La réappropriation des objets techniques

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LA RÉAPPROPRIATION

DES OBJETS TECHNIQUES



Image de couverture Chaos I de Jean Tinguely 1972



la réappropriation des objets techniques

Hugo DI STEFANO mars 2014 Pôle supérieur de design - Villefontaine



TABLE DES MATIÈRES



PRÉFACE INTRODUCTION

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PREMIÈRE PARTIE

01 - LA TECHNIQUE

LE PROPRE DE L’HOMME IMPACT D’UNE RÉVOLUTION TECHNIQUE AMBIGUÏTÉ

DES OBJETS UTILITAIRES TYPES DE RELATIONS

Mystère, magie et science-fiction Seconde nature

ÉMANCIPATION

DES TECHNOLOGIES CHOISIES UNE VALEUR SENTIMENTALE PASSER DE …

23 - 93

27 30 32 32 36

43 44 44 45

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L’intuitivité, une autonomie superficielle La véritable autonomie … … ou la simple consommation

03 - CONDITIONS D’ÉMANCIPATION

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Crainte de la machine Progrès technique : Espoir et ambivalence

02 - NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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… l’information … … à la culture technique

47 50 52

59 61 62 62 64


04 - LA (RÉ)APPROPRIATION

APPROPRIATION OU RÉ-APPROPRIATION ? (SE) DÉTOURNER

Une démarche personnelle Apprendre ensemble

L’OBJET VECTEUR DE RÉAPPROPRIATION

70 74

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L’objet ré-appropriable L’intelligibilité des objets

CONCLUSION

69 70

2 DEUXIÈME PARTIE

INTRODUCTION

01 - DESIGN D’INTÉRIEUR DISSECTION ET OBSERVATIONS ERGONOMIE INTERNE

02 - RATIONNALISEZ ! L’ACCUMULATION ONE MOVE, MANY TOOLS

03 - BRIQUES TECHNO MATIÈRE INTELLIGENTE CIRCUIT BLOCKS UN PUZZLE TECHNIQUE

78 82

90

95 - 143 98

103 106

111 112

119 120 125


04 - HIGH TECH, LOW TECH

DIY, UNE ALTERNATIVE LOW-COST NIVEAU D’ACCEPTABILITÉ

131 136

CONCLUSION

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ANNEXES

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PRÉFACE


La technologie. Quel merveilleux mot pour désigner tous ces circuits imprimés, programmés et enfermés dans des boîtes de différentes tailles. J’ai toutes sortes de boîtes chez moi. Une boîte assez petite qui me sert à appeler d’autres personnes possesseur de petites boîtes, des boîtes plus grosses avec des écrans et des touches, des boîtes qui captent le wifi, qui prennent des photos, qui me permettent d’écouter de la musique, etc. Elles font tout pour être le plus discrètes possible en étant si simples, si lisses, si blanches… pourtant je ne vois qu’elles. Elles ne me plaisent pas, elles se ressemblent toutes et mon voisin à exactement les mêmes (si ce n’est un logo qui change par-ci par-là). Pour savoir si elles peuvent rester chez moi, je leur fais régulièrement passer un test : « Tu fonctionnes ? Tu restes ». Lorsque l’une d’entre elles ne fonctionne plus, je me dis un peu naïvement au plus profond de moi qu’elle est malade et que faute de pouvoir la soigner, il vaut mieux abréger ses souffrances… Allez, à la poubelle ! Le pire c’est que je n’éprouve aucun sentiment, ce n’est pas comme si j’étais attaché à elles. Mon seul regret c’est l’argent qu’elles m’ont coûté et en plus si j’écoutais les publicités qui passent sur ma télévision, il faudrait que je change chaque année

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toutes ces boîtes technologiques si je veux rester « in ». Je ne les aime pas, mais au fond de moi je sais que ce n’est pas de leur faute. En fait j’en veux aux personnes qui les ont dessinées, programmées et développés. J’ai l’impression qu’ils me prennent pour un enfant (ou un idiot peut-être) avec leur notice d’installation m’expliquant qu’il faut brancher la prise mâle de l’objet sur une prise femelle de ma maison. Lorsque j’ai installé la box pour ma télévision, à la fin je n’étais ni fier ni déçu de moi. Elle marche, le reste je m’en fiche. Le jour où elle ne marchera plus, j’appellerais le service après-vente pour qu’il me renvoie une boîte toute neuve.

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INTRODUCTION


Les objets techniques font partie de notre quotidien. Chaque jour nous les utilisons et les manipulons. Que ce soit une simple fourchette ou un ordinateur, nous entretenons des rapports physiques et cognitifs avec eux, mais plus ils sont complexes, plus nous entretenons avec eux une simple relation liée à l’utilitaire. Les objets technologiques qui nous entourent sont devenus tellement complexes et mystérieux dans leur fonctionnement qu’ils ont généré une part de mystère, l’utilisateur ne peut plus espérer les comprendre. De ce fait il n’y a pas d’autre choix que de simplement les utiliser. Pourtant s’il existe des objets qui ont besoin d’être écoutés, compris et réparés c’est bien eux. Le jour où un de ces objets tombe en panne, c’est la panique. On s’énerve, on tape dessus, bref on ne comprend pas. C’est étrange la manière dont nous sommes devenus dépendant d’eux. Nous nous complaisons dans l’ignorance que nous avons des objets techniques car ils sont de nos jours si simples d’utilisation. C’est comme si nous avions accepté de ne pas comprendre et accepté que le caractère « magique » qui se dégage de ces objets soit une norme. Que ce soit l’enveloppe physique de ces objets dessinés par les designers ou les interfaces dites « intuitives » conçues par les développeurs, tout

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est fait pour que nous n’ayons pas à nous soucier de leur fonctionnement, tout est fait pour que nous soyons autonomes vis-à-vis de la technologie. Certains mouvements comme celui des « Makers » ou encore le « Do It Yourself » prônent une émancipation autrement plus profonde que celle générée par l’intuitivité. Impliquer l’utilisateur final dans la démarche de production serait, selon ces mouvements, la clé pour installer une autre relation entre l’Homme et l’objet technique. Quelles sont alors les solutions qui permettraient de rendre la technologie plus familière ? L’intuitivité provoquée par la simplicité d’utilisation des nouvelles technologies nous permetelle d’être réellement indépendants ? Comment peut-on démystifier et nous ré-approprier les objets techniques et technologiques ? Pour comprendre la technologie, nous verrons dans un premier temps ce qui lie l’Homme à la technique en général puis les relations qu’il entretient avec les objets dit « techniques ». Ensuite nous verrons en quoi l’émancipation est au cœur des objets techniques et technologiques et enfin comment et pourquoi la ré-appropriation de ces objets permet d’instaurer une nouvelle typologie de relation.

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« Alors qu’il était dans l’embarras, Prométhée arrive pour inspecter la répartition, et il voit tous les vivants harmonieusement pourvus en tout, mais l’homme nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. Et c’était déjà le jour fixé par le destin, où l’homme devait sortir de terre et paraître à la lumière. Face à cet embarras, ne sachant pas comment il pouvait préserver l’homme, Prométhée dérobe le savoir technique d’Héphaïstos et d’Athéna, ainsi que le feu - car, sans feu, il n’y avait pas moyen de l’acquérir ni de s’en servir -, et c’est ainsi qu’il en fait présent à l’homme1 »

1. Extrait du Discours de Protagoras sur le mythe de Prométhée, Platon, Pro-tagoras, « Le mythe de Prométhée », 320d-323a, traduction E.Chambry


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PREMIÈRE PARTIE



01 LA TECHNIQUE


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LE PROPRE DE L’HOMME Avant de parler des objets techniques, il semble important de définir la « Technique » et pour cela, il est intéressant de s’appuyer sur la philosophie de la technique. De nombreux philosophes et intellectuels ont essayé de définir la notion de « Technique » et plus précisément celle de « LA technique ». Pour Bertrand Gille chaque technique est en réalité une « combinaison technique » composée de plusieurs degrés ou niveaux de combinaison. Le premier niveau est ce qu’appelle Gille la « combinaison unitaire » qui répond à une tâche donnée. En d’autres termes c’est le stade de l’outil, par exemple l’Homme se sert d’une hache pour couper du bois. Le deuxième niveau est « l’ensemble technique », c’est-à-dire un acte technique complexe. Pour expliquer ce degré, Gille prend l’exemple de la fabrication industrielle de la fonte par la technique des hauts fourneaux (elle-même composée de plusieurs « combinaisons unitaires »). Enfin le dernier niveau est celui de « la filière technique » qui est la combinaison de plusieurs « ensembles techniques1 ». Cette combinaison permet la réalisation d’un produit fini. En somme, une technique peut être simple ou complexe et dans ce dernier cas cela

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LA TECHNIQUE

1. GILLE Bertrand, Histoire des techniques, cité dans le livre de VIAL Stéphane, L’être et l’écran, éd. Puf, hors collection, 2013, p.33-34

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signifie qu’elle est elle-même composée d’autres techniques (qui peuvent être composées d’autres techniques etc).

2. BERGSON Henri, L’évolution créatrice, cité dans l’émission Philosophie Arte : La Technique, avec Caterina Zanfi, 2010

3. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques (1958), éd. Aubier, coll. Philosophie, 2001, p.12

4. Voir annexe : Technoanatomie [p.146]

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Henri Bergson attribue la technique à l’évolution de l’Homme. La technique serait le propre de l’Homme et c’est grâce à celle-ci que l’Homme se différencierait de l’animal. Pour lui, l’Homme est avant tout un « animal technique2 » car il a la faculté de pouvoir maîtriser les outils, du plus simple au plus complexe et aussi de les fabriquer artificiellement, alors que l’animal n’utilise que ses organes naturels. Pour Gilbert Simondon la technique est une théorie matérialisée du réel car « ce qui réside dans les machines c’est la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent3 ». En d’autres termes, l’Homme incluerait dans ses techniques une partie de lui-même et de ses compétences. De manière plus concrète, les artistes Mads Peitersen et Angela Moramarco ont travaillé sur le côté anthropomorphique de la technologie et sur la façon dont nous nous projetons dans la technologie4. Les illustrations montrent des objets technologiques comme écorchés vifs et révelant une anatomie similaire à celle de l’Homme.

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Mads Peitersen Hot Toast Night - 2010

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LA TECHNIQUE

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IMPACT D’UNE RÉVOLUTION TECHNIQUE L’Homme a créé des techniques pour produire plus vite et pour rendre des tâches moins laborieuses. Aujourd’hui nous opposons, dans le domaine de la production d’objets, le monde industriel au monde artisanal. Le premier monde est celui de la production rapide, de manière constante et pour le plus grand nombre. A l’inverse, l’artisan accorde plus de temps à des productions sur-mesure. De manière générale, l’artisan est le terme utilisé pour désigner une personne qui maîtrise une technique. Pour être plus précis, et pour reprendre la définition de Gille, l’artisan maîtrise le premier niveau de la technique soit la « combinaison unitaire », il connaît l’outil, et plus que cela : il l’utilise et le maîtrise. D’ailleurs on parle bien du « savoirfaire » de l’artisan lorsque celui-ci connaît une technique et sait comment utiliser ses outils. Cependant la révolution industrielle de la fin du XIXème siècle a entrainé des changements dans le rapport que l’artisan avait avec la technique notamment avec l’apparition des machines. L’artisan qui était alors habitué à un savoir-faire manuel s’est vu contraint d’apprendre à déléguer son savoir-faire à une machine. L’exemple des révoltes Luddites du début du XIXème siècle est très parlant puisqu’il montre comment des

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artisans ont réagi lorsqu’on leur a imposé l’utilisation des machines5. Leur première réaction, symbole de leur révolte, a été de détruire les machines car ils estimaient que celles-ci, même si elles travaillaient vites, ne faisaient pas du travail de bonne qualité comparé au travail manuel. Pour Matthew Crawford, la principale conséquence de la révolution industrielle, et plus particulièrement avec la création des chaînes de montage, est la création du travail manuel « abstrait6 ». La révolution industrielle, c’est la séparation entre le « faire » et le « savoir ». Alors que l’artisan possède les deux (d’où le terme de « savoir-faire »), la révolution industrielle a fractionné le schéma traditionnel de production en divisant le savoir (détenu par l’ingénieur) de l’exécution des ouvriers. Les artisans deviennent par conséquent des ouvriers effectuant un travail manuel dépourvu de sens. Cela est même parodié dans le film de Charlie Chaplin « Les temps modernes » dans lequel il incarne un ouvrier travaillant à la chaine et effectuant des gestes répétitifs (comme mécanisés), et fini d’ailleurs par être entraîné dans les entrailles de la machine. Dès lors, l’ouvrier dépourvu de savoir face à la machine, se contente de faire car il éprouve ce sentiment d’incompréhension vis-à-vis de la machine, ce même sentiment que nous avons

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LA TECHNIQUE

5. Voir annexe : Les révoltes Luddites [p.148]

6. CRAWFORD Matthew B., Eloge du carburateur, éd. La Découverte, coll. La Découverte, 2010, p.50

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parfois lorsque nous utilisons des machines contemporaines.

