Villa TEO / Temps, Espace & Oxygène

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Villa TEO Temps, Espace & Oxygène

Voyage avec Raymond Guidot dans l’univers 3D du designer Jean-Baptiste Pontecorvo Scénario et illustrations 3D de Jean-Baptiste Pontecorvo Dialogues coécrits avec Raymond Guidot Propos de Gilles de Bure Biographie par Christophe Averty

Ouvrage réalisé par le studio de design Ponté © Editions de L’HUMANY-TERRE


www.lavillateo.com



Temps zéro

Juste avant Raymond Guidot : Sur le papier, tu sèmes une myriade de points reliés deux à deux par des segments de droite, tels qu’on en voit sur les cartes anciennes où le ciel se présente en ses constellations : Grande et Petite Ourse dans l’hémisphère Nord, où l’on rencontre aussi celles d’Andromède, des Gémeaux, du Cancer, du Lion, tandis que l’hémisphère Sud nous réserve celles du Triangle austral, de la Baleine, du Poisson volant, de la Vierge, d’Orion, de la Croix du Sud. Mais là, pas d’analogie possible, tu les as jetés en vrac, tes points, avec leurs traits d’union. Jean-Baptiste Pontecorvo : Disons que c’est un point de départ pour une exploration, un peu comme lorsque l’on joue au Mikado et que l’on commence par déverser les baguettes pêle-mêle. C’est le début de notre promenade sur un chemin de traverse allant du macrocosme au microcosme. Raymond Guidot : Il faut maintenant imaginer un œil scrutant cet enchevêtrement. Silence des grands espaces ! Seul l’œil agit, lui qui sait distinguer, trier, orienter, diriger.



Effet zoom !


Raymond Guidot : Dans cet improbable dédale, l’œil sélectionne et agrandit une zone. Dans cet espace, il choisit une fraction et agrandit encore. Deux voies, deux points s’imposent, qui se rejoignent. La convergence des deux points symbolise notre souhait de rendez-vous. Jean-Baptiste Pontecorvo : Les probabilités pour que l’on se rencontre étaient minces. Un heureux hasard en a décidé autrement. C’est à ce moment-là que l’image de lignes qui se croisent, de points qui se rencontrent a germé en moi. Le carré “effet zoom !” symbolisera nos bonds dans l’espace, le temps de notre balade.



Raymond Guidot : De ce point de rencontre naissent des volumes polygonaux qui se rassemblent et s’affinent en un volume qui ne cesse de grossir. Dans un premier temps, on peut croire sa surface lisse, mais, au fur et à mesure qu’elle s’accroît, celle-ci devient tourmentée, chaotique parfois et, comme si on l’avait recouverte d’un filet de pêcheur. Jean-Baptiste Pontecorvo : Pour ce qui est du filet de pêcheur, comme tu le dis, les méthodes de modélisation en 3D reprennent ce qui a été découvert au Quattrocento par les maîtres du dessin – comme Paolo Uccello – pour reproduire fidèlement la perspective et les proportions des objets. En infographie, on parle aujourd’hui de représentation filaire. C’est par là que, graphiquement, je veux passer pour construire le paysage. Celui que l’on va découvrir lorsque l’on sera suffisamment près de cette boule que l’on imagine énorme… Raymond Guidot : Si j’ai bien compris, toi, le bâtisseur d’images synthétiques, tu veux que cette forme, lorsqu’elle en a fini d’enfler, ressemble à un paysage. Tu commences par une trame qui suggère déjà la présence de monts, de plaines et de vallées. Jean-Baptiste Pontecorvo : Oui, et dès que j’aurai donné à la grille une forme que je jugerai définitive, j’en remplirai progressivement les vides, plaçant là de la végétation, faisant ailleurs émerger la roche, créant peut-être un plan d’eau et, surmontant le tout, un ciel légèrement nuageux.


Jean-Baptiste

Idée de calme… Raymond

L’illusion est parfaite et nous sommes en vue d’un sol qui semble terrestre.


Première journée

Le paysage Idée de calme… Je chercherai aussi pour l’ensemble une lumière ad hoc qui achèvera de donner à l’image de synthèse un air de vérité, de la représentation que notre esprit se fait d’un paysage perçu comme réalité, un objet culturel inventé ayant pour fonction de rassurer l’homme sur ses cadres de perception du temps et de l’espace.

