Territoire en miroir

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Le mémoire de recherche et de fin d’étude de l’École nationale supérieure Louis-Lumière s’inscrit dans un axe théorique et pratique qui doivent se correspondre. En rédigeant mon mémoire sur les commandes passées dans les centres photographiques régionaux, notamment au Centre Régional de la Photographie du Nord-Pas-de-Calais et à la Mission Photographique du Pôle Image Haute-Normandie, il m’a paru intéressant de me placer à mon tour dans une situation pratique similaire. Dans ce cadre, et dès le début de ma recherche, j’ai envisagé pour cette partie pratique de réaliser une commande au sein d’un centre photographique régional et de demander au directeur artistique d’une telle structure d’être mon commanditaire. Cette commande s’est déroulée sur six mois sur le territoire Haut-Normand, sous la direction de Didier Mouchel, chef de la mission photographique du Pôle Image Haute-Normandie. La thématique de ce travail a porté sur les panoramas le long des boucles de la Seine des Andelys jusqu’à Caudebec-en-Caux. Réaliser cette commande m’a permis d’acquérir une expérience tout en menant parallèlement mon écrit théorique mais aussi de la confronter avec celle des photographes que j’interrogeais pendant ma recherche. L’effectuer à demander toute une réflexion, une démarche en plusieurs étapes qu’il me semblait utile de retranscrire dans ce journal de bord. Il retrace le prolongement de ma recherche pratique du début à la fin de la commande : le choix du centre, mes interrogations, mes idées, mes démarches, les rendez vous avec mon commanditaire, l’expérience des entretiens avec les photographes jusqu’aux prises de vues finales. Si ce carnet a été rédigé de façon chronologique, il a été divisé en cinq parties détaillées dans le sommaire. Le marque-page joint à ce livre représente le territoire de ma commande ainsi que les principales villes que j’ai photographié. Il vous apportera des repères géographiques tout au long de votre lecture.

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SOMMAIRE 1. Élaboration de la commande Choix du centre régional et du directeur artistique (8 novembre - 18 décembre)

RDV avec Didier Mouchel : Détermination d’une thématique (9 janvier)

Réflexion sur la notion de panorama

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(9 janvier - 16 janvier)

Contrat de commande

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(29 janvier)

Note d’intention

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(1er février)

2. Photographies de repérage et connaissance du territoire L’agglomération de Rouen

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(16 janvier)

Canteleu, Hénouville, Le Trait

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(4 février)

Amfreville-la-Mivoie

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(18 février)

Bonsecours, Freneuse, Soteville-sous-le-Val, Amfreville-sous-les-Monts (10 mars)

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Orival

(15 mars)

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(16 mars)

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Grand-Couronne, Barneville-sur-Seine, La Mailleraye-sur-Seine Vironvay, Les Andelys, Thuit

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(17 mars)

3. Recherches historiques Histoire des bords de la Seine en Haute-Normandie (BnF) (7 mars)

Cartes postales anciennes (Bibliothèque de Rouen) (13 mars)

Test de superposition carte postale ancienne, photo contemporaine (14 mars- 17 mars)

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les photos de repérages (2 avril)

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4. Recherche et mise en place d’un dispositif de prises de vue Reflet à travers une plaque de plexiglas

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(7 avril - 18 avril)

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les photos avec le plexiglas (9 avril)

Superposition de deux images sur Photoshop (20 avril)

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Reflet à travers un miroir semi-transparent

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(25 avril)

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les reflets avec le miroir (26 avril)

Exploration de la technique du reflet avec le miroir et le plexiglas (lumière, cadrage, inclinaison, avantages et inconvénients) (27 avril - 29 avril)

RDV avec Didier Mouchel : Bilan des prises de vue (2 mai)

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5. Rendu et fin de la commande RDV avec Didier Mouchel : Sélection des photographies (3 mai)

Bilan de la commande

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(6 mai)

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Bibliographie

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Code couleur des titres : Photographies de repérages RDV avec Didier Mouchel Prises de vues finales

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Jeudi 8 novembre 2012

Choix du centre régional : l’association diaphane (Picardie)

Afin de réaliser une commande photographique dans le cadre de ma partie pratique, je dois au préalable trouver un centre régional ainsi qu’un directeur artistique qui soit d’accord pour me passer commande dans ce cadre et me suivre ensuite dans ce travail. J’ai parcouru ces deux derniers jours la région de Picardie pour la réalisation des prises de vues de la majeure de début de troisième année. J’ai découvert cette région qui m’a semblé intéressante. J’ai été séduite par l’omniprésence de l’eau sur le territoire : flaques d’eaux dans les champs, prés-salés, littoral... Il y a du vide, de la nature. C’est un nouveau paysage qui s’est offert à mes yeux, une découverte. La photographie de reflet qui est une démarche artistique que je poursuis depuis sept ans environ, pourrait se prolonger par ici. Il me vient l’idée de réaliser ce travail de commande dans cette région. Le centre qui pourrait me superviser serait l’asssociation diaphane qui passe régulièrement des commandes. Didier Mouchel, directeur artistique avec qui j’ai effectué un stage au Pôle Image Haute-Normandie l’été dernier, m’avait parlé de cette association. Je crois qu’ils se côtoient souvent. M’intégrer dans ce centre où les acteurs ne me connaissent pas me permettrait peut être une certaine neutralité dans la relation avec mon commanditaire. En effet, en ayant été auparavant en contact avec Didier Mouchel et Pia Viewing (directrice du Centre Régional de la Photographie du Nord-Pasde-Calais), est ce que cela peut influencer d’une certaine manière la direction de la commande ? Il me semble plus intéressant de choisir une région que je ne connais pas, ce qui pourrait associer à la prise de vue, la découverte. La Picardie m’a semblé être un territoire intéressant : c’est une région limitrophe de la Haute-Normandie et du Nord-Pas-de-Calais, inconnue pour moi, plus facilement accessible que d’autres régions plus éloignées. En effet, il est important de prévoir le budget alloué à cette partie pratique. Je ne peux me permettre de faire trop de trajets, trop loin, d’autant plus que cette commande se déroulera sur plusieurs mois.

Jeudi 15 novembre 2012

Rencontre avec Maxence Rifflet et Claire Tenu

J’ai rencontré aujourd’hui le photographe Maxence Rifflet lors d’un entretien. Nous avons également parlé de cette partie pratique et de l’association diaphane avec qui il a déjà travaillé. Il m’a notamment dit que faire une commande avec eux, selon lui, ne serait pas intéressante, pas enrichissante selon son expérience. Il m’a recommandé de travailler avec des 6


gens comme Didier Mouchel. Faut il suivre son conseil ou non? Je me suis sentie influencée et ça m’a apporté des doutes quand à mon idée initiale. Ce même jour, j’ai rencontré Claire Tenu. Ce fut une expérience très enrichissante. Elle m’a notamment parlé du projet «Écritures de lumières» qu’elle a réalisé au centre du Point du Jour. Elle a demandé a des élèves d’être leurs commanditaires. J’ai trouvé que c’était une idée géniale. Je me suis donc questionnée : qui pourrait être mon commanditaire? Et si je choisissais quelqu’un d’inattendu? Il faut peut être bouleverser les usages habituels de la commande, reste à trouver comment.

Mardi 20 novembre 2012

Rencontre avec Patrizia Di Fiore

Dans la poursuite des entretiens, j’ai rencontré ce matin Patrizia Di Fiore. C’est la première photographe que je rencontre où j’ai senti qu’il y avait vraiment eu des compromis et des contraintes dans certaines parties de la commande. Elle m’a aussi dit que l’association diaphane n’avait pas été pour elle une expérience très enrichissante et me conseillait plutôt de m’orienter vers Didier Mouchel ou le centre du Point du Jour. Être originaire de Haute-Normandie est selon elle un point positif qui peut intéresser le Pôle Image. Ces deux témoignages sur le centre de Picardie me fontt changer d’avis... Je ne sais pas pourquoi je n’avais pas vraiment pensé encore a faire ce travail avec le centre du Point du Jour. Ce lieu pourrait se justifier compte tenu que beaucoup des photographes que j’interroge ont travaillé avec eux, et me donnent beaucoup d’avis positifs. C’est un centre qui collabore beaucoup avec le Pôle Image. Enfin la Basse-Normandie pourrait être une région accessible en terme de frais. J’ai quelques idées pour le moment : pour le Point du Jour, je pourrais proposer de continuer mon travail sur le littoral débuté dans la majeure intitulé Points de Fuite. Si je choisis cette option je me placerai dans un cadre ou je fais une proposition de projet qui s’intègre dans mon travail personnel. Pour le Pôle Image, je me rend compte qu’au fur et a mesure des entretiens, deux photographes m’ont dit que selon eux Didier Mouchel avait des images dans le tête au début de la commande, des images qu’il attendait d’une certaine manière. Serait ce intéressant de lui demander de me passer commande sans proposer un projet? Il serait alors celui qui déciderait du cahier des charges précis et de la thématique. Le risque est d’avoir un travail qui ne me correspond pas forcément mais je serai vraiment dans une situation de contrainte ce qui fait partie intégrante du travail de commande.

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Dimanche 25 novembre 2012 J'ai parlé de cette idée de commande avec Jean-Paul Gandolfo, un de mes enseignants. Il pense tout d'abord comme ma directrice de mémoire qu'il serait plus intéressant pour moi de réaliser une commande dans une région que je ne connais pas (ou peu). Il m'a conseillé de prendre contact avec la DRAC Picardie qui a déjà fait appel a des étudiants de Louis Lumière. Je pense aussi beaucoup au Point du Jour. En parallèle je travaille sur ce projet de majeure en ce moment. Curieusement je vis cette expérience difficilement et les rendez vous de suivi avec mes enseignants sont pour moi vécus comme une contrainte. Je ne me sens pas guidée, pas orientée dans mon travail qui est sans cesse remis en question dans tous ces détails. Ce sentiment me fait réfléchir à mon attitude face aux acteurs que j'ai en face de moi. Ce projet n'étant pas une commande s'en approche finalement dans la relation avec les acteurs. Depuis le début du projet, je me sens incomprise, le dialogue est difficile, je sens que nous n'arrivons pas à nous comprendre. Est ce moi qui m'exprime mal? Il serait intéressant de comparer avec une expérience ultérieure. Globalement c'est mon travail et mes intentions personnelles qui priment. Il faut prendre du recul dans cette relation, être attentif aux remarques parfois difficiles tout en restant dans la continuité du travail.

Vendredi 14 décembre 2012

Prise de contact avec le centre du Point du Jour (Basse-Normandie)

J’ai finalement envoyé un mail au Point du Jour la semaine dernière afin de pouvoir réaliser une commande photographique au sein de leur centre. Aujourd'hui, j'ai appelé Béatrice Didier, codirectrice du centre. Nous discutons de ma demande qui parait compliquée pour elle. Elle m'explique que le personnel du Point du Jour est très occupé, qu'ils n'ont pas besoin pour le moment de passer une commande. De plus, la non connaissance du territoire et l'éloignement géographique de Cherbourg compliquera selon elle mon travail. Les voyages seront sûrement coûteux, les repérages de mes prises de vues seront fastidieux et tout cela lui parait difficile de faire un travail de qualité compte tenu du temps imparti. Ma demande est de plus tardive, élément dont j'ai conscience. Elle me conseille de faire une demande au CRP du Nord-Pas-de-Calais ou au Pôle Image ou éventuellement au Centre Photographique d’Île-deFrance et me conseille de délimiter un petit territoire dans la commande. Nous nous donnons à la fin de notre entretien téléphonique une semaine de réflexion.

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Mardi 18 décembre 2012

Choix du Pôle Image Haute-Normandie

J'envoie finalement une demande à Didier Mouchel et décide de suivre les conseils de Béatrice Didier. Il accepte le principe de cette commande pour ma partie pratique. Nous discutons au téléphone et il me propose deux thématiques de travail : les panoramas le long des Boucles de la Seine ou l’étude d'une ville dans la région. Face à ses propositions je ne sais pas quoi lui répondre mais je lui propose d’y réfléchir et de se rencontrer pour en discuter après les périodes de Noël.

Mercredi 9 janvier 2013 En réalisant ma première partie, je re-découvre les panoramiques verticaux d’Holger Trülzsch. Inverser le sens du panoramique est je trouve une idée originale. Mais un panorama implique t’-il forcément un format panoramique ? Même si ma thématique n’est pas encore totalement décidée, je commence à mes questionner sur les panoramas, proposition dont je me sens le plus proche.

Vendredi 11 janvier 2013

RDV avec Didier Mouchel : Détermination d’une thématique Réflexion sur la notion de panorama

Faut il nécessairement utiliser des panoramiques dans ce type de travail ? Quelles différences peut on faire entre un panorama et le format panoramique ? Le dictionnaire Larousse définit un panorama comme «une vaste étendue de pays qu'on découvre d'une hauteur». Les prises de vues impliqueraient donc un point de vue en hauteur. Une vue panoramique implique un point de vue «qui embrase un très large champ de vision et qui permet une très bonne visibilité». Le mot panoramique peut aussi faire référence à la technique photographique et au format panoramique d'une image. Faire quelque chose de complètement nouveau à travers la commande doit être intéressant dans la relation commanditaire-photographe. Didier Mouchel témoignait dans un entretien que «Patrizia Di Fiore avait fait du Patrizia Di Fiore» et qu'il n'y avait pas eu de surprises. Pourtant je pense qu’il l’a choisie selon ses travaux antérieurs. Ainsi comment créer la surprise au sein de la commande ? Aujourd’hui c’est mon premier rendez vous avec lui afin de déterminer les termes de la commande qui fera l’objet de ma partie pratique de mémoire. Nous décidons ensemble de retenir la thématique des panoramas le long des Boucles de la Seine. Il faut déterminer un territoire d’étude. Il me propose en premier lieu la ville de Rouen mais du fait que j’y ait vécu plusieurs années et que je la connais bien, je souhaite un peu de découverte. 9


Il propose finalement un territoire allant de Caudebec-en-Caux au nord jusqu’aux Andelys au sud. L'intérêt de cette zone géographique selon lui est de pouvoir avoir à la fois des prises de vues de paysages naturels et urbains. Il me demande de rédiger une note d’intention et de lui envoyer. Et comme il est prévu que je rencontre Jérome Félin, conseiller en arts plastique de la DRAC Haute-Normandie (financeur d’une partie des commandes habituelles), je lui propose de lui faire valider cette thématique. Nous n'avons pas prévu de rendez-vous avec Didier Mouchel mais il me demande de revenir quand j’aurai des premières images à lui montrer, des interrogations ou des problèmes particuliers. Le nombre de photographies n'est pas déterminé, Didier Mouchel pense que c'est à moi de les évaluer en fonction du travail. Malgré tout, pour me situer dans les commandes habituelles de la Mission Photographique du Pôle Image, je lui demande de réaliser le contrat de commande habituel. Il me demande également d’effectuer un budget prévisionnel. Ce budget comportera notamment mes frais de déplacement (ce qui je pense sera le plus difficile à évaluer). Je n’arrive pas à savoir s’il envisage de m’accorder un budget pour ce travail et je n’ose pas lui poser la question directement. Je dois faire une recherche documentaire pour déterminer les lieux où je me rendrai. Cette recherche s’effectuera en identifiant des panoramas identifiés sur la carte géographique et peut être des recherches iconographiques d’autres photographes ayant traité cette thématique. J’ai l’impression qu’une partie de l’enjeu aussi est de faire découvrir de nouveaux panoramas à Didier Mouchel.

La zone industrielle de Sotteville-lès-Rouen

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Lui qui connait très bien la région, est ce que c’est là où sera la surprise dans le rendu de ma commande ? Après notre rendez vous, je continue à travailler sur cette notion des panoramas. J’avais déjà réalisé des prises de vues en hauteur autour de Rouen. Un peu plus éloigné de la Seine mais intéressant par ses réseaux, un endroit aux alentours de Rouen m’avait interrogé : la zone industrielle de Sotteville-lès-Rouen. Il est possible de retrouver ce type de paysage industriel et urbain plus près de la Seine au niveau du Port Autonome de Rouen. Sur la rive droite se trouve une falaise non loin de Canteleu, c'est un endroit à explorer. Je continue une recherche dans mes propres prises de vues de la Région. J’avais pu également photographier le panorama de la côte Sainte-Catherine à Rouen. Une première fois sous la brume matinale (photo ci dessous). J’ai à nouveau photographié ce point de vue l’été dernier lors de la réalisation de mon stage au Pôle Image et pour tester la technique des anaglyphes. J’avais alors été frappée par le bruit du haut de cette colline : j’entendais les bruits de voitures, de circulation témoignant d’une forte activité urbaine. J’avais trouvé ce bruit contradictoire par rapport au lieu du panorama qui amène plutôt par sa nature à l’observation et invite à rester sur les lieux. Je connais très bien cet endroit et pourtant c’est la première fois que je prêtais attention à ce bruit.

Panorama de la Côte Sainte-Catherine - Rouen, 2006

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Ce même panorama a été également photographié par John Davies en 2001 lors de la commande Seine Valley :

John Davies, Rouen, avril 2001, Série Seine Valley Source : Pôle Image Haute-Normandie

John Davies, Rouen, avril 2001, Série Seine Valley Source : Pôle Image Haute-Normandie

D’autres points de vues en hauteur ont été réalisés par Maxence Rifflet lors de sa commande Les Boucles de la Seine en 2008.

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John Davies, Caudebec-en-Caux, 2001, Série Seine Valley Source : Pôle Image Haute-Normandie

Maxence Rifflet, Quillebeuf-sur-Seine, février 2008, tirage argentique noir et blanc 100 x 130 cm Source : Pôle Image Haute-Normandie

Ces images réalisées dans le cadre des commandes du Pôle Image, sont une référence iconographique pour mon travail. Traiter cette thématique, c’est aussi aller à mon tour sur des lieux déjà photographiés plusieurs fois. Pour choisir les points de vues à photographier, je prends comme base de travail les panoramas indiqués sur ma carte de la région sans exclure des points de vues nouveaux que je pourrai trouver en chemin. 13


Je prolonge cette recherche en parcourant d’autres ouvrages comme celui d’Andrea Keen intitulé Fleuve. Si cette photographe n’a pas réalisé un travail dans le programme de commande du Pôle Image, la Mission Photographique a par ailleurs financé l’édition de l’ouvrage ainsi que l’exposition dans la galerie. Ce travail a été réalisé en collaboration avec le FRAC Haute-Normandie.

