Les Styles de Deleuze suivi de cinq lettres inédites de Gilles Deleuze
Sous la direction d’Adnen Jdey
LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S Réflexions faites
extrait
« Réflexions faites »
Pratique et Théorie « Réflexions faites » part de la conviction que la pratique et la théorie ont toujours besoin l’une de l’autre, aussi bien en littérature qu’en d’autres domaines. La réflexion ne tue pas la création, elle la prépare, la renforce, la relance. Refusant les cloisonnements et les ghettos, cette collection est ouverte à tous les champs de la vie artistique et des sciences humaines.
Cet ouvrage est publié avec l’aide de la Communauté Française de Belgique.
Photo de couverture : © Hélène Bamberger © Les Impressions Nouvelles – 2011 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com
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Collectif – Sous la direction d’Adnen Jdey
Les styles de deleuze Esthétique et philosophie
les impressions nouvelles
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Adnen Jdey
Introduction « Le temps approche où il ne sera guère possible d’écrire un livre de philosophie comme on en fait depuis si longtemps : Ah ! le vieux style… La recherche de nouveaux moyens d’expression philosophiques fut inaugurée par Nietzsche, et doit être aujourd’hui poursuivie en rapport avec le renouvellement de certains autres arts, comme le théâtre et le cinéma. » Gilles Deleuze Différence et répétition, 1969 « Le baptême du concept sollicite un goût proprement philosophique qui procède avec violence ou avec insinuation, et qui constitue dans la langue une langue de la philosophie, non seulement un vocabulaire, mais une syntaxe atteignant au sublime ou à une grande beauté. Or, quoique datés, signés et baptisés, les concepts ont leur manière de ne pas mourir, et pourtant sont soumis à des contraintes de renouvellement, de remplacement, de mutation qui donnent à la philosophie une histoire et aussi une géographie agitées, dont chaque moment, chaque lieu se conservent, mais dans le temps, et passent, mais en dehors du temps. » Gilles Deleuze & Félix Guattari Qu’est-ce que la philosophie ?, 1991
Disons-le d’emblée. Rares sont les philosophies qui intègrent la question du style à une démarche strictement philosophique. Plus rares encore sont les philosophies qui ressaisissent dans le « problème d’écrire » les linéaments d’une réflexion apte à dire ce que fait le concept. La pensée de Gilles Deleuze, peut-être plus qu’une autre, se prête sans doute à cette démarche croisée, ne justifiant en contrepoint la nécessité d’une stylistique de la pensée qu’à ce qu’elle remet en jeu sous les plis d’une pensée du style. Les raisons 5
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Les Styles de Deleuze
n’en tiennent pas seulement à la manière bien particulière qu’avait Deleuze de nouer le rapport constructif et relativement complexe avec les modes d’énonciation conceptuels ou non-conceptuels de la philosophie ; elles concernent surtout la spécificité même de l’acte de création qui, bien que variant selon qu’il s’actualise dans les arts, les sciences ou les philosophies, n’en exige pas moins que son individuation soit signée. Si cet aspect, peu étudié jusqu’à aujourd’hui de l’œuvre de Deleuze, pourrait avoir une véritable portée dans la réévaluation de sa pensée, c’est sans doute en ce qu’il contribue à nouveaux frais à la compréhension de la voix qui fut la sienne dans le débat philosophique de la fin du siècle dernier. Néanmoins, dans ce choix, on ne verra pas une insidieuse tentative de tirer le travail de Deleuze du côté d’on ne sait quelle littérarisation de la philosophie. Bien plutôt, au croisement de multiples champs où la question du style vient se nouer, c’est tout un maniérisme du concept qui trouve son volume. De l’histoire de la philosophie, pratiquée dès lors comme collage pictural et assortie de ses portraits noétiques expressionnistes, ou de l’empirisme supérieur hissé à une espèce très particulière de « roman policier » et de « science-fiction », les décrochages stylistiques de la pensée de Deleuze nous déportent vers les vitesses virtuelles du concept et ses ralentissements teintés d’affect, en passant par le maniérisme des intensités en leurs contrepoints artistiques en compagnie de Leibniz, Bacon ou Boulez, et par la pragmatique de l’expression et la cartographie intensive de la syntaxe qui viennent relancer en littérature les procédés de minoration impersonnelle à la limite du « non-style ». Qu’on ne s’y méprenne pas toutefois : si la diversité de ces préoccupations philosophiques et esthétiques fait qu’il paraît difficile, à première vue, de dégager un fil conducteur autour duquel devait s’organiser une stylistique chez Deleuze, on aurait tort de croire celle-ci confuse dans ses objectifs. Plus qu’une systématisation, en effet, c’est une remise en question des continuités discursives que produit la pensée deleuzienne, de Différence et répétition à Qu’est-ce que la philosophie ? et Critique et 6
