dans la vingtaine, voire trentaine, qui ont une carrière», explique Travis Beauchamp, le réalisateur d’un documentaire sur le sujet nommé «The Smash Bros». Mais les meilleurs d’entre eux, dont Mang0 et Mew2king, ne sont pas devenus les joueurs qu’ils sont par hasard. «Il faut certes beaucoup de talent, explique Christopher Fabiszak, ancien joueur de compétition. Mais il est indispensable de s’entraîner intensivement.» Les joueurs de compétition s’entraînent au minimum une fois par jour. «Il faut aussi passer du temps, seul devant son écran, à développer de nouvelles techniques», précise Christopher Fabiszak. Un phénomène qu’il appelle le «laboratoire». Lui a, par exemple, découvert la technique du «wavedashing» dans le jeu «Super Smash Bros.», qui lui permet de faire glisser son personnage. Il s’est ensuite fixé comme objectif d’en faire 50 par jour: «Comme pour des pompes, je voulais m’habituer à la technique.»

Plus de 70 millions de personnes ont regardé d’autres gens jouer à des jeux vidéo en 2013. Une vague qui a permis l’émergence de professionnels. La petite île verte flotte dans l’air. Rondoudou, un petit animal rose en forme de boule, éclate Sheik, un ninja bleu et blanc. Rondoudou enchaîne les coups de pied. Le ninja part dans les airs. Et il explose. Le grand blond au teint blafard qui tient une manette est assommé. Le petit brun à ses côtés affiche un grand sourire. Et la foule assemblée autour des deux joueurs explose de joie. Mang0 vient de battre le fameux joueur Mew2King au jeu «Super Smash Brothers Melee» devant des milliers de spectateurs lors de la compétition de jeux vidéo «EVO 3». Dans le milieu, la rivalité entre les deux joueurs est aussi mythique que celle entre Roger Federer et Rafael Nadal au tennis.

Au fil des entraînements, le joueur professionnel développe son style. «Chaque personne joue différemment et a une signature particulière», raconte Travis Beauchamp. Mew2King a ainsi reçu le surnom de «Robot» pour sa capacité à décortiquer le jeu et le style de ses adversaires. Mang0 se fait surnommer «The Kid» pour sa manière survoltée de jouer, en improvisant.

Les premières compétitions de jeux vidéo ont vu le jour dans le courant des années 1990. Mais cela restait un phénomène isolé. Depuis la fin des années 2000, ces tournois ont explosé. Lee Jae Dong, 25 ans, est surnommé Jaedong, ou «the tyrant» (le tyran) dans le milieu des joueurs de StarCraft. Ce jeune SudCoréen est membre de l’équipe américaine Evil Geniuses.

En mars 2013, le tournoi «Intel Extreme Masters» à Katowice en Pologne a attiré 73’000 personnes. La même année, plus de 70 millions de spectateurs ont regardé d’autres personnes jouer à des jeux vidéo sur internet et dans le monde réel. Cela a même donné naissance à une génération de joueurs professionnels qui peuvent gagner des centaines de milliers de dollars par année. Joueur le mieux payé de tous les temps, le Coréen Lee Jae Dong a remporté 519’000 dollars en 52 tournois en jouant à «Starcraft». Lors d’un tournoi européen consacré au jeu «League of Legends», les prix se sont élevés à près de 2 millions de dollars. Des sommes financées par des sponsors comme l’opérateur téléphonique T-Mobile ou CocaCola, qui souhaitent toucher un public qui s’est

Pour l’audience qui suit les affrontements assis sur des gradins ou par écrans interposés sur Twitch (plateforme vidéo sur le web spécialisée dans les jeux vidéo, ndlr), ces évènements ressemblent à un match de football ou de hockey sur glace. «Vous soutenez votre joueur préféré ou votre personnage favori comme lorsqu’un supporter de sport traditionnel soutient le FC Barcelone ou Lionel Messi, explique Travis Beauchamp. Et comme lorsque vous regardez un autre sport, vous admirez les coups lancés par les joueurs et le spectacle qui se déroule sous vos yeux.»

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Du pain et des jeux vidéo

Les compétitions de jeux vidéo explosent depuis la fin des années 2000. Ici quelques images de la finale 2014 du tournoi international Intel Extreme Masters World Championship en Pologne. Plus de 650’000 personnes l’ont suivie depuis la plateforme de streaming (lecture en continu) Twitch, rachetée par Amazon l’été dernier.

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Du pain et des jeux vidéo

Lorsque le jeu vidéo entre au musée

«peints» par Raoul Pictor – dont la composition est déterminée par l’ordinateur – peuvent désormais être intégrés à des photos ou partagés sur Flickr. «Nous avons voulu jouer sur les contrastes entre virtuel et réel, entre matériel et immatériel, détaille Hervé Graumann. Il s’agissait aussi de montrer comment les ordinateurs ont remis en question la notion de l’auteur et de l’œuvre unique. Chaque pièce est désormais reproductible à l’infini. Il n’y a plus d’original, seulement des copies.»

De plus en plus d’artistes s’inspirent des jeux vidéo dans leurs créations. Et les grands classiques, comme «Tetris» ou «Mario Bros», sont désormais intégrés aux collections du Musée d’art moderne de New York. Le jeu vidéo a été coopté par l’art il y a une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’une génération d’artistes qui ont grandi avec une console entre les mains. «Le détournement joue un rôle important dans ces productions, souvent avec une portée critique ou ironique, précise Daniel Sciboz, qui coordonne l’orientation Master en Media Design à la Haute école d’art et de design HEAD-Genève. Cela renvoie à la culture du “hacking” et du partage de code “open source” en informatique. A la manière du “remix” pour le contenu, le détournement de technologies est une démarche qui stimule la créativité, que nous valorisons dans l’enseignement du game design à la HEAD.»

Plus récemment, le jeu vidéo en tant que tel a fait son entrée dans les musées. L’exposition «Game On», qui a eu lieu en 2002 au Barbican de Londres, représente la première reconnaissance institutionnelle du jeu vidéo dans le monde de l’art. En 2013, le Musée d’art moderne de New York (MoMa) a intégré 14 jeux dans sa collection permanente. «Les critères pour juger de la valeur artistique d’un jeu vidéo ne sont pas les mêmes que pour d’autres formes d’art comme le cinéma ou la littérature, explique le critique romand de jeux vidéo Sandro Dall’Aglio. La beauté des décors ou l’intérêt du récit importent moins que la mécanique du jeu et la façon dont les règles sont combinées.» Parmi les jeux sélectionnés par le MoMa figurent plusieurs classiques, qui ont inspiré la création d’un genre, comme le jeu de plateforme «Mario Bros», le célèbre jeu de puzzle «Tetris» ou encore «Space Invaders», un des premiers jeux de tir, précise-t-il.

Le Japonais Jun Fujiki a, par exemple, juxtaposé plusieurs consoles de taille et de résolution variables entre lesquelles se déplace le personnage du jeu «Super Mario Bros», dans le cadre de son projet Game Border. «Ce dispositif permet d’interroger la façon dont les nouvelles technologies redéfinissent l’art et le divertissement», note-t-il. Le collectif belgonéerlandais Jodi a pour sa part modifié deux jeux classiques, «Wolfenstein 3D» et «Quake», pour sa série «Untitled Game» en supprimant des éléments du décor, jusqu’à aboutir à un écran entièrement blanc.

La Suisse a fait partie des pays précurseurs à reconnaître la valeur artistique du jeu vidéo. «Pro Helvetia a lancé un programme de soutien en 2010 déjà», relève Sylvain Gardel, chargé des programmes liés à la culture numérique auprès de l’organisation. Doté d’un budget de 1,5 million de francs, il a été remplacé en 2013 par le programme «Mobile. In touch with digital creation», financé à hauteur de 1,8 million de francs.

En Suisse, l’artiste Hervé Graumann, qui enseigne à la HEAD, a créé une installation au début des années 1990 appelée «Raoul Pictor cherche son style», composée d’un écran où l’on voyait un peintre fictif s’affairer dans son atelier. L’œuvre a récemment été actualisée, avec la collaboration de l’artiste Matthieu Cherubini, sous forme d’application. Les tableaux

Les jeux suisses se distinguent par des visuels soignés et minimalistes, renvoyant à l’âge d’or du graphisme helvétique. En témoignent les décors en ombre chinoise du poétique Feist ou les

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formes géométriques qui s’emboîtent dans Drei du studio Etter. Diplômés du Master en Media Design de la HEAD, les Genevois de Aplelab ont été primés ce printemps à la «Game Developers Conference» de San Francisco pour «IDNA», un polar futuriste qui permet au lecteur-joueur de naviguer dans le décor et dans l’histoire au moyen de sa tablette.

Le jeu vidéo est encore sous-représenté dans les foires d’art contemporain et les musées. «Il reste avant tout perçu comme un produit industriel, comme un genre populaire qui n’est pas pleinement reconnu en tant que forme d’expression artistique», fait remarquer Daniel Sciboz. Avec son éthique de création partagée et sa remise en question de l’œuvre unique, le jeu vidéo reste encore peu adapté au marché de l’art.

Mais malgré ces succès, les rapports entre art et jeux vidéo restent conflictuels. Pro Helvetia s’est heurtée à un mur d’incompréhension lorsqu’elle a décidé de soutenir ce médium en 2010. «A l’époque, on a fait le lien entre les jeux vidéo et l’addiction ou la violence», précise Sylvain Gardel.

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Le plombier Mario apparaît pour la première fois en 3D en 1997, dans le jeu Super Mario 64 (cidessus). Il a été distribué lors du lancement de la console Nintendo 64.


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«Le design des jeux vidéo est en pleine mutation»

a de détails. Un jeu doit rester clair pour permettre à ses utilisateurs de s’amuser. Comment le rôle du designer de jeux vidéo a-t-il évolué? Au début, le métier n’existait pas. Le programmeur faisait tout. Mais dès les années 1990, on a vu émerger des petites équipes intégrant des spécialistes de l’interface de jeu et des illustrateurs. Aujourd’hui, on voit parfois plus de 500 personnes travailler sur la réalisation d’un jeu vidéo. Et chacun est très spécialisé: la personne chargée de dessiner les personnages ne va peutêtre jamais toucher à un ordinateur. En parallèle, certains petits studios indépendants reviennent aux sources, avec des gens qui font tout, du design à la programmation. Comment les designers se sont-ils adaptés aux tablettes et smartphones? L’industrie a subitement dû s’habituer à créer des jeux vidéo sans clavier, ni souris, ni manettes. Certains concepteurs ont essayé de recréer des espèces de manettes sur les écrans. Mais cela ne marchait pas. Il a fallu inventer de nouvelles manières de jouer: «Angry Birds» oblige le joueur à se servir de ses doigts. Il a aussi fallu simplifier les jeux. Un novice doit pouvoir comprendre en un instant comment le jeu se joue. «Candy Crush» le fait très bien.

Chargé de cours en interaction design à l’ECAL et chroniqueur pour la RTS, Lionel Tardy parle de l’évolution du graphisme des jeux vidéo (découvrez son visage actuel en p. 62). Qu’est-ce qu’un design de jeu vidéo réussi? A l’origine, comme les concepteurs de jeux vidéo n’avaient à disposition que quelques pixels et couleurs, leurs choix étaient très limités. Le design s’est vraiment développé à la fin des années 1990 avec la montée en puissance des ordinateurs et la sortie de consoles comme la PlayStation de Sony. A partir de ce moment, un graphisme réussi était celui qui ressemblait le plus à la réalité. Dès qu’une nouvelle carte graphique arrivait sur le marché, tout le monde essayait de créer des jeux encore plus réalistes.

Tchagata: dans l’univers des samouraïs Un ascète au long nez évolue dans un paysage de montagnes et de forêts japonisantes, tuant au passage des monstres mythologiques. «Nandeyanen!?» est la dernière création de Tchagata, un collectif lausannois de passionnés de jeux vidéo. «Nous sommes tous autodidactes, personne n’a de formation en informatique ou en graphisme», relève David Javet, l’un de ses quatre membres. «Nandeyanen!?» a été inspiré par la passion des coéquipiers pour le Japon. «Nous avons voulu rendre hommage à certains jeux japonais, comme la série «Goemon», «Okami», «Asura’s Wrath» et «Super Long Nose Goblin», un jeu obscur sorti en 1991.» Résultat: un opus de shoot’em up pour Xbox 360, «un genre exigeant apprécié par un public restreint de fidèles».

