Extrait "Temps mort"

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Jean-Christophe Cambier

TEMPS MORT



extrait


LES IMPRESSIONS NOUVELLES « TRAVERSES » Littératures d’aujourd’hui Romans, récits, fragments ou poèmes, les livres de la collection « Traverses » poursuivent résolument l’exploration des chemins les moins balisés. Les Impressions Nouvelles parient ainsi sur un renouveau qui est à la base de leur projet éditorial. Mais ce renouveau est moins une question d’innovation à tout prix que de qualité littéraire et celle-ci est à réinventer sans cesse.

Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Communauté Française de Belgique.

Graphisme : Millefeuille

© Les Impressions Nouvelles - 2010 www.lesimpressionsnouvelles.com

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Jean-Christophe Cambier

TEMPS MORT

LES IMPRESSIONS NOUVELLES

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Avant-propos

Temps Mort est difficile à situer dans les limites d’un genre. Récit ? Toutes les données tiennent de la confession, mais reposent tendanciellement sur une autographie. Roman ? Mais l’intrigue et les personnages (anonymes) s’apparentent plutôt à un jeu d’ombres. Poésie ? Mais qualifiée par une prose excessivement abstraite. L’opacité relative du livre provient de ce qu’il fait, défait et refait les protocoles de l’écriture, vraie mystique de la symétrie du sens. Un sens fasciné, présent-absent, kaléidoscopique, où tout est observé, examiné, tourné dans la contrainte supplémentaire de l’écrit, laissant au lecteur d’autant plus de latitude, augurant un surcroît d’interprétations. Le style, en effet, cherche à certifier le chiffre de langue, à vérifier sa lettre, à concrétiser ses signes, à verbaliser ses mots pour obtenir un phrasé d’hologrammes, installant le sens surréel et sa géométrie variable, souvent paralogique, subliminale. Le temps mort est celui de la méditation spéculative, passionnelle, cruciale – bord de la raison à la conscience, catharsis. Ses objets sont le sommeil (paradoxal ?), le rêve (éveillé ?), le souvenir (volontaire ?), le fantasme (velléitaire ?), le désir (vivable ?), l’amour (vécu ?),

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l’émotion (sensible ?), le goût (transcendant ?), le monde (ennuyeux ?), le délire (intelligible ?), la lecture (facile ?), l’écriture (en relief ?). La personnalité du narrateur, à l’identité rigoureuse, est menacée par des mirages énigmatiques, phénoménaux, mis en œuvre par la réflexion des impressions, des affects, des sentiments, selon la logique d’un paradoxe réfléchi. La relation pathétique au vécu altère la conscience, la fascine, en suggère le portrait virtuel. Elle discute l’aveu de la folie comme l’authenticité de l’intime, qui se relèvent dans l’analyse (ubiquitaire) en deçà même d’un récit, d’une évocation, d’une description. La singularité de l’absolu dupe les codes au possible, subvertit la contemplation, franchissant la frontière atypique de la douleur dans l’antagonisme à la souffrance rapportée à l’aveu même de l’écriture.

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Sommeil de rêve La pensée avait à peine le temps de se dire (qu’il était encore temps), sombrait dans un sommeil réfléchi, prenait le tour d’un rêve, miroitant ce qui semblait si peu moi-même, rendait compte d’un songe un peu particulier si j’en croyais la seule raison à revenir intelligible, comprise sans autre cause que soi, trouvait ce dont seul mes yeux parlaient (et peut-être plus encore) sans cesser de décrire l’excitation obscure, sans cause, telle idée d’une essence intérieure : l’apparition dans le sommeil d’un volume appliqué, livre gravé comme d’un ouvrage antérieur, détaché à son propre sujet, tenant lieu au premier plan d’un savoir ignoré qu’un instant, d’après le souvenir dénué d’existence au réveil, à tirer du néant, voire de sa propre confusion, son devenir s’évanouissant, sa position à l’orbite déplacée ou ignorée si elle ne se donne. Le rêve d’un instant (en traits appuyés), soulagé de souffrir l’espérance d’un sommeil rapproché, de lieux accoutumés, d’actes nouveaux (un pas dans l’inconnu), toute la nuit disparue, différant d’habitude à traverser tant d’espaces à peine de temps, complètement effacée, dans une toute autre contrée de l’esprit où se croire à nouveau au milieu de la page pour s’arrêter en train d’écrire, attendant le temps d’un réveil panoramique, l’obscurité en regard, la montre consultée d’instinct, la

