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Les contemporains
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EN CE NOUVEAU SIÈCLE, LA VILLE APPARAÎT comme un organisme doué d’une vie propre qui demeure
l’espace visuel par excellence, le théâtre des images. Dans ses rues, très fréquentées, ou désertes comme dans Noturnos, il y a des histoires de rencontres et de désunions, tant dans la périphérie de La última ciudad que dans le centre d’Antifachada. Parfois, la ville dénonce les marques de la décadence, comme on l’observe dans Siesta argentina. Par contraste, Rio ou Lima Perú montrent des agglomérations urbaines à travers des détails qui privilégient certains aspects au détriment d’autres ou sélectionnent des portraits précis, évitant toute prétention à l’objectivité. Ce qui a pour effet de convertir ces deux villes en territoires presque rêvés, totalement fictifs. Aeroporto suggère quelque chose de similaire, une réflexion sur des no man’s land régis par l’anonymat et par la surveillance. Dans certains cas, le sujet abordé est l’ostentation, comme celle de Ricas y famosas, ou la façon dont se divertissent les classes privilégiées, personnifiées ici par l’exhibitionnisme de Miguel Calderón. Le regard des photographes fait alors preuve d’une certaine économie langagière et semble préférer que l’excès d’images les fasse parler par elles-mêmes, sans mots ni critiques. Par opposition au motif urbain, la nature est présentée comme un territoire menacé. Cette menace peut se voir dans les plantes souffrantes qui nécessitent des soins, comme dans Naturata, mais aussi dans l’exploitation de la terre et les altérations du paysage amazonien de Gente x Mato, ou dans la manière dont l’homme élève, domestique, enferme et sacrifie les animaux, comme dans On the Sixth Day. Le sport est sans doute l’un des plus grands pourvoyeurs d’images et de métaphores de notre époque. Spectacle à part entière, véhicule d’une éventuelle identité collective ou d’une possible ascension sociale, son influence en Amérique latine est indéniable. C’est ce qu’indiquent le passionné Espectacular de lucha libre et le flegmatique –los Amorales, deux versions du monde à partir de la lutte libre mexicaine, ou encore Potrero, qui traite des gens autour du football populaire argentin. La tentation de se tourner vers le passé est présente parmi nos contemporains, souvent avec des résultats surprenants : Archivo porcontacto et O archivo universal sont deux travaux de culture d’archives, qui non seulement récupèrent des œuvres de photographes anonymes ou des coupures de presse oubliées mais encore offrent un contexte qui nous est nécessaire pour pouvoir se situer au jour où nous sommes. Enfin, l’émigration, les déplacements de masses de population intéressent aussi les auteurs de livres de photographies de notre temps. Los que quedan décrit la façon dont les terres américaines, jadis destination des émigrants d’autres régions, subissent un continuel exode de population, comme nous le montre Geovanny Verdezoto, le photographe le plus jeune présenté dans ce livre.
202 Pablo Ortiz Monasterio La última ciudad | 204 Facundo de Zuviría Siesta argentina | 206 Claudia Jaguaribe Aeroporto | 208 Bob Wolfenson Antifachada - Encadernação dourada | 210 Cássio Vasconcellos Noturnos São Paulo | 212 Claudio Edinger Rio | 213 Mario Testino ed. Lima Perú | 214 Lourdes Grobet Espectacular de lucha libre | 215 Carlos Amorales —los Amorales | 216 Daniela Rossell Ricas y famosas | 217 Gustavo Di Mario Potrero | 218 Miguel Calderón | 220 Oscar Muñoz Archivo porcontacto | 221 Rosângela Rennó O arquivo universal e outros arquivos | 222 Graciela Iturbide Naturata | 224 Alessandra Sanguinetti On the Sixth Day | 225 Pedro Martinelli Gente x Mato | 226 Geovanny Verdezoto Los que se quedan
photographie : Pablo Ortiz Monasterio
m : Jack Woody, Pablo Ortiz Monasterio
1995
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1996 | La última ciudad
Pablo Ortiz Monasterio La última ciudad Photographie Pablo Ortiz Monasterio Mise en page Jack Woody, Pablo Ortiz Monasterio Texte José Emilio Pacheco Deuxième édition Mexico : Casa de las imágenes, 1996. 250 x 185 mm, (106) pages, 59 photographies noir/blanc, impression héliogravure Nisha Printing Co (Kioto), couverture rigide avec jaquette illustrée. Tirage 2000 exemplaires.
Dans les premières années de la décennie 80, Pablo Ortiz Monasterio dirige et conçoit graphiquement une collection de livres photographiques intitulée ‘México indígena’. Son travail porte aussi sur des communautés indigènes suivant un modèle documentaire distancié et engagé. Son propos est d’enregistrer l’inconnu, l’étrange et le distant. Toutefois, il l’abandonne lors de sa publication en 1982 de Testigos y cómplices (« Témoins et complices »), une plaquette comportant 13 photographies urbaines qui forment une narration visuelle réitérative et plutôt sinistre. La trame est sombre comme dans un récit policier et trouble comme dans un roman-photo plein de désirs et de frustrations. Sur la couverture, une voiture brûle près d’une cabine téléphonique, sans autre témoin que le photographe invisible. Ortiz Monasterio découvre « que le voyage ne consiste pas à prendre un avion ou un camion pour arriver dans un endroit ignoré comme dans le roman Les pas perdus de Carpentier, mais se rapproche plutôt de ce que Borges explique dans « L’Aleph » : à l’intérieur d’une petite réalité l’univers entier peut être écrit. À partir de là, il devient un photographe urbain qui tente de « construire un long essai présentant une cohérence interne » sur la ville dans laquelle il vit, mais qu’il ne connaît pas. Cet essai a un précédent, le livre de photos de Nacho López La ciudad de México III, seulement tout a changé et continue de changer jour après jour. La ville ne peut être enregistrée que comme un ensemble incongru, que l’on aime même si on ne le comprend pas ou peut-être pour cela même. Au lieu de procéder à une typologie, Ortiz Monasterio décide de « monter un projet qui rende compte de la façon dont on marche dans la ville, montre les conditions matérielles et l’énergie des gens, accueille les surprises ». Dix ans plus tard, il réalise
des maquettes avec des photocopies à fort contraste collées sur des cahiers, dont l’une parvient aux mains d’un éditeur qui imprime le livre dans l’une des dernières imprimeries utilisant encore les techniques de l’héliogravure. Le récit visuel de La última ciudad (« La dernière ville ») s’ouvre sur la présentation d’un enchevêtrement indéchiffrable de câbles. Les murs, par exemple, renvoient aux exécutions de la révolution, mais sont aussi, comme le fait observer Emilio Pacheco, « des symboles du Mexique toujours inachevé ». D’autres symboles patriotiques rivalisent avantageusement avec l’habituelle imagerie urbaine, en créant une confusion de signaux presque illisibles. Les gens qui n’ont guère mieux à faire que d’attirer l’attention du photographe, sont lumineux, du moins émotionnellement. Ils partagent le territoire avec des chiens abandonnés et regardent souvent le lecteur, excepté un aveugle qui semble sorti de Los Olvidados de Buñuel. L’innocence et la bonne humeur prédominent, mais aussi la méfiance et la menace, qui se muent dans l’épilogue en représentations rituelles dans lesquelles les cultes se confondent, les sacrifices abondent et la mort est respectée, cette fois plaisanterie à part. La última ciudad est un récit nihiliste sans commentaires ni jugements, qui montre mais n’explique pas, et maintient « l’histoire confuse et claire la peine » que ce recommandait Antonio Machado. C’est la « ville des pauvres », ses « habitants naturels » comme l’affirme Pacheco : « les autres, nous sommes devenus des étrangers, bien que nous soyons nés et que nous ayons vécu ici ». Une bonne nouvelle pour les ethnologues, dont les études de terrain sur ‘les autres’ s’effectueront dans les faubourgs, au lieu d’exiger de coûteuses expéditions vers de lointains déserts.