Le photoréalisme est-il encore la clé d’un bon jeu vidéo? Depuis 2010, l’arrivée de concepteurs de jeux vidéo indépendants a fait exploser le nombre de genres. Certains designers vont choisir de créer des jeux avec de gros pixels. D’autres vont imaginer des jeux avec un aspect enfantin ou cartoon. Et certains jeux sont devenus si photoréalistes qu’ils sont injouables, tellement il y

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Le jeu, nouveau Graal des neurosciences

seignement fondé sur le jeu vidéo. Les élèves de l’institut «Quest to Learn» sont encouragés à résoudre des problèmes, plutôt qu’à livrer des réponses apprises par cœur. «Dans ce genre d’environnement immersif, le joueur se construit un modèle imaginaire de la matière à apprendre, ce qui lui permet de l’internaliser, relève Tomas Rawlings, un concepteur de jeux sérieux pour le studio britannique Auroch Digital. Au lieu de simplement écouter ce qu’on lui dit, il le vit.»

Les jeux vidéo permettent d’améliorer la plasticité cérébrale et la vision. Ils peuvent aussi servir d’outils éducatifs, comme le montre l’expérience d’une école new-yorkaise. La chercheuse Daphné Bavelier travaillait sur la plasticité cérébrale chez les sourds lorsqu’elle a fait une découverte pour le moins étonnante. «L’un de ses assistants, chargé de tester les outils utilisés pour cette expérience, réalisait systématiquement des performances supérieures à la moyenne, raconte Benoit Bediou, membre du laboratoire de neurosciences qu’elle a créé en 2011 à l’Université de Genève. Or, il s’agissait d’un grand amateur de jeux vidéo d’action.» La Française, basée à l’époque aux Etats-Unis, a alors décidé de comparer une cohorte de nonjoueurs avec des personnes passant plus de cinq heures par semaines à jouer à des jeux de tir en vue subjective.

Le Britannique a développé plusieurs jeux fondés sur des évènements tirés de l’actualité, comme la guerre en Syrie («Endgame: Syria») ou le trafic de drogue («Narcoguerra»), dans un but éducatif. «En tant que forme de narration non linéaire, le jeu vidéo permet de tester différentes issues et donc d’améliorer la compréhension de ces enjeux dans toute leur complexité. Dans «Endgame: Syria», le joueur a le choix entre diverses stratégies, comme enrôler des islamistes radicaux. Il se rend alors compte qu’il a certes gagné la guerre mais qu’il a aussi déclenché un conflit plus large.»

«Les membres de la seconde catégorie avaient une meilleure vision, notamment en matière de sensibilité aux contrastes, et une meilleure capacité attentionnelle en périphérie. Ils étaient également plus doués pour s’adapter à des contextes changeants, arrivaient à prendre des décisions plus rapidement et parvenaient mieux à focaliser leur attention sur plusieurs choses à la fois», détaille le chercheur. Des caractéristiques qui reflètent les objectifs de ce genre de jeux (repérer et tuer les ennemis qui se trouvent à la périphérie de l’écran, découvrir et s’emparer d’armes).

Marion Bareil: entre réel et virtuel Marion Bareil aime tous les jeux. «Ceux de cartes, de société ou vidéo, détaille cette Parisienne de 26 ans installée à Genève. J’aime mélanger et intégrer ces divers supports.» Ce fil rouge a amené la jeune femme, fraîchement diplômée de la Haute école d’art et de design Genève (HEAD), à développer plusieurs jeux à l’intersection des mondes physique et numérique. «Onirigami» permet à deux joueurs munis de figurines en plastique de résoudre des énigmes et de voyager dans un paysage virtuel grâce à une tablette qui reconnaît les pièces lorsqu’on les pose dessus. «Intraland» met en scène une dictature imaginaire que le héros du jeu doit renverser grâce à un manuel papier contenant des instructions à l’encre ultra-violette. «Je me sers des nouvelles technologies pour proposer une expérience de jeu novatrice, tout en conservant la convivialité du jeu de plateau», note-t-elle. Car le but est de jouer en groupe. «Master Chef», une autre de ses créations, désigne un chef de cuisine qui dirige des commis recevant des instructions via smartphone.

Le jeu vidéo peut aussi servir d’outil éducatif. «Il aide à traiter l’information plus rapidement et accélère la rapidité de la lecture, notamment chez les enfants dyslexiques», relève Benoît Bediou. Les militaires et les médecins s’en servent également pour apprendre à mieux gérer leur stress et améliorer leurs performances sur des tâches nécessitant une grande précision. A New York, une école qui a récemment vu le jour dans le quartier de Chelsea propose un en-

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INDUSTRIE

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Cory Arcangel, le détourneur de consoles

de l’écran semble à la fois se dissoudre et se refléter dans une flaque d’eau mouvante. Un effet généré par le programme «lake» de Java (un morceau de code). La dernière exposition de l’artiste américain Cory Arcangel se veut une réflexion sur l’obsolescence technologique, symbolisée par cet effet graphique utilisé par les sites internet de la fin des années 1990.

L’artiste américain s’amuse à hacker des jeux vidéo pour les réduire à leur portion congrue. Une façon d’interroger, avec le sourire, notre rapport aux nouvelles technologies.

Cette thématique traverse l’ensemble de l’œuvre de cet artiste de 36 ans originaire de Buffalo. Désormais installé à Brooklyn, ce grand blond aux airs de surfeur dépareillé s’est spécialisé dans le détournement de jeux vidéo. En 2002, il a hacké le jeu «Super Mario Bros» pour qu’il n’en reste plus que les nuages blancs sur fond bleu. Cory Arcangel, qui a une formation en guitare classique et a publié un album d’électro à base de sons de jeux vidéo, a également modifié le fameux «Space Invaders» et un jeu de voitures, pour ne conserver qu’un unique envahisseur extraterrestre ou le décor de la course automobile.

Un grand tapis rouge parsemé de cordons électriques noirs recouvre le sol de la Team Gallery, au cœur du quartier new-yorkais de Soho. Au mur, des téléviseurs émettent des images issues de la pop culture: la couverture de la biographie de Hillary Clinton, une basket blanche, le rappeur P. Diddy qui descend d’un avion. Le bas

«En se réappropriant les médias existants, il mène une réflexion sur le développement des technologies digitales et leur usage dans la société actuelle», relève Raphael Gygax, curateur au musée Migros de Zurich, qui lui a consacré une exposition en 2005. Plus récemment, l’artiste qui vient de sortir une ligne de vêtements confortables destinés aux surfeurs du web a modifié une série de jeux de bowling pour que la boule tombe systématiquement dans la gouttière. «Cela rend cette pièce ridicule, mais aussi un peu triste et oppressante, dit Cory Arcangel dans le «New York Times». L’échec répété semble drôle au début, puis cela change.» Pour Daniel Sciboz, de la Haute école d’art et de design HEAD-Genève, Cory Arcangel est un héritier direct d’Andy Warhol. «C’est un artiste de pop art à part entière. Il valorise l’esthétique industrielle en s’appropriant ses objets les plus iconiques, qui ne sont plus les boîtes de soupe Campbell’s mais les jeux vidéo de Nintendo.» Son dernier projet reflète cette filiation: il est parti à la recherche des dessins réalisés par Andy Warhol sur un ordinateur Amiga juste avant sa mort, puis les a reprogrammés pour qu’ils s’affichent sur un ordinateur moderne.

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PORTRAITS

Un rapport individualisé au jeu Qu’ils soient trader, ludothécaire, metteur en scène, juge de paix, ou passionné de «Warhammer», ils consacrent une part importante de leur vie au jeu. Portraits. TEXTE | Camille Andres et Camille Guignet PHOTOS | Hervé Hannen

Vincent Bonnet, 42 ans, passionné de «Warhammer» «Je possède plus d’un millier de figurines» «J’ai découvert «Warhammer» vers 18 ans, grâce à des amis de l’université. Je n’ai pas cessé d’y jouer depuis. C’est un moyen pour moi de passer un bon moment avec mes amis.» Créé en 1983, «Warhammer» est un jeu de stratégie avec des figurines pour joueurs de tout âge. «La plupart attrapent le virus vers 12 ou 13 ans. Mais il faut disposer d’un certain pouvoir d’achat pour devenir bon.» Avant de pouvoir affronter un autre joueur, on doit en effet d’abord constituer son armée de figurines. «Chacune d’elles coûte environ 35 francs et il en faut 40 au minimum.» Orques, elfes ou gobelins doivent ensuite être peints à la main. «Il faut compter une dizaine d’heures par pièce. C’est long mais cela fait partie des plaisirs de ce hobby.» Les joueurs créent aussi les décors de leurs batailles, afin de mieux se plonger dans l’univers fantastique de «Warhammer» ou sa variante futuriste, «Warhammer 40’000». L’appartement de Vincent Bonnet trahit sa passion pour le jeu: «Je joue depuis une vingtaine d’années et je conserve toutes mes figurines. Je dois en avoir plus d’un millier. Elles occupent deux armoires de mon appartement.» Un chiffre impressionnant qui ne fait pas pour autant de lui un cas spécial: «Après vingt ans de jeu, n’importe quel joueur de «Warhammer» en possède autant.» Père d’un enfant de 9 ans, Vincent Bonnet avoue consacrer en ce moment la majeure partie de son temps libre à un autre jeu de figurines: «Blood Bowl», version «warhammeresque» du football américain. «Mon goût du jeu me prend du temps, mais je suis à des années-lumière de l’addiction!»

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PORTRAITS

John Plassard, 44 ans, vice-président chez Mirabaud Securities «Les traders prennent beaucoup moins de risques qu’il y a une quinzaine d’années» «Dans le domaine bancaire, j’associe le jeu au risque, mais cette notion n’a plus la même importance dans le métier de broker depuis la fin des années 1990.» Pour John Plassard, vice-président chez Mirabaud Securities, le stéréotype du trader évoluant dans un univers d’excès en tout genre – à l’image du flamboyant Jordan Belfort du film «Le Loup de

Rapport individualisé au jeu

Wall Street» – est dépassé. «Il y a deux décennies, n’importe qui pouvait encore investir son argent en Bourse et profiter d’effets de leviers faramineux.» Internet et l’ouverture de banques en ligne ont favorisé ce type de pratique. «A l’époque, on pouvait investir 10’000 francs et en retirer 100’000.» Mais en 2002, après l’explosion de la bulle internet, les activités de courtage ont chuté de manière drastique. De nombreuses barrières se sont élevées pour éviter la spéculation. «Les conditions pour ouvrir un compte auprès d’une banque en ligne sont devenues beaucoup plus strictes. De nombreuses mesures ont été prises

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pour contrôler la légalité des actions bancaires. L’aléa moral, enfin, a fait naître une certaine conscience du danger et donc une forme de méfiance de la part du public.» Autant de conditions qui ont drastiquement limité la prise de risque dans le quotidien des traders. «On trouve aujourd’hui par exemple beaucoup moins de «proprietary traders», ces purs spéculateurs à qui les banques allouaient autrefois beaucoup de liberté pour investir.» Une évolution qui permettra peut-être de prévenir certaines dérives: «Un ami cher s’est suicidé après avoir perdu une grosse somme d’argent en Bourse. C’est un milieu dans lequel on a vite fait de perdre ses repères.»


