BOULLI-EDITIONS SÔTÔ ZEN ASSOCIATION - [SUISSE]
SHOBOGENZO ZUIMONKI 正法眼蔵随聞記 L’IMPERMANENCE SUIVRE L’ENSEIGNEMENT D’UN MAÎTRE
SHOBOGENZO ZUIMONKI
『正法眼蔵随聞記』
L’IMPERMANENCE
Maître Eihei Dōgen Traduit de l’anglais par la nonne Sandra Myoshitsu PIERRE GERARD
BOULLI - EDITION
SHOBOGENZO ZUIMONKI
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement du SŌTŌ ZEN ASSOCIATION, est illicite. All Rights Reserved © 2006 Pour la traduction française E-ISBN
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Collection
Le passeur de racine dirigée par le Rd. J.Y. Kakudō PIERRE GERARD
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Sur l’auteur Eihei Dōgen (1200-1253) reste l'un des plus grands maîtres de l'histoire du bouddhisme. Fondateur du Zen Soto au Japon, il est tenu dans la plus haute estime à la fois pour la rigueur de sa pratique et pour sa perspicacité. Son œuvre principale, le Shōbōgenzō, est la référence dans le domaine de la philosophie en général et celle du bouddhisme japonais en particulier. Mais si l’on veut saisir la grandeur de la pensée et de la pratique de Maître Dōgen, il faut avoir lu le Shōbōgenzō Zuimonki. Le Shōbōgenzō Zuimonki est un recueil de ses enseignements qui aurait été consignés par son disciple et successeur, Maître Koun Ejō. Zuimonki, signifie littéralement «notes fidèles des entretiens oraux». Maîtres Koun Ejō a rassemblé les conseils, les réprimandes et les réponses que Maître Dōgen a échangées avec ses disciples lorsqu’il séjournait au temple de Koshoji, près de Kyōto [premier temple Zen Sōtō au Japon]. Ses disciples étaient des moines, des moniales et de laïcs. Dans un langage simple et direct, Maître Dōgen échangeait avec eux tout ce qu’ils devaient savoir sur la pratique, l'attitude correcte à développer dans la vie et les difficultés que l’on peut rencontrer. Pour Maître Dōgen, seul une discipline rigoureuse conduit à l’Eveil. Les notes de Maître Koun Ejō montrent un enseignement limpide et loin des spéculations intellectuelles. La moniale Jiho Myoshitsu, dans sa viii
traduction, ne s’adonne pas à l’écriture ampoulée pour restituer cette simplicité directe. Cette traduction a été faite à partir de la traduction anglaise du Rd Shohaku Okumura.
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Table des matières
L’IMPERMANENCE
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SUIVRE L’ENSEIGNEMENT D’UN MAITRE -------- 35
1.4 Un jour, Dōgen dit : Il est vrai que si vous êtes nés dans une famille pratiquant le même métier depuis fort longtemps et si vous en suivez le chemin tracé, vous devez d’abord vous dévouer à pratiquer ce métier et à en suivre la voie. Il ne serait pas bon d’étudier ce qui n’aurait rien à voir avec ce métier et sa spécificité. Mais maintenant que vous avez quitté le foyer familial, que vous avez rejoint la famille de Bouddha et Êtes devenus moines, vous devez vous consacrer à la pratique de Bouddha. Etudier et suivre la Voie, c’est abandonner l’attachement à l’ego et suivre l’enseignement d’un Maître ; l’essentiel de tout ceci est se libérer de l’avidité. Pour en finir avec cette avidité, vous devez avant tout quitter le Soi égocentrique, mais avant toute chose, il faut avoir perçu l’impermanence. Beaucoup de personnes en ce monde désirent avoir bonne réputation, être appréciées, non seulement par tous, mais aussi par elles-mêmes ; ce n’est pas pour autant que l’on parle mieux d’elles ou qu’on les adule. Si progressivement vous abandonnez l’attachement à l’ego, vous allez progresser. Par contre, si vous vous prévalez de connaître la vérité, tout en restant incapables d’abandonner certaines choses et continuez à vous cramponner à vos propres privilèges, vous allez sombrer de plus en plus. Pour un moine zen, l’attitude fondamentale qui permette une amélioration personnelle est la pratique de
shikantaza1. Et ainsi, pratiquant zazen sans considérer le fait que vous soyez intelligents ou non, vous allez naturellement progresser. 1.20 Un soir, lors d’un teisho, Dōgen dit : De nos jours, la plupart des gens, qu’ils soient laïcs ou moines, cherchent à faire connaître chacune de leurs bonnes actions, mais se gardent bien de parler des mauvaises. Il en résulte une dichotomie entre le moi intérieur et l’image intérieure. Vous devriez aspirer avec soin à unifier l’intérieur et l’extérieur, vous repentir de vos fautes et masquer vos mérites, ne pas enjoliver votre apparence, prêter aux autres les bonnes actions et admettre les vôtres comme mauvaises. Quelqu’un alors demanda : Certes, il est certain que nous devrions avoir une attitude humble face à nos propres mérites et ne pas enjoliver notre apparence, cependant ce sont les bouddhas et les bodhisattvas pour qui il est essentiel de montrer une profonde compassion qui profite aux êtres sensibles. Les ignorants - moines ou laïques - ayant à redire, car ne percevant que superficialité, se mettront alors à leur manquer de respect et seront coupables de diffamation. Si, aveuglés par une belle apparence, et ne percevant pas la vertu intrinsèque du moine, faisant pourtant des offrandes, ils en tireront bien quelque mérite et bonheur. Que devons-nous penser de ceci ?
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Seulement s'asseoir. -4-
Dōgen répondit : Etre indulgent envers soi-même, tout en se vantant de ne pas “paraître” est irrationnel. Si vous vous laissez aller à de mauvaises actions devant les laïques, sous prétexte de cacher votre vertu, vous commettrez là une violation des préceptes. Même si certains recherchent simplement la renommée en tant que ”personne ayant l’esprit d’Eveil”, mais dissimulant leurs erreurs, les Divinités, les gardiens des Cieux et les Trois Trésors les observent pourtant secrètement. Ce qui est ici reproché est cette attitude qui n’éprouve aucune honte devant de telles dissimulations et qui convoite l’estime de l’homme ordinaire matérialiste. A chaque instant, dans chaque situation, vous devriez considérer les choses uniquement dans le but de faire prospérer le Dharma, afin que tout un chacun puisse en bénéficier. Parler après mûre réflexion. Agir avec considération, attention et prévenance. Ne pas commettre d’acte irréfléchi. Etre sensé dans chaque situation rencontrée. Notre vie change d’instant en instant, S’écoulant rapidement de jour en jour. Tout est impermanent et évanescent, Telle est la réalité que vous avez devant vos yeux. Nul besoin d’attendre l’enseignement de maîtres ou de lire les sutras pour la percevoir. N’espérez pas, à chaque instant, être demain. Vous ne pouvez prédire ce qui arrivera demain tant le futur est incertain.
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Tant que vous êtes vivants, soyez déterminés à suivre la Voie de Bouddha Même si ce n’est qu’aujourd’hui. Suivre la Voie de bouddha, C’est s’y abandonner corps et âme, Afin que le Dharma se répande Pour le plus grand bien de tous les êtres vivants. Alors quelqu’un demanda : D’après l’enseignement de Bouddha, sommes-nous censés pratiquer la mendicité ? Dōgen répondit : Oui, nous le sommes. Cependant, nous devons prendre en considération les conditions et les coutumes locales. De cas en cas, nous devons estimer quelle action sera finalement la plus bénéfique pour tous les êtres, ainsi que pour l’évolution de notre propre pratique. Quant à la manière, tant que nous progressons avec nos robes de moines sur des sentiers de traverses, nous les souillerons. De même, face à des gens pauvres, il est impossible de mendier de la même façon qu’en Inde où personne ne prend garde s’il se trouve devant une maison pauvre ou riche. Si nous sommes enclins à agir de la sorte, notre pratique pourrait régresser et serions ainsi incapables de magnanimité envers les êtres vivants. Par contre, si nous pratiquons la Voie de Bouddha avec humilité en respectant les us et coutumes locales, riches et pauvres pourraient nous faire l’aumône de leur plein gré, et ainsi votre propre pratique et celle pour le bien-être de tous les êtres sera pleinement réalisée.
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Dans chaque situation, nous devons choisir ce qui est bénéfique pour le salut de la Voie de Bouddha et de tous les êtres, en oubliant tout bénéfice personnel et toute recherche de renommée. 2.6 Un soir, lors d’un teisho, Dōgen dit : Le défunt Sojo Eisai sermonnait souvent : “moines, ne croyez pas que les vêtements, la nourriture et tout ce que vous utilisez viennent de moi. Tout cela vous est offert par les différents êtres célestes. Je ne joue que le rôle de l’intercesseur. De plus, chacun de vous est doté de ce qui lui est nécessaire pour son vivant. Vous n’avez donc pas à rechercher ces affaires ailleurs. Et ne pensez pas que je vous nourrisse ou que vous deviez être reconnaissants de quoi que ce soit.” Je pense que ce sont là d’admirables paroles. Dans la Chine des Song, alors que le monastère Tendō était sous la direction du Maître Zen Wanshi, il y avait assez de réserves de provisions pour mille hommes. Ainsi, 700 personnes dans le sodo2 et 300 autres à l’extérieur du sodo avaient de quoi se nourrir. Cependant, vu l’éminence du Maître, de nombreux moines affluaient - tels des nuages - de tout le pays. Ce qui revient à dire qu’il y avait alors un millier de moines dans le sodo et cinq ou six cents autres à l’extérieur.