L’illusion est parfaite et nous sommes en vue d’un sol qui semble terrestre. Je suppose que l’on y vit. Pour cela, on y a construit des maisons dont l’architecture et l’aménagement – puisque l’on est en pleine fiction – peuvent se référer aux critères d’excellence les plus prometteurs. Je pense, en particulier, au nec plus ultra du confort.


Pour le confort matériel, imaginons des maisons dotées, pour l’heure, de tout ce qu’il y a de plus intelligent et, pour le futur proche, d’envisageable. Ne pas jouer le coup du retour en arrière, mais ne pas s’aventurer non plus dans une futurologie qui, à l’usage, pourrait s’avérer trompeuse. Sorte de “Jardin d’Epicure”, métaphore de la sagesse d’une vie à l’écart des tempêtes, j’ai choisi de situer la Villa TEO dans un paysage de campagne. La campagne offre tout ce que retire la ville – le calme, l’abondance, la fraîcheur et, bien suprême, le loisir de méditer, à distance des fausses valeurs. Jean-Baptiste


Raymond

Si je ne savais pas que c’est de la 3D, je jurerais que ces images sont des photos.


Deuxième journée

La Villa TEO Ça y est, la maison est là, dans son imprécision, dans son schématisme. Mais je l’imagine équipée de tout ce qui, au niveau énergétique, est du domaine du durable, du renouvelable ; bref, de l’écologique. Je crois d’ailleurs repérer ici une éolienne. Il y a aussi un taud solaire, fait d’un tissu photovoltaïque, qui a également la propriété de collecter l’eau de pluie. Tu peux même ajouter la géothermie, la production de gaz à partir des déchets putrescibles, et, pourquoi pas, un toit végétalisé.

Dans ce monde, l’habitation est le reflet de nos connaissances scientifiques et humanistes. La technologie aidant, les acquis en matière de ressources sont adaptés à nos réels besoins. Nous sommes encore à l’aube du XXIe siècle. Alors, si l’on parle matériaux, pour l’architecture telle qu’on la perçoit de l’extérieur, on peut penser à des sortes de peaux qui tiennent du textile et que l’on peut tendre ou gonfler, à des bétons translucides, à des métaux à mémoire de forme.




On se rapproche encore et l’image d’une entrée se précise, que l’on devine porteuse de commandes tactiles, d’écrans de contrôle ou de conversation. Elle nous invite à nous introduire à l’intérieur de la maison. Tu imagines bien qu’il est aussi possible de contrôler et de commander à distance. D’ailleurs, tu vois, j’appuie sur une touche de ma bague digitale et nous voilà devant une ouverture béante.

Nous entrons.


Troisième journée

Le grand plan libre Je découvre maintenant un grand plan libre, une sorte de vaste salon avec une énorme verrière qui s’ouvre plus que largement sur l’extérieur. Là, apparemment, tout vise la dématérialisation, la suppression maximale de tout support d’énergie, de matériel tangible, c’est-à-dire visible, de concret pour résumer.

A l’intérieur, je veux surtout travailler sur les facteurs d’ambiance et faire en sorte que ce soit l’espace lui-même qui réagisse. Ainsi, ce sont les murs, le plafond, le sol qui, lorsque la nuit approche, deviennent luminescents. Ces murs, plafond et sol sont calorifuges, si bien que l’équilibre thermique est constant et qu’il n’y a plus besoin d’appareils de chauffage.



Sur cette image, je n’ai pas évoqué le mobilier. Je profite de la fiction pour imaginer qu’un coussin d’air puisse élever une partie du sol qui deviendrait ainsi siège, table ou lit. En ce qui concerne les supports multimédias, plus besoin de bibliothèques, puisque tout est contenu dans l’hypermédia, l’ordinateur central de la maison. Il se connecte, trie et collecte

en permanence les données sur le grand réseau. Toutes ces données sont visionnables sur le mur-écran fait de pixels, en attendant l’image d’holovision flottant dans l’espace. L’hypermédia gère également la domotique de la maison, régulant ainsi au plus juste les dépenses en énergie, le filtrage de l’eau de la rivière, l’opacité des baies vitrées...