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p : Facundo de Zuviría
m : Pablo Sara
2003
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Facundo de Zuviría Siesta argentina Photographie Facundo de Zuviría Mise en page Pablo Sara Texte Lucas Fragasso Buenos Aires : Éditions Larivière, 2003. 185 x 245 mm, 1 feuille pliable en lepporello, (52) pages, 46 photographies, couverture rigide, boîte illustrée, tirage 850 exemplaires, 49 numérotés et signés par l’auteur avec une photographie originale.
2003 | Siesta argentina Siesta argentina (« Sieste argentine ») contient 2 séries de photographies de modestes commerces de Buenos Aires, épiceries, bars, teintureries, ateliers, dont les façades présentent un même modèle architectural : une porte flanquée de 2 vitrines ; ouverte dans l’une des séries, fermée dans l’autre. Les persiennes métalliques, les écriteaux, les graffitis et les affiches, les peintures écaillées, les rideaux derrière les vitres et autres détails similaires forment les variations sur le thème, ‘la façade de 8, 66 mètres’ qui se répète presque à l’identique dans toutes les rues commerçantes de la ville et que Facundo de Zuviría enregistre consciencieusement depuis les années 80. À première vue, le livre semble un exercice d’archéologie urbaine strictement documentaire, dans la lignée des typologies de Bernhard et Hilla Becher : le même motif maintes fois réitéré, un cadrage frontal toujours identique, photographie après photographie les mêmes détails recherchés avec une ferveur de collectionneur. La similitude dans la méthode est évidente, mais les contenus sont très différents. Les photos de Facundo de Zuviría montrent une ville sans citadins et arrêtée dans le temps, une parenthèse dans laquelle l’activité est suspendue, comme si tout Buenos Aires s’était étendue un moment en milieu de journée. L’heure de la sieste argentine coïncide avec la situation sociale critique du pays après la crise de la fin de l’année 2001. À la fuite des capitaux d’abord et au gel des dépôts bancaires ensuite, le fameux ‘corralito’, font suite la paralysie du système productif et commercial, la suspension des paiements et la dévaluation de la monnaie. La récession des 4 années suivantes ruine la classe moyenne, fait cesser de fonctionner les commerces photographiés par Facundo de Zuviría et enterre la
ville joyeuse et confiante de Buenos Aires Buenos Aires et d’autres livres de photos urbains comme Qué haces, Buenos Aires… (« Que fais-tu Buenos Aires…? ») (1967) de Julio Lagos, où l’auteur interdit de lire deux instantanés de ‘vagabonds’ comme des « évasions » de la « réalité frustrée » du Portègne. Siesta argentina revient au décor d’Horacio Coppola, un théâtre soudain à nouveau vide dans lequel quelqu’un récite à Borges : « Buenos Aires c’est l’autre rue, celle dont je n’ai jamais foulé le sol, c’est le centre secret des pâtés de maisons, les
patios ultimes, c’est ce que dissimulent les façades (…) c’est ce qui a été perdu et ce qui adviendra, c’est l’ultérieur, l’étranger, le latéral, le quartier qui n’est ni le tien ni le mien, ce que nous ignorons et que nous aimons ».
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p : Claudia Jaguaribe
m : Rodrigo Cerviño López
2002
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2002 | Aeroporto
Claudia Jaguaribe Aeroporto Photographie Claudia Jaguaribe Mise en page Rodrigo Cerviño López Texte Julio Bueno, Claudia Amorim, Agnaldo Farias São Paulo : Codex, 2002. 255 x 215 mm, (120) pages, 84 photographies couleur, couverture rigide illustrée, tirage 3000 exemplaires.
Aeroporto est un texte visuel sur des lieux de passage convertis en salles d’attente permanente, qui se répètent comme une vidéo en boucle chaque fois que l’on voyage. Attendre signifie du temps et avoir du temps est l’occasion d’une observation que Claudia Jaguaribe ne veut pas laisser passer. Sa curiosité s’arrête sur des surfaces anonymes plus que sur la surdose de signaux codés et de messages illisibles. Au lieu de décrire le fonctionnement des machines, d’énoncer des problèmes ou de dénoncer des arbitraires, Claudia Jaguaribe se borne à observer le lieu et son contenu, les choses et les gens qui l’occupent. « Il s’agit d’un essai sur l’espace, le temps et le mouvement », dit la photographe, alors confrontée à la paranoïa sécuritaire qui suivit le 11 septembre 2001 et transforma les aéroports en no man’s land rigoureusement surveillés, où son appareil photographique moyen format n’était pas le bienvenu. Elle dut réduire le nombre d’aéroports photographiés, inconvénient qui au bout du compte se révéla avantageux pour le projet. Claudia Jaguaribe découvrit qu’il n’était pas nécessaire de voyager pour réaliser cet essai, dans la mesure où un aéroport est « un concept » ; les petites différences entre l’un et l’autre n’importent pas autant que « l’intensité de la représentation ». Comme cela arrivait fréquemment dans les premières années du nouveau siècle, si prodigues pour l’industrie culturelle, le projet Aeroporto allait de pair avec une exposition et son monotone catalogue habituel. Claudia Jaguaribe parvint à rompre la routine du monde de l’art et à faire de son livre une œuvre d’auteur, présentant le même niveau d’exigence que l’exposition. L’artiste estime que photographier, éditer et exposer constituent les parties d’un seul et même processus, mais distinctes, dotées d’une personnalité propre. « Le livre crée un ensemble ordonnancé, dirigé et plus intime ; l’exposition est une installation avec vidéo, son et images de grand format créant un ensemble enveloppant. »
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p : Bob Wolfenson
m : Raul Loureiro
2004
Bob Wolfenson Antifachada - Encadernação dourada Photographie Bob Wolfenson Mise en page Raul Loureiro São Paulo : Cosac & Naify, 2004. Boîte contenant 10 affiches (Antifachada), un livre de photos (Encadernação dourada) et un catalogue d’exposition. Boîte : 310 x 252 x 35 mm, cartonnée, deux versions, dont l’une illustrée. Antifachada : 10 affiches dépliables, photographies couleur, diverses dimensions. Encadernação dourada : texte Bob Wolfenson, 300 x 240 mm, (120) pages, 63 photographies noir/blanc et couleur, couverture souple. Catalogue : texte Denio Munia Benafatti et Rubens Fernandes Junior, 300 x 240 mm, (16) pages, photographies couleur, couverture souple. Tirage 3000 exemplaires, 320 numérotés et signés par l’auteur.
