Article L’embolie fibrocartilagineuse chez le chien : une étude rétrospective Antoine Dunié-Mérigot, Louis Huneault, Joane Parent Résumé — Les aspects cliniques de 26 chiens suspects d’embolie fibrocartilagineuse (EFC) ont été documentés et confrontés avec les résultats de deux études publiées dans la littérature. La capacité de récupération à court terme de 15 de ces patients a également été évaluée sur une période de 30 jours au moyen d’un score neurologique. Nous avons constaté, comparativement aux autres études, une plus grande proportion de localisation cervicale (15,4 %) ainsi qu’une plus grande variété de formats de races lors d’EFC. Nous avons établi qu’après 30 jours, 67 % des patients se sont améliorés et 88 % des patients non ambulatoires ont retrouvé un état ambulatoire. De plus, autant les patients présentant des signes d’atteinte de la matière grise (neurone moteur inférieur-NMI) que ceux atteints à la matière blanche (neurone moteur supérieur-NMS) ont démontré des signes d’amélioration neurologique. Nous avons donc observé que la capacité de récupération d’un animal atteint d’EFC ne semble pas dépendre de son état ambulatoire initial, ni de son atteinte NMS vs NMI, quoique le faible nombre de cas ne nous permette pas d’être affirmatifs sur ces questions. Abstract — Fibrocartilaginous embolic myelopathy in dogs: A retrospective study. The clinical aspects of 26 dogs suspected of fibrocartilaginous embolic myelopathy (FEM) were documented and compared to results from 2 studies published in the literature. The short term recovery capacity of 15 of these patients was also evaluated during a 30 day period by giving a neurological score. We have observed, compared to other studies, a larger proportion of cervical localization (15.4%) as well as a larger variety of race sizes for FEM. We have established that, after 30 days, 67% of patients had improved and that 88% of non-ambulatory patients had regained their ambulatory capacity. Also, patients showing signs of grey matter lesions (inferior motor neuron — IMN) as well as those having white matter lesions (superior motor neuron — SMN) had shown signs of neurological progress. Therefore, we have observed that the recovery capacity of an animal suffering from FEM does not seem to be impacted by its initial ambulatory state, nor by its lesions to IMN or SMN, although the low number of cases does not allow us to positively confirm this situation. (Traduit par Isabelle Vallières) Can Vet J 2007;48:63–68
L’
Introduction
embolie fibrocartilagineuse (EFC) est définie comme une obstruction des vaisseaux de la moelle épinière (artère et/ou veine) par du matériel fibrocartilagineux, provenant probablement du noyau pulpeux d’un disque intervertébral (1). La vascularisation médullaire intrinsèque, de type terminal, est très sensible aux obstructions. Une ischémie médullaire focale se produit alors, ayant pour conséquence l’apparition de signes neurologiques évocateurs d’une myélopathie. Chez l’homme, cette condition a été reconnue pour la première fois en 1961 et Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal, Département des sciences cliniques, 3200, rue Sicotte, SaintHyacinthe (Québec) J2S 7C6 (Dunié-Mérigot, Huneault); Department of Clinical Studies, Ontario Veterinary College, University of Guelph, Guelph, Ontario N1G 2W1 (Parent). Dr. Antoine Dunié-Mérigot’s current address is 2, rue de l’Ousseau, Appt 32B, 31830 Plaisance du touch, France. Address all correspondence and reprint requests to Louis Huneault; e-mail: louis.m.huneault@umontreal.ca CVJ / VOL 48 / JANUARY 2007
