La politique du buzz - InaGlobal #2

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un autre regard sur les médias

2014

DOSSIER

ENQUÊTES & ENTRETIENS

La politique du buzz

Libé, journal d’une mutinerie Bruno Latour Quand la radio se regarde Franck Louvrier, Karl Zéro Netflix et l’exception culturelle Chantal Jouanno De l’usage des archives…

Twitter, les télés, la com’ et l’exercice du pouvoir




Marina Gadonneix, Remote Control Remote Control est une série de photographies réalisées en 2006 par Marina Gadonneix. Cette photographe, née en 1977, diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles en 2002, a reçu pour ce travail le prix de la Fondation HSBC. La série montre des plateaux de télévision vides et silencieux : c’est l’envers du décor de nos journaux télévisés. Égayées de la seule mire – instrument universel de calibrage des couleurs – ces natures mortes médiatiques nous interrogent sur la mise en scène de l’information et sur ses codes. Comme la photographe l’a précisé, elle veut avec ses photos « faire du monde familier dans lequel on vit le lieu de l’artifice, avec sa part d’inquiétude, d’étrangeté et de mélancolie ». Cette série a été publiée dans le livre Paysages sur commande, paru en 2006 aux éditions Actes Sud.

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É D I TO

On se dépêche ! Courant mai, à quelques jours d’intervalle, la directrice du Monde et la directrice de la rédaction du New York Times ont brutalement quitté leur poste. La première devrait rester au sein du journal pour retrouver les joies, pas si simples, de l’écriture. La seconde se cherche une nouvelle vie professionnelle. Il serait possible de jouer au jeu des différences, car elles sont nombreuses. Plus instructif pourtant est de noter les ressemblances et ce qu’elles révèlent de l’état des médias. Jill Abramson a été débarquée à cause de « son management rugueux », a expliqué après coup Arthur Sulzberger Jr, le publisher et propriétaire du NYT. Natalie Nougayrède a été contrainte à la démission par la bronca d’une pléiade de rédacteurs en chef qui lui reprochaient « ses méthodes de management ». Des deux côtés de l’Atlantique, deux femmes donc, face à des communautés de journalistes encore dominées par la gent masculine. Soupçon de sexisme. Et puis les commentateurs aux États-Unis l’ont noté : M. Sulzberger ne connaissait-il pas le caractère de Jill (ses coups de gueule étaient de notoriété publique) lorsqu’il l’a nommée à son poste en 2011 ? MM. Bergé, Niel et Pigasse, propriétaires du groupe Le Monde, et leur représentant Louis Dreyfus ne savaient-ils pas en 2013 que choisir un pilote qui n’avait jamais piloté était un choix, sinon cynique, du moins hasardeux et à haut risque ? Comme l’a 3


É D I TO

noté David Carr, le célèbre journaliste en charge des médias au NYT, le journal que faisait Jill la colérique était pourtant un bon journal. Alors, que penser ? Il y a dans ces deux limogeages quelque chose de plus profond. Ces deux journalistes talentueuses, nées en 1954 et 1966, étaient d’une génération ou du moins d’une culture peu numérique. On a reproché à Jill d’avoir laissé le Times être distancé par des pure players. On a demandé à Natalie d’avaliser et de mettre en place une transition vers le numérique mal acceptée par les équipes. Le règne de Jill n’aura duré que trois ans (moins en fait, car elle a passé les six premiers mois dans la newsroom du numérique) ; celui de Natalie au Monde aura tenu un peu plus d’un an. C’est peu. On voit là les effets d’une grande accélération. D’une certaine panique devant les défis auxquels sont confrontés les quotidiens (et tous les médias, à dire vrai). Accélération des mutations, de la circulation de l’info, accélération de la course à l’audience. Dans ce deuxième numéro d’Ina Global, nous nous intéressons à une autre accélération, connexe de la première, celle qui entraîne médias et monde politique dans une ronde toujours plus rapide (lire notre dossier pages 42 à 89). Petites phrases, buzz, réactions à chaud… Il est frappant de voir comment ces deux univers s’autodétruisent. Pour le plus grand bonheur, sans doute, de certaines forces extrémistes. Philippe Thureau-Dangin rédacteur en chef d’Ina Global

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sommaire

O U V E RT U R E

PRESSE

interventions

Et si la PQN gagnait son pari numérique ? Luciano Bosio

p. 8

p. 26

Camille Lepage et l’actualité « grise » Jean-Pierre Tuquoi — p. 8 Crise de la presse, crise des journalistes Guillaume Fischer — p. 10 Netflix, démolisseur de l’exception culturelle Nathalie Sonnac — p. 11 Trop people, le pape François ? Sophie Gherardi — p. 17 TÉLÉVISION

De la radio comme école de sensibilité Olivier Poivre d’Arvor — p. 19 Pourquoi j’ai quitté El País Ignacio Cembrero — p. 20 Le trimestre médiatique Jeff Danziger — p. 22

Dallas ou Plus belle la vie ? Marjolaine Boutet p. 36


Quand l’information supplante la communication Jacques Gerstlé — p. 46 Misères de la fragmentation médiatique Christophe Piar — p. 51 Twitter est une drogue dure pour les journalistes Marc Pellerin — p. 56

DOSSIER

Temps politique Temps médiatique

Le quinquennat a bouleversé la communication politique Franck Louvrier — p. 66 Le communicant n’est pas celui que vous croyez Denis Pingaud — p. 72 Vivons-nous en démocratie ou en médiarchie ? Yves Citton — p. 80

p. 42

P O RT F O L I O

PRESSE

Trente ans de campagnes en images Jean-Claude Coutausse

Libération, mutinerie au quotidien Édouard Launet

p. 90

p. 116


© Crédits photos voir pages intérieures.