Andrea Keen, Fleuve, extrait, 2002-2003 Source : KEEN, Andrea, Fleuve : un parcours le long de la vallée de la Seine, FRAC Haute-Normandie, 2007, 297 p.

Je consulte également le catalogue de l’exposition Voyages pittoresques, Normandie 1820-20091

Vincenzo Castella, Rouen, 2008, Tirage argentique C-print, 180x300 cm Source : Voyages Pittoresques : Normandie 1920-2009, Milan, Silvana Editoriale, 2009, 512 p.

Dans ce livre, je découvre les images du photographe Vincenzo Castella qui a réalisé une commande pour le Musée des Beaux Arts de Rouen. Il donne dans ses photographies une autre vue et une autre dimension au point de vue en hauteur : l’absence du ciel et le cadrage sur les toits de la ville.

1 Voyages Pittoresques : Normandie 1920-2009, Milan, Silvana Editoriale, 2009, 512 p.

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Je pense à d'autres lieux qui me paraissent intéressants d'aller voir : la vue du 6ème pont de Rouen, les vues depuis Mont-Saint-Aignan (la cité universitaire et les quartiers résidentiels, le Mont-Gargan, les hauteurs vers Bois-Guillaume, Canteleu), enfin depuis les hauts de Rouen. Il faudrait peut être revoir la vue depuis le haut du Gros Horloge et pourquoi pas tenter d'aller en haut de la cathédrale (il faut pour cela que j'obtienne les autorisations nécessaires). Cette partie du territoire sera la plus facile à traiter car c'est celle que je connais le mieux. Il sera intéressant de découvrir le territoire du côté de la rive gauche de la Seine en prolongeant Rouen vers le Nord (Petit-Couronne, Grand-Couronne) mais je crois me souvenir qu'il n'y a pas de point de vue en hauteur. Je connais moins les environs des Andelys, avoir une part de découverte dans la commande est je pense un point important. Il peut être intéressant d'envisager les points de vue depuis la hauteur des bâtiments comme le Conseil Régional ou l'immeuble près de la Seine (Front de Seine). Cette vue donnerait une vue de paysage depuis un lieu urbain. Cette réflexion me permet d’identifier deux types de panoramas : - les points de vues depuis les endroits construits (ex: la Cathédrale de Rouen) - les points de vues depuis les sites naturels (ex: la Côte Sainte-Catherine) Est ce que la Seine doit-elle toujours être représentée dans les photographies ? Je ne sais pas encore précisément comment je vais envisager la commande. Utiliser une technique différente du numérique pourrait être intéressante mais doit être justifiée. Je trouve aussi enrichissant de pouvoir mêler les médiums, ne pas utiliser uniquement l'image fixe mais éventuellement l'associer à du son ou de l'image animée. Dans cette orientation, je vois davantage l'association de son à l'image fixe et mon idée principale serait de créer une distance entre les deux : réaliser la prise de vue du panorama et faire une prise de son à l’endroit même d'un des lieux de la photographie. Cependant, comme me l'indiquait Didier Mouchel, il faut que le son apporte quelque chose en plus à l'image. Je pense que cela m'aurait plu de faire du sténopé panoramique avec pourquoi pas la construction d'une boîte qui servirait aux prises de vues. Le risque cependant est d'obtenir une image qui ait peu de netteté et de détails. Le coût des films (ou du papier) argentique rendraient la commande beaucoup plus chère. Faut il utiliser la chambre photographique ? On peut constater que la majorité des photographes qui ont travaillé le long de la Seine ont utilisé cette technique. Faut il du noir et blanc ou de la couleur ? Dans les deux cas, pourquoi plutôt l'un que l'autre ? 15


Je pense aussi dans le prolongement de mon travail de majeure, à l'outil de la carte géographique que je pourrai utiliser : faire une carte abstraite ? Je pense notamment aux panoramas de Rouen qui comportent tous la Cathédrale. La place et la présence de ce monument est particulière : on le voit depuis l’ensemble des points de vues de part sa hauteur, de plus, c’est un élément du paysage qui ne change pas. Est ce que les images «360°» apportent plus d'informations qu'un format classique ? Je ne suis pas convaincue. Par contre il peut être intéressant d'avoir la résolution la plus importante possible afin de zoomer dans l'image. Cela impliquerait soit le grand format argentique (je retrouve des contraintes budgétaires) soit le moyen format numérique mais j'ai peur qu'il soit difficile de sortir l'Hasselblad du studio de l'école. Je dois organiser mes prises de vues. Comment ? Il est sûrement judicieux de faire une phase de repérage, revenir sur les lieux si les conditions de prises de vues ne sont pas bonnes, garder des photos dans la sélection finale éventuellement. Cette première phase peut donner la ligne directrice de mon travail. Certains endroits seront plus faciles que d'autres. J'envisage de commencer dans les lieux connus avant de partir plus loin dans la découverte du territoire. J'envisage cette première phase en numérique quitte à revenir faire des photographies si entre temps je décide d’utiliser une autre technique. Je suis à Rouen encore deux jours, je commencerai une phase de repérage demain autour de Rouen en plusieurs parties : 1 - La Côte Sainte Catherine, Le Mont Gargan 2 - Le Gros Horloge 3 - Les Hauts de Rouen - Bois-Guillaume - Mont-Saint-Aignan 4- Le 6ème Pont de Rouen - Canteleu et la zone portuaire 5- Bonsecours si j’ai assez de temps. Par la suite, je pense qu’il faut que je découpe le territoire en plusieurs zones : Au Nord de Rouen : Sahurs, Saint-Martin-de-Boscherville, Duclair, Jumièges, Le Trait ,Saint-Wandrille-Rançon, Caudebec-en-Caux Au Sud de Rouen : Le Mesnil-Esnard, Amfreville-la-Mivoie, Les Authieux-sur-le-Port-StOuen, Cléon, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Criquebeuf-sur-Seine, Orival, Pontde l’Arche, Poses, Les Andelys. J’estime cette première étape comme un repérage, des tests et je pourrai envisager ensuite un rendez vous avec Didier Mouchel pour lui faire part de ces premières prises de vues. Finalement, je suis contente de faire un travail dans ma région d’origine. Béatrice Didier avait raison : je sens que je gagne beaucoup de temps et d’efficacité à le connaître. 16


Mercredi 16 janvier 2013

L’agglomération de Rouen Réflexion sur la notion de Panorama

C'est le premier jour où j'effectue des repérages pour la partie pratique du mémoire. Je me suis rendue comme je l'avais prévu dans les alentours de Rouen : la Côte Sainte-Catherine, La Grand Mare, Les Sapins, les alentours de Bois-Guillaume, Mont-Saint-Aignan et Canteleu. Je n'ai pas fait beaucoup de photographies mais j'ai été amenée à me poser des questions. Quelle place faut il donner au ciel ? Jusqu'où doit aller le cadrage ? Faut il représenter le maximum d'informations ? Je pense qu’un panorama peut montrer des lieux qui évoquent une histoire, un souvenir. Faut il que la Seine soit toujours représentée ? A quelle hauteur peut on parler de panorama ? Ce mot panorama est il à l'origine des panoramas publics ? Qu'est ce qu'un panorama ? Est ce un point de vue ? Quelles en sont ses spécificités ? A quoi sert un panorama ? Il est souvent lié à une dimension touristique. Pourquoi on aime un panorama ? Ils ont une «plaque» d'information qui indique les lieux de la ville ainsi qu'une boussole. Le panorama serait donc un moyen de se repérer ? C'est un endroit où l'on est et qui détermine où nous sommes situés par rapport à d'autres lieux. Cela implique la place de l'Homme dans le paysage. Ce terme sous entend que l'on surplombe, domine le paysage. Il sous entend la beauté et l'esthétique. Ils sont indiqués sur une carte géographique. Pourquoi ? A mon retour, j'ai effectué quelques recherches. J'ai ainsi pu déterminer que le mot panorama avait été défini en 1792 par le peintre irlandais Robert Barker, il vient des mots grecs pan (tout) et horama (vision). Il signifiait une peinture circulaire d’Édimbourg dans laquelle le spectateur était situé au centre pour la voir. La définition s'est ensuite étendue : - C’est un grand tableau circulaire et continu, disposé de manière que le spectateur placé au centre voie les objets représentés, comme si, placé sur une hauteur, il découvrait tout l’horizon dont il serait environné. - C’est une vue d’ensemble Ainsi un panorama impliquerait une vue circulaire qui serait placée par exemple au sol. Le spectateur situé au centre pourrait voir l’ensemble de ce qui est représenté. Cette définition s’éloigne des panoramas de cette partie pratique bien qu’on peut déceler quelques points communs : il implique la ligne d’horizon, un espace vaste, un grand angle, une grande profondeur de champ. Cependant doit on obligatoirement avoir usage de ce grand angle ? 17


Mardi 29 janvier 2013 Contrat de commande

Les commandes du Pôle Image font l’objet d’un contrat et comme j’ai demandé à Didier Mouchel de me positionner dans un exercice dans les mêmes conditions que les photographes habituels, il m’a demandé de le remplir et de faire un budget prévisionnel. Je trouve l’exercice complexe : je ne me vois pas «réclamer» de l’argent au Pôle Image pour un travail de commande supplémentaire, dont je suis la demandeuse. En partant de mon dernier rendez-vous avec Didier Mouchel je n’ai pas vraiment su s’il était partant pour s’investir financièrement. Dans le cadre habituel d’une commande, l’issue est une exposition financée par le Pôle Image. L’association peut ensuite la faire circuler pendant trois ans avant de la restituer au photographe. L’artiste s’engage aussi à céder plusieurs œuvres. Je ne me vois pas céder des photos au Pôle Image sans rémunération de droits d’auteurs. Si le Pôle Image apporte un financement, il me paraîtrait normal de faire un équilibre entre le budget de l’école et l’association dans les frais techniques. Je peux ensuite financer la présentation de la partie pratique avec le budget de l’école (que je peux ensuite restituer à l’école) puis proposer au Pôle Image de financer une deuxième version de l’exposition qui pourrait s’intégrer dans les conditions habituelles. Ainsi, il y aurait une répartition à part égale. Mais ce contrat me pose beaucoup de questions, difficiles à résoudre et je me demande si dans le cadre d’une commande c’est au photographe de s’en occuper. Ce document s’avère être une contrainte assez lourde dans le début de mon travail qui m’empêche de débuter ma recherche d’un point de vue pratique. De plus, comment évaluer mes déplacements ? C’est quelque chose de très complexe qui signifierait un planning fixe alors que j’ai plutôt une démarche de déambulation dans le territoire. Je parle de cette problématique de contrat à Pascal Martin qui coordonne les mémoire puis à Medhi Aït-Kacimi la personne responsable de la communication de l’école. Finalement, je pose la question à Didier Mouchel qui me dit ne pas avoir de budget (je le présentais vu le contexte de la commande) et ne pas réclamer les images à la fin de ma partie pratique. Il n’y aura donc pour le moment pas de diffusion par le Pôle Image. Ainsi, Medhi Aït-Kacimi me dit que le contrat n’est pas nécessaire. Je dois par ailleurs réaliser la commande uniquement avec le budget du mémoire.

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Vendredi 1er février 2013 Note d’intention

Comme convenu j’ai rédigé une note d’intention que j’ai ensuite envoyé à la fois à Didier Mouchel, à ma directrice de mémoire et à mon directeur relais, Rolan Ménégon, enseignant de prises de vue à l’ENS Louis-Lumière :

Pistes de réflexion sur la notion de panorama Le mot panorama est une notion définie en 1792 par le peintre irlandais Robert Barker. Il vient des mots grecs «pan» (tout) et «horama» (vision). Dans sa définition, un panorama est une peinture circulaire d’Édimbourg dans laquelle le spectateur était situé au centre pour la voir. Cette peinture est de grande dimension et donne l’illusion de la réalité grâce à des effets de perspective et de trompe l’œil. Dans sa définition, le panorama «absorbe» l’observateur dans la scène représentée». Le panorama, d’origine picturale, pouvait également être associé à une scénographie : son et lumière. Dans le domaine de la photographie, nous pouvons définir un panorama comme une vue d’ensemble d’un espace, vu souvent d’un point de vue en hauteur. Il implique la représentation d’un espace vaste qui s’étend vers l’infini. Nous pouvons associer ce terme aux notions techniques de grand angle et profondeur de champ. Le panorama se distingue de la notion de panoramique dans le sens où un panorama est un point de vue et le panoramique est un format. L’un et l’autre sont souvent liés. Nous pouvons constater que cette notion de panorama est aujourd’hui lié au paysage : il permet d’observer un paysage urbain et/ou naturel. Nous pouvons également dire que l’on peut être face à deux types de panoramas : les points de vues depuis les endroits construits et les points de vues depuis les sites naturels Identifié sur les cartes géographiques, il peut aussi être lié à une dimension «touristique». Sur le lieu de certains panoramas, se trouve une table d’orientation qui indique les principaux lieux visibles depuis le point de vue où est placé le spectateur. Un panorama a donc pour but la connaissance du territoire, son observation. La plaque d’orientation permet de se repérer. Le panorama marque la place de l’homme dans le paysage mais aussi par rapport au territoire. Les panoramas situés dans la plupart des cas en hauteur impliquent également l’idée de surplomber et de dominer le paysage. Le panorama implique également une valeur esthétique : un panorama est souvent qualifié de «beau».

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Dans l’ouvrage Le temps du panorama de Thibaut Cuisset, Olivier Bonfait auteur des textes nous apporte des informations sur cette notion : «Face aux panoramas du 19ème siècle ou aux vues légendaires des sites touristiques, ces panoramiques semblent étrangement vides. Ils ne donnent pas à voir une présence, celle de la nature, avec un golfe précis, les dents d’une montagne, ou celle de l’homme, avec son habitat particularisé, mais rayonnent un sentiment d’existence (...). Le but des panoramas tristement humains de notre vie quotidienne est de fixer un état, où l’on croit voir assembler des merveilles, car l’on sait ce tableau fragile (...) sous l’œil du photographe, sous le regard de l’homme qui sait en contempler éperdument le spectacle. Les panoramas traditionnels tendent à l’infini, chaque panoramique de Thibaut Cuisset contient l’universel du paysage, mais se recueille en quelques centimètres carrés de tons pastels, dans la paume de nos yeux. Le ciel n’y est pas une zone neutre, pour la légende, ou un espace mélancoliquement modelé de gris. Il est un paysage en lui même, écho silencieux de l’univers terrestre1». Grâce à toutes ces informations nous pouvons dire que la notion de panorama implique un point de vue souvent en hauteur, d’un vaste espace qui tend vers l’infini et qui implique la ligne d’horizon. Il est représenté par la peinture ou la photographie et montre le paysage à un instant donné. Il a une valeur esthétique, géographique, topographique et documentaire. Il permet l’observation, la contemplation. Il est associé à des peintures et photographies de grandes dimensions, pouvant être associées à une scénographie qui «absorbe» le spectateur dans la scène représentée. Problématique Comment envisager la prise de vue photographique d’un panorama pour apporter une connaissance du territoire Haut Normand ? Quelle démarche adopter pour rendre compte photographiquement des caractéristiques de la notion de panorama : information et valeur documentaire, contemplation et immersion du spectateur, rendu esthétique et vue d’ensemble de point de vue en hauteur (quelle hauteur et quel cadre faut il adopter ?)

1 BONFAIT Olivier, CUISSET Thibaut, Le temps du panorama, Filigranes, 1996, p.6

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Réalisation pratique et contraintes techniques La partie pratique débutera par une période de documentation. Il sera question de rechercher des ressources iconographiques et documentaires sur la notion de panorama, dégager des questionnements puis une problématique. Cette première phase comportera également des repérages de points de vues sur le territoire, répartis en trois zones : - la ville de Rouen et son agglomération - la partie nord du territoire d’étude : de Sahurs à Caudebec-en-Caux - la partie sud du territoire d’étude : de Mesnil-Esnard aux Andelys. Démarche de prise de vue envisagée Prises de vues en noir et blanc à la chambre photographique. Utilisation de la 3D par la technique des anaglyphes pour immerger le spectateur dans le panorama ? Association à l’image de sons pris à des endroits de la photographie afin d’apporter un information documentaire et sonore à l’image et une dimension sociale. Cette association permet créer une distance entre prise de vue et prise de son. Exemple : une prise de vue depuis le panorama de la Colline Sainte Catherine avec des sons pris sur le parvis de la Cathédrale, dans la rue du Gros Horloge... L’ensemble du travail pourra ainsi s’intégrer dans la ligne éditoriale «Paysages, territoires et socialisation» tout en restant dans la thématique du panorama. Dans la réflexion du mémoire, il s’agira si possible d’apporter une dimension sociale à la photographie du territoire. Journal de bord La partie pratique du mémoire sera accompagnée d’un «journal de bord» qui retranscrira l’ensemble de ma réflexion. Sous la forme d’un journal écrit régulièrement tout au long du mémoire et de la partie pratique. Il retranscrira également les liens réalisés entre théorie et pratique. Il pourra notamment contenir les entretiens effectués avec les photographes qui ont participé à l’avancement de ma réflexion. Il sera présenté en même temps que l’exposition à l’ENS Louis-Lumière sous forme imprimée.