8. BOURDEAU Vincent, JARRIGE François, VINCENT Julien, Les luddites. Bris de machines, économie politique et histoire, éd. ère, 2006, p. 81

9. VIAL Stéphane, L’être et l’écran, op. cit, p.40 10. Voir annexe : Intelligence artificielle [p.150]

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AMBIGUÏTÉ Crainte de la machine Outre la volonté de dénoncer le travail bâclé, les révoltes luddites sous-tendent une crainte plus profonde. Les luddites craignaient la mécanisation car ils voyaient en la machine la déshumanisation de l’ouvrier et lui attribuaient un côté anthropomorphique8. Pour eux, la machine était une menace pour l’Homme car elle était susceptible de le remplacer. Dans L’être et l’écran, Stéphane Vial explique en quoi l’Homme éprouve une crainte vis-à-vis de la Technique. Selon lui, l’Homme voit la machine comme une personne abstraite agissant pour ses propres fins et de manières autonome et indépendante9. C’est le mythe de Frankeinstein (ou Terminator) où l’Homme perd tout contrôle sur ce qu’il a créé10. Cette angoisse de perte de contrôle de la technique entraine inévitablement la peur de celle-ci. Pour Simondon, cette peur s’explique par l’existence d’une séparation entre la culture et la technique. Il prône d’ailleurs l’importance de la

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« Culture Technique11» au même titre que la culture scientifique ou politique et explique aussi que cette techno-phobie naît du fait que la technique évolue plus rapidement que la culture (tel que les institutions juridiques, le langage ou encore les coutumes). L’Homme se retrouve donc sans arrêt dépassé par la technique complexe de l’ingénieur dont il ne sait rien. Prenons l’exemple de l’essor actuel que connaît l’imprimante 3D. Pour le grand public cette technologie semble proposer une toute nouvelle relation à la consommation. Dans son livre Makers, Chris Anderson fait l’éloge de cette nouvelle technologie qui, pour lui, devrait se retrouver dans chaque foyer d’ici peu12 du fait de sa simplicité d’utilisation semblable à celle d’une imprimante de bureau. Seulement cela fait débat notamment depuis que Cody Wilson, un étudiant américain, a mis en ligne des fichiers 3D permettant à n’importe quel possesseur d’imprimante 3D d’imprimer les pièces d’une arme à feu. Doit-on interdire aux possesseurs d’imprimante 3D d’imprimer certains types d’objets ? Comment surveille-t-on cette technologie pour éviter les débordements ? L’état américain se pose actuellement toutes ces questions sur le contrôle des fichiers 3D qui circulent sur internet.

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LA TECHNIQUE

11. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.82

12. ANDERSON Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, éd. Pearson, coll. Les temps changent, 2012

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Pistolet en impression 3D par Cody Wilson - 2013

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LA TECHNIQUE

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Nouvelles technologies, nouvelles lois. Bien que la technologie d’impression 3D fascine le grand public, de nombreux articles sur le net témoignent de la crainte de la perte de contrôle de celle-ci. En somme l’incompréhension des technologies nous amène à avoir peur non-seulement de celles-ci mais aussi des personnes qui les maîtrisent. Progrès technique : Espoir et ambivalence

13. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, cité dans l’émission Philosophie Arte : La Technique, avec Caterina Zanfi, 2010

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Simondon, influencé par les écrits de Bergson, explique que ce qui rendrait les machines réellement fascinantes ce n’est pas l’automatisation mais leur capacité à avoir une marge d’indétermination. En effet la machine peut être intelligente (calculatrice) mais ne peut en aucun cas improviser, capacité qui reste encore le propre de l’Homme. Pour Simondon les machines sont des « fabrications fictives » et elles appartiennent à « l’art d’illusion13 ». En d’autres termes, la technique peut susciter une fascination de l’ordre de l’imaginaire. Qui n’a jamais rêvé de se téléporter ou de communiquer par la pensée ? Certaines personnes voient de ce fait la machine comme un moyen absolu pour résoudre les problèmes existants dans divers secteurs (environnemental, médical, économique...). Pour Kevin Warwick, professeur

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de cybernétique à l’université de Reading en Angleterre, la prochaine étape du progrès technique sera l’avènement de l’Homme-machine, ou autrement dit la fusion de l’Homme avec la machine. Il définit cette prochaine étape comme étant inévitable et nécessaire car cela permettra de rendre l’Homme maître de sa propre évolution : « Il vaut mieux devenir une machine plutôt que d’être dominé par elle. Puisque nous ne pouvons pas les battre alors soyons aussi fort qu’elles14 ». Ellul définit sous le terme de « Bluff technologique15 » le discours, tenu par les « technooptimistes » comme Warwick, prônant le progrès technique et technologique comme étant le remède à tous types de problèmes. Cependant Ellul explique aussi qu’il existe dans la technique un concept « d’ambivalence ». Certes la technique est un vecteur de progrès dans de nombreux domaines mais ce progrès n’est jamais sans conséquence. Par exemple, internet a permis à la fois un surcroît de liberté mais également un surcroît de contrôle. Frédéric Kaplan explique que considérer la technique non pas comme un moyen mais comme une fin peut avoir de lourdes conséquences sur la nature humaine.

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LA TECHNIQUE

14. Discours de WARWICK Kevin, Extrait du documentaire de ZAHITEN Christopher, Le cyborg ou l’avènement de l’homme-machine, 2006 15. ELLUL Jacques, Le bluff technologique, cité dans la conférence de VITALIS André, Jacques Ellul et le bluff technologique

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16. KAPLAN Frédéric, La métamorphose des objets, FYP éd., coll. Présence, 2012, p.164

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« […]nous avons pris l’habitude de considérer chaque nouvelle technologie comme pouvant être à la fois une prothèse et une amputation. En externalisant notre mémoire, nous perdrions nos capacités de mémorisation. Les tables de multiplication, les départements, les longues tirades retenues par cœur, connus par nos aînés et de moins en moins appris par les nouvelles générations, seraient autant d’exemples éloquent de cette pratique de la mémoire qui se perd au contact de la technologie16 ». Les objets techniques modifient plusieurs aspects de notre quotidien et il serait aujourd’hui utopiste de penser à un retour en arrière. Cependant ils nous rendent aussi dépendant car, comme l ’explique Frédéric Kaplan, nous externalisons une partie de nous-même dans ces objets, compliquant ainsi notre émancipation.

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LA TECHNIQUE

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02 NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES


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DES OBJETS UTILITAIRES Dans sa thèse, Bernard Blandin explique que les objets dit « techniques » appartiennent au registre de l’usage1, ce sont des objets liés au domaine de l’utilitaire, par exemple l’outil est un objet technique. Pour Ellul, la technique, et plus précisément l’objet technique, introduit un rapport utilitaire au monde car celui-ci permet la maîtrise de la matière et donc de la nature. L’outil permet de construire, de bâtir et de créer et permet de transformer la matière naturelle en matière maîtrisée. Simondon quant à lui explique que les relations utilitaires que l’Homme peut avoir avec les objets techniques ne sont, selon ses termes, qu’une relation mineure : « La statut de minorité est celui selon lequel l’objet technique est avant tout objet d’usage […]. Le savoir technique est implicite, non réfléchi, coutumier2 » En d’autres termes c’est lorsque nous utilisons l’objet technique et que notre unique but est le résultat final. La seule raison d’existence de cet objet devient alors son utilité. La machine est l’objet technique par excellence et l’ordinateur est le meilleur exemple contemporain d’objet technique avec lequel nous entretenons une relation mineure. De ce fait il est clair

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

1. Extrait de la thèse de BLANDIN Bernard, Des hommes et des objets : esquisse pour une sociologie avec objets, 2001, p.214

2. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.85

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que nous entretenons une relation mineure avec tous les objets techniques que nous utilisons car nous ne regardons que leur utilité. S’ils ne fonctionnent pas, pourquoi continuer à le garder ? Cependant il existe plusieurs autres types de relations que nous entretenons avec ces objets. TYPES DE RELATIONS Mystère, magie et science-fiction

3. VIAL Stéphane, L’être et l’écran, op. cit, p.24-25

4. Voir annexe : Représentation collective [p.152]

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Pour Stéphane Vial, l’Homme peut avoir deux attitudes face à l’objet technique : la « séduction fascinante » qui désigne une technophilie aveugle et la « crainte respectueuse3 » désignant la techno phobie facile. Ces deux statuts existent car comme il l’explique, la technique, et plus précisément la technologie numérique, donne accès à de nouvelles perceptions d’un monde inconnu et donc à des réalités que nous peinons à croire. C’est pourquoi dans l’imaginaire collectif les nouvelles technologies sont attribuées à la science-fiction ou même à la magie4. Par exemple l’imprimante 3D a beaucoup été comparée au « replicator » dans la série de science-fiction Star Trek, capable de matérialiser n’importe quel objet. Mais

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alors pourquoi avons-nous cette perception de l’objet technique ? Jean-Pierre Séris définit l’objet technique comme étant un objet complexe dont nous ne savons rien. De ce fait la technologie est pour lui le nom que l’on donne à la technique dont nous nous sentons dépossédé. Notre perception ambivalente des objets techniques est dûe au fait que ceux-ci enferment en eux deux traits contradictoires : le caractère complexe et très élaboré de leur construction et de leur fonctionnement ainsi que la commodité de leur usage, réduisant à zéro la compétence exigée pour leur utilisation5. Cela a pour effet de créer une relation superficielle entre l’Homme et les objets technologiques.

5. SÉRIS Jean-Pierre, La technique, cité dans le livre de VIAL Stéphane, L’être et l’écran, op. cit, p.60

Seconde nature Bien que les objets techniques actuels échappent à la compréhension du plus grand nombre d’entre nous, l’Homme et l’objet technique sont indissociables et entretiennent une relation d’interdépendance. Nous avons besoin de l’objet technique et ce dernier a besoin de nous. François Dagonet définit les objets techniques comme étant « ce sans quoi nous sommes sans pouvoir ». L’Homme étant limité en terme de capacités physiques, il utilise les objets techniques comme complément.