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Introduction
clinique, se déployant sur plus d’un plan à la fois, passant avec le même bonheur de Spinoza à Leibniz, de Proust à Carmelo Bene, de Nietzsche à Kafka. Ce faisceau de gestes et de relais théoriques converge vers une même direction : la nécessité de désenclaver le concept et la pratique du style des poncifs où il s’est embourbé, pour le penser en retour sous le signe d’une philosophie pratique. Car, non seulement le style demande à être appréhendé dans la singularité irréductible de ses modes d’énonciation noétiques et esthétiques ; mais il exige également qu’il soit examiné à l’aune des fonctions proprement pratiques et opératoires qui lui sont à chaque fois assignées. Peut-être est-ce là un des enjeux les plus troublants de la question chez Deleuze, et ce qui peut justifier qu’on maintienne l’idée des styles de son œuvre. Si l’interrogation sur la théorie et la pratique du style se met ici au pluriel, nous offrant d’un même geste et une ouverture précieuse sur la manière dont la pensée de Deleuze procède et une possibilité de savoir en quel sens le philosophe sait, lui aussi, ce que parler veut dire, elle n’en appelle pas moins en revanche à une lecture nuancée et non réductrice de ses textes, qu’on aborde souvent en pensant savoir par avance ce qu’ils ont à nous dire. Entre théorie et pratique du style, ou plutôt dans l’oscillation malaisée qui soumettrait chacune aux exigences de l’autre, le propos du présent ouvrage est de faire jouer les perspectives, examiner les prémisses de cette articulation et en peser sérieusement les attendus. Et ce, en lisant deux fois Deleuze. Que fait donc le style en philosophie, le style à la philosophie ? Le premier moment de lecture, alliant réflexions et études de cas, propose de relever quelques stratégies énonciatives de Deleuze et d’en mesurer aussi bien l’originalité que les paradoxes. Fonctionnant en accords discordants, produisant par coupures, pliages et raccords ce qui, non seulement n’appartient à aucun des codes constitués de la machine textuelle, mais se refuse au cloisonnement 7
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des formes d’expression, les diverses facettes du seul style pratiqué par Deleuze se prêtent pourtant mal à l’ordinaire sémantique conceptuelle. Elles seront ici examinées du triple point de vue de leurs modes de fonctionnement discursif, de la fonction argumentative qu’elles y assument, et de leur implication dans la pédagogie du concept. Si Deleuze conserve parfois le sens daté du style comme façon particulière de dire les mêmes choses, détachant ainsi le fond et la forme, il faut convenir que l’une des originalités de sa démarche en histoire de la philosophie ne tient pas tant aux distorsions d’une philologie hasardeuse qu’au refus du commentaire, s’échappant du sillage auctorial et favorisant plutôt l’intervention créatrice dans les systèmes. Et si c’est d’un seul et même mouvement qu’il relit les philosophes en « commentateur », ou reformule un problème mal posé, ou encore crée ses propres concepts, la fonction performative qu’il confie chaque fois au style est éminemment philosophique ; elle ne se conquiert que dans l’état d’une pensée hors d’elle-même, qui n’est puissante qu’au point extrême de son impuissance. La contextualisation par Philippe Mengue de la logique qui fédère cette variation, ne la situe pas seulement dans la différence des styles deleuziens – différence bien sensible depuis Empirisme et subjectivité jusqu’aux derniers textes, en passant bien sûr par le très polémique Anti-Œdipe de 1972 –, mais aussi dans les variations à l’intérieur de l’unité d’un même style, dans les modulations que Deleuze introduit dans sa propre prose philosophique. On y verra aussi que, dans la manière dont il réoriente aussi bien la pratique que la conception de la philosophie, mainte lumière surgit des portraits noétiques et machiniques que Deleuze enfile en miroir, et comment cela produit une stylistique qui effeuille tous les plans qu’elle recoupe comme autant de pièces définitives dont les effets de sens ne cessent pourtant de se renouveler en fonction des agencements énonciatifs dans lesquels elles sont prises.