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Planning Février - Mars : prises de vue de repérages en numérique sur le territoire. Repérages de différents points de vues sur le territoire d’étude. (15 jours) Poursuite du travail de documentation et de recherche Avril : Prises de vues définitives (10 jours) Fin avril : Traitement des images, Finalisation de l’écriture du journal de bord Début mai : Rendu de la commande à Didier Mouchel Mi mai - Mi juin : Préparation de l’exposition à l’ENS Louis Lumière, impression du journal de bord Références iconographiques (voir les images du 11 janvier)

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Lundi 4 février 2013

Canteleu, Hénouville, Le Trait

Alors que j’avais exploré une partie de la ville de Rouen, j’ai commencé aujourd’hui à partir de Canteleu avec pour objectif de remonter la Seine au Nord. D’autres questions me sont donc venues. A quelle distance faut il se positionner pour faire la prise de vue du panorama ? Être trop loin n’apporte pas d’informations selon moi sur le territoire. A moins de disposer d’une très grande focale ? Je ne suis pas sûre que ce soit réellement la réponse à la question même si en utiliser une me parait judicieux. Située dans les hauteurs de Canteleu, ce point de vue m’a paru trop éloigné. Je suis parvenue à m’approcher. En regardant ensuite les images sur mon ordinateur, j’ai retenu quelques photos intéressantes.

Côte de Canteleu, D 982, Seine Maritime

J’ai ensuite continué mon périple en longeant la Seine du côté de la rive droite jusqu’au Pont de Brotonne. La plupart du temps, la Seine est éloignée des différentes villes et le prochain point de vue qui a été intéressant s’est trouvé à Hénouville. Une route monte en hauteur, on peut de là voir les bocages et au loin la Seine. Après une photographie de repérage, j’ai décidé d’y retourner afin de la parcourir à pied, se garer au bord de la route n’étant pas pratique et dangereux. La ville suivante qui m’a permis d’avoir un panorama a été Le Trait avec un paysage très industriel. Enfin je me suis rendue compte qu’à première vue, il n’y avait pas tant de points de vue en hauteur que cela. Je me suis demandée si la prise de vue en 3D que j’avais envisagée était vraiment justifiée. 23


Côte de Canteleu, D 982, Seine Maritime

Zone industrielle, Le Trait

Mardi 5 février 2013 J’ai rencontré aujourd’hui Jérome Fellin, conseiller en arts plastiques à la DRAC Haute Normandie. A la fin de l’entretien, je lui ait parlé de ma partie pratique de mémoire. C’est lui qui habituellement donne son aval pour les commandes du Pôle Image. 24


Mais je me rend compte qu’il n’a pas beaucoup de pouvoir sur les décisions des commandes : que ce soit sur le sujet ou le choix des photographes. Il m’a dit avoir confiance en Didier Mouchel et estime ses choix cohérents. Dans ce sens, il n’a pas donné d’avis particulier sur mon travail de partie pratique. Nous avons juste eu une discussion sur ce travail et sur l’état actuel de ma réflexion.

Mardi 12 février 2013 Je suis quelques jours à la montagne. En poursuivant mes lectures et ma réflexion sur les panoramas, le cadre de la montagne est propice. Je lis notamment l'ouvrage d'Alain Roger Court Traité du Paysage qui explique que la montagne et le panorama implique un effort physique (quand l'accès se fait par la marche). Il dit que «la récompense est au bout de l’effort physique». Dans le cadre de la photographie, le panorama, le point de vue serait-il une récompense suite à l’effort nécessaire pour s’y rendre ?

Samedi 16 février 2013 En poursuivant la lecture de l’ouvrage d’Alain Roger, il explique également que les moyens de transports tels que les autoroutes sont souvent considérés comme des éléments détruisant le paysage mais que finalement c’était l’inverse, qu’ils participaient à nous le faire découvrir. En prenant le train aujourd’hui, j’y ait prêté attention. Mon voyage s’est transformé en paysage. J’étais sur un trajet habituel entre Paris et la Normandie et finalement au début du voyage, je ne reconnaissais pas le paysage, je me suis même demandée si j’étais dans le bon train. J’ai réalisé qu’il avait raison.

Lundi 18 février 2013 Amfreville-la-Mivoie

Les repérages des mes prises de vues ont continué ce matin. Je me suis rendue au Sud de Rouen. J’ai trouvé la ville d’Amfreville-la-Mivoie intéressante, située dans une sorte de «cuvette» entre la Seine et la falaise. Le paysage montrait au premier plan un quartier résidentiel et au second plan un paysage industriel. Ce point de vue m’a rappelé celui que j’avais vu au Trait. J’ai tendance à penser que la Seine a été fortement industrialisée à ses abords. J’ai ensuite poursuivi la route qui longe la Seine, j’ai voulu me rendre au Rochers de Saint-Adrien, un point de vue photographié par John Davies puis Andrea Keen mais je n’ai pas trouvé le départ du circuit de grande randonnée pour s’y rendre. 25


Les panoramas que j’ai repérés sont souvent en hauteur, au bord de la route, une route en lacet, une configuration similaire au point de vue d’Hénouville. J’ai noté aussi que ces points de vues en hauteur étaient souvent bordés de forêts, beaucoup d’arbres sont derrières et sur la côte de la vue, parfois en face quand le panorama n’est pas dégagé. J’ai remarqué également sur ma carte que les panoramas associés à des sentiers verts étaient intitulées comme des «sentiers pittoresques».

Amfreville-la-Mivoie

Mardi 19 février 2013 En ayant la sensation de ne pas avancer à trouver des idées pour mon travail, j’ai demandé un rendez vous de suivi à Didier Mouchel pour la mi mars. Ce qui me permettra de finir ma période de repérages. Ce n’est pas possible avant le 1er avril compte tenu de son emploi du temps. Je me demande si les jeunes photographes comme moi on davantage besoin d’être suivis. C’est peut être à moi d’exprimer clairement à mon commanditaire que j’ai besoin de son aide. Je trouve difficile de trouver un propos nouveau à cette thématique courante et qui de plus à été déjà photographiée plusieurs fois. En poursuivant mes recherches, je me rend compte que les commandes passées dans ces centres ne le sont que très rarement à des jeunes photographes. Pourtant ces lieux ont pour objectif le soutien de la jeune création. Dans ce cas faire appel à des photographes qui ont de l’expérience et qui sont indépendants représenterait il un «choix facile»?

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Lundi 4 mars 2013 Je cherche encore une idée pour photographier ces panoramas. Je pense au surimpressions en associant le point de vue du panorama et le point de vue d’en face, de l’autre côté de la Seine. J’ai remarqué qu’il y avait parfois des contrastes entre les deux rives. Je ne sais pas, je dois essayer. Finalement même si les travaux de commande sont orientés vers le travail personnel du photographe, dans mon cas je me sens un peu sous contrainte avec ce sujet car pour l’instant je ne sais pas quel propos lui donner. Je me rend compte aussi qu’une mission photographique implique plusieurs photographes et une commande un seul. Comment nommer ces travaux passés dans ces centres ? Si ce n’est ni un commande, ni une résidence, ni une mission, quel nom leur donner ?

Mardi 5 mars 2013 Je me suis rendue pour la première fois à la bibliothèque de recherche de la Bibliothèque nationale de France aujourd’hui. Je viens en premier lieu consulter l’ouvrage d’Olivier Perrin La Fondation Nationale de France1 qui je l’espère va me permettre de compléter ma recherche historique institutionnelle. J’aimerais savoir si la première institution régionale dédiée à la photographie est le CRP NPC ou cette fondation. Puisque je suis là, je profite pour consulter l’ouvrage d’auteur Observatoire : 1997-20032 d’Anne-Marie Filaire dont elle m’a parlé pendant notre entretien. Il rassemble toutes ses prises de vues pour l’Observatoire Photographique du Paysage ainsi que ses annotations. Elles sont très brèves. Je sais que certains photographes écrivent des notes pendant leur commande, un peu comme ma démarche actuelle mais je me demande ce que eux retranscrivent. Anne-Marie Filaire mentionne le temps qu’il fait, quelques remarques toujours très courtes. Je trouve ce travail intéressant et pas uniquement parce qu’il permet d’appréhender les transformations du paysage mais surtout parce qu’il permet d’appréhender la lumière d’une année à l’autre. Chaque année, c’est le même point de vue, la même date et quasiment la même heure de prise de vue (je ne le savais pas) mais pour chaque photographie, c’est une lumière différente. Pour moi, c’est un peu la magie de la photographie représentée dans un livre. 1. PERRIN Olivier, La Fondation Nationale de France, Éditions Aléas, Lyon, 2001, 156 p. 2. FILAIRE Anne-Marie, Observatoire : 1997-2003, Rennes, Presses des Compagnons du Sagittaire,

2009, 500 p.

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Cet ouvrage me questionne également sur la diffusion des photographies. Anne-Marie Filaire l’a réalisé à compte d’auteurs. La publication parait être de plus en plus difficile. Les auteurs doivent ils avoir recours à ce type d’initiative pour laisser une trace de leur travail ?

Jeudi 7 mars 2013

Histoire des bords de la Seine en Haute-Normandie

J’ai décidé de consacrer plusieurs jours la semaine prochaine pour finir les repérages de ma PPM. Je suis retournée à la BnF ce matin afin de trouver des documents sur la Seine et ses panoramas qui m’apporteraient à la fois inspiration et documentation. J’avais préalablement fait une sélection d’ouvrage avant de venir. Je consulte en premier lieu, le livre de Jean Aubert1 intitulé La vie des bords de Seine. Ce livre comme l’indique son nom, apporte des informations sur la vie au bord du fleuve et je le consulte pour ma portion de territoire avec pour point de départ Les Andelys. «L’Andelle est une petite rivière de plateau qui après 54 kilomètres d’un cours paisible joint ses eaux à celle de la Seine quelque peu en amont de Pont-de-l’Arche. A mi chemin entre les deux confluents Château-Gaillard domine. Cette forteresse militaire fut construite par Richard Cœur de Lion, reconnue infranchissable par les ennemis. Les Andelys sont composés de deux parties (le Petit Andelys et le Grand Andelys) séparées par une prairie d’environ 1km devenu avec le temps une petite cité commerçante et résidentielle. Peu avant le confluent de l’Eure et de la Seine, Poses est un site important de navigation. Au point de jonction de l’Andelle et de la Seine commence «la Côte des deux Amants», qui fait l’objet d’une légende : un seigneur vivait en haut de la falaise dont la fille était éprise d’un chevalier voisin désirait l’épouser. Mais le seigneur mit une condition : que le prétendant montât de la berge jusqu’au château trois fois de suite, en portant la jeune fille. Le jeune homme accepta fit un premier voyage redescendit pour un deuxième parcours et malgré la fatigue entreprit le troisième. Déjà la jeune fille se savait à quelques mètres du but, quand il s’écroula, terrassé par l’effort, roula et fut emporté par l’onde. Folle de douleur, elle de précipita vers lui, tomba et fut emportée avec son amant dans la mort). C’est de leur souvenir que la côte fut baptisée «Côte des deux amants». 1. AUBERT Jean, La Vie des bords de Seine, Le Coteau : Horvath, 1986, 189 p.

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«Plus au nord se trouve Pont-de-l’Arche avec historiquement un pont constitué de 22 arches de pierres aujourd’hui disparu remplacé par un pont sans attrait particulier. Aux Andelys, comme à Pont de l’Arche, l’industrie du tissage de la laine fut longtemps prédominante. Après avoir baigné le petit port de Cricquebeuf, la Seine quitte l’Eure pour la Seine-Maritime. En Amont de Rouen : Elbeuf, SaintPierre-les-Elbeuf, Caudebec-lès-Elbeuf. L’industrie textile, favorisée par l’abondance de l’eau prédomine et donne la prospérité à la ville et quand cette industrie perdit de son importance, d’autres prirent le relais notamment mécaniques puis chimiques. Face à Cléon, sur la rive gauche, les roches d’Orival dominent la Seine (site historique où eu un temple gallo-romain puis un château qui fut détruit lorsque la Normandie entra dans le royaume de France). On arrive ensuite au massif de la forêt de La Londe, elle s’oriente ensuite vers l’Est pour frôler la forêt de Rouvray puis on arrive à Oissel et son port. L’origine du nom Oissel est «uxelo» qui signifie hauteur. Pourtant Oissel ne se situe pas en hauteur contrairement à Orival. La Seine se poursuit avec quelques petites îles et s’oriente vers le Nord jusqu’à Gouvy. L’eau a de nouveau suscité de nombreuses industries, filatures alimentées autrefois par l’énergie des roues des moulins, brasseries, industries chimiques plus récentes. La Seine toujours au service des hommes. Nous nous situons près de Rouen dans la «banlieue» et la densité de population s’intensifie, 10 000 à Oissel et 30 000 à Saint-Etienne-du-Rouvray (4ème ville du département, née de la présence du fleuve et de la forêt). Amfreville-la-Mivoie jouait un rôle important à mi chemin sur la route de Rouen à Pont-de-l’Arche. Elle fut transformée au 19ème siècle par le développement de l’industrie chimique, le cours d’eau s’insère ensuite entre Sottevillelès-Rouen sur la rive gauche et Bonsecours sur la rive droite, dernières cités avant Rouen. Sur la falaise qui domine la Seine, il était tentant d’élever une forteresse à Bonsecours. Ce fut le cas dès le 8ème siècle et le site resta de caractère stratégique. Entre Orival et Rouen, une carte de 1716 présente quarante quatre îles dans le lit de la Seine, puis dix huit autres entre Rouen et Duclair soit soixante deux sur une distance voisine de quarante cinq kilomètres. Moins de deux siècles plus tard, compte tenu des travaux d’aménagement de la 29


Seine, il n’y en a plus que trente neuf. C’est le signe de la volonté d’améliorer la navigabilité d’un fleuve qui, par ses caractéristiques est particulièrement apte à la navigation. Sur celui ci il faut des ports, notamment Rouen. Le port, le pont. La ville est en grande partie sur la rive droite, le faubourg sur la rive gauche. Deux petites rivières venues du plateau, le Robec et l’Aubette, traversant la ville et vienne se jeter en Seine au niveau du port. Un va et vient continuel de barques et de navires bien plus considérables que toutefois le pont arrête dans leur navigation. C’est ce qui explique la présence d’un port fluvial et d’un port maritime de part et d’autre du pont car jusqu’à une époque récente il n’y a plus de pont franchissant la Seine en aval de Rouen. Le développement de Rouen suscita la création de ports dans ses environs. C’est le cas de Canteleu, Grand-Couronne, Grand-Quevilly et Petit-Couronne qui possèdent d’importants chantiers navals. C’est aujourd’hui la banlieue même de Rouen, l’extension en aval du port avec ses bassins, silos, darses, dépôts d’hydrocarbures, entrepôts qui presque sans discontinuité prolongent l’activité rouennaise sur treize kilomètres de quais et cent soixante dix mille mètres carrés de hangars portuaires. Robert Courteheuse, duc de Normandie à la fin du 11ème siècle, plus connu sous le nom de Robert-le-Diable construisit à Moulineaux en aval de Grand Couronne un château que restaura Jean-sans-Pierre et dont les ruines qui dominent superbement la vallée abritent aujourd’hui le musée des vikings. Un port maritime occupait la même rive à La Bouille. Face à Grand-Couronne, se situe Val-de-La Haye avec le manoir des rois d’Angleterre. Duclair posséda une industrie cotonnière alimentée en matière première par bateau mais le haut lieu de cette boucle très resserrée que forme la Seine est l’Abbaye de Jumièges (...)». Ainsi le point de vue en hauteur comme le Château Gaillard et Bonsecours est un lieu stratégique, d’observation, de domination et de protection (puisque pour y parvenir il implique une effort particulier). Je consulte ensuite l’ouvrage de Guy Pessiot Histoire de Rouen, 18501900, en 500 photographies avant l’apparition de la carte postale1. Dans ce livre je peux voir des photographies de Baldus (une vue depuis le Gros Horloge sur l’abbatiale Saint-Ouen), des Frères Bisson, et des photographies stéréoscopiques d’Hippolyte Jouvin (datant de 1857 et 1858). 1. PESSIOT Guy, Histoire de Rouen, 1850-1900, en 500 photographies avant l’apparition de la carte postale, Édition du P’tit Normand, 1981, 249 p.

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Je trouve de nombreuses images et cartes postales réalisées dans les années 1800-1900. Il serait peut être intéressant de faire une rephotographie du même point de vue et de les associer pour réaliser une surimpression. J’ai remarqué que cet ouvrage était disponible à la bibliothèque de Rouen, je l’emprunterai et l’emmènerai pour mes prises de vues ce qui me permettra de comparer les points de vues et d’y réfléchir sur place. Il serait intéressant que je trouve des cartes postales anciennes.

Dimanche 10 mars 2013 Bonsecours, Freneuse, Soteville-sous-le-Val, Amfreville-sous-les-Monts

Je n’ai pas pu encore me rendre à la bibliothèque de Rouen mais j’ai décidé de consacrer toute cette journée à avancer dans mes repérages. J’aimerais pouvoir investir les trois jours suivants pour cette PPM afin de déterminer les lieux de mes prises de vues finales. Cette période me parait longue et fastidieuse. Je commence par me rendre à Bonsecours après avoir vu des points de vue dans les livres consultés à la BnF quelques jours plus tôt. Je me promène près de la basilique et du casino : le panorama est intéressant avec une vue sur Rouen. Je me rends au cimetière, en face s’étend la zone industrielle de Saint-Etienne-du-Rouvray et de Sotteville-lès-Rouen. Le paysage est industrialisé, dense. Je pense à Maxence Rifflet et à sa commande réalisée en 2008 et me demande alors : où est passé le paysage pittoresque ?

Promontoire de la Basilique Notre-Dame de Bonsecours, vue sur la Boucle de Rouen

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Cimetière de Bonsecours, vue sur la zone industrielle de Sotteville-lès-Rouen et de Saint-Etienne-duRouvray

Le point de vue montre au premier plan les tombes du cimetière, à l'arrière plan la zone industrielle. Une image d'une «mort» du paysage ?

Vue depuis le cimetière de Bonsecours

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Cimetière de Bonsecours,vue sur la Cathédrale de Rouen

Toujours du cimetière, on peut distinguer la cathédrale mais je constate une forte végétation et j'ai peur qu'il soit difficile de trouver le même point de vue que les cartes postales et photos anciennes que j’avais pu voir. Peut être que la surimpression pourrait montrer cette nature. Encore faut il trouver le point de vue exact, c'est l'enjeu de la démarche de rephotographie.