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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6. DAGONET François, Éloge de l’objet : Pour une philosophie de la marchandise, cité dans le livre de VIAL Stéphane, L’être et l’écran, op. cit, p.61

7. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.46-47

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« On ne le sait que trop, nos doigts ne coupent pas, les ongles se cassent, mais le fil de la lame du couteau remplace avantageusement nos tissus trop mous […]. Le verre capte, divise et conserve un liquide que nos mains ne peuvent retenir6 » D’une certaine manière nous sommes dépendants des objets techniques. Nous les utilisons non seulement pour nous compléter mais aussi pour nous améliorer. Cependant cette dépendance n’est pas à sens unique car comme l’explique Simondon lorsqu’il évoque la relation entre l’Homme et la machine : « l’Homme doit intervenir pour maintenir cet objet dans l’existence en le protégeant contre le monde naturel7 ». Dans son idée, Simondon oppose donc l’objet technique à l’objet naturel. L’objet technique étant un objet créé par et pour l’Homme, il est étranger au monde dans lequel il est utilisé. C’est en cela qu’il a besoin de l’Homme pour exister et pour avoir un sens puisque c’est lui qui l’utilise et le manipule. Mais ces objets « artificiels » ne sont pas seulement passifs dans le monde dans lequel ils existent. Comme l’explique Lagdon Winner, les objets techniques ont une influence sur les comportements et les

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institutions. En effet, les nouvelles mises en œuvre technologiques peuvent, selon les termes de Winner, devenir « une seconde nature » et constituer « des formes de vie au sens fort du terme : on aurait beaucoup de mal à s’en passer8 ». Vincent Cheynet, rédacteur en chef du journal La décroissance prend comme exemple l’automobile. Pour lui, la banalisation de celle-ci a créé une dépendance de l’Homme à cet objet technique : « L’automobile étant devenu une norme, les gens sont obligés de travailler, même les gens les plus pauvres, pour acquérir une automobile car il devient un moment où il est quasiment impossible de vivre sans cet objet. L’environnement est formaté de telle manière que l’on ne peut plus s’en passer9 ». Aujourd’hui nous sommes devenus dépendants de nombreux objets techniques comme le téléphone portable, l’ordinateur, ou encore la carte bleue.

8. WINNER Langdon, La baleine et le réacteur, cité dans l’article de DELEAGE Jean-Paul, Philosophie, la baleine et le réacteur, 2003

9. Extrait du documentaire de DE MIGUEL WESSENDORF Karin, Moins c’est mieux, 2013

ÉMANCIPATION L’intuitivité, une autonomie superficielle Certaines personnes prônent l’émancipation de l’Homme face à la technique afin que

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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nous puissions être autonomes et indépendants. Cependant quels sens donne-t-on à ces termes ? La signification première de « émanciper » avait un rapport avec l’affranchissement des esclaves. Sommes-nous donc esclaves de la technique ? Dans notre langage nous parlons plus souvent de s’affranchir d’une autorité, d’une domination ou même d’une tutelle (par exemple l’émancipation juridique d’un mineur) dans le but d’être autonome. Pour qu’il y ait émancipation il faut une dépendance et face à la complexité des objets technologiques que nous utilisons, nous sommes aliénés :

10. RIVIERE Florian, Système DIY, livre coordonné par DELPRAT Etienne, Ed Gallimard, 2013, p.158

11 CRAWFORD Matthew B., Eloge du carburateur, op. cit., p.74

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« L’outil technologique ne libère pas, il asservit l’Homme, l’éduque et le conditionne. Plus l’outil est complexe moins il est manipulable et plus il devient un élément de concentration de pouvoir et de monopole10 ». Face à des techniques de plus en plus complexes, la nouvelle planche de salut des objets techniques devient la quête de la simplicité d’utilisation et de l’intuitivité. Dans son livre, Crawford définit l’intuitivité comme étant le « minimum de fiction psychique entre l’intention de l’usager et de sa réalisation11 ». En d’autres termes, le but de l’intuitivité est de rendre l’objet technique accessible par tous c’est à dire

la réappropriation des objets techniques


simple d’utilisation. L’ordinateur par exemple est un ensemble de systèmes techniques complexes protégés par une interface (physique ou virtuelle) dite « intuitive » permettant à l’utilisateur d’utiliser le potentiel de cette machine sans en connaître son fonctionnement. En un sens, l’utilisateur est libre de choisir la manière d’utiliser cet objet. Cependant pour Crawford, c’est une fausse impression de liberté car l’intuitivité donne en surface l’impression d’une autonomie mais en cas de panne, nous redevenons prisonniers d’une relation indirecte avec le technicien de service d’un obscur service après-vente. L’intuitivité se dresse alors comme une barrière entre l’utilisateur et le fonctionnement de l’objet technique. Jean-Michel Besnier explique : « Quand tout va bien, on se montre aisément idéaliste avec les objets techniques, mais on devient matérialiste dès qu’il tombe en panne. C’est bien pourquoi la simplicité est dans la tête, tandis que la complexité se trouve dans le monde biologique et social dans lequel nous sommes immergés.[…] La complication intervient pour nous quand on ne parvient plus à maîtriser la complexité des êtres et des évènements, grâce à des modèles qui paraissent simplificateurs en surface12 »

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

12. BESNIER JeanMichel, L’homme simplifié, éd. Fayard, coll. Essais, 2012, p.24-26

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L’intuitivité dégage donc un sentiment de liberté mais celui-ci est superficiel car il n’existe que lorsque l’objet fonctionne. Si l’objet cesse de fonctionner, ce sentiment s’estompe dévoilant par la même occasion un système complexe et incompréhensible. La véritable autonomie …

13. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.252

14. Ibid, p.9-10

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Pour Simondon, l’émancipation n’est possible que si la Technique et la Culture sont réconciliées et dans cette condition l’utilisateur est « non seulement le propriétaire [de l’objet technique] mais aussi l’homme qui l’a choisie et l’entretien13 ». Etre capable de comprendre la technique, c’est ça la véritable émancipation. La dichotomie entre la Culture et la Technique entraine la dépendance de L’Homme et cette aliénation existe car comme l’explique Simondon : « La plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence14 » Actuellement, la machine n’est pensée que pour son utilité finale. Le fonctionnement de la plupart des objets techniques pensés par les ingénieurs et autres

la réappropriation des objets techniques


programmateurs se cachent derrière des coques dessinées par les designers. Pour faire face à la laideur des objets techniques créés par les ingénieurs, le pionnier du design industriel Raymond Loewy prônait la beauté des objets et pour lui cela passait par l’esthétique externe des objets. C’était au milieu du 20ème siècle mais malheureusement bien trop d’objets qui nous entourent ont conservé cette logique qui ne fait que rendre les objets techniques encore plus incompréhensibles qu’ils ne le sont déjà. Si Simondon utilise les termes « Technique » et « Culture », Crawford parle quant à lui respectivement de « Faire » et de « Savoir ». Il défend l’idée que nous sommes aujourd’hui dépendants du monde technologique et il attribue cela à notre ignorance. Il prône alors l’apprentissage par l’expérience du vécu. En d’autres termes, la possession d’un objet n’est pas suffisante car posséder une machine ne signifie pas la connaître, il faut prêter attention à son fonctionnement, être capable de la régler et de l’entretenir. En effet, être dans la capacité de réparer un objet soi-même permet de s’affranchir de toute aide d’une autre personne et permet d’être, dans une certaine mesure, indépendant. Cela serait aussi le moyen d’apprendre à mieux connaître les objets technologiques nous entourant.

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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… ou la simple consommation

15. Voir annexe : Obsolescence Programmée [p.154]

Sans possession de ce que Simondon appelle « Culture Technique », l’utilisateur est voué à entretenir une relation linéaire et passive avec les objets techniques et technologiques qui l’entourent. L’utilisateur devient alors un simple consommateur. Une des conséquences représentative de notre ignorance dans les objets techniques actuels est l’obsolescence programmée15. Le documentaire Prêt à jeter ou l’obsolescence programmée16, datant la naissance de cette pratique au début de la société de consommation, explique que l’obsolescence programmée est une résultante d’un excès de production. Du point de vue des industriels, cette pratique visant à consciemment réduire la durée de vie des objets techniques est un des piliers de la consommation car sans consommation, pas de croissance et sans croissance, pas d’industrie. Prenons l’exemple de la marque Apple. En 1998, Apple lance le premier ordinateur grand public : l’iMac. Le design de cet objet était un point essentiel pour permettre au grand public d’adopter cette technologie alors réservée aux professionnels. Le choix d’Apple pour démystifier la technologie de l’ordinateur a été de

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la réappropriation des objets techniques


iMac - 1998 - Apple

iPhone, iPod Classic, iPod Nano, iPod Shuffle - Apple

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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créer une coque semi-translucide. La logique était de laisser visible les éléments internes de la machine pour rompre avec l’imaginaire collectif visant à assimiler cette technologie à l’ingénieur. Pari réussi pour Jonathan Ive, designer chez Apple, puisque la popularité de son iMac relance la marque Apple qui était alors en crise. Cependant, la marque glisse petit à petit de la volonté de démystifier la technique à celle de la simplifier. Apple lance alors les iPods, iPhones et autres iPads, prônant un design minimaliste et une technologie accessible au grand public. Pourtant, le premier iPod lancé en 2001 essuie de très nombreuses critiques car sa batterie avait une durée de vie qui n’excédait pas plus d’un an. A l’époque, la politique d’Apple prônait le rachat d’un nouveau baladeur plutôt que le remplacement de la batterie car le produit ne prévoyait pas cette possibilité et bien sûr cette solution était tout à leur avantage car le prix de vente d’un iPod avoisinait les 500 dollars. De ce fait, si la batterie cessait de fonctionner, l’objet devenait inutilisable et irréparable. En voulant simplifier la perception de la technologie, Apple a créé des produits totalement fermés à toute intervention humaine visant à prolonger leur durée de vie. Certes les produits sont intuitifs dans l’utilisation mais

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la réappropriation des objets techniques


ils ne donnent pas l’occasion à l’utilisateur de comprendre leur fonctionnement. Cette stratégie n’est évidemment pas le fruit du hasard car en faisant cela Apple rend dépendant ses utilisateurs de leur service après-vente ce qui permet de les fidéliser. La dépendance aux objets techniques n’est en aucun cas résolue, nous sommes devenus dépendants des objets techniques de manière indirecte car nous avons besoins des personnes qui en comprennent le fonctionnement et qui savent, si nécessaire, les réparer.

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NOTRE RELATION AUX OBJETS TECHNIQUES

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03 CONDITIONS D’ÉMANCIPATION


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DES TECHNOLOGIES CHOISIES Pour aller vers une émancipation totale vis à vis de la technique, il est nécessaire dans un premier temps de faire la distinction entre deux formes de techniques : la technique politique et technique sociale. La technique politique est visible dans La république de Platon. Dans ce livre, Platon justifie l’autoritarisme dont fait preuve la politique à l’égard de la technique en prenant l’image d’un bateau en pleine mer : pour survivre, l’équipage doit être obéissant à une autorité unique représentée par le capitaine car lui seul possède les compétences nécessaires pour prendre les meilleures décisions. A l’inverse, lorsque Chris Anderson défend l’idée selon laquelle la transformation la plus importante n’est pas dans « la manière de faire les choses » mais dans « l’identité de ceux qui les font1 », il soutient une technique sociale. La technique sociale c’est une technique « choisie », une technique socialement façonnée. Selon Anderson, la troisième révolution industrielle commencera lorsque les outils de production se retrouveront au plus proche de l’utilisateur final car il considère que ce dernier est le plus à même de les utiliser. Pour reprendre la métaphore de Platon, les utilisateurs sont l’équipage

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CONDITIONS D’ÉMANCIPATION

1. ANDERSON Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, op. cit., p. 22

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du bateau. En somme, Anderson prône l’avènement du « Do It Yourself » et de l’auto-production.

