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« Au vent du Noroit » Série de 4 lithographies
Henri Rivière, ce peintre parisien tombé amoureux de la Bretagne, éminent représentant du Japonisme français nous laisse une œuvre importante par la quantité et la qualité.
Je dois reconnaître que beaucoup de ses paysages, malgré la beauté de leur équilibre parfait, ne me procurent jamais autant d’émotions que ses œuvres donnant à voir des personnages.
Dès qu'il y a « de l'humain », cela me « parle » plus qu'un paysage dépeuplé, non habité.
Oserai-je avouer que cela me « crie » ?... Si je puis me permettre ce néologisme.
Rivière nous compte ici le temps arrêté à la mesure de l'humanité des humbles.
Parce que cette humanité raconte toujours une histoire vraie ou véridique à inventer, à réinventer.
Cette série d’Henri Rivière nous « dit » du parfum de la sueur du « populaire » et de l'odeur de la mer.
Ne suis-je en mon regard qu'un « populariste » ?...
J’invente ce mot, ce terme, ce personnel mouvement poétique et pictural.
Pardon, cher Henri !
La littérature et la poésie de la gestuelle humaine au travail m’ont toujours griffé au plus profond de l’âme.
De la même façon que mes attirances de regardeur, de voyeur de l’art m’ont invariablement dirigé vers les photographes de l’humain populaire, mon cœur se donne volontiers aux peintres qui donnent à voir l’instant de la vie des « fourbus » de la terre et de l’océan. Je suis né de ceux-là. Et Rivière me ramène à l’image de mes aïeux.
Le photographe Robert Doisneau éduqua mon regard, ma vision de l’art populaire. Avec Izis, Édouard Boubat, Willy Ronis et Sabine Weiss, il fut l'un des principaux représentants français du courant de la photographie humaniste.
Henri Rivière et quelques autres peintres, le réaliste normand Jean-François Millet, et en littérature, le parisien naturaliste Émile Zola ou le presque Nantais proudhonien Jules Vallès, sont de ceux qui ont fait route avec les artistes du social qui ont peint ou dépeint les « petites gens ».
Cette série de lithographies humanistes « Au vent du Noroit » est bouleversante de vérité reconstruite par la mise en scène du peintre. Certes, elles sont millimétrées au cordeau, Japonisme oblige, mais elles racontent toutes les quatre une histoire, la même histoire, celle de la condition humaine d’un instant donné, du travail et de la vie simple des hommes, des femmes, des enfants et des vieux.
Rivière, en journaliste qu’il fut à ses débuts, nous donne à lire l’Histoire d’un peuple. L’Histoire des peuples.
L’Histoire majuscule.
Gérard Camoin
Auteur, poète, acteur, marionnettiste
Henri Rivière naît à Montmartre dans l’appartement familial en 1864. Lorsque la guerre éclate, en 1870, la famille s’établit dans le village natal de son père dans les Pyrénées. Contemplatif, le jeune Henri y découvre la nature qui sera toujours présente dans son oeuvre : la terre, la mer, les saisons, l’aube, le crépuscule…
Henri revient à Paris après la guerre et fréquente une école de quartier où il se lie d’amitié avec Paul Signac. De la Butte Montmartre au Musée du Louvre, entre peinture et lecture, il s’initie seul aux techniques de la gravure sur bois, de la photographie et de la céramique. L’unique enseignement professionnel qu’il recevra, en compagnie de Signac, a lieu à l’atelier du père Bin, maire de Montmartre et professeur de peinture.
