Extrait de "Konoshiko"

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Luc Luc Giard Giard

Jean-Marie Jean-MarieApostolidès Apostolidès

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S



extrait


Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Graphisme : Mélanie Dufour et Floriane Mohr Illustration de couverture : Luc Giard © Les Impressions Nouvelles – 2012 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com


Luc Giard

Jean-Marie Apostolidès


– Voici le vrai portrait de Konoshiko. Il ferme les yeux pour mieux contempler son monde intérieur. Il ne sourit pas. Il a franchi le cap des grandes fulgurances.


1 o k i h s o Kon A

près avoir asséné ces fortes paroles, Raymond Girouard se tait. Le silence est lourd. Les patients de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal aimeraient en apprendre davantage mais l’artiste refuse d’expliquer son travail. – Je n’ai rien d’autre à ajouter. L’infirmier qui dirige la séance de thérapie collective tente d’intervenir. Tous les arguments lui sont bons pour convaincre le malade. Mettre des mots sur ses angoisses, sur ses peurs, n’est-ce pas le premier pas vers la guérison ? De guerre lasse, Ray Girouard accepte de raconter l’histoire qui donne une cohérence à l’ensemble de ses dessins. Mais c’est pour ajouter aussitôt qu’elle ne suffira pas pour comprendre son travail. Les malades font cercle autour de leur camarade. Girouard fait circuler ses dessins l’un après l’autre, commentant chacun d’une voix sourde.

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Parfois, les pluies tombaient si dru sur la pauvre ferme que le mont Fuji disparaissait au loin. Tout n’était qu’orages, éclairs et vents. Ces nuits-là, Konoshiko devenait tempête.

Puis, au matin, tout était oublié. Il retrouvait son calme. Les fantômes de la nuit s’étaient enfuis. Autour de sa maison, de nouveau le bruissement fragile de la nature ressuscitée.

Les fantômes s’étaient enfuis, c’est vrai, mais non sans faire de beaux dégâts. « Et qui va nettoyer tout ça ? » se demandait Konoshiko.

Avant de se mettre à l’ouvrage, il prépara une bonne tasse de thé vert. L’eau chantait doucement dans la marmite.


Tout en dégustant le thé, Konoshiko pensait aux fantômes. Quel tapage nocturne ! Partout, ils avaient laissé leur signature, comme une cicatrice sur son corps. Pourquoi avaientils choisi sa demeure ? Qu’attendaient-ils de lui ? Reviendraient-ils bientôt ?

Autant de questions sans réponse. Konoshiko se sentait pris dans un tunnel. Son humeur devenait sombre. Ces jours-là, il ne travaillait pas, il ne faisait que penser aux fantômes.

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Qui étaient-ils, ces fantômes ? D’où venaientils ? Pourquoi sa ferme, plutôt que la ferme du voisin ? Ces questions, qu’il ressassait pendant des heures, lui donnaient le tournis. Il avait peur de tomber.

Il se dit alors que s’il dessinait les fantômes, il pourrait les retenir sur le papier. Car Konoshiko croyait au pouvoir des images. Comme les miroirs, ou les étangs, les dessins sur papier de riz étaient choses magiques.

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C’est à peu près comme ça que Konoshiko imaginait les fantômes qui hantaient sa tête et sa maison. « On est prié de fermer les yeux », songea-t-il. Ainsi, il les voyait mieux.

Il était satisfait de son dessin. Il trouvait les fantômes très ressemblants. Maintenant qu’il connaissait leur forme, il attendait leurs messages. Car Konoshiko ne doutait pas un seul instant qu’ils eussent un secret à lui confier.

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Il plongea dans la mare devant sa maison, car l’eau est un immense miroir. Immobile, sans crainte du froid ou de la pluie, il attendit toute une journée, jusqu’à la nuit. Les fantômes demeuraient silencieux.

Lassé d’attendre devant sa maison, il revêtit son kimono de soie et partit à leur rencontre. Il savait où les trouver, dans les eaux au-delà des marais.

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Il avait froid, il avait faim, il avait peur aussi. Certainement, il avait envie de rentrer à la ferme pour se lover dans son ventre tiède. Mais le désir de connaître les fantômes était un aiguillon trop fort pour qu’il renonçât dès la première difficulté.

Il était certain que les fantômes hantaient les eaux dormantes. Jadis, son grandpère le lui avait affirmé. C’est donc bien là qu’il fallait les chercher.

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Malgré la fatigue et la faim, il rama des heures et des heures, n’ayant qu’une seule idée en tête.

Mais le vent de la nuit soudain se leva. Konoshiko prit peur. Tout se défaisait en lui, autour de lui. C’était comme une ivresse mauvaise.

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À un moment, il eut l’impression de tomber. Encore cette impression de vertige ! Il pensa au film d’Hitchcock, dans lequel Scottie Ferguson a peur d’affronter les gouffres en lui, autour de lui.

Lorsque Konoshiko reprit conscience, tout était noir alentour. Il était seul au cœur des ténèbres, sous l’eau dormante des marais qu’il entendait clapoter au-dessus de sa tête.

Pourtant, il percevait encore la lune qui illuminait le sommet du Fuji. Etait-ce possible, s’il était sous l’eau ? Quelle sensation étrange !

