CHRONIQUES LITTÉRAIRES
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DEVANCER LES LARMES
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LE PÊCHEUR DE PERLES
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LE CHANT DE LA DÉMESURE : ROXANE & ANTIGONE
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ifecosse.wixsite.com/blog Institut français d’Ecosse West Parliament Square Edinburgh EH1 1RF
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DEVANCER L
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LES LARMES
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À l’occasion de la Journée de l’Europe du 9 mai : Hommage aux traducteurs et traductrices des littératures européennes.
On Europe Day, May 9: Tribute to the translators of European literature
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« Je trouve louable les larmes versées par le roi des Perses. Car on dit que Xerxès, après avoir parcouru des yeux son immense armée, pleura sur la mort imminente qui guettait tant de milliers d’hommes ». Pline le Jeune, Le temps à soi, lettres traduites du latin par Daniel Stissi, éd. Arléa, Paris, 1991.
Supposons que bien des ressorts -en littérature- s’enclenchent le 24 août de l’an 79, date à laquelle le temps s’est arrêté à Pompéi. En contrebas près du port de Misène, les yeux d’un jeune garçon restent rivés sur les fumées volcaniques qui signalent les dernières heures de son oncle maternel Pline l’Ancien, père adoptif dont il prendra le nom. Pour l’être aimé qui étouffait par les émanations de soufre, le garçon de dix-sept ans en fera un récit et lancera un défi à la mort : faire avec l’irréparable. Devenu un avocat en vue dans la société romaine, Pline tiendra le poste de magistrat et de gouverneur impérial des provinces du Pont-Bithynie. De cette vie trop prenante, il sera celui qui saura s’éloigner des feux qui consument une vie. Il le raconte - hors des murs de Rome retiré dans sa demeure des Laurentes près d’Ostie - dans quelques trois cent lettres qui témoignent d’un temps où il est bon de se tenir loin des tracas de la vie publique et des trahisons du pouvoir, de se souvenir de ceux qu’il aime et de savoir devancer le malheur. Si l’ensemble de la littérature se compose d’échos qui ricochent de siècle en siècle, on retrouvera alors ces réminiscences dans deux romans contemporains celui de Max Frisch L'Homme apparaît au Quaternaire (Der Mensch erscheint im Holozän) et Le tour de l’oie (Il giro dell'oca) d’Erri de Luca.
Construits avec un seul protagoniste et une unité de lieu, ces deux récits relatent les engagements et la solitude d’un personnage devant l’imminence de la fin. « Je ne suis pas malade ou bien je ne le sais pas. Que s’estil donc passé avec les mots ? Je secoue les phrases comme on secoue une montre en panne, je les démonte ; là-dessus passe le temps qu’elle n’indique pas *». L’un, isolé dans un village du Tessin, l’autre, seul dans l’arrière-pays de Naples, la pluie tombe drue, les communications sont coupées ou lointaines. On n’entend même plus l’avertisseur sonore du postier. Pour se souvenir du monde, au creux d’une vallée suisse, l’un découpe des articles de l’Encyclopédie pour réunir les connaissances humaines majeures, des évolutions géologiques et de paléontologie. Il les placarde sur le mur pour ne pas oublier l’essentiel du monde. Avec ces pluies diluviennes, la roche finira par s’effondrer et descendre vers le fond de la vallée. Dehors, l’éboulement de la montagne, à l’intérieur de lui-même, la défaillance de son esprit et de son corps. Le récit d’une simple aventure humaine. Même si les deux protagonistes ont des intérêts variés, leur vie a un dénominateur commun : le temps qui reste. « La vie, une oasis – La mort comme un désert, tout autour – D’où suis-je censé tenir cela ? » ressasse avec concision Max Frisch.