Le jardin de balnéothérapie se trouve dans le patio et dans l’espace réservé au sport, l’appareil de dynamo-gym assure une partie de l’électricité des systèmes en basse tension de la maison. Enfin, le jardin extérieur est doté d’un biopotager automatisé. La Villa TEO est totalement autonome et conçue un peu comme un voilier moderne, intégrant les technologies de pointe au cœur même de l’architecture.



Si les meubles sont absents, je devine tout de même, çà et là, quelques petits objets. Des objets, effectivement, il y en a. Besoin de n’être pas tout à fait immergé dans le vide ? Besoin de se référer à quelque chose ? Le côté affectif, le coup de cœur, un cadeau peut-être ou tout simplement la survivance d’objets, d’ustensiles nécessaires à la vie quotidienne.


Alors, j’anticipe. Tu vois, je me risque même à des fantaisies. J’imagine et je signe. J’intègre, par exemple, quelques meubles dans l’espace vide de la maison et je l’aménage à mon goût. C’est en contradiction avec les règles que nous avions fixées, mais ça m’amuse. Ici, tu peux voir le terminal de l’hypermédia. Là, le bureau Stewart et la bibliothèque d’objets mémoire du passé.



Le patio, qui est pivotant, a deux fonctions. La première permet, grâce à une baie vitrée, d’amener la lumière zénithale où tu le souhaites dans la maison. La seconde fonction est de pouvoir profiter de la cheminée dans l’espace où l’on se trouve. Tu aperçois aussi, à gauche de l’image, le ”carré”. Il regroupe l’espace cuisine, les sanitaires, un dressing ainsi que la chambre en mezzanine.



Quatrième journée

Les objets et les formes On s’est rapprochés d’eux. L’image informatique nous ayant amenés très près de l’objet, là encore, je note une volonté d’imprécision. De quoi sont faits ces objets ? L’image ne le dit pas explicitement. Pour celui-ci, je dirais volontiers céramique, pour tel autre, verre ; le troisième est peut-être en métal et le quatrième me suggère le plastique. Les matériaux auxquels je me réfère sont ceux d’aujourd’hui. Je me garderai bien d’anticiper, par exemple,

sur les performances dont seront capables les gels pouvant changer de forme suivant les températures ou soumis à l’action d’un courant électrique, matériaux d’autant plus intéressants que l’homme lui-même, comme tous les êtres vivants, est, pour une large part, constitué de gels. D’ailleurs, je ne suis pas certain que les chercheurs soient eux-mêmes capables de percevoir quels seront les matériaux de demain, encore plus performants.


Je constate simplement que quelques-unes des formes que tu as esquissées ne se prêtent guère à une fabrication par des procédés techniques habituels, si nous parlons de production de série industrielle, évidemment.

J’espère, avant tout, que dans un avenir proche, la production industrielle sera maîtrisée et que la consommation et le recyclage fonctionneront en autarcie. Tout cela reste à inventer. Notre pire ennemi pour ce faire est, à mon avis, la vanité.

Disons que je suis suffisamment dans l’attente des techniques prometteuses telles que celles du prototypage rapide (stéréolithographie et frittage sélectif en particulier). Ces techniques sont encore lentes et coûteuses.

De toute façon, les objets que je conçois ne sont pas destinés à une production industrielle de masse, mais plutôt à de la pièce de commande, voire à de la petite série. Quant à ceux de cette image, ils restent sagement sur le papier et ne pollueront pas.


Cinquième journée

La matière

Puisque nous sommes parvenus au plus près de l’objet, je suppose que nous voilà au seuil d’une fiction qui dépasse le visible à l’œil nu. Je désire maintenant entrer dans sa matière. Que peut alors ton imagination et qu’en dit l’ordinateur ? O. K. Entrons dans la matière. La pupille se dilate et aimerait, sans doute, le faire encore et encore. L’ordinateur dit alors que l’on peut toujours essayer pourvu qu’on lui fournisse les bons programmes.