RADIO

D O C U M E N TA I R E

Avec la radio, les oreilles ont des yeux Marc Fernandez

Du bon usage des archives filmées Isabelle Veyrat-Masson

p. 126

p. 136

ENTRETIEN

ARCHIVES

Les médias sont-ils un mode d’existence ? Bruno Latour

Les couleurs des ondes selon Roland Dhordain

p. 146

p. 160


Camille Lepage, tuée le 11 mai en République centrafricaine. Elle avait 26 ans. © William Daniels / Panos Pictures.

inter ventions 8


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Votre cadeau : Anthologie Cinq colonnes à la une : le meilleur de l’émission qui a inventé le grand reportage à la télévision, en faisant de l’actualité un spectacle d’exception. 5 DVD.

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AUTOPR2A

(indispensable pour la version numérique)


Luciano Bosio

Et si la PQN gagnait son pari numérique ? Article illustré par Quentin Vijoux.


PRESSE

Lecteurs vieillissants, diffusions en baisse, choix hasardeux sur le Net… Il était aisé, il y a dix ans, d’annoncer le déclin définitif de la presse quotidienne nationale. Aujourd’hui, il n’en va plus de même. Le Figaro, Le Monde et Le Parisien font la course en tête dans le numérique, comme Les Échos pour l’information économique. En rajeunissant leur lectorat, ils sont tout près de trouver un nouveau modèle économique, plaide Luciano Bosio, consultant indépendant. En France, la presse quotidienne nationale a longtemps bénéficié d’un succès d’estime plus encore que de lecture : à la fin du XX e siècle, elle comptait quelque 8 millions de lecteurs quotidiens, contre plus de 10 millions de lecteurs hebdomadaires pour les news et autres hebdos d’information, et jusqu’à 18,5 millions pour les quotidiens régionaux. Au début des années 2000, alors que le développement d’Internet commençait à déstabiliser l’industrie de l’information, rien n’indiquait qu’un retour en puissance des quotidiens nationaux fût probable ou même possible. On constatait que leur lectorat, certes riche en CSP+ et en diplômés de l’enseignement supérieur, avait tendance à prendre de l’âge, avec un déficit évident de lecture chez les jeunes actifs, et cela malgré le nombre croissant de diplômés parmi les nouvelles générations. Une étude réalisée en 2009 pour le compte du ministère de la Culture en témoignait de façon évidente : le recrutement de jeunes lecteurs étant de plus en plus faible, génération après génération. L’avenir

des quotidiens apparaissait définitivement compromis. Tel était d’ailleurs l’avis de la plupart des élites culturelles, économiques et politiques : la presse allait mourir, cap sur la télévision et le digital. Puis, dans les toutes premières années du nouveau siècle, le succès foudroyant de la presse quotidienne urbaine gratuite vint parachever et en même temps compliquer ce diagnostic. Certains, aveuglés par l’audience des gratuits, portée par des diffusions millionnaires – jusqu’à 5 millions de lecteurs avec 3 titres seulement – ne tardèrent pas à pronostiquer la mort prochaine de la presse payante et son remplacement par la free press. Mais c’était compter sans un facteur nouveau qui allait bouleverser le paysage de l’information, redistribuer les cartes de la puissance des médias, y compris auprès des jeunes, et donner corps à ce qui était jusqu’alors regardé avec suspicion par certains éditeurs et par la grande majorité des journalistes  : l’avènement des marques médias dans le cadre de la révolution numérique. À partir de 2009, d’abord timidement, puis avec de plus en plus d’assurance, les titres nationaux de quality press allaient prendre le pouvoir sur le web. Développant sur la Toile une offre d’abord gratuite, ils montraient aux internautes que les vieilles marques de journaux, parfois plus que centenaires, étaient en mesure de publier des contenus non seulement modernes, mais très diversifiés, proposant à côté de l’info classique des faits divers mais aussi du sport, du people, des informations temps libre et loisirs. Et l’audience suivait : les géants américains d’Internet, qui avaient squatté pendant des années le haut du tableau de Médiamétrie, n’étaient pas en mesure de tenir le rythme. 27


Marjolaine Boutet

Dallas ou Plus belle la vie ? Dallas. Š DR.


TÉLÉVISION

La fièvre des films à épisodes n’est pas aussi récente qu’on veut le croire. Si Dallas puis Twin Peaks ont installé la réputation des séries américaines, les feuilletons produits par les chaînes françaises sont souvent imaginatifs et talentueux. Dommage que les directeurs de programmes n’aient pas investi davantage dans ce genre aujourd’hui dominant. Elles ont été longtemps méprisées comme des « sous-produits culturels » et accusées d’être des agents de « décérébration » des masses avec Dallas comme exemple typique… Mais, depuis une quinzaine d’années, les séries télévisées américaines sont considérées en France comme des modèles, voire des chefs-d’œuvre, face auxquels nos productions hexagonales font pâle figure, et dont il faudrait à tout prix s’inspirer pour «  exister  », ou même survivre, sur un marché audiovisuel de plus en plus mondialisé. L’histoire de la programmation de ces fictions à épisodes, qu’elles soient étrangères ou nationales, reflète la relation complexe des Français et, plus particulièrement, des dirigeants de chaînes de télévision avec ces programmes de divertissement.