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conscience momentanée du sommeil vouée au détour de l’éveil, effort résolu, remède sur le point de rester suspendu ; il faudrait en retenir l’événement, en rester au plaisir imaginé du livre donné tout entier au goût d’une réalité retrouvée, oubliant ce rêve en son délire, l’ordre mêlé d’un monde occulte perdu dès la première heure. L’immobilité était impossible en guise de certitude (les traits originaux d’en rabattre) au détour des choses à savoir où chercher dans un sommeil trop agité pour se repérer dans des rêves successifs qui nomment, induisent, se posent en présent invisible, changeant de forme, cherchant leur place à l’existence hésitante, la pensée devinant, trouvant même sans se retrouver la place orientée, imaginant se rappeler exactement, se figurer la suite suspendue pourtant à se la représenter au réveil des plus disparates sur un coin de couverture par un temps indéfini, mobile entrouvert creusant l’aube séparée de lueurs aux contours allumés comme le retour d’un reflet mis au clair sur la vitre à suivre la trajectoire naissante du soleil en plein air. Dans la chambre, une pyramide de lumière tronquée à hauteur d’étage, l’indifférence de la glace barrant le champ visuel à l’œil anxieux, point aveugle chassant d’un regard oblique, essayant tous les angles, à tout dépit de même parvenir à s’y apercevoir, point de fuite

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rendu enfin à la puissance de s’y retrouver mais sans s’y reconnaître, l’image ayant pris tour de certitude à ma propre place dans l’ignorance distincte de savoir la présence, seule en demeure, couchée et mise au lit tout en restant placée d’un point de vue distant au seul instar d’un point fixe : le châssis opaque accru d’apparitions vacillantes et momentanées dans la vitre comme d’une architecture miraculeuse, permettant d’accéder à une légende naturellement surnaturelle, le bruit de la rue reconnaissant avec évidence l’écoute d’un instant.

L’inquisition des temps Moments vérifiés à s’arrêter ainsi qu’à venir d’ailleurs, au tracé vif d’un plaisir d’autrefois (un jadis à jamais déjà dit), désolé par l’exactitude matérielle séparée des temps aperçus, indifférent aux instants contigus par la faculté de les imaginer sentir, au lieu de se sentir comprendre, me saisissant mieux de soi que je ne le faisais moi-même, capable ou non d’écrire. La lune s’écarte sur la figure d’un reflet bleu encadré de la moitié d’un ciel baigné de nuit tout entier dans l’ombre moite, succédée de séjour avec le reste de lumière d’un autre jour, d’une autre fois.

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En tant d’êtres, le caractère s’était trouvé, s’entêtait, la forme étant au fond un tort d’identité fait en sorte que son rappel était signé d’une promesse succincte, cherchant à toucher au cœur de l’intelligible, dont le silence seul tirait parti, mystère profond arrêté par des paroles vérifiées à l’instant en imaginations tapissées par grâce de sens étranges, les souvenirs immédiatement flagrants sachant se concilier au cœur du sentiment, vous faisant croire que vous teniez en place. Prendre pour y aller un trottoir plutôt qu’un autre à tout de même sortir, départageant le parti de la sentence, fiée au silence, appréciant la décision, remise à des sentiments jamais contresignés. Savoir d’envie, désir honteux, au seul profit de l’habitude à l’instant, pour me faire comprendre, me rappeler en regard à le faire dire au risque d’indiquer ce dont je ne voulais pas à prétendre livrer du coup le vrai de vrai comme s’il était compris d’un seul regard converti dans l’intervalle en un sentiment affranchi de toute adresse à raison de risquer une simple absurdité. Ces peut-être jamais réconciliés de la mémoire de toute une vie, mais seuls chargés à jamais de la dire, la vérité comprise (même remise à plus tard) telle l’inquisition des temps, relative à l’échec même d’une