2002 | Antifachada La boîte de Bob Wolfenson est la somme de 3 projets. Le premier, intitulé Encadernação dourada en raison de la couleur de ses couvertures, est un album de famille, une collection de portraits des personnes qui forment la mémoire affective de l’auteur. Le deuxième, Antifachada, montre des détails de façades d’édifices de São Paulo sur des photographies d’une très haute définition, laquelle permet d’observer tant la forêt dans son ensemble que chacun de ses arbres. Enfin, le troisième est le catalogue d’une exposition présentée au MAB-Faap de São Paulo, dont Rubens Fernandez Junior fut le commissaire. Le traitement graphique diffère. Wolfenson travailla sur une maquette qui devint un livre de photos avec des images pleine page, presque toujours sur double page, sans autre texte que le petit prologue de l’auteur et une liste d’œuvres en fin d’ouvrage. Les 10 clichés d’Antifachada étaient monumentaux lors de l’exposition. Raul Loreiro, le graphiste, voulut conserver l’échelle sans recourir à la solution qui coulait de source, un livre énorme. Il eut recours aux affiches, qui généralement sont grandes mais aussi pliables ; ainsi obtint-il un élégant contraste avec la collection de portraits et de plus une copie de l’exposition, pour une fois portable. Pour réunir les deux, il fallait une boîte. Wolfenson est un photographe spécialisé dans la mode et dans la publicité, qui est parvenu à élaborer de temps à autre des projets personnels, pour lesquels il est son propre client. Sa mémoire
personnelle est le fil conducteur entre les séries, qui forment « une autobiographie de circonstances », non narrative. Wolfenson a vécu de longues années dans le centre de São Paulo, le quartier où se dressent les édifices d’Antifachada, dont les œuvres d’architectes brésiliens comme Oscar Niemeyer. Mais les photos de Wolfenson ne sont pas exactement des photos d’architecture, pas même dans la variante germanique de la photographie architecturale. En théorie, la définition des images de Wolfenson permet de s’approcher des fenêtres et presque de se glisser dans les logements que les façades cachent, comme le faisait James Stewart dans Fenêtre sur cour. En réalité, il n’en est pas ainsi : il n’y a pas grand-chose à voir et il n’est pas possible de traverser les rideaux, mais Wolfenson suggère cette possibilité. « Un critique a affirmé que j’avais bouleversé l’ordre des choses, que j’avais converti le privé en public à travers encadernação dourada, et le public en privé avec les antifachadas. Comme elles ont été faites avec un appareil de négatif 20x25 cm, la définition des dernières photos était si grande qu’elle permettait au regard de pénétrer du dehors vers le dedans ».
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p : Cássio Vasconcellos
m : Cássio Vasconcellos, Hélio Rosas
2002
2002 | Noturnos São Paulo
Cássio Vasconcellos Noturnos São Paulo Photographie Cássio Vasconcellos Mise en page Cássio Vasconcellos, Hélio Rosas Texte Cássio Vasconcellos, Nelson Brissac, Rubens Fernandes Junior São Paulo : Bookmark, 2002. 143 x 176 mm, 248 pages, 96 photographies couleur, couverture rigide illustrée (avec 3 variantes de la couverture en leporello), tirage 1800 exemplaires.
Noturnos de Cássio Vasconcellos est une vision photographique d’une ville qui se passe de ses habitants, dont il ne reste que des traces et des résidus sur les images. Cette fois, tous les clichés ont été pris de nuit, bien que paradoxalement ils soient saturés de couleurs, et non des typiques noirs profonds associés au livre de photos classique de nocturnes urbains, Paris de nuit (1933) de Brassaï. Vasconcellos entreprit la série en 1998 dans les alentours d’une autoroute urbaine de São Paulo, la Marginal do Pinheiros, utilisant dans ses déambulations nocturnes un ancien appareil Polaroïd SX-70. Les raisons de ce choix sont expliquées dans l’introduction de Noturnos : « Mon travail personnel est fondamentalement en noir et blanc. La couleur, seulement en polaroïd, qui confère aux photos un fini particulier en termes de résolution et de texture, exactement ce qui me fascine ». Le procédé se poursuivait par le scannérisation des polaroïds et leur reproduction sur papier au moyen d’imprimantes à jet d’encre. Comme l’intensité et la variété d’une gamme chromatique dépendent de l’éclairage, Vasconcellos travailla consciencieusement les lumières. Les détails architecturaux, industriels ou résidentiels qui apparaissent sur les photos sont imprégnés des tonalités orangées, verdâtres, bleutées ou jaunâtres des feux de signalisation, des éclairages au néon, des phares des automobiles et des lampes, lanternes et réflecteurs de couleurs utilisés par le photographe. Il en résulte une excursion urbaine bien plus visuelle que documentaire, une ville méconnaissable, « un Paulo qui n’existe pas », comme l’a écrit Nelson Brissac. Vasconcellos obtint des effets qui ne pouvaient laisser d’être cinématographiques, mais sans l’existence d’un scénario, d’une trame qui se développerait sur la scène comme au cinéma, auquel renvoie Noturnos plus qu’à l’histoire de la photographie. L’absence d’action remplit ces clichés de silence et de mystère, un mystère que ne dévoile aucun titre.
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p : Claudio Edinger
m : Claudio Edinger, Tatiana Wessel
2004
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Claudio Edinger Rio Photographie Claudio Edinger Mise en page Claudio Edinger, Tatiana Wessel Texte Pedro Krap, Claudio Edinger São Paulo : DBA, 2004. 280 x 280 mm, (142) pages, 87 photographies noir/blanc, couverture rigide avec jaquette illustrée, tirage 3000 exemplaires.