PORTRAITS

Rapport individualisé au jeu

Alexandre Païta, 58 ans, fondateur du «Studio Théâtre» à Genève «Je ne joue pas Hamlet, je suis Hamlet» Voilà des années qu’Alexandre Païta explore le jeu d’acteur pour en atteindre la quintessence. Il a étudié la méthode Stanislavski aux Etats-Unis, travaillé au sein d’une compagnie shakespearienne à Londres et enchaîné les collaborations prestigieuses avant de fonder en 2008 à Genève sa propre école, «Le Studio Théâtre», dont est issue «La Compagnie Alexandre Païta». Il cherche à tout prix à obtenir de l’authenticité de la part de ses acteurs, fuyant les automatismes. Pour y parvenir, il part de l’instant, de la sensibilité des artistes. «Je peux donner des indications, mais un acteur doit avant tout s’inspirer de l’atmosphère de la salle, le jeu est un partage émotionnel avec le public.» Pour Alexandre Païta, le jeu d’acteur s’élabore à partir d’une «pâte humaine», qui allie ressenti et caractéristiques du personnage, un mélange qu’il faut sans cesse travailler, sculpter. «Je ne joue pas Hamlet, je suis Hamlet, sinon ça n’a aucun intérêt.» Ce processus complexe suppose une connaissance extralucide de l’humain, que le metteur en scène genevois a développée avec le temps. «Dans la rue, au restaurant, au bar, je m’inspire des gens, c’est essentiel de comprendre, mais comprendre avec le cœur, pourquoi une personne a lancé ce regard, cette tonalité de voix, cette attitude...» S’il aime ressentir ce qu’un acteur éprouve pour le diriger, il sait aussi inverser les rôles: en novembre dernier, il a joué Richard III sous la direction du metteur en scène français Jean-Pierre Raffaëlli.

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PORTRAITS

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Soraya Tchamkerten, 34 ans, juge de paix du district de Lausanne «Les accros au jeu ne représentent qu’une minorité des personnes sous curatelle» Des jeux d’argent et autres virées régulières au casino, Soraya Tchamkerten ne connaît que les plus sombres conséquences. La jeune femme travaille comme juge de paix du district de Lausanne. «Mon rôle, en tant que présidente de l’autorité de protection de l’adulte, consiste à éviter que les personnes ne mettent en péril leur situation financière. Pour cela, je mène une enquête afin que les mesures appropriées soient prises pour les protéger d’eux-mêmes, le cas échéant en restreignant l’accès à leurs biens voire en les privant de l’exercice de leurs droits civils, dans les cas extrêmes. La gestion de leurs finances est alors confiée à un curateur qui paie leurs factures courantes, établit un budget et leur alloue de l’argent de poche.» Seule une minorité des

Josette Chabloz de la Ribaupierre, 65 ans, ludothécaire à Montreux «Jouer apprend à dialoguer» A Montreux, elle est depuis plus de quinze ans une des fidèles de la «Ludo», où, du sol au plafond, s’empilent des dizaines de jeux de société que les enfants viennent emprunter pour 1 franc ou 2. Josette Chabloz a une passion pour les jeux depuis l’enfance. «J’ai beaucoup joué à l’école, avec mes parents, mais aussi avec mes propres enfants: billes, charret, bataille, Rubik’s cube, dames... ou batailles navales qui pouvaient durer des heures!» se remémore-telle, les yeux pétillants. Pour elle, le jeu est inséparable de toute réunion de famille, amicale, ou entre voisins et les jeux riment avec fous rires et longues soirées. «Le jeu est un support pour parler de plein de choses, c’est un lien social.» Une passion qu’elle souhaite aujourd’hui transmettre aux plus jeunes. «Jouer c’est communiquer, apprendre à se connaître, à dialoguer, négocier, même entre voisins. Par les jeux, on apprend à composer avec son prochain, en fonction des règles en place, alors qu’avec les outils de communication en ligne, on peut couper à tout moment...» Si les enfants qui fréquentent aujourd’hui la ludothèque ont tendance à garder les yeux rivés sur leurs écrans, Josette Chabloz et son équipe savent les en détacher, et convaincre les mamans d’essayer autre chose. «Nous louons aujourd’hui aussi des costumes, ce que les jeunes adorent, et des grands jeux en bois.» Billard hollandais, palet, hockey sur air ou passe-trappe font fureur chez les moins de 10 ans et sont régulièrement utilisés lors de manifestations locales.

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personnes entendues présente une dépendance au jeu (le plus souvent aux machines à sous ou aux cartes à gratter), la majorité des adultes dont la situation est signalée à la Justice de paix étant des personnes âgées ou souffrant de troubles psychiques. Dans le cas de dépendance au jeu, la curatelle agit comme une sorte de garde-fou: «Les gens ne sont plus en mesure de dépenser leur argent de manière inconsidérée, lorsqu’ils s’en voient restreindre l’accès.» Cette mesure, menée en parallèle d’un suivi thérapeutique, semble apporter de bons résultats: «Les accros au jeu se sentent généralement soulagés. C’est d’autant plus le cas s’ils ont fait appel à la Justice de paix volontairement. En cas d’évolution favorable de la situation, les mesures peuvent être levées.» Soraya Tchamkerten apprécie le côté humain de son métier. «Cette fonction me plaît, car elle me permet d’être à l’écoute des besoins de personnes en difficulté et de mettre en place des mesures apportant une aide concrète.»


DESIGN

Le design de jouet: un passionnant casse-tête Certains en ont fait leur métier. D’autres une aventure unique. Pour tous, concevoir de beaux jouets se révèle aussi important que difficile. Portrait de designers. TEXTE | Mireille Descombes

Plaire à tout le monde! Séduire les adultes autant que les enfants, se montrer innovant, mais rester attentif aux phases de développement des petits, et cela en évitant tout risque ou danger potentiel pour les usagers: telle est la difficile mission du designer de jouets. Un casse-tête, mais un casse-tête stimulant auquel se sont confrontés, en 2013, les étudiants en première année de l’ECAL (lire l’encadré). Et avant eux bien des designers.

trajectoire plus généraliste. Il existe cependant aussi des designers qui ont fait du jouet leur métier. C’est le cas de l’Allemand Heiko Hillig qui travaille pour l’entreprise suisse Naef Spiele depuis plus de quinze ans. «Je viens d’une région où l’on fait beaucoup de jouets, nous explique-t-il dans son bureau de Zofingue. Très jeune, plutôt que de jouer au foot, je m’exerçais à travailler le bois. J’ai ensuite étudié à la Burg Giebichenstein Kunsthochschule Halle qui offre une formation dans ce domaine. A l’époque déjà, je rêvais de collaborer un jour avec l’entreprise fondée par Kurt Naef. Pour mon plus grand plaisir, ce rêve est devenu rapidement réalité.»

Dans les années 1950, par exemple, l’Italien Enzo Mari dessine ses «Seize animaux» en bois dont les silhouettes aux courbes douces s’imbriquent en un puzzle élégant. Son compatriote Bruno Munari crée lui aussi des jeux éducatifs pleins d’humour et de sensibilité ainsi que de magnifiques livres pour enfants pensés comme des objets. Quelques années plus tôt, Charles et Ray Eames avaient imaginé pour leur fille un gros éléphant en contreplaqué, un jouet édité en 2007 par Vitra. Même Philippe Starck, le grand touche-à-tout du design français, s’est essayé au jouet. Le plus connu reste son fameux «Teddy Bear Band» (1998), une peluche à quatre têtes, ours, lapin, chien et chameau. Tout un programme pour un doudou censé parler d’amour et d’attachement.

Heiko Hillig a depuis signé une série de jouets pour les tout-petits et les plus grands. Un hochet qui se prend pour un chat, un jeu de plots cylindriques, un autre jeu en forme d’arc en ciel, des mosaïques composées de cubes chatoyants. Ces jouets reprennent, en la développant, l’esthétique et la philosophie de Naef: l’utilisation d’un bois de qualité, la simplicité des formes souvent géométriques, des couleurs pimpantes, le souci de laisser une large place à l’imagination. Le plus difficile? «C’est parfois d’adapter pour la production certaines inventions géniales sur le plan géométrique mais très compliquées à fabriquer en série.»

Dans tous ces cas, ce regard vers l’enfance apparaît comme un heureux accident dans une

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DESIGN

La conception de jouets

Enzo Mari est un architecte, designer et illustrateur italien né à Novare (Italie) en 1932. Sa création «Seize animaux» (1957) est à la fois un puzzle et un jeu de construction fabriqué dans un bloc de bois.

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DESIGN

La conception de jouets

Le bois toujours populaire

Obsession pédagogique

Derrière cette perception exigeante du jouet se trouve un homme, connu dans le monde entier: Kurt Naef (1926-2006). Architecte d’intérieur, il crée en 1954 à Bâle une entreprise spécialisée dans les meubles et la décoration. Rapidement toutefois, à la demande de clients qui recherchent des jouets plus raffinés que le tout-venant, il commence à créer lui-même des hochets, des jeux et notamment une fameuse brique basée sur la forme d’un cube incisé en diagonale. La firme grandit, rencontre un énorme succès au Japon, s’adjoint la collaboration de prestigieux designers (Peer Clahsen, Jo Niemeyer, Yasauo Aizawa ou Werner Panton) et acquiert les droits de reproduction de plusieurs jouets du Bauhaus. En 1988, elle est vendue, mais traverse une grave crise dans les années 2000 et se voit menacée de faillite. Elle est alors rachetée par un groupe d’investisseurs mené par Kurt Naef. Le début d’une nouvelle vie.

Des modes, des tendances au royaume du jouet? «Peut-être la volonté de préférer un design relativement atemporel et de proposer des histoires qui peuvent vivre dans la durée», suggère Karine Breuil, gérante de l’agence lyonnaise Sensokid, spécialisée dans l’univers de l’enfant. Avec le renchérissement des matières plastiques, on voit aussi souvent moins grand. Les «beaux jouets» sont souvent très coûteux. A qui s’adressent-ils vraiment? Aux parents, aux collectionneurs? «Ce qui est cher, c’est ce qui est mal fait, et qui donc se détruit très vite», corrige Samuel Saffore, marchand de jouets à la rue de la Mercerie à Lausanne. Le spécialiste pose un regard plutôt critique sur la production actuelle: «L’élégance esthétique souvent prime. On n’est plus dans une préoccupation de l’enfant. Angoissés, les parents sont soucieux de former, d’éduquer à tout prix. Il arrive ainsi qu’on me demande un jouet éducatif pour un bébé de 6 mois! Les designers profitent de cette inquiétude pour proposer des objets souvent inadaptés. Et qui de plus ne sont souvent que des réinterprétations des grands classiques.»

Au panthéon des plus beaux jouets en bois figurent également les circuits à billes «Cuboro», une autre création helvétique. Matthias Etter a développé ce projet dans les années 1970 dans le cadre de son travail avec des élèves de l’enseignement spécialisé. La première version a été commercialisée en 1985. Il s’agit d’un jeu d’apprentissage basé sur des cubes creusés de rigoles et de tunnels. Ses particularités: «La simplicité, la compatibilité, l’équilibre géométrique et la faisabilité technique.» Le système compte aujourd’hui une centaine d’éléments différents et séduit même les adultes dont certains sont devenus des fans.

Dessine-moi un jouet! En 2013, Luc Bergeron a demandé à ses étudiants de première année à l’ECAL de développer un jouet en faisant appel à des techniques de fabrication artisanales ou semiartisanales. Mission: apporter une véritable innovation que ce soit au niveau du type de jouet, de l’esthétique ou de la fabrication. «Les défis rencontrés étaient souvent des questions d’échelles. Au départ, dans la profession, on n’a pas forcément le compas dans l’œil! C’est une chose qui s’acquiert avec la pratique.» Une étudiante a imaginé des objets en liège pour développer l’habileté, un autre a dessiné des petits animaux marins en polypropylène à monter soi-même, une troisième a adapté le système des guirlandes en papier pour créer des déguisements. Le projet «jeux et jouets» est à retrouver sur le site de l’ECAL.

Qu’il s’inscrive dans la grande tradition géométrique ou dans une veine plus naïve, le jouet en bois a toujours la cote parmi les créateurs helvétiques en ce début de XXIe siècle. Avec des exceptions notables comme le fameux «Bilibo» en plastique de Moluk, label créé en 2011 par Alex Hochstrasser (lire l’encadré). Sur un plan plus général, les spécialistes citent volontiers les petites voitures en profilé métallique du Hollandais Floris Hovers et les créations pleines d’imagination de l’Espagnol Héctor Serrano, deux designers qui ont donné des workshops à l’ECAL.