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Puisque « la vie et la terre sont prêtées » renchérit le protagoniste italien, ils doivent résoudre le problème chacun à leur manière: il ne reste pas tant d’étapes sur le chemin de la finitude de l’homme et de sa comparse -auxiliaire jamais comprise- la nature. Devant cette angoisse qui s’installe peu à peu, il s’agit de transmettre un dernier message, si jamais la montagne venait à s’effondrer. Si le narrateur italien ne découpe pas des articles de sciences naturelles pour faire défiler sous ses yeux les relations de l’homme et du monde, De Luca use d’un stratagème de dédoublement. Jeux de l’imagination, le temps d’une nuit dans cette maison aux murs de lave du Vésuve, il livre des messages à un fils imaginaire qu’il n’a jamais eu. Les réflexions l'instruisent et lui rafraîchissent la mémoire. « C’est un soir sans électricité, la foudre l’a éteinte, comme un rugissement fait taire un moineau. La flamme de la cheminée éclaire la table à manger tandis que j’allume une bougie » dans ce soir d’orage, l’auteur ne nous parle pas de la multitude des vies qu’il aurait pu avoir, mais des multitudes d’histoires qu’il aurait pu raconter pour -si on place la vie comme une carte du jeu de l’oie- mieux avancer. Car on ne peut qu’aller de l’avant et se rapprocher inéluctablement du son strident d’un sifflet de fin de jeu. Le narrateur raconte ce qu’a été la vie d’un homme né à l’ombre du Vésuve et qui « continue à habiter des feux éteints ». « Le XXe siècle s’en est allé ainsi, les bras du courant en crue. Ce fut le siècle cyclope, gigantesque et aveugle ». Au cœur du refuge –et puisque l’éternité n’est pas requise pour l’hommeon ne peut plus se disperser, il reste à transmettre le message qui vient des versants du Vésuve et qui a presque deux mille ans, celui d’escompter le chagrin.
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Prends ma place demain tôt le matin, je te la cède. Devance les larmes, c’est à ton tour maintenant. *
* *
Let’s suppose lots of actions - in literature began on August 24, AD 79, when time stood still in Pompeii. Below near the port of Misene, the eyes of a young boy remain riveted on the volcanic fumes which signal the last hours of his maternal uncle Pliny the Elder, adoptive father whose name he will take. For the loved one, who was suffocating with the sulfur fumes, the seventeen-year-old will narrate it into a story and challenge death: to deal with the irreparable. Having become a prominent lawyer in Roman society, Pliny held the post of a magistrate and an imperial governor of the provinces of Pont-Bithynia. From this busy life, he will be the one who will know how to get away from the fires that consume one’s life. He tells it -outside the walls of Rome, withdrawn to his home in Laurentes near Ostia- in some three hundred letters that bear witness to a time when it was good to stay away from the hassles of public life and the betrayals of power, to remember those he loves and to know how to anticipate misfortune. If all of literature is made up of echoes rebounding from century to century, we, thus, find these reminiscences in two contemporary novels: the one of Max Frisch Man in the Holocene (Der Mensch erscheint im Holozän) and Il giro dell’oca by Erri de Luca.
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The stories involve a single protagonist and a unity of place. These two stories relate the commitments and loneliness of a character in the face of the looming end. “I’m not sick, or I do not know it. What happened to the words? I shake the sentences like you shake a broken watch, I take them apart; during this passes the time that it does not indicate*”. One, isolated in a village in Ticino, the other, alone in the hinterland of Naples, it is raining heavily, and communications are cut or far away. We even no longer hear the horn of the postman. To remember the world, in the hollow of a Swiss valley, one cuts out the articles from the Encyclopaedia to bring together major human knowledge, geological developments and palaeontology. He puts them on the wall so that he does not forget the essential elements of the world. With these torrential rains, rocks eventually collapse and descend to the bottom of the valley. Outside, the landslides, within himself, the failing of his mind and body. The story of a mere human adventure. Even if the two protagonists have varied interests, their life has one common denominator: the time that remains. “Life, an oasis -Death like a desert, all around- Where am I supposed to get this from?” Max Frisch repeats concisely.
transmitting one last message, if the mountain should ever collapse. If the Italian narrator does not cut out articles from the natural sciences to scroll before his eyes the relations between man and the world, De Luca uses a stratagem of duplication. Games of imagination, for one night in this house with the lava walls of Vesuvius, he delivers messages to an imaginary son he never had. Contemplations educate him and refresh his memory. “It's a night without electricity. Lightning has turned it off like a roar silences a sparrow. The flame of the fireplace lights up the dining table while I light a candle” in this stormy evening, the author does not tell us about the multitude of lives he could have had, but the plenitudes of stories that he could have narrated -if we perceive life as a board of the game of the goose- to move forward. Because we can only move forward and, inevitably, get closer to the strident sound of an end-game whistle. The narrator tells about the life of a man born in the shadow of Vesuvius and who “continues to haunt extinguished fires”. “The 20th century is gone, with the arms of the current in flood. It was the Cyclops century, gigantic and blind”. At the heart of the refuge - and since eternity is not a requisite for humankind - we can no longer disperse, it remains to transmit the message that comes from the slopes of Vesuvius and which is almost two thousand years old, that of foreseeing the sorrow.
