2000 ANS D’HISTOIRE
En coproduction avec
LIVRET JEUNE EXPO
CHRÉTIENS D’ORIENT
CHRÉTIENS D’ORIENT 2000 ANS D’HISTOIRE
Chrétiens d’Orient : voilà comment les Français ont appelé à partir du xixe siècle les chrétiens du Liban, d’Égypte, d’Iran, de Palestine, de Jordanie, d’Irak, de Syrie, d’Arménie. Eux-mêmes ne se sont jamais désignés ainsi : ils sont Coptes, Melkites, Jacobites, Maronites, Assyriens, Chaldéens ou Arméniens. Et, s’ils utilisent pendant la messe des langues anciennes comme le grec, le syriaque ou le copte, la plupart d’entre eux prient Dieu en arabe. L’exposition de l’IMA et du MUba raconte l’histoire de ces hommes et de ces femmes, qui ont participé et participent encore à la richesse et à la diversité du monde arabe.
! L e Christ marchant sur les eaux. Fresque de Doura Europos. Syrie, iiie siècle.
JÉSUS, UN PRÉDICATEUR JUIF ITINÉRANT On possède très peu de sources sur le personnage historique de Jésus. On sait qu’il était juif, fils de Marie, originaire de Galilée, une région de la Palestine qui était alors sous la domination de l’Empire romain. Il a parcouru pendant deux ou trois ans les villes de Galilée et de Judée pour enseigner, comme d’autres prédicateurs, son interprétation de la Loi juive. Il y avait alors plusieurs courants dans le judaïsme, et nombreux étaient ceux qui étaient dans l’attente du Messie, l’oint du Seigneur, l’envoyé de Dieu, et qui pensaient que la fin du monde était proche.
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Tissu de soie représentant l’Annonciation.
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Syrie, vers 800.
Vierge à l’enfant, illustrant un manuscrit en syriaque des quatre Evangiles, signé par le prêtre Rabbula.
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Syrie, vie siècle.
D’après les Évangiles, écrits en grec bien après sa mort, Jésus insistait dans son message sur l’amour de Dieu pour les hommes, et il aurait également accompli plusieurs actions extraordinaires considérées par les croyants comme des miracles. Le succès qu’il remporta auprès d’une partie de la population a sans doute effrayé les autorités : il fut arrêté et condamné à la crucifixion vers 30. Ses disciples affirmèrent alors que Jésus était bien le Messie et qu’il avait ressuscité trois jours après sa mort. Ce message fut accueilli favorablement parmi les juifs hellénisés qui avaient reçu une éducation grecque et qui lisaient la Bible dans sa traduction grecque. Ils appelèrent Jésus le Christ, traduction en grec du mot Messie.
Fragment d’un plat à la descente de croix.
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Syrie, fin du xiiie-début du xive siècle.
Ce nom de chrétiens leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. (Tacite, Annales, XV, 44, vers 110)
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LES PREMIÈRES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES Après la mort de Jésus, ceux qui croyaient en sa résurrection décidèrent de répandre son message et son enseignement. La tradition attribue à Pierre, Thomas, Marc et surtout Paul un rôle éminent dans l’évangélisation et la fondation des premières communautés. La diffusion du christianisme se fit d’abord dans les villes où les juifs étaient nombreux, et dans les grandes villes de l’empire romain. C’est à Antioche, vers 40, qu’on employa pour la première fois le terme de chrétiens. En 64, Néron fit courir le bruit que les chrétiens étaient responsables de l’incendie de Rome. En revanche, à Alexandrie, les chrétiens ne se distinguèrent pas des juifs avant le iie siècle.
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Mosaïque représentant la ville d’Alexandrie dans le nord de l’Égypte.
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Église Saint-Jean-Baptiste, Jerash, Jordanie, vers 531.
Icône de saint Marc, fondateur selon la tradition de l’Église d’Alexandrie, où il serait mort en 62.
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Égypte, vie siècle.