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Sodo : dans les temples zen, le sodo est l’endroit où les moines se consacrent à la pratique, alors que d’autres - à l’extérieur - se préoccupent des affaires courantes, afin de soutenir la pratique. Il y a un tournus : une période pendant laquelle on pratique, une autre pendant laquelle on soutient la pratique. -7-
Un des intendants vient alors faire la remarque à Wanshi : “les provisions du temple suffisent pour mille personnes, nous n’en avons pas suffisamment pour tous ceux qui séjournent ici. S’il-vous-plaît, prenez ceci en considération et renvoyez les moines qui sont de passage.” Wanshi lui répond alors : “chacun a sa propre bouche, ce n’est pas ton problème et ne t’inquiète pas.” Je crois qu’à chacun, à sa naissance, est accordée une certaine quantité de nourriture et de vêtements. Il n’y a pas à se faire de souci, non plus que de savoir s’il y en aura toujours le jour où l’on cesse de les chercher à tout prix. Même le laïc s’en remet au destin, pour ne se préoccuper que de loyauté et de piété filiale. Les moines devraient être imperturbables - eux qui ont quitté leur maison - face à ces choses insignifiantes autres que la pratique. Bonne fortune nous est donnée par Shakyamuni ; nous avons également la nourriture et les habits qui nous sont offerts par les déités. En fait, nous en avons tous notre lot, qui nous a été légué lors de notre naissance. Sans courir après ces biens ou s’en soucier, nous sommes sûrs de recevoir juste ce qu’il nous faut. Et si nous courons après de tels bien et obtenons une grande fortune, qu’adviendra-t-il le jour où l’impermanence fait soudain son apparition ? C’est pourquoi les étudiants ne doivent-ils pas être concernés par ces choses qui sont du surplus. Simplement pratiquer la Voie de tout coeur. Quelqu’un alors dit : “nous vivons actuellement la 3ème période (le déclin du Dharma) où nous sommes bien loin de la terre de Bouddha. Mais le Dharma du Bouddha ne pourrait-il pas être prospère et se répandre très largement si nous vivions tranquillement dans un -8-
calme ermitage, sans nous soucier des questions de vêtements et de nourriture apportés par les laïcs, et alors seulement pratiquer la Voie de Bouddha ? (Dōgen) - Si j’y réfléchis, ce n’est actuellement pas le cas. Lorsque les gens se rassemblent pour étudier, ils ne sont capables de voir que la forme et de se cramponner à leur ego. Alors, il est certains qu’aucun d’entre eux ne parviendra à l’esprit d’Eveil. Même si cent ou mille personnes, attachées au profit, uniquement satisfaites par leur désir de possessions, se rassemblaient, ce serait pire que s’il n’y avait personne. C’est parce qu’il n’y a aucune aspiration à pratiquer le Dharma du Bouddha et alors s’accumule naturellement et de lui-même le karma qui nous fait tomber dans le royaume malfaisant du samsara (l’enfer, le royaume des esprits et des animaux insatiables). Mais si nous restons purs et pauvres, en pratiquant la Voie, endurant les épreuves, en mendiant la nourriture, ne mangeant que des fruits ou des noix sauvages, ayant ainsi toujours faim, une seule personne entendant cela et venant pratiquer possédera cet esprit d’Eveil. et je pense que c’est de cette façon que le Dharma du Bouddha va sincèrement prospérer. Qu’il n’y ait aucun disciple à causes des épreuves àendurer et de la pauvreté absolue ou qu’il y ait de nombreuses personnes grâce à l’abondance de nourriture et de vêtements, sans qu’il n’y ait pour autant de pratique du Dharma du Bouddha, c’est du pareil au même (blanc bonnet, bonnet blanc). Dōgen d’ajouter : “beaucoup de personnes pensent à tort que le fait de sculpter des statues et d’ériger des stupas aide le Dharma du Bouddha à se répandre. Même si nous devions construire d’immenses temples parés de pierres précieuses et d’or, ce n’est pas ainsi que nous atteindrons la Voie. Ceci n’est rien d’autre que des -9-
mérites pour les laïcs utilisant leurs richesses pour faire le bien et entrer dans le pays de Bouddha. Bien qu’une petite cause puisse produire de grands effets, les moines qui s’impliquent en de telles choses sont loin de faire prospérer le Dharma du Bouddha. Apprendre ne seraitce qu’une seule stance de la doctrine ou pratiquer un seul instant de zazen tout en vivant sous un toit de chaume ou sous un arbre, montre que le vrai Dharma du Bouddha est réellement florissant. Actuellement, je fais appel à des dons pour construire un sodo (salle de méditation des moines). Pourtant, je ne pense pas que cela contribuerait nécessairement à faire fleurir le Dharma du Bouddha. Est-ce-que je pense qu’il est mieux de m’engager de la sorte - plutôt que de rester oisif - parce qu’il y a quelques personnes qui étudient et qu’alors je pourrai passer mes jours tranquilles ? J’espère seulement que cela permettra aux égarés de se relier au Dharma du Bouddha. De plus, je m’attelle à ce travail pour le “plaisir” de fonder un dojo pour que ceux qui étudient la Voie puissent se consacrer à la pratique de zazen. Je n’aurai aucun regret même si ce que j’ai profondément voulu devait ne pas se réaliser. Cela ne me gênera pas si seul un pilier était érigé, si les générations suivantes penseront alors que quelqu’un avait l’aspiration d’exécuter un tel projet, même inachevé. 2.14 Un jour, un étudiant demanda : “pendant toutes ces années durant lesquelles j’aspirais à étudier la Voie, je n’ai pourtant atteint aucune réalisation. Beaucoup d’Anciens prétendent que la Voie ne dépend ni de l’intelligence, ni d’une certaine sagacité. Ainsi, je me dis que l’on n’a pas à se rabaisser si nos facultés sont moindres. Est-ce-qu’à ce sujet quelque chose, dans la - 10 -
tradition, a été transmis que je devrai me mettre en tête (garder à l’esprit) ?” Dōgen donna cet enseignement : Vous avez raison dans le sens où l’étude de la Voie ne dépend pas de l’intelligence, du talent, de la vivacité ou de la finesse d’esprit. Néanmoins, il est faux d’encourager l’erreur à devenir aveugle, sourd ou ignorant. Même si l’étude de la Voie ne nécessite pas de larges connaissances ou de hautes capacités, vous ne devez pas pour autant montrer du dédain vis-à-vis de quelqu’un qui aurait des capacités moindres. La véritable pratique de la Voie doit être simple. Pourtant, dans les monastères de la Grande Chine des Song, il n’y eut qu’un ou deux hommes parmi des centaines et des milliers de pratiquants qui, sous la direction d’un maître, réalisèrent le Dharma et atteignirent la Voie. Il y a donc bien quelque chose qui a été transmis qu’il faut garder à l’esprit. Je pense que cela dépend essentiellement de la ferme détermination de son aspiration. La personne qui s’éveille à une sincère aspiration et qui étudie aussi sérieusement que le lui permettent ses capacités appréhendera immanquablement la Voie. Nous devons nous concentrer avec attention et pratiquer de la manière suivante : - Avant toute chose, entretenir l’aspiration à rechercher sincèrement la Voie. Par exemple, une personne qui projette de voler un précieux trésor, de battre un puissant ennemi ou de gagner d’une très belle femme de haut rang, l’esprit uniquement préoccupe par ces désirs, n’aura de cesse de les assouvir en guettant chaque opportunité, chaque occasion, même si les circonstances varient ou changent. Si son désir est si passionné, il ne manquera pas de l’exaucer. De la même manière, si l’aspiration à atteindre la Voie est profondément sincère, - 11 -
lorsque vous pratiquez shikantaza (juste s’asseoir), étudiez les koans, êtes enseigné par votre maître, même si le but vous paraît inatteignable, vous y parviendrez et même si les eaux vous paraissent profondes, la pêche sera miraculeuse. Sans être éveillé à une telle aspiration, comment voudriez-vous régler la grande question de la Voie du Bouddha par laquelle le cycle du samsara de la vie et de la mort est coupé en un seul instant ? Vous atteindrez sûrement l’Eveil, seulement si vous ne vous montrez pas concernés par le fait d’avoir de grandes capacités ou non, d’être ignorant ou non. - Deuxièmement, pour s’éveiller à une telle aspiration, songer profondément, sincèrement, à l’impermanence du monde. Rien ne sert de méditer en utilisant une pseudo méthode de contemplation, pas plus que de créer en notre esprit des choses qui n’existent même pas. L’impermanence est la réalité vraie qui se trouve juste sous nos yeux. Nous n’avons pas à attendre de preuves par la parole, les écritures ou d’un principe quelconque. Né le matin, mort le soir. Une personne rencontrée hier, N’est plus là aujourd’hui. Ce sont les faits vus par nos yeux, entendus par nos oreilles, mais c’est ce que nous attribuons aux autres. Si nous appliquons ceci à nous-mêmes et si nous réfléchissons à la réalité, nous constatons que, même si nous souhaitons vivre 70 ou 80 ans, nous mourrons le moment venu. Bien que durant notre vie nous nous soyons préoccupés de la tristesse, du plaisir, de l’amour pour nos familles, de la haine envers nos ennemis, ce ne sont pourtant pas des faits louables, alors qu’il est facile de passer son temps à - 12 -
ne plus y songer. Nous devrions uniquement croire en la Voie de Bouddha et rechercher le bonheur du Nirvana. Beaucoup ont déjà vécu la moitié de leur vie. Combien d’années leur reste-t-il ? Comment pouvons-nous abandonner l’étude la Voie ? Nous sommes encore bien loin de la réalité. La réalité, c’est penser aujourd’hui, à cet instant même, aux affaires du mont et à la Voie du Bouddha. Ce soir ou demain, nous pourrions contracter une maladie grave ou endurer une telle souffrance au point de ne plus pouvoir distinguer l’est de l’ouest. Nous pourrions aussi Être soudain pris par un démon, être victime d’un brigand ou être tué par un ennemi. Tout est vraiment incertain. C’est pourquoi, dans un monde aussi imprévisible, il est complètement fou de perdre son temps à s’inquiéter des différentes manières de gagner sa vie, croyant que cela va retarder notre mort - alors que l’issue est des plus certaines - et de comploter contre les autres. C’est précisément parce que ceci est la réalité que le Bouddha l’a prêchée à tous les êtres vivants et que les Patriarches ont enseigné cette seule vérité dans leurs sermons et leurs écrits. Dans mes enseignements formels aussi, je souligne le fait que l’impermanence peut Être soudaine, que la vie et la mort sont un sujet des plus importants. Gardez ceci toujours et encore à l’esprit sans l’oublier, sans perdre ne serait-ce qu’un instant. Mettez tout votre cœur à la pratique de la Voie. Souvenez-vous qu’en cet instant-là, vous êtes vivants. Après ceci, la pratique de la Voie est vraiment facile. Il n’y a pas à discourir pour savoir si vous Êtres supérieur ou inférieur, brillant ou stupide.