2004 | Rio À partir des années 8O, Claudio Edinger produisit des livres de photographies. Il les considérait comme un moyen d’expression supérieur aux autres : « avec le livre on peut approfondir et on n’est limité que par ses propres limites. Il n’y a pas les limites spatiotemporelles qu’une revue ou un travail commercial imposent. » Edinger commença à les confectionner durant son séjour de plus de deux décennies à New York en fonction de la thématique urbaine et nordaméricaine des reportages que lui commandaient les revues. La vie réelle était à Manhattan et Rio faisait partie du royaume des rêves. Au début du siècle, Claudio Edinger s’établit à São Paulo et se mit à fréquenter sa ville natale (où il avoue n’avoir jamais vécu) pour préparer ce livre,
un projet à long terme programmé, photographié, édité et mis en page par son auteur et publié 4 ans plus tard. La marque d’Edinger est la mise au point sélective, un artifice optique qui lui permet de faire ressortir certains aspects de l’image au détriment d’autres. Ce procédé crée des conflits mais l’artiste n’est pas gêné par les contradictions : « la mise au point sélective crée un paradoxe : elle accepte et met en question les lieux totalement ambigües dans lesquels nous vivons ». Dans Rio, la mise au point sélective transforme les choses en taches et en silhouettes impressionnistes qui télescopent l’exactitude matérialiste des détails mis en valeur. La moitié des photos traitent des célèbres
plages cariocas, une destination touristique où les contradictions de la ville s’estompent, surtout dans la fiction des images, qui voit le jour dans les livres de photographies avec les ‘documentaires’ édités par Erich Eichner pour les Éditions Kosmos dans les années 40, et qui s’achève pour l’heure par les apothéoses de corps et de sable d’O Rio de Janeiro (1986) de Bruce Weber et de Rio Erotico d’Otto Stupakoff (2006). L’ouvrage d’Edinger est lui aussi une fiction, quoique moins hédoniste. « Mon Rio est cet endroit où nous nous dépouillons de nos vêtements superflus et où, idéalement, nous trouvons égalité et fraternité : la plage. »
p : Divers
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Mario Testino, éd. Lima Perú Photographie et illustration de « plus de 100 artistes péruviens » Mise en page Higher+Higher Texte Mario Testino, Mario Vargas Llosa, Charlotte Burenius, Rafo León Bologne : Damiani, 2007. 345 x 240 mm, (280) pages, 140 illustrations noir/blanc et couleur, couverture rigide illustrée.
2007 | Lima Perú Mario Testino est un photographe reconnu, mais Lima Perú n’est pas une anthologie de ses images. En réalité, il ne s’agit pas d’un livre exclusivement photographique. Et les « plus de 100 artistes péruviens » mentionnés sur la couverture sont beaucoup moins nombreux dans les crédits des reproductions. Sur les près de 250 pages illustrées, figurent des tableaux de Ricardo Weisse, Carlos Enrique Polanco et Fernando Gutiérrez ; des affiches de Jesús Ruiz Durand et bon nombre de photographies de presse et d’archives de photographes plus ou moins reconnus et d’artistes récents qui font des photos. Parmi eux, Miguel Andrade, José Casals, Carlos Domínguez, Renzo Giraldo, Philippe Gruenberg, Billy Hare, Pablo Hare, José Carlos Martinat, Daniel Pajuelo, Susana Pastor, Herman Schwarz et, bien sûr, Mario Testino, l’éditeur du livre. Publié en Italie, Lima Perú est conçu graphiquement comme une revue japonaise dans une agence de publicité britannique. « Pendant des années j’ai cherché un livre sur Lima pour pouvoir montrer à tout le monde que le Pérou ce n’est pas seulement des montagnes et des flammes », écrit Mario Testino dans l’introduction de son livre, à l’intérieur duquel seule une photo de Daniel Pajuelo peut rappeler Martín Chambi, José Sabogal o tout autre artiste partisan de l’indigénisme. « Pour moi — écrit Testino —, la magie de Lima réside dans sa mixité, et je voulais faire un livre qui reflète cette incroyable diversité ». L’objectif est atteint sur une scène nommée Lima et où évoluent des foules bigarrées : acteurs, danseurs, baigneurs, éboueurs, serveurs, souteneurs, dandies, supporters, freaks, footballeurs, bagarreurs, cavaliers, militaires, mannequins, religieuses, musiciens, enfants, amoureux, ouvriers, policiers, prêtres, surfeurs, toreros, vendeurs ambulants…
m : Higher+Higher
2007
p : Lourdes Grobet
m : Juan Carlos Mena, Óscar Reyes
2005
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Lourdes Grobet Espectacular de lucha libre Photographie Lourdes Grobet Mise en page Juan Carlos Mena, Óscar Reyes Texte Carlos Monsiváis, Gabriel Rodríguez Mexico : Trilce, 2005. 279x216 mm, 320 pages, 385 photographies noir/blanc et couleur, couverture souple illustrée.
2005 | Espectacular de lucha libre Quand on interroge Lourdes Grobet sur ses objectifs de Espectacular de lucha libre (« Spectaculaire de lutte libre »), l’artiste répond qu’elle n’en a eu qu’un seul, « d’emblée je suis tombée amoureuse de ce spectacle, je me suis battue pendant 20 ans pour parvenir à cette publication ». Grobet commença à photographier le monde de la lutte libre mexicaine au début des années 80, mais elle tenait cette passion de longue date, de l’époque où on ne la laissait pas entrer dans l’enceinte de l’Arena parce que : « ce n’était pas un spectacle pour dames » et qu’elle devait se contenter de regarder les combats à la télévision. En ce temps-là, Lourdes Grobet était une artiste versatile, oscillant entre le théâtre et la photographie, art auquel elle recourait pour enregistrer ses actions, comme tous les artistes conceptuels des années 70. Mais c’était là parfois le thème de la performance quand elle abordait des sujets comme l’autoportrait ou les espaces domestiques ; ainsi, l’installation « A la mesa » (« À table ») (1973) ou le
formidable livre de photographies sur des salles de bains et sur des questions féministes en collaboration avec Magali Lara, Se escoge el tiempo (« On choisit le temps ») (1983). Photographier la lutte libre mexicaine fut pour l’auteur une manière de faire du documentaire sans perdre son sens de l’humour. « Je m’étais promis de ne pas faire de photos d’Indiens pas même par un biais folklorique, mais quand j’ai commencé à faire des portraits de lutteurs je me suis rendu compte que eux sont l’Indien projeté dans la ville ; j’ai rencontré ce Mexique profond qui m’intéresse. » Comme le ring, le combat, n’étaient pas suffisant pour représenter la profondeur souhaitée, Grobet
photographia les lutteurs (et les lutteuses) avant et après le combat, dans leur vie privée, de même que le public des gradins, composé en grande partie de femmes passionnées. Les mœurs avaient changé depuis l’enfance de Lourdes Grobet. À en juger par les centaines de photographies d’Espectacular de lucha libre, les héros masqués sont très photogéniques. Et ils le savent si bien qu’ils gardent leur masque en dehors de leur temps de travail. Comme le dit Lourdes Grobet, à propos du légendaire lutteur El Santo, « alors que je voyais tout le monde corrompu par la renommée, je découvre enfin que l’homme le plus célèbre du Mexique ne l’assume pas et joue en plus avec l’anonymat ».
p : Divers
215
m : Mevis & Van Deursen
Carlos Amorales —los Amorales Mise en page Mevis & Van Deursen Texte Patricia Ellis, Cuauhtémoc Medina, Philippe Vergne, Rein Wolfs, Carlos Amorales Amsterdam : Artimo, 2000. 290 x 215 mm, 212 pages, 162 photographies et coupures de vidéo, couverture souple illustrée, tirage 2000 exemplaires.