reste rarissime puisque seule une quarantaine de cas sont rapportés (1, 2, 3, 4). Décrite pour la première fois chez le chien en 1973 (5), l’embolie fibrocartilagineuse est également rencontrée chez le chat (6, 7), le porc et le cheval (8). L’origine et le mécanisme d’insertion du matériel fibrocartilagineux au sein d’une veine ou d’une artère sont encore mal définis. Le diagnostic d’EFC est le plus souvent un diagnostic d’exclusion des autres causes de myélopathies aiguës. L’histoire suraiguë et spontanée, la race (race géante ou grande race), l’aspect non progressif et asymétrique des signes neurologiques, ainsi que l’absence de douleur à la palpation du rachis sont les éléments évocateurs d’EFC (8). L’histopathologie reste à ce jour le seul diagnostic de certitude. Les aspects cliniques de patients atteints d’EFC semblent variables selon les études et leur potentiel de récupération reste peu documenté malgré une prévalence relativement importante de la condition, ce qui a motivé nos recherches. Le premier objectif de cette étude était d’évaluer, de manière rétrospective, les aspects cliniques (présentation, examen neurologique, imagerie médicale) de chiens atteints d’EFC, et de les confronter avec les résultats déjà parus dans la littérature. L’autre objectif était 63
Tableau 1. Comparaison de trois études en ce qui a trait au signalement, à la neurolocalisation et aux anomalies neurologiques chez des chiens atteints d’EFC
A R T I C LE
Âge (ans) Mâles Grandes races/Races géantes C1-C5 C6-T2 T3-L3 L4-S3 Douleur lors de l’incident Douleur prof. présente Asymétrie
Éude Dunié-Mérigot et coll. (26 cas suspects) 0,25-10 (méd. : 4) 57,7 % 53,8 % 15,4 % 19,2 % 34,6 % 30,8 % 23,1 % 96,2 % 73,1 %
Étude Cauzinille et coll. (36 cas confirmés)
(21 cas confirmés)
(54 cas suspects)
0,3-7 (méd. : 4) 57,6 % 75 % 2,8 % 30,6 % 19,4 % 47,2 % 44,4 % 50 % 52,8 %
1-10 (méd. : 5) 50 % 54 % 3,8 % 3,8 % 42,3 % 50 % 61,5 % 88,0 % 80,8 %
5-9 (méd. : 5) 61,9 % 80,9 % 9,5 % 33,4 % 14,3 % 42,8 % 2,2 % 33,3 % 55 %
1-11 (méd : 6) 62,9 % 74,1 % 5,6 % 11,1 % 37 % 43,3 % 14,7 % 90,7 % 64,8 %
d’évaluer et suivre au cours du temps la capacité de récupération de ces patients sur une période de 30 jours.
Matériels et méthodes La banque informatique de recherche de la Faculté de médecine vétérinaire (FMV) de l’Université de Montréal a été utilisée afin de rechercher les chiens atteints d’EFC entre janvier 1994 et mars 2004. Les critères suivants ont été documentés pour chaque cas : âge, sexe, race, neurolocalisation, douleur ressentie au moment de l’incident, douleur spinale à la palpation, rapidité et progression des signes neurologiques, présence de sensation de douleur profonde et asymétrie des signes cliniques. Les critères d’inclusion pour cette étude étaient un début aigu de déficits neurologiques reliés à une myélopathie, l’absence de progression de ces signes ou une progression sur une durée maximale de 6 heures, l’absence de douleur spinale à la palpation du rachis et l’absence de compression à la myélographie lorsque réalisée. Les patients présentant une douleur spinale à la palpation ou des signes de compression à la myélographie ont été exclus. Les données cliniques de 26 chiens ont été ainsi retenues. Une myélographie a été réalisée sur quatorze patients, et parmi eux, 10 ont eu une analyse du liquide céphalorachidien (LCR). Ces 2 derniers examens ont été complétés dans un intervalle de 48 heures par rapport au début des signes cliniques. Chaque critère a été mis en parallèle avec les résultats de 2 études publiées précédemment [(9) et (10)]. Pour chacune de ces 2 études, les cas suspects et confirmés avaient été séparés en 2 groupes distincts. Afin d’évaluer la récupération à court terme des cas recensés, un score neurologique allant de 0 à 5 (0 : animal normal; 1 : parésie ambulatoire; 2 : parésie non ambulatoire; 3 : paralysie avec perception de douleur profonde; 4 : incontinence urinaire et/ou fécale; 5 : absence de perception de douleur profonde) a été établi pour chaque animal le jour d’apparition des signes neurologiques (J0) et trente jours plus tard (J30). Quinze patients ont pu être suivis, soit par une réévaluation au service de neurologie de la FMV, soit par téléphone. Les moyennes des scores à J0 et à J30 ont été comparées au moyen d’un test de Wilcoxon. De plus, 2 sous-groupes ont été comparés, à savoir les patients ayant un score allant de 0 à 1 à J0 (animaux ambulatoires) et les patients ayant un score allant de 2 à 5 à J0 (animaux non-ambulatoires). Pour chacun des sous-groupes, l’évolution du score entre J0 et J30 a été comparée au moyen d’un test exact de Fisher. Enfin, 64
Étude Gandini et coll.
