L’Archipel Tintin Albert Algoud Jean-Marie Apostolidès Dominique Cerbelaud Benoît Peeters Pierre Sterckx
LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S Réflexions faites
extrait
« Réflexions faites »
Pratique et théorie « Réflexions faites » part de la conviction que la pratique et la théorie ont toujours besoin l’une de l’autre, aussi bien en littérature qu’en d’autres domaines. La réflexion ne tue pas la création, elle la prépare, la renforce, la relance. Refusant les cloisonnements et les ghettos, cette collection est ouverte à tous les domaines de la vie artistique et des sciences humaines.
Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Communauté Française de Belgique
Graphisme : Mélanie Dufour et Sébastien Varveris Couverture : © François Schuiten © Les Impressions Nouvelles – 2012 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com
Albert Algoud Jean-Marie Apostolidès Dominique Cerbelaud Benoît Peeters Pierre Sterckx
L'ARCHIPEL TINTIN Préface de Cyrille Mozgovine
LES IMPRESSIONS NOUVELLES
PrĂŠface par Cyrille Mozgovine
C’est au couvent dominicain de la Tourette, à quelque vingt-cinq kilomètres à l’ouest de Lyon, et dans le cadre des « Rencontres Thomas More » que s’est tenu, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort d’Hergé, un Colloque intitulé : « Les albums de Tintin – Une mythologie pour notre temps ? » Ce volume d’Actes aurait donc pu s’intituler : « Le Colloque de la Tourette » – en référence à un autre événement, fictif celui-là, le « Colloque de Moulinsart1 » … C’est le lieu de signaler que les deux sites se ressemblent par plus d’un trait : présence d’un château, d’un « parc immense » – « une véritable forêt » (cf. Secret, 48, 10) – ceint d’un mur de clôture imposant mais ébréché, faible éloignement de la gare et du village… Les 1er et 2 mars 2003, la présence des journalistes et de leurs caméras pouvait en outre rappeler Les Bijoux de la Castafiore ! Inutile de préciser que la lecture des Actes ici rassemblés laisse échapper beaucoup de cette ambiance : il y manque cette tonalité de complicité fraternelle qui a régné entre les conférenciers comme avec le public, l’humour discret d’innombrables private jokes, sans oublier l’originalité de l’« apéritif
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tintinesque » du dimanche midi. On regrettera, dans cette série, que des difficultés techniques aient finalement empêché la transcription des riches débats entre le public et les intervenants : on ne trouvera ici que les textes de ces derniers2. C’est finalement sous le titre L’Archipel Tintin qu’ils voient le jour. Un titre qui a de quoi faire rêver. Selon le dictionnaire, un archipel est un « groupe d’îles ». Et de fait, les vingt-deux albums de Tintin n’en manquent pas : de l’Angleterre à Pulau-Pulau Bompa, en passant par l’île Noire, l’Islande, l’éphémère îlot formé par l’étoile mystérieuse, et bien sûr l’île du chevalier de Hadoque. Mais au-delà de ces îles « réelles », Pierre Sterckx nous fait remarquer qu’une sorte de structure insulaire marque certains hauts lieux de la saga tintinesque, en particulier ces communautés coupées du monde (et à dominante généralement masculine) que sont le Temple du Soleil, l’usine atomique de Sbrodj, la lamaserie de Khor-Biyong ou… le château de Moulinsart lui-même : autant d’ « îles » toujours menacées de quelque invasion étrangère ! Il suggère que notre satellite lui-même reproduit cette structure insulaire, de sorte que l’expédition lunaire ressemble fort à une navigation3 ! Dès lors, c’est bien une image de navigateur qu’il décèle dans le héros hergéen, ce qui place Tintin à proximité d’un Ulysse… ou d’un Jonas. S’il s’intéresse au double album le plus « insulaire » qui soit (Secret / Trésor), c’est à la visite d’un archipel métaphorique que nous convie pour sa part JeanMarie Apostolidès. Non seulement les lieux, mais les personnages deviennent ici des « îles » entre lesquels les objets « naviguent » selon divers modes. Mettant en œuvre 10