2000 | —los Amorales Carlos Amorales prit au sérieux l’unité art-vie : quand il entreprit de faire un travail sur la lutte libre mexicaine, il devint lui-même lutteur et organisa des combats. Si l’art est fiction, la lutte n’est pas très réaliste. Ses modèles sont puisés dans la danse plus que dans le sport, à commencer par les masques, authentique commedia dell’arte. Comme les artistes conceptuels des années 70, Amorales tâchait de photographier et de filmer dans la mesure du possible, les actions/combats, bien entendu, mais aussi des éléments liés à ce sport, et notamment les masques : des autoportraits qui lui permettaient de se démultiplier dans des affrontements schizophrènes, Amorales vs Amorales. Comme l’a
relaté l’artiste, les spectateurs avertis de l’Arena México les critiquèrent. Ils étaient trop simples pour un public habitué à un rite plus que baroque. Le livre d’artiste —los Amorales fut conçu dans le studio Mevis & Van Duersen d’Amsterdam, où Carlos Amorales résida au cours des années 90. L’ouvrage reprend l’iconographie de la lutte mexicaine, les affiches, la typographie, les formes des masques et les capes des catcheurs, les couleurs de la fête. Mais sans limitations documentaires ni imitations vintage, au contraire. Le livre semble un hommage au design graphique d’avant-garde des années 20 ; ainsi, à celui de Piet Zwart, auquel renvoie un excellent
travail typographique (police de caractères linéale géométrique, continuels changements de couleur et de corps, surimpressions de paragraphes), lequel fait ressortir les images, les photographies et de vibrants extraits de vidéo qui changent de couleur selon la typographie. Un grand travail de ‘typophotographie’, sans complexes, pour lequel Amorales et Mevis & Duersen laissèrent les préjugés de côté et montrèrent comme il est simple et avantageux d’oublier les différences entre ‘haute’ et ‘basse’ cultures.
2000
p : Daniela Rossell
m : Daniela Rocha
2002
Daniela Rossell Ricas y famosas Photographie Daniela Rossell Mise en page Daniela Rocha Texte Barry Schwabsky Madrid : Turner, 2002. 330 x 220 mm, (160) pages, 83 photographies couleur, couverture souple illustrée, tirage 5000 exemplaires.
2002 | Ricas y famosas L’objectif déclaré de Daniela Rossell dans Ricas y famosas (« Riches et célèbres ») est de « documenter les objets que décident de mettre dans leurs maisons, l’ambiance dans laquelle vivent et le style avec lequel choisissent de s’identifier » les personnes qui apparaissent sur les photos. Apparemment, un ambitieux reportage sur la décoration entrepris en 1993, année où Rossel présenta dans une galerie une édition de photos plastifiées avec portraits dans des intérieurs luxueux. Publié en 2002, le livre causa un grand scandale. La presse critiqua l’exhibitionnisme obscène et le mauvais goût des riches mexicains qui y sont montrés. Il fut également révélé que la corruption politique était à l’origine de ces fortunes. Le petit groupe avec lequel Rossell travailla appartient à la classe qui doit sa fortune au Partido Revolucionario Institucional, au pouvoir entre 1929 et 2000 : les Salinas de Gortari et Díaz Ordaz, les Rovirosa et Rossell, apparentés à la photographe, dont la photo sur le revers du livre comporte l’emblême du PRI. Tant de coïncidences rendent assez improbable une lecture de Ricas y famosas autre que celle d’une dénonciation sociale, d’une caricature de l’oligarchie mexicaine à partir de jeunes femmes blondes légèrement vêtues, dans laquelle se sous-entend la présence d’exploitateurs coiffés de hauts-de-forme. Mis à part la « rancœur sociale », si bien décrite par Carlos Monsiváis dans son commentaire, Ricas y famosas peut se prêter à d’autres interprétations. À une lecture sexuelle, par exemple. Les photos montrent des femmes à l’intérieur de fantasmes devenus réalité, des femmes qui vivent, par héritage, par achat ou par mariage, dans le monde de fiction des films et des revues ‘people’, des femmes enfermées dans des cages dorées, mais toujours enfermées, qui jouent à en paraître d’autres auprès de leur semblable, la photographe, qui en fait elle aussi une lecture particulière : « Ces photographies
sont des collaborations, des reconnaissances mutuelles, des points nodaux entre mes désirs (par exemple, capturer des représentations de certains concepts, comme l’excès/la richesse, la séduction, la vanité, ce qu’une photographie d’ « intérieurs » veut, la relation amoureuse avec les objets qui constituent des mises en scène personnelles, la construction imaginaire de la personnalité ou de l’identité) et celui du sujet photographique en question, qui explore dans cet acte la question : ‘Comment ai-je envie être vu ?’ »
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p : Gustavo Di Mario
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m : Roy García, Romina Ganovelli
2007 | Potrero
Gustavo Di Mario Potrero Photographie Gustavo Di Mario Mise en page Roy García, Romina Ganovelli (rockinstrumentbureau) Texte Diego Armando Maradona, Alberto Goldenstein Buenos Aires : Retina, 2007. 220 x 170 mm, (128) pages, 106 photographies couleur, couverture souple illustrée, tirage 1500 exemplaires.
