extrait
Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Mise en pages : Mélanie Dufour Dessin de couverture : Joann Sfar Couleurs : Walter
© Les Impressions Nouvelles – 2013 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com
Thierry Groensteen
ENTRETIENS AVEC
LES IMPRESSIONS NOUVELLES
Joann Sfar encrant un dessin (photo Lewis Trondheim, s.d.)
INTRODUCTION
Joann Sfar a eu quarante ans en 2011, l’année où ont été enregistrées les premières des conversations rassemblées dans ce livre. Depuis quinze ans (La Fille du professeur, 1997), il a constamment été sous le feu des projecteurs, bâtissant une œuvre généreuse, tentaculaire, protéiforme, qui a marqué en profondeur le paysage de la création contemporaine en bande dessinée. Livres hebdo lui prêtait déjà une bibliographie riche de près de cent titres, à l’âge de trente-deux ans. Non seulement les choses ne se sont pas arrangées depuis, mais Sfar s’est lancé dans le cinéma, avec une certaine réussite (quatre César et un Grand Prix du festival d’Annecy), il est devenu directeur de collection chez Gallimard et commissaire d’exposition (Brassens à la Cité de la Musique), il se prépare à investir massivement le champ romanesque. Et quand il ne dessine pas lui-même, il trouve encore le temps de donner des scénarios à une belle brochette de complices : David B, Emmanuel Guibert, Lewis Trondheim, Christophe Blain, José Luis Munuera, Hervé Tanquerelle, Pénélope Bagieu, Clément Oubrerie, sans compter tous les contributeurs de la série Donjon. Cette fécondité sans pareille se double d’une omniprésence dans les médias : deux cent cinquante interviews rien que pour la promotion du dessin animé du Chat du Rabbin. Je me souviens des circonstances dans lesquelles j’ai fait la connaissance de Joann Sfar. C’était lors d’une réunion de l’Oubapo en 1993, la première ou la deuxième. Nous étions dans l’Atelier de la rue Quincampoix. Nous : Menu, Baraou, Killoffer, Ayroles, 7
Entretiens avec Joann Sfar
Trondheim et moi (autant que je me souvienne ; pardon si j’oublie quelqu’un). Plus Joann, que Menu a présenté en disant : c’est un jeune dessinateur qui développe un tas de projets, il a demandé s’il pouvait se joindre à nous. Et des projets, Sfar en avait plein sa musette, en effet. Pourtant, à vingt-deux ans, il n’avait encore rien publié. Je me souviens que j’avais trouvé ce grand gaillard volubile un peu envahissant et sa personnalité intéressante mais brouillonne, tout comme ses dessins. Il me semble que cohabitaient en lui une sorte d’ogre prêt à tout avaler sur son passage et un fan émerveillé d’être admis à la table de dessinateurs qu’il admirait. Avec une volonté de prouver qu’il méritait d’être admis dans la famille. Je m’étais un peu méfié, je n’avais pas décelé en lui un futur « surdoué de la bande dessinée » (comme ne tarderaient pas à l’appeler les médias), je m’étais dit que ce gars-là gagnerait d’abord à se calmer un peu. Après cette première rencontre, nous nous sommes peu vus, mais je l’ai beaucoup lu. Il est arrivé que Sfar me déçoive ou me déconcerte ponctuellement ; il m’a surtout procuré quelques-unes de mes plus vives émotions de lecteur, et mon étonnement devant sa puissance créative n’a cessé de grandir. Le moment était sans doute venu de faire le point avec ce créateur hors norme. Celui qui déclare « Je me suis construit dans le refus rageur de la mort » (celle de sa mère, décédée à l’âge de vingt-six ans) a caché des éléments autobiographiques un peu partout dans ses livres mais n’avait pas encore raconté son histoire de façon méthodique et suivie. Au cours de plusieurs longs entretiens répartis sur plus d’un an, nous avons parlé de lui, de sa formation, de sa double ascendance juive (reflétée dans l’œuvre, puisque Klezmer est la « réponse ashkénaze au Chat du Rabbin », fable sur les Juifs séfarades du Maghreb), de ses lectures, des figures tutélaires qui l’ont accompagné et fait grandir, dans la sphère privée comme dans le monde artistique. Nous avons évoqué l’œuvre, bien sûr, mais sans systématisme. Passer en revue toutes les séries, tous les personnages créés par Sfar 8