Il entendit alors des murmures et des éclats de rire autour de lui. Une voix, puis deux, puis trois l’appelaient doucement : « Konoshiko ! Konoshiko ! »

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C’étaient les fantômes. Ils avaient emprunté une forme humaine, comme il arrive parfois. Ils allaient lui transmettre un message.

« L’arbre te guidera », lui dit le premier fantôme, « mais tu dois d’abord le manger. »

« Le torrent te guidera », lui dit le second fantôme, « mais tu dois d’abord l’arrêter. »

« La montagne te guidera », dit le troisième fantôme, « mais tu dois d’abord l’aplanir. » Et tous trois ensemble ils ajoutèrent : « Nous te confions ici les clés de la Vie. »


Et Konoshiko devint perplexe. Il pensa dans sa tête : « Comment puis-je accomplir de tels exploits ? Même un géant ne pourrait pas les entreprendre ? Et moi je suis un gars ben ordinaire ! » Une chanson de Robert Charlebois lui revint alors en mémoire.

Plutôt que de chercher la solution, il s’évanouit devant l’immensité du défi. Etait-ce une façon de renoncer ? Ce sont des choses qui arrivent…

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Konoshiko ne sut jamais comment il parvint à rentrer chez lui. On lui apprit plus tard qu’il avait dormi deux jours de suite, sans aucun rêve. Un fantôme, ou bien son grand-père, avait veillé sur son sommeil. C’est parfois bon d’avoir une famille près de soi. On ne peut pas constamment lui lancer à la face : « Famille, je vous hais ! »

La vie reprit son cours à la ferme. Konoshiko faisait semblant d’avoir oublié le message des fantômes. Une stratégie d’autruche, penseront les esprits forts parmi nos lecteurs (il s’en trouvera !). Comment peutil avoir oublié une telle rencontre ?

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« Ah ! Que le temps ramène la blanche semaine ! » pensa-t-il en entendant dans sa tête la voix de Monique Leyrac. Alors, l’hiver s’en vint, avec les neiges qui engourdissent l’esprit. Konoshiko avait-il vraiment tout oublié, sauf les chansons de son enfance ?

Un matin qu’il achevait de la traire, la vache lui dit dans son patois : « Konoshiko, as-tu oublié le message des fantômes ? »

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Il devint sombre en entendant ce reproche du ruminant et il préféra ne pas répondre. Parfois, mieux vaut se taire que de dire des injures à qui ne les a pas méritées.

Il rumina à son tour, à la façon des hommes, c’est-àdire en silence et en plissant son front. Quand les beaux jours revinrent, ce fut la fleur qui le mit en garde : « Avant de me cueillir, n’oublie pas, Konoshiko, que tu dois manger l’arbre. »

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En entendant ce rappel, il rentra à la maison, plus triste que jamais. « Encore une sale journée » pensa-t-il pour se disculper ; « mon horoscope m’avait pourtant prévenu ».

Mais bien vite il oublia et la vache et la fleur, et les reproches qu’elles lui avaient adressés. « Bonjour, bonjour les p’tits oiseaux, y a d’la joie ! » fredonna-t-il dans sa tête. Sa joie possédait néanmoins quelque chose de faux. Tout en s’étourdissant dans les plaisirs de l’instant, il entendait la voix de sa conscience. 19


Alors, il se réfugia dans la forêt pour ne plus entendre les voix. « Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales », lança-t-il aux arbres, comme par défi.

Pendant une longue période, tout lui devint prétexte à ne plus travailler. Il fuyait la maison à la moindre occasion, empruntant la carriole qui servait aux moissons. Il se fichait de tout.

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Un jour qu’il regardait de loin la ferme familiale, il vit son grand-père qui soulevait avec peine un seau d’eau pour le thé. Pauvre vieil homme brisé !

Il eut honte de sa conduite. Il venait de comprendre qu’il se conduisait comme un lâche. Il ne devait plus fuir les voix de sa conscience, quelque blessantes qu’elles pussent être. Résigné à la condition humaine, il décida de regagner la ferme.

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« Aimerais-tu prendre une tasse de thé avec moi ? » lui demanda le grand-père. Et Konoshiko, conscient d’avoir obtenu un pardon qu’il ne méritait pas, alla s’asseoir au côté du vieillard. 22


Après avoir bu le thé, le grand-père conduisit son petit-fils devant un arbuste nain : « C’est une image de la vie, lui dit-il. Regarde. L’arbre te guidera si tu sais le soigner. Tu dois le manger, c’est-à-dire en langage de jardinier le tailler, le nettoyer, lui procurer la fraîcheur et l’eau. » Et Konoshiko remercia le grand-père qui lui permettait de comprendre le langage des fantômes. 23



[…]


EN LIBRAIRIE EN NOVEMBRE 2012

Voici le vrai portrait de Konoshiko. Il ferme les yeux pour mieux contempler son monde interieur. Il ne sourit pas.Il a franchi le cap des grandes fulgurances. – Comment appelez-vous déjà le personnage principal ? – Konoshiko. – Et qui est l’auteur de cette histoire ? – Un certain Raymond Girouard. – Vous le connaissez ? – Pas personnellement. C’est un grand artiste, mais aussi un grand malade.

RETROUVEZ-NOUS SUR : http://www.lesimpressionsnouvelles.com

DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874491535

ISBN : 978-2-87449-153-5 192 PAGES - 19,5O €


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