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2.25 La Voie est foncièrement parfaite. Elle emplit tout. Le Maître répondit : Cela dépend des qualités innées et des facultés sensibles de chacun, mais maintenant la pratique exclusive transmise par les fondateurs de la secte est la méditation assise (zazen ). Cette pratique est une loi qui peut être suivie également par tous les hommes quelles que soient leurs capacités naturelles, supérieures, moyennes ou inférieures. Après que j’eus entendu cette vérité de la bouche du défunt Maître au monastère de Tendō (T’ien-t’ong), sous les grands Song, je pratiquai nuit et jour la méditation assise. Tous les moines abandonnaient quelque temps la pratique dans la saison des très grandes chaleurs ou des très grands froids de peur de tomber malades. Moi, dans ces moments, je pensais : même si je tombe malade et que j’en meure, je continuerai cette pratique. A quoi me servirait de ménager mon corps si je ne pratiquais pas quand je suis bien portant ? Si je tombe malade et que je meure, le but sera atteint. Si l’on juge que j’ai été un bon moine en mourant alors que je pratiquais sous la direction d’un excellent moine éclairé du pays des grands Song, j’aurai acquis un lien avec le Bouddha. Si je meurs au Japon il ne me sera fait de cérémonie que comme à un homme ordinaire et non comme à un bouddhiste conformément à la Loi. Si je meurs en pratiquant le (zazen ) avant d’être parvenu à l’Illumination, les liens bouddhiques qui se seront établis en ma faveur me feront renaître dans une famille bouddhique. Si je ne pratique pas (le zazen ) il est absolument inutile que je vive longtemps. A quoi bon ? Bien plus, si tout en conservant mon corps en bonne santé et en pensant que - 14 -
la maladie ne m’atteindra pas, je tombe en mer d’une manière imprévue, ou si je meurs d’une mort violente, quels ne seront pas mes regrets ? Continuant à raisonner de la sorte, avec résolution je restai correctement assis en méditation jour et nuit et je ne suis nullement tombé malade. Maintenant que chacun d’entre vous essaie de pratiquer résolument (la méditation assise). Sur dix hommes, le Maître dit encore : Obtient-t-on l’Eveil par l’esprit, l’obtient-on par le corps ? Le bouddhisme enseigné par les livres disent que le corps et l’esprit ne font qu’un et alors ils déclarent que c’est par le corps qu’on obtient l’Eveil, mais comme ils s’appuient sur le principe d’identité du corps et de l’esprit, il n’est pas vraiment certain que ce soit par le corps qu’on obtient l’Éveil. Actuellement, dans notre école, on l’obtient tout ensemble par le corps et par 1’esprit. Mais, du corps et de l’esprit, c’est l’esprit qui nous fait réfléchir au bouddhisme, et c’est à cause de lui si, même au cours de mille vies pendant tout un kalpa, nous n’obtenons pas l’Éveil. On obtient l’Éveil quand on a fait abstraction de son esprit et qu’on a renoncé à savoir et à comprendre. C’est par le corps qu’un homme a été illuminé en voyant des formes, un autre en écoutant des sons . Si nous rejetons entièrement les raisonnements, le savoir, si nous méditons ardemment en position assise, la Voie de l’Eveil s’ouvre doucement à nous. Elle se sera ouverte véritablement par le corps. C’est pourquoi je vous exhorte à prendre l’habitude de pratiquer exclusivement le zazen. - 15 -
Le Maître donna cet enseignement : Ce qu’il y a de plus important dans l’étude de la Voie, c’est la méditation assise (zazen). L’Éveil de la plupart des hommes chez les grands Song fut dû à la puissance du zazen. Même, ceux qui ne comprennent rien, qui ne sont pas doués, les sots, pensent surpasser ceux, à l’esprit vif, qui ont étudié de longues années, s’ils pratiquent le zazen, grâce aux mérites de la concentration. Dans ces conditions, ceux qui étudient doivent pratiquer exclusivement le zazen et ne s’occuper de rien d’autre. La Voie qu’ont suivie le Bouddha et les Pères du bouddhisme était seulement le zazen. Il ne faut en suivre aucune autre. A ce moment, Ejō demanda : Quand, à la fois, on pratique le zazen et qu’on étudie les textes, on arrive à comprendre à peu près un sur cent ou sur mille des recueils de dits (goroku) ou des problèmes zen (kōan). Dans la pratique du zazen on n’a pas une telle impression. Alors, doit-on aimer le zazen ? Le Maître répondit : Même si vous croyez comprendre un peu les kōan, cela vous éloigne de la Voie du Bouddha et des Pères. Etre assis correctement sans gain ou sans compréhension et passer le temps ainsi, telle est la Voie des Pères. Les anciens engageaient aussi à associer la lecture des kōan à la pratique du zazen, mais ils recommandaient surtout cette dernière. Il y a eu des personnes qui sont parvenues à l’Éveil par les kōan, mais la cause en était due aux mérites du zazen. Le succès doit être recherché dans le zazen. - 16 -
3.2 Un jour, une nonne demanda : Puisque toute femme au foyer peut étudier et pratiquer le Dharma du Bouddha, pourquoi dire d'une nonne qu'elle va à l'encontre du Dharma du Bouddha lorsqu'elle commet quelque erreur ? Maître Dōgen lui rétorqua : Ce n'est pas une vue juste. Ce n'est pas le Dharma du Bouddha qui fait une distinction entre telle ou telle personne, mais ce sont les personnes qui ne pénètrent pas le Dharma. Une non-renonçante au foyer peut appréhender la Voie si elle pratique le Dharma du Bouddha dans sa condition de femme au foyer. Une laïque qui aurait l’esprit d’une nonne se libérera du Samsara. Bien qu’il doive y avoir une différence entre l’attitude d’une laïque et celle qui a quitté sa demeure, une nonne, elle, ne peut appréhender la Voie sans avoir cet esprit de renoncer au foyer. Une nonne qui a l’esprit d’une laïque commet deux erreurs. Nous devrions être prudents et ne pas faire d’amalgame. En effet, même si se libérer du Samsara et d’appréhender la Voie est recherchée par tous, très peu sont à même d’y parvenir, car ce n’est pas que cela soit difficile en soi, mais la difficulté réside dans le fait de s’y adonner totalement. Ne laissez pas votre esprit se ramollir, car la vie, du fait de son impermanence, et la mort, du fait de sa soudaineté, est la question fondamentale. Quand vous abandonnez le monde, faites-le corps et âme.
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Ainsi, je ne pense pas que ce sont les mots qui fassent la distinction entre une personne laïque et un moine ou une nonne. 3.3 En ce moment, parmi les laïcs, je vois d’honnêtes gens, simples et avenants avec leur prochain et qui, grâce à leurs actes méritoires, ont permis à leur famille d’être prospère. Grâce à cela, ces familles et leurs générations suivantes pourront subvenir à leurs propres besoins. Même si ceux qui, malhonnêtes, font du mal aux autres semblent dans un premier temps être bien rémunérés et parvenir à maintenir un bon standing de vie, on peut voir que leur fortune finit pas s’amenuiser. Et même si ces personnes semblent n’avoir aucun problème apparent, leurs descendants vont inévitablement tomber dans la ruine. Faire le bien dans le but d’être bien vu et pour que l’on pense qu’on est quelqu’un de bien peut sembler mieux que faire le mal, mais ce n’est pourtant pas cela “faire sincèrement le bien”, du fait que l’on a agi en ne pensant qu’à soi. Celui qui fait le bien pour les autres ou pour le futur sans le faire remarquer et sans ensuite s’attacher à son geste, est vraiment un homme de bien. Un moine doit cultiver un esprit encore plus élevé, c’est-à-dire avoir la compassion pour les êtres vivants, sans prendre garde s’ils nous sont proches ou non, ce qui permet alors d’avoir à l’esprit de les sauver tous sans distinction, et sans penser que cela va faire obtenir des mérites pour la Voie. Si l’on est ni apprécié, ni reconnu, simplement faire le bien en âme et conscience sans pour autant laisser supposer aux autres qu’un tel esprit nous anime. - 18 -
Le secret pour atteindre cette attitude est, avant tout, de quitter le monde et de renoncer à soi-même. Une fois seulement parvenu à cet abandon de soi, il est possible de ne plus du tout avoir le désir d’être reconnu comme un homme de bien. Mais vous allez à l’encontre de la volonté de Bouddha si vous faites le mal sans retenue, tout en vous disant que les autres pourront bien penser ce qu’ils veulent. Simplement faire le bien pour le salut des êtres, sans chercher à obtenir quoi que ce soit3. C’est la toute première chose à retenir pour abandonner son ego Pour parvenir à un tel esprit, vous devez vous éveiller à l’impermanence Notre vie est comme un rêve Le temps s’écoule rapidement La vie s’égrène, comme les gouttes de rosée Le temps ne nous attend pas Tant que nous sommes en vie, essayer de faire le bien et suivre la volonté de Bouddha. 6.8 Dōgen donna cet enseignement : Etudiants de la Voie, vous ne devez jamais en différer la pratique, être vigilant chaque jour à chaque instant, pratiquer assidûment jour après jour, moment après moment.
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- Mushotoku - sans chercher à obtenir quoi que ce soit - 19 -
Un laïc, malade depuis fort longtemps, avait le printemps dernier fait cette promesse : dès que j’aurai recouvré la santé, je quitterai femme et enfants et me construirai un ermitage près du temple. Je participerai aux journées de repentance4 qui se tiennent deux fois par mois. Je pratiquerai chaque jour et écouterai les enseignements du Dharma. Ainsi, je souhaite passer le reste de ma vie en accord avec les préceptes. Plus tard, grâce aux divers soins qui lui furent prodigués, sa santé s’améliora. Mais il fit malheureusement une rechute et passa ses journées au fond du lit. En janvier de cette année, sa santé s’aggrava encore et sa maladie le fit encore plus souffrir. Comme il n’avait en fait pas eu l’occasion de réunir le matériel pour construire son ermitage, il en loua un et s’y installe. Après un ou deux mois, il décéda. La nuit précédente, il avait pris refuge dans les Trois Trésors et avait reçu les préceptes de Bodhisattva, ainsi il disparu en paix et il en bien mieux ainsi que d’être décédé dans la confusion dû à trop d’attachement à l’affection de sa femme et de ses enfants. il n’empêche, je pense qu’il aurait tout de même mieux valu qu’il quitte sa maison une année auparavant, comme il avait prévu de le faire. Ainsi, il aurait pu vivre à proximité du temple, se familiariser avec le Sangha et finir sa vie en pratiquant la Voie. Au vu de tout cela, je conclus qu’il ne faut en aucun cas remettre au lendemain la pratique de la Voie du Bouddha. Si vous êtes malades et que vous pensez commencer la pratique une fois guéris, c’est par manque 4
Fusatsu : 2 fois par mois, réunion tenue par les moines, où les laïcs peuvent participer, où sont récités les préceptes et où l’on se repent. - 20 -
d’esprit de l’Eveil. Etant composé des quatre éléments, quel est le corps qui ne tombe jamais malade ? Certes, les Anciens Maîtres n’étaient pas faits d’or ou d’acier, mais mus par le seul désir de pratiquer la Voie, ils ne se souciaient de rien d’autre, ils en oubliaient tout le reste. C’est comme lorsque l’on oublie les bagatelles de la vie dans les moments où l’on rencontre de grands problèmes. Et comme la Voie de Bouddha est vitale, vous devez vous résoudre à l’appréhender dans cette vie, sans perdre ne serait-ce qu’un seul instant. Un Ancien Maître disait : “Ne perdez pas votre temps (Sandokai).” Si, malgré les traitements, la maladie continue de s’aggraver, vous devriez tout de même pratiquer, tant que la souffrance n’est pas trop grande. Puis, quand la douleur est trop importante, vous devriez songer à pratiquer avant que cela ne devienne trop critique et si cela devenait le cas, vous devriez vous résoudre à pratiquer avant de mourir. Quand on est atteint de maladie, parfois elle passe, parfois elle s’aggrave. Parfois nous guérissons même sans traitement. D’autres fois, même si l’on suit scrupuleusement le traitement donné, la maladie s’aggrave. Prenez ceci en considération. Pratiquants de la Voie, ne songez pas à pratiquer seulement une fois que vous aurez trouvé un toit, des vêtements et votre bol. Si, extrêmement pauvres, vous êtes là à attendre de posséder les vêtements, le bol et tout le reste, empêcherez-vous pourtant la mort de s’approcher ? Et si vous passez votre vie à atteindre de les obtenir, vous l’aurez gaspillée en vain. Soyez résolus à pratiquer la Voie de Bouddha avec ou sans la robe et le