Introduction
aurait tourné à la nomenclature interminable et fastidieuse. Nous avons préféré prendre des chemins plus buissonniers. J’ai voulu, par mes questions, mettre en lumière les principales composantes d’une poétique d’auteur, souligner la liberté d’un artiste qui refuse que l’écriture soit une technique et le dessin un savoir-faire. Du dessin, nous savions tous deux d’emblée qu’il serait beaucoup question. Les lecteurs de Gainsbourg (hors champ) et des Carnets n’ignorent pas que Sfar y a semé quantité d’observations stimulantes et précieuses sur l’art du dessin. Toutes ces notations éparses sont ici développées et trouvent leur cohérence. Auteur syncrétique, Sfar ne sépare rien. Pour lui qui déclare vouloir « faire des œuvres de divertissement qui font baisser le degré de haine », la création est nécessairement politique. Il réconcilie le high et le low, la philosophie grecque avec la tradition des conteurs et des grands feuilletonistes. Et comme Pierre Péju, Sfar sait, ses livres en témoignent, que le conte « permet de jouer avec les grands objets du refoulement : le sexe, la cruauté, la monstruosité ». Il se dit « étranger à la culture du chef-d’œuvre » mais est imprégné de Belle du Seigneur, a illustré Candide et adapté Le Petit Prince sans faire de différence avec les récits de genre (aventures de pirates et de mousquetaires, heroic fantasy, peplum, histoires de vampires, « biopics » ) qu’il pratique assidûment. Chez lui, l’humour et le romantisme font bon ménage avec la crudité, la paillardise. Mon univers, résume-t-il, c’est le tragicomique. Je tiens à exprimer à Joann toute ma gratitude pour la disponibilité dont il a su faire preuve en dépit de toutes les activités qui l’accaparent. Thierry Groensteen
9
LEVER DE RIDEAU
Ce qui complique ce livre, c’est que tu es sans doute l’auteur de bande dessinée qui a donné le plus d’interviews ces dernières années… Sûrement. Parce que je suis une « bonne gagneuse », et qu’on me dit qu’il faut le faire. Dans le cas du cinéma, c’est une obligation. Si tu n’as pas bien joué le jeu de la promo de ton film, on te le fait remarquer et c’est retenu contre toi quand tu viens avec un autre projet. Pour mes livres, les éditeurs m’encouragent aussi à aller dans les médias. Et comme j’adore parler…! Malheureusement, quand je me réécoute, je me déteste. Mais il y a des émissions où j’aime aller, d’autres qui m’agacent. Quand je suis allé chez Michel Ciment sur France Culture, la manière dont il a parlé de mon film – qu’il n’avait d’ailleurs pas adoré –, ça a été mon plus grand moment de radio. Il me semble pourtant que tu as une réticence de fond vis-à-vis de la situation d’interview… Oui, parce que, même quand on fait de son mieux, ce n’est pas un lieu d’intégrité. Ça ne peut pas l’être. Comme on te pose tout le temps les mêmes questions, tu fais tout le temps les mêmes réponses. Tu « mets la cassette ». Au bout d’un moment, comme ça m’embête, je me mets à inventer d’autres choses. Et la finalité de tout ça étant de « vendre » un album ou un film, on est dans la situation d’un bonimenteur de foire. Comme quand Marilyn se mettait à se déhancher parce qu’elle savait que c’était ce qu’on
10
Lever de rideau
attendait d’elle. Et j’ai toujours peur que cette parole ne finisse par parasiter le travail lui-même. Edward Gorey disait qu’à force de répéter toujours les mêmes mensonges, on finit par les croire… Bien sûr. Il est important de se rappeler qu’on n’est pas ce personnage que l’on trimballe dans les médias, et d’arrêter le déhanchement. Bon. Dans ce livre d’entretiens, en tout cas, il ne sera pas question de vendre quoi que ce soit. On y va ? C’est parti.