En Argentine, un potrero est un terrain sur lequel on joue au football, mais non un terrain de football. Un espace sans limites, sans arbitres ni uniformes… Une nouvelle légende urbaine, semble-t-il, qui, dans le livre de photographies de Gustavo Di Mario, est confirmée par une autorité en la matière, Diego Armando Maradona, auteur de la préface, dans laquelle il affirme avoir été « un gamin de potrero ». Mais le terrain compte peu pour ces équipes modestes que Gustavo Di Mario a suivies pendant 2 ans pour préparer cet ouvrage. « Je voulais braquer les projecteurs sur ceux qui ne parviennent pas à devenir de grands joueurs et qui luttent chaque jour, portés par cette éternelle promesse de s’en sortir par le football. La face B », conclut Di Mario qui photographia également l’autre face, mais à échelle. Une partie présente le contexte : des buts herbeux quand il pleut, des vestiaires qui répandent un odeur de baume et de chaussettes, des chambres ornées d’affiches et de trophées. Dans l’autre, la principale, règnent les joueurs avant et après la croissance subite de l’adolescence, des garçons narcissiques, fiers de montrer des pectoraux rebondis et des ecchymoses
sur les jambes, des garçons portant des shorts ou des tee-shirts pour lesquels ils sont prêts à tout. Di Mario gagne sa vie comme photographe de mode et applique dans Potrero ce qu’il connaît du corps, plus que visible chez les joueurs et peu de chose chez les mannequins anorexiques. En dehors de l’érotisme, il y a aussi dans Potrero des bars avec des photos dédicacées d’Evita et de Maradona, l’Olympe, assurément. Dans un autre excellent livre de photos sur le football en Argentine, Cada vez te quiero más (« Je t’aime de plus en plus ») (2004), Facundo de Zuviría traite de la face A, les partisans du Boca Juniors, un grand club de Buenos Aires. Il y a plus de drapeaux et d’étendards, plus de couleur et bien plus de supporters, mais les photos signées sont les mêmes et dans les mêmes endroits. À la fin, Di Mario prend congé du lecteur avec l’image d’une fille, la seule, qui plus est esseulée, portant le tee-shirt du Boca et tenant à la main le billet qui l’assurera de vivre l’expérience du principal rite masculin d’initiation à… quoi ?
2007
p : Divers
m : Vanessa Enríquez
2007
Miguel Calderón Mise en page Vanessa Enríquez Mexico : Turner, 2007. 216 x 170 mm. (244) pages, 255 photographies noir/blanc et couleur, couverture rigide illustrée, tirage 1000 exemplaires.
2007 | Miguel Calderón Sur les 255 clichés de ce livre de photographies, un monsieur souriant apparaît en compagnie d’une ou de plusieurs femmes. Ces scènes se déroulent à Acapulco, au cours des années 70 et 80. Elles ont pour auteurs des reporters sociaux et des photographes de discothèques et de restaurants. Ce monsieur souriant conservait ces photos-souvenirs et ces coupures de presse dans le coffret d’une bouteille de whisky écossais. Il mourut un jour, et le coffret jaune atterrit entre les mains de son petit-fils, un artiste mexicain hyperactif, capable de réaliser des vidéos et des photographies, de peindre des tableaux, de monter des installations, et aussi de diriger des galeries alternatives et des groupes de musique, d’organiser des expositions et même de rédiger lui-même les critiques, au besoin. « Aussitôt après le choc qu’a été pour moi le fait de voir mon grand-père avec tant de femmes sur les photographies, j’ai pensé que je devais faire quelque chose de ce matériel. J’ai médité sur l’idée d’en faire une exposition, mais après avoir examiné cette option à diverses reprises, j’ai pensé que le mieux, tant qu’à les rendre publiques, serait d’avoir une rencontre avec les photographies semblable à
celle que j’ai eue en première instance. Je n’aimais pas l’idée de les montrer sur un mur parce que je sentais que cela créerait une distance avec le public. Tant qu’à réaliser quelque chose avec les images, je préférais le format du livre et ainsi celui qui les regarderait pourrait les voir à son rythme, une ou deux à la fois et de manière plus intime. » Le protagoniste des 1000 photos du coffret était un industriel qui s’était retiré un jour des affaires pour consacrer le reste de sa vie au carpe diem à temps complet. « Il me disait qu’il avait commencé à vivre après ses 40 ans. » se souvient son petitfils, qui croit « qu’avec ces photos mon grand-père essayait de me dire : quoi que tu fasses, fais-le jusqu’au bout ». Le conseil fut suivi : l’artiste pensait au début illustrer le livre avec des aphorismes et des citations littéraires, mais il sut se modérer. Il finit par faire un livre aussi muet que ces tableaux intitulés « sans titre » ou les caricatures « sans mots » des journaux. Rien que des photos pleine page, sans autre information qu’une phrase à la fin : « quand mon grand-père mourut, la seule chose qu’il me légua ce fut une boîte contenant ces photos ».
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p : Divers
m : Oscar Muñoz
2009
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Oscar Muñoz Archivo porcontacto Mise en page et texte Oscar Muñoz Bogotá : Laguna libros, 2009. 100 x 140 mm, 248 pages, 113 photographies noir/blanc, couverture rigide illustrée, tirage 1000 exemplaires.
2009 | Archivo porcontacto Le pont fut longtemps le principal lieu de passage de la ville. Un jour, quelqu’un eut l’idée de photographier les gens qui l’empruntaient et d’en faire commerce. Quand ils franchiraient à nouveau le pont, ils découvriraient leur portrait. L’idée fonctionna, occupa plusieurs photographes, qui des années durant reproduisirent les mêmes modèles. Le plus chanceux montrait le client en pied, une jambe derrière l’autre, le regard tourné vers l’objectif. On appréciait le mouvement et la spontanéité, si différentes de l’immobilité glacée des photos de studio. La chose aurait pu se produire n’importe où, mais tout cela se passa pendant les années 60 et une partie des années 70 dans la ville colombienne de Cali. Oscar Muñoz est un artiste reconnu pour ses travaux sur la matérialité et la durée des images, qui dans ses œuvres ont la fragilité des êtres vivants, elles naissent et meurent, s’évanouissent littéralement, comme peut le constater tout spectateur de ses vidéos, dans lesquelles tout se conserve et peut se répéter à volonté. Les images techniques durent plus que les autres, mais elles ont aussi une fin.
Les photos du pont sont des traces du passé qui auraient été perdues sans Oscar Muñoz. L’artiste consacra des années de sa vie à leur recherche et à leur étude, les projeta sur les lieux où elles avaient été prises et organisa des rencontres avec les photographes et les photographiés, lesquels, entre autres choses, lui racontèrent que des gens se rendaient sur le pont en quête d’un portrait. « La relation s’inversait : les chasseurs étaient alors les proies », fait remarquer Oscar Muñoz, dont la collection fut exposée dans des centres d’art en même temps qu’ Archivo porcontacto, un livre de photos qui réunit une sélection des portraits dans leur format original.
Les couvertures montrent un Olympus Pen, l’appareil de prédilection des photo-filmeurs du pont en raison de sa facilité d’utilisation, de son grand rendement et de son coût modique. Les clichés se trouvent à l’intérieur du livre-appareil, ils se révèlent quand on l’ouvre. Archivo porcontacto est un appareil qui contient des photographies, le livre qui les présente et une réflexion sur des usages photographiques, rappelant à la mémoire des ‘photo-filmeurs’ comme Gerberto Arias, Luis Alfredo Cárdenas, Hernando Palma, Carlos Rivera ou Mario Sánchez.
p : Divers
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Rosângela Rennó O arquivo universal e outros arquivos Mise en page Rosângela Rennó, Raul Loureiro Texte Adriano Pedrosa, Maria Angélica Melendi São Paulo : Cosa & Naify, 2003. 278 x 190 mm, (392) pages, 1feuille pliée, 320 photographies noir/blanc et couleur, couverture rigide illustrée, tirage 3000 exemplaires.