Petit à petit, les groupes chrétiens devinrent de plus en plus nombreux et de mieux en mieux organisés : l’évêque était placé à la tête de la communauté et dirigeait les prêtres. Cependant, les chrétiens finirent par inquiéter le pouvoir romain qui n’appréciait pas leur refus de sacrifier aux dieux et à l’empereur. Les persécutions se multiplièrent à partir du iie siècle et devinrent particulièrement violentes entre 250 et 313. L’Église d’Égypte, appelée copte par une déformation du grec Aegyptos, fit commencer son calendrier en 284, année de l’accession au pouvoir de l’empereur Dioclétien. S’ouvrit alors pour les Coptes « l’ère des martyrs », c’est-à-dire des témoins, de ceux qui sont morts en témoignant de leur foi.
Bas-relief représentant des scènes du sacrifice d’Abraham.
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Liban, époque byzantine.
Mais le Saint Esprit surviendra sur vous et vous en recevrez la puissance et serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’au bout de la terre. (Actes des apôtres, I, 8)
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DÉFINIR LE DOGME Qui est Jésus, celui qu’on appelle le Messie, le Christ, l’Emmanuel ? Est-il homme ou est-il Dieu ? S’il est le fils de Dieu, est-il une créature de Dieu comme une autre ? Et si Jésus est Dieu fait homme, est-ce qu’en lui la nature divine et la nature humaine sont confondues ou séparées ? Toutes ces questions ont beaucoup inquiété les chrétiens des premiers siècles qui souhaitaient définir de façon sûre l’orthodoxie, c’est-à-dire la juste façon de croire. Il fallait pour cela que l’empereur (romain puis byzantin), les patriarches et tous les évêques se mettent d’accord. L’empereur Constantin réunit donc un premier concile d’évêques en 325 pour affirmer, contre un prêtre alexandrin du nom d’Arius, que Jésus n’est pas une créature de Dieu et qu’il est de même nature que le Père. La foi de Nicée est celle de la croyance en la Trinité du Dieu unique, faite du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Quelques années plus tard, les disputes reprirent : l’évêque d’Alexandrie s’opposa au patriarche de Constantinople Nestorius car celui-ci proposait d’appeler Marie « mère du Christ », refusant à la fois de l’appeler « mère de Dieu » et « mère de l’Homme ». Nestorius fut condamné lors du concile d’Ephèse de 431. L’Église syriaque d’Orient (Irak, Iran), qui avait déjà déclaré son autonomie plusieurs années auparavant, n’accepta pas les conclusions du concile. Les chrétiens syriens orientaux furent dès lors qualifiés de Nestoriens par les autres communautés.
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Icône du concile de Nicée. Au centre se tient l’empereur Constantin ; à droite, saint Nicolas frappe Arius au visage. Alep, Syrie, 1637.
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9 Lustre figurant une main portant une croix.
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Palestine, vie-viie siècle.
Je crois en Jésus Christ, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, engendré non pas créé, de même nature que le Père, et par Lui, tout a été fait. (Profession de foi du concile de Nicée, 325)
LE CONCILE DE CHALCÉDOINE De nouvelles divisions naquirent à la suite du concile de Chalcédoine de 451, au cours duquel on affirma que le Christ combine en une seule personne (hypostasis en grec) deux natures (physis), divine et humaine. Ceux qui n’acceptèrent pas cette décision, considérant qu’il n’y a qu’une seule nature dans le Christ, furent appelés monophysites. Il s’agit de l’Église copte d’Égypte et d’une partie de l’Église syriaque occidentale, appelée également jacobite, du nom de son organisateur Jacques Baradaï. L’Église arménienne rejeta également le concile de 451. Les chrétiens d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem qui acceptaient les conclusions du concile de 451 formèrent l’Église melkite, du syriaque malka qui veut dire prince, car ils reconnaissaient l’autorité de l’empereur byzantin. Enfin, l’Église maronite (du nom du moine Maron qui fonda un couvent sur le fleuve Oronte) adopta au viie siècle la doctrine du monothélisme, selon laquelle il y a bien deux natures dans le Christ mais une seule volonté (thelein signifie vouloir en grec). Les Maronites s’unirent à l’Église catholique romaine au xiie siècle, au moment des Croisades.