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Introduction
Qui parle cependant ? Bien que sa pratique de pensée le tienne en marge des clivages disciplinaires et des dilemmes terriens des lectures « historiennes » de la philosophie, on ne se méprendra pas sur le caractère mobile, ouvert, des monographies universitaires que Deleuze en historien de la philosophie avait consacrées à Spinoza, Hume, Kant, Nietzsche, Bergson. Que ce soit en réactivant une lignée de penseurs qui, comme il l’explique dans Pourparlers, « avaient l’air de faire partie de l’histoire de la philosophie mais qui s’en échappaient d’un côté ou de toutes parts », ou en détournant des bribes de théories de toute nature pour les utiliser à d’autres fins, ou encore en dramatisant un concept en le rapportant à ses vraies conditions, c’est-à-dire aux forces et aux dynamismes intuitifs qui le sous-tendent, ou enfin, plutôt qu’à critiquer de front un thème ou une notion, à l’aborder par le biais d’une « conception tout à fait tordue » – comme c’est le cas avec sa Présentation de Sacher Masoch en 1967 –, l’exercice de l’histoire de la philosophie ne vaut aux yeux de Deleuze que par sa capacité de relance, d’actualisation et de créativité de problèmes. L’étude de Charles Ramond propose un examen attentif et original, à ras du texte, des traces deleuziennes sur celles de Spinoza, pour montrer en quoi l’usage des formules prescriptives – patent aussi bien dans la thèse complémentaire de 1969 sur Spinoza et le problème de l’expression que dans le petit opus de 1981, Spinoza. Philosophie pratique – permet de mettre au jour une « tentation de l’impératif » moins apparente que d’autres traits stylistiques, mais bien présente dans la pratique, sinon dans la conception de l’histoire de la philosophie écrite par Deleuze. Le relais est pris ici par Isabelle Ginoux qui revient sur les lectures deleuziennes de Nietzsche et la philosophie en analysant comment l’effet de style, s’il produit une démultiplication polyphonique de l’énoncé deleuzien, s’apparente davantage à la distribution d’ironies et d’humours par laquelle une répartition d’intensités, vécues en rapport avec l’extériorité d’un masque ou d’un nom propre, saute hors du texte.
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Les Styles de Deleuze
Si donc le style recoupe, à hauteur de dignité équivalente, les deux plans intensifs de la philosophie et de l’histoire de la philosophie, cela suffira-il pourtant à justifier que soit ouvert le chantier d’une stylistique proprement deleuzienne ? Il faudra, en d’autres termes, vérifier si et dans quelle mesure la philosophie de Deleuze elle-même contient le principe de réalisation concrète d’une telle stylistique. En réponse à cette question, on lira l’étude de Jérôme Rosanvallon qui pointe trois démarches stylistiques chez Deleuze, correspondant respectivement aux trois types de vitesse qui animent son style d’énonciation philosophique avant, avec et sans Félix Guattari. La contribution d’Arnaud Villani, qui clôt ce premier volet, explore les jalons d’une pratique peu commune du concept chez Deleuze, en développant l’hypothèse d’une stylistique transcendantale, discrètement balisée par les développements de la « méthode de dramatisation » dans Différence et répétition et ensuite mise en œuvre en 1991 avec Félix Guattari, dans Qu’est-ce que la philosophie ? Moins cloisonnée que celle que chaque discipline pratique souvent de façon quelque peu solipsiste, mais indispensable à la vie stylistique du concept, la dramatisation ferait de la tournure non seulement l’objet de cette stylistique, mais sa méthode et sa texture même. Le deuxième moment de lecture, faisant le chemin inverse pour étudier cette fois-ci la contribution de Deleuze à une pensée du style, se rejoint dans l’examen de quelques cartographies esthétiques et leurs mises en pratique cliniques. Sous les trois angles de vue qui, là encore, resserrent respectivement l’investigation – savoir, celui de l’individuation intensive ; celui de la pragmatique du langage et des régimes sémiotiques de l’énonciation ; et enfin celui de la clinique des modes d’existence –, il ne s’agit pas tant de chercher une définition univoque du style que de dégager un aperçu différencié des problèmes auxquels ce concept se rattache chez Deleuze, ainsi que des enjeux épistémologiques dont son traitement thématique semble chaque fois porteur. 10
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Introduction
L’élucidation par Deleuze des pratiques artistiques et de leurs maniérismes exige en effet de placer l’effet stylistique en deçà du partage sédentaire, établi seulement dans le donné, entre un sens propre et un sens figuré. Le privilège qu’il accorde, depuis 1964 avec Proust et les signes jusqu’aux textes réunis en 1993 dans Critique et clinique, à la littérature dans cette pensée du style s’explique évidemment par la capacité éthologique qu’a le langage de joindre le geste à la pensée dans un même champ problématique ; et c’est ce qui rattache la cartographie deleuzienne du style aux virtualités de son empirisme supérieur. Le traitement syntaxique de la langue, auquel Deleuze se veut très sensible dans les textes de Beckett ou de Wolfson, parce qu’il aborde conjointement l’élément génétique du langage et de la pensée, permet de retrouver les facteurs d’individuation intensive qui nous font penser et parler, mais qui sont en eux-mêmes impensables et ineffables dans les conditions empiriques. Comme pour le vivant, le style intervient toujours comme acte éthologique d’individuation. La question de savoir en quoi cette théorie de