Conseil scientifique Dr. Virgil Nițulescu, Directeur du Musée du paysan roumain Dragoș Neamu, Directeur exécutif du Réseau national des musées de Roumanie (RNMR) Anda Becuț, Directeur de recherche de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle Comite de rédaction Dr. Cristian Emilian Ghiță, Rédacteur principal Marian Beldiman, Rédacteur Bogdan Pălici, traitement de texte Doarian Sărmășan, traitement de texte Conception graphique et couverture Bogdan Cătălin Cazancioc Dorian Sărmășan Projet éditorial finance par l’Administration du Fonds Culturel National Adresse de la rédaction: 57, rue Barbu Ștefănescu Delavrancea, secteur 1, Bucarest, 011353 http://www.culturadata.ro/revista-muzeelor/ www.facebook.com/RevistaMuzeelor ©Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle (I.N.C.F.C.)
ISSN 1220-1723 ISSN 1220-1723
Virgil Ștefan Nițulescu, Le paysage muséal après la transition | 1
La des
Musées Revue
Nouvelle Série
TOME 1 N 1, NOVEMBRE 2014 O
Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle
2014
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TABLE DES MATIÈRES Introduction Carmen Croitoru Avant-propos Virgil Nițulescu Le paysage muséal après la transition Dragoș Neamu Une « nouvelle» revue des musées Etudes Andrei Crăciun, Bogdan Pălici, Andreea Racleș La fréquentation du Musée national du paysan roumain. Analyse de l’expérience et du comportement des visiteurs, par la méthode Timing&Tracking Ana Pascu Le Musée-vivant Vatra cu Dor de Șivița (Galați), entre construction identitaire et fonctionnalité Vasilica-Daniela Toader, Constantin Măruțoiu, Ioan Bratu, Claudiu Tănăselia, Olivia-Florena Măruțoiu, Laura Troșan Couverture arménienne du XIXe siècle. Investigation scientifique des matériaux et restauration. Simion Câlția L’ordre de la Jarretière jusqu’à 1800 – le modèle des décorations européennes pré-modernes Ioan Iațcu «Victorian taste» à Iași pendant le XXe siècle: carrelage anglais portant la marque du producteur appartenant aux collections du Musée d’histoire de Moldavie
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Oana Pădurețu Le symbole du miroir dans la peinture moderne: E. Manbanda titlu1et, F. Șirato, Al. Ziffer Projets muséaux Marilena Loredana Barna L’art alternatif financé à Brașov Valer Rus Les musées et la reconstitution historique. Etude de cas: la typographie des Mureșeni Le musée pour tous Despina Hașegan L’accessibilité des musées Mihaela Aurora Christi Galerie tactile L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle Qui sommes-nous? L’activité de recherche L’activité de formation professionnelle
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Introduction Avant-propos
CARMEN CROITORU (Directeur de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle)
Je pense que l’importance du secteur culturel s’affirme dans un contexte de collaboration permanente entre les spécialistes culturels. Ils sont confrontés aux mêmes problèmes et ont besoin d’arguments qualitatifs et quantitatifs pour légitimer les solutions applicables au secteur culturel. La réédition et le renouvellement de La Revue des Musées créent une meilleure communication entre les parties prenantes, intéressées par l’augmentation de la visibilité des musées et par la prise de conscience des potentiels avantages. Le public de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle est une communauté qui réunit un ensemble d’institutions culturelles publiques nationales, d’ONG du secteur culturel, de centres universitaires et d’établissements d’enseignement. Cette communauté inclut les musées dont le rôle est la conservation, l’étude et la popularisation du patrimoine culturel. Notre objectif est que chaque projet réalisé reste ancré dans la conscience des bénéficiaires. Je souhaite que La Revue des musées suscite l’intérêt de l’ensemble des spécialistes des musées (peu importe leur domaine d’activité) et peut-être du grand public. L’approche dynamique de ce numéro facilitera la lecture et éveillera le goût du lecteur.