Since “the life and the earth are granted” adds the Italian protagonist, they must solve the problem each in their own way: there are not so many stages left on the way to the finitude Take my place tomorrow early in the morning, of man and his companion -auxiliary never I am ceding it to you understood- nature. Faced with this anguish Forestall the tears, it is your turn now. that is gradually setting in, it is a question of
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Notes : * Max Frisch, Esquisses pour un troisième journal, Trad. Olivier Mannoni, Grasset, 2013, p.35. Réf : Max Frisch, Der Mensch erscheint im Holozän / L’Homme apparaît au Quaternaire, trad. de l’allemand par Gilberte Lambrichs, Collection Du monde entier, Gallimard, 1982. Max Frisch, Entwürfe zu einem Dritten Tagebuch / Esquisses pour un troisième journal, trad. de l’allemand par Olivier Mannoni, Grasset, 2013. Erri de Luca, Il giro dell’oca / Le tour de l’oie, trad. de l’italien par Danièle Valin, Collection Du monde entier, Gallimard, 2019.
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Gustave Flaubert, Lettres à Louise Colet Correspondance 1846- 1851, Magnard, 2003.
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Michel Winock, Flaubert, Gallimard, 2013.
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À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert (1821-1880)
Si un jour on vous pose la question : « Que faut-il lire de Flaubert ? » répondez sans hésiter : « Tout » et si votre interlocuteur insiste, lancez un : « Lettres à Louise Colet » et vous faites d’une pierre deux coups, car on lira par la suite les textes de Louise Colet. Lorsqu’en 1846, Gustave Flaubert la rencontre à Paris, elle pose dans l’atelier de son ami le sculpteur James Pradier, il n’a que vingtcinq ans, elle en a onze de plus. Lui, n’a rien publié alors qu’elle est connue dans le monde littéraire, elle a reçu des prix de l’Académie et fréquente assidûment les salons littéraires renommés comme celui de Julie Récamier qui réunit les politiques et les artistes les plus en vue à cette époque. Si l’un ne s’engage pas dans les combats de son temps, l’autre paraît plus audacieuse en publiant des textes qui se réclament du féminisme (1) comme « Folles et saintes » (1844) ainsi que « Les derniers marquis » (1867) qui s’affiche une satire contre la noblesse. Montée à Paris en 1836 de sa ville natale d’Aix-enProvence, Louise s’affiche comme socialiste, fréquente le philosophe et ministre Victor Cousin et compte parmi les auteures de cette époque à l’instar de George Sand et de Daniel Stern. Elle fait partie de celles qui écrivent et qui publient. De cette rencontre entre Colet et Flaubert, on retiendra les lettres à Louise Colet qui attestent un échange de réflexion sur l’écriture, sur la littérature et sur ceux qui l’écrivent. Bien que Flaubert ait détruit par la suite sa correspondance – en la jetant au feu devant le jeune Maupassant médusé- on a toutefois en creux l’esprit de l’écrivaine qui sait bellement le piquer : « Pourquoi dis-tu sans cesse que j’aime le clinquant, le chatoyant, le pailleté !