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Relevé à l’aquarelle des mosaïques de l’église de la Nativité à Bethléem, datant du xiie siècle.
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Dans le registre inférieur, on peut lire le résumé en grec des quatre premiers conciles œcuméniques. Relevé par William Harvey à Bethléem en 1909.
Relief avec monogramme du Christ.
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Baouit, Égypte, ve-vie siècle.
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L’APPEL DU DÉSERT Mener une vie à l’image de celle du Christ, dans la chasteté et la pauvreté absolues, voilà ce que désirait Antoine, un riche paysan égyptien, vers 270. Après avoir vendu ses biens, il se retira dans la solitude du désert pour mener une vie d’ascèse, faite de prières, de lectures et de jeûne. Après quelques temps, il toléra la présence près de lui de ceux qui souhaitaient suivre son exemple ; ils formèrent alors ce qu’on appelle un ermitage. Un autre Égyptien, Pacôme, choisit de se retirer du monde et de s’installer dans le désert avec des célibataires comme lui – en grec, célibataire se dit monachos. Il fonda un premier monastère en 323 dans le sud de l’Égypte, où s’installa une communauté de moines qui suivait la règle qu’il avait lui-même rédigée en langue copte. À la suite, de nombreux monastères furent fondés en Égypte.
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Stèle représentant Apa Shénouté, abbé de Sohag, réformateur de la règle de Pacôme à la fin du ive siècle.
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Sohag, Égypte, ve siècle.
Icône de saint Syméon l’Ancien et de saint Syméon le Jeune, attribuée à Yûsuf al-Musawwir. Alep, Syrie, avant 1666.
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Cette façon de vivre la foi s’est diffusée en dehors de l’Égypte. On peut voir, au nord d’Alep en Syrie, les ruines d’une église consacrée à saint Syméon le stylite qui vécut là au début du ve siècle. On raconte que la recherche de la solitude absolue a poussé Syméon à s’installer au sommet d’une colonne – stylos en grec. La légende dit qu’il y resta jusqu’à la fin de sa vie, vivant de prières et de dévotions, pratiquement sans manger.
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Portrait d’un moine copte.
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Baouit, Égypte. vie-viie siècle.
Va, vends tout ce que tu possèdes et distribue-le aux pauvres ; tu auras un trésor dans les cieux. (Luc, 18, 22)
Flabellum portant une inscription en syriaque.
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Cet éventail liturgique était employé pendant la messe pour éviter que le pain et le vin de l’eucharistie ne soient souillés. Deir al-Surian (monastère des Syriens), Wadi Natrun, Égypte, xiie siècle.
Déroulé des peintures d’une colonne de l’église de Baouit datant du ve-vie siècle.
CONSTRUIRE ET ORNER LES ÉGLISES
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Relevé de Florence Babled, xxe siècle, Égypte.
Fresque de la Vierge Marie,
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seul vestige d’une église construite à Beyrouth au xiiiè siècle. Beyrouth, Liban.
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Les premiers chrétiens se réunissaient dans leurs maisons. Une fois le christianisme devenu la religion de l’Empire romain, on se préoccupa de construire des lieux de culte officiels. Parmi les bâtiments publics romains, les chrétiens ne choisirent pas de réinvestir le temple, conçu comme la maison du dieu et accessible seulement aux prêtres. Ils donnèrent leur préférence à la basilique, utilisée par exemple pour les tribunaux, car sa forme et sa taille permettaient d’accueillir l’assemblée des fidèles, appelée en grec l’ecclesia. Dans la nef centrale et les bas-côtés étaient installés les croyants. La messe se déroulait dans le chœur situé au fond de l’édifice, dans la partie souvent arrondie qu’on appelle l’abside. Les murs du chœur, mais aussi les colonnes et les arcs portaient des peintures sur la vie du Christ et des saints. Le chœur était séparé de la nef par une cloison, appelée iconostase lorsqu’elle est décorée par des icônes (du grec eikôn qui signifie image). Après de longues et violentes disputes concernant le statut des images, les uns voulant leur destruction, les autres leur maintien, le concile de Nicée de 787 décida que les icônes pouvaient être le support de la prière et de la vénération des fidèles, car elles étaient comme le reflet visible de l’invisible, le souvenir peint de Jésus, de sa mère Marie et des saints.