Vue depuis le cimetière de Bonsecours

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Je me fais la remarque que souvent les cimetières sont situées en hauteur. Dans celui de Bonsecours, il y a une vue sur la Seine et de façon étonnante il y a un banc qui est orienté en sens inverse du point de vue, vers le cimetière. En pensant aux cartes postales, je pense à mon oncle qui est collectionneur de timbres et qui peut être est susceptible d'en posséder, ce qu'il me confirme après un coup de téléphone. Je prévois donc d'aller le voir en fin de journée après mes repérages. Je continue ma route et repars depuis le point où je m'étais arrêtée auparavant. Je me rends à Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen puis à Le-Port-SaintOuen mais je passe mon chemin jusqu'à la prochaine ville intéressante : Freneuse. Située légèrement en hauteur elle est au milieu de la boucle de la Seine entre Oissel, Elbeuf et Soteville-sous-le-Val. Je peux ainsi avoir les points de vues de chaque côté : à droite la zone industrielle de Tourville-la-Rivière, à droite une zone plus agricole et rurale. Il y a comme à Bonsecours une table d'orientation qui date des années 1800-1900. C'est intéressant je trouve de les avoir conservées.

Freneuse, vue sur Soteville-sous-le-Val

Plus loin j'arrive à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, ville située à la boucle que je dois à mon avis photographier depuis la rive gauche. En passant le pont, j'arrive à Elbeuf, je vois quelques immeubles (qui sont eux aussi souvent en hauteur dans les villes), J'espère trouver un endroit depuis l'autre rive pour capter cette urbanisation.

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Freneuse, vue sur Tourville-la-Rivière

Sur la carte, je vois sur l'autre rive près d'Orival, un lieu qui s'appelle «Le Nouveau Monde». Ce nom me fait penser au film de Terence Malick même s'il n'y a aucun rapport, je me demande pourquoi il s'appelle comme cela, il faudra aller voir. Je repasse le point pour continuer la route de la rive droite, je passe plusieurs villages jusqu'à Sotteville-sous-le-Val, je prends quelques photos en hauteur d'un quartier, je suis un peu éloignée de la Seine mais je peux voir l'autoroute A13 au loin qui passe en plein dans le paysage.

Soteville-sous-le-Val

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J'arrive à Alizay où je ne trouve pas le panorama indiqué sur la carte. C’est assez contradictoire : ces panoramas sont indiqués sur la carte mais pas dans la ville. Je continue mon chemin et j'arrive enfin près de la célèbre côte des deux amants, je vais à Amfreville-sous-les-Monts et je trouve le point de vue photographié par John Davies et Andrea Keen. Il y a un GR qui permet de descendre un peu sur la falaise et d'avoir un point de vue bien dégagé néanmoins un peu dangereux. J'imagine John Davies avec sa chambre sur ce rocher. Pour terminer la journée je vais voir le panorama depuis la côté des deux amants. On peut voir en face Poses, le passage des péniches et la confluence avec l’Andelle.

Panorama d’Amfreville-sous-les-Monts

La journée passe vite et je me rend compte que le territoire d'étude est vaste et je n'ai pas eu le temps de me rendre aux Andelys. Je vais chez mon oncle qui a effectivement quelques cartes postales anciennes notamment des vues de Rouen depuis la Côte Sainte-Catherine mais aussi de Bonsecours (du cimetière notamment). Il me dit que les vues de panoramas à l'époque étaient assez rares. Je pense en effet qu'il était compliqué de s'y rendre compte tenu que la voiture n'existait pas. L'effort physique qu'impliquait le trajet pour s'y rendre comme l'exprime Alain Roger devait impliquer un enjeu plus grand que maintenant. Cette vue de la Côte Sainte-Catherine est connue de tous les rouennais aujourd'hui, mais il y a cent ans, si on se situe dans le contexte de l'époque, ça devait être une vue unique et inhabituelle. Je discute avec lui de mes repérages et je me rend compte qu'il connait parfaitement la Région. Il me dit que le funiculaire de Bonsecours n'existe plus mais qu'il a été remplacé depuis par un GR que je peux emprunter à pied et qui me donnera une vue sur la rive gauche. Il est capable en 36


regardant une carte postale datant de 1955 de me dire tous les bâtiments qui ont disparu aujourd'hui. Selon lui, mon principe de superposition peut fonctionner si j'arrive à trouver le point de vue exact de la carte postale. Il m'explique avoir déjà vu ce genre d'effet dans un film, le résultat lui avait semblé intéressant. Enfin il me parle d'un point de vue depuis la forêt de Saint-Etienne-du-Rouvray, au bord de la falaise qui permet de voir toute la boucle d’Elbeuf. Il ne se souvient plus exactement de l’endroit mais je tenterai de le trouver. J'apprends aussi que mon oncle possède le livre de Guy Pessot que j'ai consulté à la BnF, qu’il est en trois tomes et que mes parents le possède aussi (chose que je ne savais pas). Je ne suis partie qu’avec quelques cartes postales mais je pense en parler à Didier Mouchel qui saura sûrement me renseigner où en trouver. Il connait à la fois le territoire et les fonds anciens normands il pourra peut être compléter ma recherche. Le premier test que j’envisage sera le panorama de la Côte Sainte-Catherine, je dois scanner la carte postale et tenter de faire la prise de vue à l’identique. J’envisage demain de commencer à explorer la rive gauche au sud de Rouen : Saint-Etienne-du -Rouvray, Orival puis continuer.

Lundi 11 mars 2013 Il y a 10 cm de neige dehors, je ne peux continuer mes prises de vues. Je pense néanmoins à l’exposition de cette PPM. Je pense que le parcours en forme de boucles de la Seine est à exploiter dans la scénographie. J’imagine depuis une ou deux semaines, un parcours avec des cloisons qui reproduiraient le trajet du fleuve. De chaque côté de la cloison je pourrais accrocher les photos, un côté représentant la rive droite et l’autre la rive gauche. Mais après réflexion je ne vois pas quel «matériau» pourrait avoir une forme ronde, cylindrique et mon budget est limité. Peut être qu’il faut faire simple et imaginer un parcours dans un couloir de l’école où un mur représenterait une rive ?

Mardi 12 mars 2013 Il y a 20 cm de neige dehors, c’est pire qu’hier je ne peux ni prendre ma voiture ni le train. Le temps peut être une réelle contrainte dans la photographie de paysage.

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Mercredi 13 mars 2013

Cartes postales anciennes (Bibliothèque de Rouen)

La neige n’a que partiellement fondue. Je ne peux pas prendre ma voiture et m’aventurer sur les petites routes. J’ai décidé de me rendre uniquement à la bibliothèque de Rouen. Je suis allée consulter les fameux livres que j’avais pu voir à la BnF ainsi que d’autres sur la Seine mais finalement je suis assez déçue de ce que je peux trouver, il y a peu de livres qui concerne mon sujet. Je demande par tout hasard à la bibliothécaire si la ville de Rouen possède un fonds d’anciennes cartes postales et elle me réoriente vers une autre bibliothèque de la ville. Je m’y rend juste après, rencontre une autre bibliothécaire et lui explique longuement mon projet de PPM et cette idée de surimpression. J’apprends qu’il y a en effet des anciennes cartes postales conservées que je peux visualiser sur microfilm. La bibliothèque comprend également un fonds de quelques photographies. Elle me conseille également de compléter ma recherche en allant aux Archives de Rouen (dans une troisième bibliothèque). Il ne me reste qu’une heure avant la fermeture de la bibliothèque mais je consulte tout de même un microfilm et je commence par des cartes postales de «vues générales» de Rouen. Je prends connaissance d’une centaine de points de vues autour de Rouen puis certaines prises de vues sont effectuées depuis Canteleu, du Mont Gargan et de la Côte Sainte-Catherine. La bibliothécaire m’explique que plusieurs possibilités s’offrent à moi : je peux avoir une reproduction du microfilm en basse définition (qui serait plutôt un document de travail), je peux aussi demander à voir la carte postale originale après envoi d’un courrier et une autorisation d’un conservateur. Si ma demande est acceptée, je peux photographier cet original avec mon appareil photographique personnel mais les conditions lumineuses de la salle qui ne sont pas favorables. Je me demande si la qualité peut être suffisante pour ma démarche de superposition et pour un tirage d’exposition. En parcourant les microfilms, je constate qu’ils sont parfois mal exposés et peu contrastés. Les démarches pour voir les cartes postales sont compliquées. Je pense que ce fonds est très intéressant et que l’explorer n’est pas inutile. Il pourrait peut être faire l’objet d’une valorisation lors de l’exposition de la PPM en effectuant par exemple un parcours ancien et un parcours contemporain. Je photographie rapidement les reproductions du microfilm pour garder une trace et je décide de revenir pour poursuivre la consultation du fonds un autre jour.

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Jeudi 14 mars 2013 Je suis allée à l’école aujourd’hui et j’ai vu Pascal Martin. Je lui ait parlé donc de mes questionnements de rephotographie. Je pense que connaître la focale de la prise de vue ancienne est nécessaire pour faire une photographie contemporaine dans les bonnes proportions. Il me raconte qu’il est possible de la retrouver en effectuant des calculs. Connaître le grandissement de l’image pourrait m’aider. Il m’a confirmé que la tâche était difficile mais que selon lui, c’est le point de vue identique qui était essentiel et qu’il faut le photographier avec une focale très courte. Ainsi, je pourrais éventuellement récupérer le décalage sous Photoshop. Dans tous les cas un format de pellicule ou de capteur différent pose problème. Je profite de ma présence à l’école pour scanner les cartes postales de mon oncle qui feront l’objet de mon premier test. Le hasard fait que Florent Fajolle, le documentaliste de l’école, me contacte pour m’informer que le CDI de l’école a reçu un fonds important sur l’Observatoire Photographique du Paysage : photos, compte rendus, documents que je vais consulter l’après midi. Il y a en effet une quantité importante de documents dont un qui m’intéresse particulièrement pour mes préoccupations actuelles : «Procédures techniques pour la reprise de vue d’images». Ce document mentionne les conditions de rephotographies de l’Observatoire : « (..) La position de l’appareil photo soit être rigoureusement la même que lors de la prise de vue initiale. Un décalage entraînerait une modification de la perspective et un déplacement des éléments sur la photo. Pour déterminer un point de vue inconnu, la seule méthode consiste à trouver au moins deux éléments repères alignés sur la prise de vue initiale et que ces repères soient le plus éloignés possible les un des autres sur l’image. Les sujets sans éléments repérables stables sont pratiquement impossible à reconduire, c’est pourquoi le marquage au sol du point de vue initial est important. L’angle de champ doit toujours être identique ou supérieur mais jamais inférieur. Une fois que le point de vue est déterminé : - si l’objectif offre un angle de champ identique et que l’on connait ou si l’on a pu déterminer avec précision le point de prise de vue, il ne reste plus qu’à effectuer un cadrage identique. Il peut arriver qu’il y ait peu ou pas de repères dans le sujet à photographier. Les proportions du ciel par exemple sont souvent difficiles à déterminer. L’utilisation d’un dépoli quadrillé est indispensable. 39


Il faut alors préalablement dessiner le même quadrillage sur une copie de la prise de vue initiale qui servira de référence. - si l’objectif utilisé pour la reconduction offre un angle supérieur, le quadrillage du document de référence ne sera plus possible. Cependant les risques d’imprécisions dans l’alignement de l’appareil seront compensés par la marge image résultant de l’utilisation d’un tel objectif». Cela rejoint ce que m’expliquait Pascal Martin. Je retourne en Normandie le soir même, c’est la fin de la neige, je vais pouvoir avancer dans mes repérages demain et faire une prise de vue depuis la Côte Sainte-Catherine pour réaliser mon test. Il faudrait que je trouve un moment pour en parler à Didier Mouchel.

Vendredi 15 mars 2013

Test de reprise de vue d’une carte postale ancienne puis de superposition avec photo contemporaine sous Photoshop Orival

Je débute ma journée de prises de vue en allant sur la Côte Sainte-Catherine afin de faire mon test de superposition. La première étape a été de trouver un point de vue qui correspondait à une des cartes postales que j’avais en ma possession. Le paysage avait beaucoup changé et notamment il y avait beaucoup d’arbres qui me cachait une visibilité pour prendre les photographies contemporaines. Je teste un premier point de vue puis un deuxième. Ce dernier me parait être le plus semblable à la carte postale datant de 1955. Je ne suis pas loin de glisser dans le reste de neige puis dans les ronces pour atteindre cet endroit surélevé. Je réalise ma photographie au trépied avec le Liveview de mon appareil photographique afin de retrouver le cadrage original. Je prends comme point de référence principal la Cathédrale de Rouen. Il est difficile de trouver un autre point commun éloigné du premier qui soit à la fois sur la carte postale et la photographie. Je choisis donc l’Abbatiale-Saint-Ouen. Les monuments religieux ne peuvent avoir changé depuis 1955, ce sont mes références. Je réalise plusieurs photos dont une me semblant la plus proche possible de la carte puis une avec la focale la plus courte que je possède sur mon objectif (24mm). Je retourne ensuite dans ma voiture, et avec mon ordinateur portable tente un test rapide sous Photoshop. J’estime qu’il me faut plus de temps pour tenter la reconstitution et décide de continuer mes repérages pour la fin de la journée. Je note que des personnes sont présentes sur le panorama et j’ai l’impression qu’elles sont venues déjeuner à cet endroit. Néanmoins, elles ne sortent pas de leur voiture. 40


Panorama de la Côte Sainte-Catherine - Carte postale datant de 1955

Panorama de la Côte Sainte-Catherine - Photographie contemporaine

Je reprends la route pour continuer mes repérages prévus initialement en début de semaine s’il n’y avait pas eu la neige. Je vais sur la rive droite puis me rend à Oissel puis Orival en passant par la route des roches. Je trouve ce lieu appelé «Le Nouveau Monde», qui n’a rien d’extraordinaire en soi mais qui est le lieu du GR qui mènent aux Roches d’Orival, point de vue indiqué sur ma carte. Cependant, je ne le trouve pas, je décide de revenir un autre jour pour m’y rendre. 41


Je continue à explorer la ville d’Orival jusqu’à repérer une église située en hauteur (l’église Saint-Georges). J’ai depuis cet endroit un point de vue sur Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Au loin, je peux voir le château d’eau de Freneuse que j’avais vu la semaine dernière, à gauche la boucle de la Seine à Elbeuf.

Vue sur Saint-Aunbin-lès-Elbeuf depuis le cimetière de l’église Saint Georges,Orival

Vue sur Elbeuf-Saint-Aubin depuis le cimetière de l’église Saint Georges,Orival

Je remarque une petite île au bord de la Seine avec des jardins potagers. Je réalise plusieurs images, je trouve ce lieu intéressant. Je suis ensuite la Seine, je vais à Elbeuf mais poursuit mon chemin en traversant Saint-Aubin les-Elbeuf, La Vallée puis Tostes pour arriver à Pont-de-l’Arche. 42


Un panorama est indiqué dans cette ville, je pense qu’il se trouve au niveau du jardin de l’église mais celle ci était fermée lors de mon passage. Il est 17h, le soleil commence à se coucher lentement, je continuerai ma route demain mais je pense revenir vers le nord et explorer toute la portion entre Rouen et le Pont de Brotonne sur la rive droite. A nouveau, je n’ai pas eu le temps d’aller jusqu’aux Andelys.

Samedi 16 mars 2013

Grand-Couronne, Barneville-sur-Seine, La Mailleraye-sur-Seine

Mon trajet débute à partir de Grand-Quevilly. Je longe la Seine à partir de cette ville et particulièrement par la zone industrielle (que l'on peut voir d'ailleurs depuis Canteleu). Je continue à avancer vers Petit-Couronne puis Grand-Couronne. Le spectacle est alors pour moi surréaliste : des usines au bord de l'eau, immenses, majestueuses. Le paysage est réellement impressionnant. Ces zones industrielles forment presque une esthétique, un ensemble organisé qui n'en finit plus, me rappelant les photos des Becher. Au loin, des petites maisons normandes sur les hauteurs. Le contraste entre les deux rives est impressionnant. Il y a ici aussi des jardins potagers au bord de la route en face des «centrales». Je me demande ce qui s'est passé dans ces deux villes et ce qui pousse les habitants à y vivre, à être face à ce décor. Je pense que ce lieu pourrait faire un travail photographique à part entière. J'envisage de revenir pour le photographier pour un autre projet. En recherchant le panorama «officiel» de ma carte situé à Moulineaux, (à nouveau non indiqué dans la ville) je trouve un chemin forestier devant lequel je m’arrête. Mon intuition devait être bonne puisque ce bout de forêt déboisé me donne un point de vue sur toute cette zone industrielle, irréelle : on ne se croirait pas dans l'agglomération de Rouen.

Point de vue sur la zone industrielle de Grand-Couronne

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A la fin de la ville, la zone industrielle s’arrête et «sans transition», nous retrouvons le paysage naturel des boucles de la Seine à partir de La Bouille. Je me trouve dans le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine. Les villes d'Anneville et d'Ambouville sont vallonnées, la prochaine étape intéressante, Barneville-sur-Seine, m'apporte un panorama avec un large point de vue sur toute la boucle. C'est étonnant comme les berges de la Seine à cet endroit sont nettes et délimitent le trajet du fleuve.