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Introduction
Le paysage muséal après la transition VIRGIL ȘTEFAN NIȚULESCU (Musée national du paysan roumain)
Abstract Romanian’s transition from the authoritarian society to democracy affected, also, museums. It started, already, in 1990, when the museums have started to change the way they were accustomed to relate with public authorities and with the audience. After a period of 5 to 6 years, museums have started to create new permanent exhibitions. A new legislation was adopted and a generation of experienced managers took the lead. We may consider that this period lasted another 5 to 6 years. It was the 8 years of economic growth that museums took also benefit, obtaining money for fresh acquisitions and investments. Though some new museums were created, some others have suffered losses of buildings and heritage – which were returned to their former owners (who were striped of them by the Communist regime). Unfortunately, the crises had unpleasant consequences for the museums, which sow their budgets cut and human resources reduced. In spite of the difficulties, museums have survived to these last years and, with the end of the economic crises we may consider that the transition has come to an end. Problems are still there to be solved, but they are common to most of the museums in any other democratic European country.
Keywords: transition to democracy, economic crises, new management.
Les musées roumains ont commencé leur transition d’un régime autoritaire vers la démocratie à partir de 1990. Les premiers changements se sont pourtant produits cinq-six ans après, avec l’apparition d’innovations dans le secteur muséal et le développement de la relation avec le grand public. Les employés ont progressivement compris les paradigmes du nouveau système. D’abord, la plupart des responsabilités décisionnelles ont été transférées des autorités publiques aux musées, qui ont récupéré peu à peu la gestion du patrimoine et de son exploitation. Ensuite, les spécialistes ont compris que la relation musée-public était plus importante que la relation institutions-autorités. En conséquence, le public a gagné une place croissante dans la programmation. Enfin, il est bien évident que le musée n’est pas une institution isolée, mais qu’elle est activement impliquée dans les problèmes d’une communauté. Une nouvelle période de cinq-six ans, la «période de consolidation», a permis aux nouveaux musées d’expérimenter de nouvelles formes d’exposition. Et une législation relative à la bonne gestion des musées et du patrimoine a finalement été adoptée.
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La fin de cette période a également été marquée par l’apparition d’une génération de spécialistes qui ont du s’adapter rapidement aux changements. La plupart des musées ont réussi à intégrer des petits changements ou des mutations plus profondes. Les musées ont été dotés d’un nouveau statut administratif. Les collections ont été restructurées (certaines ont été enrichies, d’autres ont été amputées suite à des décisions de justice), les musées reconnus monuments historiques ont été restaurés, d’autres ont été déplacés suite à la restitution des vieux bâtiments aux propriétaires de droit. De nouveaux musées ont ouvert leurs portes et les actes de donations sont réapparus. La croissance économique a généré des transferts des fonds. Les premières collections privées ont été présentées au grand public. Les spécialistes roumains ont acquis de la notoriété à l’étranger et la Roumanie a accédé au circuit international d’exposition et de recherche. La période a aussi été marquée par l’apparition des premiers entrepôts et laboratoires de conservation et de restauration qui ont été organisés conformément à la législation en vigueur. Elle s’est aussi caractérisée par l’apparition du management muséal professionnel. Cette décennie de prospérité a été suivie d’une crise économique et sociale qui a profondément dégradé l’équilibre des musées. En quelques années, les budgets et la masse salariale on diminué très vite. Ils ont également perdu des bâtiments. Le pouvoir d’achat a diminué et le nombre des visiteurs s’est réduit. La crise a touché à l’activité des musées et a nécessité la mise en place de