Si nous plongeons dans la céramique, nous allons suivre un dédale de tubes et de failles qui correspond au retrait de l’eau lors du séchage de la matière. Pas accueillant tout cela !

Compte tenu de ce que les programmes me permettent, je te propose l’aluminium. Parlant cristallographie, il est dit alors qu’il s’agit d’un “système cubique à face centrée”.

Pénétrer dans le métal n’est pas chose facile. Il faut pouvoir se faufiler dans la multitude de grains trop jointifs pour que l’expérience soit possible. En revanche, ces grains étant formés d’une multitude de petits cristaux, c’est dans l’un d’eux qu’il serait plus surprenant de pénétrer.

Oui, mais parvenir à ce stade, c’est imaginer aussi que nous sommes nous-mêmes ramenés à l’échelle atomique ! Alors, propulsons-nous encore plus avant dans la matière pour parvenir au stade atomique.


Incroyable ! Je perçois des masses vaguement translucides. Je vois également des sortes de puits de lumière dont la profondeur semble illimitée. Quelle merveille ! Nous sommes en pleine féerie. En effet, et c’est plus spectaculaire que cela ne l’aurait été si nous nous étions infiltrés dans le désordre atomique d’une matière amorphe comme le verre. Ici, les atomes se présentent comme des masses diaphanes. C’est le fait du brouillard électronique qui entoure le noyau.

Lui, on le distingue tout petit au cœur de la masse. On repère aussi les petits points mobiles qui brillent dans le brouillard, ce sont les électrons gravitant autour du noyau. Je récite la leçon apprise, mais tu vois qu’avec l’image, je prends des libertés. J’en rajoute à la fiction au point de t’inviter à foncer droit sur le noyau pour voir ce qu’il se passe à sa surface. On peut en effet supposer qu’un atome est à l’image de notre système planétaire dont le noyau serait l’équivalent du Soleil. Autre système, autre monde.


Raymond

Jean-Baptiste

Il nous faut à présent pénétrer le brouillard électronique des électrons, ce n’est pas sans risque !

Ne crains rien, je court-circuite.

Et l’on peut même imaginer que c’est un Soleil froid et que l’on peut se poser dessus. Froid, ce Soleil, et peut-être habité. Comment savoir ? Il faut être en effet bien près de la Terre pour voir ce qu’il se passe dessus, alors… Imagination, tiens bon la rampe. Nous comptons sur toi !


Sixième journée

Paysage atomique Merveilleux ! Quel spectacle ! Pas très rassurant au demeurant, il faut bien le dire. Ces protubérances énormes qui émergent du sol n’ont rien de très accueillant. Les unes sont ancrées, les autres, démesurées, décollent du sol et ont des formes qui ne rappellent rien de terrestre surtout à l’échelle où tu nous as réduits. Comment fais-tu pour créer d’aussi invraisemblables images ?

Ça, c’est le fruit de l’expérimentation. Lorsqu’on parvient à apprivoiser les programmes d’images de synthèse, on obtient d’eux des résultats inimaginables par tout autre moyen. C’est un peu en spationaute que j’en explore les possibilités infinies et, tu vois, je ne me débrouille pas trop mal. Mais revenons à notre image. Tu distingues là-bas une espèce de grotte, habitée peut-être et par qui ? Nous nous approchons.


Jean-Baptiste

Tu vois, nous sommes déjà arrivés.


Septième journée

La nanogrotte Nous sommes maintenant au seuil de la grotte. Pour en éclairer l’intérieur, j’invente une luminescence très indéfinissable. Je n’en suis pas encore à imaginer de possibles habitants. Pour cela, il faudrait d’ailleurs que je puisse avancer, ce qui semble soudain devenu impossible.



D’un seul coup, tout se brouille. L’ordinateur refuse d’aller plus avant. Il affiche même une sorte de gribouillis qui semble dire : “Pour la suite, ne comptez pas sur moi !” Il est vrai que nous sommes arrivés à la fin du septième jour et, pour l’ordinateur, le contrat est rempli et bien rempli. C’est vrai ! Il faut bien une fin à cette fiction. Mais je ne l’aurais pas pensée aussi abrupte...