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bol, que vous soyez laïc ou non. La robe et le bol ne sont que le décorum du corps des moines. Les véritables pratiquants de la Voie de Bouddha ne sont pas attachés à de telles choses. Si elles viennent à vous, acceptez-les, mais en les recherchez pas délibérément. Et lorsque vous les possédez, ne cherchez pas encore à en avoir encore plus, jusqu’à en avoir les deux mains pleines. Dans le même sens, c’est aller à l’encontre de l’enseignement du Bouddha que de se laisser mourir et refuser tout traitement. Pour le salut de la Voie de Bouddha, vous ne devez ni porter aux nues votre vie, ni la détruire. Pour ne pas vos empêcher de pratiquer la Voie, lorsque cela est possible, soignez-vous avec du moxa ou des décoctions d’herbes médicinales. Dans tous les cas, c’est une erreur que de mettre de côté sa pratique, de songer à se soigner d’abord et de revenir à la pratique une fois guéri. 6.9 Maître Dōgen donna cet enseignement : Dans l’océan, il y a un endroit qui s’appelle “la Porte du Dragon” où d’immenses vagues se forment sans arrêt. Chaque poisson, une fois passé par là, se transforme immanquablement en dragon, et c’est d’ailleurs pour cette raison que ce lieu se nomme ainsi. Les vagues en cet endroit ne sont pas différentes des autres et l’eau est salé ici comme ailleurs. Malgré cela, et c’est assez mystérieux, dès que les poissons traversent cet endroit, ils se transforment tous en dragon, sans pour
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autant que ni leurs écailles, ni leur corps ne change, mais subitement la transformation s’effectue. Le chemin des moines zen est pareil. Lorsque vous entrez dans un “sorin”5, et bien que ce ne soit pourtant pas un endroit exceptionnel, vous devenez immanquablement un bouddha ou un patriarche. Comme d’habitude, vous mangez et portez des habits, ce qui vous protège de la faim et du froid, mais si vous vous rasez le crâne si vous portez le kesa et mangez la Guen-Mai, vous devenez un moine zen. Devenir un bouddha ou un patriarche dépend du fait de passer la porte du sorin ou non, tout comme le poisson qui doit passer la Porte du Dragon. Alors ne cherchez pas à tout prix à le devenir. Il y a un dicton laïc qui dit : “je vends de l’or, mais personne ne veut m’en acheter.” La Voie des bouddhas et des patriarches est ainsi : ce n’est pas qu’ils rechignent à offrir la Voie, au contraire, mais c’est que personne est à même de l’accepter ! Chacun de nous pourtant à la possibilité de s’éveiller au Dharma et appréhender la Voie ne dépend aucunement du fait de l’acuité ou de l’étroitesse inhérentes à votre esprit. La promptitude ou la lenteur à saisir la Voie dépend uniquement de votre diligence ou votre indolence, et la différence entre les deux dépend de votre aspiration à être résolu ou non. Manquer d’une forte
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Littéralement sorin désigne une forêt dans laquelle différentes variétés d’arbres s’y trouvent. Dans un monastère, tous les pratiquants - avec leur caractère, capacités et antécédents différents - vivent ensemble, corps et esprit unifiés. C’est pour cela que les monastères zen sont appelés sorin. Voir l’impermanence et se séparer du « self égocentrique » - 23 -
aspiration est le fait d’un manque de conscience de l’impermanence. En dernier lieu, je dirai que, moment après moment, nous mourons un petit peu, sachant que notre passage sur terre n’est pas long. Durant votre vie, ne gaspillez pas votre temps. Un ancien adage dit : une souris dans un grenier manque de nourriture et un bœuf travaillant aux champs ne mange pas à sa faim. Cela veut dire que même entourée d’aliments, la souris a faim et même au milieu de l’herbe, le bœuf en manque. Il en est de même pour les humains : bien que baignés dans la Voie de Bouddha, nous ne vivons pas pour autant en harmonie avec elle. Bien que nous ayons cessé de rechercher la gloire et le profit, nous sommes incapables de vivre tout au long de notre vie dans la paix et la sérénité [du nirvana]. 1.19 Un soir, lors d’un teisho, Maître Dōgen dit : Supposez que quelqu’un - vous parlant de ses affaires vous sollicite pour lui écrire une lettre de recommandation ou vous demande quel parti prendre dans le cadre d’un procès, allez-vous récuser sa demande vous excusant et arguant que vous n’êtes plus un séculier, que vous vous êtes retiré du monde, que vous n’avez plus rien à faire avec ce genre de sujets mondains et qu’il ne serait pas approprié pour un laïc de recevoir le conseil d’un reclus ? Même si cela paraît être effectivement juste pour celui qui s’est retiré du monde, vous devriez vous demander quelle est votre motivation profonde. Car si vous réfutez cette requête uniquement parce que vous pensez que - 24 -
l’on dira d’un moine retiré du monde qu’il est déraisonnable de donner un conseil à un laïc, alors c’est que votre ego est toujours attaché à la notion de perte et profit. Dans chaque situation que vous avez à gérer, pensez à ceci : faites les choses en pensant que cela va aider la personne en face de vous, sans pour cela vous soucier de ce que l’on va en penser. Même si vous vous brouillez avec vos amis ou que vous vous disputez, car ils estiment que vous avez fait quelque chose d’inconvenant pour un moine, ceci n’est pas important. Il serait mieux de rompre avec ces personnes ayant un tel esprit étriqué. Même si, en apparence, il peut sembler à certaines personnes que vous agissez de façon peu convenable, la première préoccupation devrait être de vous détacher intérieurement de votre ego et de rejeter tout désir de renommée. Un bouddha ou un bodhisattva se serait tranché un bout de chair ou coupé un membre pour répondre à la demande d’aide de quelqu’un. Qu’y-a-t-il de plus à consentir si ce n’est juste d’écrire une lettre de recommandation ? Si vous refusez, inquiet pour votre réputation, vous montrez alors tout l’attachement à votre ego. Même si les gens semblent penser que vous n’êtes pas un saint et que vous parlez de façon inconvenante, si vous rejetez tout souci, toute idée de renommée et que vous aidez, ne serait-ce qu’un peu, vos semblables, alors vous êtes en accord avec la Véritable Voie. Nombreux sont les exemples, restés dans les mémoires, d’Anciens ayant adopté cette attitude. Je pense aussi que cela est justifié. Ce n’est pas si difficile que cela d’aider quelqu’un simplement en écrivant un mot pour quelque
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ami ou sympathisant qui vous le demande, même si cela peut paraître un peu inopiné. Ejō dit : Oui, c’est vrai. Bien sûr, il est juste de montrer aux autres ce qui est bon et bénéfique pour eux, mais qu’en est-il de ceux qui - par des moyens délictueux - cherchent à s’emparer des biens d’autrui, ou alors de ceux qui tiennent des propos calomnieux ? Doit-on en parler ? Maître Dōgen de lui répondre : Ce n’est pas à nous de décider de ce qui est juste, acceptable, ou pas. Nous devrions alors simplement mentionner que cette missive a été écrite sur demande et que nous nous en remettons totalement au propre jugement du destinataire. C’est en effet ce dernier qui sera apte à savoir ce qui est juste ou faux, car il ne serait pas correct d’inciter quiconque à faire quelque chose d’inconsidéré ; ce serait dépasser nos compétences. De plus, si un ami qui vous respecte au plus haut point semble avoir réellement fait une erreur, s’il est impossible de faire la part du bien et du mal dans son affaire, et qu’il vous demande votre aide pour écrire une lettre relative à cette erreur à l’un de vos membres, même si cela est d’après vous inacceptable, écoutez dans un premier temps sa requête. Ensuite, vous mentionnerez que vous écrivez cette lettre suite à une demande et que vous comptez sur le destinataire pour agir en toute connaissance de cause. Si vous agissez de la sorte, ni l’expéditeur, ni le destinataire ne pourront vous en tenir rigueur.
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Chaque situation, chaque altercation doivent être considérées méticuleusement. Le fondement de votre action doit être détaché de tout désir de renommée et de tout égoïsme. 4.1 Un jour, lors d’un enseignement, Maître Dōgen dit : Vous qui étudiez la Voie, vous ne devriez pas vous attacher à votre propre point de vue. Même si vous pensez avoir une certaine compréhension, remettez-vous en question, car il y a forcément une lacune et il est certain que votre compréhension pourrait atteindre encore plus de profondeur. Alors allez écouter d’autres enseignants - sans pour cela trop vous attacher à leurs paroles - et étudiez les dires de nos prédécesseurs, des Anciens. Néanmoins, si vous pensez tout de même avoir une bonne compréhension, gardez toujours à l’esprit que vous pouvez vous tromper et que vous devriez toujours suivre l’Enseignement [qui est supérieur à vos propres conceptions]. 5.9 Maître Dōgen donna cet enseignement : Pour étudier la Voie, vous devez renoncer à votre ego (vous devez vous départir de votre ego ?), votre moi. Même si vous avez étudié mille sutras et dix mille commentaires, tant que vous ne vous serez pas libéré de l’attachement à votre moi, vous risquez de tomber dans l’abîme des démons.
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Un Ancien disait : “Si le corps et l’esprit du Dharma du Bouddha vous font défaut, comment voudriez-vous devenir un bouddha ou un patriarche ?” Se départir de son ego/renoncer à son ego veut dire se jeter corps et âme dans le grand océan du Dharma du Bouddha et pratiquer en suivant l’enseignement du Bouddha, même si cela devait vous faire souffrir ou devenir un sujet d’inquiétude. Si vous mendiez, vous pensez que l’on va dire de vous que vous êtes malade. Avec de telles pensées, vous ne serez jamais à même de pénétrer le Dharma du Bouddha. Oubliez ces vues mondaines et pratiquez simplement la Voie en vous reliant seulement à la Réalité [du Bouddha]. Vous surestimer ou penser que vous n’êtes pas capables de pratiquer le Dharma du Bouddha est aussi dû à l’attachement à votre ego. Se sentir concerné par l’opinion d’autrui et avoir de l’affect vis-à-vis d’autrui sont la racine de cet attachement au Soi. Seulement étudier le Dharma du Bouddha et ne pas suivre les opinions mondaines. 5.16 Maître Dōgen donna cet enseignement : Un jour, Maître Daie6 eut un furoncle sur une fesse. Le médecin voyant ceci déclara son état critique. Daie Soko (Dahui Zongkao) 1089-1163, disciple d’Ego Kokugon (Yuanwo Keqin). Plusieurs fois dans son Shobogenzo, Maître Dōgen critique Daie, mais ici dans le Zuimonki il fait l’éloge de son attitude sincère dans la pratique.
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Daie lui demanda alors : est-ce si sérieux que je risque de mourir ? Le médecin lui répond : - c’est possible. Alors Daie dit : très bien, de toute façon si je dois mourir, autant pratiquer zazen encore plus assidûment. Il s’efforça de s’asseoir en zazen, l’abcès se perça et guérit. Tel était l’esprit de cet Ancien Maître. Malade, il pratiquait encore plus intensément zazen. Les étudiants d’aujourd’hui, en bonne santé, ne doivent en aucun cas diminuer leur pratique de zazen ! Je pense que la maladie peut changer en fonction de l’état d’esprit. Lorsque quelqu’un a le hoquet, si vous inventez une histoire dans l’intention précise de le décourager, il en sera tout remué, cherchera quelque chose à dire et en oubliera son hoquet, qui alors cessera. Lors de mon périple en Chine, je souffrais du mal de mer et alors qu’une tempête se leva, les passagers en firent une telle histoire que j’en oubliais ma maladie et qu’elle cessait. Considérant ceci, je pense que si nous nous dévouons totalement à la pratique de la Voie, oubliant tout le reste, aucune maladie n’apparaîtra.