2. BOURDEAU Vincent, JARRIGE François, VINCENT Julien, Les luddites. Bris de machines, économie politique et histoire, op. cit., p. 126

3. Voir annexe : FabLab [p.156]

C’est en quelque sorte ce que revendiquaient les artisans lors des révoltes luddites : la société ne doit pas être le reflet de son appareillage technique (technique politique et imposée) mais les technologies doivent être naturellement intégrées par la société2 (technique sociale et choisie). La solution préconisée par Anderson, qui reviendrait à dire que chaque personne serait susceptible de subvenir à ses besoins matériels, paraît utopique. Cependant de nombreux organismes se mettent en place pour installer une proximité entre la production d’un objet et son utilisateur final. Les FabLabs en sont l’exemple parfait car ces lieux permettent de démystifier les techniques de conception et de production afin de permettre aux personnes de mieux se les réapproprier3. Langdon Winner explique que l’activité sociale est un processus continu de fabrication du monde et c’est pourquoi le choix des mises en œuvre techniques et technologiques devrait passer par l’action sociale et non politique. En effet, comme le dit Winner, si les technologies sont constitutives de nos « formes de vie » et

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la réappropriation des objets techniques


qu’elles participent à la mise en ordre de notre monde, il est nécessaire de passer d’une technique imposée par la politique à une technique choisie et sociale. Il en est de même pour les objets techiques puisqu’ils sont susceptibles de devenir « une seconde nature4 ».

4. WINNER Langdon, La baleine et le réacteur, 2002, cité dans l’article de DELEAGE Jean-Paul, Philosophie, la baleine et le réacteur, 2003

UNE VALEUR SENTIMENTALE Cette mutation de la technique permettrait de modifier le rapport que nous entretenons avec la consommation d’objets matériels et plus particulièrement avec les objets techniques et technologiques. Actuellement la complexité de ces-derniers ne nous permet pas d’avoir une relation autre que celle liée à l’utilitaire. Frédéric Kaplan définit les objets électroniques comme étant des objets sans histoire et sans « capacité historique5 ». Pour lui, ces objets ont seulement une valeur économique et n’ont aucune valeur sentimentale. Ce qui donne une valeur sentimentale à un objet c’est l’histoire que nous entretenons avec celui-ci, d’où la nécessité de prolonger la durée de vie de ces objets en ayant la culture technique nécessaire pour les entretenir. En effet, une personne est aujourd’hui davantage attachée au contenu de son ordinateur qu’à l’objet

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CONDITIONS D’ÉMANCIPATION

5. KAPLAN Frédéric, La métamorphose des objets, op. cit., p.23

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6. Bien que les marques rendent les objets désirables au-delà de leur valeur d’usage en jouant sur le plan de l’appartenance sociale (mais ceci est un autre débat).

lui-même6. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous changeons sans regret d’ordinateur régulièrement afin d’en acquérir un avec de meilleures performances, bien qu’il serait possible de remplacer soi-même certains composants.

7. CRAWFORD Matthew B., Eloge du carburateur, op. cit., p.20-21

Pour Matthew Crawford, être en capacité de réparer et d’entretenir un objet est signe d’indépendance et celle-ci permet une valorisation personnelle car c’est une preuve tangible de ses propres compétences7. Par exemple si mon imprimante tombe en panne et que je la répare, le fait qu’elle fonctionne de nouveau est effectivement une preuve de mes compétences car la complexité de son fonctionnement a nécessité une somme de connaissances. PASSER DE … … l’information … A la fin du 20è siècle, l’émergence de l’informatique et d’internet nous a propulsé d’une société matérielle à une société de l’immatériel. Comme je l’ai dit précédemment, ce qui a réellement de la valeur dans un ordinateur, ce n’est pas son enveloppe physique mais bien son contenu. L’information, ou le contenu, est alors devenue la clef de voute de cette nouvelle

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société et Langdon Winner explique pourquoi : « Les idéalistes informatiques imaginent l’enchainement de syllogismes suivant : 1 - les gens manquent d’informations 2 - l’information est la connaissance 3 - la connaissance est le pouvoir 4- l’accès accru à l’information augmente la démocratie et égalise le pouvoir social8 ». Cependant ce raisonnement doit être modéré car il repose sur la confusion entre le volume d’information brute et la capacité de chaque individu de s’approprier à partir de cette masse brute une connaissance nécessaire à la réflexion et utile à l’action. L’information est une sorte de connaissance éphémère ayant une raison et une pertinence à un moment précis. Dans leur article, Brigitte Albero et Françoise Thibault expliquent en quoi l’accès à l’information diffère de la connaissance et du savoir :

8. WINNER Langdon, La baleine et le réacteur, cité dans l’article de DELEAGE JeanPaul, Philosophie, la baleine et le réacteur, 2003

« l’information comme un objet de connaissance, un message à orientation objective ; la connaissance comme le processus individuel interne de traitement et d’appropriation de cette information ; le savoir comme la résultante d’un processus collectif d’explicitation, de formalisation et de validation des informations récoltées et des

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CONDITIONS D’ÉMANCIPATION

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9. Extrait de l’article d’ALBERO Brigitte et THIBAULT Françoise, Enseignement à distance et autoformation à l’université : au-delà des clivages institutionnels et pédagogiques ?, 2004

connaissances acquises dans un domaine donné9 » Même si ces définitions appartiennent au contexte de l’apprentissage scolaire, il est intéressant de faire le rattachement à ce que Matthew Crawford appelle « Faire » et « Savoir ». L’abondance d’informations auxquelles nous avons en permanence accès ne signifie pas que nous possédons un savoir ou une connaissance dans les objets techniques et technologiques. Pour Matthew Crawford, le savoir technique s’acquiert grâce à la pratique et non par la théorie. Par conséquent le changement sociétal favorisant l’immatériel et l’information au détriment du matériel et de la pratique a provoqué notre ignorance dans le fonctionnement des objets techniques. … à la culture technique La culture technique serait alors un moyen de créer une société fondée sur autre chose que la connaissance rationnelle (élaborée par les sciences). Si Gilbert Simondon parle de relation « mineure » pour définir la relation utilitaire que nous entretenons avec les objets techniques, il utilise le terme de « statut de majorité » lorsque l’utilisateur à une relation cognitive

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la réappropriation des objets techniques


avec l’objet : « Le statut de majorité correspond […] à une prise de conscience et à une opération réfléchie10 ». Le mécanicien qui répare une voiture entretient une relation cognitive avec cet objet technique puisqu’il est capable de la comprendre, la réparer et l’entretenir. La relation qui s’installe dépasse alors le simple stade de l’utilité. Matthew Crawford compare le mécanicien au médecin et explique que ces professions appartiennent au domaine des « Arts stochastiques11 ». En d’autres termes le mécanicien ne possède pas la connaissance absolue de l’objet car il n’est pas le créateur de celui-ci (contrairement à l’ingénieur ou l’architecte). Cependant il possède la culture technique de l’objet lui permettant de se le ré-approprier et ainsi de le réparer si besoin car il y a de l’aléatoire dans l’objet technique (bug, panne, dysfonctionnement…). La ré-appropriation devient alors la relation intermédiaire entre la « relation mineure » liée à l’utilitaire et la « relation majeure » liée à la connaissance absolue. En se ré-appropriant les objets techniques, il serait alors possible d’accéder à une relation moins superficielle avec eux et ils pourraient ainsi devenir, ce que Frédéric Kaplan appelle, des objets qui « comptent12 » pour nous (autrement que pour leur valeur monétaire).

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CONDITIONS D’ÉMANCIPATION

10. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.85

11. CRAWFORD Matthew B., Eloge du carburateur, op. cit., p.99-100

12. KAPLAN Frédéric, La métamorphose des objets, op. cit., p.13

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04 LA (RÉ) APPROPRIATION


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APPROPRIATION OU RÉ-APPROPRIATION ? La ré-appropriation possède plusieurs niveaux de lecture. Dans un premier temps il est important de faire la différence en « s’approprier » et « se ré-approprier ». L’appropriation est le processus visant à prendre possession et à devenir propriétaire. Par exemple, lors de l’achat d’un objet, la transaction financière symbolise la propriété que l’on acquiert sur l’objet. L’objet nous appartient, c’est notre propriété donc on se l’est approprié. De ce fait l’appropriation est un fait qui se fonde sur un droit, celui de la propriété privée et de l’échange marchand. Le terme de ré-appropriation quant à lui sous-entend une finalité plus forte car il présuppose une perte de propriété. Se ré-approprier c’est en fin de compte « s’approprier » une deuxième fois et sur un autre niveau de propriété. Le processus de ré-appropriation devient alors une volonté car il y a non seulement une perte de propriété mais plus que ça : un manque. Lorsqu’une personne achète un objet d’occasion par exemple, elle se l’approprie en le payant cependant elle n’acquiert pas le vécu de son ancien possesseur. L’histoire de l’objet d’occasion est propre à son ancen possesseur et c’est en cela que celui-ci s’est ré-approprier

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LA RÉ-APPROPRIATION

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1. BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace (1957), éd. Puf, coll. Quadrige Grands textes, 2009

l’objet. Dans son livre La poétique de l’espace, Gaston Bachelard explique qu’une personne se ré-approprie un espace vide (comme un appartement ou une maison) en l’habitant car il crée des souvenirs dans cet espace à mesure qu’il y habite. Ce dernier devient habité non seulement par la personne mais aussi par son imaginaire1. Les meubles et autres objets de décoration ne sont que la matérialisation physique des souvenirs et du vécu de la personne. Dans la suite nous allons voir que la ré-appropriation peut prendre diverses formes. (SE) DÉTOURNER Une démarche personnelle Bien que l’on puisse parler de ré-appropriation pour la plupart des objets que nous utilisons, ce processus devient plus complexe pour les objets techniques à cause de la nature des relations que nous entretenons avec eux et du fait que la véritable ré-appropriation ne se fonde pas sur l’usage mais sur une connaissance empirique de l’objet. La ré-appropriation doit d’abord passer par une démarche personnelle et propre à l’individu possesseur de l’objet technique. Pour Michel De Certeau lorsqu’un individu se ré-approprie un objet, il le fait fonctionner

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la réappropriation des objets techniques


sur un autre « registre » : « Il existe un art d’utiliser les produits imposés, de les faire fonctionner sur un autre registre. Ce sont des opérations d’appropriation et de réemploi, des pratiques de détournement. Cet art de combiner est indissociable d’un art d’utiliser, il forme un mixte de rite et de bricolage. Une forme de braconnage2» En somme, nous nous ré-approprions les objets qui nous entourent en les détournant de leur fonction initiale, en modifiant leur structure fonctionnelle. Lorsque l’on parle de détournement dans le champ du design, il est difficile de passer à côté des Ready Made de Marcel Duchamp. Dans son travail, Duchamp détourne des objets du quotidien en changeant l’essence même de leur fonction, de leur structure et de leur sens. Les objets ainsi créés posent ainsi la question du processus de ré-appropriation des objets manufacturés. Dans quelle mesure se ré-approprie-t-on les objets « finis » issu de production industrielle ? Pour Marcel Duchamp c’est une affaire de déconstruction, de reconstruction physique et de détournement. Marcel Duchamp serait-il le précurseur du mouvement informatique des « hackers » ? En quelque sorte.