(26 cas suspects)
2 autres sous-groupes ont été comparés : les patients présentant une atteinte de type neurone moteur inférieur (NMI) (atteinte de la matière grise en C6-T2 ou L4-S3) et les patients présentant une atteinte de type neurone moteur supérieur (NMS) (atteinte de la matière blanche en C1-C5 ou T3-L3) à J0. Pour chacun de ces sous-groupes, la proportion d’animaux s’étant améliorés neurologiquement à J30 a été comparée au moyen d’un test exact de Fisher. Pour toutes les analyses statistiques, un P , 0,05 a été fixé comme significatif.
Résultats La médiane d’âge des patients de notre population atteints d’EFC (n = 26) était de 4 ans, et 58 % (n = 15) étaient des mâles (Tableau 1). Cinquante-quatre pour cent (n = 14) des chiens étaient de grande race (Golden Retriever, Border Collie, Boxer, Bouvier bernois, Doberman, Chow-Chow) et de race géante (Lévrier irlandais, Danois). Des chiens de petite race (Bichon maltais, Bichon frisé, Yorkshire terrier) et de race moyenne (Shetland, Boston Terrier, Schnauzers) ont également été recensés. En ce qui concerne la neurolocalisation, 15,4 % (n = 4) des chiens avaient une atteinte médullaire diagnostiquée en C1-C5, 19,2 % (n = 5) en C6-T2, 34,6 % (n = 9) en T3-L3, et 30,8 % (n = 8) en L4-S3. Ensuite, 23 % (n = 6) de nos patients ont ressenti de la douleur au moment de l’embolisation (Tableau 1). La perception de douleur profonde était présente chez 96 % (n = 25) de nos chiens. Des signes neurologiques asymétriques ont été retrouvés dans 73,1 % (n = 19) des cas. Des anomalies myélographiques ont été rencontrées chez 71,4 % (n = 10) des chiens sur lesquels cette étude de contraste a été réalisée. Dans la majorité des cas, une diminution de la ligne de contraste sur plusieurs espaces intervertébraux, pouvant être compatible avec de l’œdème intramédullaire, a été rencontrée (Tableau 2). Une myélomalacie focale (diagnostiquée par accumulation de produit de contraste dans la moelle épinière) et une syringohydromyélie ont aussi été diagnostiquées. Également, des changements lors de l’analyse de LCR ont été recensés chez 60 % (n = 6) des échantillons soumis pour analyse (augmentation marginale des microprotéines, légère pléocytose). Concernant l’évaluation de la récupération à 30 jours, 11 patients ont été réévalués à la FMV et 4 par téléphone pour un suivi total de 15 patients. Nous avons retenu qu’une amélioration neurologique (définie comme une diminution du score CVJ / VOL 48 / JANUARY 2007
Tableau 2. Données cliniques de 26 chiens atteints d’EFC Douleur Présence de Neuro- lors de douleur Score Cas Race Âge Sexe localisation Asymétrie l’incident profonde LCR Myélographie J0 Irish Wolfhound
3 mois F
T3-L3
Droite
Oui
Oui
RAS
2
Irish Wolfhound
6 mois M
T3-L3
Gauche
Non
Oui
3
Épagneul 9 ans F op T3-L3 Gauche Oui Oui breton
4
Golden 6 ans M L4-S3 Gauche Oui Oui Retriever
PT lombaire : 0.39 g/L
RAS
1 1
1
Atténuation ligne de contraste T8-T10
2
1*
Atténuation ligne de contraste L2-L4
3
1
5
Danois
4 ans
M
L4-S3
Droite
Non
Oui
1
6
Yorkshire
2 ans
M
C6-T2
Gauche
Non
Oui
1
7
Border Collie
6 ans
M op
T3-L3
Droite
Non
Oui
1
RAS
RAS
8
Boxer
9 ans
M op
L4-S3
Droite
Non
Oui
3
9
Golden Retriever
4 ans
M op
L4-S3
Droite
Non
Oui
1
0
1*
10 Épagneul
10 ans M op
T3-L3
Gauche
Non
Oui
2
11 Shetland
5 ans
F op
C6-T2
Droite
Non
Oui
1
0*
12 Croisé
9 ans
M
T3-L3
Droite
Non
Oui
2
0
13 Bouvier Bernois
4 ans
M
C1-C5
Droite
Non
Oui
1
1
14 Boxer