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Moluk et le plastique fantastique Une marque de jouets zurichoise crée de purs objets, car en apparence indéfinissables, mais qui seront aussi à l’aise à côté de vos chaises Eames qu’entre les mains et le cerveau hyper-éveillé de votre enfant turbulent. Dans une famille, la préférence du papa va souvent au petit dernier. Alex Hochstrasser reconnaît son faible pour «Oogi», nouveau produit de la marque de jouets zurichoise Moluk sorti en 2014. Avec ce petit personnage en silicone monochrome rouge ou bleu, les pulsions sadiques de l’enfant peuvent s’exprimer dans toute leur inventivité. Il peut l’accrocher méthodiquement dans les positions les plus tortueuses ou le catapulter brutalement contre une paroi sans conséquence malheureuse. Car «Oogi» est ultra-extensible et les extrémités évasées de ses membres sont équipées de ventouses à forte succion qui lui permettent de se cramponner à toute surface lisse comme un petit gecko. Comme souvent avec le design de qualité, «Oogi» apparaît comme une évidence, un jouet intemporel. On est pourtant bien en peine de trouver des ancêtres à ce futur classique. Les enfants des années 1980 penseront éventuellement aux mains collantes, qui partageaient élasticité et adhérence avec la création de Moluk. Mais ces dernières avaient le défaut d’amalgamer les poils du matou pour se transformer en un maelström dégoûtant qui finissait vite dans le bac du non-recyclable. Mélange d’abstraction et de figuration, jouet de caractère et surface de projection, «Oogi» synthétise parfaitement les recherches en esthétique, tactilité et jouabilité d’Alex Hochstrasser avec Moluk. Créée en 2011, la société n’occupe que ses fondateurs: Alex Hochstrasser et sa sœur Doris, architecte de formation, dans leur bureau-atelier des beaux quartiers zurichois. La production est, elle, sous-traitée à Shenzhen. «La qualité est excellente et d’un point de vue

La conception de jouets

logistique, cela nous coûte moins cher de produire en Chine qu’en Suisse, car nos marchés se situent en Amérique, en Europe, en Australie et au Japon», explique le designer. La marque collectionne les récompenses et les honneurs: bourses fédérales de design, «Preschool Toy of the Year» aux Etats-Unis, etc. «Bilibo», la première création d’Alex Hochstrasser était même exposée au Musée d’art moderne de New York en 2012 dans le cadre de l’exposition «Century of the child 1900-2000». Travail de diplôme d’Alex Hochstrasser à l’Ecole d’arts appliqués de Zurich en 2000, «Bilibo» a d’abord été commercialisé par la marque bâloise Active People pour qui le Zurichois a œuvré pendant dix ans comme designer. Entre la carapace de tortue, le casque de vélo ou le bidet, ce jouet n’a pas de fonctionnalité immédiate. «C’est un objet très élémentaire, presque un readymade. Son indéfinition me semble intéressante, elle laisse de la place à l’interprétation», explique Alex Hochstrasser. Selon l’imagination de l’enfant, «Bilibo» devient un siège, un récipient, un obstacle, une caisse à savon, voire un jeu de construction si on en possède plusieurs. En un peu plus de dix ans, cette coque de plastique s’est vendue en près d’un million d’exemplaires. Autre succès de la marque, le jouet de bain «Pluï», un nuage en plastique avec de petits trous qui illustre le cycle de l’eau de manière ludique. Selon Alex Hochstrasser, Moluk ne souffre d’aucune concurrence dans son segment du jouet pré-scolaire en plastique alliant design, interactivité, convertibilité. «L’univers du jouet innove peu. On adapte de vieux concepts plutôt que de lancer de nouvelles applications.» C’est de la frustration d’un parrain de trois enfants qu’est née l’idée de créer des jouets. «C’était aussi un moyen, quand j’étais à l’école de design, d’échapper au fonctionnalisme strict qu’on nous imposait à Zurich dans le domaine du design industriel, même si dans leur simplicité, les jouets Moluk témoignent de cette imprégnation.» Influencé par les mobiles d’Alexander Calder ou le travail sur la couleur de Matisse, Alex Hochstrasser tente de séduire les parents à travers un marketing viral amusant et un packaging cool, mais ne perd jamais de vue que le client final, c’est bien

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l’enfant. «Nous recevons des commentaires extrêmement positifs des gamins. Nous cherchons à créer des objets qui plaisent autant aux filles qu’aux garçons, qui peuvent être attractifs à 2, 5 ou 10 ans et qui durent plus de six mois.» Face à une telle universalité, Barbie peut se rhabiller. Par Sylvain Menétrey


MUSIQUE

Le jeu augmenté des instruments classiques Gant cinétique pour violon ou clarinette à senseurs: la technologie change la performance musicale. Explications. TEXTE | Jonas Pulver

nombreux autres systèmes obligent l’interprète à bouger d’une manière qui soit compréhensible pour la machine, ce qui peut s’avérer contradictoire avec la pratique du musicien. En ce sens, MO est une interface unique en son genre.»

D’un côté, le bois séculaire du violon, sa vénérable généalogie, son artisanat transmis de maîtres en apprentis par des lignées de luthiers. De l’autre, une interface miniaturisée baptisée «MO» (pour Musical Objects), un ensemble de capteurs et de transmetteurs dernier cri montés sur un gant, plus exactement une mitaine, portée à la main gauche par la violoniste d’origine japonaise Mari Kimura, installée à New York. Dialogue de la tradition et de la technologie: au son acoustique de l’instrument se mêlent des strates préenregistrées ou saisies «live» durant la performance, tandis que d’autres traitements impriment au rendu sonore global d’étranges effets de torsion et de spatialisation, nuées mélodiques en apesanteur et précipités de notes, diffusés par le système d’amplification.

Technologies sur scène

Offrir aux instruments traditionnels de nouvelles perspectives par le biais de la technologie, sans pour autant interférer avec des techniques de jeu dont l’acquisition nécessite des années de gammes, d’arpèges et autres exercices de coordination: voilà l’un des défis inhérents à la recherche sur les instruments augmentés. Non pas que les traitements électroniques appliqués à la flûte, au piano ou au violon soient fondamentalement nouveaux. Jusqu’à récemment, néanmoins, ils nécessitaient souvent l’intervention d’un ingénieur du son. Ici, au contraire, l’idée est d’offrir au musicien la possibilité de jouer avec ces paramètres, sur scène, de manière autonome. Ce champ d’application, en plein développement, mobilise les universités autant que les hautes écoles.

La particularité de Mari Kimura? Dans ses improvisations comme dans ses compositions, cette artiste pilote elle-même l’ensemble des paramètres électroniques à l’œuvre, par le biais de sa main gauche gantée – celle qui tient l’archet. Grâce au système «MO» développé à Paris par l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), Mari Kimura n’a pas besoin d’adapter ses gestes à l’utilisation des machines. Ce sont les machines qui s’adaptent à ses gestes.

A l’Institute for Computer Music and Sound Technology (ICST), rattaché à la Hochschule der Künste de Zurich, une équipe travaille ainsi sur «SABRe», un prototype de clarinette basse augmentée de senseurs. «Ces capteurs ne produisent pas de sons en eux-mêmes: ils fournis-

«Le dispositif traduit fidèlement les mouvements fonctionnels du corps, confie-t-elle. De

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MUSIQUE

Le jeu augmenté des instruments classiques

L’improvisation, processus de création ludique

«L’improvisation, on l’aime et on la déteste simultanément, car elle représente une certaine forme d’insécurité, relève le comédien genevois Christian Scheidt. Elle peut tout à la fois révéler les faiblesses d’un artiste ou déployer un effet galvanisant. Elle nous met en relation très forte avec le moment présent et nous permet de nous surprendre nous-même et nos partenaires.»

Les professionnels de la scène utilisent cette technique pour améliorer leur jeu. «L’improvisation est un procédé auquel on recourt en permanence, dès que l’on se lance dans un travail scénique», relève Yvane Chapuis, responsable de la recherche à la Manufacture. Partant de ce constat, plusieurs établissements de la HES-SO* ont entamé en septembre 2013 un projet commun de recherche sur l’improvisation comme processus de création.

Et il arrive aussi que l’improvisation intervienne dans un cadre non choisi, lors d’un «accident» de scène comme un oubli de texte ou une erreur dans la partition… «L’accident exige de l’artiste de trouver une solution de manière improvisée, afin d’assurer la continuité du jeu», souligne le philosophe Serge Margel, qui participe au projet. Pour Christian Scheidt, ce «sauvetage» est un acte de création pure: «Il amène de la vie sur un plateau. Se tromper peut être jouissif. L’erreur oblige l’artiste à se resituer dans le présent et casse alors les automatismes. Improviser, c’est s’autoriser l’erreur. Et c’est le b.a.-ba du jeu si l’on veut s’amuser!»

Les formes que prend l’improvisation varient fortement d’un art à l’autre et même entre différents artistes au sein d’une même discipline. «Il s’agit pour certains d’une étape, pour d’autres d’une finalité, note la professeure en anthropologie de l’image à la HEAD et dramaturge Claire de Ribaupierre (découvrez son visage actuel en p. 62). L’improvisation est un outil de travail. Elle permet une forme de liberté, la possibilité d’expérimenter, de découvrir, de déconstruire pour reconstruire.»

*La Manufacture-HETSR, la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD), la Haute école d’art et de design de Lausanne (ECAL) et la Haute école de musique de Lausanne (HEMU).

L’improvisation nécessite surtout d’intégrer la notion d’«imprévu», qui peut être effrayante pour un artiste.

Par Séverine Géroudet

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MUSIQUE

Le jeu augmenté des instruments classiques

Du reggae influencé par les musiques de jeux

sent des données qu’il est possible de traduire en applications via un logiciel», souligne Germán Toro Pérez, directeur de l’institut. Activation de réverbérations, de filtres, d’effets de loops, mais aussi interaction avec des supports visuels, par exemple des échantillons vidéo, voire pilotage de l’éclairage de la salle: les possibilités sont infinies.

Deux passionnés publient un livre sur l’étrange collision entre reggae et jeux vidéo vintage.

Collaboration entre musiciens et chercheurs

«Il s’agit maintenant d’intéresser davantage les compositeurs et les interprètes à ces outils», estime Germán Toro Pérez. Pour ce faire, la prise en main de l’instrument augmenté doit être la plus aisée possible, et permettre à l’artiste d’obtenir des résultats sans devoir intégrer une manière entièrement nouvelle de jouer. A Zurich ou à Paris, les chercheurs invitent les musiciens à collaborer activement durant la phase de mise au point: le clarinettiste Matthias Müller dans le cadre de «SABRe», ou Mari Kimura pour l’interface «MO» de l’Ircam. «J’ai découvert «MO» en 2007 alors que je siégeais dans le jury d’un concours et j’ai immédiatement voulu en savoir davantage», se souvient cette dernière. A ce moment-là, le système est encore attaché directement à l’archet. C’est Mari Kimura qui aura l’idée de le placer à même la main, par l’intermédiaire du gant. Elle se rendra par la suite à Paris pour une résidence de trois mois. «C’était un processus extrêmement collaboratif. Je leur montrais les gestes que je fais chaque jour et les ingénieurs prenaient des mesures. Depuis, la machine reconnaît mes mouvements avec une grande précision. Le taux d’erreur est quasi nul.»

Germán Toro Pérez est directeur de l’Institute for Computer Music and Sound Technology (ICST) de Zurich depuis 2007. Compositeur d’origine colombienne, il travaille surtout sur des pièces pour orchestres.