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2. DE CERTEAU Michel, L’invention du quotidien : Arts de faire, cité dans l’article de BEDIN Véronique et FOURNIER Martine, Michel de Certeau , 2009

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3. Extrait de la thèse de BLANDIN Bernard, Des hommes et des objets : esquisse pour une sociologie avec objets, 2001, p.203 4. Ibid, p.204

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Blandin explique que le hacker nourrit une passion « exacerbée3» pour l’objet technique. De ce fait, la relation utilitaire de l’objet disparaît et pour laisser place à la fascination. Pour Blandin, le hacker est habité par le désir de connaissance (poussé à son paroxysme) ainsi que le désir de domination4. Le hacker possède le dessus sur la machine ce qui lui permet de révéler les véritables possibilités techniques finies de l’objet technique. Bien sûr il serait utopiste de penser que ce qui permet au hacker de passer au-delà de la complexité technique est sa simple curiosité, mais cette donnée est primordiale pour entamer un processus de ré-appropriation avec un objet technique. En somme le hacker, tout comme Duchamp, part d’une base à priori finie (et imposée) et déconstruit pour ensuite mieux reconstruire, détourner et « braconner ». Même si le hacking reste principalement lié au domaine de l’informatique, il est intéressant d’en prendre exemple pour la conception d’un objet technique car les hackers prônent un idéal basé autour d’un partage des connaissances, des techniques et de l’expérience.

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Marcel Duchamp Fontaine - 1917

Marcel Duchamp Roue de bicyclette 1913

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Apprendre ensemble

5. KROPOTKINE Pierre, L’entraide, un facteur de l’évolution (1902), éd. Sextant, coll. Les increvables, 2010

6. THACKARA John, In the Bubble : de la complexité au design durable (2005), éd. IRDD Cité du Design, 2008, p. 129

Cette utopie du partage n’est pas récente. En effet au début du 20ème siècle, Pierre Kropotkine défendait l’idée que l’entraide permettait d’accéder à un niveau d’apprentissage bien plus élevée que la plupart des écoles5. C’est en effet un des objectifs des FabLabs : diffuser les connaissances, les expériences, et les objets en proposant un mode de production alternatif. John Thackara, dans son livre In the Bubble, définit les FabLabs comme étant de véritables lieux d’enseignement et pour lui le partage permet d’éviter ce qu’il appelle « un culte du gavage narcissique6 ». Le mouvement des logiciels dit « Open Source » (dont les codes sont accessibles à tous et modifiables à volontés) a donné naissance, grâce en autre aux FabLabs, à un autre mouvement : celui des Objets Libres. De la même manière que les logiciels Open Source, les Objets Libres sont des objets dont les plans et les étapes de fabrications sont communiqués afin que n’importe qui puisse les reproduire de manière autonome et se les ré-approprier en le modifiant. Outre le partage concret d’éléments, qu’ils soient physiques ou numériques, L’Open Source et les Objets Libres sous-tendent une

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réalité plus profonde : le partage des savoirs pour une recherche d’autonomie. En effet tout le monde n’a pas les connaissances nécessaires pour réaliser une pièce d’un objet en 3D. Seulement d’autres personnes possèdent cette compétence et décident de la partager. L’esprit communautaire qui se crée autour de ces mouvements permet de réunir des personnes souhaitant mettre à profit leurs compétences respectives dans le but de réaliser un projet commun. Wikispead en est l’exemple parfait car, pour ce projet, une communauté de personnes aux savoirs divers s’est réunie pour construire une voiture. Le résultat fut sans appel car cette communauté à réussit à construire une voiture en 3 mois. Une seule personne n’aurait bien évidemment pas pu réaliser ce projet car la complexité de l’objet technique qu’est la voiture nécessite des connaissances dans des domaines bien trop variés. Au final, c’est une communauté de consommateurs/utilisateurs qui s’est réunie pour façonner un objet à leur image et pour se détourner des objets imposés par l’industrie.

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7. Extrait de l’article de Benjamin Tincq, Wikispeed – La troisième révolution industrielle en Open Source, 2013

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« Certains pensent que l’open source appliqué aux composants physiques n’est pas viable. Pourtant, lorsqu’un constructeur fait assembler ses produits en Chine aujourd’hui, sa technologie est très rapidement imitée et les clones apparaissent. Donc en fait nous sommes déjà en “open source par défaut”. Partant de là, pourquoi ne pas ouvrir la conception dès le départ et développer une vraie communauté avec qui co-designer votre produit ?7 »

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Selon Eric Von Hippel il y aurait 2 à 3 fois plus d’innovation de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie et non seulement les utilisateurs innovent, mais le plus souvent ils dévoilent librement leurs innovations :

8. Extrait de l’article de GUILLAUD Hubert, Eric von Hippel : il y a 2 à 3 fois plus d’innovations de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie, 2010

« Ces innovations parlent à d’autres utilisateurs et c’est ainsi que se constituent des communautés d’utilisateurs. Celles-ci grandissent et parfois donnent lieu à des créations d’entreprises. Finalement, une fois que les débouchés sont possibles, les fabricants font leur entrée sur le marché, résume Von Hippel. Les utilisateurs collaboratifs peuvent souvent prendre le dessus sur les producteurs, car ils sont plus nombreux et parce que l’espace d’innovation est ouvert, ce qui rend très facile l’adoption de ces innovations8 » L’OBJET VECTEUR DE RÉAPPROPRIATION L’objet ré-appropriable

9. PAPANEK Victor, Design for real world (1970), éd. Mercure de France, coll. Environnement et Société, 1974, p.23

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Pour Victor Papanek, le design est « un outil à modeler les outils9 ». L’Homme se sert de l’outil afin de transformer son environnement, par extension le design permet donc de modeler la société. En effet, c’est lors de la conception du produit que le designer décide du rôle que va jouer l’utilisateur sur l’évolution de ce

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Victor Papanek Radio - 1962 (haut : radio original; bas : radio ornée par un utilisateur indonésien)

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10. Ibid, p.208-211

produit. Dans la plupart des objets industriels, la marge d’évolution du produit est quasi-inexistante. Lors de l’achat, le produit est fini et prêt à être utilisé. De ce fait, l’utilisateur ne peut pas se ré-approprier l’objet puisque celui-ci ne le permet pas. Lorsque Papanek conçoit en 1962 un récepteur radio « low-cost » destiné au pays du tiers monde , il décide de laisser cet objet brut et explique cela du fait que c’est au futur utilisateur de se ré-approprier l’objet10. La radio étant destinée au pays du tiers monde, Papanek estime que l’objet ne doit pas leur être imposé mais qu’au contraire il doit permettre une certaine marge de ré-appropriation (notamment pour des questions de différences culturelles). L’objet est donc non-fini et c’est à l’utilisateur final que revient la tâche de le finaliser en se le ré-appropriant. Les objets industriels sont non ré-appropriables car ils sont finis et ne peuvent de ce fait devenir personnels. Cependant, à la manière du hacking, certaines personnes se les ré-approprient en greffant et en ajoutant d’autres composants, rendant ainsi l’objet propre à leur utilisation. La pâte Sugru par exemple se fixe sur des objets afin de les renforcer ou encore d’améliorer leur préhension.

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Pate Sugru

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Chaque personne peut de ce fait s’approprier l’objet pour en améliorer son usage. L’objet devient alors plus personnel car il répond mieux à notre pratique de l’utile et à notre usage. L’objet standardisé par les méthodes de production industrielle devient, grâce à la pate Sugru, unique et propre à son possesseur. Cependant la logique de cette pâte est qu’elle n’est pas définitive, à l’aide d’un simple cutter il est possible de la gratter pour la retirer de l’objet. La ré-appropriation dépend donc du contexte et de l’utilisation de chaque individu. Cette pâte répond au sens propre à ce que Papanek appelle « un outil à modeler les outils ». L’intelligibilité des objets L’exemple de la radio de Papanek montre comment l’objet lui-même peut être vecteur de ré-appropriation. Pour ce qui est des objets technologiques, leur intelligibilité est primordiale. Plus la structure et le fonctionnement d’un objet complexe est compréhensible, plus il est facile de se ré-approprier ce dernier. Dans son projet Objectomie , Benjamin Mazoin décide de rendre les petits équipements ménagers plus intelligibles en décomposant chaque élément de l’objet par ses fonctions. L’objet

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ainsi créé possède des « organes fonctionnels » qui peuvent être séparables ce qui permet à l’utilisateur de mieux comprendre chaque élément de l’objet. De ce fait, l’objet n’est plus figé dans un état utilitaire défini, il peut évoluer et s’adapter. Dans ce projet, Benjamin Mazoin traite l’objet comme un être vivant. L’Homme est composé de plusieurs organes, certains sont vitaux et d’autres non. Chaque organe évolue en convergence avec les autres dans le but d’atteindre une cohérence (la vie? ...). Cependant, contrairement à l’objet, décomposer un Homme et le recomposer n’a jamais donné de bons résultats. Diviser un objet par ses organes permet de favoriser deux choses: la compréhension de l’utilisateur sur l’objet et l’adaptabilité de l’objet. L’objet devient de ce fait plus intelligible aux yeux de son possesseur ce qui permet à ce dernier de mieux le comprendre et ainsi d’entrer dans un autre type de relation que celui lié à l’utilitaire. L’objet ainsi créé devient « ouvert » à toute intervention humaine comme la réparation. Le but de ce projet est de dé-spécialiser les petits électroménagers afin de pouvoir proposer un objet qui s’adapte à son environnement et aux besoins de son utilisateur. D’autres projets comme PhoneBloks11 défendent cette idée de séparer un objet technique en briques technologiques.

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11. Voir annexe : PhoneBloks [p.158]

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Benjamin Mazoin Objectomie - 2010

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L’autre forme d’intelligibilité que peut avoir un objet passe par l’apprentissage. En effet la prise en main d’une nouvelle technologie n’est vraiment pas une tâche facile... Même si (sans faire de généralités) les nouvelles générations d’utilisateurs s’en sortent mieux, les progrès technologiques sont constants et ne nous offrent aucun répit. La technologie tactile en est l’exemple parfait puisqu’il a fallu apprendre de nouveaux gestes pour la contrôler. Avec leur projet Out of the box, l’agence londonienne Vitamins propose un moyen de rendre la technologie plus accessible et plus intelligible. Le projet est en fait un livre dans lequel se trouvent tous les éléments pour mieux comprendre le téléphone portable que l’on vient d’acquérir (ici c’est un Samsung). Tous les éléments (batterie, carte sim, coque ...) se trouvent déjà dans le livre et il suffit de le lire page par page (en suivant les instructions) pour assembler et programmer son téléphone. Bien sûr cela peut s’apparenter à une notice d’utilisation mais à la différence que la place de l’utilisateur est totalement intégrée dans un processus d’apprentissage. Le livre, représentant symboliquement le savoir, nous permet de ce fait de mieux comprendre notre téléphone. La simple information présente dans

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une notice d’utilisation ne sollicite pas l’utilisateur qui est de ce fait passif. A l’inverse, Vitamins propose ici une façon de présenter l’information à l’utilisateur de façon active, permettant à ce dernier de mieux les intégrer. On apprend toujours mieux lorsque l’on fait.