tandis que l’achat d’un épisode de série américaine revenait vingt fois moins cher (52 000 francs). En France, en revanche, la fiction audiovisuelle à épisodes a, dès le départ, été méprisée par les pionniers de la Radiodiffusion Télévision française. Dans une grille des programmes scandée par les rendez-vous de 13 heures et 20 heures pour les informations, qui faisait la part belle aux programmes éducatifs (documentaires, reportages, débats, jeux) ou culturels (théâtre, cinéma, variétés et concerts filmés), le « télé-feuilleton » faisait figure de parent pauvre, au mieux diffusé juste avant ou après le journal télévisé.

En France, la fiction audiovisuelle à épisodes a, dès le départ, été méprisée par les pionniers de la Radio Télévision Française.

Industrie américaine vs artisanat français

Aux États-Unis, dès les années 1940, les grilles de programmes de la télévision ont été calquées sur celles de la radio, avec des programmes commençant à l’heure juste ou à la demi-heure. Les soirées ont été immédiatement occupées par du divertissement et, dès les années 1950, le principe de la fiction à épisodes, destinée à fidéliser les téléspectateurs pour leur vendre 16 minutes de publicité par heure (contre 44 minutes de fiction), est devenu la règle d’une industrie audiovisuelle en plein essor. En produisant plusieurs centaines d’heures de fiction par an, selon un calendrier d’une extrême régularité (de septembre à mai, avec une interruption en décembre) et des formats immuables (22 minutes pour les comédies, 44 minutes pour les drames), Hollywood est devenu le « robinet à séries » de la population américaine d’abord, et du reste du monde ensuite. Car pour ce dernier il était moins cher d’importer ces séries que d’en produire : en 1978, fabriquer une heure de fiction originale française coûtait 1 million de francs,

Les deux premiers feuilletons télévisés français, Agence Nostradamus et Les Aventures de Télévisius ont été tournés pratiquement « en douce » par Claude Barma et Christian Delanault dans les studios déserts de Cognacq-Jay pendant l’été 1949, et la durée des épisodes était aussi aléatoire que leur montage. Au cours des deux décennies suivantes, les fictions françaises à épisodes ont gardé cet aspect artisanal. Avec peu de moyens et souvent des réalisateurs débutants, elles faisaient parfois preuve d’une réelle inventivité (ex : La Famille Anodin et 37


DOSSIER

Temps politique François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle, au salon de l’Agriculture en février 2012. © Jean-Claude Coutausse / french-politics.


DOSSIER

Temps médiatique Nicolas Sarkozy, candidat UMP à la présidentielle, près de Sainte-Marie-de-la-Mer en avril 2007. © Dominique Faget / AFP.


DOSSIER

Pendant des décennies, presque deux siècles, la vie politique a été rythmée par les journaux qui la commentaient, qui faisaient et défaisaient les ministères. De la sortie des quotidiens au lendemain, on avait le temps de préparer sa riposte, de menacer ou de faire écrire des amis. Les journaux télévisés, dans les années 1950-70, ont apporté l’image dans les foyers, mais n’ont guère changé la donne. Et puis est venue, en juin 1980, la première chaîne d’information en continu, lancée aux États-Unis. Au début, on n’y prêta pas garde. Mais, lors des événements de la place Tian’anmen en 1989, et plus encore avec la guerre du Golfe en 1991-92, on commença à parler de « l’effet CNN ». Le cycle traditionnel des nouvelles avait disparu : l’actualité était instantanée. Pour un responsable politique, il était désormais impossible d’attendre une journée pour rectifier le tir. En France, les lancements successifs de LCI, iTélé puis en 2005 de BFM TV, ont généré aussi d’autres temporalités. Le Monde a même pu titrer – c’est une forme d’hommage – sur la « BFMisation de la vie politique »… Mais ce n’est pas tout. Les réseaux dits sociaux qui se sont imposés dans les années 2010 ont encore bousculé les acteurs du monde politique. Un nouveau rythme s’impose. Encore plus saccadé et pluriel que les précédents. D’où l’importance grandissante des experts de la communication auprès des politiques.

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DOSSIER

Quand l’information supplante la communication Jacques Gerstlé

Misères de la fragmentation médiatique Christophe Piar

p. 46

p. 51

Chantal Jouanno

Karl Zéro

Twitter est une drogue dure pour les journalistes Marc Pellerin

p. 64

p. 56

p. 50

Serge Schick p. 55

Le quinquennat a bouleversé la communication politique Franck Louvrier

Marjolaine Boutet p. 71

Philippe Guibert p. 74

p. 66

Le communicant n’est pas celui que vous croyez Denis Pingaud

Vivons-nous en démocratie ou en médiarchie ? Yves Citton

p. 72

p. 81

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DOSSIER

Quand l’information supplante la communication Jacques Gerstlé

Florian Philippot, vice-président du Front national chargé de la stratégie et de la communication participe à l’émission « On ne va pas se mentir » sur iTélé en janvier 2014. © Jean-Claude Coutausse / french-politics.