6 ans
M op
L4-S3
Non
Non
Oui
15 Bichon 3 ans F C6-T2 Gauche Non Oui RAS frisé 16 Doberman
4 1
18 Bichon 4 ans F C6-T2 Droite Non Oui maltais
PT lombaire : 0,31 g/L et PT cisternal 0,5 g/L
Atténuation ligne de contraste C6-T1
3
1
19 Bichon 3 ans M C1-C5 Droite Oui Oui maltais
PT lombaire : 0,29 g/L avec pléocytose modérée mixte
Atténuation ligne de contraste C3-C6
1
0
2
0*
Droite
Oui
Non
Oui
1
RAS Atténuation ligne de contraste C4-C6
L4-S3
Non
1
RAS
F op
L4-S3
1
PT lombaire : 0.37 g/L
3 ans
M op
2
Atténuation ligne de contraste C3-C6
17 Bouvier 5 ans F op C1-C5 Non Non Oui Bernois
20 Border collie
2 ans
Oui
21 Shnauzer 9 ans F op C1-C5 Non Oui Oui
PT lombaire : 0,36 g/L
22 Chow-Chow 3 ans F T3-L3 Non Non Oui 23 Danois
5 ans
M op
C6-T2
Gauche
Non
Atténuation ligne de contraste C3-C6 Atténuation ligne de contraste T7-T10
Oui
24 Boston 7 ans M op T3-L3 Non Non Non terrier 25 Schnauzer 4 ans F op L4-S3 Droite Non Oui miniature
26 Schnauzer 7 ans F T3-L3 Gauche Non Oui
2
5 2
Atténuation ligne 5 de contraste T12-L1 et myelomalacie focale
PT lombaire : RAS 0,76 g/L comptage leucocytaire augmenté (0,005 3 10 9/L) avec prédominance de cellules mononucléaires. Syringohydromyélie thoracique. Atténuation ligne de contraste T5 à T13
A R T I C LE
1
Score J30
1 5 (euthanasie)
2
3
Abréviations : M : mâle, M op : mâle opéré, F : femelle, F op : femelle opérée, RAS : rien à signaler, PT : protéines totales * Réévaluation à la FMV Score neurologique : 0 : normal, 1 : parésie ambulatoire, 2 : parésie non ambulatoire, 3 : paralysie avec perception de douleur profonde, 4 : incontinence urinaire et/ou fécale, 5 : absence de perception de douleur profonde.
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65
A R T I C LE
neurologique) a été constatée entre J0 et J30 sur la majorité des cas, puisque 67 % (n = 10) des patients se sont améliorés. Il est à noter que tous les patients ont bénéficié d’une physiothérapie passive de flexions-extensions des membres atteints pendant un minimum de 4 semaines lors de leur récupération, et que l’administration de corticostéroïdes était trop irrégulière pour être soumise à toute comparaison statistique. Concernant l’état ambulatoire des 15 patients, 7 étaient ambulatoires et 8 étaient non ambulatoires à J0. Parmi les patients du groupe non ambulatoire (n = 8) à J0, 87,5 % (n = 7) étaient ambulatoires à 30 jours (Tableau 2). Le seul patient de ce groupe n’ayant pas montré de signe d’amélioration a été euthanasié après 30 jours, ayant conservé un score de neurologique de 5 (aucune perception de douleur profonde) sur toute cette période. Sur les patients du groupe ambulatoire (n = 7) à J0, seulement 42,8 % (n = 3) ont montré des signes d’amélioration à J30. Aucune valeur statistique n’a pu être établie étant donné la faible puissance statistique du test (P = 0,118 et puissance = 0,09). Sur les 15 patients suivis, 8 présentaient des lésions de type NMI et 7 des lésions de type NMS. En ce qui a trait aux patients du groupe NMI (n = 8), 75 % (n = 6) se sont améliorés, tandis que parmi ceux du groupe NMS (n = 7), 57,1 % (n = 4) se sont améliorés. Aucune valeur statistique n’a pu être établie étant donné la faible puissance statistique du test (P = 0,608 et puissance = 0,07). Parmi le groupe NMI, trois patients sur quatre (75 %) avec une atteinte C6-T2, et trois patients sur quatre (75 %) avec une atteinte L4-S3 ont montré des signes d’amélioration.