Plateforme de vente

Travailler sur la longueur, la tenue et la texture du son constitue également l’un des buts du piano à résonateur magnétique développé au Laboratoire pour les instruments augmentés de l’Université Queen Mary de Londres. «L’idée est de placer des électro-aimants sous les cordes, afin de pouvoir les maintenir en résonance, précise Andrew McPherson, directeur du laboratoire. Sur un piano traditionnel, une fois la touche pressée, le son diminue et s’éteint. Avec notre instrument, non seulement la note est maintenue tant que le doigt est enfoncé,

C’est une union improbable. Reggae et musique de jeux vidéo des années 1980 forment, de prime abord, un couple plutôt inattendu! Des timbres minimalistes de «Space Invaders», «Pacman» ou «Super Mario Bros» remixés sur des rythmes langoureux caribéens. Pas sûr que les puristes apprécient... Pourtant, la scène musicale du «reggae 8-bit» attire son lot de mélomanes. Nicolas Nova, enseignant à la Haute école d’art et de design (HEAD-Genève), consacre un livre* à cette curieuse «collision de cultures». Un assemblage syncrétique, au final très contemporain. «Ce processus de création est indicatif de la culture actuelle. Celle d’une génération élevée aux algorithmes et portée par la musique électronique. Le reggae 8-bit est un terrain d’expérimentation fascinant qui joue sur les contraintes technologiques de vieux appareils», explique le chercheur, spécialisé dans l’histoire des cultures numériques. C’est le détournement du Commodore 64, un ordinateur personnel lancé en 1982, qui permet de reproduire les tonalités des premiers jeux vidéo. Equipé du premier microprocesseur spécialisé dans la musique, l’appareil est devenu une véritable référence en matière de musique 8-bit ou «chiptune». Une technologie formidable pour l’époque mais limitée, par sa capacité mémorielle, à un faible nombre de sons. De quoi évoquer certains souvenirs d’enfance chez Etienne Mineur, designer du numérique et co-fondateur des éditions Volumiques, qui publient le livre: «Il s’agit de sons très caractéristiques des années 1980. Mais le reggae 8-bit va bien au-delà d’un simple clin d’œil à cette époque. Cette technologie a été reprise par de vrais musiciens. On n’est plus dans la musique minimaliste mais dans une vraie démarche artistique.» Par Adrià Budry Carbó

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* «8-bit Reggae. Collision and Creolization», Nicolas Nova, 2014: éditions Volumiques.


MUSIQUE

Le jeu augmenté des instruments classiques

mais on peut aussi produire des effets de vibrato, en imprimant des mouvements au niveau de la phalange.» Et si le système de contrôle intégré dans le clavier relève bien de l’électronique, le son, lui, est entièrement acoustique: ici, pas d’amplification. Tout comme ses confrères, Andrew McPherson relève à quel point la communication autour du projet et la simplicité d’usage sont vitales à son extension en dehors de l’académie. A cela s’ajoute un défi supplémentaire: certaines institutions ne sont pas habilitées à vendre directement les technologies qu’elles ont mises au point. Dans le cas du gant développé en collaboration avec l’Ircam, c’est Mari Kimura qui s’emploie actuellement à fonder une plateforme de vente. «Je ferai en sorte que l’interface soit accessible pour un prix inférieur à celui d’un ordinateur», assure-t-elle.

PERCUSSIONNISTE 2.0 Philippe Spiesser, professeur à la Haute Ecole de Musique de Genève, témoigne de sa passion pour les instruments augmentés.

Applicable à la télémédecine

«Revenir à soi, à ses premiers pas, à ses premières sensations.» Pour Philippe Spiesser, les instruments augmentés constituent une puissante source d’inspiration. Percussionniste, concertiste, ce professeur à la Haute Ecole de Musique de Genève - HEM-GE collabore à plusieurs projets de musique «2.0».

L’adoption par le monde de la scène n’est pas le seul objectif des recherches sur les instruments augmentés. A l’ICST, une équipe s’intéresse à la notion de feedback haptique, autrement dit la réponse sensorielle (et non pas seulement acoustique) des instruments traditionnels. Vibrations, résistances, frottements: autant de variables très fines, perçues au niveau du corps, et dont sont dénuées la plupart des interfaces électroniques.

Depuis 2012, il travaille notamment au développement de Feed Drum et SkinAct, deux dispositifs conçus par le compositeur italien Michelangelo Lupone. «SkinAct est composé de trois grandes peaux munies d’actuateurs qui permettent de maintenir la vibration, tout en finesse» explique-t-il. Le roulement de tambour mis à part, la percussion ne permet pas en temps normal de jouer des sons continus: avec son système de pédale, SkinAct déverrouille cette possibilité. Quant à Feed Drum, il met la peau en résonance par le biais d’un haut-parleur placé en dessous de celle-ci. L’air chassé par le speaker propage la longueur d’onde. «C’est assez impressionnant: la membrane peut vibrer avec une amplitude de 3 ou 4 cm!»

«Pour les tests, nous concevons, par exemple, des cubes munis d’actuateurs dont la surface réagit au toucher de manières diverses, à des degrés très subtiles, explique Germán Toro Pérez. Ce type de projets pourrait avoir un impact non seulement au niveau musical mais aussi sur les habilités des personnes mal voyantes ou dans le cadre de la télémédecine et des machines de traitement à distance.»

A la HEM de Genève, Philippe Spiesser planche par ailleurs sur le projet Geste Kinect et Percussion, «un cube virtuel, à l’intérieur duquel les mouvements de l’interprète vont changer les paramètres du son». L’interface sera pilotée via le fameux outil de saisie de mouvement Kinect, issu de l’univers des jeux vidéo. Avec, en ligne de mire, un jeu dont le résultat acoustique répond au seul mouvement du corps. Découvrez le visage actuel de Philippe Spiesser en p. 62.

Le spécialiste Frédéric Bevilacqua, à l’Ircam, vise également plus large que le champ purement scénique. «Nous travaillons sur de nouvelles applications, notamment dans le domaine de la rééducation, qui pourraient mettre à profit nos développements: il s’agit de transformer le mouvement en son, pour permettre au patient de mieux en prendre conscience.»

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HISTOIRE

Généalogie des manettes Le livre suisse «Joypads! Le design des manettes», publié en 2013, est sorti cet été en traduction anglaise. Passionnés par la culture du gaming, les auteurs Nicolas Nova et Laurent Bolli ont retracé l’histoire de cet objet culte. TEXTE | Jade Albasini

sécher les mains afin de lutter contre l’humidité! Mais au final, la variante classique, avec ses quelques boutons, satisfait tous les gamers.»

Graphiques, photographies détaillées ou encore arbres généalogiques montrant l’évolution des manettes de jeux vidéo: le livre de Nicolas Nova et de Laurent Bolli constitue l’un des premiers ouvrages académiques consacrés à ces curieux objets. Rédigé par un professeur de la Haute école d’art et de design Genève – HEAD et un designer industriel formé à l’ECAL/Haute école d’art et de design Lausanne, le livre revient sur l’histoire de ces «joypads» passés à travers les mains de plusieurs générations. «La forme des objets techniques doit inspirer une utilisation intuitive. C’est le cas de la manette de jeux vidéo, qui lie l’homme et la technologie. Nous avons souhaité mieux comprendre cet outil moderne. Pourquoi s’est-il standardisé depuis quinze ans? Et quelle est son ergonomie idéale?» précise Nicolas Nova, chercheur en design d’interaction.

Bien que de nouvelles interfaces gestuelles – comme la télécommande de la Wii – apparaissent, les joypads ont encore un bel avenir devant eux, estime Nicolas Nova. «Pour les jeux qui demandent une extrême précision, comme le sport ou le tir, les manettes surpassent les récentes inventions. Les deux types d’interfaces coexisteront.» Un «coussin-manette»

Le chercheur tente parallèlement de penser les formes futures de cet objet intergénérationnel. L’un de ses élèves en design, Jérémie Lasnier, a par exemple proposé une alternative originale, un coussin-manette, pour que les joueurs sortent de leur état statique en «dansant» sur leur siège. Lauréat du «Best Idea Prize 2013» lors de la «Global Entrepreneurship Week» à Genève, il a depuis commercialisé son coussin intelligent nommé «PadPad».

A leur arrivée sur le marché, les joypads variaient très fortement d’une marque à l’autre. Ce n’est que dans les années 1990 que leur configuration s’est stabilisée, jusqu’à devenir les modèles «standards» qui remplissent aujourd’hui les étagères des centres commerciaux. Même si certaines sociétés proposent des versions plus futuristes, les nuances restent aujourd’hui surtout de l’ordre de l’esthétique et du gadget. «En Corée du Sud par exemple, j’ai découvert un prototype avec un petit ventilateur intégré pour

Grâce à leur approche historique, les auteurs ont pu croiser un certain nombre de données. «A partir de notre collection chinée dans les marchés aux puces, mon collègue Laurent Bolli a dessiné chaque modèle pour mettre en avant ses détails.»

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HISTOIRE

La généalogie des manettes

Cette infographie retrace l’évolution graphique des manettes de jeux vidéo depuis 1982. Elle est présentée dans le livre «Joypads! Le design des manettes» de Nicolas Nova et Laurent Bolli.

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PORTFOLIO

Surprendre Avec ces trois objets dressés sur une table, Iris Andreadis, Nicolas Nahornyj et Jérôme Rütsche ont surpris plus d’un visiteur lors de la dernière foire du meuble de Milan. «Les gens devenaient fous, ils ne comprenaient pas comment ils tenaient en équilibre, raconte Iris Andreadis. Nous avons en fait caché un moteur avec un disque qui tourne dans le socle des pièces. C’est l’effet gyroscopique qui les fait se maintenir sur des points d’équilibre inattendus.» L’étonnement a été tel que cette réalisation intitulée «Ostinati» a rejoint l’une des collections du Victoria and Albert Museum de Londres. Un événement qu’Alain Bellet, enseignant à l’ECAL, décrit comme très rare. «C’est sans doute l’une des premières fois que l’on achète un projet réalisé par des étudiants. Il va être conservé comme les autres objets d’arts de la collection du musée.»

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SANTÉ

«Gambling Disorder»: addiction sans substance Jadis considéré comme un péché, le jeu excessif est aujourd’hui défini comme une addiction. Et comme un marché potentiel. TEXTE | Catherine Riva

L’écrivain russe Fédor Dostoïevski a probablement été le premier à placer un esclave des jeux de hasard et d’argent au centre d’un récit romanesque. Le caractère largement autobiographique de son roman «Le Joueur», paru en 1866, explique sans doute l’extraordinaire précision avec laquelle il décrit les affres et l’aliénation de son héros, Alexeï Ivanovitch.

qui joue à des jeux d’argent de manière compulsive et qui persiste à jouer en dépit des conséquences négatives que cela engendre», explique Alexander Tomei, psychologue et responsable de recherche au CJE. Cette perte de contrôle est souvent couplée à la conviction d’être plus fort que le hasard et capable de «battre le système». Les conséquences négatives sont nombreuses et génératrices de souffrances – anxiété, dépression, conflits, rupture, endettement, perte d’emploi… «Le problème peut rester longtemps silencieux, car il se dissimule très bien», souligne Alexander Tomei. De fait, le jeu excessif affecte aussi l’entourage du joueur. Les spécialistes estiment que chaque cas a des répercussions pour huit à dix personnes. Selon un rapport de l’Université de Neuchâtel, en Suisse, les coûts liés au jeu excessif s’élèvent entre 550 et 648 millions de francs par année.

«Le Joueur» est aussi exemplaire d’une époque où les jeux d’argent passent du statut de «péché» et d’«activité déviante» menaçant l’ordre moral et l’effort, à celui de «pathologie», que l’on commence à décrire en termes médicaux. Ainsi, le roman met en scène des protagonistes qui se disputent sur le rapport moral à la richesse et au gain facile, tout en offrant un tableau clinique des symptômes du joueur. L’ouvrage de Dostoïevski figure parmi ceux dont le Centre du jeu excessif (CJE) recommande la lecture pour comprendre le «démon du jeu». Ce centre universitaire spécialisé dans le domaine de la dépendance aux jeux de hasard et d’argent a été fondé en 2001 et est rattaché au Service de psychiatrie communautaire du Département de psychiatrie du CHUV. Il poursuit quatre missions: prévention, traitement, formation et recherche. L’existence même d’une institution de ce genre signale sans ambages qu’aujourd’hui le «démon» est définitivement entré au panthéon des maladies. Mais au fait, qu’entend-on par «jeu excessif»? «On parle de jeu excessif dans le cas d’une personne

En 1980, le «jeu pathologique» entre officiellement dans le DSM (Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie) en tant que trouble psychiatrique. D’abord classé parmi les «troubles compulsifs», il est passé avec le DSM-5, paru en 2013, dans la catégorie des addictions («Substance-Related and Addictive Disorders») avec trois niveaux de gravité, sous l’appellation «Gambling Disorder». Une addiction qui a la particularité d’être… sans substance.