Les Carnets de Joann Sfar, 8. Maharadja, Delcourt, « Shampooing », 2007, p. 147 (détail)
I. LA VIE
L’ENFANCE, LA JEUNESSE, LE DEUIL Quels souvenirs as-tu conservés de ton enfance, à Nice ? J’ai grandi dans une maison que mon père avait fait construire, au bord de la mer. Mon enfance a beaucoup consisté à aller nager ; dès le mois de mars, j’étais dans l’eau. Quand j’étais petit, mon père avait un bateau, qu’il a dû revendre par la suite. Il m’a aussi inscrit dans toutes sortes de clubs sportifs, où j’ai pratiqué l’aviron, le kung-fu, l’athlétisme… Il y avait une caserne de pompiers sur le port et beaucoup de mes copains étaient des fils de pompiers. À l’adolescence, je m’étais inscrit au ciné-club, où j’allais toutes les semaines. Et puis j’allais aussi au théâtre – qui, pendant un moment, a été dirigé par Jacques Weber. C’est là que j’ai vu pour la première fois Éric Elmosnino, mon futur Gainsbourg, qui était venu jouer Les Fourberies de Scapin avec Daniel Auteuil. Parlons un peu de ta famille… J’ai eu une famille très nombreuse, très religieuse du côté paternel, complètement agnostique de l’autre côté. Cette cohabitation ne posait pas de problème ? Pas du tout. Quand on était assis à la même table, on savait très bien que certains mangeaient du porc et que d’autres n’en mangeaient pas.
13
Entretiens avec Joann Sfar
Quand j’étais petit, je considérais ma famille comme une bande d’extraterrestres, tout ce qu’on me proposait me paraissait étrange, anormal, je me croyais tombé chez les dingues. Je ne faisais pas de distinction claire entre le monde que je voyais autour de moi et celui d’Astérix ou de Conan le barbare. Ton grand-père maternel, Arthur Haftel, hante bon nombre de tes livres, sous des formes diverses. Peux-tu me parler de l’homme qu’il était ? Il était né dans la petite ville de Bolechov, qui était alors en Pologne et qui se trouve aujourd’hui sur le territoire de l’Ukraine. Son père faisait partie des rares Juifs qui possédaient des terres, il était négociant en bois. C’était dans l’ancienne zone de résidence des Juifs, là où les tsars les regroupaient depuis des siècles. (L’écrivain Daniel Adam Mendelsohn en a fait le cadre de son livre à succès Les Disparus1.) Cet arrière-grand-père avait été prisonnier en Sibérie pendant la Première Guerre mondiale avec le père de ma grandmère ! Le camp où ils étaient a contracté le typhus. Ils ont réussi non seulement à ne pas l’attraper, mais à soigner leur geôlier, qui les a aidés à s’échapper en Corée et à rejoindre les États-Unis. À la fin de la guerre, au lieu de faire venir leur famille en Amérique, ils ont eu la mauvaise idée de rentrer en Europe. Arthur était un cavalier, il montait à cheval depuis l’âge de sept ou huit ans. Par ailleurs c’était l’enfant prodige de la famille, un surdoué qui connaissait le Talmud et la Torah par cœur, qui avait fait des études scientifiques et parlait une dizaine de langues. Et puis c’était un séducteur impénitent, quelqu’un de sur-viril, qui s’enorgueillissait d’avoir eu de très nombreuses histoires avec les Polonaises du coin. À propos de la France, il disait : « Je me suis fait aimer de ce pays par les femmes. » Ou encore : « L’antisémitisme s’arrête à la porte des chambres d’hôtel. » Le sexe et la culture étaient ses deux passions dans la vie. Pourtant il n’était pas vraiment beau : un petit gars très athlétique, avec des 1. Prix Médicis étranger 2007.