DOSSIER

Et si les programmes des candidats, leurs promesses et les slogans des publicitaires, comptaient finalement pour peu de chose ? Ce qui façonne le jugement des citoyens, c’est avant tout l’actualité, son traitement par les médias et l’habileté des hommes politiques à s’en emparer. Et cela se vérifie pour les dernières élections présidentielles en France. L’analyse de Jacques Gerstlé, professeur émérite de sciences politiques. Sachant qu’une campagne électorale consiste en une compétition pour façonner ou corriger les perceptions publiques de la situation politique, il est légitime de s’interroger sur les impacts respectifs de la communication et de l’information dans ce processus 1. Le terme de communication désigne ici toutes les formes de transmission contrôlée par les candidats, qu’il s’agisse du discours, des allocutions officielles et des spots télévisés, des affiches, bref tous les messages sur lesquels le candidat a une maîtrise totale concernant aussi bien la forme que le fond. L’information renvoie au traitement médiatique de l’actualité politique qu’elle soit électorale ou bien à caractère plus général, conformément à ce que les Anglo-Saxons nomment le background news.

De même, en 1988, la « prime au sortant » a profité à François Mitterrand. Mais l’actualité en fin de campagne et son traitement médiatique ont donné lieu à un « effet de priming » (amorçage du jugement) qui a facilité le vote en faveur du candidat du Front national qui pour la première fois de son histoire a atteint un score supérieur à 14 %. En effet, l’actualité des négociations sur les journalistes français otages au Liban, les « événements d’Ouvéa » en Nouvelle-Calédonie, la question du droit de vote des étrangers aux élections locales, tout ces thèmes ont généré un agenda médiatique et public de nature sécuritaire qui a résonné avec le discours de l’extrême droite. De même, la campagne de 1995 a été marquée par des scandales politico-financiers, l’affaire Schuller-Maréchal, notamment [affaire des fausses factures des HLM de Paris et des Hauts-deSeine]. Cette affaire a porté atteinte à la crédibilité et plus généralement à la légitimité présidentielle du Premier ministre Édouard Balladur, qui était candidat contre Jacques Chirac. Dans les trois cas (1988, 1995, 2002), on constate donc l’impact puissant des perceptions publiques de la situation politique configurée par son traitement médiatique. En 2007, l’offre électorale s’est renouvelée avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal principalement. On a assisté à un effet d’amorçage ponctuel, s’agissant des déplacements de Ségolène Royal au Moyen-Orient ou en Chine, qui a affecté sa crédibilité, son statesmanship, mais surtout à un effet de cadrage important opéré par la télévision concernant, notamment, la représentation dominante de Nicolas Sarkozy comme «  candidat de rupture » par rapport à Jacques Chirac, président sortant. Or cette stratégie de rupture, choisie par le candidat de l’UMP, lui permettait de s’exonérer

La pression de l’actualité sur les perceptions

L’information électorale se caractérise par des disparités dans l’accès aux médias, dans le cadrage discriminant réservé aux candidats (par exemple Raymond Barre, en 1988, avec la question récurrente : « Mais qui soutient Barre ? ») et dans l’orientation privilégiée de l’attention publique sur certains enjeux 2. Toutes les études montrent, par ailleurs, que le background news pèse lourdement sur les perceptions publiques et donc sur le climat d’opinion en cours durant une compétition électorale. Le meilleur exemple est certainement la campagne présidentielle de 2002 au cours de laquelle le traitement médiatique du thème de l’insécurité en a fait un enjeu stratégique pour les candidats. On sait l’impact décisif que cette imposition médiatique a eu sur le « séisme électoral » du 21 avril 2002 avec la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour. 47


DOSSIER

Misères de la fragmentation médiatique Christophe Piar

Jean-Jacques Mailly, leader de FO, à la sortie d’une entrevue avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en mai 2013. © Jean-Claude Coutausse / french-politics.


DOSSIER

Une information politique réduite à une série de séquences, des reportages où les citations n’occupent que quatorze secondes, des journaux télévisés de plus en plus rythmés pour éviter le zapping… Tout va dans le sens d’une accélération et d’une perte de sens. Le chercheur et universitaire Christophe Piar explique les raisons d’une telle dérive. Les médias seraient-ils comme un projecteur qui balaie l’actualité en laissant dans l’ombre bien des événements ? C’est déjà ce qu’affirmait le journaliste américain Walter Lippmann en 1922, à une époque où la médiatisation de la société n’en était pourtant qu’à ses débuts : « La presse, écrivait-il, est comme le faisceau d’une lampe électrique qui bouge sans cesse, faisant passer de l’ombre à la vision un épisode puis un autre. Les hommes ne peuvent pas faire avancer le monde avec cette seule lumière. Ils ne peuvent pas gouverner la société par des épisodes, des incidents et des interruptions 1. » Malgré cette mise en garde, il semble qu’un siècle plus tard les médias imposent plus que jamais leur rythme effréné à la vie politique et à ses acteurs, contraints de s’y conformer s’ils veulent exister médiatiquement, donc politiquement.