... Ainsi, je nous voyais bien, au matin du 8e jour, retourner à la chimie organique, prendre place à bord d’un électron libre pour aller ensemencer un atome et participer ainsi à la naissance d’une nouvelle matière. Mais, après tout, cela peut faire l’objet d’une prochaine aventure. Si mon ordinateur le veut bien.


”Juste après”, Jean-Baptiste Pontecorvo et Raymond Guidot photographiés le 21 septembre 2009. © Stéphane Bouelle



Points de rencontre Par Gilles de Bure

On s’étonne toujours d’avoir, des années durant, croisé quelqu’un sans jamais le rencontrer. Avec Jean-Baptiste Pontecorvo, ç’aurait pu être au pied du mur, au temps où on l’appelait Blitz et qu’il énergisait au sein de La Force Alphabétick. Ou tout aussi bien au fil de nuits d’or au Palace, aux Bains Douches, ou dans les couloirs d’Actuel et de Technikart. Mieux encore, sous les ailes déployées de Dominique Durand, Marc Berthier, Fred Forest ou Raymond Guidot, vieux complices… Il faudra attendre Bernard Fric et un vague, très vague projet d’exposition pour qu’entre nous la rencontre s’opère. Et puis, silence radio quelques années encore, jusqu’à ce qu’apparaissent la Villa TEO et l’ombre tutélaire de “Raymond la Science”. Rencontres manquées, rencontre esquissée, rencontre enfin formalisée par cette Villa TEO au sein de laquelle se multiplient les points de rencontre. S’agit-il d’un projet, d’un manifeste, d’un livre ? D’une combinaison des trois sans le moindre doute. Feuilleter l’ouvrage, c’est encore multiplier les télescopages, les chevauchements, les inspirations. Tout commence comme une sorte d’hommage au Powers of Ten, le film de Charles et Ray Eames. Un zoom arrière pour les Eames, un zoom avant pour Pontecorvo, les deux infinis pour juger de l’échelle relative de l’univers. Un jeu logarithmique perturbant, une mise en abyme qui, sans doute, annonce d’autres choses. Et voilà que la maison apparaît, avec son spectaculaire porte-à-faux qui évoque le CNIT de Robert Camelot, Jean de Mailly et Bernard Zehrfuss. Ou, mieux encore, le terminal TWA du JFK Airport à New York, dû à Eero Saarinen, avec sa toiture suspendue, ses courbes et contre-courbes, ses ellipses, ses effets dramatiques, expressionnistes. Puis, en un contre-pied saisissant, voici que s’avance la Glass House de Philip Johnson, largement ouverte sur la nature, simplissime et hiératique tout à la fois ; manière d’épuiser, après la tentation baroque, les vertus du minimalisme absolu.


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Pénétrer la villa, c’est, d’une certaine manière, se confronter à l’univers métaphysique de Giorgio De Chirico (lequel peignait a tempera, à la manière des fresquistes, ce qui nous ramène, peut-être, au graff…), aux espaces vides de toute présence humaine hormis des mannequins sans chair. Surgit alors une sensation de déjà éprouvé. Et si la Villa TEO représentait l’avatar contemporain de la Villa Arpel ? Cinquante-deux ans après Mon oncle, de Jacques Tati, voici donc un lieu qui recense, réunit, collectionne tous les éléments constitutifs d’une modernité domestique triomphante. Car la Villa TEO sera écologique, durable, soutenable, verte, ou ne sera pas. Rien à voir avec les “Architectures without Architects”, chères à Bernard Rudofsky, et leur spontanéité vernaculaire et savante. Non, mais tout avec la gestion des énergies, qu’elles soient thermique, solaire, éolienne ou aérienne, avec la récupération des eaux de pluie, l’utilisation de matériaux recyclables… Pensant à Paolo Soleri, on imagine une sorte d’“arcology” civilisée, pacifiée. Nombreux sont donc, ici, les points de rencontre. Mais comment et pourquoi s’en étonner ? Car la création, quelle que soit la discipline en question, quelle que soit la piste empruntée, s’apparente définitivement à une course de relais. Inchangé, immuable, le témoin passe de main en main. Seuls diffèrent, font la différence, la foulée, le rythme, la tension, l’accélération qui, forcément, débouchent sur une course singulière. Et, à l’évidence, Jean-Baptiste Pontecorvo a du souffle et de l’énergie, une foulée singulière, autonome. Le futur de la Villa TEO ? L’avenir le dira, mais en renouant avec le registre des rencontres improbables, on se remémore soudain une petite phrase du grand cinéaste John Huston : “Le point commun qui réunit les bâtiments, les putes et les cinéastes, c’est qu’ils deviennent respectables avec l’âge.”