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SANTÉ

Gambling Disorder: addiction sans substance

comportements à risque. C’est sur eux que nous ciblons nos activités de prévention.»

Selon Coralie Zumwald, psychologue au CJE, cette inclusion «résulte de nombreux travaux qui ont mis en évidence les points communs entre le jeu excessif et les troubles liés aux substances».

«Un tiers environ des personnes concernées s’en sortent seules et sont considérées comme en rémission spontanée, poursuit le chercheur, moins de 10% des gens souffrant d’addiction aux jeux d’argent cherchent de l’aide. Et en moyenne, il faut cinq à six ans pour qu’une personne décide de consulter.» Quant à la question de savoir comment ou pourquoi on devient la proie du jeu excessif, les spécialistes s’accordent à considérer le problème comme multifactoriel. Ses causes seraient donc à la fois biologiques, psychologiques et sociales.

La prévalence du «Gambling Disorder» serait comparable à celle de la schizophrénie – entre 0,4 et 3% de la population adulte. «En Suisse, la prévalence du jeu excessif représente environ 1% de la population adulte, avec à peu près trois quarts d’hommes pour un quart de femmes, précise Alexander Tomei. Les jeunes hommes de 18-25 ans sont particulièrement touchés par le jeu excessif, en raison, entre autres, d’une plus grande tendance à adopter des

psychiatrique, à la demande de sa famille, n’a pas modifié sa décision. Gagner à la loterie peut engendrer des vocations de philanthrope. Grâce au talent de Grégoire Delacourt, les lecteurs de «La liste de mes envies» (JC Lattès, 2012), entrent dans la peau de Jocelyne, une modeste mercière qui gagne l’Euro Millions. Rapidement, elle réalise que ce qui lui arrive est terrifiant et ne permettra pas de concrétiser ses rêves. Ressusciter sa mère par exemple. Puis, lors de la remise du chèque, elle rencontre la psychologue de service. «Je ne savais pas qu’avoir 18 millions était une maladie», se dit-elle alors.

Ces malheureux gagnants Qui ne rêverait de toucher le jackpot à l’Euro Millions? La réalité des vainqueurs est cependant moins idyllique qu’on ne l’imagine.

«Le Jackpot du siècle de Swiss Loto fait un heureux gagnant», titrait la presse cet été. Ce jackpot a incontestablement fait un millionnaire. Affirmer que du bonheur s’ensuivra est, en revanche, une déduction purement gratuite. Divorcer, perdre ses amis, être vu avec les yeux de Picsou, ne plus dormir, tomber malade: c’est là ce qui guette les gagnants des loteries.

En suivant le parcours d’une trentaine de nouveaux millionnaires, les sociologues Monique et Michel Pinçon, auteurs de «Les millionnaires de la chance. Rêve et réalité.», (Payot, 2010), découvrent des destins aux écueils semblables à ceux rencontrés par la mercière. Malgré les conseils soigneusement prodigués lors de la remise des chèques – prenez le temps de réfléchir, restez discret, gardez les pieds sur terre, mettez des priorités – l’accès brutal à la richesse est un bouleversement

La peur d’affronter pareilles infortunes pousse certains à ne pas retirer leur gain alors que d’autres, tels les pêcheurs qui remettent leur truite à l’eau, s’en délestent aussitôt. Ainsi les 28 millions d’euros reversés à des œuvres de charité par Tom Crist, un habitant de Calgary ou Margaret Loughrey, cette chômeuse qui a empoché 34 millions d’euros, qu’elle a décidé de consacrer aux pauvres et à la rénovation de sa ville d’Irlande du Nord. Un bref séjour en hôpital

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existentiel qui fait perdre la tête à bon nombre de «chanceux». «Il n’y a qu’ici que je peux dire que je suis triste de tout ce que j’ai perdu en gagnant, avoue un participant à un groupe de parole de l’entreprise La Française des Jeux. Les médias se régalent de la descente aux enfers de ces malheureux ex-heureux gagnants. Les véritables heureux gagnants sont les organisateurs des loteries et les bénéficiaires des prélèvements fiscaux, soit les communes et les cantons. Ainsi, à Grandval, un citoyen a touché 8 millions. Quelque 800’000 francs ont été versés à cette petite commune du Jura bernois, l’équivalent approximatif de son budget annuel. Cette manne inespérée a permis d’élargir et d’asphalter une route ancienne et le renouvellement des conduites d’eau. Le multimillionnaire a demandé le respect de son anonymat. Mais, la population de quelque 300 habitants ne se livre pas moins au petit jeu de «qui change de train de vie?». A quand le ronronnement du moteur d’une Porsche Cayenne ou d’une Aston Martin? Par Geneviève Grimm-Gobat


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Gambling Disorder: addiction sans substance

Compilation de portraits de gagnants du loto. Comme le précise’l’encadré (à gauche), la suite n’est pas toujours aussi rose qu’on ne le pense…

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Gambling Disorder: addiction sans substance

«n’existe que peu d’études menées sur des périodes plus longues (p. ex. 12 mois) après le traitement. De plus, nos connaissances sont limitées concernant la persistance des effets de la TCC.» L’entretien motivationnel semble présenter «certains bénéfices», mais là aussi, il n’y a pas assez d’études. Quant aux autres prises en charge, les auteurs de la revue «Cochrane» relèvent qu’«il n’existe pas suffisamment de données permettant d’évaluer leur efficacité.»

Viviane Prats, professeure à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (EESP) relève un mécanisme d’addiction similaire pour les jeux vidéo (lire notre dossier en pages 26-35): «Les experts établissent aujourd’hui que la frontière entre les jeux d’argent en ligne (gambling) et les jeux vidéo (gaming) est de plus en plus obsolète. Outre la prise en charge des addictions aux jeux d’argent, le centre de prévention «Rien ne va plus» à Genève offre d’ailleurs un service aux jeunes qui rencontrent des difficultés dans la gestion de leur rapport aux jeux d’écran.» La spécialiste évoque par ailleurs le projet «In Medias» développé par le Groupement Romand d’Etudes des Addictions (GREA): «Il permet d’aborder la question du jeu au travers d’ateliers de philosophie et ainsi de renforcer les compétences réflexives et sociales des jeunes. En développant une pensée critique, cette mise à distance permet sans aucun doute de développer les habilités nécessaires pour que le jeu reste un loisir et un plaisir sans devenir une passion dévorante et aliénante.»

«Faute de moyens, nous n’avons pas encore évalué de manière scientifique l’efficacité de la prise en charge clinique des patients au CJE», explique Alexander Tomei. Autrement dit, les études décisives manquent toujours, même si, souligne encore le chercheur, «une grande partie de patients traités reconnaissent les bénéfices d’une prise en charge sur la capacité à mieux contrôler leurs comportements de jeu, et sur leur qualité de vie.» Cette lacune, l’industrie pharmaceutique en profite d’ailleurs pour se profiler, si ce n’est en alternative, du moins en «complément». Pour elle, tout le marché des addictions est en effet intéressant. Là aussi, les résultats sont modestes, voire discutables, mais vendus comme «prometteurs». «Au niveau de la pharmacopée, il n’y a pas de médicament accrédité spécifiquement à l’indication du jeu excessif, confirme Alexander Tomei. Seules certaines comorbidités comme l’anxiété ou la dépression peuvent être traitées par des médicaments afin de favoriser la prise en charge psychologique.» Autrement dit, aujourd’hui encore, même si on en sait beaucoup plus sur son cas, on ne serait toujours pas certain de pouvoir guérir Alexeï Ivanovitch.

Comme c’est le cas pour d’autres addictions, le jeu excessif n’intéresse pas seulement la psychiatrie, mais aussi des représentants de disciplines très diverses: neurosciences, sciences cognitives, biologie, travailleurs sociaux, juristes… Un intérêt qu’ont aussi stimulé les nouvelles lois sur les jeux des pays industrialisés – en Suisse, depuis le 1er avril 2000. Ces législations prévoient un devoir d’information aux usagers de la part des industries du jeu, censé s’appuyer sur les avancées de la recherche. Du coup, en Suisse, le jeu excessif a même son congrès scientifique, dont la dernière édition s’est tenue en janvier 2014 à Neuchâtel. Elle a réuni plus d’une centaine d’intervenants, venus de tous les horizons. Ce nombre impressionnant d’experts contraste cependant avec le manque de preuves solides de l’efficacité de la prise en charge clinique des joueurs et des mesures de prévention. Sur l’efficacité des psychothérapies couramment proposées aux joueurs excessifs, une revue «Cochrane» de 2012 conclut que la thérapie cognitivo-comportementale (TTC) déploie bien un effet «au cours de la période consécutive au traitement», mais relève aussi qu’il

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PORTFOLIO

Diriger «C’est votre corps qui dirige les aiguilles de l’horloge, explique Léa Pereyre, qui a réalisé le projet «Mr Time» avec deux camarades de l’ECAL, Claire Pondard et Tom Zambaz. L’idée est de se jouer du temps, de s’en moquer, de l’arrêter et d’en faire ce que l’on veut.» Chaque aiguille de la montre est munie d’un servomoteur qui est lui-même relié à une caméra Kinect. «En bougeant son torse et ses bras, le visiteur crée un angle que la caméra détecte et transmet aux différentes aiguilles. Le squelette de la montre était parfait pour jouer sur ce concept de mimétisme.»

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ÉDUCATION

Le jeu s’immisce à l’école Longtemps cantonné aux classes préscolaires, l’apprentissage par le jeu s’étend désormais à tous les niveaux de formation. Même les très sérieuses écoles secondaires supérieures sont conquises. Quels sont les avantages et les risques de cette ludification? Analyse. TEXTE | Patricia Michaud

La rentrée scolaire 2014 a réservé une double surprise à Sherryl, Canadienne et mère de Ben, 15 ans. «Lorsqu’il est revenu du lycée un des premiers soirs, j’ai demandé à Ben ce qu’ils avaient fait en classe les jours précédents. Il m’a répondu: on a joué.» Perplexe, la quadragénaire a mis cette réponse sur le compte de l’humour de son ado. Quelques semaines plus tard, lors de la réunion des parents d’élèves, Sherryl a subi un nouveau choc: Adam, le professeur d’histoire de Ben, s’est dit «extrêmement satisfait du travail en classe de mon fils. J’en suis presque tombée de ma chaise: jusque-là, les enseignants s’étaient toujours plaints du manque d’engagement de Ben.»

perdent des plumes en cas de retard, d’attitude négative en classe, etc. D’après son site web, ce jeu éducatif a déjà séduit les enseignants de 7’000 élèves, répartis dans 25 pays du monde. Shawn Young, luimême professeur de physique au lycée, explique qu’il ne vise pas à changer le contenu de l’enseignement, mais bien la façon dont on enseigne. Habité par la même volonté, l’Américain Ben Bertoli est en train de mettre sur le marché «ClassRealm», un programme de gestion de la classe basé lui aussi sur la quête de points d’expérience, mais qui va encore plus loin: il intègre une plateforme internet sur laquelle les élèves peuvent s’entraider et les parents venir constater l’avancée de leurs adolescents.