il n’aura aucune chance de faire l’objet d’une « séquence ». Les développements soudains et inattendus ont donc une valeur médiatique bien plus importante que les problèmes chroniques. Il est à cet égard révélateur que l’« affaire DSK » et l’affrontement entre Jean-François Copé et François Fillon pour la présidence de l’UMP, avec leurs multiples rebondissements, comptent parmi les séquences médiatiques les plus longues des trois dernières années de la vie politique française. Un événement peut certes propulser un problème social sur le devant de la scène. Mais la plupart des problèmes ne changent pas brusquement et, dès lors, ils sont rapidement évacués de l’agenda médiatique ou même n’y entrent jamais. Plutôt que de proposer un cadrage thématique des problèmes sociaux qui consisterait à en expliquer les causes et les conséquences, à présenter les différentes solutions possibles, à décrire les décisions prises par les gouvernants et à en mesurer ensuite l’efficacité, les médias optent le plus souvent pour un cadrage épisodique en se contentant de mettre en scène des problèmes sociaux qui apparaissent brusquement, sans explication, et disparaissent aussi vite, sans solution. Au niveau national, la couverture médiatique de la vie parlementaire offre un exemple particulièrement frappant de cette fragmentation. Un débat sur un texte de loi n’attirera en effet le plus souvent les projecteurs de l’actualité que si une joute verbale suffisamment intense oppose un ministre à un membre de l’opposition ou si cette dernière décide de quitter l’hémicycle pour manifester son mécontentement. Après ces images spectaculaires, seuls les téléspectateurs des chaînes parlementaires connaîtront éventuellement la suite du débat, les autres chaînes étant déjà passées à une autre séquence. De même, en conjoncture électorale, la mise en récit des campagnes incite les médias à se con-

La vie politique transformée en succession de « séquences »

Dans les logiques médiatiques de fabrication de l’actualité, la nouveauté joue un rôle décisif. Les médias imposent un cycle d’une durée maximale de vingt-quatre heures, qui a même tendance à se réduire sous l’influence des chaînes d’information en continu. L’intérêt que les faits politiques éveillent dans les médias dépend donc de leur aptitude à se conformer à ces cycles. Pour soutenir l’attention du public, chaque jour doit constituer un nouveau départ, avec une nouvelle réalité. L’impératif économique de l’audience pousse à une fragmentation toujours plus fine de la vie politique. Fragmentation qui s’ajoute à deux autres biais bien connus induits ou renforcés par les médias : la dramatisation et la personnalisation de la vie politique. Sans des événements suffisamment spectaculaires pour lui donner forme, un fait politique sera le plus souvent délaissé par les journalistes et 52


DOSSIER

Twitter est une drogue dure pour les journalistes Marc Pellerin Créé à San Francisco en 2006, le réseau aux 140 signes est vite devenu populaire. En 2012, il compte déjà 500 millions d’utilisateurs dans le monde. En France, rares sont les politiques qui n’ont pas un compte et de nombreux followers. Les éditorialistes et reporters eux-mêmes s’y sont mis, parfois avec réticence, souvent avec passion. Marc Pellerin les a interviewés pour savoir comment on peut être à la fois journaliste et twittos actif.

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Karl Kraus (1874–1936)

Une liberté d’informer et d’être informé qui s’applique à tout et à n’importe quoi est-elle encore une liberté ou une forme d’asservissement des esprits ?

DOSSIER


DOSSIER

Franck Louvrier avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni avant l’émission Des Paroles et des Actes de France 2 en mars 2012. © Jean-Claude Coutausse / french-politics.

Le quinquennat a bouleversé la communication politique Franck Louvrier 66


DOSSIER

Le communicant n’est pas celui que vous croyez Denis Pingaud

Jacques Pilhan, le conseiller en communication de François Mitterrand et de Jacques Chirac en 1996. © Lesagne / Neco / Sipa.


DOSSIER

Gourou, coach, spin doctor… L’expert en communication politique est souvent entouré d’un halo suspect ou d’éloges inconsidérés. Pourtant son métier répond à des règles, sinon simples, du moins précises, plaide Denis Pingaud, lui-même conseiller de dirigeants. À ses yeux, trois enjeux sont prioritaires : reconquérir la confiance, déployer un « récit » crédible et privilégier le contact direct avec les citoyens. Pour ce faire, les nouveaux médias et les réseaux sociaux peuvent aider. d’ailleurs entrée dans le dictionnaire courant des patrons comme des ministres. Selon cet effet de loupe, l’explication bien ordonnée suffirait à faire comprendre ou partager l’annonce ou la décision. Il s’agit là d’une tendance largement partagée par les politiques en France, qui consacrent beaucoup plus de temps à la formulation de leur message qu’aux conditions mêmes de sa délivrance. Autrement dit, le savoir-faire relèverait plus du maniement des mots que de celui des moments ou des signes. C’est une vision qui puise ses origines dans la culture française. Cette mécanique d’explication de haut en bas renvoie à la figure des formations politiques du XX e siècle, à forte référence idéologique, à rationalité technocratique, qui laisse peu de place au questionnement, et à une conception élitiste du savoir, peu à l’aise avec l’expression « d’en bas ». Au bout du compte, la communication est censée être l’apanage des politiques, dans la mesure même où ils seraient les mieux à même de formuler leur action de manière intelligible. La pédagogie est leur Graal, ils croient que la simplification de sujets complexes est la meilleure garantie de leur compréhension par les électeurs. Au risque d’oublier que le médium est le message et que la manière est souvent beaucoup plus importante que le contenu. Les deux travers d’analyse sont communément relayés par les médias qui, modèle économique oblige, relatent volontiers le spectacle des «  c oups de com’  » ou des «  p etites phrases  ». Ils contribuent à rendre la discipline suspecte aux yeux des hauts fonctionnaires qui n’aiment guère les gourous et qui comptent plus sur l’intelligence du raisonnement que sur celle de la transmission. Quant aux politiques, ils croient être de bons