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raison contrariée, reconnue dans l’intervalle – à tout de suite – au fait de ce jour où il est encore temps de ressusciter cette vérité (voulue à mort) d’autant plus refaite qu’elle appelait le mensonge à la consolation de conter les temps en question d’en concevoir seulement l’intérêt. Rester la même à désirer perdre l’existence, attacher à l’imagination d’un regard – un souhait dans les yeux – le désir seulement à se le figurer, apparence retournée d’un réel tout à fait égal à se le demander, la durée qui retouchait la permanence en ses affections, décomposant la vie où se succédaient les alibis imaginaires d’une identité qui ne s’affranchissait en vérité que de l’abîme d’exister. Consolation suivie, comptée, pensée du jour curieux de pouvoir risquer ma vie, méprise à préférer me la raconter, l’attacher à moi-même, telle geste à se la figurer par audace, à se la mettre sous les yeux. Ce regard de mémoire à l’apparence de réel, tout à fait souffert également à se demander ce qu’il était, m’envoyait retourner dire ; s’expliquer m’affectait tel jadis : opération permanente, prolongeant la durée, succédant en somme à composer sa partie après tant d’années de distance, accomplie en franchissant l’abîme

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entrouvert qui résume et anime au fond le genre d’existence, en permanence d’imaginer. Toutes ces promenades tendues de toutes mes forces, la réalité si près de moi qu’elle n’existait qu’entre moi à la seule pensée momentanée d’un ailleurs, fût-ce au présent, qu’il faut trouver, goûter, comprendre au point d’en avoir l’éclaircie instantanée, immédiate, affectée par ce qui serait un souvenir.

Du dehors au dedans Le texte rêvé avait eu l’air d’indiquer une compréhension certaine, parfaite, matériellement distinguée, conforme et adaptée, ne se figurant à le laisser paraître que de réverbérer, toutes saccades éloignées, le corps de l’écrit (obstacle d’essence), avançant de l’intérieur à distinguer le naturel dedans ces plis. Faire attention à l’histoire (malaise d’influence) projetée au passé des reflets d’un charme, lumière semblant s’ouvrir toute seule à l’ignorance de l’habitude, suspendue à la conscience, tous scrupules examinés.

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L’objet du corps, voire le corps de l’objet, à paraître reflet projeté sans figure, intrus, mystère d’anesthésie, le monde (mis à penser) s’ouvrant tout seul, tourné d’inconscience à l’aura d’augure, de corps astral, tel l’examen tombé de la conscience. Obligé (à d’autres) de causer tout le reste du jour, la chambre comme restée du dehors au dedans, jamais troublée de bruit, respirant également par tous les temps, dépourvue de n’affecter qu’au sentiment. Les mouvements réglés du matin, les symétries de l’âme, arrangées du seul désir, de l’inconnu, des problèmes, à hauteur même de désespoir : les moments révolus aux périodes du jour, de la lumière. Désir tel un besoin voire une idée fixe, à mise de force, de respect, ou de la seule volonté qui m’envoyait au lit enfermé à lire, tourmenté et plaisanté à cette idée, au seul pouvoir de disparaître. Le peu de cas fait d’ironie qu’il inflige en souriant d’un regard vain lâché d’avance à rire, ne se voyant pas voir, pinçant les lèvres d’avance pour qu’on souffre d’en différer la clé.

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Bonheur de ne passer la porte qu’au moment qui va suivre à prolonger le répit pour durer une fois encore, la montée du bruit pris au rite du dehors, à la nuit, communiquant en présence avec le calme et la paix de s’endormir. De qui cela peut-il être ? De tout le monde (au passage) s’efforçant de la voix : de personne sur un ton entendu de prêcher l’exemple (doublement étranger), timide et glacé en sorte que ce ne pouvait qu’être prétexte à croire, en train de dire ou redire quelque chose qu’on ne devait pas entendre, le rendant à son peu de naturel, chuchotant subreptice, obligeant à haute voix. Suspendu à l’exception d’une nouvelle, attaché d’importance, singulièrement visible, se suffisant d’un rien (à ce qu’il paraît) ; attitude anecdotique, distinguée, interrompue, la pensée changeant de cours au possible. Le souvenir accouru auprès de soi trop compliqué, trop ardu à revenir, sentant qu’il venait d’un mouvement familier qu’on ait beau dire : inconsolable laisser aller d’un pareil moment si à nouveau présent à l’esprit, bon tout de même à propos, incognito à juger sans savoir. Coefficient mondain, discrétion sociale, réserve idéale, il y a fort à parier au hasard des riens qu’une

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caste sans revenus ou non (de fortune) témoigne de sa fidélité saluée de par la bienveillance exercée à toute force, se faisant une haute idée de cette caste rêvée (quel qu’en soit la classe) au gré de sa conversation, la saleté des on-dit laissée aller pour compte d’en avoir l’air, l’évidente ignorance des fréquentations sans plus en situer l’infamie d’intérêt, en supposer d’effets la compétence, conversation faisant le détail de la pensée admirée du point de vue du sujet, de son rôle, de son récit de fantaisie, qualification parfaitement différente de rencontres égales à la haute idée précisée de façon personnelle, prosaïque à donner son avis à propos de toute histoire nouvelle.