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1/ La Villa TEO en automne 2/ La façade côté sud 3/ Vue sur l’entrée 4/ Le toit-terrasse

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Le carré de vie Le cœur de la maison

Le ”carré” regroupe un espace cuisine, des sanitaires, un dressing, une salle d’eau ainsi que la chambre en mezzanine. DIMENSIONS Emprise du carré de vie au sol : 30 m2 Chambre en mezzanine : 25 m2 Hauteur totale : 3,40 m2 Hauteur sous plafond : 2,30 m

L’espace cuisine


La Villa TEO L’habitat autonome SCHÉMA DE PRODUCTION DES ENERGIES PROPRES 1/ Taud photovoltaïque de 500 m2 2/ Eolienne 3/ Double citerne d’eau épurée et usée 4/ Station d'épuration de l'eau de la rivière 5/ Pompe à chaleur par échangeur air-eau 6/ Stockage de la chaleur/Echangeur de chaleur en titane 7/ Stockage de l’énergie électrique collectée 8/ Ballon d’eau chaude 9/ Chauffage par le sol par serpentin d’eau chaude Circuit électrique éolien/photovoltaïque Circuit eau chaude Circuit eau épurée/usée Circuit électronique

PRINCIPALES DIMENSIONS DE LA VILLA Surface totale habitable : 760 m2 Hauteur sous plafond : 4,60 m Surface du patio : 110 m2 Piscine de balnéothérapie : 60 m2 - profondeur : 1,80 m Jardin du patio : 50 m2 Surface totale de la dalle béton sur pilotis : 1 090 m2 Surface de la terrasse : 110 m2 Hauteur de l’éolienne : 30 m

La chambre


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Repères biographiques Nourri du foisonnement des années 1980, Jean-Baptiste Pontecorvo, dit Ponté, a suivi une voie transversale. Passant du graff au graphisme, du dessin de la forme à l’objet tangible, il explore aujourd’hui les nouveaux territoires de l’image de synthèse allant vers un design plus prospectif.

1. L’enfance de l’art

2. L’époque graff et peinture

Né en 1966 d’une mère styliste et d’un père peintre et publicitaire, Jean-Baptiste Pontecorvo est élevé par ses grands-parents dont il reçoit une éducation de tradition bourgeoise, chahutée par un insatiable appétit de liberté et de découverte. De 6 à 14 ans, son père lui apprend avec finesse le dessin classique, la nature morte et l’aquarelle. Ces leçons particulières forment son œil et son approche des techniques picturales. A 16 ans, en rupture avec son éducation et ses influences contradictoires, il découvre le monde de la nuit.

Dans les années 1980, c’est le soir venu que Jean-Baptiste Pontecorvo peint sur les supports libres. Commence alors pour lui une exploration souterraine de Paris. Telles de vivantes et modernes catacombes, le métro se livre à lui. Jean-Baptiste Pontecorvo prend alors le pseudonyme de Blitz et, avec ses comparses clandestins Asphalt, Spirit et Monkey Finger, fonde, en 1983, La Force Alphabétick. Un collectif de peintres qui s’agrandira et tiendra le haut du pavé durant quinze ans. Blitz et La Force Alphabétick affirment une énergie contestataire.