14
La Vie
yeux bleus. Il séduisait surtout par le verbe, et parce qu’il faisait le malin en permanence, enchaînant les bons mots et les provocations. Dans Le Chat du Rabbin, le chat, c’est vraiment mon grand-père. Comment est-il arrivé en France ? Dans les années trente, à un moment où la France faisait appel à des médecins polonais, parce qu’elle n’avait pas assez de docteurs. Il venait de terminer ses études de médecine. Il s’est installé en Meurthe-et-Moselle. Ma grand-mère Scilla – que tout le monde appelait Cécile – avait contracté un premier mariage, et avait déjà une petite fille, qui est donc ma tante (une femme très drôle, très fantaisiste, qui m’évoque irrésistiblement Sonia Rykiel). Elle a divorcé pour suivre Arthur, ce qui se faisait peu, à l’époque, dans les familles juives. Comment ta famille a-t-elle traversé la Seconde Guerre mondiale ? Dès le début, mes grands-parents maternels sont entrés tous les deux dans les réseaux de la Résistance. Ils se sont retrouvés alors à Saint-Joriot, près d’Annecy, avec des paysans et plus tard du côté de Grenoble. Ma grand-mère a tout de suite été extrêmement active, à fabriquer des faux papiers pour un tas de gens et à les faire passer en zone libre. Les Juifs étaient mal vus dans les réseaux de Résistance, alors ils prenaient des surnoms pour dissimuler leur identité. Mes grands-parents avaient pris le nom de « Kannel ». Ma grand-mère parlait de tout cela sans pathos, en évacuant toute la dimension tragique de cette époque. À l’entendre, on aurait dit qu’elle avait réussi un bon coup. Sa guerre ressemble aux aventures d’une bande de Pieds Nickelés. Tous les jours, dans le bus, elle croisait le chef de la Gestapo, qui lui laissait sa place en disant : « Bonjour Madame Kannel. » Cet officier ne savait pas qu’il serait arrêté par mon grand-père… Quand Malraux est arrivé et a formé la brigade Alsace-Lorraine, il fallait des médecins militaires, mon grand-père en a fait partie. Il a suivi Malraux jusqu’en Allemagne, où il a vécu ce qu’il appelait
15
La Vie
« la guerre la plus stupide du monde ». Le front reculait chaque jour. La brigade tirait sur les Allemands, et le lendemain lui devait les raccommoder. À la fin de la guerre, Malraux a fait une lettre attestant du fait que ce « Kannel » lui avait sauvé la main droite, et qu’à ce titre il méritait de se voir accorder la nationalité française. Il a été naturalisé (par la suite il mentirait à tout le monde en faisant croire qu’il était né à Metz), et il a ensuite été le premier médecin en Meurthe-et-Moselle à bénéficier de pénicilline, ce qui a fait de lui un « docteur miracle » sauvant de nombreuses personnes. Tu as été élevé dans le culte de cette figure héroïque qu’était ton grand-père ? Non, parce qu’il ne parlait jamais de tout ça. Il avait même des silences très lourds, parce que toute sa famille (les parents, la sœur) avait disparu dans les camps, au début du génocide, non pas gazée mais tuée par balles. Il m’a partiellement élevé après le décès de sa fille unique, c’està-dire de ma maman. Ton père n’était pas en mesure de t’élever ? Si si, mais j’adorais mes grands-parents et j’étais toujours fourré chez eux. Ils sont venus habiter Nice quand j’étais petit pour être près de moi. Mon grand-père n’exerçait plus la médecine, il était à la retraite. Ils ont fait l’acquisition d’une maison au Cap d’Antibes, qui a été ma deuxième maison d’enfance. C’est la maison que je dessine dans Petit Vampire. Mon grand-père était très amateur de bande dessinée. C’est lui qui m’achetait les Conan le barbare de John Buscema et Les 4 Fantastiques, et qui m’avait abonné à Pif, journal dans lequel il appréciait surtout les Rahan de Chéret et Lécureux. Le seul point d’achoppement entre nous, ça a été l’arrivée des jeux vidéo : il ne comprenait pas ce que ça m’apportait. En dehors de cela, nous avions une très grande complicité. Au CM1, j’avais décidé de tomber amoureux d’une fille qui, en réalité, ne m’inspirait rien. Je voulais lui faire la cour, comme dans Belle du Petit Vampire, 5. Petit Vampire et la soupe de caca, Delcourt, « Jeunesse », 2003, pl. 4