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5.20 Maître Dōgen donna cet enseignement : Un Ancien a dit : “Une fois arrivés au sommet d’un mât de cent pieds, avancez encore d’un pas !” Ceci veut dire que vous devriez avoir l’attitude de celui qui, après avoir atteint le sommet du mât de cent pieds, lâche en même temps les pieds et les mains. En d’autres termes, vous devriez abandonner le corps et l’esprit. Différentes étapes sont ici impliquées, évoquées. De nos jours, bien des gens semblent avoir fui le monde, et quitté leur foyer. Mais si l’on observe leur agir, l’on s’aperçoit qu’ils n’ont en aucune sorte quitté leur foyer, ni renoncé au monde. En tant que moines, autant vous devez quitter votre foyer, autant vous devez en premier lieu abandonner votre ego, ainsi que tout désir de renommée et de profit. Mais tant que vous n’en êtes pas détachés, vous pourrez pratiquer la Voie aussi ardemment que si un feu brûlait au-dessus de vos têtes, vous pourrez vous dévouer à la pratique aussi assidûment que Bouddha qui resta sept jours sur un pied, cela ne mènera à rien si ce n’est vous donner de la peine inutilement et vous éloigner de toute notion de libération. Même dans la Grande Chine des Song, il y en a qui se sont détachés de l’affection de leur famille - ce qui est difficile - et ils ont abandonné toute richesse - ce qui n’est pas non plus évident - pour aller rejoindre des communautés de pratiquants et visiter divers monastères. Ils auront pourtant passé leur vie en vain, car ils pratiquent sans connaissance de ce savoir fondamental. Ainsi, ils n’auront ni réalisé la Voie, ni clarifié leur esprit. - 30 -
Bien qu’au départ ils aient suscité en eux l’esprit d’Eveil et qu’ensuite, ils se soient faits moines, plutôt que de suivre les pas des bouddhas et des patriarches, ils n’aspiraient qu’à une seule chose : faire savoir à leur patron, leurs donateurs et leurs parents combien ils sont devenus respectables et quel élevé est leur statut au temple, pour ainsi les persuader de les vénérer et leur faire des offrandes. Pire, ils crient sur tous les toits et tentent de persuader qui veut bien l’entendre que les autres moines sont malveillants et immoraux, qu’eux seuls ont l’esprit d’Eveil et qu’ils sont de bons moines. Inutile de vous dire que ces gens ne sont même pas dignes d’être évoqués, ils sont comme ces cinq mauvais moines qui, du temps de Bouddha, n’avaient plus aucune vertu7. Avec un tel état d’esprit, ils tomberont sans aucun doute en enfer. Les laïcs - ignorants qui sont réellement ces moines - penseront qu’ils sont des hommes respectables ayant l’esprit d’Eveil. Une autre étape est possible, celle où, ayant abandonné parents, femmes et enfants, ainsi que tout convoitise envers les donateurs, certains entrent dans un monastère pour pratiquer la Voie. Cependant, étant de nature indolent et paresseuse - et même s’ils en ont honte quand le supérieur du temple ou le shuso les observe, ils font mine de pratiquer sérieusement. Alors que si personne ne les regarde, ils se dispersent, négligeant de faire ce qui devrait l’être. S’ils valent peut-être mieux que des laïcs qui seraient aussi négligents, ils n’en restent pas moins des gens qui n’ont abandonné ni leur, ni leur désir de renommée et de profit. 7
Légende bouddhiste qui raconte que cinq mauvais moines tellement paresseux qu’ils faisaient semblant de pratiquer (zazen, les sutras, ...) pour quand même obtenir des offrandes des laïcs. Ils finirent tous en enfer. - 31 -
Il y a aussi ceux qui ne font pas attention à ce que peut penser leur Maître, et si le susho ou leurs condisciples les observent ou non. Ceux-là ont à l’esprit que pratiquer la Voie de Bouddha ne sert pas à sauver les êtres, mais à les sauver eux-mêmes. De tels gens souhaitent devenir des bouddhas ou des patriarches de corps et d’esprit. Ils pratiquent donc assidûment et, comparés à ceux mentionnés précédemment, ils semblent vraiment être des pratiquants de la Voie.Cependant, vu qu’ils pratiquent dans le but de s’améliorer eux-mêmes, ils ne sont toujours pas libérés de leur ego et n’ont donc toujours pas renoncé à leur moi. Ils cherchent à être admirés des bouddhas et des bodhisattvas, tout en souhaitant atteindre la nature de Bouddha et l’Eveil complet. Tout ceci parce qu’ils sont incapables d’abandonner leur recherche égotique de la renommée et du profit. A ce stade-là, aucune de toutes ces personnes ne sont allées au-delà du mât de cent pieds, elles y restent accrochées. Seulement abandonner le corps et l’esprit et pratiquer sans aucun désir, que ce soit celui de réaliser la Voie ou celui d’atteindre le dharma, c’est-à-dire d’atteindre l’Eveil. Ainsi, vous serez appelé un pratiquant sans souillures. C’est dans ce sens-là que l’on vous dira de “ne pas rester là où se trouve un bouddha et de quitter rapidement un lieu où aucun bouddha n’existe.” 6.12 Maître Dōgen donna cet enseignement : - 32 -
De nos jours, beaucoup de ceux qui étudient la Voie ne pensent qu’à une seule chose après avoir entendu un enseignement du Dharma : prouver à leur Maître qu’ils ont une bonne compréhension et cherchent ensuite à donner des réponses représentatives. C’est ainsi que l’enseignement entendu entre par une oreille et ressort par l’autre. Ils n’ont toujours pas l’esprit d’Eveil et restent centrés sur eux-mêmes. Il est primordial d’abandonner votre ego, d’écouter attentivement les enseignements, puis de les intégrer tranquillement. Ensuite, si vous doutez ou avez des difficultés, posez-vous les bonnes questions [car vous pourriez vous laisser aller à la critique], puis une fois la problématique saisie, parlez-en à votre Maître. Vouloir revendiquer une compréhension immédiate montre au contraire que l’on n’est pas réellement attentif à l’enseignement donné.
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SHOBOGENZO ZUIMONKI
『正法眼蔵随聞記』
SUIVRE L’ENSEIGNEMENT D’UN MAITRE
1.13 Un soir, lors d’un enseignement, Maître Dōgen dit : Dans la tradition des Patriarches, la façon la plus sincère de saisir les enseignements donnés [dans la pratique du Zen] est de remettre en question toutes vos connaissances et pensées en suivant les instructions de votre Maître. Même si jusqu’à maintenant vous pensiez qu’un bouddha doit posséder tous les signes distinctifs8comme ceux de Bouddha et d’Amitaba, qu’il doit émettre un halo de lumière et qu’il doit avoir non seulement le mérite d’enseigner le Dharma, mais aussi d’en faire bénéficier tous les être sensibles, vous devez croire votre Maître quand il vous dit que Bouddha n’est rien d’autre qu’un crapaud ou un verre de terre, et ainsi abandonner vos opinions d’antan. Cependant, si vous cherchez à percevoir sur un crapaud ou sur un ver de terre les signes distinctifs, un halo de lumière ou d’autres mérites propres à un bouddha, c’est que vous n’avez toujours pas transformé votre esprit discriminatif. Simplement comprendre que ce que vous voyez juste à cet instant est Bouddha. De la sorte - si en regard des instructions de votre Maître – vous vous efforcez de toujours corriger votre esprit discriminatif et votre attachement originel, vous serez naturellement "un" avec la Voie. Cependant, les étudiants d’aujourd’hui se cramponnent à leur esprit discriminant. Ils attendent d’un bouddha qu’il soit conforme à leurs opinions personnelles et si ce n’est pas le cas, ils affirment qu’il ne peut être un bouddha. Ce n’est pas avec une telle attitude de vouloir toujours chercher à rendre les choses conformes à leurs idées 8 Selon différentes légendes bouddhiques, un bouddha doit posséder
32 signes distinctifs et 80 marques physiques. 36
préconçues et ainsi errer dans l’illusion, qu’ils feront de quelconques progrès sur la Voie du Bouddha. Supposez qu’une fois arrivé au sommet du mât de cent pieds9, votre Maître vous dise d’avancer encore d’un pas au péril de votre vie, et que vous lui répondiez que l’on ne peut pratiquer la Voie de Bouddha que si l’on est en vie, alors c’est que vous ne suivez pas réellement votre Maître. Considérez ceci avec attention. 4.1 Un jour, lors d’un enseignement, Maître Dōgen dit : Vous qui étudiez la Voie, vous ne devriez pas vous attacher à votre propre point de vue. Même si vous pensez avoir une certaine compréhension, remettez-vous en question, car il y a forcément une lacune et il est certain que votre compréhension pourrait atteindre encore plus de profondeur. Alors allez écouter d’autres enseignants - sans pour cela trop vous attacher à leurs paroles - et étudiez les dires de nos prédécesseurs, des Anciens. Néanmoins, si vous pensez tout de même avoir une bonne compréhension, gardez toujours à l’esprit que vous pouvez vous tromper et que vous devriez toujours suivre l’Enseignement [qui est supérieur à vos propres conceptions]. En référence à un poème du Maître Zen chinois Chosa Keishin (Changsha Jingcen) [854-935] : L’homme immobile au sommet du mât de cent pieds, Bien qu’il ait pénétré la Voie, N’est pas vraiment un homme de la Voie. Du sommet du mât de cent pieds, Il faut avancer encore d’un pas. Les dix directions du monde sont le corps tout entier [d’une personne]. 9
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5.9 Maître Dōgen donna cet enseignement : Pour étudier la Voie, vous devez abandonner votre ego, votre moi. Même si vous avez étudiés mille sutras et dix mille commentaires, tant que vous ne vous serez pas libérés de l’attachement à votre moi, vous risquez de tomber dans l’abîme des démons. Un Ancien disait : “si le corps et l’esprit du Dharma du Bouddha vous font défaut, comment voudriez-vous devenir un bouddha ou un patriarche ?” Renoncer à son ego [se départir de son ego] veut dire se jeter corps et âme dans le grand océan du Dharma du Bouddha et pratiquer en suivant l’enseignement du Bouddha, même si cela devait vous faire souffrir ou devenir un sujet d’inquiétude. Si vous mendiez, vous pensez que l’on va dire de vous que vous êtes malade. Avec de telles pensées, vous ne serez jamais à même de pénétrer le Dharma du Bouddha. Oubliez ces vues mondaines et pratiquez simplement la Voie en vous reliant seulement à la Réalité [du Bouddha]. Vous surestimer ou penser que vous n’êtes pas capables de pratiquer le Dharma du Bouddha est aussi dû à l’attachement à votre ego. Se sentir concerné par l’opinion d’autrui et avoir des ressentiments vis-à-vis d’autrui sont la racine de cet attachement au Soi. Seulement étudier le Dharma du Bouddha et ne pas suivre les opinions mondaines. 38
4.3 Maître Dōgen a également expliqué : Le point fondamental auquel vous devez prêter attention est de vous détacher de vos opinions personnelles. Se détacher de ses opinions personnelles, c’est abandonner sa représentativité – abandonner le corps. Quand bien même vous auriez profondément étudié les dires et les faits des Anciens, et si vous aviez pratiqué zazen sans interruption en étant aussi inébranlable que le fer ou la pierre, vous n’accéderez pas à la Voie des bouddhas et des Patriarches - même après d’innombrables périodes cosmiques ou des milliers de vie (kalpas) – tant que vous resterez attachés à votre corps, parce que vous vous y agrippez. Même si vous pensez être parvenus – réellement ou provisoirement - à saisir les enseignements traditionnels ou ceux ésotériques ou exotériques des Ecritures Sacrées, tant que vous ne vous êtes pas détachés de cet esprit épris de représentativité, ce serait aussi vain que de compter les richesses d’un autre, alors que vous-mêmes ne posséderiez même pas un franc. Je vous supplie de simplement vous asseoir et rechercher profondément, dans le terreau de la réalité, quelle est la finitude et la non_finitude de votre corps. Votre corps, vos cheveux, votre peau, étaient originellement inclus en deux cellules respectivement de votre mère et de votre père. Et quand le souffle s’éteint, tout redevient poussière et se répand sur les montagnes et les vallées. Pourquoi s’attacher au corps ? De plus, si vous étudiez ce corps sous l’angle du Dharma, ce corps sans cesse
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morcelé puis unifié par les phénomènes des 18 sens10, quelle est la partie du corps que vous allez définir comme étant votre corps ? Selon les écoles, qu’elles soient Zen ou non, les enseignements peuvent différer, mais un point essentiel est commun, celui qui montre l’insaisissabilité de la finitude et de la non_finitude du corps, pour parvenir à pratiquer la Voie, sans plus aucun ego. Si vous pouvez saisir cette réalité, la vrai Voie de Bouddha se révèlera clairement d’elle-même. 4.7 Maître Dōgen donna cet enseignement : Étudiants de la Voie, la raison pour laquelle vous ne parvenez pas à l’Eveil est que vous vous agrippez à vos anciennes conceptions. Sans savoir qui vous l’a enseigné, vous êtes persuadés que l’esprit est une fonction cérébrale permettant la réflexion et le discernement. Si je vous dis que l’esprit est "l’herbe et les arbres", vous ne me croyez pas. Lorsque vous parlez de Bouddha, vous imaginez qu’il doit avoir des signes physiques distinctifs, ainsi qu’un halo de lumière, une auréole. Si je vous dis que Bouddha est "murs, tuiles, pierres", vous montrez de l’étonnement. Ces opinions ne vous ont été transmises ni par votre père, ni par votre mère. Vous y avez adhéré sans aucune raison particulière, elles sont la résultante de ce que vous avez entendu dire par ci par là. Si l’on vous dit maintenant que, selon l’enseignement sans équivoque des bouddhas et des Patriarches l’esprit 18 sens : 6 organes (les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps_peau, l’esprit), 6 objets (la couleur, le son, l’odeur, la saveur, le toucher, la pensée) et les 6 perceptions que procurent les organes. 10
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est "l’herbe est les arbres", vous devez accepter que l’esprit est "l’herbe et les arbres" ; et – de la même manière – si l’on vous dit que Bouddha est "murs, tuiles, pierres", vous devez avoir foi dans le fait que Bouddha est "murs, tuiles, pierres". Ainsi, si vous transformant, vous abandonnez vos conceptions originelles, vous serez à même d’appréhender la Voie. Un Ancien a dit : Le soleil et la lune brillent Mais les nuages s’amoncellent et les cachent. Un massif d’orchidées s’apprête à fleurir Mais le vent d’automne soufflant les a flétries. Ceci est tiré du Jōgan-Seiyo [Principes du Gouvernement de l’ère Changkuan] où sont comparées la sagesse de l’empereur Taisō et la médiocrité de ses ministres. En résumé : Même si les nuages s’amoncellent, Les nuages dans le ciel se disperseront. Même si le vent d’automne flétrit les orchidées, Elles fleuriront à nouveau. Si l’empereur a suffisamment de sagesse, et même si ses ministres sont médiocres, il ne pourra être renversé. Il en va de même pour la pérennité de la Voie de Bouddha. Peu importe comment surgit l’esprit maléfique, si vous restez fermes et si vous entretenez votre aspiration et votre persévérance dans la pratique de la Voie, les nuages disparaîtront et le vent tombera.