Poète de la forme ! » (Lettre du 18 septembre 1846) se défend Flaubert pour qui « l’idée n’existe qu’en vertu de la forme ». L’époque de Louise Colet et de Flaubert, c’est aussi tout le tourbillon du Second Empire, ce siècle plein de changements, des revendications égalitaires, des doctrines socialistes, des conservateurs qui resserrent leur rang, des cercles littéraires qui tranchent sur les œuvres, des journalistes qui défont les ambitions « on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’Art » lance Flaubert. Et s’il continue de blâmer Louis-Philippe et son régime bourgeois, il ne s’affiche pas pour autant républicain aux côtés de son amie George Sand (2) et du cercle de Nohant. Flaubert ne cherche pas être estampillé comme auteur réaliste, naturaliste ou anti bourgeois, il ne veut pas « mettre sa personnalité en scène » assure-t-il à George Sand « C’est là une manie actuelle ; on rougit de son métier. Faire tout bonnement des vers. Écrire un roman, creuser du marbre, ah ! fi donc ! C’était bon autrefois, quand on n’avait pas la mission sociale du poète. Il faut que chaque œuvre maintenant ait une signification morale (…). L’avocasserie se glisse partout, la rage de discourir, de pérorer, de plaider, la muse devient le piédestal de mille convoitises » (Lettre du 18 sept. 1946). Toute participation à un collectif d’une revue, de publication ou de vie publique le rebute. Il n’y voit que la connivence et les intérêts de chacun qui se pointent au détriment du travail acharné sur les textes mêmes. Auteure qui vit de sa plume, Louise Colet tente continuellement de placer ses poésies dans les journaux et cela malgré la charge virulente des critiques des cercles littéraires masculins.
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Quand elle lui parle de ses découragements en écriture, il répond en parfait accord avec elle sur ceux qui discourent sur la littérature et peuvent laisser aller leurs phrases. Pour sa part, il confirme son obsession de l’exercice contraignant de l’écriture : « Depuis lundi dernier, j’ai exclusivement toute la semaine pioché ma Bovary, ennuyé de ne pas avancer. (…) Je mène une vie âpre, déserte (…) et je n’ai que pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente » (Lettre du 24 avril 1852). Au fils de la correspondance qu’il entretient avec Louise, Flaubert expose ce qu’il attend de la littérature et de lui-même. L’écriture est exigence et il faut y revenir en permanence : « Parmi les marins, il y en a qui découvrent des mondes, qui ajoutent des terres à des terres et des étoiles aux étoiles. Ceux-là sont des maîtres, les éternellement beaux (…) Moi, je suis l’obscur et patient pêcheur de perles qui plonge dans les bas-fonds et qui revient les mains vides et la face bleuie » (Lettre du 7 octobre 1846).
* * *
If one day someone asks you: “What should I read by Flaubert?” Answer without hesitation: “Everything” and if your interlocutor insists, throw a: “Letters to Louise Colet” and you would kill two birds with one stone because the person would then read the texts of Louise Colet as well. When Gustave Flaubert met her in Paris in 1846, she posed in the studio of her friend, the sculptor James Pradier. He was only twenty-five; she was eleven years older. He had not published anything, while she was well-known in the literary world. She had received awards from the Academy and assiduously attended renowned literary salons such as the one of Julie Récamier that brought together the most prominent politicians and artists at that time.
If one did not engage in the battles of his time, the other seemed more daring by publishing texts that claim to be feminist (1) such as “Folles et Saintes” (1844) as well as “Les derniers marquis” (1867), a satire against the nobility. Having moved to Paris in 1836 from her hometown of Aix-en-Provence, Louise appeared as a socialist, frequented the philosopher and minister Victor Cousin and was among the authors of the time, like La légende antique rapporte que le roi Mithri- George Sand and Daniel Stern. She was one of date qui gouvernait le Royaume du Pont those who wrote and published. absorbait des poisons en faible dose et tenta de se suicider en vain, dû à son accoutumance. On se plaît alors à imaginer Flaubert en Mithridate rongé par le poison de son art pour revenir des bas-fonds les mains pleines de perles. Peut-être que Flaubert comprenait-il que la littérature du XIXème s’essoufflait dans ce siècle finissant ? (3) : « Aucune pensée humaine ne peut prévoir maintenant à quels éblouissants soleils psychiques écloront les œuvres de l’avenir. En attendant, nous sommes dans un corridor plein d’ombres ; nous tâtonnons dans les ténèbres (…) écrivailleurs que noussommes » (Lettre du 24 avril 1852).