2003 | O arquivo universal Rosângela Rennó exposa au CCBB de Rio en 2003 un projet de culture d’archives auquel elle travaillait depuis 1992. Elle y présenta diverses séries, avec des textes et des photographies : coupures de photos de journaux montrant des gens portant des photographies ; photos d’identité ; coupures de presse, cette fois de Rio, avec des images de corps morts dans la rue ; photos cubaines de noces ; témoignages de voyages ; photos trouvées recouvertes de peinture par l’artiste ; photos ‘anonymes’ de prisonniers ; portraits teints en rouge de militaires ; photos de tatouages et de cicatrices. Un catalogue était prévu pour l’exposition, mais Rennó parvint à faire un livre de photos d’artiste. « Au début, la publication devait être un catalogue, mais j’ai décidé de faire une publication plus osée et plus ample, comme des archives iconographiques, d’où naîtraient plusieurs œuvres. Par conséquent, je les considère comme une œuvre autonome dans laquelle il y a même des images qui n’existent que dans le livre, dans le format dans lequel il a été présenté ». « Le propos était d’utiliser le livre comme un ‘espace d’exposition’, avec ses caractéristiques propres, graphiques », dit Rennó, qui participa activement à la mise en page. « En réalité, j’ai moi-même conçu toute la partie image, l’index et l’ordonnancement de tout le matériel ». Raúl Loureiro se chargea de la typographie et de la disposition du texte, qu’il varia pour chaque série. Certains paragraphes sont présentés sur des pages en couleurs, d’autres ont été déformés comme des projections obliques, des lettres émettent des scintillements et des paragraphes sont écrits sur des peaux. Loureiro utilisa aussi des encres spéciales et certaines pages sont uniquement imprimées avec du vernis. La couverture, un intrigant papier peint taché, fut une idée d’Adriano Pedrosa, auteur d’un des essais du livre. O arquivo universal est aussi soigné que les autres livres de Rosângela Rennó : Espelho Diário (2009), la version imprimée d’une vidéo-installation ; 2005-510117385-5 (2010), où sont reproduits en taille réelle les dos de photographies historiques volées à la Bibliothèque nationale du Brésil, ou Bibliotheca (2003), un « album de famille universel », composé de centaines de photographies sur papier et de diapositives trouvées par l’artiste au cours de voyages. À l’entrée de cette Bibliotheca, une citation de l’écrivain W. G. Sebald pourrait être la devise de Rosângela Rennó. « Je collectionne toujours des photos perdues ; il y a en elles une énorme réserve de souvenirs ».
m : Rosângela Rennó, Raul Loureiro
2003
p : Graciela Iturbide
m : Toluca Studio
Graciela Iturbide Naturata Photographie Graciela Iturbide Mise en page Toluca Studio Texte Fabio Morábito México DF : Galería López Quiroga ; Paris, Toluca Éditions, 2004. 293 x 295 mm, 25 photographies noir/blanc, couverture rigide illustrée, tirage 1500 exemplaires, dont 100 numérotées et signées par l’auteur.
2004 | Naturata Graciela Iturbide est l’auteur d’un grand nombre d’excellents livres de photographies, parmi lesquels il convient de citer Juchitán de las mujeres, la synthèse de 10 ans de travail auprès d’une communauté, observée avec autant de respect que de sympathie, au-delà de toute curiosité anthropologique ou de souci documentaire. Sur les photos du livre, les gens composent leurs postures à partir des modèles archaïques de leurs albums de famille. Malgré tout, Iturbide parvient à éviter des clichés amidonnés et fixe des détails qui tout à la fois brisent les conventions de la tradition et la maintiennent vivante. Son talent pour les distances courtes et son mépris des images définitives, décisives ou pédantes constitue tout un style difficilement reproductible. L’éditeur de Juchitán de las mujeres, le peintre Francisco Toledo, est aussi l’artisan du jardin botanique d’Oaxaca, où Iturbide a réalisé, entre 1996 et 2004, la plupart des photos de Naturata. Il s’agit d’une version domestiquée et artificiellement recréée de la nature que l’artiste a délicatement transformée en allusions à des sujets environnementaux, paysagers et chargés d’émotions, très peu présents dans les livres de photographies latino-américains. Les 25 photographies du livre sont des portraits de plantes en souffrance, maintenues en vie grâce aux soins intensifs d’une légion de guérisseurs invisibles. Les clichés montrent des bandages sur des blessures de troncs hérissés d’épines, des béquilles et des échafaudages soutenant des branches couvertes d’écailles minérales ; des transfusions vitales, des respirations imperceptibles et une tranquillité infinie, à l’abri des éléments sous des serres de gaze. « Mon idée — explique Graciela Iturbide — était de photographier ces plantes au moment où les jardiniers disposaient des amarres et des voiles pour pouvoir les soigner. Un travail sur un jardin en cours de thérapie. La photo de l’arbre avec le suaire, qui apparaît à la fin du livre, est la dernière que j’ai prise ».
2004
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p : Alessandra Sanguinetti
m : Martín Weber
2005
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Alessandra Sanguinetti On the Sixth Day Photographie Alessandra Sanguinetti Mise en page Martín Weber Texte Robert Blake Tucson, Arizona : Nazraeli Press, 2005. 328 x 308 mm, (80) pages, 61 photographies couleur, toile illustrée avec photographie collée, tirage 1500 exemplaires.
2005 | On the Sixth Day Le livre de photographies d’Alessandra Sanguinetti On the Sixth Day porte sur la Pampa argentine, mais non sur ses paysages ; il ne traite que d’animaux, et en particulier d’animaux morts. Sanguinetti regarde la nature à travers le prisme d’animaux domestiques qui ne peuvent être des animaux de compagnie parce que presque tous sont comestibles : chevaux, chiens, poules, canards, porcs, paons, vaches, moutons, lapins et autres animaux observés de leur hauteur, de leur point de vue. Les yeux et l’appareil photo Hasselblad de Sanguinetti sont presque toujours au ras du sol et dévoilent un monde de boue et d’excréments, d’aliments crus, et plus de sang que dans un film de vampires. La photographe passa les étés de son enfance dans une hacienda, à environ 300 kilomètres de Buenos Aires. Puis, à partir de 1996, elle y revint fréquemment et photographia 8 ans durant la vie des animaux dans la propriété, sans préjugés arcadiens ni esthétisme pastoral. La relation entre le roi de la création du titre du livre et les animaux « est cruelle et contradictoire » pour Sanguinetti.