Vitamins Out of the Box

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CONCLUSION


1. Un fonctionnement complexe avec une utilisation simple

La technique évolue tellement rapidement qu’il est très difficile d’avoir le temps de comprendre et de s’habituer à chaque nouvelle technologie. De plus, le mystère généré par leur complexité de fonctionnement nous pousse vers deux extrêmes : la fascination et la crainte. Au milieu de ces extrêmes il y la simple consommation sans se poser de questions. Aujourd’hui la société de l’immatérielle, de l’information et de l’abstrait perd son souffle. Ce n’est pas un hasard si nous constatons dans divers domaines un retour à la simplicité, notamment dans l’automobile avec la marque low-cost Dacia qui prend le contre-pied de la technologie en proposant des véhicules mécaniques. La « simplexité »1 présente dans les objets techniques nous entourant entraîne de nombreuses conséquences, que ce soit d’ordre écologique avec les déchets générés par le fait que la réparation n’est plus possible ou encore d’ordre économique avec des utilisateurs favorisants de plus en plus le low-cost au détriment du luxe et de l’high tech. L’intelligibilité des objets technologiques est primordiale pour permettre une relation et une consommation moins superficielles. Pour Simondon cette notion d’intelligibilité, qu’il désigne sous le terme d’objet « ouvert » en opposition à l’objet « clos », est le point essentiel pour

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accéder à la culture technique2. L’intuitivité et la simplexité prônées par la technologie actuelle sont aujourd’hui une barrière à une relation basée sur autre chose que l’utilitaire. C’est pour ces raisons que je souhaite approfondir ma recherche dans la manière de rendre un ensemble complexe intelligible, dans le but de rendre les objets techniques et technologiques plus familier. Les objets technologiques pourraient ainsi être porteurs de sens, d’une histoire et d’un vécu. Je m’intéresse donc à augmenter notre autonomie face à ces objets pour permettre une marge de ré-appropriation.

2. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p325-326

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« Quand un objet est fermé, cela signifie qu’il est une chose mais une chose qui est complètement neuve et complètement valide au moment où elle sort de l’usine. Et puis, après elle entre dans une sorte de période de vieillissement, elle se dégrade, même si elle ne s’use pas. Elle se dégrade parce qu’elle a perdu, à cause de sa fermeture, le contact avec la réalité contemporaine, avec l’actualité qui l’a produite. Tout au contraire, si l’objet est ouvert, c’est-àdire si le geste de l’utilisateur […] peut être un geste intelligent, bien adapté, grâce à la connaissance des structures internes […]. Alors il n’y a pas de vieillissement sur une base qui est une base de pérennité […]. Ainsi la machine progressera avec le développement des techniques. Voilà ce que j’appelle l’objet ouvert3 »

3. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p.325-326


2


DEUXIÈME PARTIE



INTRODUCTION


Pour cette partie, j’ai choisi de suivre les recommandations que fait Crawford dans son livre L’éloge du Carburateur. Pour lui, la connaissance technique n’est possible qu’avec la pratique. Le point central de mon projet étant la réappropriation des objets techniques, il est donc primordial pour moi de mettre les mains dans le cambouis. Dans le but de rendre les objets techniques complexes plus compréhensibles et plus familier, j’ai souhaité effectuer des expérimentations suivant 4 axes. Le premier, « Design d’intérieur », aura pour but d’étudier l’organisation interne de ces objets afin d’en comprendre leur complexité. L’intérieur des objets techniques contribue aujourd’hui à leur part de mystère c’est pourquoi il est intéressant d’explorer cette voie. Dans mon deuxième axe je souhaite faire l’état des lieux des objets techniques que nous accumulons afin de chercher des solutions pour les rationaliser. Dans cet axe, je chercherais à prendre le contre-pied de la tendance actuelle visant à spécialiser les outils que nous possédons en simplifiant des ensembles techniques complexes en sous ensembles simplifiés. Cet axe me permettra de faire le lien avec mon troisième, intitulé « Brique techno », dans lequel je rechercherais de nouvelles méthodes d’assemblages pour les

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objets techniques. Celles-ci auront pour volonté de favoriser des technologies plus flexibles et plus souples en termes d’utilisation. Enfin, dans mon dernier axe de recherche « High Tech Lowtech » j’étudierais le champ du Do-it-yourself et de l’Open Source pour cerner les possibilités actuelles de ré-appropriation des objets techniques et technologiques.

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01 DESIGN D’INTÉRIEUR


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DISSECTION ET OBSERVATIONS Le 29 Août 2013 le géant américain Microsoft dépose un brevet intitulé « Three-Dimensional Printing1 ». A première vue cela n’a rien d’étonnant de la part de Microsoft. Cependant cette future imprimante 3d n’imprimera pas de simples objets mais des objets électroniques. Le but de cet appareil est de pouvoir imprimer des composants électroniques tout en les assemblant par la même occasion. Produire son propre smartphone, tablette ou ordinateur deviendra simple comme un clic de souris : « Ainsi […] un utilisateur pourrait sélectionner une fonctionnalité à inclure dans l’objet sans «comprendre» comment cette fonctionnalité doit être implémentée », explique Microsoft2 . Bientôt il ne sera même plus nécessaire de comprendre les objets technologiques qui nous entourent. Il suffira d’appuyer sur un bouton et Abracadabra ! Un smartphone apparaîtra tel un lapin qui sort d’un chapeau. Cependant il est plutôt clair que cette « intuitivité » de la fabrication ne fera que nous éloigner encore plus de ces objets en les rendant d’autant plus fascinants. Comment pourrait-on se réapproprier quelque chose que l’on ne comprend pas ?

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DESIGN D’INTÉRIEUR

1. « Impression en trois dimensions »

2. Extrait de l’article de CHAMPEAU Guillaume, Microsoft envisage une imprimante 3D d’objets électroniques !, 2013

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3. André Vésale était médecin au XVè siècle. Il fut l’un des premiers à revendiquer la dissection des cadavres, pratique alors interdite par l’Eglise.

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A la manière d’André Vésale3, je décide donc de partir fouiller dans les entrailles d’un objet qui semble sacré pour en comprendre son anatomie. Muni de mon scalpel cruciforme, je m’amuse à démonter tous objets électroniques qui se trouvent sur ma route. Pas très ambitieux, mais il faut bien commencer quelque part. Casque audio, téléphone portable, radioréveil, imprimante, haut-parleur… Ces objets paraissent tellement différents de l’extérieur qu’il est étonnant de remarquer que de nombreux points communs les rassemblent une fois nue. Ils se résument pour la plupart à quelques fils, deux ou trois boutons, une carte électronique, quelques soudures et autres points de colle chaude. Le tout est enveloppé, emboîté, clipsé et vissé dans une coque plastique. Un petit nombre d’entre eux se démontent entièrement, utilisant principalement des méthodes d’assemblage à l’aide de visses ou utilisant le principe d’emboitement, mais ce n’est pas le cas de tous. Pour la majorité, il m’est impossible de les démonter entièrement car je me trouve rapidement nez à nez avec mon ennemi numéro un : le point de colle chaude. En effet cette méthode d’assemblage, pour le moins primaire, fixe l’objet ne lui laissant pas la possibilité d’évoluer ce qui représente un frein à la ré-appropriation de ces objets.

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Dissection d’objets techniques

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ERGONOMIE INTERNE Le designer industriel est souvent appelé pour la conception de l’esthétique et de l’ergonomie extérieure de l’objet. Mais pourquoi se contenter de l’extérieur ? Les objets électroniques possèdent un intérieur complexe composé d’éléments qui s’entassent dans un espace confiné ce qui complique la réparation en cas de panne. Rendre intelligible l’intérieur d’un objet technologique permettrait de guider l’utilisateur vers une logique de réparation et ainsi lui permettre d’accéder à un niveau basique de compréhension de son objet. On pourrait alors parler de « l’ergonomie interne » des objets électroniques ce qui donnerait à l’utilisateur la possibilité d’avoir une lecture interne des objets techniques. Cette ergonomie interne, qui aurait un rôle lors de l’entretien et de la réparation des objets techniques, se distinguerait de l’ergonomie externe qui vise à simplifier l’utilisation. Mais avant cela, il est nécessaire d’éviter les méthodes d’assemblages irréversibles tels que le collage et, dans la mesure du possible, le soudage. Ces méthodes représentent des freins à la réappropriation car elles ne permettent pas

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à l’objet d’évoluer et de s’adapter à son environnement. L’objet devient alors rapidement obsolète et inapte car les progrès technologiques continuent mais il est impossible d’intégrer ces évolutions à l’objet. Celui-ci est condamné à rester dans un état fixe et statique.

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02 RATIONNALISEZ !


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L’ACCUMULATION Les objets techniques et technologiques qui nous entourent sont de plus en plus hyperspécialisés. Il n’y a qu’à voir dans l’univers de la cuisine tous ces objets que l’on appelle « petits électroménagers » qui s’accumulent dans nos placards et sur nos étagères. Le mixeur, le batteur électrique, le service à crêpes, la bouilloire… et la liste est encore longue ! Chacun de ces objets impose une utilisation précise à l’utilisateur et il est de ce fait impossible de se les ré-approprier. Il n’y a qu’une seule et unique manière d’utiliser ces objets. Pour la plupart, nous n’utilisons la majorité de ces objets que très rarement. Au final ces objets prennent une place démesurée comparée à leur fréquence d’utilisation. Pour prendre un autre exemple, je possède chez moi un tiroir dans lequel je stock des chargeurs de téléphones portables (environ une dizaine). Tous ces chargeurs sont en parfait état de marche mais malheureusement aucun n’est compatible avec mon téléphone actuel. Plus résistant que leur téléphone respectif, ces chargeurs sont donc condamnés à finir leur vie dans mon tiroir car, comme tout le monde, je me dis « on sait jamais, peut-être qu’ils pourraient me

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servir… ». Mais en réalité, ces objets ne sont plus d’aucune utilité. L’absence de standard et la spécialisation ont pour conséquence d’accroître le nombre d’objets techniques que nous possédons. Chacun d’entre eux a une fonction bien précise et des éléments qui lui son propre. De ce fait aucune évolution n’est possible pour ces objets que nous continuons à accumuler. L’accumulation est donc la conséquence de l’absence de possibilité de ré-appropriation. ONE MOVE, MANY TOOLS Faire évoluer un objet technique d’un état à un autre fait parti d’un des enjeux de la réappropriation. En observant autour de moi, je me rends compte qu’il serait possible de réunir de nombreux outils en un seul et unique objet et c’est ce que j’ai voulu montrer avec « One Move, Many tools ». La plupart des outils mécaniques fonctionnent avec un principe de rotation. Aspirateur, ventilateur, mixeur, perceuse… qu’importe leur utilité, le principe de ces objets est sensiblement le même : faire tourner de petits éléments (hélices, mèches, lames…). Alors pourquoi ne pas imaginer un seul élément central donnant le mouvement de rotation et plusieurs autres petits éléments qui viendraient se

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greffer sur le premier ? Combiner différent objets techniques permettrait de rationnaliser les objets que l’on possède en les déspécialisant.

« One move, many tools », https://vimeo. com/85246350

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Dans mon expérimentation, la perceuse représente le cœur de l’objet technique car elle produit le mouvement de rotation. Dans le domaine du bricolage, il est logique de ne posséder qu’une seule perceuse et plusieurs mèches. Cependant dans le milieu de la cuisine par exemple, nous multiplions les objets électriques qui sont de plus en plus spécialisés et cette spécialisation a pour conséquence de réduire les occasions d’utiliser chacun de ces objets. En les déspécialisant, il serait alors possible de créer des objets hybrides qui auraient la possibilité de s’adapter aux besoins de l’utilisateur ce qui multiplierait les possibilités en termes d’utilisation. Fractionner les objets techniques c’est aussi donner l’occasion de comprendre leur fonctionnement. « One move, many tools » symbolise en quelque sorte le terme de « système technicien » qu’emploi Ellul car au travers cette expression il entend cela :

1. ELLUL Jacques, Le système technicien, cité dans le livre de VIAL Stéphane, L’être et l’écran, op. cit, p. 38

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« Chaque facteur technique est relié à l’ensemble des autres facteurs techniques, avant d’être relié à des facteurs non-techniques1 ». La simplification d’un ensemble technique complexe vient alors du fait de fractionner

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chaque sous-ensemble le composant. Pour favoriser la compréhension des objets techniques il est nécessaire de prendre le contre-pied de l’hyperspécialisation. Diviser ces ensembles complexes en sous ensemble permettrait alors de générer une part d’intelligibilité.