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5.2 Maître Dōgen donna cet enseignement : Etudiants de la Voie, n’étudiez pas le Dharma du Bouddha pour le salut de votre propre ego. Etudiez le Dharma du Bouddha pour le salut du Dharma du Bouddha. La meilleure façon de mettre ceci en pratique est de se consacrer totalement à l’océan du Dharma du Bouddha en abandonnant le corps et l’esprit, sans laisser de traces. Dès lors, efforcez-vous de faire ce qui doit l’être pour le Dharma du Bouddha, même si cela vous paraît ardu, sans penser à ce qui est bien ou mal et en faisant fi de vos opinions personnelles. Et si quelque chose que vous vous vouliez absolument faire n’était pas conforme au Dharma du Bouddha, laissez tomber ! N’espérez pas obtenir des mérites parce que vous pratiquez le Dharma du Bouddha. Une fois que vous vous êtes définitivement tournés vers la Voie, continuez à pratiquer en vous en remettant aux règles du Dharma du Bouddha, sans plus vous retourner sur vous-même et en abandonnant toutes opinions personnelles. Tous les Patriarches du passé ont agi de la sorte. Lorsque votre esprit discriminant ne recherchera plus rien, vous ressentirez un profond contentement et une grande sérénité (Nirvana). Les laïques qui ne vivent quasiment que parmi leur famille, sans se mêler au reste du monde, qui ne font que ce qu’ils veulent comme ils veulent afin d’assouvir leurs désirs, sont considérés comme n’étant pas justes, car ils ne tiennent pas du tout compte de ce qu’un autre pourrait penser ou ressentir.
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Dans la pratique de la Voie, vous devez justement faire attention à ceci. Vous pourrez corriger votre esprit en vous harmonisant au sein du Sangha, en suivant l’enseignement de votre Maître, en ne vous focalisant pas sur vos opinions personnelles, et ainsi devenir un Homme de la Voie. La première chose à apprendre lorsque l’on pratique est la pauvreté. Vous deviendrez immanquablement un bon disciple si vous abandonnez tout désir de renommée et de profit, si vous ne recherchez pas la flatterie et si vous cessez de faire des affaires. Dans la Grande Chine des Song, tous les grands moines – reconnus comme tels – étaient pauvres. Leur robe était faite de lambeaux et ils se contentaient de très peu pour vivre. Lorsque je me trouvai au Monastère du Mont Tendō, le secrétaire [shoki] en charge était un moine du nom de Donyo (Daoru, chin.), le fils du premier ministre. Mais il n’entretenait plus de liens avec sa famille, ayant abandonné toute convoitise envers les biens de ce monde. D’ailleurs, ses vêtements étaient de tels haillons qu’il faisait peine à voir. Mais sa vertu à pratiquer la Voie fut reconnue par tous, et il fut ainsi nommé secrétaire de ce grand temple. Un jour, je demandai à Donyo l’Ancien : - Révérant, vous êtes fils d’un haut fonctionnaire et membre d’une noble et très riche famille, pourquoi les habits que vous portez sont-ils si miteux et pourquoi vivez-vous dans une telle pauvreté ? – Parce que je suis devenu moine, me répondit Donyo l’Ancien.
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5.13 Un jour, Maître Dōgen donna cet enseignement : Souvent, les gens ordinaires [du monde] affirment que bien qu’ils soient attentifs à l’enseignement du Maître, il ne s’accorde pas avec leur propre esprit. C’est une attitude fausse. Je ne comprends pas que l’on puisse tenir de tels propos. Disent-ils cela parce que le principe même des Enseignements Sacrés ne correspond pas à leur mode de pensée et pensent-ils alors que l’enseignement est erroné ? Dans l’affirmative, ils sont complètement ineptes. Ou bien, est-ce parce que ce que dit le Maître ne leur convient tout simplement pas ? Dans ce cas, pourquoi sont-ils venus questionner le Maître ? Affirment-ils cela partant de leur point de vue discriminant ordinaire ? Dans l’affirmative, ce sont de vaines pensées, remontant du fond des temps. L’attitude décisive pour la pratique de la Voie est d’abandonner et transformer vos vues égotiques, en suivant absolument les paroles de votre Maître, ainsi que les Ecritures Saintes, même si cela va à l’encontre de vos propres idées. Ceci est un point essentiel auquel vous devez être très attentifs. Autrefois, un de mes étudiants, très attaché à son point de vue, rendit visite à de nombreux enseignants. Il refusait toute idée contraire aux siennes et ne retenait que ce qui l’arrangeait, ce avec quoi il était d’accord. Il a ainsi passé sa vie en vain et ne comprit rien au Dharma du Bouddha. C’est en l’observant que j’ai appris qu’on ne pouvait pratiquer la Voie de la sorte. J’ai donc suivi 44
l’enseignement de mon Maître et pu ainsi saisir l’essence de la Voie, la Vérité. C’est bien après que je découvris ce passage dans un sutra : Si vous souhaitez pratiquer la Voie du Bouddha Vous devez cesser de vous référer à votre esprit Conditionné par le passé, le présent, le futur11. J’ai profondément compris que nous devons progressivement changer nos pensées et points de vue et cesser de nous y cramponner. Dans un texte classique de référence, il est dit : Une parole juste peut faire mal aux oreilles. Cela revient à dire que nos oreilles n’entendent souvent pas la parole juste. Mais si nous nous efforçons de la suivre et de la mettre en pratique, elle pourra avec le temps nous être bénéfique, alors même qu’à priori cette parole semblait nous contrarier et ne pas nous plaire. 6.17 Maître Dōgen donna cet enseignement : Un proverbe de l’art de gouverner pour un empereur dit : Si le cœur n’est pas vide, il lui est impossible d’entendre de loyaux conseils. Ce qui veut dire, gouverner sans avoir de préjugés en écoutant l’opinion de ses fidèles ministres et en agissant comme un souverain doit le faire, c’est-à-dire avec entendement. L’attitude des moines Zen pratiquants de la Voie doit être la même. Le moindre préjugé fera que vous n’entendrez pas les paroles de votre Maître. Si vous Ceci fait référence à un certain système de valeurs, d’idées préconçues, de préjugés, etc., venant de nos expériences ou de notre éducation par nos parents, nos amis, nos enseignants, etc. 11
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n’écoutez pas son enseignement, vous ne pourrez saisir le Dharma qu’il vous transmet. Il ne suffit pas seulement d’oublier tout préjugé quant au Dharma, mais aussi toutes préoccupations mondaines, la faim, le froid, etc. Et une fois que vous aurez totalement purifié votre corps et votre esprit, vous serez à même d’écouter profondément. De la sorte, vous pourrez saisir la vérité et dissiper vos doutes. Avoir l’esprit de la Voie [d’Eveil] Mettre ses pas dans les pas de son Maître Abandonner le corps et l’esprit C’est ainsi que vous serez un authentique pratiquant de la Voie. Ceci est l’enseignement fondamental. 1.4 Un jour, Dōgen dit : Si vous êtes nés au sein d’une famille dont le métier se transmet de génération en génération, et si vous désirez faire perdurer la tradition, vous devez d’abord vous efforcer de l’exercer afin d’y exceller. Il ne serait pas judicieux de se disperser en voulant acquérir une expérience qui n’aurait rien à voir avec ce métier et sa spécificité. Mais maintenant que vous avez quitté le foyer familial, que vous avez rejoint la famille de Bouddha et êtes devenus moines, vous devez vous consacrer à la pratique de Bouddha. Etudier et suivre la Voie, c’est abandonner l’attachement à l’ego et suivre l’enseignement d’un Maître. Pour ce faire, il est essentiel de se libérer de 46
l’avidité. Pour en finir avec cette avidité, vous devez avant tout quitter le Soi égocentrique et percevoir l’impermanence. De nombreuses personnes en ce monde désirent autant avoir une bonne réputation qu’être appréciées non seulement des autres, mais aussi d’elles-mêmes. Mais ce n’est pas pour autant que l’on parle mieux d’elles ou qu’on les adule. Si peu à peu vous abandonnez l’attachement à l’ego, vous allez progresser. Par contre, si vous prétendez connaître la vérité tout en restant incapables d’abandonner certaines choses et continuez à vous cramponner à vos propres acquis, vous allez sombrer de plus en plus. Pour un moine zen, l’attitude fondamentale qui permette une amélioration personnelle est la pratique de ”shikantaza”12, et que vous soyez intelligents ou non, vous allez naturellement vous améliorer. 2.4 Lors d’un enseignement du soir, Maître Dōgen dit : Un étudiant de la Voie doit abandonner les sentiments de l’Homme ordinaire13. Abandonner les sentiments de l’Homme ordinaire, c’est suivre le Dharma du Bouddha. La plupart des gens se laissent mener par un esprit "du
12 Shi : seulement, Kan : s’appliquer, Taza : s’asseoir. Shikantaza [jap.] c’est seulement s’asseoir. 13 Dans ce cas, l’Homme ordinaire fait référence tant aux pensées qu’aux émotions émanant de l’ego, de l’esprit discriminant et de ses préférences personnelles. Ce sont les racines de l’illusion.