Ce qu’a découvert par la suite Sherryl, c’est qu’Adam, comme de nombreux enseignants de la jeune génération, a décidé de s’inspirer de la méthode éducative «Classcraft», lancée l’an dernier par son compatriote Shawn Young. Conçue comme un jeu de rôle, «Classcraft» transforme les élèves en une horde de guérisseurs, mages et guerriers qui s’affrontent à coups de points d’expérience (l’un de ces personnages peut être découvert en p. 60). Pour gagner lesdits points, les adolescents peuvent par exemple rendre des travaux supplémentaires, aider leurs camarades ou encore participer activement lors des cours. A l’inverse, ils

Utiliser le vocabulaire des apprenants

Avant Shawn Young et Ben Bertoli, plusieurs professeurs – la plupart actifs dans des hautes écoles américaines – avaient déjà pris le parti de transformer leur classe en grand jeu de rôle. But de l’exercice? Sortir des traditionnels cours magistraux et tenter d’impliquer davantage les étudiants, grâce à une structure d’enseignement basée sur les mécanismes du jeu vidéo. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, quelque 97% des jeunes dégainent leur manette au moins une fois par semaine. Le vocabulaire du jeu est

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«une meilleure façon de véhiculer l’idée que l’apprentissage est réel, personnel et ancré dans une expérience contextualisée», constate Seann Dikkers dans une interview accordée à l’e-magazine vousnousils.fr. Ce professeur de l’Université de l’Ohio a lui aussi choisi de muer ses enseignements semestriels en un jeu de plusieurs dizaines d’heures, où les travaux deviennent des quêtes servant à accumuler des points.

TROIS QUESTIONS À Serge Delafontaine Assistant à l’Institut d’informatique de gestion de la HES-SO ValaisWallis et auteur d’une étude sur l’utilisation du jeu dans la formation tertiaire. Quelle est actuellement l’importance en Suisse du jeu dans l’enseignement? L’école enfantine emploie couramment le jeu comme méthode d’enseignement. Au niveau primaire, il commence à apparaître, tout comme aux niveaux secondaire et tertiaire, de manière certes encore assez parcimonieuse. Les formes les plus utilisées y sont les jeux de rôle et de simulations, ainsi que les défis cognitifs. C’est une phase de transition: de plus en plus d’enseignants souhaitent faire le pas mais sont découragés par les a priori culturels et le manque de formations spécifiques.

«Gamifier» leur classe – c’est-à-dire utiliser la structure et les mécanismes du jeu – pour motiver les étudiants n’est pas le seul moyen pour les pédagogues de faire entrer les activités ludiques à l’école. De plus en plus d’enseignants ont recours aux contenus des jeux de rôle, de société ou vidéo pour transmettre des savoirs ou mettre en pratique des connaissances. En France, plusieurs projets ont été lancés afin de mieux exploiter le potentiel des «serious games» (lire en page 18). On peut citer les créations, en 2013, du «Serious Game research network» au sein de l’Université de Toulouse et du «Play Research Lab» à Valenciennes.

Quelles sont les raisons qui poussent les professeurs à ludifier leurs cours? Il y a une forme de pression théorique, venue d’outre-Atlantique: les pédagogues entendent forcément à un moment ou un autre parler de la gamification pédagogique. Parallèlement, en Suisse, les sociétés spécialisées dans la formation continue – par exemple en entreprise — utilisent elles aussi couramment le jeu pour augmenter l’attractivité de leurs cours, ce qui crée un exemple à suivre.

Les enseignants doivent redéfinir leur rôle

Longtemps cantonné aux classes préscolaires, le jeu est donc en train de se faire une place tout au long du parcours de formation, jusque dans les niveaux secondaires supérieurs. Les origines de l’engouement pour cet outil pédagogique sont à chercher du côté de la crise de l’enseignement survenue à la fin des années 2000. «Auparavant, les professeurs étaient les détenteurs du savoir. Mais depuis la généralisation des smartphones, les élèves et étudiants ont toutes les connaissances à disposition dans leur poche», rappelle Gustave Brandys. Féru de jeu sous toutes ses formes et coauteur du blog spécialisé «Gus and Co», cet enseignant genevois de gymnase dispense plusieurs modules de formation continue – au niveau cantonal et fédéral – sur l’utilisation du jeu à l’école. «Les enseignants doivent donc redéfinir leur rôle, sortir du savoir pur et être davantage axés sur le savoir-faire.» M. Brandys précise que pour une partie de la nouvelle génération de professeurs, qui ont eux-mêmes baigné dans la culture du jeu vidéo, il est tout naturel d’y avoir recours en classe.

Quels sont les principaux avantages et inconvénients de l’apprentissage par le jeu? D’abord le fort pouvoir de motivation de cette technique amusante. Cela s’avère particulièrement utile pour les tâches répétitives ou la mémorisation d’une longue liste d’éléments. Du côté des inconvénients, le jeu n’est pas forcément adapté à tous les types de personnalités. Il peut par exemple créer des blocages chez les personnes les plus introverties.

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Le jeu s’immisce à l’école

Les écoles helvétiques n’échappent pas à cet engouement pour une méthode d’apprentissage qui présente – selon ses défenseurs – de nombreux avantages: source de plaisir et donc de motivation, le jeu permet non seulement d’intégrer et d’approfondir les connaissances les plus «sèches», mais aussi d’impliquer les élèves en tant qu’acteurs, voire de leur apprendre la collaboration. De plus en plus d’enseignants suisses, tous niveaux confondus, adoptent la philosophie du célèbre créateur de jeux vidéo Raph Koster, à savoir «Learning is the drug» («c’est la volonté d’apprendre toujours plus qui rend le joueur accro», ndlr). «Lorsqu’il a du plaisir à apprendre, l’élève persévère», confirme Pascale Marro, rectrice de la Haute école pédagogique (HEP) Fribourg, qui forme les enseignants cantonaux des degrés préscolaires et primaires (découvrez son visage actuel en p. 62). Meilleure intégration de la matière

Certains établissements primaires privés ont fait le pari de baser l’intégralité de leurs enseignements sur l’expérimentation. C’est le cas de l’école active de Malagnou, à Genève, qui encourage les élèves à découvrir leurs propres stratégies d’apprentissage. Or, «à partir du moment où l’on prône l’expérimentation, on accepte forcément d’intégrer la composante ludique», note Emmanuel Bouvier, le responsable pédagogique de l’école. Selon lui, «les cours ex cathedra ne parlent souvent qu’aux bons élèves». Jouer et explorer afin de titiller la curiosité des enfants permet au contraire de rallier le plus grand nombre. «Il n’est pas rare que lorsqu’ils sortent de notre école, les élèves bénéficient de connaissances plus approfondies que leurs homologues du public. C’est du moins ce que nous ont rapporté des enseignants du cycle d’orientation.» A l’autre bout de l’échelle de la formation, Olivier Duvanel est lui aussi un inconditionnel du «learning by doing». Ce professeur en microtechnique à la Haute Ecole Arc Ingénierie organise depuis huit ans des concours de projets pour les étudiants en ingénierie. «L’idée est partie du constat que de nombreux jeunes au bénéfice d’un CFC se retrouvaient chez nous dans un contexte beaucoup trop théorique. Le

taux d’abandon étant élevé, nous avons décidé de réagir en lançant des travaux pratiques multidisciplinaires basés sur toute la théorie de la première année de cours.» Chaque équipe est dotée d’un budget de 1’000 francs, dont elle fait usage notamment pour sous-traiter certaines phases du projet. «Hormis la mise en pratique de leurs connaissances, les étudiants ont donc l’occasion d’apprendre la gestion du personnel et des finances», souligne Olivier Duvanel, qui précise que les résultats de l’expérience sont bluffants. «Le concours est un facteur de stimulation incroyable. En fin de projet, les jeunes travaillent jusqu’à quatorze heures par jour sans que nous ayons à les pousser.» Professeur en informatique de gestion à la HES-SO Valais-Wallis Haute Ecole de Gestion & Tourisme, Alexandre Cotting a pour sa part décidé d’accroître l’intérêt de ses étudiants grâce à l’un des plus célèbres jeux de la planète: Lego. «Je forme des groupes de quatre ou cinq personnes, qui doivent créer une île paradisiaque en Lego. J’endosse alors le rôle d’un client souhaitant monter un business touristique sur place. Les étudiants doivent plancher ensemble sur un projet concret.» Si le jeu ne dure que quelques heures, le professeur y fait référence durant le reste du semestre chaque fois qu’une notion théorique est en lien avec l’un des problèmes rencontrés. Alexandre Cotting constate que depuis qu’il utilise cette méthode, les étudiants intègrent mieux la matière.

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Par contre, peu de ses collègues profitent des bénéfices du jeu dans leur cours. Cette frilosité, il la met notamment sur le compte du manque de connaissance des outils à disposition.

ment erroné de penser que le jeu ne demande pas d’effort. Au contraire!» Même son de cloche chez Gustave Brandys: «Il ne faut pas confondre plaisir et facilité. Le jeu peut être à la fois plaisant et difficile.» Dans ses classes gymnasiales, l’enseignant genevois utilise notamment les jeux de rôle afin de faire collaborer tous les élèves à une quête d’informations collective, par exemple sous forme d’expédition scientifique virtuelle. Selon lui, le danger potentiel de l’utilisation du jeu en classe se situe ailleurs: «Il faut bien faire la différence entre les jeux qui génèrent une motivation intrinsèque (le joueur est motivé par l’envie d’acquérir de nouvelles connaissances, ndlr) et ceux qui misent sur l’espoir d’une récompense extrinsèque.» Pour Gustave Brandys, les méthodes telles que «Classcraft» sont à l’image des gommettes à l’école enfantine: elles poussent parfois les élèves à travailler uniquement pour obtenir un «su-sucre», qu’il s’agisse d’un autocollant ou de points d’expérience, sans réellement avoir d’intérêt pour la matière apprise.

Et le goût de l’effort?

Selon Florence Quinche, professeure formatrice à la HEP Vaud, la réticence de certains pédagogues face à la ludification de leurs enseignements est plutôt un phénomène culturel. «Chaque année, je propose aux professeurs déjà en activité une formation continue sur le jeu vidéo. Il n’y a jamais d’inscrits!» A l’inverse, la formatrice constate que les futurs enseignants – du primaire, secondaire et gymnase – fréquentant actuellement les bancs de la HEP sont de plus en plus ouverts à l’utilisation pédagogique des jeux. «Une de mes étudiantes a, par exemple eu l’idée de simuler des voyages grâce à un jeu vidéo puis de faire écrire en anglais aux élèves de sa classe de stage le récit de leurs aventures fictives.» Interrogée sur l’éventuel risque – parfois mis en avant par ses détracteurs – que l’apprentissage par le jeu tue le goût de l’effort chez les élèves, Florence Quinche (découvrez son visage actuel en p. 62) rétorque «qu’il est totale-

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98 98 99 99 103 103

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En reliant les points, vous découvrirez l’un des personnages du jeu «Classcraft» mentionné en p. 56.

8 82

7 6 76

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BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie ludique Les lecteurs d’Hémisphères trouveront ci-dessous quelques références pour tout savoir sur le jeu.