Discussion La réalisation de notre premier objectif nous a permis d’identifier des différences intéressantes avec les références des études comparées, et certains points méritent d’être discutés. Malgré les médianes rapportées entre 4 et 6 ans d’âge pour l’apparition d’EFC (8, 9, 10), nous avons rencontré 2 cas de très jeune âge (3 et 6 mois) dans notre étude. Il s’agissait de Lévriers irlandais, race particulière où l’on rapporte que l’EFC survient très tôt, à savoir entre 8 et 13 semaines d’âge, selon une étude décrivant 8 cas de cette race (11). Même si un peu plus de la moitié des chiens étaient de grandes races ou géantes (53,8 %), il est important de considérer le fait que certaines petites races pourraient aussi être touchées. Cette proportion de petites races est à considérer avec prudence étant donné l’absence de cas confirmés par histopathologie. Un de ces patients (cas no 19, tableau 4) présentait une lésion neurologique cervicale C1-C5 qui pouvait faire suspecter une instabilité atlantoaxiale ou hernie discale. Ce patient avait par contre une présentation clinique très évocatrice d’EFC (tétraparésie latéralisée sans douleur cervicale à la manipulation), ne présentait aucune anomalie myélographique (passive et dynamique) de la colonne vertébrale cervicale et a complètement récupéré neurologiquement après 30 jours. De plus, nous avons également recensé dans notre population 2 Schnauzers miniatures, race pour laquelle l’EFC est la myélopathie la plus fréquente. En effet, il a été démontré qu’on pouvait rencontrer près de 46 % d’EFC contre 36 % d’hernie discale chez le Schnauzer miniature lors de myélopathie aiguë 66
(12). Encore une fois, ces cas restent tous suspects en l’absence de nécropsie. En ce qui concerne la neurolocalisation, la littérature décrit que les intumescences C6-T2 et L4-S3 sont touchées dans 78 % des cas confirmés par histopathologie, avec 31 % pour C6-T2 et 47 % pour L4-S3 (8,9). Toutefois, cette forte proportion de lésions en C6-T2 et L4-S3 pourrait être biaisée par le fait qu’un pronostic plus réservé est souvent donné aux propriétaires lors d’affection des intumescences, motivant ainsi euthanasie, et nécropsie. L’incidence modérée (19 %) des EFC au niveau T3-L3 s’explique par la diminution de la vascularisation artérielle à ce niveau, ce qui rend le matériel discal moins susceptible de s’insérer dans la vascularisation médullaire (8). La raison d’une proportion plus importante d’atteinte cervicale (C1-C5) dans notre étude de cas suspects par rapport à Cauzinille et coll. est inconnue. Nous suggérons donc la considération d’EFC dans tout diagnostic différentiel de myélopathie aiguë cervicale, peu importe le format de chien non chondrodystrophique présenté. La présence de douleur spinale au moment de l’embolisation est très variable d’une étude à l’autre (soit de 2,2 à 61,5 %). Nous pensons que la subjectivité dans le récit de l’anamnèse par les propriétaires peut expliquer ces différences, car elle se manifeste sous forme de cris ou de plaintes au moment où l’incident se produit. L’origine de cette douleur s’expliquerait hypothétiquement, selon les auteurs, par une stimulation nerveuse au niveau de l’endothélium vasculaire médullaire au site d’embolie. Cette douleur tend à se dissiper en deçà de quelques minutes. Selon notre expérience, il est parfois possible de détecter de légers inconforts à la palpation du rachis, sans pouvoir les qualifier de douleur, car ces réactions sont souvent minimales et certains chiens ont une expression de la douleur très variable. A contrario, il est rapporté que des chiens atteints d’hernie discale peuvent ne pas présenter de douleur spinale, ce qui rend alors plus difficile leur différenciation avec les EFC lors d’un simple examen clinique. Il est donc possible que, malgré les signes cliniques et l’évolution