Vue sur la boucle de la Seine depuis Barneville-sur-Seine

Ce côté de la Seine, je le connais davantage et il me rappelle mon adolescence. Lors de ma scolarité au lycée, j’avais plusieurs amis qui habitait à Duclair, Jumièges, Hénouville et une à la Mailleraye. Je me souviens que certains prenait le bac tous les matins pour se rendre à mon ancien lycée (qui est situé à Barentin). Quelques années plus tard, je devais avoir 19 ou 20 ans j’étais revenue avec mon appareil photo dans ces villes mais je n’avais pas pris de photographies. Je me souviens avoir trouvé à l’époque la ville du Trait assez moche, j’avais prolongé mon trajet jusqu’à Villequier, une ville que j’avais par contre aimé. Cette zone industrielle à Grand-Couronne, je ne la connaissais pas avant ce travail, pas comme cela. Pourtant je suis passée devant des centaines de fois étant située juste à côté de l’autoroute A13. Finalement on ne connaît jamais parfaitement un territoire même quand on y a vécu vingt ans. Enfin, je remonte jusqu’au Pont de Brotonne. Je pense pour compléter ma recherche, que je dois trouver un point de vue en hauteur donnant sur l'Abbaye de Jumièges. Ce lieu me rappelle la notion de «pittoresque», une boucle qui semble préservée mais ce n’est pas anodin puisqu’elle est située dans le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine. En remontant vers La Mailleraye-sur-Seine, je le trouve sur une aire de repos dans la forêt de 44


Brotonne. Il est intéressant que pour une fois l'abbaye ne soit pas vue d'en bas mais d’en haut.

Panorama sur l’Abbaye de Jumièges depuis La Mailleraye-sur-Seine

Dimanche 17 mars 2013 Vironvay, Les Andelys, Thuit

Le temps n'est pas très encourageant mais il ne me reste qu'une petite partie de territoire à explorer (de Pont-de-l'A rche jusqu'aux Andelys) et j'aimerais terminer cette période de repérages aujourd'hui. Je me pose beaucoup de questions. Est elle nécessaire ? car finalement elle est très longue et fastidieuse. Je me rend compte des nombreux kilomètres déjà parcourus. Est ce que les photographes qui réalisent des commandes au Pôle Image ou au CRP Nord-Pas-de-Calais en font autant ? Et pourtant, je connais la région et me déplace de ce fait assez vite. Eux qui en général ne la connaisse pas, prennent ils aussi autant de temps ? Ils ont par ailleurs un an pour faire le travail contre cinq mois pour moi. Je pense également que nous avons tous notre manière de fonctionner et de photographier le territoire et le paysage. Il n'y a pas vraiment de règles.... Je me motive pour cette «dernière journée». Je pars directement vers Pontde-l'A rche et je descends la Seine. Très vite au bord d'une départementale, je trouve un point de vue, à nouveau, sur une énorme usine. Je passe devant mais plus loin, je fais demi tour, je remonte et m'arrête sur le bas côté pour prendre une photo. Compte tenu de la dangerosité du lieu, je prends 45


la photo depuis ma voiture. Je me dis que les photographes doivent certainement comme moi installer leur chambre photographique dans des lieux improbables, cela fait partie de l'enjeu pour avoir la bonne photographie. Plus encore, je me suis interrogée sur ce que m'apportait cette partie pratique. Finalement depuis que je la réalise je suis assez seule et même si la thématique des panoramas est de la photographie de paysage, ça ne s'inscrit pas totalement dans mon travail personnel. Je me pose cette question d'autant plus qu'il n'y aura, pour le moment du moins, pas de diffusion par le Pôle Image. L'enjeu est peut être finalement de s'approprier le sujet de la commande afin de l'intégrer dans une démarche personnelle, un travail dont je serai contente. Les deux prochaines villes qui attirent mon attention sont Saintt-Pierredu-Vauvray (je ne m'arrête pas car il pleut des cordes dehors mais je repère le lieu) puis Vironvay. Je peux photographier une nouvelle boucle. Je continue ma route jusqu'aux Andelys et monte vers le célèbre Château Gaillard qui surplombe une bonne partie de la vallée. C'est la limite au sud du territoire déterminé par Didier Mouchel. Je repère d'en haut une petite île avec une maison d'époque et je m'interroge sur son accès, il n’y a pas de pont pour s’y rendre. L'autre côté de la boucle est aussi intéressant avec un camping sur une petite île.

Vue sur Pont-de-l’Arche depuis Vironvay

Il est tard mais puisque je suis sur place, je me rend aux derniers panoramas identifiés sur ma carte : Thuit puis Muids. Le premier me permet d'avoir une image du Château Gayard au loin. Je décide à partir de là de rentrer et de déterminer mes repérages comme terminés. 46


Vue sur la Boucle des Andelys depuis le Château Gaillard

Vue sur le camping des Andelys depuis le Château Gaillard

Cette boucle m’apprend que la Seine peut être touristique à ses abords et qu’elle est «monumentale», je l’avais déjà constaté avec l’abbaye de Jumièges et la Cathédrale de Rouen.

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Le soir je rentre vers Paris en train. De ma place, je regarde à nouveau le paysage et reconnait tout au long du trajet entre Rouen et Val-de-Reuil des lieux que j'ai exploré. Ce moyen de transport me redonne encore une autre vision de ce paysage. En reconnaissant les villes et les lieux j'ai l'impression que maintenant je connais parfaitement le territoire. Finalement cette phase de repérages ne me semble pas inutile. Si le train ne suit pas la Seine à l'identique je me sens tout de même entre les deux rives. Lors de mon prochain voyage, je prendrai un fauteuil de telle sorte de voir le paysage du côté opposé. Plus tard, arrivée chez moi, je retente une superposition associant ma photo et la carte postale avec notamment un écran plus grand que celui de mon ordinateur portable. Après quelques manipulations, je pense avoir réussi. J'en suis contente et même si je ne sais pas encore si je garderai cette technique pour l'exposition finale, je suis contente d'être allée au bout de la démarche. Je vois alors deux configurations de cette PPM : soit continuer ces surimpressions soit faire un double parcours à la fois ancien montrant les cartes postales anciennes et à la fois contemporain avec mes photographies. Cette démarche serait justifiée par rapport au Pôle Image qui valorise de nombreux fonds anciens de la région. Je ne retiens pas mon idées de photographie en 3D que je mentionnais dans ma note d’intention me rendant compte que l’effet ne sera justifié avec une photographie de panorama. Je laisse aussi de côté le son qui représenterait un travail trop fastidieux selon le temps imparti de la PPM.

Vue depuis la Côte Sainte-Catherine - Assemblage de la photographie contemporaine et de la carte postale sous Photoshop

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Mardi 26 mars 2013 Avant de partir dans le Nord Pas-de-Calais demain, je passe par Rouen et j'en profite pour retourner une après midi à la bibliothèque de Rouen afin de finir la consultation des archives. En arrivant à 14h, une personne consulte déjà le poste des microfilms, si je peux en occuper un autre, je ne peux pas repartir avec des visuels JPEG des photos qui me permettrait d'appréhender leur qualité et de retenter la démarche de superposition. Je consulte tout de même la fin du fonds iconographique. Je passe en revue les cartes postales restantes, je me rend compte que le fonds photographique est très peu fourni (quelques plaques de verres du centre ville de Rouen) puis je regarde quelques microfilms d'estampes. Il y a des vieilles cartes topographiques, des dessins et gravures même si parfois ça ne rentre pas dans ma recherche sur les panoramas, c'est vraiment magnifique. Les vieilles cartes ont une esthétique très graphique. On ressent aussi l'ambiance pittoresque des dessins. Malgré tout, j'ai peur de perdre du temps. Il aurait sûrement fallu que je fasse ses démarches de recherche avant mes repérages de prises de vue. En même temps, faire les repérages avant, me permet de connaître le territoire et d'identifier les documents du fonds. Même si je ne suis pas encore certaine d'utiliser ce fonds, c'est une belle découverte culturelle qui m’a permis de découvrir ma région autrement. Je ne peux pas récupérer un visuel JPEG mais je fais l'inventaire de toutes les cartes postales et estampes qui pourraient être utiles en retenant leur numéro d'inventaire. Je repère quelques panoramas qui pourraient être reproduits dans ma démarche initiée pour la Côte Sainte-Catherine, je retiens les villes de La Bouille, Amfreville-sous-les-Monts, Bonsecours, Canteleu, Orival, Caudebec-en-Caux, Saint-Adrien, Les Andelys. Mais globalement il y en a très peu. Je pense à deux idées : 1) Poursuivre mon idée de reprise de vue et de superposition. Plusieurs scénographies pourraient être envisagées : la photo ancienne et contemporaine face à face, une vidéo qui montrerait la photo ancienne puis le passage progressif à la photo contemporaine (ce qui montrerait les modifications du paysage) ou l'impression de la photo ancienne et la photo contemporaine sur un papier calque situé sur la première. Encore faut il que j'arrive à retrouver le point de vue exact des cartes postales. 2) Réaliser deux parcours : un parcours ancien et un parcours contemporain. Le parcours ancien montrerait et valoriserait un fonds, le parcours contemporain montrerait une vison actuelle du territoire. Les deux seraient en parallèle et en correspondance. 49


Mercredi 27 mars 2013 C'est ma première journée au centre de Douchy-les-Mines. Le matin, je réalise un entretien avec Pia Viewing, directrice du centre. Alors que je me demandais il y a quelques jours si mes recherches iconographiques à la bibliothèque étaient utiles, Pia Viewing a partiellement répondu sans le savoir à ma question lors de notre entretien : « à travers cette recherche sur les archives photographiques de la Mine, j’ai compris les paysages, j’ai compris toutes les problématiques sociales ici dans le Nord- Pas-de-Calais ou une partie en tout cas. Et ça m’a donné la capacité d’être là, c’est à dire de comprendre cette région, profondément. A ce moment là, je suis arrivée car je comprenais. Comprendre c’est un mot vraiment important, c’est prendre avec, en soi, à l’intérieur, toutes les choses.»

Mardi 2 avril 2013

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les photos de repérage

Pour la première fois après le début de cette commande, j'ai revu Didier Mouchel. Ce fut l'occasion de lui relater l'ensemble de ma réflexion depuis le début de la commande : pourquoi ne pas avoir garder le choix de la photographie en 3D, le son, pour ensuite m'être orientée dans des recherches des fonds anciens jusqu'à aboutir aux cartes postales. Nous admettons ensemble que la démarche de rephotographie des cartes postales a plusieurs inconvénients qui remettent en cause son élaboration : la difficulté de retrouver des cartes postales qui correspondent, le temps que cela prendrait (il ne connait pas de fonds à proprement dit mais me conseille de les rechercher dans des livres qui doivent se trouver dans chaque commune : un travail long et fastidieux), la difficulté technique de faire une prise de vue identique. Il ajoute que cette démarche m’impose les points de vues à photographier, au détriment de certains que j’avais pu repérer et que c’est un peu dommage. Je n’apporterais pas mon regard. Il m'évoque l'idée de me baser sur les photographies de John Davies et Andrea Keen qui ont également effectué des prises de vues de panoramas au sein du Pôle Image. Mais je sens que la démarche n'est pas la même, bien que la principe de rephotographie serait toujours là, les photographies sont bien plus contemporaines, trouverons nous une différence flagrante ? Je n'en suis pas sûre. De plus, autant j'avais aimé le travail de John Davies, autant celui d'Andrea Keen ne m'avait pas beaucoup inspiré. Je lui montre mes images de repérages en noir et blanc, je trouve que ça apporte une neutralité entre les paysages. 50


Didier Mouchel m'explique qu'il me faut une procédure. En mettant de côté la photographie en 3D, le son et la carte postale, je dois selon lui trouver une nouvelle procédure, en m'expliquant que John Davies et Andrea Keen avait chacun la leur. Le photographe anglais photographiait à des moment particuliers de la journée pour obtenir une même lumière tandis qu'Andrea Keen a suivi la Seine selon les saisons. Je lui raconte mes prises de vues de repérages et ce que j'ai pu constater sur le territoire : l'industrialisation et l'urbanisation, la découverte de certains lieux, ceux qui m'ont marqué comme Grand-Couronne, ceux que je connaissais mais que j’ai découvert d'une autre manière et cette démarche fastidieuse de connaissance du territoire qui m'a paru beaucoup plus longue que je ne l'imaginais au départ. C'est là que j'ai pu voir la force et le côté intéressant d'un directeur artistique : sa connaissance du territoire. Didier Mouchel, connaissant parfaitement les deux départements, a su de quels lieux que je lui parlais et où ils se trouvait. Si ça avait été le cas inverse, il n'y aurait je pense pas eu le même échange. Je pense vraiment que cette connaissance du territoire est indispensable. Il m’a aussi montré le travail d’un photographe régional sur la Seine, qu’il avait reçu le matin même. Si la Mission Photographique ne peut produire et financer tous les projets, Didier Mouchel reste attentifs aux autres photographes et à leurs travaux. Cette connaissance du territoire dont je parle s’est confirmée par la suite. Je lui ait demandé s’il connaissait les points de départ des GR que je n’avais pas pu trouver (Orival, Bonsecours et SaintAdrien). C’était bluffant, il a su me répondre tout de suite et m’indiquer l’endroit précis me permettant de gagner du temps pour m’y rendre. Nous avons ensuite regarder mes images. J’avais préparé un PDF sélectionnant une ou deux images par ville retenue. Il m’a dit que mes images étaient intéressantes et bonnes. Ce qui m’a fait plaisir compte tenu ce qu’il avait pu me dire en entretien, qu’il était parfois «déçu du premier rendu». Sans le savoir, nous avons vu que j’avais pris exactement la même photographie que Patrizia Di Fiore (un point de vue depuis Canteleu). Je ne me souvenais plus exactement de cette photographie. Ce hasard m’a fait pensé au rôle de notre parcours culturel et de l’influence inconsciente des images que nous pouvons voir.

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Jeudi 4 avril 2013 Je pense à cette partie pratique depuis plusieurs jours, je cherche un «protocole» comme me conseillait Didier Mouchel. Je pense aussi beaucoup à ce que me disait Maxence Rifflet lors de notre entretien. Il me racontait que la route touristique sur laquelle il a travaillé en Basse-Normandie, au départ, il ne l'avait pas trouvée intéressante et que l'enjeu de la commande avait été de rendre ce sujet intéressant. Toute la question est là donc : comment m'approprier cette commande, ce sujet, pour l'intégrer dans ma propre pratique, dans ma démarche personnelle. Cette expérience doit être un travail qui puisse me servir pour mes travaux futurs, quelque chose que je pourrai montrer et dont je serai contente. Je me rend compte qu'une commande, c'est difficile. Beaucoup plus que je ne me l'imaginais. Ce n'est peut être pas accessible à tout le monde. Est ce que les photographes qui ont réalisé une commande au Pôle Image ou au CRP se sont posés autant de questions que moi ? Je ressens ce travail un peu comme une «prise de tête», presque comme quelque chose de difficile à vivre parce qu'il faut être porteur de propositions, de choses nouvelles... Comme me le faisait remarquer une de mes amies sortie de l'école, la partie pratique doit répondre à la partie théorique. Il est vrai qu'aujourd'hui les commandes passées dans les centres régionaux permettent aux photographes de poursuivre leur travail d'auteur. Une très grande partie de mon travail réside dans la photographie de reflet, une technique que j'avais déjà commencé à explorer avant mon entrée dans l'école. J’avais exposé ma série Impressionnisme au fil de l’eau en 2010, elle le sera de nouveau cet été dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste 2013. Je devrais peut être ne pas exclure mon idée d’exploiter cette technique du reflet. J’y pense depuis longtemps avec l’idée de provoquer le reflet avec une surface réfléchissante mais j’avais abandonné cette idée pensant qu’une plaque coûtait trop cher. Si cette idée fonctionne, cela pourrait prolonger ma démarche d'une façon un peu différente, cette fois je provoquerai le reflet à travers une autre surface que l'eau, je le construirait en quelque sorte. L’intérêt d’utiliser le reflet dans ce cadre permettrait d’avoir les deux côtés du panorama : le champ et le contre champ. Cette démarche s’inscrirait dans un processus moins documentaire mais justement ne faut il pas proposer autre chose ?

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Samedi 7 avril 2013 Je suis finalement allée acheter une plaque de plexiglas au BHV cet après midi. J’ai pu acheter une petite plaque d’une format d’environ 20x30 cm pour un prix de 5€. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si peu coûteux. Si le vendeur m’a dit qu’elle avait les mêmes propriétés que le verre, il n’en savait pas plus sur ses caractéristiques. Je dois aller en Normandie lundi, je compte tester cette idée de reflet. J’ai discuté avec Rolan Ménégon (mon enseignant de prises de vues) aujourd’hui. Il m’a dit une chose qui a retenu mon attention. Il m’a demandé si je restais sur le lieu du panorama ou non. Je lui ait expliqué que non, que je passais rapidement, je prenais les photographies qui m’intéressait et je repartais. Il m’a demandé pourquoi ? Il pense que c’est parce que ce sujet est ennuyeux pour moi. Je ne pense pas, je ne le ressens pas comme ça en tout cas. J’ai toujours eu cette démarche, et je pense que rester au même endroit comme ça : deux heures devant le panorama, j’aurais l’impression de perdre mon temps. En discutant de ce sujet, je me suis dit que c’était le moment d’essayer de faire autrement et justement de passer du temps sur un panorama et de voir ce qui se passe sur ce lieu.