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03 BRIQUES TECHNO


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MATIÈRE INTELLIGENTE Ma réflexion se dirige donc vers l’exploration des méthodes de construction et d’assemblage des objets techniques. L’actualité démontre que certains objets technologiques comme les smartphones se dirigent vers une logique « lego » de construction, notamment avec le projet « Phoneblocks ». Pour mieux comprendre cet engouement, je décide dans un premier temps de me procurer une boîte de ce célèbre jeu de construction. A peine les legos déballés, la tentation est trop forte et je me surprends à passer mon après-midi à faire des constructions en tout genre. Alors que le sérieux me reprend et que je retourne écrire mon mémoire sur mon ordinateur, je me rends compte que mes camarades de classes défilent à longueur de journée à mon bureau pour effectuer de petites structures en lego.

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1. ANDERSON Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, op. cit, p. 271

C’est étrange le pouvoir que possède de simples briques colorées en plastique. En regardant cet atelier clandestin prendre forme autour de mon bureau, je me demande en quoi cela est-il pertinent pour les objets techniques ? Comme le dit si bien Chris Anderson, le Lego est une matière intelligente1 car une fois qu’on finit d’assembler, on ne jette pas mais on désassemble. Au final, comme le montre bien la campagne de pub de Lego, le lego est une matière servant de support à notre imaginaire (tout comme la pâte à modeler). Donner cette possibilité à un objet technique serait une solution pour favoriser le processus de réappropriation. Si mes camarades de classes se sont permis de faire des constructions en legos sans même me demander si cela me dérangeait c’est parce qu’il n’y a aucune conséquences à les monter. Ils savent bien que je pourrais aisément démonter ces structures pour récupérer les briques. CIRCUIT BLOCKS A l’heure actuelle, démonter un objet technique n’est jamais sans conséquence. Il y a toujours le risque que cet objet ne marche plus lorsque l’on essaiera de le remonter. Je me lance donc dans la réalisation d’un jeu de construction technique.

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Campagne de publicité LEGO par l’agence Blattner Brunner

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Circuitblocks, les briques technologiques, https://vimeo. com/85246197

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Mon constat est simple : les objets technologiques sont en réalité composés de multitude de briques technologiques qui, une fois assemblées entre-elle, forment l’objet. Assembler un tel objet pourrait alors être une sorte de jeux de construction. A l’aide des quelques connaissances qu’il me reste des cours de technologie du collège, je réalise un circuit électrique simple en volume. Composé de blocs de différentes tailles et de différentes fonctions, ce circuit électrique illustre une manière alternative de construire un objet technique. Grâce à une peinture conductrice, le courant électrique passe d’un bloc à l’autre par simple contact. Même si dans ce projet je n’utilise que des leds et un interrupteur, il serait possible d’imaginer ce principe avec bien d’autres composants (moteurs, capteurs, potentiomètres...). Faire et défaire un objet technologique deviendrait un jeu d’enfant et cela permettrait également de créer des objets capables de s’adapter et d’évoluer. L’intérêt n’est pas ici de créer un jeu de construction mais de considérer chaque brique technologique comme étant une matière première existante au sein d’une structure complexe qui fonctionne et capable d’être réutilisée autrement et dans d’autres structures. La manière d’assembler les éléments est donc primordiale car elle ne doit pas être irréversible.

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UN PUZZLE TECHNIQUE Yuri Suzuki, artiste japonais et diplômé du Royal College of Art de Londres, a également exploré cette notion de simplicité de construction de la technologie. Son projet « Denki Puzzle » est un kit de petites pièces de puzzle électroniques que l’on peut assembler à sa guise, créant ainsi un circuit électrique en volume. Avec le même kit, il est alors possible de construire un système lumineux ou une radio. Avec son projet, Yuri Suzuki explore un nouveau concept de « recyclage » de la technologie. Chacune des pièces de son « puzzle » peut être réutilisée et recyclée dans un autre objet technique. Ce projet fut réalisé en collaboration avec Technology will save us qui créé et revend des kits technologiques pour donner aux gens l’occasion d’arrêter de seulement consommer la technologie et de commencer à la produire. Technology will save us a pour volonté d’éduquer et de permettre d’expérimenter de manière créative. Dans son livre La culture du nouveau capitalisme, Richard Sennett écrit « L’artisan est fier de ce qu’il a réalisé, et le chérit, alors que le consommateur dénigre les choses qui sont utilitaires dans son éternelle poursuite de la nouveauté2 ». En somme, construire et produire soi-même les objets

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2. SENNETT Richard, La culture du nouveau capitalisme, citée sur le site internet http:// technologywillsaveus. org/

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technologiques nous permettrait d’accéder à un type de relation semblable à celle qu’entretient l’artisan avec de son œuvre.

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Denki puzzle, Yuri Suzuki

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04 HIGH TECH LOW TECH


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DIY, UNE ALTERNATIVE LOW-COST Si la participation de l’utilisateur à la conception des objets techniques permet de donner un sens plus profond à l’existence de ces derniers, les technologies restent pour l’instant fortement liées à la consommation. Cependant, de plus en plus de blogs de Do it yourself montrent qu’il est possible de réaliser simplement certains de ces objets. L’Open source, le low-cost, le DIY, tous ces termes tendent à désigner un mouvement de débrouille ayant pour volonté de trouver une alternative à la consommation irréfléchie. La transmission des savoirs et des connaissances n’a jamais été aussi facile et certaines personnes profitent de l’occasion pour créer et diffuser leur expériences. En passant du temps sur plusieurs de ces blogs, je me rends compte que les gens font preuves d’une ingéniosité remarquable pour créer tout un tas d’objet dont l’utilité n’est pas certaine d’être prouvée. Cependant une vidéo attire mon attention. Dans celle-ci, une personne explique qu’il est possible de réaliser une enceinte pour moins de 3 euros. Curieux, je regarde attentivement cette vidéo en essayant de comprendre chaque étape pour pouvoir à mon tour me

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ré-approprier cet objet technique. A ma grande surprise, je découvre qu’une enceinte est toujours composée des mêmes éléments : une bobine de fil de cuivre, un aimant et un cône diffusant le son. L’enceinte en papier que j’ai réalisée par la suite possède tous les aspects de la technologie low-tech en DIY car elle n’est visuellement pas très attrayante et le son qui s’en échappe est plutôt médiocre. Cependant c’est mon enceinte. Une fois celle-ci fonctionnelle, je ne peux pas m’empêcher de la montrer, éprouvant une certaine fierté à avoir réussi à produire du son avec un simple cône en papier. En fin de compte je n’ai fait que suivre les étapes de fabrications décrites dans la vidéo mais le fait que l’enceinte fonctionne prouve que je suis capable de faire, le son étant c’est la preuve que j’ai réussi. La fierté qui résulte de la participation de l’utilisateur à la réalisation d’un objet n’est pas le seul point rendant attrayant le mouvement DIY. Ce mouvement représente aussi une alternative à la consommation des objets que l’on nous impose car il donne la possibilité de réaliser des objets techniques de manière « Low-cost ». Il existe aujourd’hui des moyens pour mettre en place des technologies à moindre coût, à condition que l’on possède les connaissances

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Enceintes en papier low-cost

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« Cam-duino », l’appareil photo numérique à moins de 50$

Exemple de photo prise avec « Cam-duino »

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nécessaires. Prenons l’exemple de la carte de programmation en Open Source « Arduino ». Encore bien trop réservée à une communauté « geek », les possibilités de cette carte semblent sans limites. Mon projet « Cam-duino » n’illustre qu’une infime partie des possibilités qu’offre un Arduino. Mon but était de réussir à réaliser un appareil photo numérique avec un coût effectif le plus faible possible. Réaliser un appareil photo numérique avec un arduino m’est revenus au final à une cinquantaine de dollars. Certes les fonctions qu’il possède sont basiques (un bouton poussoir pour déclencher la prise de photo, un bouton On/Off, un objectif et une carte SD pour sauvegarder les photos) mais l’essentiel est qu’il prenne des photos. Cependant il y a un réel problème d’accessibilité avec cette technologie. Je possède quelques connaissances en programmation et les bases du fonctionnement d’un arduino mais je ne m’en serais jamais sorti sans demander de l’aide à des personnes possédant des connaissances un peu plus poussées en la matière. Rendre la programmation, le code et les montages électroniques plus accessibles et plus didactiques donnerait l’occasion à des personnes ayant peu de

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connaissances techniques de se réapproprier les technologies. Vulgariser la technologie en faisant du Low-Tech, que ce soit avec l’enceinte en papier ou l’appareil photo « cam-duino », permet de la désacraliser et décomplexer l’utilisateur vis-à-vis des technologies, permettant ainsi de favoriser une dynamique de culture technologique. NIVEAU D’ACCEPTABILITÉ Lors de la réalisation de ces deux objets, j’ai compris que l’élément clé du Low-Tech était le niveau d’acceptabilité. Faire du Low-Tech oui, mais à condition que l’utilisateur en retire un bénéfice. Avec le Low-Tech, ce bénéfice est rarement de l’ordre de la performance (bien que le « cam-duino » effectue des photos dont la qualité est plutôt acceptable) mais se situe au niveau du prix et de l’estime de soi. En effet l’esthétique extérieure des objets technologiques actuels, comme les Iphones, donne la sensation d’une maîtrise. L’idée des constructeurs est que plus l’objet est lisse, plus la technologie sera simple d’utilisation et véhiculera l’idée de précision. En effet je ne pense pas me tromper en disant que mon « Cam-duino » et mon enceinte en papier ne font rêver personne.

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Pourtant certains projest comme l’ordinateur « Kano » arrive à bien gérer le niveau d’acceptabilité. Cet ordinateur coûte moins de 100$ et se résume à un petit boitier qui tient dans la main. Il suffit juste de le brancher à un écran et à une prise pour l’utiliser. Des codes couleurs sont même présents pour simplifier les branchements. De plus l’ordinateur « Kano » utilise le système d’exploitation en open source « Linux ». Ce projet, lancé à la base sur le site de crowdfunding «Kickstarter » à réunit 100 000 dollars en à peine 18 heures et à récolté plus de 1,5 Millions de dollars sur un total de 30 jours.

L’ordinateur « Kano »

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Il faut croire que l’avenir des objets technologiques se jouera de plus en plus entre l’ultra High-Tech (produits de luxes) et le Low-Tech (produits en Open Source). Le premier ne requiert aucune implication de la part de l’utilisateur qui paie cher pour ne pas avoir à se soucier du fonctionnement de son objet. A l’inverse avec le deuxième, l’utilisateur souhaite s’impliquer d’une manière ou d’une autre dans son objet pour mieux le maîtriser et ainsi se le ré-approprier. Cette implication pourrait alors prendre sens dans des cadres tels que les écoles primaires en éduquant les enfants aux objets technologiques.

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CONCLUSION


Tout au long de mon travail de recherche, j’ai cherché à questionner et à comprendre le point de vue que nous avons des objets techniques complexes. Que ce soit les objets technologiques, mécaniques ou encore électroniques, mon but a été de chercher des pistes pour simplifier la perception que nous avons d’eux afin de permettre à l’utilisateur de se les ré-approprier. Il en ressort plusieurs points sur lequel il semble intéressant d’approfondir la recherche. Le mystère que génèrent ces objets vient dans un premier temps de leur conception. La simplification de ces objets passe alors par la simplification de leur organisation interne et de leur méthode d’assemblage. Les objets techniques sont en fait des ensembles techniques qu’il est possible de fractionner en plusieurs sous ensemble ce qui simplifie ainsi la perception que nous pouvons avoir d’eux. Si ces ensembles techniques sont complexes au premier abord, les diviser permet de générer un part d’intelligibilité. L’open source et les nombreux blogs de DIY tendent à aller dans ce sens en désacralisant leur complexité en nous décomplexant. Cette ressource peut représenter une base de travail pour démystifier les objets techniques et permettre à n’importe qui de pouvoir se les ré-approprier.