typique d’EFC, certains cas de notre étude étaient atteints d’hernie discale. La proportion de chiens ayant une sensation de douleur profonde intacte au moment du diagnostic reste élevée pour l’ensemble des cas suspects. Ce pourcentage tend à diminuer aux alentours de 33,3 à 50 % lorsqu’il s’agit de cas confirmés par histopathologie. L’explication la plus logique pour cette diminution est que les cas ne présentant pas de sensation de douleur profonde conservée avaient d’emblée un pronostic sombre, ce qui a motivé les propriétaires à demander l’euthanasie et par voie de conséquence, la nécropsie. Pour cette raison, nous avons jugé important de garder séparés les cas confirmés des cas suspects dans les études auxquelles nous avons comparé nos résultats. Les chiens de notre population étaient tous des cas suspects, dont le diagnostic d’EFC a été essentiellement basé sur l’historique, les signes neurologiques, et, pour certains, les examens complémentaires de myélographie et/ou analyse de LCR. Concernant l’imagerie médicale, la littérature rapporte que des diminutions de la colonne de contraste sur plusieurs espaces intervertébraux sont visibles sur 39 à 47 % des myélographies lors d’EFC, en comparaison avec 71,4 % dans notre étude. Ces CVJ / VOL 48 / JANUARY 2007
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descriptifs quant aux résultats présentés sur la récupération. Ceci dit, des différences de récupération entre les deux sous groupes ont été observées chez nos patients, puisque le pourcentage de chiens atteints d’une lésion de type NMI s’étant améliorés est légèrement plus élevé que les celui des chiens ayant une atteinte de type NMS. Aussi, Dhupa et coll. ont déjà rapporté que les signes de type NMI qui accompagnent les hernies discales lombaires basses (entre L3 et L7) ne prédisent pas un mauvais pronostic comparativement aux hernies entre T10 et L3 (16). Pourtant, les lésions affectant la matière grise ont en théorie un pronostic plus réservé que les lésions de la matière blanche (8), particulièrement à cause de la richesse de la matière grise en corps cellulaires qui ont des besoins énergétiques élevés et une sensibilité accrue à l’hypoxie. De plus, il y a une différence anatomique entre les intumescences cervicale (C6-T2) et lombosacrée (L4-S3) : le renflement lombosacré est situé quasi entièrement au niveau des vertèbres L4 et L5, donc sur une très courte distance en comparaison avec le renflement cervical qui s’étend des vertèbres C5 à T1. Une embolisation de fibrocartilage provenant d’un espace intervertébral de la région lombosacrée peut donc potentiellement affecter un plus grand nombre de segments de moelle épinière par rapport à un site cervical, et être ainsi plus dommageable. Par ailleurs, la moelle cervicale et une partie de l’intumescence thoracique se situent dans un canal médullaire plus large. Celles-ci ont donc plus de place lors d’œdème de la moelle, ce qui pourrait influencer la récupération. Dans notre étude, aucune différence de récupération n’a pu être observée entre les cas atteints en C6-T2 ou en L4-S3. Le système de gradation des scores neurologiques utilisé n’est pas sans faille : il est possible que des améliorations légères, mais réelles, ne soient pas perceptibles statistiquement car insuffisantes pour changer le score. Enfin, un suivi sur le long terme des chiens atteints d’EFC à 2, 6 et 12 mois serait intéressant pour observer d’autres signes d’amélioration et ainsi documenter de manière plus approfondie le pronostic de ces patients. Il est possible qu’à plus long terme les lésions de type NMS démontrent un meilleur potentiel de récupération. Aussi, le rôle de la physiothérapie et des corticostéroïdes nous paraît un point important à étudier dans le futur étant donné leur influence possible sur la récupération à court et à long terme.