l’individuation intensive transforme la stylistique tout en se répercutant en linguistique, en littérature et dans tous les champs de l’art fait l’objet de l’article d’Anne Sauvagnargues, qui se demande en quoi l’opération de « dépersonnalisation », commandant pareille cartographie du style, s’ordonne nécessairement suivant trois directions : les modes collectifs impersonnels, imperceptibles et intensifs. Tirant parti de Hjelmslev, des matières et formes de contenu et d’expression, et connaissant la psycholinguistique de Gustave Guillaume, Deleuze n’hésite pas en effet à s’emparer du point d’où les théories linguistiques de Benveniste, Chomsky ou Austin deviennent critiquables pour construire une pragmatique des régimes de signes, capable de renouveler l’approche du style, une pragmatique généralisée dont l’usage créateur, soustractif et productif, est le thème inépuisable. Et c’est là qu’il convient de situer, en opposition à la norme majeure, les ricochets du style 11
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« mineur », style dont la machine kafkaïenne donne la formule avec les procédés de « variation continue » et de « modulation » que son expérimentation littéraire du langage est censée mettre en œuvre. La contribution de Guillaume Sibertin-Blanc s’efforce dans cette perspective de mettre en lumière les trois aspects qui, en 1975, ont déterminé chez Deleuze et Guattari la construction d’un concept objectif de « littérature mineure » : à savoir le repérage sociolinguistique du matériau langagier dont dispose Kafka ; le procédé stylistique inhérent au travail spécifique effectué par l’écrivain dans ce matériau ; et le coefficient politique, censé évaluer la façon dont un procédé d’écriture réussit à produire de nouveaux effets sémiotiques et de nouvelles visibilités sur le champ social, en rapport avec l’émergence de nouveaux énoncés et de nouvelles organisations de pouvoir. Si par ailleurs l’usage non-conventionnel du discours indirect libre caractérise les textes ultérieurs de Deleuze coécrits avec Félix Guattari, avant de devenir un thème de prédilection pour lui, c’est parce que cet usage conduit à concevoir le style non plus comme un mixte empirique de direct et d’indirect qui supposerait des sujets préconstitués, mais comme un mode d’intercession énonciative où se compliquent des voix distinctes quoique indiscernables, une énonciation impersonnelle qui préside à la différenciation des sujets. La contribution de Jean-Claude Dumoncel se propose de restituer le cadre clinique de cette question chez Deleuze, entre la grammaire sophistiquée de Bakhtine et le « discours indirect libre » de Pasolini d’une part, et d’autre part le « tenseur binaire » de Gustave Guillaume, pour revenir sur la terra incognita du bégaiement asyntaxique. En continuité avec ce cadre d’analyse, l’étude de Véronique Bergen s’attache à déplier, dans toute leur extension, les enjeux de l’équation deleuzienne du style et du non-style, en privilégiant toute source de tension stylistique pour en peser l’effet pragmatique produit dans le réel selon les deux coordonnées caractéristiques d’une clinique du style chez Deleuze : à savoir le rapport 12
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Introduction
à la langue étrangère et sa tension vers sa limite interne, l’ouvrant à un dehors qui n’est plus d’aucune langue comme le montrent les études réunies dans Critique et clinique. Le traitement que reçoit le problème du style en peinture, en musique ou dans le cinéma est-il si différent de l’investissement que lui réserve la littérature ? Pas nécessairement, car ce qui change d’un champ à l’autre, ce sont les variétés qui, battant sur différents rythmes selon la spécificité de chaque matériau investi, vont soumettre les éléments a priori du style à un nouveau diagramme que seule la pratique active de l’expérimentation serait en mesure de produire. L’étude finale d’Isabelle Ost, poursuivant cette interrogation du côté des textes en prose de Beckett et de la lecture que Deleuze en a proposée en 1992 dans L’Épuisé, s’attache à montrer d’une part que la création d’une syntaxe nouvelle de l’épuisement et de la sobriété ne va pas sans mettre en jeu l’espace, l’image et la musique, moins comme un ornement à la parole que comme la nécessité de frayer une ligne de fuite, et que, d’autre part, à force d’assèchement et de sobriété, d’ascèse stylistique et de soustraction créatrice, ce n’est pas tant la parole du sujet beckettien qui est affectée du bégaiement, mais l’écrivain lui-même qui se fait bègue et affecte le langage d’un « mal dire ». S’il ne peut donc prétendre à l’exhaustivité, cet ensemble aborde quelques aspects remarquables de la pensée de Deleuze, dont certains autres, faute de temps, n’ont pas pu être retenus ici. Venues de spécialistes de Deleuze représentant au moins deux générations de chercheurs – ceux qui ont été ou auraient pu être ses élèves, et ceux qui l’ont découvert comme une figure importante de la philosophie contemporaine –, les dix études ici réunies voudraient témoigner de la variété des réflexions auxquelles une interrogation philosophique sur le style peut donner lieu, et contribuer également à la compréhension d’un ton de pensée intempestif. Pour que la voix de Deleuze puisse encore être entendue aujourd’hui, fût-ce 13
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en contrepoint de ces textes qui lui sont consacrés, nous avons cru « intéressant » – c’est son mot – d’offrir au lecteur quelques « fulgurations » de son ton singulier : ce dont témoignent ses cinq lettres inédites, réunies en clôture de ce volume1.