15 Calice en argent servant à contenir le vin consacré par le prêtre pendant la messe.
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Attarouthi, Syrie, 500-650.
Depuis que Dieu est apparu dans la chair et a vécu parmi les hommes, on peut représenter ce qui est visible de lui. (Jean Damascène, Discours sur les images, 726-730)
LES ÉGLISES CHRÉTIENNES D’ORIENT D’après Bernard HEYBERGER (dir.), Chrétiens du monde arabe. Un archipel en terre d’Islam, Autrement, 2003.
Constantinople/Istanbul Etchmiadzin
MER NOIRE
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LIBAN ISRAËL PALESTINE
Alep
Beyrouth
SYRIE
MER MÉDITERRANÉE
Tig
Antioche
Mossoul
TURKMÉNISTAN
MER CASPIENNE
TURQUIE
Mardin
Sièges de patriarcat copte
QUATAR
Séleucie-Ctésiphon
ARABIE SAOUDITE MER ROUGE
ÉMIRATS ARABES UNIS
SULTANAT D'OMAN OCÉAN INDIEN
YÉMEN
Wadi Natrun
500 km
Le Caire
300 mi
copte – catholique maronite arménien arménien – catholique grec – othodoxe melkite – catholique assyrien chaldéen syrien – jacobite syrien – catholique
Monastères égyptiens copte grec
Ste Catherine St Antoine Baouit Sohag
Pendentif en forme de croix.
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Liban, époque byzantine.
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CHRÉTIENS EN TERRE D’ISLAM Les chrétiens du Levant, d’Égypte et de Perse changèrent de maîtres au cours des viie et viiie siècles, suite aux conquêtes fulgurantes menées par les Arabes convertis à l’islam. Les nouveaux détenteurs du pouvoir reconnurent juifs et chrétiens comme des « gens du Livre » et leur accordèrent le statut de protégés, dhimmis en arabe. Libres de pratiquer leur religion et de conserver leurs églises, les chrétiens devaient cependant montrer leur soumission en payant un impôt spécifique, la jiziya. Il y eut ponctuellement des moments difficiles pour les chrétiens en terre d’Islam, mais ils furent dans l’ensemble bien intégrés, participant pleinement à la construction d’une nouvelle aire culturelle.
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C’est qu’ils restèrent majoritaires jusqu’au xe, et dans certaines régions jusqu’au xiie siècle. Il ne fut pas possible de se passer entièrement d’eux dans l’administration, ni dans certaines professions : ainsi les Bukhtishû’, chrétiens nestoriens originaires d’Iran, furent pendant deux siècles, de père en fils, les médecins attitrés des califes de Bagdad. Par ailleurs, dès le xe siècle, les langues utilisées traditionnellement par les chrétiens – le copte, le grec, le syriaque…– furent délaissées au profit de l’arabe. On entreprit la traduction de la Bible, tandis que des évêques et des écrivains chrétiens produisaient des textes religieux directement en arabe. Enfin, dans les congrégations d’artisans, chrétiens et musulmans se côtoyaient, comme en témoigne le partage des techniques et des motifs artistiques. Évangile en arabe, miniatures attribuées à Ne’meh al-Musawwir. Syrie, 1675.
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Chandelier en cuivre incrusté d’or et d’argent, signé Dawud ibn Salama al-Mawsili. Dans les médaillons sont figurées des scènes de la vie du Christ. Syrie, 1248.
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19 Bouteille en verre émaillé et doré, décorée de scènes monastiques.
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Elle servait sans doute à la préparation du chrême, l’huile bénite pour les consécrations et les sacrements. Syrie, vers 1240.
Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. (Matthieu, 17, 21)
LA PROTECTION DES CHRÉTIENS D’ORIENT, ENJEU DES RELATIONS DIPLOMATIQUES EUROPÉENNES 20
Le prêtre, sa femme et ses deux filles, devant l’église Sainte-Anne de Jérusalem,
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propriété de la France depuis 1856. Jérusalem, 1910-1913.
Capitulations accordées par le sultan Mehmet IV à Louis XIV. Edirne, Turquie, 5 juin 1673.
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Avec la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 et la conquête de l’Égypte et de la Syrie au siècle suivant, les chrétiens d’Orient devinrent les sujets du sultan ottoman, dont l’empire subsista jusqu’en 1923. En 1536, le sultan Soliman conclut une alliance avec François Ier, appelée Capitulation, qui accordait au roi de France le privilège d’être le protecteur des chrétiens latins présents dans l’empire. Renouvelées une dizaine de fois, les Capitulations étendirent peu à peu la protection du roi de France à l’ensemble des chrétiens de l’empire ottoman. Mais, à partir du xixe siècle, ce privilège fut contesté par les autres puissances européennes : la Russie entendait protéger les orthodoxes, l’Allemagne et la Grande-Bretagne voulaient agir en direction des protestants. L’église du Saint-Sépulcre, construite au ive siècle à l’emplacement supposé du tombeau du Christ, cristallisa plusieurs fois les rivalités européennes à propos de la protection des chrétiens d’Orient. Depuis 1852, la propriété du site est divisée entre les Grecs orthodoxes, les Franciscains latins et les Arméniens, et les clés ont été confiées à une famille musulmane. En 1901, une violente querelle éclata entre Grecs et Franciscains à propos du balayage de l’escalier conduisant à la chapelle des Francs, faisant plusieurs blessés graves. Dans cette affaire, le consul russe ne manqua pas de s’opposer au consul français, chacun prenant fait et cause pour ses protégés.
Maquette de la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
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Jérusalem, Bethléem. xvii siècle.
L’on n’inquiètera point les Français qui viendront en Jérusalem, et il ne leur sera fait aucune peine, non plus qu’aux Religieux qui sont dans l’église du saint Sepulchre nommée Coumameh. (Capitulations accordées par le sultan ottoman au roi de France, avant 1673)
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LE PAPE ET LES CHRÉTIENS D’ORIENT À partir du xvie siècle, le pape, chef de la chrétienté catholique, s’intéressa de plus en plus aux chrétiens d’Orient. Il favorisa l’enseignement de l’arabe, afin de former des missionnaires efficaces. Avec son appui, le cardinal Ferdinand de Médicis créa en 1582 une imprimerie, qui édita de nombreux livres en arabe, dont les Quatre Evangiles avec une traduction en latin. La fondation à Rome d’un collège grec en 1576, puis d’un collège maronite en 1584, permit de développer l’enseignement catholique à destination des chrétiens orientaux.
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Bulle du pape Pie VII au patriarche syriaque catholique Ignace Grégoire Simon Zora.
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Icône de pèlerin, souvenir du pèlerinage à Jérusalem.
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Au centre est représentée Jérusalem entourée de ses murs, à droite la figure du Christ et des scènes de la Passion. Jérusalem, fin du xviiie-début du xixe siècle.
Les quatre Évangiles,
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imprimés en arabe avec la traduction en latin. Florence, 1590-1591.
Créée en 1622, la Congrégation pour la propagation de la foi donna un nouveau souffle aux missions catholiques dans le Levant. Cela eut pour conséquence de fragmenter encore davantage la chrétienté orientale. Au milieu du xvie siècle, une partie de l’Église syriaque orientale avait rejoint l’Église catholique, prenant dès lors le nom d’Église chaldéenne, tandis que le reste des Syriaques orientaux était dénommé Assyriens. Au xviie siècle naquit l’Église syrienne catholique, désormais séparée de l’Église jacobite. Au siècle suivant, l’Église copte fut scindée entre l’Église copte orthodoxe et l’Église copte catholique, tandis que l’Église melkite s’unissait à Rome, provoquant la naissance de l’Église grecque orthodoxe, et que l’Église arménienne catholique se détachait de l’Église arménienne apostolique. Au milieu du xxe siècle, lors du concile de Vatican II, les Églises catholiques orientales jouèrent un rôle important dans la définition de l’œcuménisme, qui prône le dialogue entre les différentes composantes du christianisme, catholique, orthodoxe et protestante.