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The era of Louise Colet and Flaubert was also the whirlwind of the Second Empire. This century full of changes, egalitarian demands, socialist doctrines, conservatives who tightened their rank, literary circles who decided on works, journalists who defeated the ambitions “we do criticism when we cannot do Art” said Flaubert. And even if he continued to blame LouisPhilippe and his bourgeois regime, he did not appear to be a Republican alongside his friend George Sand (2) and the Nohant entourage. Flaubert did not seek to have a label as a realist, naturalist or anti-bourgeois author. He did not want to “stage his personality” he assured George Sand “this is a current craze; one blushes for one’s profession. Simply make verses. Write a novel, dig marble, ah! Do so! It used to be good when you did not have the social mission of the poet. Each work now has to have a moral meaning (…). Advocate sneaks in everywhere, the rage to talk, to speak, to plead, the muse becomes the pedestal of a thousand lusts”(Letter of September 18, 1946).
literature and can let their sentences write themselves. For his part, he confirmed his obsession with the binding exercise of writing: “Since last Monday, I have exclusively worked on my Bovary all week, annoyed not to progress (...) I lead a harsh, deserted life (...) and I only have a kind of permanent rage to support myself” (Letter of April 24, 1852). Throughout his correspondence with Louise, Flaubert explained what he expected from literature and himself. Writing is a requirement, and we have to come back to it constantly: “Among the sailors, there are those who discover worlds, add lands to lands and stars to stars. These are masters, the eternally beautiful (…) I, I am the obscure and patient pearl fisherman who dives into the shallows and returns with empty hands and a blue face” (Letter of October 7, 1846).
Perhaps Flaubert understood that 19thcentury literature was running out of steam in this coming century? (3): “No human thought can predict now to what dazzling psychic suns the works of the future will hatch. In the meantime, we are in a corridor full of shadows; we grope in the darkness (…) Any participation in a collective of a journal, writers that we are” (Letter of April 24, 1852). publication or public life repelled him. He only saw the connivance and the interests of each Ancient legend reports that King Mithridates one to the detriment of the hard work on the (who ruled the Kingdom of Pontus) absorbed texts themselves. An author who lived off her poisons in small doses and attempted suicide pen, Louise Colet constantly tried to place in vain due to his addiction. We then like to her poems in the newspapers, despite the imagine Flaubert as Mithridates eaten away virulent load of critics from male literary by the poison of his art to return from the circles. When she told him about her writing shallows with his hands full of pearls. discourages, he answered in perfect agreement with her about those who talk about
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Notes : (1) Cf. La biographie sur Flaubert de l’historien Michel Winock : « Louise Colet ne ménage pas sa peine, elle écrit à profusion (…) elle a des convictions politiques. Rapprochée des féministes et des socialistes, ce qui l’amène à soutenir le journal de l’Union ouvrière de Flora Tristan. Le recueil de nouvelles, Saintes et folles, atteste son engagement dans la cause des femmes » (p. 87 et ss.)
See the biography on Flaubert by historian Michel Winock: “Louise Colet does not spare her efforts, she writes in abundance (...) she has political convictions. Close to feminists and socialists, which leads her to support Flora Tristan’s Labour Union newspaper. The collection of short stories, Saintes et folles, attests to her commitment to the cause of women” (p. 87 et seq.) (2) Cf. la chronique littéraire du 8 mars sur George Sand à Nohant : https://ifecosse.wixsite.com/blog/post/chronique-littéraire-à-l-occasion-de-la-journée-internationale-des-droits-desfemmes-du-8-mars (3) C’est en 1913 que débute la parution des volumes de À la recherche du temps perdu dont la nouveauté de la prose marquera radicalement l’histoire de la littérature. Avec la Recherche, la forme des œuvres de Balzac, Flaubert, Maupassant et Zola se figent bellement mais immanquablement comme des statues pour l’éternité.
It was in 1913 that began the publication of the volumes A la recherche du temps perdu. The novelty of the prose radically marked the history of literature. With Research, the form of the works of Balzac, Flaubert, Maupassant and Zola are beautifully but inevitably frozen like statues for eternity.
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LA DÉMESURE : Antigone
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Sophocle (497-405 av. J.-C.), Antigone, traduction de Paul Mazon, introduction de Nicole Loraux, éd. Les Belles Lettres, 1997
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Montesquieu, Lettres persanes, 1721.
Source : gallica.fr (BnF)
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À l’occasion de la date anniversaire de la publication des Lettres persanes de Montesquieu – publication de façon anonyme à Amsterdam en 1721.