solutions rapides. Malgré la réduction du personnel et la diminution des financements, les musées roumains ont survécu et sont restés attractifs pour le grand public. Les problèmes les plus difficiles ont été le droit de propriété des bâtiments (qui avaient été confisqués pendant le communisme et revendiqués après 1989 par leurs propriétaires de droit) et la diminution du personnel (ceux qui sont restés ont du faire face à une immense responsabilité administrative). Malgré des salaires peu attractifs, les spécialistes des musées ont continué à continuer à travailler par passion et avec enthousiasme. Le financement public, insuffisant, les a obligés à se réorienter vers d’autres sources (publiques ou privées, en Roumanie où à l’international). Les spécialistes ont été obligés d’apprendre un nouveau métier, la rédaction des projets de financement (dans des conditions concurrentielles particulièrement difficiles) et les managers ont été obligés d’améliorer la gestion des institutions. Aujourd’hui la situation semble être revenue à la normale. La législation s’est beaucoup améliorée (même si les normes ne sont pas toujours respectées). Le Code du patrimoine culturel national est en cours de réalisation, un débat au Parlement a été prévu pour 2015. Les musées utilisent largement les procédures prévues par les politiques publiques et les managers des musées sont de plus en plus intéressés pour attester de leurs compétences. Le personnel
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des musées (même si les effectifs ont été réduits) est capable de remplir ses missions de conservation et d’exploitation de patrimoine. Les principaux problèmes sont: l’insuffisance de l’espace muséal, le manque du personnel (malgré le grand nombre des diplômes spécialisés) et le niveau salarial. Malgré nos complexes d’infériorité qui nous ont accompagnés pendant d’un quart de siècle, il faut savoir que beaucoup de musées européens sont confrontés aux mêmes difficultés. La Roumanie a finalement gagnée la réputation d’un pays qui a déployé un effort soutenu, et qui est capable de gérer un patrimoine culturel de valeur universelle. Un autre défi important concerne les programmes d’éducation proposés au public. L’absence d’étude approfondie (surtout dans l’environnement urbain) sur l’impact des institutions muséales sur le grand public permet uniquement de réaliser des estimations. Les études dont nous disposons sont inquiétantes. Les chiffres montrent que la moitié de la population de Roumanie ne visite pas les musées. Pour qu’ils gagnent leur vraie place dans la société, je pense que les musées ont besoin d’enthousiasme, de sincérité et de professionnalisme. Nous dépasserons nos frustrations le jour où nos visiteurs seront plus nombreux et plus intéressés. Dans une société normale, qui a dépassé depuis longtemps la période de transition, cela augmentera fortement les ressources destinées aux musées.
Introduction
Une «nouvelle» revue des musées DRAGOȘ NEAMU (Réseau national des musées de Roumanie)
La dernière Assemblée annuelle du réseau Network of European Organisations (NEMO) avait pour thème: «Les musées dans le service de la cohésion sociale», vivre ensemble dans une Europe soutenable. Elle s’est déroulée du 6 au 8 novembre 2014 à Bologne, en Italie et a retenu mon attention sur deux points importants. D’abord la présentation de M. Chris Torch, directeur d’Intercult (Suède), qui a séduit le public avec une théorie très intéressante sur l’intérêt culturel des musées actuels en tant qu’espace d’interaction pour les citoyens dans toute sorte de processus et centre-ressource pour les actions créatives. M. Torch refuse la globalisation et plaide pour la suprématie d’un centre d’intérêt capable de devenir à chaque instant un centre d’intérêt à échelle