La communication politique souffre de deux incompréhensions majeures

D’abord, les médias confondent volontiers les conseillers en communication avec les fameux « spin doctors », nous abreuvant à leur propos d’enquêtes et de portraits. Ce résumé se veut spectaculaire mais se révèle, en général, fantasmatique. Il y a parfois loin entre l’influence supposée et le pouvoir réel. La fascination pour les hommes dits « de l’ombre » est savamment construite par certains d’entre eux sur la base de faits d’armes attribués. Elle est aussi durablement entretenue, en France, par la figure mythique de Jacques Pilhan, conseiller de François Mitterrand – dont la disparition prématurée en 1996 a contribué à forger la légende – et de Jacques Chirac. Le raccourci n’est pas seulement caricatural. Il enferme la discipline dans le seul registre de l’influence – entre le communicant et son client, entre ces derniers et les médias – et ignore largement ses véritables expertises. En politique comme dans le domaine commercial, la communication est affaire de relation entre un émetteur et un récepteur. Elle suppose d’abord de maîtriser les attentes et les représentations du second, pour rendre audible le message du premier. Elle implique ensuite d’imaginer un propos et, surtout, d’en contrôler le canal et le tempo de diffusion. À l’heure d’Internet et des chaînes d’information en continu, les modes opératoires se complexifient et se professionnalisent. La deuxième incompréhension aboutit à réduire la communication politique à des « éléments de langage ». La formule abrégée « EDL » est 73


DOSSIER

Vivons-nous en démocratie ou en médiarchie ? Yves Citton

Nous sommes plongés en pleine « médiarchie  1 », affirme Yves Citton, codirecteur de la revue Multitudes. Un régime où les media – les institutions tout autant que les télévisions ou réseaux – forment les publics et imposent ses temporalités. Doit-on s’en indigner et arrêter là l’investigation ? Certainement pas. Car, face à cette hégémonie, chaque individu se défend par des écarts, des tempos différents, en suscitant in fine des espaces de « médianarchie ». L’intérêt principal de décrire nos sociétés en tant que « médiarchies » est de déjouer une illusion dont la plupart d’entre nous demeurent victimes, en dépit du sens critique le plus acéré. Nous persistons à nous imaginer que nous vivons dans des démocraties. Bien entendu, une telle croyance n’est nullement infondée, puisque de nombreux mécanismes de représentation politique ont été mis en place depuis plusieurs siècles pour per-

mettre au peuple (demos) de prendre part au pouvoir politique (cratos). L’illusion que la plupart d’entre nous partagent, dès lors qu’ils croient vivre en démocratie, est une illusion d’immédiateté, à savoir une méconnaissance des propriétés de la médiation. Cette croyance fait comme si les media pouvaient être de simples « intermédiaires » (se contentant de « transporter sans transformer », pour reprendre la formulation de Bruno Latour), 81


P O RT F O L I O

Campagne pour la prĂŠsidentielle, Neuilly-sur-Marne, janvier 1995.


P O RT F O L I O

Trente ans de campagnes en images Jean-Claude Coutausse

Jean-Claude Coutausse a commencé sa carrière dans les années 1980 en photographiant la vie politique française pour Libération. Après quelques années consacrées au grand reportage, il est revenu à ses premières amours et travaille régulièrement pour Le Monde. En 2011, il a fondé le collectif french-politics avec quatre autres photographes qui, comme lui, se revendiquent comme des éditorialistes. Retour sur trente années de campagnes. 91


Fabrication de la une de « Nous sommes un journal » en février 2014. © Marc Chaumeil / Divergence.


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En cette année 2014, les difficultés de Libération ont pris un tour plus aigu que jamais. Cette crise, emblématique des révolutions médiatiques en cours, a suscité la réaction des journalistes de l’équipe. On se souvient de leur une du 8 février proclamant avec une fierté orageuse : « Nous sommes un journal ». De ces jours de passion et de désarroi, nous avons demandé à Édouard Launet, une des plumes du quotidien, de tenir la chronique.

Édouard Launet

Libération, mutinerie au quotidien PRESSE


Marc Fernandez

Avec la radio, les oreilles ont des yeux Visite d’Eva Joly au salon Bio Marjolaine au Parc floral de Paris durant la campagne présidentielle. © Laurent Hazgui / french-politics.


Du bon

usage Isabelle Veyrat-Masson

des archives

filmées Apocalypse. © INA. Les Brûlures de l’Histoire. © INA.

Mystères d’Archives. © INA. De Nuremberg à Nuremberg. © INA.