1 Que tous ceux qui ont accompagné un temps la réalisation de cet « agencement collectif d’énonciation » en soient ici remerciés. L’attention de David Fournier et l’amitié de Jean-Claude Dumoncel ont été déterminantes dans la constitution du volume. Je remercie Fanny Deleuze ainsi qu’Arnaud Villani pour l’autorisation de publication des lettres inédites de Gilles Deleuze ; sans oublier René Schérer, venant avec sa liberté de ton et de conclusion apporter un vif témoignage en écho à cet ensemble d’études. Que Benoît Peeters et l’équipe des Impressions Nouvelles soient finalement remerciés de leur précieuse aide et de l’accueil chaleureux réservé au projet.
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Table des matières Adnen Jdey Introduction
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PremiÈre partie Une stylistique de la pensée
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Philippe Mengue Logiques du style
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Charles Ramond Deleuze et Spinoza
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Isabelle Ginoux Effets de style en histoire de la philosophie 73 Jérôme Rosanvallon Vitesses du style et mouvements de l’être 105 Arnaud Villani Une stylistique transcendantale du concept 133 Deuxième partie Une pensée Du STYLE
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Anne Sauvagnargues Deleuze et les cartographies du style
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Guillaume Sibertin-Blanc Politique du style et minoration chez Deleuze 183
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Jean-Claude Dumoncel Discours indirect libre et politique du bégaiement 207 Véronique Bergen L’équivalence du style et du non-style chez Deleuze 231 Isabelle Ost « Forer des trous dans le langage »
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René Schérer Postface
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Cinq Lettres de Gilles Deleuze
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Ouvrages de Gilles Deleuze 296 Notices bibliographiques 298
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OUVRAGE PARU EN NOVEMBRE 2011
« Le style en philosophie est tendu vers ces trois pôles, le concept ou de nouvelles manières de penser, le percept ou de nouvelles manières de voir et d’entendre, l’affect ou de nouvelles manières d’éprouver. C’est la trinité philosophique, la philosophie comme opéra : il faut les trois pour faire le mouvement. » On aura reconnu ici le souffle haletant, la voix sèche et blanche de Deleuze. Mais pourquoi les styles de Deleuze ? Si le style comme problème de multiplicité ne saurait se plier chez Deleuze à de simples exercices rhétoriques, et s’il recoupe, à hauteur de dignité équivalente, les plans intensifs de la philosophie, de l’histoire de la philosophie et de l’art, cela suffirait-il à justifier que soit ouvert le chantier d’une stylistique deleuzienne ? Bien qu’elle soit complexe, la question mérite d’être engagée. En s’accordant aux multiplicités transversales de l’écriture et des opérations réflexives qui lui sont liées, le présent recueil pose le problème du style chez Deleuze suivant trois découpes connexes : entre philosophie et histoire de la philosophie, logique et esthétique, clinique et politique. Les études ici réunies ont en commun de référer chaque fois la stylistique deleuzienne à un concept ou un cas d’analyse précis, susceptibles d’en cerner les présupposés théoriques et le mode de fonctionnement. La multiplication des perspectives devrait ainsi permettre de dégager quelques jalons de ce qui s’offre comme un style de pensée spécifique : un effet nommé Deleuze.
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DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874490941 ISBN : 978-2-87440-094-1 320 PAGES - 24 €