Quand en 1721, on veut parler à ses contemporains de l’absolutisme des monarques qui se pensent au-dessus des lois ou du tyran qui gouverne selon son propre caprice, on publie anonymement et hors des frontières pour échapper à la censure royale. Et l’on rédige ainsi une fiction sous forme de lettres entre des voyageurs venus d’Ispahan « que l’envie de savoir ait fait sortir de leur pays et qui aient renoncé aux douceurs d’une vie tranquille pour aller chercher la sagesse » pour qu’ils témoignent « du monde dans sa bigarrure ». En passant ainsi par Smyrne, Venise, Livourne et Paris, les Persans communiquent pendant neuf années leurs impressions sur les usages et les curiosités des peuples d’Europe à leurs destinataires restés au pays. Depuis 1721, on a lu, relu et interprété les Lettres persanes et on s’accorde de façon unanime d’y voir une prose philosophique caractéristique des Lumières qui sonde l’esprit d’une nation pour y faire retentir le pouvoir de la Raison, seule à pouvoir dénouer le chaos naturel et social. Grâce au subterfuge du témoignage d’autrui - les voyageurs venus de Perse - on y retrouve tour à tour, la charge subversive contre « les grands magiciens » que sont le monarque et le pape (1), la critique des saints prophètes et - peu commun pour le siècle - la méfiance envers les découvertes de la technique dont certaines seraient un ferment de la destruction « Tu sais que, depuis l’invention de la poudre, il n’y a plus de places imprenables ; c’est-à-dire Usbek, qu’il n’y a plus d’asile contre l’injustice et la violence. Je tremble toujours qu’on ne parvienne à la fin à découvrir quelque secret qui fournisse une voie plus abrégée pour faire périr les hommes, détruire les peuples et les nations entières » (Lettre 105).
Pour être homme de ce monde - et bientôt citoyen de la nation - il nous faut, en toute chose, raison garder nous assurent les penseurs des Lumières et cultiver notre liberté d’esprit. Pour bonne gouvernance, savoir s’éloigner des prêches des despotes, de la perfidie de ceux qui nous gouverne et de l’intérêt - toujours bien compris - des puissants. C’est un acquis pour notre monde. Il n’y a pas à y revenir. Dans cette polyphonie des différents épistoliers où il s’agit de cultiver Raison et critiquer ouvertement les contradictions de ceux qui détiennent le pouvoir, une voix féminine inattendue s’élève dans la dernière lettre qui clôt le roman. « Selon un langage qui te paraît sans doute nouveau » écrit Roxane dans sa lettre à Usbek, son époux en séjour à Paris « Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? Que pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non! j’ai pu vivre dans la servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la Nature, et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance ». Pleine d’aversion, cette dernière lettre détonne comme une ultime charge contre l’important dignitaire d’Ispahan pour se refermer sur une échappée ultime, le suicide de son expéditrice : « C’en est fait, le poison me consume, ma force m’abandonne, la plume me tombe des mains ; je me sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs ». Dans cette ultime missive, la favorite d’Usbek regrette « ma soumission à tes fantaisies » (…) « si tu m’avais bien connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine » (lettre 146).
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Cette figure déraisonnable de celle que rien n’apaise peut s’entendre comme un écho prolongé de l’Antigone de Sophocle au sens où leur geste ultime commun font d’elles des figures fictionnelles en rupture avec l’autorité. Mais à dire vrai, en littérature, il n’en est rien ou plutôt on sait que les oppositions - même les plus agonales - peuvent se négocier. Les textes anciens nous le disent : dans l’épopée homérique, même la colère d’un demi-dieu comme Achille finira par se rétracter grâce aux astucieux conseils d’Ulysse. La tractation est un ressort de la narration.