Design

Fiction

Sociologie

Joypads!: Le design des manettes, Nova, N. & Bolli, L., Les Moutons électriques, Collection La bibliothèque des miroirs, 2013

Faites vos jeux! Les jeux en littérature, Collectif, Gallimard, 2013

Ethnologie des joueurs d'échecs, Wendling T., Presses universitaires de France, 2002

Rules of play: Game Design Fundamentals, Salen K et Zimmerman E., MIT Press, 2003

Education À l’école du jeu, Ferran P., Mariet F. et Porcher L., Bordas, 1978 Introduction aux Serious Game. Alvarez J. et Djaouti D., Questions Théoriques, 2012. Jouer/Apprendre. Brougère G., Economica-Anthropos, 2005. Le jeu en classe de langue: sur les traces d’une didactique potentielle, Haydée, S., Chardenet, P., Blanchet, Ph. et al. Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées, Éditions des archives contemporaines, 425-434, 2011

La liste de mes envies, Delacourt G., JC Lattès, 2012 Le Joueur, Dostoïevski F., Folio classique, 1866 Splat n’aime pas perdre!, Scotton R., Nathan, 2013

Marketing Surveiller et récompenser: Les cartes de fidélité qui nous gouvernent, Coll S., Seismo, 2014 The games companies play, King R., Bloomberg Newsweek, 5 avril 2011 The Gamification Revolution. How Leaders Leverage Game Mechanics to Crush the Competition, Zichermann G. et Linder J., McGraw-Hill, 2013

Musique 8-bit Reggae. Collision and Creolization, Nova N., éditions Volumiques, 2014

Homo ludens, Huizinga J., Gallimard, 1988 L’Empire ludique. Comment le monde devient (enfin) un jeu, Fouillet A., François Bourin, 2014 Les jeux et les hommes: le masque et le vertige, Caillois R., Gallimard, 1958 Pouvoir des jeux vidéo: des pratiques aux discours, Nova, N., Maison d’Ailleurs, 2014 Reality is Broken: Why Games Make us Better and How they Can Change de The World, McGonigal J., Penguin Books, 2011 Sous couleur de jouer, Henriot J. José Corti, 1989

Web Centre du Jeu excessif (CJE), www.jeu-excessif.ch

Philosophie

Fédération suisse de l’E-Sports, www.sesf.ch

Philosophie des jeux vidéo, Triclot M., La Découverte, 2011

Laboratoire français dédié à l’étude des jeux vidéo et jeux sérieux, www.ludoscience.com

Revue de presse La vie est un jeu, Courrier International. Hors-série 46, octobre-décembre 2013

61

Magazine trimestriel américain consacré aux jeux, www.killscreendaily.com Magazine britannique de référence sur les jeux vidéos, www.edge-online.com


Qui est qui? Les experts interrogés dans ce dossier ont fourni des images d’eux enfant. A vous de trouver leur visage actuel.

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F Réponses: 1C - 2E - 3F - 4B - 5D - 6A

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Hervé Hannen Diplômé de l’ECAL et aujourd’hui photographe indépendant, Hervé Hannen collabore avec des marques telles que Nespresso, Hermès ou Interio. Pour ce numéro, il a réalisé les portraits de la chronique «Rapport individualisé». Entre Genève, Lausanne et Zurich, ce photographe lausannois a déniché son propre terrain de jeu. Une distraction professionnelle et un divertissement visuel vécus au quotidien.

Camille Andres Journaliste indépendante et diplômée en islamologie, Camille Andres s’intéresse aux évolutions technologiques. Pour ce numéro, sa curiosité s’est notamment portée sur les jeux en ligne proposés par des marques de luxe. Pour elle, le jeu est révélateur de personnalités et représente un excellent catalyseur de relations sociales. Page 23

Adrià Budry Carbó Journaliste indépendant, Adrià Budry Carbó a collaboré avec «Le Matin Dimanche», «La Tribune de Genève» et «Le Temps». Il s’est intéressé dans ce numéro au reggae 8-bit et élaboré le lexique ludique. Le jeu est pour lui un débouché naturel de l’imagination. Il offre mille et une possibilités de sortir de soi-même et d’explorer l’univers des possibles. Page 46

CONTRIBUTIONS

Céline Bilardo Journaliste à LargeNetwork, Céline Bilardo est diplômée en littérature anglaise et en musicologie à l’Université de Lausanne et a obtenu son Master en journalisme à Neuchâtel. Elle a participé à la coordination de ce numéro. Le jeu lui évoque de très bons moments partagés en famille et entre amis. Il est aussi un excellent moteur de créativité.

Séverine Géroudet Journaliste chez LargeNetwork, Séverine Géroudet a écrit pour ce numéro le texte sur l’improvisation. Cette pratique artistique et ludique ne lui est pas étrangère. A côté de l’écriture, elle fait partie d’une compagnie de danse-théâtre. Pour elle, le jeu évoque l’enfance et représente une forme d’évasion et de lâcher-prise. Page 45

Romain Guerini Graphiste chez LargeNetwork et passionné de jeux de société, Romain Guerini s’est impliqué dans la réalisation graphique de ce numéro. A ses yeux, le jeu est le meilleur moyen de partager du temps avec les gens qui nous sont chers, une occasion qui devient de plus en plus rare à l’ère numérique.

Clément Bürge Clément Bürge est un reporter indépendant basé à New York. Cet ancien de «L’Hebdo» est diplômé en journalisme et en relations internationales de la New York University. Pour ce dossier, il s’est penché sur le monde fascinant des gamers professionnels, pour qui le jeu est devenu plus qu’un simple moyen de se divertir, un mode de vie. Page 26

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Rectorat HES-SO Haute école spécialisée de Suisse occidentale Rue de la Jeunesse 1 Case postale 452 CH-2800 Delémont +41 58 900 00 00 www.hes-so.ch

Directions cantonales

Haute Ecole Arc Direction générale Espace de l’Europe 11 CH-2000 Neuchâtel +41 32 930 11 11 info@he-arc.ch www.he-arc.ch

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BERNE/JURA/ NEUCHÂTEL

FRIBOURG

Direction générale de l’Enseignement supérieur Avenue de l’Elysée 4 CH-1014 Lausanne +41 21 316 94 95 info.dges@vd.ch www.hev.ch

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www.heig-vd.ch www.ecal.ch www.hemu.ch www.hesav.ch www.ecolelasource.ch www.eesp.ch

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VALAIS

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Haute Ecole Arc Ingénierie – HE-Arc Ingénierie Haute école de gestion Arc – HEG Arc Haute Ecole Arc Conservation-restauration Haute Ecole Arc Santé – HE-Arc Santé Haute Ecole de Musique de Genève HEM – Site de Neuchâtel

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Design et Arts visuels

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Santé

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Haute Ecole de Musique de Genève – HEM-GE Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève – hepia Haute Ecole de Santé Genève – HEdS-GE Haute école de travail social Genève – HETS-GE Changins – Haute école de viticulture et d’oenologie Ecole hôtelière de Lausanne – EHL Haute école de théâtre de Suisse romande – HETSR – La Manufacture

JURA BERNE NEUCHÂTEL FRIBOURG VAUD HES-SO Master VALAIS GENÈVE

HES-SO Master


Couverture: Brendan Hong Couverture: dos Brendan Hong Rabats: infographie de Sebastián Gagin & Alejandra Román p. 4 Benoît Chevallier P. 5 Thierry Parel P. 6 Hervé Annen Flickr/Akimasa Mitsuishi Victor Férier, Ludovica Gianoni, Daniele Walker DR P. 10 Really Big Coloring Books HO/AFP P. 11 Juan Carlos Llorca/AP Photo P. 13 ECAL/Axel Crettenand & Sylvain Aebischer ECAL/Victor Férier, Ludovica Gianoni, Danièle Walker P. 15 Martin Colombet P 16 ZJAN/WENN.com/Newscom Stringer Russia/Reuters P. 19 America’s Army/Ubisoft Re-Mission/HopeLab P. 20 Genève 1815/ l’Avenue Digital Media P. 21 DR P. 22 ECAL/Anne-Sophie Bazard, Tristan Caré, Léonard Golay ECAL/Axel Crettenand & Sylvain Aebischer

P. 24 Alessandro della Bella/Keystone P. 25 DR P. 26 Brookhaven National Laboratory P. 27 Museum of Electronic Games & Art P. 28 Street Fighter II: The World Warrior/Capcom HEAD/Dylan Perrenoud Apelab P. 29 Helena Kristiansson, esportphoto.com

ICONOGRAPHIE

P. 30 Helena Kristiansson, esportphoto.com DR P. 32 Super Mario 64/Nitendo P. 33 DR P. 34 HEAD/Dylan Perrenoud P. 35 Team Gallery P. 36 Hervé Annen P. 37 Hervé Annen P. 38 Hervé Annen

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P. 39 Hervé Annen P. 40 DR P. 41 Group/Newscom P. 42 DR Naef Spiele AG P. 43 Moluk GmbH P. 45 DR P. 46 DR P. 47 DR P. 48 DR P. 49 Infographie tirée de: «Joypads! Le design des manettes», Nicolas Nova et Laurent Bolli P. 50 ECAL/Axel Crettenand & Sylvain Aebischer ECAL/Iris Andreadis, Nicolas Nahornyj, Jérôme Rütsche P. 53 Google image P. 55 ECAL/Léa Pereyre, Claire Pondard, Tom Zambaz ECAL/Axel Crettenand & Sylvain Aebischer P. 58 DR P. 59 DR P. 60 Romain Guerini P. 62 Thierry Parel P. 63 Thierry Parel DR


HÉMISPHÈRES La revue suisse de la recherche et de ses applications www.revuehemispheres.com Edition HES-SO Services centraux Rue de la Jeunesse 1 2800 Delémont Suisse T. +41 58 900 00 00 hemispheres@hes-so.ch Comité éditorial Luc Bergeron, Philippe Bonhôte, Rémy Campos, Yvane Chapuis, Annamaria Colombo Wiget, Yolande Estermann, Angelika Güsewell, Clara James, Florent Ledentu, Philippe Longchamp, Max Monti, Vincent Moser, Laurence Ossipow Wüest, Anne-Catherine Sutermeister, Marianne Tellenbach Réalisation éditoriale et graphique LargeNetwork Press agency Rue Abraham-Gevray 6 1201 Genève Suisse T. +41 22 919 19 19 info@LargeNetwork.com

IMPRESSUM Responsables de la publication Pierre Grosjean, Gabriel Sigrist Direction de projet Geneviève Ruiz Direction suppléante de projet Serge Maillard Responsable visuel de projet Romain Guerini Rédaction Jade Albasini, Camille Andres, Céline Bilardo, Albertine Bourget, Adrià Budry Carbó, Clément Bürge, Mireille Descombes, Erik Freudenreich, Séverine Géroudet, Geneviève Grimm-Gobat, Camille Guignet, Sylvain Ménétrey, Patricia Michaud, Jonas Pulver, Catherine Riva, Matthieu Ruf, Julie Zaugg Images Hervé Annen, Martin Colombet, ECAL/Axel Crettenand & Sylvain Aebischer, Sabrine Elias Ducret, Sebastián Gagin & Alejandra Román, Thierry Parel Maquette & mise en page Sandro Bacco, Romain Guerini Relecture Alexia Payot, Samira Payot www.lepetitcorrecteur.com N° ISSN 2235-0330

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La présente revue a été imprimée en décembre 2014 sur les presses de Staempfli SA à Berne. Le caractère Stempel Garamond (serif) est basé sur le travail que le graveur Claude Garamond (1480-1561) effectua lors de la création de la célèbre Garamond. Le caractère Akzidenz-Grotesk (linéale) a été créé par la fonderie H. Berthold AG en 1896. Le papier est un FSC Edixion offset blanc 100 g/m2 et 250 g/m2. La revue a été tirée à 14’000 exemplaires. Imprimé en Suisse.


1760

1930

Les dominos naissent en Italie.

Le premier flipper apparaît aux Etats -U nis

AVANCE DE

CE N A 2 AV DE

Les premières cartes à jouer apparaissent en Chine.

RECULE DE 3

Succès mondial pour le jeu de société Monopoly.

1974 Le Hongrois Ernő Rubik invente le Rubik’s Cube.

av. J.-C.

Le backgammon naît en Asie.

AVANCE DE

C’est la révolution des jeux vidéo sur smartphone avec Angry Birds. Le jeu a atteint le milliard de téléchargements en 2012 et participe à la féminisation des jeux vidéo.

1935

LE JEU CONTINUE

1400

2000

2009

.

LE RECU DE 2

1100 Le jeu d’échecs, inventé en Inde, arrive en Europe.

1989

Les enfants tiennen t dans leurs mains leu r première Ga me Boy, livrée avec le jeu Te tris.

2006

le jeu vidéo. La Wii démocratise rimente pé ex lle mi Toute la fa ère de jouer, une nouvelle mani plus physique.


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LE JEU ROI

VOLUME VIII DÉCEMBRE 2014

LE JEU ROI

HES-SO

LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS HÉMISPHÈRES

CHF 9.– E7.– N°ISSN 2235-0330

VOLUME VIII

HES-SO HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE UNIVERSITY OF APPLIED SCIENCES AND ARTS WESTERN SWITZERLAND


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