D O C U M E N TA I R E

Films de montage sur la Résistance, docufictions sur les grands hommes ou séries télévisées sur les deux guerres mondiales... Il existe bien des façons d’utiliser des images d’archives dans les documentaires. Parfois en les confrontant à des témoignages récents, parfois en les mixant avec des séquences contemporaines. L’historienne des médias Isabelle Veyrat-Masson propose ici une typologie originale de ce genre cinématographique qui fait toujours les beaux jours de la télévision. de montage sur la Grande Guerre, La Grande Guerre, 1914-1918. Le réalisateur en sera Marc Ferro, qui assurera aussi le conseil historique. Ces deux documentaires sont construits à partir d’actualités filmées tournées entre 1914 et 1945. Si le premier (Nuit et Brouillard) fait l’objet d’une reconnaissance internationale grâce au cinéma, le second (Trente ans d’histoire), moins reconnu, est tout aussi important dans l’histoire du genre. Le film de montage est en fait présent dès les premières années de la télévision. Frédéric Rossif, avec le Magazine du temps passé (émission hebdomadaire de la RTF, de 1953 à 1960) exhume des actualités filmées dans un format court. Avec Édition spéciale (qui a pris la suite du Magazine du temps passé), il retrace les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale à l’aide de ces images d’actualités mille fois utilisées depuis. C’est pourtant au cinéma, avec Le Temps du ghetto (1961) et Mourir à Madrid (1963), qui sont également des films de montage, que Frédéric Rossif sera reconnu par la critique. Dans la continuité des films de Rossif, Henri de Turenne et Jean-Louis Guillaud, aidés du réalisateur Daniel Costelle, écrivent et réalisent en 1965 à l’aide d’archives, là aussi dans un but de commémoration, l’émission Verdun qui inaugure la série Les Grandes Batailles (1966-1974). Le succès est tel que la télévision commande à ces deux auteurs et à leur réalisateur dix autres Batailles portant sur la Seconde Guerre mondiale – et un autre montage d’archives sur le Procès de Nuremberg. Ces documentaires, qui reposent sur les fonds des sociétés de production comme Pathé et Gaumont, rencontrent un véritable succès public.

Le tout premier documentaire historique à base d’archives est un film de montage, muet, conçu pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre. Cette Chute de la maison des Romanov, réalisée en 1927 par Esfir Schub, compile des stock-shots, des films tournés par d’autres équipes, dans un contexte différent. En sortant ainsi de la poussière ces vieux films d’actualités, et en les compilant dans un ordre choisi par elle, la réalisatrice, membre de la « bande » de Dziga Vertov 1, ne se doutait pas qu’elle faisait œuvre de pionnière. Le documentaire à base d’archives destiné à commémorer un événement était en effet promis à un bel avenir, notamment à la télévision. Dix ans, c’est l’intervalle qui justifie le plus souvent les premières commémorations. Ainsi, le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, créé en 1951 par l’historien Henri Michel, se propose de commémorer l’ouverture des camps de concentration grâce à un film, Nuit et Brouillard, réalisé par Alain Resnais en 1955 avec l’aide d’Olga Wormser. Ce film de trente-deux minutes, qui mélange archives et images tournées par Resnais lui-même, avec un commentaire de Jean Cayrol, est prévu pour les salles obscures  2. C’est en revanche dans la perspective d’une diffusion à la télévision que Jean Sainteny, ministre des Anciens Combattants, conçoit le projet d’un documentaire historique destiné à célébrer en 1964 à la fois les 50 ans du début de la Première Guerre mondiale et les 20 ans de la fin de la Seconde. Henri Michel, encore une fois, propose un film de montage en sept épisodes couvrant la période de 1914 à 1944 : Trente ans d’histoire. Pour l’un des épisodes, il confie à Pierre Renouvin le soin de faire un film 137


Bruno Latour

Les médias sont-ils un mode d’existence ? Bruno Latour. © Manuel Braun.


ENTRETIEN

Bruno Latour, né en 1947, est l’un des rares intellectuels français à avoir acquis une large audience aux États-Unis comme en Europe. Dans son dernier livre, Enquête sur les modes d’existence, Une anthropologie des Modernes, il détaille quinze « manières d’être » au monde, qui ont chacune leurs valeurs et leurs critères de vérité : le mode juridique, le mode religieux, le mode technique, etc. Et le médiatique ? Ce mode a-t-il sa place dans la galaxie Latour ? C’est à cette question que l’anthropologue, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, a bien voulu répondre. Plutôt par la négative, mais non sans esquisser une autre façon de penser les médias. Médias, médiums, médiations

Bruno Latour

— Quelle est la fonction de la notion de média et des phénomènes médiatiques dans votre théorie de l’acteur-réseau et dans votre travail actuel sur les modes d’existence ? Lorenz Engell

Bruno Latour, anthropologue des sciences et professeur à Sciences Po Paris, a reçu une prestigieuse bourse de l’European Research Council pour mener à bien son enquête collective sur les modes d’existence (projet AIME), qui fait suite à son livre, paru en 2012 à La Découverte et synthétisant plusieurs décennies de recherches, Enquête sur les modes d’existence – Une anthropologie des Modernes. Il s’efforce de distinguer une quinzaine de « modes d’existence » généralement écrasés sous la domination de certains usages de la science et de l’économie. Contre ces effets de domination, qu’il attribue à un personnage