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Cependant l’implication de l’utilisateur dans la phase de conception de ces objets n’est possible que si leur fonctionnement, leurs composants et leur assemblage sont un minimum compréhensible. Il est de ce fait nécessaire d’intégrer un processus de design dans la phase de conception de ces ensembles techniques complexes afin de favoriser l’émergence d’objets techniques intelligibles. Ces derniers seraient alors vecteurs d’une culture technique qui tend à se perdre à mesure que la complexité de ces objets augmente. Pour permettre au possesseur et à l’utilisateur d’un objet technique de pouvoir le comprendre, l’entretenir et le réparer, il est nécessaire que celui-ci intègre des possibilités d’évolutions. L’intuitivité ne doit plus seulement se retrouver dans la phase d’utilisation mais aussi dans la phase de conception et d’entretien. Pour ce faire, il serait pertinent que ces objets véhiculent une simplicité autrement plus profonde que celle actuellement véhiculé par leur aspect.

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TECHNO-ANATOMIE La Console de Nintendo «Wii» a beaucoup changé la façon dont le grand public avait de percevoir la technologie. Maintenant jouer au jeux vidéo c’est du sport ! On bouge, on saute, on secoue la manette... Bref c’est physique. Avec son projet AnatoWii, Angela Moramarco traite de la façon dont nous nous projetons dans la Technologie. La manette devient notre muscle et la Wii devient le cerveau en connexion avec notre muscle. En somme nous nous déportons dans la technologie et c’est en faisant cela que nous créons de l’humanité dans les machines. Inspiré du projet AnatoWii, Mads Peitersen réalise une série d’illustration montrant l’anatomie des objets technologiques qui nous entourent. Le parallèle avec l’anatomie de l’Homme illustre bien une certaine crainte que nous avons envers la technologie (accentuée par un aspect monstrueux). En fait, personne n’est vraiment sûr de ce qui se cache dans son ordinateur ou dans son appareil photo. Ces objets restent très mystérieux dans leur fonctionnement, desfois on préfère même penser que c’est de la magie. Ces illustrations montrent également le côté «curiosité malsaine» que nous pouvons avoir lorsque l’on s’interroge sur

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le fonctionnement d’une technologie. Veut-on vraiment savoir la vérité sur ce qui ce cache à l’intérieur ou préfère t-on se complaire dans l’imaginaire collectif? Mads Peitersen nous propose ici sa vision de la dissection de la technologie.

Angela Moramarco AnatoWii - 2009

Mads Peitersen Control Life, Capture Everything - 2010

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RÉVOLTES LUDDITES Au début du XIXème siècle, la révolution industrielle bouleverse l’Angleterre et plus particulièrement dans le milieu du textile. Alors que les professions de ce milieu sont pratiquées par des artisans, elles se retrouvent menacées par l’apparition des machines mécaniques. En 1811 et 1812 les travailleurs se rebellent face à cette menace, ce qui entraine durant ces deux années des vagues de bris de machines dans de nombreuses régions de l’Angleterre.

SOURCE : BOURDEAU Vincent, JARRIGE François, VINCENT Julien, Les luddites. Bris de machines, économie politique et histoire, éd. ère, 2006

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Les artisans, déplorant le travail bâclé, s’opposent alors aux manufacturiers. Cette rébellion s’estompe en Février 1812 avec l’adoption d’une loi faisant de la destruction des machines un crime capital (même si certains luddites restent actifs jusqu’en 1817). Cette période est très intéressante du point de vue de la technique. La révolution industrielle a entrainé une transformation majeure dans les méthodes de production ce qui a engendré un bouleversement dans les rapports entre l’Homme et la technique.

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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Et si les machines nous dominaient? C’est une des craintes qu’a l’humanité. L’Homme a réussit à créer des machines si performantes en certains points qu’il craint qu’un jour celles-ci puissent se passer de lui et devenir totalement autonomes. Le film Terminator témoigne des conséquences de ce qu’on appelle «L’intelligence artificiel». Dans l’imaginaire collectif, la machine est stupide car elle ne sait faire que ce pour quoi elle a été programmée. Mais que se passerait-il si, au vu des progrès croissants dans le domaine des sciences informatiques, nous arrivions à programmer l’intelligence? Bien que Terminator ne soit pas le seul film à traiter de ce sujet, le point intéressant est la forme que prend le robot: celle d’un humain. Ce que l’Homme essaye de faire avec la robotique, c’est réussir se recréer lui-même mais en mieux. L’image de bas témoigne de cette volonté que l’Homme a de créer une entité capable de le dépasser. En 1996, le super-ordinateur «Deep Blue» bat Garry Kasparov (champion du monde d’échec de 1985 à 2000) à une partie d’échec. Quel conclusion doit-on alors en tirer ? Serait-il possible que la machine puisse dépasser intel-

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lectuellement l’Homme? Pour beaucoup, la défaite de Kasparov a montré que l’Homme était capable de créer une intelligence artificielle supérieure à l’intelligence de l’Homme : c’est « une victoire de l’intelligence humaine mais une défaite pour l’humanité1 »

1. Émission Philosophie Arte : La Technique, avec Caterina Zanfi, 2010

Terminator - 1984

Deep Blue VS Kasparov - 1996

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REPRÉSENTATION COLLECTIVE Les objets techniques, et plus particulièrement technologiques, ont souvent un lien à la science-fiction. Dans le film Matrix, les héros se branches physiquement pour entrer dans un monde numérique et agir dans celui-ci. Ce film a fait rêver plus d’une personne dont l’envie était de pouvoir contrôler un «autre lui» dans un autre monde. A peine 10 ans plus tard, Microsoft lance la caméra «Kinect» qui permet de contrôler physiquement les personnages lorsque l’on joue à un jeu vidéo. Même si on ne contrôle pas (encore) les personnages par la pensée, l’idée reste la même: avoir un avatar que l’on contrôle dans un autre monde. C’est ce qui rend fascinant les objets technologiques car les technologies utilisées permettent d’accéder à des perceptions d’un autre monde.

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Matrix - 1999

Kinect - la manette c’est vous ! - 2010

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REPRÉSENTATION COLLECTIVE L’obsolescence programmée, pratique qui vise à réduire consciemment la durée de vie d’un produit ou d’un de ses composants, a commencé au XXè siècle. Thomas Edison commercialise ses premières ampoules à incandescence en 1881. A cette époque leur durée de vie était de 1500 heures. Quarante ans plus tard, la durée de vie moyenne d’une ampoule atteint 2300 heures. En 1925, l’entreprise « Phoëbus » regroupant les plus grandes entreprises du domaine (General Electric, Osram et Phillips) donne naissance au «comité des 1000 heures» dont le but est de s’assurer que la durée de vie des ampoules vendues ne dépassent pas 1000 heures. C’est la première initiative industrielle connue d’obsolescence programmée. L’objectif des 1000 heures était clair : vendre plus d’ampoule. En contre-exemple absolu de la limite des 1000 heures, on donne fréquemment l’exemple de l’ampoule en activité la plus vieille de la planète, la fameuse ampoule de Livermore. Créée en 1901 et installée dans la caserne de pompiers de Livermore, aux Etats-Unis, elle a dépassé les 100 ans d’activité, sans que son filament ne casse. Aujourd’hui l’obsolescence programmée prend plusieurs formes. A la manière des

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ampoules, certain composant d’imprimante sont limité en terme de durée de vie (limité par exemple à 18 000 impressions). La marque Apple quand à elle utilise une autre méthode. Le dernier téléphone Apple, l’iPhone 5 s’est illustré par des changements de compatibilité au niveau des accessoires. En changeant les standards, Apple oblige les utilisateurs à racheter tous leurs accessoires car ceux des précédents iPhone ne sont plus compatibles avec le 5. Apple justifie cela par une incompatibilité de système d’exploitation. Cependant le résultat est le même, un objet technique devient prématurément obsolète.

Source : Documentaire de Cosima Dannoritzer, Prêt à jeter, 2010

Ampoule de la caserne des pompiers de Livermore

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FABLAB

2. Extrait de l’article de Sabine Blanc, Fab Labs: la grande bidouille, 2013

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« «Do it yourself, do it with others» («faitesle vous-même, faites-le avec les autres») : telle est la devise des Fab Labs, ou Fabrication Laboratories. [...] Créés il y a une dizaine d’années au Massachusetts Institute of Technology (MIT) par Neil Gershenfeld, un professeur de physique qui proposait un cours de prototypage rapide intitulé «comment fabriquer (à peu près) n’importe quoi», les Fab Labs sont les ateliers de fabrication communautaires de l’ère numérique. Leur objectif ? Donner à ceux qui ne sont ni ingénieurs, ni designers, ni même geeks les moyens de fabriquer toutes sortes d’objets manufacturés comme à l’usine. Et ce, en mettant gratuitement à leur disposition le savoir, les procédés et la technologie nécessaires. [...] La dimension éducative est gravée dans le marbre de la charte des Fab Labs : apprendre, mais surtout le faire ensemble. Vous ne devez pas déléguer la réalisation de votre projet à un utilisateur plus aguerri, mais acquérir les compétences grâce aux membres de la communauté. [...] De fait, si les Fab Labs offrent la possibilité de créer des choses, ils permettent aussi de réparer des objets cassés ou de les améliorer : recoudre un vêtement, fabriquer une pièce cassée qui n’est plus disponible en service après-vente, etc2 »

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PHONEBLOCKS Phonebloks est un concept de smartphone décomposé en «brique de Lego» où chaque brique est une technologie (appareil photos, haut parleur, batterie...etc). Lorsque Dave Hakkens imagine ce projet, il questionne la durée de vie des composants d’un smartphone. En effet si l’appareil photo de mon smartphone ne fonctionne plus, j’envoie le téléphone au service après-vente qui se chargera de me le remplacer entièrement. Le concept de PhoneBloks rend chaque élément du smartphone facilement identifiable et démontable pour que, en cas de panne d’un seul composant, l’utilisateur soit en mesure de la remplacer. Ce concept part aussi du constat que chaque possesseur de smartphone en a une utilisation personnelle. De ce fait un business man toujours en déplacement préférera une grosse batterie, alors qu’un accro à la photo mobile optera pour un capteur puissant et une carte mémoire musclée. L’intelligibilité de cet objet pousse l’utilisateur à se le réapproprier. Peu de temps après l’apparition de Phoneblocks sur la toile, Motorola dévoile son projet « ARA » dont le concept n’est pas sans rappeler celui du Phoneblocks.

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Dave Hakkens - Concept PhoneBloks - 2013

Motorola - projet ARA - 2013

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la réappropriation des objets techniques


Thèse de BLANDIN Bernard, Des hommes et des objets : esquisse pour une sociologie avec objets, 2001, en ligne : http://hal.archivesouvertes.fr/docs/00/13/59/27/PDF/These_Blandin.PDF

FILMOGRAPHIE

Philosophie

Émission Philosophie Arte : La Technique, avec Caterina Zanfi, 2010, en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=JaGf2Z6xB9M

Documentaire

3D Printing Gun, Vice media, 2013, en ligne : http://www.youtube. com/watch?v=DconsfGsXyA DE MIGUEL WESSENDORF Karin, Moins c’est mieux, 2013, en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=7zRGyGJQFAE DANNORITZER Cosima, Prêt à jeter, 2010, en ligne : http://www. youtube.com/watch?v=J-XGn32vYQU ZAHITEN Christopher, Le cyborg ou l’avènement de l’homme-machine, 2006, en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=Ohob7HtneoY

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