Rome, 1814.
Le concile déclare solennellement que les Églises d’Orient, tout comme celles d’Occident, ont le droit et le devoir de se gouverner selon leurs propres disciplines particulières. (Décret Orientalium ecclesiarum, concile de Vatican II, 1964)
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L’ÉCOLE MELKITE D’ALEP : LE RENOUVEAU DE L’ICÔNE ARABE
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Yûsuf al-Musawwir, Icône de la Vierge Hodigitria entourée de saints.
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De gauche à droite et de haut en bas : le prophète Jérémie, l’archange Michel, saint Jean le Précurseur, saint Nicolas, saint Georges, saint Démètre, saint Théodore, saint Martin, un saint évêque, sainte Catherine, saint Barbe, saint Basile. Alep, Syrie, 1650.
Hanania al-Musawwir, Icône de l’Annonciation.
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Alep, Syrie, 1719.
À la fin du xviiie siècle, les chrétiens représentaient 20% de la population totale d’Alep. Bien que présents dans toute la ville, ils occupaient en particulier le faubourg de Jdaydé, au nord-ouest, au-delà des remparts. Les églises, nombreuses, témoignaient de la diversité des chrétiens d’Orient : les Melkites étaient majoritaires mais il y avait aussi des Arméniens, des Jacobites, des Maronites et quelques Nestoriens. C’est dans ce quartier que s’installa, au début du xviie siècle, l’atelier des Musawwirûn, de l’arabe musawwir qui signifie peintre. Yûsuf al-Musawwir est le premier représentant de la dynastie, continuée par son fils Ne’meh, son petit-fils Hanania et son arrière-petit-fils Girgis. L’atelier exerça une influence considérable dans toute la région jusqu’à la fin du xviiie siècle. L’école melkite d’Alep se caractérise par le respect des codes établis par la peinture byzantine, tout en la faisant évoluer vers plus d’expressivité, de naturel et de pittoresque. Les visages et les costumes des saints personnages ressemblent à ceux que l’on pouvait croiser à Alep. Certains sujets sont empruntés au répertoire catholique, comme le saint Martin partageant son manteau sur l’icône de la Vierge Hodigitria. La finesse des arabesques qui décorent les fonds d’or et les auréoles trahit l’influence de l’art islamique, tandis que la qualité des inscriptions en grec et en arabe rappelle que ces peintres étaient aussi d’éminents calligraphes.
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Ne’meh al-Musawwir (attr.), Icône de la Dormition de la Vierge.
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Alep, Syrie, xviiie siècle.
LES CHRÉTIENS ET LA NAHDA Al-nahda al-‘arabiya, la renaissance arabe. L’expression désigne un mouvement culturel qui, né dans les provinces arabes de l’empire ottoman au début du xixe siècle, souhaite réveiller le monde arabe et le faire entrer dans la modernité. Les chrétiens ont activement participé à ce mouvement. L’imprimerie, élément essentiel du mouvement de la nahda, a été introduite pour la première fois dans le monde arabe en 1733 dans le couvent libanais de Saint-Jean-de-Choueir. Parmi les grandes figures d’intellectuels qu’a vu naître ce mouvement, on peut citer Butrus al-Bustani, maronite converti au protestantisme, qui a œuvré, à travers la publication d’un dictionnaire et d’une encyclopédie, à revivifier la langue arabe, pour en faire l’outil efficace du journalisme, du roman ou du théâtre, genres littéraires jusqu’alors inconnus dans la culture arabe.
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Premier numéro de la revue Al-Hilâl,
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fondée par Jurji Zaydan. Le Caire, 1892.