Réveiller le temps Je reconnaissais sous mes yeux à même la distance, une tout autre lumière dessinant à travers les carreaux ses rayons incarnats orientés l’un vers l’autre d’un verre écarlate, au ton bleui de même couleur dès au plus loin. Me parlant de moi à moi-même (selon son propre détour), tout autre auprès des autres, me défendant de leur être inutile, sûr d’être usurpé d’identité, tout court de ce que je ne leur serve à rien.

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Différent comme par controverse de ce que j’étais à chaque reprise, épanoui au contraire d’une charge inverse, démissionnant à un point tel de ce que j’avais connu, opérant paradoxalement au ralenti pour répondre à la tournure d’un idéal de seule désinvolture pour se représenter aux autres, désir de sembler garder un avantage, une allure de courant d’air, le moi réduit à l’hypothèse, au simple schéma d’invisibilité, ce seul désir en ligne de compte et d’impatience ne traduisant de toutes ses facultés qu’une réalité vivace d’ennui ne semblant vouée à l’oisiveté que par contresens. Mémoire perdue chaque fois pour toute, réminiscence rêvée, cherchée, prise ou quittée à demi, faisant d’ellemême défaut à réveiller le temps (le plus souvent) sans plus le compter qu’il ne faille. Elle en finissait (conclusion de personne morale) par croire le plein respect des préjugés à mesure (simulé) ; mensonge de proportion volontaire à découvert semblant d’être mis au courant de la seule simulation, parce qu’on ne pouvait pas le lui dire à raison de faire ou non de la peine. Incapable de donner des preuves d’amour (même si j’en revenais de le croire), évidemment lui-même sacrifiant tous les signes.

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Similitude étrange à la rigueur, sans ignorer la ressemblance indue en simple paraître d’imitation fixant le modèle impossible d’une photographie mensongère, différente sans mesure, refusant d’y remédier, même par habitude de la voir venir et stupéfié à la regarder trop fixement. Anticipant de toutes pièces les occasions à mesure qu’elles changeaient, le passé permettait d’apercevoir (pour une fois) les détails spécieux qui ne reviendraient que censés, anticipés, voire inventés sans plus lui ressembler qu’à se donner l’air de précieux simulacres d’habitude, figés, inconscients, exagérés, passés, hérités, accomplis. Jamais quitte un instant de liaisons sans cesse indéfinissables, éprouvées d’un règlement de manières quant au penchant interprété d’un rien de goût, possibilité excessivement nécessaire, un soupçon de détachement quant au désir (excuse directe) un silence à médire sans en parler, en s’empêchant de le répéter, à satisfaire de l’afficher sans règle générale que de l’épancher sous une forme ou sous une autre, amours interprétés l’un l’autre (sans faire quasi exception), se contentant de méditer des phrases à fond secret, ignorées, intelligentes que de ce qu’on soupçonnait : passion indifférente à condition de cerner les sujets au genre de choses allusives.

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[…]


OUVRAGE PARU EN OCTOBRE 2010 Temps mort ne se donne pas d’emblée. Peut-être même ne se dévoilet-il qu’à travers sa résistance. Absolument singulier, l’ouvrage de JeanChristophe Cambier est une porte entrouverte sur un monde d’ordinaire inaccessible. C’est le récit d’une expérience des limites, quelque part entre Aurélia de Gérard de Nerval et Coma de Pierre Guyotat, où le narrateur nous parle à la fois de l’intérieur et de l’extérieur d’un délire. La syntaxe, en ses plis et replis, évoque souvent Mallarmé ; elle peut aussi rappeler Lacan. Temps mort est l’héritier de ces écritures de l’indicible, mais dans un registre qui se rapproche par moments de l’autofiction la plus contemporaine. Certains trouveront dans ce texte une restitution inouïe de leur savoir le plus incommunicable, et l’accès à une part de réel qui jusque là ne trouvait pas de mots. D’autres le liront comme un poème en prose d’une pureté presque insoutenable, où la surprise permanente n’interdit jamais l’émotion.

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DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874490965 ISBN : 978-2-87449-096-5 192 PAGES - 18 €


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