cette sémiotique rigoureuse dont il nous a déjà donné de convaincantes illustrations, notre auteur distingue le vol (auquel correspond le bric-à-brac), l’achat (source de la collection) et le don (propre au trésor). Chacun de ces trois modes détermine par ailleurs une forme de regroupement des hommes, et suscite en outre chez Tintin une fonction spécifique. L’espace sacré « terrestre » se structure, selon certaines traditions, par réfraction du monde céleste. C’est ainsi que l’architecture de l’église miniaturise celle du cosmos, que l’on a comparé le chemin de Saint-Jacques à la Voie lactée, ou que la carte de l’implantation des cathédrales reproduit celle des constellations. C’est à une lecture de ce genre que se livre le dominicain Dominique Cerbelaud, en décelant dans l’archipel des principaux personnages du corpus une sorte de reflet d’une nébuleuse « céleste » : celle des principaux personnages du Nouveau Testament. Tintin, compris ici comme « héros christique », se trouve en effet au centre d’un réseau de relations analogue à celui qui entoure le Jésus des évangiles. Selon une perspective théologique assez voisine, le personnage de Séraphin Lampion aurait tout… d’un météorite. À la suite de ses études inoubliables sur Haddock, Tournesol ou les Dupondt, Albert Algoud se livre ici à une étonnante réévaluation de l’envahissant assureur. Réévaluation, ou pour mieux dire réhabilitation : angélique par son prénom et lumineux par son patronyme, ce personnage se réclame en outre d’un « oncle Anatole » dont l’étymologie évoque le soleil levant ! Pourtant ce corps céleste, qui fait irruption lors d’une nuit d’orage, a tout du perturbateur – pour rester poli. Dès lors, on est 11
tenté de le rapprocher de l’étoile mystérieuse, l’énorme boule de feu qui sème la panique avant de toucher l’océan. « Une étoile de plus dans la grande Ourse » ? Plutôt : une île de plus dans l’archipel Tintin ! On me pardonnera de ne pas avoir présenté les différentes contributions selon leur ordre de succession. Ayant commencé par la dernière, je finirai par la première, due à Benoît Peeters. Et ce sera pour revenir au titre premier du Colloque, dont on peut désormais supprimer le point d’interrogation. Avec sa précision et son flair coutumiers, l’auteur du Monde d’Hergé revient sur deux moments clés de la constitution du mythe : le retour du héros du « pays des Soviets », le 8 mai 1930 ; et les retrouvailles entre Hergé et le « vrai » Tchang, le 18 mars 1981. Selon la belle formule d’André Breton, « l’imaginaire est ce qui tend à devenir réel ». Constamment dépassé par son propre succès, le père de Tintin4 a bel et bien construit, avec ses vingt-deux albums (auxquels s’ajoutent, de part et d’autre, les deux ébauches restées en noir et blanc), un des plus puissants et des plus éloquents récits mythiques de la littérature mondiale. Le beau recueil que j’ai l’honneur de présenter constitue lui-même une île de plus d’un vaste archipel ; ou plutôt, pour garder l’image astronomique, une étoile de plus dans cette galaxie en perpétuelle expansion que représente la littérature secondaire constituée par l’œuvre d’Hergé. Peut-on citer beaucoup d’auteurs auxquels, vingt ans après leur mort, plusieurs centaines d’études, de commentaires, de prolongations, voire de pastiches, aient été consacrés ? Pour ma part, je n’en connais pas. Et tout laisse à penser que cette œuvre fascinante n’a pas encore 12
livré tous ses secrets. Peut-être faut-il voir dans cet aspect inépuisable l’indice le plus sûr que les vingt-deux albums de Tintin représentent bel et bien une mythologie pour notre temps.
1. Cf. H. Van Lierde & G. du Fontbaré, Le Colloque de Moulinsart, Bruxelles-Paris, 1983. 2. C’est d’après les nombreux échos entendus que j’écris cela, n’ayant pu moi-même être nominalement présent à l’événement… 3. Comme l’avait déjà pressenti J.M. Apostolidès, Les métamorphoses de Tintin, Paris, 1984, p. 280 ; 2ème éd., Paris, 2003, p. 380. 4. Ou peut-être son fils, selon le beau titre de la biographie de Benoît Peeters lui-même : Hergé, fils de Tintin, Paris, 2002…
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Tintin, l’invention d’un mythe par Benoît Peeters
Tintin est-il un mythe ? ou plutôt une mythologie ? « une mythologie pour notre temps » ou « un héros mythologique de notre temps », comme l’affirme la notice de présentation de ces rencontres ? Entendons-nous d’abord sur les mots. On pourrait choisir le Littré. Faisons un détour par le Robert. Un mythe – le mot français ne daterait que de 1803 – est défini comme : « 1. Récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. » Cela paraît plutôt encourageant. Mais par extension, le mythe désigne aussi la « représentation de faits ou de personnages souvent réels déformés ou amplifiés par l’imagination collective, une longue tradition littéraire ». On n’est pas loin de la légende. Et bientôt arrive une autre acception : « 2. Pure construction de l’esprit », une idée, presque une affabulation. « Le pécheur en soi est un mythe », selon François Mauriac, autorité en la matière.