17
Entretiens avec Joann Sfar
Seigneur d’Albert Cohen. Le père de cette fille était un Pied-Noir qui tenait un bistro à Nice, avec une clientèle de gros bras. Je vois encore mon grand-père arriver dans ce café, très élégant avec sa veste en flanelle et son petit chapeau, et dire au patron : « Monsieur, mon petit-fils aimerait avoir un rendez-vous avec votre fille, et il voudrait lui remettre un cadeau. » Il y a eu un silence absolu, que le patron a finalement rompu par quelques mots : « Voyez avec ma femme. » (rires) Mon grand-père m’a élevé dans cette mythologie de la galanterie… Dans ton éducation, une certaine conception de la virilité semble avoir tenu une grande place… Oh oui ! J’ai eu deux modèles d’hommes super-virils, très différents l’un de l’autre : mon père et mon grand-père Arthur. On peut dire que j’ai une histoire d’amour avec chacun des deux ! Avant de venir en France, en 1956, mon père, André, a grandi en Algérie, dans une famille pauvre. Son propre père, que je n’ai pas connu, était un petit commerçant de Sétif. Il était un peu ventripotent. Un jour, il était venu à l’école de mon père pour régler je ne sais quel problème, et je crois que les enfants l’avaient traité de « sale Juif » et de « gros cul ». Pour mon père, autant que je sache, cela avait été une humiliation originaire, et toute sa combativité vient probablement de là. En tout cas, il a été très tôt sensible à l’injustice faite aux Juifs et aux Arabes dans le Maghreb. Il a cherché à être un élève idéal de l’école laïque et républicaine, puis un bon avocat, mais il était également devenu grand séducteur parce que cela procédait d’une forme de revanche. Contrairement à mon grand-père, il compte parmi les plus beaux hommes que j’aie jamais vus. Les gens le confondaient souvent avec Sacha Distel. Il était champion de ski nautique, excellent pianiste de bar, bref un homme à succès. Après le décès de ma mère, j’ai toujours vu mon père avec de vrais top-models. Par ailleurs, il était très bagarreur. En tant qu’avocat, il n’avait pas le droit de se battre, sous peine de se voir interdire de plaider. Mais ça ne m’a pas empêché de le voir quatre ou cinq fois casser la figure à quelqu’un. 18
La Vie
Je me souviens d’un épisode très significatif. Le jour de ma barmitsva, on m’a fait porter le petit costume bleu électrique qu’on met aux enfants juifs quand on veut les ridiculiser. Je suis allé déjeuner avec toute ma famille, et on m’a donné un peu d’argent pour que je me paye le cinéma. Pour la première fois de ma vie, je vais voir un film seul avec un copain. Pendant la séance, on se fait agresser par deux petits gars des hauteurs de Nice, qui nous attrapent et nous sortent de la salle après nous avoir fait les poches. Je me suis fait féliciter par mon grand-père, qui m’a dit : « Ne te bats jamais contre des gens indignes, ils sont capables de sortir un couteau », et je me suis fait incendier par mon père, qui m’a dit : « Mais où elles sont, tes couilles ? » J’ai été ballotté entre ces deux modèles de virilité, celle d’un homme qui avait tué beaucoup de monde pendant la guerre mais qui considérait que la violence n’était jamais une solution, et celle d’un homme pour qui il fallait en toutes circonstances défendre son honneur. Avec une telle ascendance, comment est-ce qu’on s’arrange avec sa propre virilité, pour