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internationale. La globalisation pourrait ainsi être utilisée pour offrir une dimension universelle à un centre local d’attraction culturelle. Ensuite l’intervention de M. David Anderson, président de Museums Association de Grande Bretagne, lors d’un atelier. Il a présenté une campagne a fort impact, une sorte de programme prioritaire intitulé: «Museums changes lives». Au delà de l’effet humoristique du slogan, il a apporté des réponses aux questions ponctuelles, des exemples concrets où les musées ont réussi à changer la vie des individus. Cela a suscité des révélations parmi les participants et a fourni des arguments pour développer des initiatives similaires (que j’ai essayées de partager avec mes collègues à travers divers moyens de communication). La plupart d’entre nous pensent que les musées ont un rôle social à accomplir, qu’ils peuvent générer du bien-être, construire de meilleurs espaces de vie ou d’interaction, mais qu’ils ne savent pas comment agir. Nous avons un principe reconnu par tout le monde: le rôle du musée ne se résume plus à l’achat et la gestion des collections. Il y a des éléments-clés qui interviennent dans ses fonctions sociales (qu’il ne faut pas négliger), comme la justice sociale, la dimension participative, le besoin permanent de communication et les réponses aux principaux sujets contemporains (dans la plupart des cas) à travers les expositions. Alors quel est le rôle d’un musée? D’abord de renoncer à l’idée qu’il agit POUR le bénéfice du visiteur avec un choix de présentation unilatéral et un public résigné qui est obligé de le contempler. Ensuite d’avancer et de nous réorienter vers une relation POUR le bénéfice de notre public, plus amicale (avec des limites psychologiques à déterminer) en rapport avec chaque visiteur et de renoncer à créer autour de lui un espace trop académique. Certaines musées ont pourtant réussi à faire un pas important (qui oscille entre le remarquable et le normal), à agir AVEC le visiteur, à s’impliquer et à soutenir un processus de création et de partage en commun. C’est cette attitude qui sera capable de changer la vie et de perpétuer l’éducation du désir, de notre aspiration à améliorer notre vie par une banale (apparemment) participation à un projet de volontariat. L’action locale et la réflexion sur le rôle et la contribution des musées à la vie sociale permettent d’engager des initiatives qui facilitent l’accès à l’industrie sociale à haut niveau, offrant des opportunités de créer ses propres manifestations et d’impliquer la communauté dans son ensemble. Certains d’entre nous doivent agir au niveau européen. C’est un rôle que je vais certainement assumer, en tant que nouveau membre dirigeant du Network of European Museum Organisations.
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La des
Musées Revue
Institut National Pour la Recherche et la Formation Culturelle
I Etudes
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Andrei Crăciun et. al., Analyse de l’expérience et du comportement des visiteurs, par la méthode Timing&Tracking | 13
L’audience du Musée national du paysan roumain. Analyse de l’expérience et du comportement des visiteurs, par la méthode Timing&Tracking
ANDREI CRĂCIUN (Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle, Bucarest) BOGDAN PĂLICI (Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle, Bucarest) ANDREEA RACLEȘ (Graduate Center for the Study of Culture, Justus Liebig University, Giessen)
Abstract* The main objective of this article is to describe and analyse the behaviour and the visiting experience of people who access the cultural offer of the Romanian Peasant Museum. The paper provides data which was collected in 2011 (JuneDecember) by means of both qualitative and quantitative methods, namely: Timing&Traking, non-participant observation, semi-structured interviews and self-applied questionnaires. Acknowledging that the level of education is not the only variable which influences people’s experiences in the museums, the paper seeks to shed light on the importance of the social practices and the communicational practices in understanding people’s active role in shaping the dynamics of museums. In this sense, an important aspect that moulds visitors’ perceptions is the morphology of the space. The main issues which will be specifically discussed here are: the different aspects that influence the visiting experience at MNTR (such as the outlook and the content of the visiting rooms, the placement of the items), the interaction or non-interaction between the visitors and the items, the different ways of accessing the facilities of the museums, the similarities and difference between the visiting behaviour of Romanian visitors and the foreign visitors.