en commun la certitude, l’obstination et la solitude. Mais quel est le véritable enjeu de leur révolte? L’emprise du despote - par ses caprices et ses désirs - sur ses sujets ? La figure de l’individualité se détachant du groupe ? À bien y regarder, toutes les oppositions dans lesquelles on peut enfermer Roxane et Antigone s’effacent à la fin des récits dans la dévastation finale. En se donnant une mort violente, elles font bifurquer la flèche de la destinée prévue par la norme du sérail d’Ispahan et du royaume de Thèbes. La singularité de ces figures féminines, c’est qu’elles ne se laissent pas À l’inverse, le geste tragique de Roxane et raisonner, ce qui les anime, c’est d’être d’Antigone anéantit tout pourparlers pos- – tragiquement - elles-mêmes. sibles et clôt toute narration. Ici, on traverse l’extrême : il s’agit de l’humain qu’il faut dégager de soi d’un geste violent. À l’usage * des Grecs anciens, son seul nom d’Antigone * * nous le dit (2). Délibérément, ces figures accélèrent le temps et - dans leur élan tragique - accèdent à la mort. Ce faisant, elles mettent In 1721, if someone wanted to talk to their un coup d’arrêt au drame intime qu’elles vivent contemporaries about the absolutism of the avec les puissants (Usbek, Créon) qui leur dict- monarchs, who thought themselves above the ent la norme, le règlement, le principe. Par cet law, or of the tyrant who governed according écart, elles nous font vivre - par procuration to his whim, they published texts anonymously - comment les enjeux ultimes peuvent être and outside the borders to escape royal cenvécus. Ici, la mort n’est pas imposée, elle est sorship. And, thus, they wrote fiction, in the une conquête : on entre dans une dimension form of letters, between travellers coming qui n’est pas accessible - sous peine d’infa- from Isfahan: “the desire to know has made mie - dans l’exisence ordinaire (3). C’est, en them leave their country and renounced the substance, le rôle de la tragédie grecque pleasures of a quiet life to seek wisdom”, to comme de la littérature que d’émettre le chant bear witness to “the world in its variegation”. de la démesure. Le temps d’une représenta- Passing through Smyrna, Venice, Livorno and tion, le spectateur athénien comme le lecteur Paris, the Persians - for nine years - commude l’ultime missive des Lettres persanes, a vu nicated their impressions of the customs and ce qu’il ne peut pas être. curiosities of the peoples of Europe to their recipients back home. Le combat de Roxane de réformer les lois du sérail, comme celui d’Antigone pour obtenir la sépulture de son frère Polynice ont
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Since 1721, we have read, reread and interpreted the Persian Letters. And we agree unanimously to see in it a philosophical prose characteristic of the Enlightenment, which examines the spirit of a nation to resound the power of Reason, the only body able to unravel the natural and social chaos. Thanks to the subterfuge of the testimony of others, the travellers from Persia, we find in turn: subversive charges against “the great magicians” that are the monarch and the Pope (1); criticism of the holy prophets and - unusual for the time - mistrust towards technical discoveries (believed to be a ferment of destruction) “You know that, since the invention of powder, there are no longer impregnable places; That is, Usbek, that there is no longer any asylum from injustice and violence. I still tremble that one succeeds in the end in discovering some secret which provides a more abbreviated way to destroy men, destroy peoples and entire nations” (Letter 105). To be a human of this world - and soon a citizen of the nation - we must keep Reason, assure us the thinkers of the Enlightenment, and cultivate our freedom of mind. For good governance, one needs to know how to recede from the sermons of despots, from the perfidy of those who govern and from the interests of the powerful. This is a done deal. There is no need to come back to it.
her husband away in Paris “How did you think that I was gullible enough to imagine that I was in the world only to adore your whims? That while you allow yourself everything, you have the right to afflict all my desires? No! I was able to live in servitude, but I was always free: I reformed your laws on those of Nature, and my spirit has always stood in independence”. Full of aversion, this last letter detonated like a final charge against the important dignitary of Isfahan to close on an ultimate escape, the suicide of its sender: “It is done, the poison consumes me, my strength is giving up on me, the quill pen is falling from my hands; I feel weakened to my hatred; I am dying”. In this final missive, the favourite of Usbek regretted “my submission to your whims” (...) “if you had known me well, you would have found all the violence of hatred there” (letter 146). This irrational figure of the one whom nothing appeases is like a prolonged echo of Sophocles’ Antigone, in the sense that their ultimate shared gesture makes them fictional figures breaking with authority. But, in literature, this is not the case, or rather we know that oppositions - even the most agonal - can be negotiated. The ancient texts tell us: in the Homeric epic, even the anger of a demigod like Achilles will eventually retract thanks to the astute advice of Odysseus. The negotiation is an energy of the narration.