Autoportrait à la muse de Gibran Khalil Gibran
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poète et écrivain libanais installé aux États-Unis. 1911.
Le plus célèbre représentant de cette nouvelle littérature est le poète et artiste-peintre Gibran Khalil Gibran. De confession maronite, Gibran émigra enfant avec sa mère aux États-Unis mais revint terminer ses études au Liban entre 1897 et 1902. Son œuvre la plus connue s’intitule Le Prophète. Jurji Zaydan, chrétien grec-orthodoxe de Beyrouth, écrivain et journaliste, éditeur et enseignant installé au Caire, est un autre intellectuel emblématique de la nahda. En 1892, il fonda la revue Al-Hilâl, Le Croissant, qui devint très vite une référence et qui est encore aujourd’hui une maison d’édition importante dans le monde arabe. En politique, il milita pour une égalité entre chrétiens et musulmans, unis par leur arabité et leur passé commun. Pour transmettre ce passé glorieux, tremplin des sociétés arabes vers la modernité, il écrivit des romans historiques qui magnifient l’Âge d’or de l’Islam.
27 Plat représentant le saint-cavalier Elian,
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protecteur de la ville d’Emèse, actuelle Homs. Homs-Emèse, Syrie, viie siècle.
L’amour de la patrie est un acte de foi. (Phrase attribuée au prophète de l’islam Muhammad et utilisée comme devise par Butrus al-Bustani)
LE TEMPS DES ÉPREUVES L’empire ottoman entra en crise au xixe siècle. Sa faiblesse aiguisa l’appétit des puissances européennes – France, Angleterre, Russie et Allemagne – qui se montrèrent de plus en plus intrusives. Par ailleurs, les réformes de modernisation déstabilisèrent la société et provoquèrent de nouvelles tensions entre les communautés. Au Liban, les Druzes musulmans s’opposaient aux Maronites chrétiens pour le contrôle du pouvoir local. En 1860, les affrontements furent extrêmement violents au Liban et à Damas, faisant des dizaines de milliers de morts, dont la grande majorité était des chrétiens.
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IIbrahim al-Tuwal, de la tribu bédouine des ‘Azeizat, convertie au christianisme
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au ve siècle et installée à Karak, au sud de la Jordanie. Suite à des tensions avec les musulmans, les ‘Azeizat furent déplacés en 1880 à Mâdabâ, au nord-est de la Jordanie. Jérusalem, 1905.
La Madone à l’Enfant, peinte par Paul Guiragossian, né à Jérusalem en 1925,
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de parents arméniens rescapés du génocide. Palestine, début des années 1960.
À partir de 1908, l’empire ottoman fut dirigé par un gouvernement qui souhaitait « turquiser » l’empire en le débarrassant d’éléments considérés comme étrangers. Les Arméniens et une partie des Assyriens furent les victimes de cette idéologie : plus d’un million d’entre eux furent massacrés entre 1915 et 1916, lors du premier génocide du xxe siècle. Ces événements tragiques ont fait se multiplier les départs en exil vers l’Europe et vers les Amériques, au point qu’aujourd’hui le patriarcat des Assyriens se trouve à Chicago. On estime qu’au début du xxie siècle, avant la guerre en Irak et en Syrie, le nombre des chrétiens orientaux était d’environ 10 millions, dont 5 millions en Égypte, 1,5 million en Syrie et 1 million au Liban.
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Orphelines arméniennes à Antioche,
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sur une carte postale datée de 1919.