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1/ Vie d’king rock - Commande du festival de rock de Dieppe, Blitz (debout, au centre) et la Force Alphabétick, 1987. 2/ Trophée RA(T)P Plaque en aluminium RATP de tête de rame, panneaux de bois, bombes aérosol, 1986, collection privée. 3/ Excess - Commande de la maison Paco Rabanne pour le lancement du parfum Excess, bombes aérosol - Galeries Lafayette Hausmann, 1988. 4/ Free Style - Fresque sur mur, 1990. 5/ Chronologie - Toile sur châssis et technique mixte présentée à l’exposition ”Graffiti américain et français” au palais de Chaillot, 1990, collection particulière. 6/ Elle voulait une maison avec un chien de garde et des rosiers - Toile sur châssis et technique mixte, 1990, collection particulière. 7/ Sans titre - Toile sur châssis et marqueur, 1987, collection privée. 8/ Voyages - Toile sur châssis et technique mixte réalisée pour l’exposition ”Paris Tonkar”, 1991, collection particulière. 9/ Homosociétus - Toile sur châssis et technique mixte exposition personnelle à l’ambassade du Brésil à Paris, 1991, collection particulière. 10/ Cénotaphe - Trumeau, carreaux de métro et bombes aérosol, 1992, collection particulière.

Déjouant les interdits, ils véhiculent les codes nouveaux du “Street Art”. Après quatre ans de clandestinité et de prises de risques, le graff est reconnu aux Frigos, à l’Usine éphémère et dans certaines galeries de la Bastille. Le magazine Actuel, le Palace, Les Bains Douches ou Tonton David passent commande pour des fresques pérennes ou des scénographies événementielles lors de concerts. Mais le romanesque s’émousse et de cette liberté sauvage ne reste bientôt que des produits de commande, bien loin de l’esprit de liberté du “Street Art”.

Ainsi, en 1990, lors d’une exposition présentée au palais de Chaillot, graffiteurs américains et français sont mis en regard. Blitz, porte-parole des graffeurs français, expose, non pas un graff, mais une peinture, entre celles de Basquiat et de Keith Haring. Blitz choisit alors de redevenir Pontecorvo, car selon lui : “Le graffiti tient sa légitimité dans l’interdit, dans l’action même. L’exposer dans une galerie n’a pas de sens. C’est de la récupération marchande.” Après une dernière exposition personnelle à l’ambassade du Brésil, il se détourne de la peinture.

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1/ Concept store O. J. Perrin - Réalisé avec l’architecte d’intérieur Bernard Fric - Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, 2002. 2/ Stand BMW Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, 1987. 3/ Table pliante - Exposition au Salon des artistes décorateurs au Grand Palais en 1985 (prix du jury) et à la Villa Medicis en 1986. 4/ La valise - Lampe à poser, pièce unique, 1992, collection particulière. 5/ Tauromachin - Boîte en résine, pièce unique, 1987, collection privée. 6/ Déflecto - Exposition personnelle à la galerie Nikky Verfaillie à Paris, pièce unique, 1990, collection particulière.

Dans l’intervalle, entre 1985 et 1990, il s’est constitué un nouveau refuge, un studio spartiate et minimal, un laboratoire urbain où il développe son intérêt pour le graphisme et le design.

3. Le temps d’apprendre Parmi les rencontres décisives qui ont modelé le parcours de Jean-Baptiste Pontecorvo, celle de Dominique Durand, muraliste et décorateur, lui ouvre de nouveaux horizons. Il

devient pendant trois ans son assistant et présente ses prototypes de mobilier au Salon des artistes décorateurs, en 1985. Une mention spéciale du jury lui permettra d’exposer à la Villa Medicis, à Rome, en 1986. Là, il rencontre Marc Berthier qui lui propose un autre type d’apprentissage du design au sein de son agence. Il découvre ainsi l’architecture intérieure à la faveur, notamment, de la création de l’espace mode des Galeries Lafayette, à Paris. Les collaborations s’enchaînent avec l’agence de publicité Colette, le magazine BAT, l’agence Prévog design, Nina Ricci, Hermès, Paco Rabanne, BMW…


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7- 8/ La Maison d’Aquitaine à Paris - Réalisée avec l’architecte d’intérieur Bernard Fric, 2001. 9/ L’espace Pierre Cardin Centre du monde Scénographie pour l’artiste Fred Forest - Espace Pierre Cardin, 1999. 10/ Ephemera Danica - Spot halogène - Exposition personnelle à la galerie Nikky Verfaillie à Paris, 1990. Edité en vingt exemplaires, collection particulière. 11/ Les éditions Taillandier - Siège social, 2003.