prendre la succession ? On ne cherche pas à relever le gant. On tombe amoureux de la femme de sa vie à l’adolescence et on ne la quitte pas. Je suis l’homme d’une seule femme. De la même manière que je n’ai pas voulu devenir avocat, je n’ai pas voulu faire Don Juan. Ça ne veut pas dire que tout est simple. Par exemple, mon rapport à la violence n’est pas réglé du tout. Le pacifisme ne va pas de soi. Je ne donne pas de leçon sur tout ça, je suis aussi paumé que n’importe qui. Intéressé par la bande dessinée comme il l’était, ton grand-père a-t-il encouragé ta vocation ? Pas du tout. Il ne m’a jamais fait le moindre compliment sur mes dessins. Il est mort en 1999, l’année de la publication du premier Petit Vampire. Je lui avais apporté l’album à l’hôpital. Il m’a demandé « Ça se vend bien ? » J’ai dit oui, et il a fait : « Je suis surpris, parce que je n’ai jamais considéré que tu dessinais très bien. »
19
[…]
Table des matières introduction 7 lever de rideau I. la vie
10 13
l’enfance, la jeunesse, le deuil 13 la judéité 24 formation artistique 30 philosophie 34 les débuts 44 L’Association 52 la Thaïlande 55 la paternité 57
II. des carnets au journal de merde 61
une drôle de drogue 61 le domaine réservé 65 le Journal de merde 75 politique 81
III. la fiction
87
Ossour Hyrsidoux 87 principes d’écriture 90 des chiens et des chats 110 s’adresser aux enfants 114 le sexe de Pascin et celui du mousquetaire 116 Donjon : le projet monstre 122 Le Chat du Rabbin 130 Les Lumières de la France 142 Tokyo 148 projets en cours 155
iv. Le dessin
161
V. sur d’autres fronts
211
Vi. pour conclure
257
à la recherche du dessin juste 161 l’importance de l’outil 171 dessiner la femme 174 questions de méthode 180 le dessin et la vie 193 la couleur 197 le travail en atelier 203 digression sur moebius 205 admirations 207 la surchauffe le cinéma l’exposition Georges Brassens les romans quelques notes de musique
211 214 234 242 252
lecteur de bande dessinée 257 Le rapport aux lecteurs 259 la fonction d’éditeur 263 envoi 264
bibliographie 274
les livres de Joann Sfar les livres de Thierry Groensteen
274 282
OUVRAGE PARU EN JANVIER 2013 La personnalité baroque de Joann Sfar domine le paysage de la création contemporaine en bande dessinée. En quinze ans de carrière, il a constamment été sous le feu des projecteurs, bâtissant une œuvre généreuse, tentaculaire, protéiforme. Le Chat du rabbin, Petit Vampire, Pascin, Donjon, Klezmer sont quelques-unes des œuvres phares d’un auteur qui ne cesse d’écrire, pour lui-même ou ses complices : (David B, Emmanuel Guibert, Lewis Trondheim, Christophe Blain, José Luis Munuera, Hervé Tanquerelle, Pénélope Bagieu, Clément Oubrerie). Sfar est aussi réalisateur de films (quatre César et un Grand Prix du festival d’Annecy), il est devenu directeur de collection chez Gallimard et commissaire d’exposition (Brassens à la Cité de la Musique), et il se prépare à investir massivement le champ romanesque. Recordman des interviews, il va plus loin dans ce livre de conversations et se livre comme jamais. Thierry Groensteen l’interroge méthodiquement sur sa vie et son œuvre (l’explication par la biographie étant, chez Sfar, déterminante) et, en grand spécialiste de la bande dessinée, met le doigt sur tous les aspects de son art poétique, le faisant inlassablement parler de sa passion : le dessin. Richement illustré, ce livre à deux voix deviendra vite indispensable à tous ceux qu’intéresse l’une des œuvres les plus riches de notre temps.
RETROUVEZ-NOUS SUR : http://www.lesimpressionsnouvelles.com http://www.joann-sfar.com http://www.editionsdelan2.com/groensteen/ DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874491580 ISBN : 978-2-87449-158-0 288 PAGES - 22 €