In this polyphony of different letter writers, where it is a question of cultivating Reason and openly criticizing the contradictions of those who hold power, a surprising female voice rose in the last letter closing the novel. “In a language that doubtlessly appears new to you,” wrote Roxane in her letter to Usbek,
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Conversely, the tragic gesture of Roxane and Antigone destroyed all possible talks and ended all narration. Here, we go through the extreme: it is about the human that must be released from oneself with a violent gesture. As used by the ancient Greeks, her name Antigone alone tells us so (2). Deliberately, these figures accelerate time and - in their tragic impetus - reach death. In doing so, they put a stop to the intimate drama they are experiencing with the powerful (Usbek, Creon) who dictate to them the norm, the rules, the principle. Through this gap, they make us experience - by proxy - how the ultimate issues can be experienced. Here, death is not imposed it is a conquest: we enter a dimension that is not accessible - under pain of infamy - in ordinary existence (3). It is, in essence, the role of Greek tragedy, like literature, to emit the song of excess. During a performance, the Athenian spectator and the reader of the last missive of the Persian Letters saw what they would never be. The fight of Roxane to reform the laws of the seraglio, like the one of Antigone to secure the burial of her brother Polynices, have in common certainty, stubbornness and loneliness. But what is the real stake of their revolt? The hold of the despot - by their whims and desires - over their subjects? The figure of individuality standing out from the group? Taking a closer look, all the oppositions that can describe Roxane and Antigone are erased at the end of the stories in the final devastation. By killing themselves violently, they bifurcate the arrow of destiny foreseen by the norm of the seraglio of Isfahan and the kingdom of Thebes. The uniqueness of these female figures is that they do not allow themselves to be reasoned; what drives them is to be - tragically - themselves.
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Notes : (1) « D’ailleurs ce roi est un grand magicien, il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets, il les fait penser comme il veut. (...) Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t’étonner : il y a un autre magicien plus fort que lui. Ce magicien s’appelle le pape. Tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un, que le pain que l’on mange n’est pas du pain, ou que le vin que l’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce » (cf. Lettre 24).
“Besides, this king is a great magician, he exercises his empire over the very minds of his subjects, he makes them think as he pleases. (...) What I tell you about this prince should not surprise you: there is another magician stronger than him. This magician is called the Pope. Sometimes he makes him believe that three are one, that the bread that we eat is not bread, or that the wine that we drink is not wine, and a thousand other things of the sort” (cf. Letter 24). (2) « anti » « qui s’oppose », « devant » ou « contre », « gónos » « semence » ou « origine ». Antigone est née contre elle-même. Pour châtiment contre ses actes, la condamnation à mort est annoncée à l’encontre d’Antigone, elle sera emmurée vivante, mais elle devancera ce jugement et convertira en suicide (par pendaison avec son voile) la sentence du roi de Thèbes.
“anti” “who opposes”, “before” or “against”, “gónos” “seed” or “origin”. Antigone was born against herself. As punishment for her actions, the death sentence is announced against Antigone, she will be immured alive, but she will anticipate this judgment and convert into suicide (by hanging with her veil) the sentence of the king of Thebes. (3) La lettre 105 va dans ce sens : « Ils soutiennent que tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime, parce qu’il n’a jamais pu avoir d’origine légitime. Car nous ne pouvons pas, disent-ils, donner à un autre plus de pouvoir sur nous que nous n’en avons nous-mêmes : or nous n’avons pas sur nous-mêmes un pouvoir sans bornes ; par exemple, nous ne pouvons pas nous ôter la vie : personne n’a donc, concluent-ils, sur la terre un tel pouvoir » (lettre 105).
Letter 105 goes in this direction: “They maintain that all unlimited power cannot be rightful, because it could never have had a legitimate origin. For we cannot, they say, give another more power over us than we have ourselves: yet we do not have unlimited power over ourselves; for example, we cannot take our own lives: therefore no one has, they conclude, such power on earth” (letter 105).
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Les livres sont disponibles à la médiathèque de l’Institut Français. The books are available at the French Institute’s library. Institut français d’Ecosse West Parliament Square Edinburgh EH1 1RF https://ifecosse.wixsite.com/blog
written by Dr. Béatrice Malinowski (Chargée de cours / Literature Workshop) translated from French to English by Solange Daufès (Cultural Development Officer) for and on behalf of the French Institute in Scotland
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