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Au sens 5, le plus récent, le mythe n’est plus qu’une « image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. » Nous pourrions bien, aujourd’hui, constituer l’un de ces groupes. La mythologie, quant à elle, est « l’ensemble des mythes, des légendes propres à un peuple, à une civilisation, à une religion ». Le mythologue, spécialiste de cette étude, peut aussi devenir cet historien « qui considère comme un mythe un point contesté ». C’est donc celui qui démystifie, à l’image de Roland Barthes et de ses célèbres Mythologies. L’étude du « corpus tintinesque », comme le nomme Dominique Cerbelaud, oscille entre ces différents pôles. Pour cet auteur, comme pour un Cyrille Mozgovine, « l’énorme diffusion des vingt-deux albums, leur succès constamment renouvelé auprès des jeunes lecteurs de tous les continents » – pourquoi seulement jeunes ? – « ont contribué à en enraciner les épisodes dans l’imaginaire collectif, au point que l’œuvre d’Hergé fonctionne comme une référence universelle1 . » Et même comme une « écriture sainte ». N’a-t-elle pas son « Canon », ses apocryphes, ses exégètes ? Mais pour certains, si Tintin est un mythe, ce n’est que comme une de ces images, « simplifiées, souvent illusoires », qu’évoque finalement le Robert. La communauté tintinesque serait trouble, sans doute bernée, soumise à l’autorité d’une idole. Telle est la thèse du livre Les grands mythes de l’histoire de Belgique, 18
de Flandre et de Wallonie, paru voici quelques années sous la direction d’Anne Morelli2. On y trouve une bonne vingtaine d’articles, dont « Les anciens Belges », « Godefroid de Bouillon », « Albert 1er et sa légende ». Mais aussi Tintin, que l’un des auteurs, Joël Kotek, évoque comme « un mythe belge de remplacement ». Quasiment une imposture. Une statue à déboulonner. Pour d’autres, comme Maxime Benoit-Jeannin, c’est Hergé lui-même qui est un mythe, et de la pire espèce3 . Mais sa rage démystificatrice n’est peut-être, ne lui en déplaise, qu’une preuve supplémentaire de la solidité du mythe tintinesque.
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[…]
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Sommaire
Cyrille Mozgovine Préface 6 Benoît Peeters Tintin, l’invention d’un mythe
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Dominique Cerbelaud Le héros christique 35 Jean-Marie Apostolidès Dans le ventre de La Licorne L’organisation du monde de Tintin 51 Albert Algoud Et la lumière fut… Un personnage intermittent, Séraphin Lampion 95 Pierre Sterckx Les lieux du mythe
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OUVRAGE PARU EN MARS 2012 Alors que Steven Spielberg vient d’adapter Tintin au cinéma, achevant de le mondialiser et le faisant découvrir à de nouvelles générations, tout laisse à penser que l’œuvre d’Hergé n’a pas encore livré tous ses secrets. Peut-être faut-il voir dans cet aspect inépuisable l’indice le plus sûr que les vingt-quatre albums des Aventures de Tintin représentent bel et bien une mythologie pour notre temps. Cinq des meilleurs spécialistes d’Hergé proposent dans ce volume une série de lectures surprenantes et novatrices…
Benoît Peeters Tintin l’invention d’un mythe Dominique Cerbelaud Le héros christique Jean-Marie Apostolidès Dans le ventre de La Licorne L’organisation du monde de Tintin
Albert Algoud Et la lumière fut Un personnage intermittent Séraphin Lampion Pierre Sterckx Les lieux du mythe
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DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874491344 ISBN : 978-2-87449-134-4 120 PAGES - 13 €