Lundi 8 avril 2013

Reflet à travers une plaque de plexiglas

Aujourd’hui je reviens à Rouen et je me rend au panorama de la Côte Sainte-Catherine avec l’idée de faire mes tests de reflets mais aussi d’y passer du temps et de voir ce qu’il se passe sur ce lieu. Il est midi et il pleut. Quand j’arrive il y a deux voitures : une voiture grise avec deux personnes (un garçon, une fille, un couple j’ai supposé) ils discutent dans la voiture et une voiture rouge où des gens dorment. Je reste quelques temps dans ma voiture à observer ce qu’il se passe. Puis je prends mon appareil et ma plaque de plexiglas pour tester un reflet. Sur la côte il y a un petit champ de moutons, l'éleveur, jeune, une trentaine d'années leur donne à manger. Il pleut toujours et je trouve que la présence des moutons donne une trace de pittoresque en contraste avec la ville urbaine. Le pittoresque ne serait peut être pas totalement mort comme je l'avais pensé, me serais je trompé ? Je repense à la revue de presse de l'exposition Cosa Mentale que j'ai relu l'autre jour. Christine Ollier parle de «nouveau pittoresque». Le contraste entre les moutons et la ville m’y fait penser. Je prends le temps de regarder la vue, la ville de Rouen, et ce rapport d'échelle entre le point de vue en hauteur et la taille de bâtiments me donne l’impression que d'en haut, on pourrait construire la ville, l'agencer à notre guise. Cette idée me rappelle 53


un jeu vidéo que j'ai connu dans mon enfance permettant de construire une ville dans son ensemble. Surplomber la ville amène vraiment une idée de domination et apporte un lien avec dieu (même si je ne suis absolument pas croyante, il y a tout de même ce rapport). Si je pouvais modifier le panorama en face de moi comme dans ce jeu vidéo, comment l'envisagerais je ? Quels éléments je garderais, lesquels j'enlèverais ? Je pense que je reviendrai à un point de vue un peu plus pittoresque, moins industriel. Alain Roger écrit que ces paysages ne sont pas moches en soi, qu'il ne faut pas les envisager comme cela. Pour moi, j'ai l'impression que le deuil du paysage pictorialiste, impressionniste est un peu difficile. En réalisant mes tests de prises de vue avec ma plaque de plexiglas, il y a une personne non loin de moi qui commence à fumer une cigarette et comme c’est la journée de toutes les expérimentations, je décide de faire quelque chose que je ne fais jamais quand je réalise des photographies : je vais lui parler. Je dis cela car maintenant beaucoup de photographes développent une approche très sociale dans leur travail photographique comme Marc Pataut. Je n’éprouve pas ce besoin d’aller vers la population et les gens, de les connaître et de les photographier, au contraire. Cette part sociale je l’ai eu et je l’ai dans mon métier d’infirmière et je distingue les deux. Il est vrai que j’ai fait un travail photographique sur les paramédicaux mais je le vois comme un travail isolé. La photographie pour moi a toujours été comme un espace de liberté, de solitude et de concentration. Quand quelqu’un me propose de l’accompagner pour faire des photos, si j’accepte, je sais que ce ne sera pas dans une optique de travail parce que je ne serai pas dans le cadre qui me le permet. Il est 13h, je vais donc parler à cet homme. Je lui demande ce qu’elle pense de ce panorama, ce que la vue lui inspire et s’il vient souvent dans ce lieu. Voilà ce qu’il me répond : «On voit les différences entre les pauvres et les riches, les pauvres sur la rive gauche, les riches sur la rive droite mais ça toujours été comme ça. J’aime bien ce point de vue car on est en hauteur, on surplombe. On est loin de la vie en bas où on vit à deux cent à l’heure. On respire. Il me dit qu’avant, cet endroit était le rendez vous des amoureux dans les années 80 mais que ça avait changé». Il dit venir ici de temps en temps.

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Je reste aussi attentive au son. Comme dans mon souvenir, le bruit de l’urbanisation est très présent : les klaxons, le train qui passe sur le pont aux anglais, la circulation, les pompiers. Et aussi parfois, le bruit des moutons sur la côte. C’est un décalage assez amusant. Je reviens dans ma voiture après mes quelques tests, la voiture grise et rouge est partie. Je commence à regarder mes photographies sur mon ordinateur portable. En même temps je porte attention à ce qu’il se passe, aux gens qui viennent et repartent. A 14h, une personne se gare sur le parking, reste dans la voiture et lit son journal. Elle reste 5 min et repart. 14h08 : une personne arrive avec un micro, une autre personne la suit avec une caméra. La personne «à la cigarette» que j’ai interrogé quelques minutes plus tôt est toujours là et va leur parler. 14h12 : une voiture noire belge arrive. Un homme descend regarde la vue, sa compagne aussi quelques secondes plus tard. Pendant ce temps, le preneur de son et l’homme à la cigarette regarde la table d’orientation de gauche, les belges celle de droite. 14h18 : départ des belges. Temps passé sur le panorama : 6 min. 14h21 : le duo cameraman / ingénieur du son partent. Je me rend compte que les gens ne restent que très peu de temps sur ce lieu (il est vrai que le temps n’est pas idéal). A quoi sert un panorama ? Il n’a pas l’air d’inviter à la contemplation. Cependant l’homme à la cigarette est toujours là, se promène puis revient me voir (je suis dans ma voiture à traiter mes tests). Nous discutons quelques minutes, il me demande si j’ai réussi à avoir le résultat que je voulais. Je lui montre deux photos, il trouve le rendu intéressant. Il me dit aussi qu’il ne travaille pas aujourd’hui et que c’est pour cela qu’il passe un peu de temps ici. Il me demande la destination des photos, je lui parle alors de l’école et du diplôme il me dit qu’il aurait aimé avoir ce parcours. Je lui montre une autre image - il me dit aimer l’effet du reflet. Il repart ensuite dans sa voiture 14h35 : Je repars pour tester un autre point de vue. Je suis contente du résultat de mes photographies, je décide d’aller continuer la démarche avec le plexiglas à Bonsecours puis à Canteleu. Je suis restée 2h30 sur ce panorama.

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Reflet à travers une plaque de plexiglas : la cathédrale de Rouen depuis la côte Sainte-Catherine dans le champ et les arbres en contre-champ.

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Reflet avec une plaque de plexi du promontoire de la Côte Sainte-Catherine. Les moutons dans le champ et les arbres en contre-champ.

Reflet avec une plaque de plexi à Canteleu

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Reflet à travers une plaque de plexi au promontoire de la Basilique Notre-Dame de à Bonsecours.

Reflet à travers une plaque de plexi au cimetière de Bonsecours

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Mardi 9 avril 2013

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les photos avec le plexiglas

Je retourne voir aujourd’hui Didier Mouchel afin de lui montrer ces nouvelles images. Je lui explique la démarche et le fait qu’utiliser le reflet me permet d’avoir un «processus photographique» mais également de poursuivre une démarche personnelle que j’avais déjà initiée dans mon travail d’auteur. Je pense qu’au premier abord, il a été surpris que je lui ramène ces images mais m’a dit que ma démarche pouvait se justifier. Il m’a conseillé de l’explorer : réaliser des prises de vues avec d’autres lumières, essayer la couleur et de continuer les points de vues.

Mercredi 10 avril 2013 Depuis une semaine de recherche intense sur la panorama et à comment argumenter ma PPM, je lis à la fois des ouvrages sur le paysage et la photographie contemporaine en espérant entrevoir de nouvelles perspectives dans ma réflexion. Je me suis reconnue dans ce qu’a écrit Jean Marc Besse sur l’industrialisation du paysage qui est de plus en plus important, dominant : «Pendant longtemps, en effet, on a pu se satisfaire d’une définition qui faisait du paysage un panorama naturel, généralement découvert depuis une hauteur, permettant ainsi au spectateur d’obtenir une sorte de maîtrise visuelle sur le territoire. Un tel spectacle était censé provoquer chez les sujets l’apparition d’un plaisir esthétique ou d’une édification morale et en tout cas d’une émotion sensible inégalable en son genre. Cette conception pittoresque ou ornementale du paysage (qui est d’ailleurs encore bien vivante, notamment dans ses expression marchandes) est aujourd’hui en crise, ou du moins est l’objet de très nombreuses critiques, aussi bien sur le plan des représentations et des perceptions que sur celui des réalités et des projets. La relation entretenue avec les paysages est devenue plus complexe et moins «naturelle» qu’elle ne l’était. Ainsi les paysages sont abordés désormais dans le cadre d’une réflexion plus générale sur les villes et l’extension suburbaine, sur les sites industriels et leur emprise territoriale, sur les friches, sur l’impact des aménagements techniques dévolus au transport es hommes et des marchandises ou bien à la production et à la circulation de l’énergie»1. 1. BESSE Jean Marc, Le goût du monde, Exercices de paysage, Arles, Actes Sud, ENSP, 2009, p. 12

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Alors que les travaux effectués dans les centres me montrent que de plus en plus que le territoire est montré par des démarches nouvelles et contemporaines (Laura Henno fait poser ses modèles, Yves Trémorin adopte une démarche conceptuelle) éloignée de la photographie documentaire que l’on a pu connaître à travers le travail de John Davies. Ma théorie me le confirme en lisant Dominique Baqué puis en reparcourant le communiqué de presse de Christine Ollier du cycle d’exposition Cosa Mentale. Je pense alors à ma démarche de mes reflets. Ma pratique photographique est très contemplative et l’a toujours été. Je me suis sentie toujours inspirée par Caspar David Friedlich, Mickael Keena ensuite, Basilico et ses bords de mer et par les impressionnistes. Ces références ont sûrement forgé ma propre culture du paysage. C’est sûrement ainsi que mon attrait pour les pictorialistes et les impressionnistes m’ont poussé à débuter la pratique du reflet à travers l’eau et à réaliser cette série Impressionnisme au fil de l’eau. Toute cette culture a finalement construit ma sensibilité par rapport au paysage et à la photographie. Cependant, quand je parcourais le territoire des boucles de la Seine et que je réalisais mes photographies de repérages, je ne ressentais pas cette contemplation et je ne me retrouvais pas dans ces paysages industriels. En lisant la définition du mot contemplation qui implique d’admirer, de contempler donc de passer du temps à regarder le paysage, je me demande alors : qui contemple aujourd’hui les panoramas actuels, ces paysages urbains, denses ? Qui passe du temps sur ces lieux ? Comment alors m’approprier ce paysage qui ne correspond à ma représentation culturelle dans un travail photographique ? C’est là que se pose la question et la raison pour laquelle depuis une semaine je bloque. Cette réflexion m’amène à penser que le reflet serait la solution, bien que je sens être dans une période de totale remise en question (mais c’est le cas pour tous les projets je crois) et que cette remise en question implique de nombreux doutes perpétuels...En utilisant le reflet j’adopte une approche «plasticienne» en utilisant un dispositif : la plaque de plexiglas. L’effet du reflet, important et très esthétique, apporte un rendu proche du pictorialisme à la photographie. Ainsi, à travers ma démarche je «transforme» ce paysage industriel en un paysage qui à nouveau fait référence à la peinture, au pittoresque en intégrant à la fois le champ et le contre champ du point de vue. Faut il que je fasse le deuil de ce paysage romantique et d’accepter de contempler ce nouveau paysage ?

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En parallèle, j’ai l’impression que pour certains, le reflet est une technique «facile» ou une solution de facilité et que l’effet escompté apporte de toute manière une bonne photographie et que cette technique pouvait être apparentée à une technique amateur. Et pourtant ce n’est pas si simple. J’avais essayé un jour de reproduire une de mes photographies de la série Impressionnisme au fil de l’eau prise à Giverny. Je n’avais jamais réussi à retrouver le même reflet bien que les arbres n’avaient pas changés. La lumière ne sera jamais la même et cette expérience m’avait montré qu’une photographie ne pouvait être reproductible à l’identique. Je le conçois de la même manière pour ces reflets ci : il faut capter le reflet, le voir, placer la plaque au bon endroit, avec la bonne inclinaison, la bonne lumière pour avoir l’effet recherché. Et je pense que malgré bien des efforts, il ne serait pas possible de reproduire l’image à l’identique (proche peut être mais pas exactement la même). Je me sens un peu dans le même paradoxe que la photographie contemporaine, entre art et document. L’enjeu est peut être de mêler les deux dans une même approche (ce qui me fait penser à ce que Didier Mouchel disait du travail d’Yves Trémorin : la subtilité d’avoir une démarche conceptuelle tout en évoquant une part documentaire). Il en est de même pour Laura Henno qui parle du territoire tout en utilisant la subjectivité de la mise en scène et de Marc Pataut et Charles Fréger qui photographient des portraits mais impliquent le territoire dans lequel il les réalisent. Reste à trouver comment le réaliser pour mon travail. La part documentaire serait dans le champ et l’effet esthétique dans la manipulation du contre champ du panorama? Depuis quelques jours, je montre mes photographies de reflets à des personnes de mon entourage. Les avis sont mitigés. Certaines s’accordent sur la poursuite d’une démarche personnelle et l’intérêt de la plaque de plexi créant un dispositif. D’autres par contre, ne sont pas convaincus. Une personne m’a notamment dit «qu’elle ne me reconnaissait pas dans ces photographies, ne montrant pas ma sensibilité» et pour moi, cela a été très déstabilisant. J’ai aussi l’impression d’être influençable alors que je pourrai revendiquer ma démarche. Cette critique m’apprend que je dois peut être affirmer davantage mon travail et le revendiquer sans être prise d’un doute induit par une personne extérieure. Et finalement pour convaincre les autres de l’utilité de mon travail et de sa justification, il fallait d’abord que j’y crois moi même et pour cela avoir une certaine confiance en mon propre travail, qu’en toute objectivité j’ai beaucoup de mal à avoir mais qui dans tout métier se construit avec le temps et l’expérience. Je pense à Robert Doisneau qui pendant la commande de la DATAR bouleverse totalement sa pratique. Son travail est formidable. Cependant j’en viens à penser que pour avoir cette démarche il faut un certain recul sur sa pratique pour l’envisager autrement, voir de façon opposée. Et que cela est 61


sûrement difficile en début de carrière. C’est peut être pour cela qu’il fait cette démarche, justement à la fin de sa carrière et que moi de mon côté, je ne me sens pas prête à bouleverser ma conception du paysage certes un peu utopique, idyllique et contemplative. Je ne me vois pas réaliser un portrait ou un autoportrait dans le paysage comme certaines personnes de mon entourage m’ont recommandé. Je ne me sens donc pas dans une démarche tournée vers l’humain comme Marc Pataut ou pour m’impliquer dans la vie des gens, ni dans le portrait comme Charles Fréger. Yves Trémorin m’a envoyé aujourd’hui le portrait qu’il a fait de Didier Mouchel dans le cadre de sa commande au Pôle Image. Je ne sais pas encore exactement si je vais l’analyser dans mon corpus d’image ou l’intégrer dans la partie de la relation entre commanditaire et photographe. Mais je trouve la démarche intéressante. Comment représenter son commanditaire dans la commande ? Et si chaque photographe suivait cette démarche comment le photographierait il ? Pour ma part, je ne sais pas trop. J’emmènerai sûrement Didier Mouchel sur un panorama pour avoir son ressenti sur ce paysage qu’il connait parfaitement bien. Ce recul dont je parlais plus haut, je pense qu’il l’a, car ayant je pense une approche très documentaire de la photographie, il accepte les démarches plasticiennes et nouvelles comme celle des reflets que je lui ait présentée. Il m’avait d’ailleurs dit lors d’un entretien qu’après le premier rendu d’une commande, il était parfois déçu et qu’il fallait de réapproprier le sujet. Son expérience le permet.

Samedi 20 avril 2013

Superposition de deux images sur Photoshop

Sur les conseils de ma directrice de mémoire, je tente quelques prises de vues en utilisant la technique de la superposition en associant une prise de vue du panorama puis une prise de vue du contre-champ pour les associer ensuite sous Photoshop. N’étant pas en Haute-Normandie, je réalise cependant quelques tests en me rendant sur deux panoramas à Paris : Montmartre puis le parc de Belleville. J’y suis allée le matin et déjà le premier panorama était très touristique, une atmosphère bien différente que celle des Boucles de la Seine de Rouen. Celui là est différent étant situé en ville. Cette fois, le hors champ n’est pas de la végétation mais un édifice religieux. S’il n’était pas là, y aurait il autant de monde à cet endroit ? Au parc de Belleville, il n’y a personne qui contemple la vue. Le contrechamp du panorama est une rue avec des immeubles. De plus, je pense que cet endroit n’est pas indiqué comme un panorama sur les guides touris 62


tiques contrairement à Montmartre, ce qui explique en partie le fait qu’on y trouve moins de monde. Le panorama peut donc se caractériser aussi par rapport à son contre champ ? Il influence je pense la présence ou non de personnes sur ces lieux. Je trouve que la technique de superposition et le rendu est intéressante mais c’est peut être un peu «facile» (il suffit en effet d’ouvrir les deux images sous Photoshop et de modifier leur opacité). La plaque de plexi me semblait intéressante apportant un dispositif et surtout il y a une différence notable entre les deux : en utilisant la surimpression, l’association champ et contre champ se fait à la post-production, alors qu’en utilisant le reflet avec une plaque de plexiglas, l’association se réalise directement à la prise de vue et je trouve que c’est beaucoup plus intéressant dans ce sens là. Le dispositif serait lourd car il impliquerait en plus de la plaque, un pied et un bras magique mais c’est peut être là aussi le «challenge» de la prise de vue. Rolan Ménégon me faisait remarquer la baisse de qualité optique lors de l’utilisation de la plaque de plexiglas. Ce soir en parlant de cette partie pratique avec deux anciens élèves de l’école, l’un deux me conseillait de tester ma démarche avec un miroir semi transparent. Il m’a expliqué deux techniques possibles. La première consiste à utiliser un miroir qui a un taux d’incidence et de réflexion de 50%. La deuxième, moins coûteuse, serait d’utiliser un miroir avec taux d’incidence de 70%, de réflexion de 50% et d’utiliser un filtre gris neutre derrière la plaque. La différence par rapport au plexi serait d’avoir une image nette sans perte de qualité et je pense aussi que le reflet serait plus marqué.

Vue depuis le parc de Belleville : association du champ et du contre champ du panorama sous Photoshop

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Jeudi 25 avril 2013

Reflet à travers un miroir semi-transparent

J’ai débuté aujourd’hui mes prises de vues «finales» en emportant avec moi une plaque de plexi au format 40x60 cm, un miroir semi transparent (avec 50% d’incidence et 50% de réflexion), un trépied, un bras magique, une pince. L’ensemble participant à former le dispositif qui permettra de construire les reflets. Lors de ma phase de repérage, le lieu de prises de vue où j’ai mis le plus de temps à me rendre sont les Andelys (car c’est la ville la plus éloignée). J’ai donc décidé de commencer par là aujourd’hui puis de remonter la rive droite. Je suis arrivée au panorama de Château Gaillard à 9h le matin après une heure de route. Il faisait déjà très beau. J’ai commencé mon exploration des reflets sur la côte près du château. Je me suis très vite rendue compte que la plaque de plexiglas marchait beaucoup moins bien, le reflet était très peu visible et ce je pense parce que la lumière était trop forte. J’ai donc expérimenté le miroir semi transparent. Il m’était donc possible d’associer champ et contre champ du panorama mais je me suis aussi rendue compte que je pouvais par cette technique associer très nettement une vue avec une autre selon l’angle adopté. J’ai pu dans cette orientation, superposer la ville des Andelys en dessous du château ce qui revient à associer deux angles du point de vue (ici gauche et droite). Dans la photographie finale, j’ajoute des éléments de paysages urbains, il y a également ds arbres bref une image assez complexe avec beaucoup d’éléments.