En 1881, lors de vacances avec son frère à Saint-Briac, Rivière découvre la Bretagne et peint de nombreuses aquarelles sur le motif. Cette même année, à Montmartre, Rodolphe Salis ouvre un cabaret nommé le Chat Noir, lieu de rencontre pour des artistes tels que Toulouse Lautrec, Willette, Goudeau, Caran d’Ache… Les habitués, Rivière en particulier, participent activement au journal hebdomadaire du cabaret dont les illustrations témoignent de l’influence du Japon sur leurs recherches. À ce sujet, il écrit : « je fus chargé de la cuisine du journal, ce qui m’intéressait beaucoup, car j’aimais déjà la technique de l’impression et de la reproduction de dessins. »
En 1885, Le Chat Noir s’agrandit, les artistes donnent naissance à un théâtre d’ombres qui remporte immédiatement un vif succès. Salis confie à Rivière la direction du nouveau théâtre qu’il conservera durant onze années, innovant sans cesse, construisant lui-même les décors en zinc, carton, ficelles, verres colorés…
En 1892, lors de l’exposition des peintres graveurs chez Durand Ruel, Henri Rivière expose 19 planches et connaît sa première notoriété. Dès lors, il est en possession de tous les éléments dont il a besoin. Georges Toudouze note à ce propos : « il a senti la raison maîtresse de ses travaux, il a la prescience de la formule qu’il va chercher, il a la volonté, il a l’outil, (bois aujourd’hui, pierre demain) il a le moyen d’expression (l’estampe) ». Après la fermeture du Chat Noir, en 1896, Rivière travaille à sa première grande édition lithographique. S’inscrivant avec plaisir dans le mouvement de démocratisation de l’art, Rivière devient, avec l’éditeur a propos des lithographies, Arsène Alexandre, écrivait dans le journal Le Figaro : « on n’imagine pas ce que comportent d’opérations les plus simples de ces images : près de quinze tirages successifs, dont chacun est lui-même constitué d’encrages qui varient plusieurs fois d’un bout à l’autre de la pierre ; des calculs anxieux des valeurs et des superpositions de tons ; des initiatives et des audaces à dérouter les meilleurs ouvriers. (…) Les lithographies de M. Rivière diffèrent profondément de bien des estampes répandues en ces dernières années avec un peu trop de confiance ; elles donnent l’impression de la simplicité profonde grâce à la profonde opiniâtreté (…) » tandis que beaucoup d’œuvres de ce temps séduisent, par une « beauté du diable », une petite intention heureuse, mais qui s’évaporera bientôt, le travail étant superficiel et la matière indifférente et creuse. »
Eugène Verneau, le maître de l’estampe grand format tirée à de nombreux exemplaires. Destinées d’abord aux écoles, aux maisons, aux boutiques, ses lithographies rencontrent un grand succès. Ses séries, «Aspects de la Nature, Paysages Parisiens, Féerie des Heures, Au Vent de Noroît, Les Trente-six vues de la Tour Eiffel, Le Beau Pays de Bretagne» sont le résultat d’un travail herculéen. Durant dix-sept années, il séjourne en Bretagne de Mai à Octobre et réalise des centaines d’aquarelles au dessin minutieux. L’hiver venu, il réutilise ces travaux afin d’aboutir à des effets d’ensemble.
Apres le décès de Eugene Verneau, vers 1906, Henri Rivière termine les lithographies qu’il avait commencées mais n’entreprend aucune nouvelle série et se remet à l’eau-forte qu’il n’avait pas pratiquée depuis seize ans. À partir de 1911, il revient dans le monde de l’art mais devient, par goût, un artiste solitaire hors des modes et de la vue du public. Il accepte néanmoins la proposition du Musée des Arts Décoratifs d’exposer ses œuvres. En 1921, 209 pièces (aquarelles, bois, eaux-fortes) sont ainsi présentées au public.
Après la mort de sa femme en 1943, il se remet à l’aquarelle, mais à partir de 1944, il comprend qu’il deviendra aveugle et ne pourra plus peindre. Il terminera ses jours très entouré par ses amis. Il note d’ailleurs dans ses mémoires : « J’ai de bons amis que j’aime et qui m’aiment : avec ma très chère Berthe, mon vieil André, plus qu’un frère pour moi, ma tendre Henriette, ma gentille petite filleule Geneviève…mon bon et fidèle Barbier, je suis entouré de si cordiales amitiés que je me demande parfois comment j’ai pu les mériter. »
Le 24 août 1951, Henri Rivière meurt à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Aujourd’hui les oeuvres de Henri Rivière sont conservées dans de nombreux musées dont celui de Pont-Aven et le musée départemental breton à Quimper. De nombreuses expositions sont organisées et ses planches sont conservées à Bibliothèque Nationale de France à Paris.
Bibliographie
Henri Rivière, Armond Fields, Editions Hubshmid & Bouret
La Bretagne de Henri Rivière, Editions Langlaude
Hokusai, Hiroshige, Henri Rivière, Editions Locus Solus catalogue de l’exposition au musée départemental breton en 2014.
Henri Rivière, Pierre Gamet, Editions Chasse Marée
Henri Rivière, peintre et imagier , Georges Toudouze, Editions Henri Floury
Remerciements
À Yannick Doyen, Philippe Renaud, Yann Le Bohec et François Courty
A Henri Rivière
Aux accrocheurs, correcteurs, soutiens amicaux, encadreurs et prêteurs
Aux visiteurs, acheteurs, amateurs, découvreurs, collectionneurs
Aux amoureux de Henri Rivière.
Autres artistes de la galerie : odon - Antoine Schneck - Denis Monfleur - Bernard Bouin - Rodolphe
Le Corre - Oscar Yana - Olivier Lavorel - Philippe Lagautrière - Olivia
Clavel - Varban Christov - Jean-François Baudé - Philippe Jeannot -
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Craneguy - Jun Sasaki.