Institut du monde arabe Jack LANG, Président Mojeb AL ZAHRANI, Directeur général David BRUCKERT, Secrétaire général Aurélie CLEMENTE-RUIZ, Expositions Radhia DZIRI, Actions éducatives Actions éducatives Conception : Élodie ROBLAIN Texte : Élodie ROBLAIN Graphisme Couverture : Jean-François LEMPORTE Intérieur : Jean-François LEMPORTE Impression : Direction éditoriale : Dario CIMORELLI Direction artistique : Giacomo MERLI Coordination d’édition : Sergio DI STEFANO Bureau de presse : Lidia MASOLINI, press@silvanaeditoriale.it Remerciements : Élodie BOUFFARD, Raphaëlle ZIADE, Virginia CASSOLA, Sarah DJENNADI © 2017 Institut du monde arabe © 2017 Silvana Editoriale S.p.A., Cinisello Balsamo, Milano ISBN : 978-8-83663-575-7 Dépôt légal septembre 2017 Achevé d’imprimer en septembre 2017
Collections et crédits photographiques
Archives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, La Courneuve ©Archives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères – La Courneuve : p. 18g Barjeel Art Foundation, Sharjah ©Capital D Studio and Barjeel Art Foundation : p. 26g Benaki Museum, Athènes ©2006 by Benaki Museum Athens : p. 3 Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence. Photo ©Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence/ Courtesy MiBACT : p. 2d Bibliothèque nationale de France, Paris, département des Médailles, monnaies et antiques ©Bibliothèque nationale de France : p. 4g Collection Abou Adal, Liban ©Liban, collection Abou Adal : p. 6, 10d, 22g, 22d Collection Antoine et Janine Maamari, Beyrouth ©Collection Antoine et Janine Maamari, Beyrouth : 1re p. de couverture, p. 16d Collection Georges Antaki, Londres ©G. Antaki / Axia Art : p. 23, 25 Collection Rodolphe Poché, Alep : p. 27 Collection particulière : p. 24g Couvent Saint-Sauveur, Joun ©Tony Farraj : p. 20d Ecole biblique et archéologique française, Paris ©École biblique et archéologique française : p. 18d, 26d Furusiyya Art Foundation, Vaduz ©Collection de la Furusiyya Art Foundation, Vaduz : p. 17 Ministère de la Culture / Direction générale des Antiquités / Musée national de Beyrouth, Beyrouth ©Tony Farraj : p. 5, 12g, 15 Musée de Jerash, Jerash ©Département des Antiquités de Jordanie : p. 4d Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille. Photo©Mucem, Dist. RMN-Grand Palais / image Mucem : p. 20g Musée des Jacobins, Auch. Photo©RMN-Grand Palais / Philippe Fuzeau : p. 11 Musée du Louvre, Paris. Département des Antiquités égyptiennes. Photo©Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Poncet : p. 12d. Département des Arts de l’Islam. Photo©Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais/ Hugues Dubois : p. 16g Musée royal de Mariemont, Morlanwelz ©Photo M. Lechien : p. 12h Musée Soumaya, Mexico : p. 24d Musei Vaticani, Museo Cristiano, Cité du Vatican ©2017. Photo Scala, Florence : p. 2g Patriarcat Syriaque Catholique, Monastère de Charfet, Harissa ©Tony Farraj : p. 21 Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst, Staatliche Museen zu Berlin, Berlin. Photo©BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais : p. 9, p. 10g Terra Sancta Museum – Custodie de Terre Sainte, Jérusalem ©Custodie de Terre Sainte : p. 19 The Metropolitan Museum – Department of Medieval Arts and The Cloisters, New York City ©The Metropolitan Museum of Art : p. 7, 13 The Society of Antiquaries of London, Londres © The Society of Antiquaries of London : p. 8 Yale University Art Gallery, New Haven : 2e p. de couverture, 3e p. de couverture
Ce livret a été réalisé à l’occasion de l’exposition « Chrétiens d’Orient – 2000 ans d’histoire » qui s’est tenue à l’Institut du monde arabe du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018, et au MUba Eugène Leroy, Musée des Beaux-Arts de Tourcoing, du 17 février au 5 juin 2018. L’exposition « Chrétiens d’Orient – 2000 ans d’histoire » a été réalisée grâce au soutien de la Stavros Niarchos Foundation, de la Fondation Total, de Naguib Sawiris, de la Fondation Notre-Dame et du Gouvernement Princier de Monaco.
! L a guérison du paralytique. Fresque de Doura Europos. Syrie, iiie siècle.
ISBN 978-8-83663-575-7 6 €
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