Reflet à travers le miroir semi-transparent, la ville des Andelys en reflet en dessous du Château Gailllard

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Après une demi heure de prise de vue, je me suis rendue compte que derrière moi, il y avait l’équivalent de trois car de touristes qui m’observaient bizarrement d’un peu plus haut. J’ai essayé de ne pas y prêter attention et de rester concentrée sur ce que j’avais à faire. Je suis partie pour un autre point de vue plus bas. Et même si je les aient évités, j’ai essayé de les intégrer dans ma photographie suivante :

Reflet à travers le miroir semi transparent : la vue depuis le Château et la colline en contre-champ

J’ai poursuivi mes photographies toute la matinée du point de vue du Château Gaillard et j’ai réalisé à quel point la procédure était complexe et longue : il faut choisir le reflet avec le miroir, poser le trépied au bon endroit,réajuster le miroir pour que le reflet soit bien construit. Photographier le reflet n’est pas simple non plus car je devais faire en sorte de ne pas être dans le reflet : la taille du miroir étant de 18x24 cm ce n’est pas facile. La mise au point est parfois complexe. Je devais aussi veiller à ne pas faire de traces de doigts sur le miroir. Il est également difficile d’identifier la face réfléchissante de la face transmise. De plus, dès que je miroir est sur la pince et lorsque je dois bouger le bras magique pour modifier son orientation j’ai à chaque fois peur d’une mauvaise manipulation qui ferait tomber le miroir, précieux. Cela demande énormément de temps, c’est aussi du stress. J’ai passé trois heures environ à cet endroit, et au bout de ces trois heures, je me sentais déjà épuisée par ce travail fastidieux, il faisait de plus presque 30°C. Cette matinée m’a fait penser que la photographie de paysage était une vraie aventure et une sorte d’engagement. En début d’après midi, j’ai continué mes prises de vue à Amfreville-sousles-Monts. Je me suis rendue compte de plusieurs choses. 65


Superposer le champ du panorama avec le contre champ ne marche pas toujours notamment quand il y a trop d’arbres ou de ciel. La végétation a tendance à saturer l’image d’autant plus que le reflet est plus marqué avec le miroir. J’ai à nouveau essayé de superposer deux vues du panorama, à gauche et à droite.

Reflet dans le miroir semi transparent depuis Amfreville-sous-les-Monts

Il faisait beau et peut être presque trop, j’avais un contraste fort, un ciel plutôt «cramé». J’ai remarqué les tâches bleues le soir sur mes photographies. Est moi qui me suis trompée dans les faces du miroir ou est ce le reflet de la Seine ? J’ai finis cette journée vers 16h30 car j’étais vraiment fatiguée.

Reflet avec le miroir semi-transparent depuis la côte des deux amants

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Reflet à travers le miroir semi-transparent depuis le panorama de Château Gayard

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Vendredi 26 avril 2013

RDV avec Didier Mouchel : Retour sur les reflets avec le miroir

Contre toute attente, il a plu aujourd’hui, le ciel était complètement gris. Je n’ai pas fait de photos. Cependant, je suis allée voir Didier Mouchel pour lui montrer les images réalisées la veille. Il les a trouvé intéressantes et m’a conseillé de poursuivre dans ce sens. Je trouve génial qu’il se rende autant disponible pour ce travail et il a vraiment un côté rassurant et calme (qui est une bonne chose en ce moment alors que l’échéance du mémoire approche). Au début, je trouvais ce trait de caractère un peu intimidant et à force de se voir et de discuter sur mes images, je me sens plus à l’aise pour lui raconter mes journées de prises de vues. Il pense que mes images sont d’autant plus intéressantes pour des personnes qui connaissent le territoire car le reflet amène à chercher le lieu de la prise de vue et les éléments réels et fictifs dans l’image. Il était d’ailleurs plus convaincu que moi par ces photographies. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi il y a quelque chose qui me gène dans ces images.

Samedi 27 avril 2013

Exploration de la technique du reflet avec le miroir et le plexiglas

Il ne pleut pas aujourd’hui et la lumière est moins forte qu’il y a deux jours. Je décide de poursuivre mes tests. Je commence par me rendre à Grand-Couronne. Compte tenu de l’emplacement du soleil, l’endroit me permet de ne pas être en contre jour et d’aller à un endroit où j’avais expérimenté la plaque de plexi. En arrivant je me suis vite rendue compte de la complexité du lieu : dans le hors champ du panorama, il y a une forêt soit des arbres et de la verdure partout. En utilisant le miroir, l’image est très chargée, le hors champ étant dense. Même en changeant l’inclinaison et le point de vue, il est difficile d’avoir un compromis entre le point de vue et le reflet. J’essaie la plaque de plexi mais je ne vois quasiment pas de reflet (la lumière est je pense trop forte). Je tente alors une autre alternative : je me positionne dans le sens inverse, le panorama derrière moi et le contre champ face à moi. C’est donc le point de vue qui est en reflet dans le miroir. L’association marche mieux. Je prends aussi le temps d’observer l’évolution du reflet selon la lumière, sans prendre de photo. Tout peut changer d’un instant à l’autre. Je prends quelques photographies mais réaliser l’image dans ce sens m’apporte une contrainte supplémentaire : la mise au point. En effet, je dois avoir mon panorama net, mais maintenant pour cela je dois faire la mise au point sur le miroir. Avoir le dernier plan du panorama net est fastidieux, je suis presque obligée d’avoir une longue focale et de m’approcher au plus proche du miroir. Et encore, même comme cela, ça ne me semble pas parfait. Par contre dans ce sens, le contre champ est moins présent, l’image plus harmonieuse. A nouveau, je suis restée environ deux heures et demi sur place. 68


Reflet à travers le miroir semi-transparent de la zone industrielle de Grand-Couronne

Je continue ensuite sur la même rive jusqu’à Barneville-sur-Seine. Le contre champ du panorama est assez dégagé peut être trop. J’ai quelques arbres sur les côtés, de l’herbe. Après mes deux jours de tests divers, quand j’arrive sur le point de vue j’observe un peu plus le point de vue et j’arrive à anticiper ce que je peux refléter. Le point de vue de Barneville est vraiment intéressant, très haut (le plus haut je crois) avec deux boucles. Étonnement, il n’est pas indiqué sur la carte. Comme le précédent, ce point de vue est difficile. Pas parce qu’il y a beaucoup d’arbres mais beaucoup d’herbe ou des éléments un peu hors sujets (une voiture garée, un poteau électrique..). Je tente quelques essais, j’arrive à superposer une boucle sur l’autre (c’est donc une superposition plutôt droite-gauche). Il est difficile dans ce cas de calquer les hauteurs des deux vues. Sur ce lieu j’ai eu une nouvelle contrainte : du vent. Une petite brise suffit à faire bouger très légèrement le miroir, même s’il est bien fixé par la pince et ne risque pas de tomber, tout devient plus compliqué : la position du reflet change et je ne peux pas faire la mise au point, tenir le miroir apporterait des traces de doigts et en plus je prends les photographies à main levée. A partir de ce moment là, je me suis demandée s’il aurait été judicieux de faire les prises de vue sur pied. Mais je pense finalement que j’aurais eu beaucoup moins de mobilité et étant donné que le miroir est petit ça aurait été fastidieux, je prends souvent la photo proche du miroir. Au bout d’une heure trente, je suis un peu découragée car je réalise la complexité de ce processus de reflet et au même moment ma directrice de mémoire me dit ne pas être totalement convaincue de mes prises de vues précédentes. Je ne suis pas en désaccord avec elle. Elle pense qu’avoir un 69


premier plan net dans le reflet permet d’avoir un repère et une image qui fonctionne mieux. Je me demande comment je vais parvenir à faire ça en une seule image sachant que je souhaite l’arrière plan net aussi (faut il associer deux photos aux mises au point différentes ?). Malgré le vent, je prends quelques photos puis la pluie commence à tomber, ne voulant de l’eau sur le miroir, je le range et je passe au point de vue suivant : La Mailleraye-sur-Seine. Quand j’arrive, je suis tellement fatiguée que j’hésite à rentrer chez moi, finalement j’arrive à me motiver étant sur place.

Reflet avec le miroir semi-transparent à Barneville-sur-Seine

Ici, le hors champ est un «entre deux» : des arbres mais il y a une partie un peu dégagée également. Comme pour Grand-Couronne, la solution qui marche est celle où le panorama est dos à moi. L’abbaye est donc en reflet sur le miroir. En réfléchissant à la remarque de ma directrice, je crois que ce sens de prise de vue permet d’avoir ce fameux premier plan net. La contrainte de mise au point est toujours présente mais comme je l’ai identifiée, j’y fais attention, je vérifie. Il me faut plusieurs vues. Finalement je réalise les deux «configurations», l’abbaye en reflet, et le contre-champ en reflet. Caudebec-en-Caux étant sur mon chemin pour rentrer et comme il est 16h (j’en suis donc à 6h de prises de vue), je décide d’y aller rapidement. Je me rend directement sur le panorama indiqué sur la carte, une petite corniche au bord de la Seine. Cette fois, je suis plus proche du fleuve et aussi beaucoup moins en hauteur. Je m’arrête pour faire une photographie en ayant à l’idée de porter à contribution le fait qu’il y ait l’eau à proximité. 70


Reflet à travers le miroir semi transparent à La Mailleraye-sur-Seine

Reflet à travers le miroir semi-transparent à Caudebec-en-Caux

Les couleurs de la prise de vue sont intéressantes et nouvelles (dans les tons rougeâtres) et j’arrive à ajouter une reflet d’arbre dans l’eau. Je prends à nouveau du temps sur ce lieu car j’ai repéré une petite maison en haute à droite de l’image : je veux qu’elle soit visible et nette, je mets du temps à combiner tout cela sur la même photographie.

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En rentrant chez moi, j’exporte mes photos, je fais un traitement rapide. Je suis contente de l’image de Caudebec-en-Caux, Grand-Couronne et La Mailleraye, moins de Barneville. Je pars quelques heures et en revenant j’ai à nouveau ce doute. Je revois les images, il y a toujours ce quelque chose qui me gène bien que la photographie soit construite comme je le voulais.

Dimanche 28 avril 2013 Ce matin en sachant qu’il y a quelque chose qui ne me plaît pas dans mes images, j’ai décidé de rester devant avant d’en faire de nouvelles : il faut que j’identifie ce «quelque chose». En observant bien je pense savoir ce qui me dérange : je remarque qu’il y a une perte de saturation générale surtout dans les hautes lumières telles que le ciel et la Seine. Ces zones paraissent «cramées», sans valeur et sans couleur, presque grises. J’ai ce phénomène même quand le ciel est bleu, nuageux et dans les deux sens : que je sois dos ou face au panorama. J’ai tenté de les récupérer en post-production mais ces zones deviennent vite trop retouchées et pas naturelles. A certains endroits de l’image j’ai souvent des petites zones bleues. J’avais identifié qu’une des faces avait un traitement sur le verre d’une couleur similaire mais j’ai l’impression d’avoir ce problème quelle que soit la face utilisée (j’ai remarqué une différence mineure à la prise de vue en utilisant l’une puis l’autre). Après cela, je décide d’aller aujourd’hui aux points de vues où j’avais fait mes tests au plexi les qualifiant de lieux de «référence». J’ai en effet une prise de vue avec le plexi qui marche, j’aurai un comparatif. Les jours précédents je partais le matin, aujourd’hui je fais autrement et décide d’y aller à 16h pour avoir d’autres lumières et de continuer jusqu’au soir. Le jour de mes tests au plexi, le temps était gris, il y avait peu de lumière. J’ai l’idée de retrouver une lumière similaire, plutôt le soir. Quand j’arrive sur la côte Sainte-Catherine en fin d’après midi, il y a du monde : environ dix personnes. L’endroit a retrouvé sa valeur touristique avec le beau temps. Je teste le plexi, puis le miroir, à plusieurs endroits dont celui (approximativement) de mes tests. J’ai les mêmes constats que les jours précédents : un reflet dans le miroir trop dense, dans le sens inverse ça ne marche pas bien car il y a de l’herbe. Je commence à penser que l’outil ne convient pas. Le plexi marche mieux que les jours précédents, je pense avoir eu raison pour ce qui est de la lumière.

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En retournant dans ma voiture, je décide de faire ce comparatif qui liste avantages et inconvénients des trois techniques :

Plexiglas

Miroir

Superposition

Mise au point

Avantages

Peu de problèmes mais parfois difficile

Moins de peur à la manipulation, au mouvement du bras magique donc plus de liberté à la prise de vue, dispositif à la prise de vue,pPeu de perte de saturation, format de la plaque de 40x60 cm donne plus d'aisance pour le cadrage, effet un peu flou avec des détails intéressants, effet plus discret, jeu d'ombres et de lumière

Peu de perte de qualité optique, Perte de saturation dans certains endroits de l'image, gênant surtout pour les hautes lumières qui Si elle est effectuée sur le reflet, le point de paraissent cramées, vue est flou, si elle est effectuée sur le point de Déséquilibre à la post productioné vue, reflet est flou et moins visble Images complexes, on cherche les zones de flou et les zones de netteté

Pas de problèmes entre la mise au point des deux images

Dispositif de prise de vue avec la plaque de plexiglas

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Plus de mobilité, contrôle de l'opacité des deux images, peu de part au hasard, image très construite.


En établissant ce tableau, je pense avoir bien exploré toutes les possibilités qui s’offrent à moi. Reste à savoir laquelle je choisis. Finalement tout dépend si je souhaite favoriser le point de vue du panorama ou le reflet. Le plexi met en avant le premier, le miroir le second. En listant ces avantages et inconvénients je suis contente de faire cette synthèse car si je laisse de côté une technique pour une autre, je sais que ultérieurement si je souhaite l’utiliser pour d’autres projets, j’aurais fait ce travail au préalable. Je me dis aussi que cet ensemble de constats, j’aurais peut être dû le faire avant, dès le premier jour ce qui m’aurait permis de gagner du temps. Comme pour les cartes postales, j’ai l’impression d’avoir mal anticipé les choses et de les faire un peu dans le désordre et à l’envers. Mais ça ne peut être qu’un bon apprentissage qui me permettra d’être attentive la prochaine fois et à essayer au mieux d’anticiper. Je repense alors au contexte de la commande avec une ligne éditoriale qui garde tout de même un fond documentaire. A partir de là, la plaque de plexi me semble plus justifié, je pense qu’il faut laisser une certaine présence au panorama (ce que le miroir permet difficilement). Je revoie aussi mes tests au plexi et je trouve les photos plus harmonieuses que les images de ces derniers jours. Je passe les deux prochaines heures à aller à Amfreville-la-Mivoie, Freneuse puis Orival. Je n’utilise que le plexi alors que le soleil est de moins en moins présent et à la prise de vue, ça marche bien.

Reflet à travers la plaque de plexi depuis le cimetière d’Orival

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Lundi 29 avril 2013 Après toute cette expérimentation technique ces derniers jours, je suis parvenue à déterminer que le prise de vue au reflet avec le plexiglas était le processus qui correspondant selon moi le plus à la commande : avoir un reflet discret permet à l’arrière plan du panorama d’être net et de conserver une part documentaire à la photographie tout en associant une part esthétique avec en employant le reflet. Le plexi apporte une désaturation à l’image qu’il est possible de compenser en post-production (même si ça ne remplace pas une optique de qualité) mais a pour avantage de faire des effets d’ombres et de lumière dans le reflet. La prise de vue nécessite une lumière particulière , j’ai donc orienté la suite de mes photographies dans ce sens. En relisant ce carnet de route j’ai pu constater que mes photographies de repérages m’avaient permis d’appréhender le territoire mais surtout de le caractériser : les boucles de la Seine sont à la fois industrialisées, urbanisées, rurales, pittoresques, naturelles et préservées et marquées par les réseaux (routiers, ferrés, fluviaux). J’envisage donc pour donner une cohérence à cette partie pratique de réaliser une prise de vue de chaque boucle où chacune d’entre elles montreraient une caractéristique du territoire. Ainsi les photographies donneraient une vue d’ensemble du territoire et rejoindrait la définition du panorama. Pour suivre cette démarche, il me fallait une photographie de : les Andelys, Amfreville-sous-les-Monts, Vironvay, Orival, Bonsecours, Canteleu, Grand-Couronne, Barneville-surSeine et La Mailleraye. Dans cette orientation, la lumière étant propice aujourd’hui je suis retournée à certains points de vue.