Pendant cette période, il forme le projet d’exposer de façon décalée. Ainsi signe-t-il, à la galerie Nikky Verfaillie, à Paris, une exposition globale présentant mobilier, objets et peinture dans une scénographie futuriste et sonore. Son mobilier à technologie embarquée propose déjà un regard et une réflexion sur le matérialisme. Côté graphisme, Jean-Baptiste Pontecorvo prend la direction artistique d’un nouveau-né de la presse, le magazine Technikart. En parallèle, Jean-Baptiste Pontecorvo obtient son diplôme en architecture intérieure à l’école de

design ESDI. Il comble, à 28 ans, certaines lacunes sans se départir de son expérience d’autodidacte. Il s’investit dans différentes expériences tendant toutes à reconsidérer les champs d’application du design. Au sein de l’association La Source, de Gérard Garouste, il anime un atelier de création d’objets avec les enfants. Il s’intéresse à la perception de la spatialité et dispense des cours de 3D dans une association de réinsertion pour anciens alcooliques. Il produit également un documentaire de 26 minutes, Scanner, sur les coulisses du design en France.

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1/ Chevalhom - Etude pour une sculpture en résine, 2004. 2/ Objet d’art contempourien - Carte de vœux 2009. 3/ Tanagras - Couverts, 2008. 4/ Chaise Lacoste - Dossier en tamis de raquette de tennis, 2008. 5/ Stewart - Bureau de réception en marqueterie, 2009. 6/ L’homme bleu Détail de l’affiche de l’exposition personnelle ”Masques, armures & territoires” à la galerie l’Imprimerie, 2002.

4. L’âge du déploiement Puis la rencontre avec l’artiste Fred Forest, en 1999, vient conforter Jean-Baptiste Pontecorvo dans ses recherches. Leur collaboration préfigure l’élan qui va l’animer jusqu’à aujourd’hui. “Fred Forest est étranger aux schémas habituels. Il crée ses propres règles.” Leur rencontre s’effectuera autour de l’exposition sur les arts virtuels à l’Espace culturel Landowski, à Boulogne-Billancourt. “Fred imagine le concept d’une machine à remonter le temps ; je conçois la scénographie et réalise l’installation, comme plus tard, à l’espace Pierre Cardin, où Fred inventera le Centre du monde.”

Un nouveau cap est franchi avec le nouveau millénaire. Jean-Baptiste Pontecorvo se forme à l’imagerie de synthèse : “Je dévorais les livres sur le sujet, essayant tous les logiciels de l’époque. J’étais fasciné par les possibilités inouïes de la 3D. Avec elle, il faut tout réapprendre des lois physiques du monde : la lumière, les volumes, les matières…” Un nouveau savoir-faire qu’il développe avec la rencontre de l’architecte d’intérieur Bernard Fric. Ils réalisent ensemble plusieurs projets dont le casino de Biarritz, le concept store O. J. Perrin, la maison d’Aquitaine à Paris…


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7/ Wifi - Borne urbaine d’information et de téléchargement de données, 2008. 8/ Aérodyne - Concept de mobile home à énergies propres, 2006. 9/ System 2 - Etude de kiosque multimédia montable/démontable pour l’intérieur ou l’extérieur, 2009. 10/ Mauto - Concept de voiture ultralégère électrique biplace en ligne, 2008.

En 2002, Jean-Baptiste Pontecorvo expose une première série de travaux expérimentaux en 3D à l’Imprimerie, à Paris : “Cette manifestation a renforcé mes intuitions. Le designer peut être à la fois théoricien, prospectif et autonome. En cela, l’image de synthèse favorise une création beaucoup plus complexe dans une économie de moyen sans égal.” Le dessin se suffit à lui-même : les concepts, les ambiances, voire les sentiments peuvent être alors visualisés. C’est en calant l’outil 3D sur notre perception de la réalité qu’il est alors possible de la reproduire, voire de la revisiter.

Récemment, grâce à sa rencontre avec Raymond Guidot, mémoire vivante du design, Jean-Baptiste Pontecorvo formalise, dans la présente fiction de la Villa TEO, sa vision d’un design altruiste conciliant l’écologie et la technologie pour un monde plus radieux. Christophe Averty

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