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Petit Véhicule"14. Cet esprit de bouddhiste ordinaire cherche à distinguer le bien du mal, à discerner le juste de l’injuste, à rechercher le bon et à rejeter le mauvais. Pour quitter ce genre d’esprit, il suffit d’entrer dans la Voie du Bouddha. Entrer dans la Voie du Bouddha, c’est s’abstenir de tous jugements fondés sur cet esprit discriminant et ne pas être attaché à son état mental et physique. Entrer dans la Voie du Bouddha, c’est suivre les enseignements et les agissements des Patriarches, sans s’inquiéter de savoir où sont le bien et le mal. Ce que vous pensez et ce que les gens du monde pensent être le bien, ne l’est pas forcément. Par conséquent, suivez les enseignements de la Voie du Bouddha, oubliez ce que peuvent penser les autres et abandonnez vos idées personnelles. Même si votre corps souffre et si votre esprit est affligé, choisissez d’abandonnez le corps et l’esprit et pratiquez la Voie du Bouddha, comme l’ont fait les Patriarches, bien que cela puisse être douloureux et difficile. Si ce que vous entreprenez est bon et en accord avec la voie du Bouddha et qu’ainsi vous souhaitez le mettre en pratique, ne le faites pas si cela n’a pas déjà été fait auparavant par les bouddhas et les Patriarches. En agissant ainsi, vous aurez une compréhension parfaite de l’enseignement de Dharma.
14 Ici, l’esprit "du Petit Véhicule" indique une attitude où l’on pratique seulement pour sa propre libération ou pour se libérer du Samsara par ses propres efforts, alors que le vœu du Bodhisattva est de sauver tous les êtres. Dans le "Shobogenzo-Hotsubodaishin" [suivre l’esprit d’Eveil], Maître Dōgen dit : Susciter l’esprit d’Eveil est faire le vœu de sauver tous les êtres et faire en sorte de les sauver tous, avant de se sauver soi-même.
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Abandonnez votre esprit et vos pensées fondés su r les différents enseignements reçus de par le passé, et tournez-vous progressivement vers les dires et les faits des bouddhas et des Patriarches que vous rencontrez maintenant. Agissant de la sorte, votre sagesse va croître et votre compréhension va s’ouvrir d’elle-même. Si nécessaire, abandonnez même votre compréhension des écrits des lettrés et appréhendez les choses comme je viens de l’expliquer. Etudier le Dharma n’est rien d’autre que quitter le Samsara et atteindre l’Eveil. Si, au plus profond de vous-même, vous pensez qu’il est trop difficile de laisser tomber tout ce que vous avez appris pendant toutes ces années par tant d’efforts, ceci démontre votre attachement au cycle de la naissant et de la mort (Samsara). Pensez-y profondément. 2.12 Lors d’un enseignement du soir, Maître Dōgen dit : Dans ce pays, beaucoup de gens sont actuellement inquiets pour leur renommée et leur réputation, et s’inquiètent de savoir si leurs actes et leurs paroles sont bons ou mauvais, justes ou faux. Alors, ils se disent que s’ils font telle chose, on pensera d’eux qu’ils sont bons et que s’ils font telle autre chose, on pensera d’eux qu’ils sont médiocres. Ils s’inquiètent toujours du futur. C’est totalement faux. Les gens du monde ordinaires [les laïques] ne sont pas toujours bons. Que les gens pensent ce qu’ils veulent, laissez-les vous traiter de fou. Si vous consacrez votre vie à pratiquer conformément à la Voie du Bouddha, et si vous vous 49
abstenez de tout ce qui va à l’encontre du Dharma du Bouddha, vous n’avez que faire de ce que l’on peut penser de vous. "Se retirer du monde" signifie que l’on est détaché des émotions de l’Homme ordinaire. Seulement étudier les faits et gestes des bouddhas et des Patriarches, ainsi que la compassion des Bodhisattvas, vous repentir de vos actions à la lumière secrète des divinités célestes protectrices et agir sous l’égide des règles du Bouddha. Vous n’avez rien d’autre à vous en soucier. Par ailleurs, il est totalement incorrect de se laisser tenter sans vergogne par de mauvaises actions, essayant de vous pardonner vous-même prétextant que cela n’est pas grave si les autres pensent du mal de vous. Seulement pratiquer totalement dans l’esprit du Dharma du Bouddha, en ne tenant pas compte de l’image qu’ont de vous les gens. Dans le Dharma du Bouddha, une telle indulgence et une telle vergogne sont prohibées. 2.19 Un soir, lors d’une conversation, Ejō demanda : - Devons-nous maintenir notre devoir de reconnaissance envers nos parents ?15 Maître Dōgen répondit : - La piété filiale est ce qu’il y a de plus important. Pourtant, il y a une différence entre le laïc et le moine dans la façon de la restituer. Le laïc suit 15 Le terme japonais est Hōon. Hō veut dire, restituer. On veut dire, gentillesse, service, grâce. Hōon peut être traduit par, récompenser ou, dans ce cas, avoir une dette de reconnaissance. La piété filiale était l’un des concepts confucéen les plus importants en Chine, en Corée et au Japon.
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les enseignements du "Kokyo"16 et sert ses parents pendant leur vie et après leur mort. Tout le monde connaît cela. Les moines abandonnent leur dette de reconnaissance et entrent dans le domaine du non_faire [Mui]17. Notre manière de rembourser cette dette de reconnaissance ne devrait pas se limiter à une personne particulière. Considérant que nous avons des dettes de reconnaissance égales envers tous les êtres sensibles et nos parents, nous devons restituer tous les mérites de nos bonnes actions au monde entier. Si dans cette vie, nous limitons cela spécifiquement à nos propres parents, nous allons à l’encontre de la Voie du non_faire. En pratiquant jour après jour et en étudiant instant après instant, nous suivons incessamment la Voie du Bouddha et maintenons ainsi la véritable piété filiale. Les laïques pratiquent des services funèbres et font des offrandes lors de Chuin18 (49 jours après le décès de la personne). En tant que moine Zen, nous devons être conscients de la profonde importance de la dette de gratitude envers nos parents. Nous devons voir qu’elle est aussi grande que celle envers tous les autres êtres sensibles. Choisir un jour particulier pour de bonnes actions et en restituer les mérites à une personne spécifique, ne semble pas être Kokyo [Instructions pour la piété filiale] est l’un des textes les plus importants du Confucianisme. Dans ce texte, Confucius insiste sur le fait que la piété filiale est le fondement de toutes les vertus et de la moralité sociale. 17 Mui ne signifie pas non_actif, mais agir librement, comme le poisson qui nage dans l’eau, et comme l’oiseau qui vole dans le ciel sans laisser de traces. 18 Stade intermédiaire entre la vie et la mort. Il est dit que la personne reste "suspendue" à ce stade pendant sept semaines. 16
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en accord avec la compassion du Bouddha. Le passage dans le Sutra des Préceptes19 relatif au jour anniversaire de la mort de parents, frères ou sœurs, concerne les laïques. Dans les monastères de Chine, les moines pratiquent les cérémonies anniversaires en mémoire de la mort de leur Maître, mais pas pour l’anniversaire du décès de leurs parents. 2.24 Un jour, Maître Dōgen donna cet enseignement : Afin de gouverner le monde, de l’empereur au commun des mortels, chacun se doit d’effectuer la tâche qui lui est assignée. Dépasser ses fonctions est comme "désorganiser le cosmos". Lorsque la façon de gouverner est en accord avec la volonté des cieux, le cosmos est en paix et le peuple est tranquille. C’est la raison pour laquelle l’empereur se réveille à 1h du matin pour commencer son travail de gouvernement du monde. Ce n’est pas chose facile. Il en est de même dans le cadre du Dharma du Bouddha, ce ne sont que les fonctions et les activités qui changent. L’empereur accomplit lui-même ses devoirs de gouverneur avec toute son intelligence, prenant en considération ce qu’ont fait ses prédécesseurs, et s’entourant de ministres vertueux et talentueux. Dans la mesure où sa façon de gouverner est en accord avec la volonté des cieux, on dit qu’il gouverne pour le bien du monde. Si le gouverneur néglige ses Dans le Bonma-Kyo [Brahmajala-sutra,], il est écrit : Le jour anniversaire du décès de votre père, de votre mère, de vos frères ou vos sœurs, faites venir un prêtre afin qu’il puisse vous donner un enseignement sur le Sutra des Préceptes des Bodhisattva. 19
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devoirs, il va à l’encontre de la volonté des cieux, le monde devient désordonné et le peuple souffre. De l’empereur aux nobles, aux hauts dignitaires, aux officiers, aux fonctionnaires, jusqu’au peuple, tous respectivement ont chacun une fonction à remplir. Une personne qui exécute ses devoirs peut être appelée humaine. Celle qui irait à l’encontre de ses devoirs sera punie par les cieux, car elle aura semé le trouble. C’est pourquoi, étudiants du Dharma du Bouddha, même si vous avez quitté votre foyer ainsi que le monde séculaire, vous ne devez en aucun cas souhaiter une vie futile, ni perdre votre temps, ne serait-ce que quelques instants. Bien que cela puisse sembler lucratif dans un premier temps, cela pourrait occasionner par la suite de grands préjudices. Vous devriez remplir votre devoir et vous plonger dans la pratique en suivant le Voie du moine [celui qui a quitté son foyer]. Pour gouverner le monde séculier, même si l’on considère nos prédécesseurs et les lois du passé, tant qu’on n’est pas certain de ce qui a été transmis par les Anciens Sages ou d’autres personne éminentes, on doit parfois suivre l’exemple de nos contemporains. Mais cependant, il existe pour les enfants du Bouddha les règles et les écrits des Anciens, et il y a aussi des enseignants qui ont reçu la transmission de cette tradition. Nous sommes tous capables de raisonner. Alors, si en chacune des quatre actions – se mouvoir, se lever, s’asseoir, se coucher – nous suivons dans notre pratique l’exemple de nos prédécesseurs, il n’y a aucune raison de ne pas atteindre le Voie [l’Eveil]. Dans le monde séculier, les gens souhaitent être en harmonie avec les souhaits des cieux ; les pratiquants bouddhistes ont le souhait d’être en harmonie avec la 53
volonté du Bouddha. Les tâches sont les mêmes, mais le résultat pour le bouddhiste est supérieur. Pour atteindre une grande paix et la félicité [Nirvana], - qui une fois atteintes le sont pour toujours – cela dépend de l’aspiration des pratiquants à suivre la volonté du Bouddha en faisant souffrir ce corps chimérique lors de cette vie-ci. Bien sûr que l’enseignement du Bouddha ne pousse pas à faire souffrir nos corps de façon inconsidérée. Mais si vous suivez le comportement et les attitudes prescrits dans les Préceptes, votre corps sera à l’aise et votre attitude sera appropriée et ne dérangera en aucun cas votre entourage. C’est pourquoi il vous faut abandonner les plaisirs du corps découlant des vues égocentriques et suivre profondément les Préceptes du Bouddha. 3.3 En ce moment, parmi les laïques, je vois d’honnêtes gens, simples et avenants avec leur prochain et qui, grâce à leurs actes méritoires, ont permis à leur famille d’être prospère. Grâce à cela, ces familles et leurs descendants pourront subvenir à leurs propres besoins. Même si ceux qui, malhonnêtes, font du mal aux autres semblent dans un premier temps être bien rémunérés et parvenir à maintenir un bon standing de vie, on peut voir que leur fortune finit pas s’amenuiser. Et même si ces personnes semblent n’avoir aucun problème apparent, leurs descendants vont inévitablement tomber dans la ruine. Faire le bien dans le but d’être bien vu et pour que l’on pense qu’on est quelqu’un de bien peut sembler mieux que faire le mal, mais ce n’est pourtant pas cela “faire le
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bien avec sincérité”, du fait que l’on a agi en ne pensant qu’à soi. Celui qui fait le bien pour les autres ou pour le futur sans le faire remarquer et sans ensuite s’attacher à son geste, est vraiment un homme de bien. Un moine doit cultiver un esprit encore plus élevé, c’est-à-dire avoir la compassion pour les êtres vivants, sans prendre garde s’ils nous sont proches ou non, ce qui permet alors d’avoir à l’esprit de les sauver tous sans distinction, et sans penser que cela va faire obtenir des mérites pour la Voie. Que vous soyez appréciés ou non, reconnus ou non, ne rien laisser paraître et simplement faire le bien en votre âme et conscience. Le secret pour atteindre cette attitude est, avant tout, de quitter le monde et de renoncer à soi-même. Une fois seulement parvenu à cet abandon de soi, il est possible de ne plus du tout avoir le désir d’être reconnu comme un homme de bien. Mais vous allez à l’encontre de la volonté de Bouddha si vous faites le mal sans retenue, tout en vous disant que les autres pourront bien penser ce qu’ils veulent. Simplement faire le bien pour le salut des êtres, sans chercher à obtenir quoi que ce soit - Mushotoku20.