Vironvay, reflet à travers le plexiglas

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Les Andelys, reflet Ă travers le plexiglas

Amfreville-sous-les-Monts, reflet Ă travers le plexiglas

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Jeudi 2 mai 2013

RDV avec Didier Mouchel : Bilan des prises de vue

Après avoir exploré davantage la technique du plexiglas ces deux derniers jours, je suis retournée voir Didier Mouchel pour lui montrer ces nouvelles images. En arrivant, je lui résume mes dernières journées de prises de vue ainsi que les constations techniques que j’ai pu faire. Lui, préfère les photographies réalisées avec le miroir, dans mon cas je me retrouve davantage avec celles au plexi. Il m’explique alors qu’utiliser le miroir permettait d’apporter une information documentaire dans l’image soit sur le hors champ, soit sur un autre angle du point de vue et que le plexi apporte un effet esthétique à la photographie mais ne nous apprend rien sur le contre champ du panorama (qui était ma réflexion de départ). Il avait raison mais je ne m’en étais pas rendue compte. De plus, le plexi offre peu de variations dans le reflet. Il me répète une nouvelle fois que selon lui je n’ai pas forcément à choisir entre l’une ou l’autre technique, mais je peux très bien exposer les deux. Pour lui, c’est le résultat au mur qui compte. Nous regardons mes images,il me reparle de quelques unes que je lui avait montré la dernière fois, faites avec le miroir, qu’il avait trouvé intéressantes. Je lui demande si ce travail s’intégrerait dans la ligne éditoriale du Pôle Image, il me dit que oui pour les photos au miroir, beaucoup moins pour les photographies au plexi, m’expliquant que l’effet est un peu trop «pictorialiste». Mais ajoute que ça ressemble plus à mon travail personnel sur les reflets (dans le rendu du moins). Le temps passe, je suis en Haute-Normandie depuis une semaine à réaliser des images chaque jour, j’en ai déjà beaucoup. Le coût logistique de cette commande est déjà très important. Il faut faire un choix, d’autant que Didier Mouchel est absent la semaine suivante et que je tiens à ce que nous finissions ce travail ensemble. Il me propose de faire un éditing de l’ensemble de mes images, d’en sélectionner une quarantaine, plexi et miroir confondues et qu’ensuite nous choisirons ensemble ma série de six ou huit photos. Il précise que ce qui est important c’est de choisir des images qui me plaît. Il me conseille d’évaluer si celles ci me semblent cohérentes dans un cadre ou sur un mur. Je commence cette sélection l’après midi, une sélection assez large que j’avais déjà débutée. Et en revenant sur les photos de miroir sans les exclure, j’ai l’impression de ne plus être objective et de ne plus savoir de ce qui est bien ou pas. Pour m’aider, je décide de sélectionner toutes les images au miroir intéressantes et une image plexi pour comparaison et d’aller faire une impression laser A3. Mes expériences antérieures m’ont montré qu’entre une photo sur écran et une photo sur papier, tout est différent. Et ça été le cas, après l’impression j’ai observé les images et je me suis rendue compte que Didier Mouchel avait raison, les photos prises avec le miroir étaient elles aussi intéressantes et pas si «chargées» que je ne le pensais. 77


La photographie au plexi était elle aussi intéressante, j’aimais bien les deux rendus. Ils ne me semblaient d’ailleurs pas incompatibles entre eux, mais tout allait résider je pense dans la scénographie et l’enchaînement des photos dans l’exposition. Je revois une photographie prise depuis la côte des deux amants où j’avais associé la vue de gauche et de droite du panorama. C’est assez surprenant, l’image est complètement «fictive» : une route sur la Seine, un champ sur les berges, un tracteur à un endroit improbable, une usine «fantôme» qui ne devrait pas être là. Je me rappelle avoir pensé un jour devant la côte Sainte-Catherine, à la manière dont j’aurais aimé «construire» la ville à ma guise, j’ai l’impression de l’avoir un peu fait indirectement dans cette image. Je termine mon éditing, décide d’imprimer le reste des images pour choisir avec Didier Mouchel le lendemain.

Vendredi 3 mai 2013

RDV avec Didier Mouchel : Sélection des photographies

Je suis revenue voir Didier Mouchel ce matin. Mon éditing sur l’ensemble de mon travail regroupe environ trente photographies, les deux techniques confondues (miroir et plexi). Pour chaque photographie, j’ai un exemplaire papier au format A3. Nous disposons l’ensemble des images sur une table et réalisons une sélection ensemble. Finalement il y a une majorité de photographies réalisées avec le miroir. Nous gardons de côté tout de même deux images photographiées à travers le plexi. Notre sélection comporte douze images, chaque boucle est représentée. Nous avons à la fois un paysage urbain, un paysage industriel, le transport fluvial, des monuments (Abbaye de Jumièges). Nous nous accordons pour que le reste de la journée, je tente une nouvelle photographie du panorama de Bonsecours avec le miroir, de Grand Couronne afin de mieux intégrer la forêt qui est en contre-champ. Enfin, il me dit qu’il serait bien d’aller aussi à Canteleu. Je suis son conseil et passe plusieurs heures l’après midi sur chacun des trois points de vues.

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Reflet Ă travers le miroir semi-transparent depuis le promontoire de Bonsecours, vue sur Rouen et la Seine

Reflet Ă travers le miroir semi-transparent, depuis Moulineaux, vue sur la zone industrielle de Grand-Couronne

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Reflet à travers le miroir semi-transpaent depuis la Côte des deux Amants à Amfreville-sous-lesMonts

Reflet à travers le miroir semi-transparent depuis le Château Gaillard aux Andelys

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Reflet à travers le miroir semi-transparent depuis le Château Gaillard aux Andelys

Reflet à travers le miroir semi-transparent aux Andelys

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Reflet à travers le miroir semi-transparent à Amfreville-sous-les-Monts

Reflet à travers le miroir semi-transparent à Barneville-sur-Seine

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Reflet à travers le miroir semi-transparent à Barneville-sur-Seine

Reflet à travers le miroir semi-transparent à La Mailleraye-sur-Seine, vue sur l’Abbaye de Jumièges

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Reflet à travers le miroir semi-transparent à Caudebec-en-Caux

Dimanche 5 mai 2013 Je rentre à Paris et je laisse passer une journée afin de prendre du recul à la fois sur mes images et sur la sélection que nous avons fait ensemble. Je me rend compte qu’il n’est pas possible d’imprimer douze photographies au format 40x60cm compte tenu de mon budget. Je dois refaire un choix. Je choisis de retirer les images réalisées au plexiglas et de ne garder que le miroir. Elles pourront par ailleurs être visibles dans le carnet de route. Il faudra sûrement en retirer une ou deux encore pour l’exposition. La post production finalisée me permettra de faire ce choix final pour l’exposition. Je réaliserai des tirages au format 20 x 30 cm de cette sélection que j’enverrai à Didier Mouchel. Chaque commande passée au Pôle Image Haute-Normandie fait l’objet d’un rendu de tirages d’archives. Si l’association n’envisage pas pour le moment de diffuser ces photographies, je tiens à respecter cette part du rendu de la commande qui laissera une trace de ce travail au Pôle Image. Je lui ait également imprimé ce carnet de route. Enfin, j’enverrai la sélection des photographies à Jérome Félin. Didier Mouchel m’a dit qu’il viendrait pour la soutenance de ce mémoire. Je tâcherai de faire le nécessaire pour laisser l’exposition de cette PPM une semaine supplémentaire afin qu’il puisse voir ce travail exposé au mur. Nous pourrons poursuivre nos discussions et nos images face aux images. Il m’aura donc accompagné jusqu’au bout de cette commande.

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Bilan de la commande Je pense que cette commande a été une grande expérience pour moi, très enrichissante. Ce travail m’a tout d’abord montré la difficulté que pouvait être une commande artistique et je ne l’imaginais pas avant d’être à mon tour en situation. Je me rend compte maintenant qu’elle n’aurait pas pu être réalisée dans une région plus éloignée que la Haute-Normandie compte tenu des frais techniques que cela entraîne. Je pense aussi que le territoire était trop grand compte tenu du temps de cette PPM. Béatrice Didier avait donc raison sur ces deux points. La phase de repérages a été extrêmement longue, trouver un propos à une thématique imposée n’est pas aisée et entraîne multiples questionnements souvent difficiles. Je regrette de pas avoir rencontré les photographes plus tard dans ma recherche, qui auraient sûrement pu m’aider, m’orienter et me raconter davantage leur démarche sur le terrain. Il est néanmoins difficile de les rencontrer au moment opportun. Ils m’avaient accordé déjà beaucoup de leur temps, je n’ai pas osé les recontacter par la suite. J’ai souvent pensé à Maxence Rifflet pendant ce travail, parcourant le territoire sur ses pas notamment dans le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine. Sa phrase «je devais rendre le sujet que l’on m’imposait intéressant», me faisait souvent écho. Cette commande aurait sûrement due être débutée plus tôt, peut être dès la fin de mon stage de deuxième année. En effet, avoir plus de temps m’aurait permis d’aller encore plus loin dans cette recherche : tester d’autres plaques de plexiglas, éventuellement d’autres miroirs, aller dans les lieux où je n’ai pas eu le temps de me rendre. Si j’ai pu sentir qu’un an n’était pas toujours suffisant pour réaliser une commande dans un centre, six mois pour ma part l’était encore plus difficilement. Je retiens par ailleurs une très bonne expérience de la relation entretenue avec Didier Mouchel qui a eu un grand rôle dans ce travail : me permettre d’aller plus loin dans ma démarche et de ne pas laisser tomber ces photographies réalisées avec le miroir, qui pendant un temps, j’avais laissées de côté. Il a également été d’un grand soutien, attentif et respectueux de mon travail. Je pense qu’il faut savoir bien choisir les personnes avec qui nous travaillons et qui nous accompagnent dans notre démarche photographique. Didier Mouchel fait partie de ces personnes qui réalisent un accompagnement juste et dans la durée. Je peux maintenant répondre en partie à mes interrogations lors de ma note d’intention. Utiliser le reflet dans ce travail ramène une dimension picturale au panorama. Il donne également «une illusion de la réalité». Nous cherchons dans l’image ce qui est du reflet ou non. Parfois, on ne le sait pas ce qui peut perturber la lecture de l’image. 85


L’effet esthétique du reflet invite à l’observation, la contemplation du paysage tout en gardant des informations sur le territoire. Ainsi ma démarche a permis d’intégrer les éléments de ma problématique initiale (information et valeur documentaire, contemplation du spectateur, rendu esthétique, vues d’ensembles et points de vue en hauteur) tout en s’inspirant de l’impressionnisme. Il n’est pas sans rappeler que le mouvement impressionniste est né en Normandie en 1872 suite à la peinture Impression soleil levant du Havre par Monet qui dix ans plus tard, réalise sa série sur la Cathédrale de Rouen. Nous pouvons remarquer également que Nicolas Poussin est originaire des Andelys. Camille Pissaro a peint les péniches à Rouen, Paul Huet une vue générale sur Rouen depuis le Mont au Malades de Mont-Saint-Aignan, Camille Corot s’est intéressé à Rouen depuis la Côte Sainte-Catherine ainsi qu’à Canteleu. Ces peintres inspirés par la vallée de la Seine, le sont en premier lieu par les peintres anglais notamment Joseph Turner, John Constable et Richard Bonington. Turner est le peintre le plus proche des impressionnistes peint la vallée de la Seine et montre à travers ses peintures la ville, les chemins de fer et les ponts (qui ne sont pas sans rappeler Le Pont Boieldieu à Rouen, soleil couchant, temps brumeux par Pissarro (1896) et la La Gare Saint-Lazare, le train de Normandie (1877) peinte par Monet). Si le chemin de fer est représenté en peinture et se développe, Rouen situé non loin de Paris, permet aux peintres de venir en Normandie. Les bords de Seine sont propices à leurs thématiques orientées vers le paysage et des scènes de plein air. Ils sortent de leur atelier, prennent leur chevalet (alors qu’est inventé le tube de peinture souple) et réalisent leur tableau dans le paysage, « in situ ». Le reflet y est déjà souvent présent à travers l’eau. Les peintres impressionnistes souhaitaient à travers leurs peintures capter un instant éphémère, ce que j’ai pu également faire avec mon miroir ou ma plaque de plexiglas. La lumière qui traverse la surface transparente change à tout moment, il en est de même pour le reflet qu’elle apporte. L’image est unique, éphémère : il est impossible de la reproduire à l’identique. Cette lumière qui, au bout compte, détermine l’ensemble d’une photographie. Ce n’est pas sans oublier le rôle de la couleur dans ce mouvement pictural, qui apporte une certaine atmosphère. Si je ne l’ai pas envisagée au début de mes prises de vues, l’explorer m’a permis de réaliser l’association possible de couleurs, parfois de complémentaires apportant une autre dimension à la photographie. La superposition du champ – contre champ (ou de plusieurs champ) apporte des superpositions d’arbres, de verdures apportant une dimension qui rappelle le passage du pinceau d’un peintre, parfois les branchages inspirent des traits fins qui pourraient être des traces de couteau. 86


Ce mouvement n’est par ailleurs pas éloigné de la photographie puisque Nadar prend part aux réunions des peintres impressionnistes dès 1870 qui ont lieu dans son atelier alors que ce mouvement est encore controversé. Le territoire normand a également inspiré Gustave Le Gray de 1856 à 1858 lors de la réalisation de ses célèbres marines réalisées au Havre avec des ciels rapportés. La toile pourrait être représentée comme la frontière entre le paysage et le peintre, le miroir l’était entre le territoire et moi et me permettait de construire le reflet. Mon appareil photographique était mon outil pour capter cet instant à la fois construit dans la durée et passager. Ainsi, si cette partie pratique montre l’ensemble des caractéristiques du territoire que j’ai identifié lors de mes prises de vues de repérages, elle montre également les thématiques de l’impressionnisme : la ville, le transport fluvial avec les péniches, les paysages, les monuments, la Seine, les ponts, l’industrie... Cette inspiration impressionniste et « pittoresque » dans mes photographies, autrement dite qui tend à être peinte, n’est sûrement pas un hasard, influencée par mon éducation artistique et culturelle et mon enfance passée sur ce territoire bercé par les impressionnistes. Je me suis questionnée lors de cette commande sur cette notion de pittoresque. Cette interrogation fait écho à ce que dit Jean Marc Besse : « Faut il toujours parler en terme de « beauté » et «d’’harmonie»? La catégorie du « pittoresque » a-t-elle encore une signification, et laquelle ? Dans quelle « langue » ces paysages doivent ils être parlés, décrits, racontés ? Comment penser par exemple, et représenter, l’émergence des nouveaux objets paysagers que sont devenus les espaces urbains, les équipements industriels, les systèmes de stockage et de distribution de l’énergie, les autoroutes, les artefacts divers liés à la vie contemporaine, qui mettent en jeu les valeurs de la fonctionnalité, de l’intensité, de la vitesse, de la mobilité ? » 1. Utiliser la technique du reflet m’a permis de transformer ces paysages à mon image. Alors que j’avais appréhendé cette dimension impressionniste à travers le reflet dans l’eau, je ne peux pas imaginer meilleure « transition » que cette partie pratique de mémoire dans mon parcours. J’ai débuté cette recherche sur le reflet avant l’école, je l’ai poursuivie dans le cadre de ce mémoire représentant l’achèvement de ces études. 1 BESSE Jean Marc, Le goût du monde, Exercices de paysage, Arles, Actes Sud, ENSP, 2009, p. 27

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Enfin, elle se poursuivra dès cet été lors de mes deux expositions dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste 2013 dont la thématique est l’eau. Selon moi, la photographie de paysage est un engagement. J’ai senti cet engagement dans les photographes qui ont fait l’histoire du Centre Régional de la Photographie du Nord-Pas-de-Calais puis de Haute-Normandie. Je l’avais déjà avant mon entrée dans cette école, je suis contente de l’avoir encore. Cette partie pratique de mémoire m’a permis d’appréhender le reflet plexiglas, le miroir semi transparent mais finalement tout reste à poursuivre et à construire. Ce n’est pas une fin, c’est un début.

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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : AUBE Barbara, Rouen d’antan : à travers la carte postale ancienne, HC éd, Paris, 2009, 109 p. AUBERT Jean, La Vie des bords de Seine, Le Coteau : Horvath, 1986, 189 p. BAQUE Dominique, Identifications d’une ville, Éditions du Regard, 2006, 196 p. BESSE Jean Marc, Le goût du monde, Exercices de paysage, Arles, Actes Sud, ENSP, 2009, 227 p. BERNARD Edina, CABANNE Pierre, DURAN Jannic, et all. Histoire de l’art du Moyen âge à nos jours, Larousse, 2008, 947 p. CASTELLA Vincenzo, Photo Works, Milan, Silavana Editoriale, 287 p. CHEVRIER Jean François, RIFFLET Maxence, Une route un chemin, suivi des Boucles de la Seine, Point du Jour, Paris, 2010, 164 p. BONFAIT Olivier, CUISSET Thibaut, Le temps d’un panorama, Trézélan, Filigranes, 1996, 47 p. DAVIES John, Seine Valley, Rouen, Le Point du Jour, 2002, 72 p. KEEN Andrea, Fleuve un parcours le long de la vallée de la Seine, FRAC Haute-Normandie, Jean Michel Laplace Éditions, Paris, 2007, 297 p. MACQUERON Patrice, NOUAUD Pierre, Vivre à Rouen en 1900, Horvath, 1982, 236 p. PESSIOT Guy, Histoire de Rouen, 1850-1900, en 500 photographies avant l’apparition de la carte postale, Édition du P’tit Normand, 1981, 249 p. PESSIOT Guy, Histoire de Rouen 1900-1939, Éditions Pt Normand, 1981, 319 p. ROGER Alain, Court Traité du paysage, Éditions Gallimard, 2008, 199 p. SEINE MARITIME Conseil Régional, La Seine Maritime, tradition et modernité. Conseil général de la Seine Maritime, 1987, 173 p. 89


Catalogues : Voyages Pittoresques : Normandie 1920-2009, Milan, Silvana Editoriale, 2009, 512 p. Une ville pour l’impressionnisme Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen, Flammarion, 2010, 396 p.

Archives : Fonds anciens de cartes postales conservées à la Bibliothèque Jacques Villon de Rouen. Microfilm MI 12(70), vues 38799 à 39203 Description : Cartes Postales de Rouen – Généralités Rouen disparu, Vieux Rouen, Rouen pittoresque, Cartes Souvenirs, Vues générales, Quartiers. Microfilm MI 12(76), vues 41093 à 41653 Cartes postales de Rouen Description : Fêtes, évènements, Seine et ports, Ponts Microfilm MI 12 (77), vues 41654 à 42081 Description : Cartes Postales de la Seine Maritime, communes de A à C. Microfilm MI 12 (78), vues 42082 à 42579 Description : Cartes Postales de la Seine Maritime, Communes de D à M Microfilm MI 12 (79), vues 42580 à 42992 Description : Cartes Postales de la Seine Maritime, Communes de N à Z Microfilm MI 12 (80), vues 42993 à 43421 Description : Cartes Postales de l’Eure Microfilm MI 12 (9), vues 6057 à 6997 Description : Estampes topographiques de la Seine Maritime Microfilm MI 12 (6), vues 3733 à 6056 Description : Estampes topographiques de Rouen

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