De cette cruauté attestent ses images de corps maltraités, chassés ou sacrifiés qui apparaissent avec un grand luxe de détails dans les pages du livre, magnifiquement imprimé en Chine. Quant à la contradiction, elle est en partie à chercher dans les émotions suscitées par les pantins en peluche, les fables pédagogiques et les dessins animés de Walt Disney qui mettent en scène des animaux humanisés. La sensiblerie enfantine a sa contrepartie dans la logique adulte de l’élevage d’animaux destinés à l’alimentation, où l’amour se mue en une violence qui impressionne Sanguinetti (« chaque fois que je voyais un animal se faire tuer — et cela m’arrive encore aujourd’hui — c’était un événement tout à fait extraordinaire : je ne peux pas le considérer comme quelque chose de quotidien ») autant que le spectateur, plutôt incommodé par les boucheries d’On the Sixth Day, des photographies nettes et détaillées, avec de délicates harmonies de vert, de rouille, de bleu ciel que vient souvent gâcher (ou interrompre) une indiscrète tache carmin.
p : Pedro Martinelli
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m : Signorini
Pedro Martinelli Gente x Mato Photographie Pedro Martinelli Mise en page Signorini Texte Marcelo Macca, Pedro Martinelli São Paulo : Jaraquí, 2008. 420 x 270 mm, 184 pages, 112 photographies noir/blanc et couleur, sans couvertures. Tirage 3000 exemplaires.
2008 | Gente x Mato Depuis 1970, Pedro Martinelli voyage sans relâche dans la région amazonienne. Ces dernières années, il passe la moitié de son temps à s’y déplacer en bateau, et l’autre moitié, à São Paulo, où il travaille dans la photographie publicitaire et de mode pour financer des livres comme Gente x Mato, un titre qui évoque l’opposition entre nature et culture. Martinelli représente la complexité des relations entre la forêt amazonienne et ses habitants, à travers des chapitres visuels qui montrent l’exploitation de la terre, l’abattage des arbres et la transformation du paysage qui en découle. Dans des chapitres, intitulés ‘repas’, ‘achats’ ou ‘mode’, l’artiste présente des détails sur l’alimentation, le travail, le commerce, les occupations ou la tenue vestimentaire des habitants de l’Amazonie, et en particulier les cablocos, les
métis négligés et invisibles, les Indiens vêtus de bermudas, de tee-shirts de clubs de football et de chemises hawaïennes, dont personne n’a cure ni se soucie des besoins. D’après Martinelli, « les livres ne montrent que l’Indien fantasmé et sous l’angle du paradis amazonien. Personne ne regarde celui qui est en-dessous de tout : le caboclo ». Pedro Martinelli invite le lecteur à visiter l’Amazonie et à répondre aux questions qu’il formule dans Gente x Mato. Photographe documentariste, il réalise sur le terrain de patients essais thématiques qui devraient paraître dans les pages des médias. Les probabilités pour que le modèle qui unissait presse et photographie soit révolu sont fortes, mais Martinelli ne baisse pas encore les bras, au contraire. Le format tabloïde du livre, le papier journal et
l’absence de reliure entretiennent la flamme du meilleur photojournalisme. « Je voulais un projet simple, bon marché et non conventionnel. Je ne voulais pas de couverture rigide. Je voulais un livre qui puisse être vu dans une salle de classe et dont les pages seraient utilisées pour être collées aux murs comme s’il s’agissait d’un journal ».
2008
p : Geovanny Verdezoto
m : Pablo Corral Vega
2007
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Geovanny Verdezoto Los que se quedan Photographie Geovanny Verdezoto Mise en page Pablo Corral Vega Texte José Hernández, Pablo Corral Vega, Geovanny Verdezoto Quito : Harmonia Terra, 2007. 170 x 490 mm, 112 pages, 54 photographies couleur, couverture rigide illustrée, boîte illustrée, tirage 3000 exemplaires.
2007 | Los que se quedan Geovanny Verdezoto étudiait les beaux-arts à Quito quand il entreprit de parcourir l’Équateur pour réaliser les panoramas de Los que quedan (« Ceux qui restent »). L’idée lui vint alors qu’il dessinait une cuisine pleine d’objets qu’il ne parvenait pas à reporter sur le papier. On lui avait prêté un appareil photo numérique, dont il se servit pour enregistrer les détails et pouvoir continuer plus tard. Il réalisa un photomontage et s’initia aux programmes informatiques qui permettent de synthétiser les prises en une image. Verdezoto connaissait le format panoramique grâce à l’histoire de la peinture, il l’avait vu chez les muralistes mexicains et le peintre équatorien Oswaldo Guayasamín. « J’ai essayé de peindre à l’aide d’un appareil photographique », dit l’artiste qui compose ses « murales » photographiques avec les photos qu’il fait in situ et son fonds d’images, en un ensemble qu’il monte et colore avec les outils de Photoshop. Le livre traite d’un moment historique. Dans les premières années du nouveau siècle, l’Équateur était en train de se dépeupler. On estime que 20% de la population, soit environ 3 millions d’Équatoriens, durent émigrer en Europe et aux États-Unis en raison de la crise économique de 1999. Los que quedan est, comme le titre l’indique, un recueil de photos sur les effets de l’émigration en différents endroits du pays. Les panoramas de Verdezoto montrent des chambres d’habitations abandonnées où les portraits des absents figurent encore sur les murs, des ateliers sur le point de fermer faute de clientèle, des discothèques sans public dans lesquelles
somnolent les serveurs, des places presque désertes et d’autres lieux vacants où parfois un chien sans maître regarde le photographe et le lecteur. « Les chiens posent pour les photos. Avec leurs yeux, ils reflètent mieux la solitude que les êtres humains », a déclaré Verdezoto. Les légendes dont sont assortis les clichés sont de brefs commentaires, discrets et expressifs. Ainsi, dans ‘Les petites machines’, des enfants jouent aux machines à sous d’une salle de jeux qui s’apparente à un magasin d’antiquités. On peut lire : « les jeunes reçoivent des mensualités de leurs parents depuis l’étranger et les dépensent en jeux et divertissements. Pas grandchose ne s’épargne ni ne s’investit. » Verdezoto n’est pas défaitiste. Dans Los que quedan, d’autres images montrent des gens de retour et des réunions de familles. En fin de compte, l’artiste n’est pas un journaliste à la recherche d’un scoop pas plus qu’il n’essaie de certifier quoi que ce soit. Il cherche à faire des tableaux harmonieux, où les règles de la composition équilibrée soient respectées et où il y ait profondeur ou clair-obscur, des images qui puissent être appréciées pour leur forme et qui possèdent un sens émotionnel. On peut partager la conclusion du designer graphique et éditeur du livre, Pablo Corral Vega. « En dépit de l’intention esthétique de ces photos, je suis personnellement frappé par leur valeur documentaire. Une réalité évidente, décharnée, douloureuse y est montrée. Ces photos sont pleines de nostalgie, chargées d’abandon. »
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