Conclusion L’EFC est une myélopathie aiguë, non progressive et généralement asymétrique. L’histopathologie reste le seul diagnostic de certitude, ce qui garde la majorité des cas considérés comme suspects. Cette étude nous a permis d’observer que tous les segments spinaux doivent être considérés, y compris les neurolocalisations C1-C5, ainsi que tous les formats de race. De plus, nos résultats suggèrent que la capacité de récupération d’un animal atteint d’EFC ne dépend pas de son état ambulatoire initial ou de la neurolocalisation de la lésion, quoiqu’ils ne demeurent que descriptifs. Il ne faudrait donc pas condamner d’emblée des chiens non ambulatoires ou ayant des signes d’atteinte de matière grise. Selon la littérature, l’absence de sensation de douleur profonde reste le point clef dans la détermination d’un pronostic réservé à sombre. Selon notre expérience, seul le temps (minimum 2 à 4 semaines) et la physiothérapie sont à 67
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images sont le plus souvent des patrons intramédullaires pouvant évoquer de l’œdème. Par contre, ces lésions peuvent aussi être rencontrées lors d’hernie discale aiguë, ce qui participe à garder nos cas suspects, et non confirmés. Seule l’imagerie par résonance magnétique permet de différencier les deux conditions avec certitude dans un contexte clinique. Il a aussi été rapporté que des compressions subtiles peuvent se retrouver dans 12 % des cas d’EFC à la myélographie (7). De plus, il a été remarqué lors de résonances magnétiques de chiens suspects d’EFC que plusieurs patients présentaient, en plus de l’EFC, une composante d’hernie non compressive de noyau pulpeux, classée de manière non conventionnelle comme une hernie discale de type Hansen 3 (13). Il est possible que cette description d’hernie discale à la résonance magnétique corresponde aux compressions subtiles décrites précédemment à la myélographie. Le pourcentage plus élevé d’anomalies myélographiques dans notre étude par rapport à l’étude de Gandini et coll. pourrait s’expliquer par l’utilisation de la radiographie numérique dans notre population. Cette technique permet, au moyen d’écrans informatiques, d’agrandir ou de modifier le contraste radiographique. Certaines lésions douteuses sur des radiographies standards deviennent plus interprétables avec la technique de numérisation. L’expérience des radiologues et la surinterprétation pourraient également jouer un rôle dans la variation des résultats. Le manque de cas ne nous a pas permis de vérifier précisément les influences des scores cliniques neurologiques, de la neurolocalisation ou de l’asymétrie des lésions sur la récupération, mais la formation de sous-groupes nous a permis de répondre de manière descriptive à notre deuxième objectif. Nous avons pu confirmer qu’une amélioration générale des signes cliniques sur 30 jours se produisait, autant pour le groupe ambulatoire que non ambulatoire. La capacité de récupération d’un chien atteint d’EFC ne semble donc pas dépendre de son état ambulatoire initial, puisque 87 % des patients non ambulatoires au jour zéro ont retrouvé un état ambulatoire 30 jours plus tard. Ces résultats corroborent ceux de Gandini et coll. selon lesquels il n’existe pas de corrélation entre la localisation de la lésion, la sévérité de l’atteinte motrice, les anomalies myélographiques et le temps de récupération (10). Enfin, d’après cette même étude, 90,7 % des cas suspects ont retrouvé un état ambulatoire. De ceux qui ont récupéré, 73 % l’ont fait en 2 semaines. Une autre étude a démontré que 74 % des chiens qui avaient une perception de douleur profonde au moment du diagnostic ont montré des signes d’amélioration, mais leur état ambulatoire n’a pas été documenté (9). La présence de sensation de douleur profonde est rapportée comme étant le meilleur indicateur pronostique des dommages médullaires. Ceci est particulièrement vrai pour les hernies discales où on rapporte un retour à un état neurologique normal pour 65 à 96 % des patients ressentant une douleur profonde avant chirurgie décompressive, contre 25 à 76 % pour ceux ne ressentant pas une douleur profonde (14–15). Enfin, nous n’avons pu établir de comparaison statistique fiable quant à la capacité de récupération des chiens présentant une atteinte de type NMS vs NMI. Le faible nombre de cas rend l’interprétation trop délicate, et la puissance du test statistique trop faible. Pour cette raison, les auteurs ont décidé de rester
considérer pour favoriser l’amélioration neurologique. L’utilité des corticostéroïdes reste à déterminer.
Remerciements
A R T I C LE
Les auteurs remercient M. Maxim Moreau pour les analyses statistiques. CVJ
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CVJ / VOL 48 / JANUARY 2007