— Paradoxalement, si on désigne par là les journaux, la télévision, Internet, etc., comme on le fait généralement en France, alors les médias ne figurent pas comme priorité pour moi dans le paysage de l’acteur-réseau et des modes d’existence. Mais si, par « média », on entend « médiation », et surtout si l’on considère la différence capitale entre la notion de médiateur et celle d’intermédiaire, alors ils y figurent directement. Dans le cas des sciences, qui sont un peu la drosophile de tout ce qu’on a fait, c’est précisément parce qu’on s’est intéressé aux médias dans le sens des Media Studies qu’on a modifié la définition de la pratique scientifique, en particulier par les notions d’inscription, de texte scientifique, d’instrument, de visualisation, de mobile immuable et autres éléments venant des (ou complètement compatibles avec les) Media Studies (Marshall McLuhan, Elisabeth Eisenstein, Jack Goody, etc.). Avec les Media Studies Bruno Latour

conceptuel nommé « Double Clic », Bruno Latour fait apparaître les contrastes propres à ces modes que sont la REProduction, la METamorphose, les HABitudes, la TEChnique, la FICtion, la REFérence, la POLitique, le DROit, la RELigion, les ATTachements, l’ORGanisation, la MORalité, les RESeaux et la PREposition. Le projet AIME vise à mettre en place un cadre de « diplomatie » pour aider les Terriens à entrer en négociations sur les défis globaux (comme le dérèglement climatique), tout en respectant les modes d’existence valorisés par chaque culture. L’ensemble du projet est disponible sur le site www.modesofexistence.org

Les propos publiés ici portent sur le statut des médias au sein de cette cartographie. Ils ont été recueillis lors de deux discussions séparées, entre juin 2013 et mars 2014.

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Jean-Luc Godard.

On va bientôt tous avoir besoin d’interprètes, ne serait-ce que pour se comprendre soi-même.

ENTRETIEN


Roland Dhordain en 1971. © Keystone / Gamma-Rapho.


Les couleurs des ondes selon Roland Dhordain Archives Voici un moment rare : un intervieweur exceptionnel, Jacques Chancel, reçoit un homme, lui aussi exceptionnel, Roland Dhordain (1924-2010). Deux hommes de radio discutent donc de la radio. Nous sommes le 31 décembre 1968, quelques mois après les « événements ». Après plusieurs années de journalisme, Roland Dhordain, en 1962, a été chargé de la réforme qui a mené à la création de France Inter, France Culture et France Musique. D’abord directeur des programmes, ce gaulliste de cœur est devenu en 1967 directeur de la Radiodiffusion au sein du tout jeune ORTF (Office de Radiodiffusion Télévision Française). Une consécration pour cet ancien instituteur amoureux des mots. 161


UNE PLONGÉE INÉDITE AU CŒUR DE LA PENSÉE DE FOUCAULT

EN COMPLÉMENT • Deux entretiens avec Michel Foucault • Une conversation avec Maurice Clavel et André Glucksmann

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(indispensable pour la version numérique)


un autre regard sur les médias Directrice de la publication Agnès Saal Comité d’orientation Hervé Brusini Jérôme Bouvier Jean-Marie Charon Yves Citton Christophe Deloire Christian Delporte Patrick Eveno Jean-Michel Frodon Alain Gerlache Véronique Marino Florent Latrive Hervé Lavergne Arnaud Mercier Louise Merzeau Gilles Pache Dominique Pasquier Marc Pellerin Denis Pingaud Jean-Christophe Rampal Nathalie Sonnac Matteo Treleani Jean-Pierre Tuquoi Ana Vinuela

Comité éditorial Martine Couchoud Isabelle Didier Didier Giraud Denis Maréchal Geneviève Piéjut François Quinton Jean-Michel Rodes Philippe Raynaud Serge Schick

Illustrateurs Kim Roselier Hector de la Vallée Quentin Vijoux

Rédacteur en chef Philippe Thureau-Dangin phtd2012@gmail.com

Relations Presse Agnès Baraton

Correctrice Françoise Mingaud-Favre Transcription Aude Vassallo Design / direction artistique Building Paris (Benoît Santiard & Guillaume Grall) avec Antoine Bertaudière Iconographie Frédérique Deschamps avec la collaboration du service photo et du service reprographie de l’Ina.

Première de couverture Manuel Valls avec Harold Hauzy, son conseiller presse et communication, août 2012. © Jean-Claude Coutausse / french-politics. Quatrième de couverture Illustration de Hector de la Vallée. Kevin Spacey dans la deuxième saison de House of Cards. © Nathaniel Bell for Netflix / Sony Pictures Television. Nathalie Kosciusko-Morizet et Rachida Dati, septembre 2013. © Jean-Claude Coutausse / french-politics.

Développement de la revue Serge Schick Coordination Didier Giraud

Marketing Guillaume Hervins Brice Davin Responsable Abonnements Martine Heissler martine.heissler@gmail.com Service abonnement et relation abonnés Revue Ina Global – Abo Press revueinaglobal@abopress.fr 03 88 66 11 20 Diffusion librairies Exils-Sodis Impression Geers Offset (Belgique)

Pour écrire à la revue : contact@inaglobal.fr Édité par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), Établissement public de l’État à caractère industriel et commercial 4 avenue de l’Europe 94366 Bry-sur-Marne Cedex 01 49 83 20 00 Commission paritaire en cours ISBN 978-2-912-969-712 ISSN 2273-6832 © Ina Global Tous droits réservés Inaglobal.fr La revue en ligne des industries créatives et des médias Responsable éditorial François Quinton Secrétaire de rédaction Claire Hemery (coordinatrice) Sylvie Lartigue

Prochain numéro octobre 2014


Exils-Sodis 9393693 ISBN 978-2-912-969-712 Ina Global, n° 02 (juillet / octobre 2014) un autre regard sur les médias Prix de vente : 15 € www.inaglobal.fr

Première de couverture Manuel Valls avec Harold Hauzy, son conseiller presse et communication, août 2012. Quatrième de couverture Kevin Spacey dans House of Cards. Nathalie Kosciusko-Morizet et Rachida Dati, septembre 2013.


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