C’est la toute première chose à retenir pour abandonner son ego. Pour parvenir à un tel esprit, vous devez vous éveiller à l’impermanence. Notre vie est comme un rêve, Le temps s’écoule rapidement, 20
Mushotoku [jap.] : souvent traduit par “sans but ni profit.” 55
La vie s’égrène comme les gouttes de rosée, Le temps ne nous attend pas. Tant que nous sommes en vie, faire le bien et suivre la volonté de Bouddha. 1.5 Maître Dōgen dit : Rien ne sert d’étudier abondamment et d’obtenir de vastes connaissances. Décidez-vous à abandonner ceci et concentrez-vous sur une seule chose : il y a des choses que vous devez savoir ; pour ce faire, vous devez trouver des exemples concrets ; trouver des exemples concrets, c’est étudier la Voie de la pratique des Anciens. Ainsi, concentrez-vous sur cette seule pratique21, sans pour cela vous prendre pour un enseignant ou un leader. 1.11 Maître Dōgen donna cet enseignement : Tout est fugace, c’est l’impermanence ; le processus de la vie et de la mort est la question fondamentale22. Durant 21 Choisir une seule pratique et s’y concentrer est une des caractéristiques du Bouddhisme japonais : zazen pour Dōgen, chanter le Nenbutsu pour Hōnen et Shinren, chanter le NamuMyohorengekyo pour Nichiren, etc. 22 Vie et mort ou naissance et mort. C’est aussi la traduction de Shoji (jap.) ou en sanscrit, Samsara, qui signifie la transmigration dans les six domaines des illusions. Pourtant, dans Shoji du Shobogenzo (vie et mort), Maître Dōgen dit : "Le monde de la vie et de la mort – le Samsara – est le lieu où vit Bouddha. Pour les êtres humains, faire la lumière sur cette réalité de la vie et de la mort est primordial." L’impermanence est parfois perçue comme quelque chose de
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la courte période de votre existence, si vous souhaitez étudier ou pratiquer quelque chose, il n’y a qu’à pratiquer la Voie du Bouddha et étudier le Dharma du Bouddha. Comme la littérature et la poésie sont sans utilité, abandonnez-les. Même lorsque vous étudiez le Dharma du Bouddha et pratiquez la Voie du Bouddha, ne le faites pas à outrance. Inutile de dire que vous devriez vous abstenir d’étudier les textes des Ecritures exotériques ou ésotériques des écoles les enseignant23. N’ayez plaisir à étudier à tout va les paroles des bouddhas et des Patriarches, car il est difficile pour nous, êtres de peu de talent et à l’esprit borné, de nous concentrer sur une seule chose et de l’aboutir. Il n’est pas bon du tout de faire plusieurs choses à la fois, cela fait perdre la stabilité de l’esprit. négatif, c’est pourquoi Maître Dōgen dans Bussho (la nature de Bouddha), citant le 6ème Patriarche, nous explique : "L’herbe, les arbres, les buissons sont impermanents, mais ne sont rien d’autre que la nature de Bouddha. Les êtres, les choses, le corps et l’esprit sont impermanents, mais ne sont rien d’autre que la nature de Bouddha. La terre, les montagnes et les rivières sont impermanentes, parce qu’elles sont la nature de Bouddha. L’Eveil Suprême (Anuttara-samyak-sambodhi) est impermanent, puisqu’il est nature de Bouddha. Le Grand Nirvana est nature de Bouddha, puisqu’il est impermanent." 23 Ces écoles (Kyokê ou Kyōshû, jap.) se fondent sur les Ecrits. Par exemple, l’école Kegonshû se fonde sur l’Avatamsaka-sutra. À la différence des croyants du Zenke, ou Zenshû, qui insistent sur le fait que le Zen se fonde sur l’Esprit du Bouddha, non pas sur les écrits du Bouddha. "Les enseignements exotériques" est une traduction de Kenkyō, terme général pour tous les enseignements bouddhiques, du Hinayana ou du Mahayana, contrairement à Mikkyō, qui sont les enseignements ésotériques. Mikkyō fait référence aux enseignements mystiques révélés par le Bouddha Mahavairocana (Dainichi, jap.). Cette école est apparue en Inde après les écoles Hinayana et Mahayana. Au Japon, l’école Mikkyō a été systématisée par Kûkai (774-835) et est devenue l’école Shingon. Elle est aussi connue sous le nom de, Bouddhisme Vajra-yana. 57
1.14 Lors d’un enseignement du soir, Maître Dōgen dit : Même les gens du monde séculier doivent se concentrer sur une seule chose et l’apprendre suffisamment à fond – afin de pouvoir la mettre en acte devant autrui – plutôt que d’apprendre plusieurs choses à la fois et n’en maîtriser aucune parfaitement. Cela est d’autant plus vrai que le Dharma du Bouddha [la réalité du Bouddha] – qui transcende le monde séculier – n’a de tout temps pu être ni appris ni pratiqué. Cette notion nous est peu familière et nos aptitudes sont bien pauvres. Si nous essayons d’apprendre maintes choses à propos du noble et infini Dharma du Bouddha, nous n’en réaliserons même pas une seule. Et même si nous ne nous consacrions qu’à une seule chose, nos pauvres facultés et notre nature feront qu’il nous sera difficile de vraiment saisir le Dharma du Bouddha durant le cours de notre vie. Etudiants de la Voie, ne vous consacrez qu’à une seule chose ! Ejo demanda : - Puisqu’il en est ainsi, parmi toutes les pratiques du Dharma du Bouddha, à laquelle devonsnous nous consacrer ? Maître Dōgen répondit : - Cela dépend du caractère et des facultés de chacun. Néanmoins, jusqu’à aujourd’hui, c’est zazen qui a été transmis et sur lequel se sont concentrés les communautés des Patriarches. Cette pratique est à la portée de tous, que votre aptitude soit manifeste, moyenne ou moindre. Lorsque j’étais en Chine au temple de mon Maître Tendō Nyojō, je pratiquais jour et nuit après avoir entendu cette vérité. Lorsqu’il faisait très chaud ou très froid, certains moines 58
cessaient de pratiquer sous prétexte qu’ils craignaient de tomber malade. A ce moment-là, je me disais : je pourrai tomber malade et mourir, mais je continuerai tout de même à pratiquer. Quel est donc l’intérêt de s’agripper à ce corps ? Comment pourrais-je m’arrêter de pratiquer, alors que je ne suis pas malade ? Mourir de maladie parce que j’aurai pratiqué correspond à ce que je souhaite. Avant tout, j’ai la chance de pouvoir pratiquer et mourir parmi cette assemblée – enseignée par un tel Maître en cette Grande Chine – et d’être inhumé par de telles personnes pratiquant les funérailles bouddhiques authentiques. Si je devais mourir au Japon, jamais je ne pourrai bénéficier du rite funéraire bouddhique. Si je devais mourir en pratiquant [zazen] avant d’avoir atteint l’Illumination, je renaîtrai dans la famille des bouddhas, parce que je suis ici relié au Bouddha. Il est insensé et inutile de vouloir vivre longtemps sans pratiquer. En outre, même si je voulais protéger mon corps de toute maladie, je pourrais très bien me noyer dans l’océan ou mourir accidentellement. Comme ce serait regrettable24 ! Avec une telle détermination, j’ai pu continuer à pratiquer jour et nuit et ne suis jamais tombé malade. Maintenant, que chacun d’entre vous pratique assidûment et sincèrement. Sur dix personnes, dix parviendront à l’Eveil. Mon Maître Tendō Nyojō nous encourageait de la sorte.
Juste après avoir rencontré Maître Tendō Nyojō, Myōzen – son Maître japonais qui l’avait accompagné en Chine – est décédé à l’infirmerie du monastère. D’ailleurs, le voyage entre la Chine et le Japon était très risqué. Il n’y avait donc aucune exagération dans les résolutions de Maître Dōgen.
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6.13 Maître Dōgen donna cet enseignement : Pendant le règne de Taisō de la dynastie des Tō, un pays voisin offrit à celui-ci un cheval qui pouvait parcourir mille lieues par jour. L’ayant reçu, l’empereur pensa sans joie : même si je peux parcourir mille lieues sur ce magnifique cheval, cela ne me sert à rien si aucun domestique ne peut me suivre. Il fit alors venir un de ses ministre, Gichō (580-643), et le questionna à ce sujet. Gichō répondit qu’il était d’accord avec lui. Ainsi, l’empereur renvoya le cheval chargé d’or et de soieries. Même un empereur du monde séculier retourne ce qui ne lui est d’aucune utilité. D’autant plus pour les moines, en dehors du vêtement et des bols, rien ne leur est nécessaire. Pourquoi accumuler ce qui est inutile ? Même ceux parmi les laïques qui se dévouent entièrement à la Voie ne jugent pas utile d’avoir des champs, des jardins, des domaines. Ils considèrent que chacun, dans toute la région, est un de leur proche ou de leur famille. Dans son testament, Chisō Hōkyō25 demande à son fils : tu dois concentrer tes efforts uniquement sur la Voie. Inutile de le dire, comme fils et filles du Bouddha, vous devez tout abandonner et ne vous dévouer sans réserve qu’à une seule chose. Il est primordial d’avoir ceci à l’esprit.
25 Hōkyō est un statut dans la hiérarchie bouddhiste, mais nous ne savons rien de Chisō Hōkyō.
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