Key words: Visitor studies, Visitor experience, Muzeul Naţional al Ţăranului Român, Museum use, Social practice, Time&Tracking, Audience research
* Le présent article repose sur une recherche menée en 2011 par les auteurs, pour le compte du MNPR
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INTRODUCTION L’objectif principal de l’étude est de décrire le comportement et l’expérience muséale des personnes intéressées par l’offre culturelle du Musée national du paysan roumain. Un autre objectif, plus secondaire, est d’observer le comportement des personnes âgées (y compris leurs besoins particuliers) et des touristes étrangers pendant leurs visites. Diverses méthodes de recherche qualitative et quantitative ont été utilisées pour atteindre ces objectifs: la méthode Timing&Tracking, l’observation, l’entretien semi-structuré et l’enquête auto-appliquée. La particularité de l’étude sur le plan méthodologique repose dur deux éléments: d’un côté l’utilisation d’une méthode de recherche largement utilisée en Europe de l’ouest et pas en Roumanie (Time&Tracking) et d’un autre coté la durée de l’étude (la collecte des données a été réalisée en environ six mois, de juin à décembre 2011). Les principales conclusions révèlent les facteurs objectifs qui influencent les visites au MNPR, comme l’emplacement et le contenu des salles, l’excédent des objets exposés, l’utilisation de divers services muséaux, l’interaction des visiteurs avec les objets exposés, le comportement des touristes étrangers et enfin les particularités liées aux personnes âgées. I. La méthodologie de recherche et de collecte des données La réalisation de l’étude repose sur l’utilisation de diverses méthodes et techniques de recherche: Timing&Tracking, observation, entretien semistructuré et enquête auto-appliquée. Timing&Tracking (T&T) est une méthode d’évaluation observationnelle, capable d’enregistrer le parcours du public dans une salle d’exposition ou dans tout le musée, de mémoriser le temps passé dans les salles et/ou devant chaque objet exposé/ installation. Cette méthode est utile pour mettre en évidence les modèles de comportement et les tendances de visite qui, une fois identifiés, deviennent les références des curateurs ou des décideurs. Réalisée par Beverly Serrell et Roxana Adam, l’étude Paying Attention: Visitors and Museum Exhibitions1) s développe la méthode T&T pour montrer aux spécialistes comment collecter les données pour améliorer et mieux évaluer les prochaines expositions. Les chercheurs qui ont appliqué cette méthode ont compris qu’une exposition représente une bonne occasion pour mieux comprendre le comportement et les besoins des visiteurs et qu’il existe une forte corrélation entre le temps passé et la quantité des connaissances acquises pendant la visite2). 1. Serrell et Adams (1998) 2. Borun et al. (1998)
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La méthode T&T a été adoptée par les chercheurs pour plusieurs raisons: pour comparer l’impact de la même exposition organisée dans des lieux différents? pour comparer l’impact d’expositions différentes présentées dans les mêmes lieux ; pour comparer l’impact des expositions après un changement de concept ou une rénovation. La méthode T&T est capable de livrer des données comparatives, de faciliter le processus de planification des expositions et de répondre aux questions suivantes: quels sont les éléments de l’exposition qui attirent le plus les visiteurs? Quels éléments suscitent moins l’intérêt et comment les améliorer? Comment s’adapter et mieux répondre aux besoins d’un public multi générationnel? Comment stimuler l’intérêt ?3) L’élaboration et l’étape préalable à la mise en application de la méthode de Serrel et Adams visent une approche standardisée, qui repose sur le choix des variables fondamentales dans le processus de collecte des données, réparties en quatre catégories: le comportement d’arrêt, les autres types de comportements, les variables démographiques et les variables situationnelles.4) L’application de la méthode T&T a été adaptée aux objectifs de l’étude de l’audience du MNPR et a pris en compte les catégories de variables suivantes: • La temporalité (le temps passé dans chaque salle, le temps passé devant chaque objet exposé, le pourcentage des visiteurs qui s’arrêtent devant un certain objet exposé/ une certaine salle)? • L’interaction (l’interaction des visiteurs avec les membres du groupe, avec les employés du musée, avec d’autres visiteurs? l’interaction avec les objets exposés)? • Les caractéristiques démographiques (âge, sexe, nationalité); • La conjoncture (mois, jour et intervalle horaire de la visite; disponibilité de visite des salles). La composante quantitative de la méthode T&T est complétée par la composante qualitative, qui décrit le comportement du visiteur à l’intérieur du musée. L’étude de l’audience du MNPR reposant sur l’observation a mis en évidence: la formule de visite (groupe d’amis, en famille, individuel), l’interaction entre les visiteurs, l’interaction visiteurs-objets exposés, les dialogues entre les visiteurs, l’identification du leader/ de la personne capable d’influencer les directions de visite, etc. En outre, a été utilisée la méthode de l’entretien semi-structuré et du questionnaire auto-administré. 16 entretiens semi-structurés ont été réalisés avec les employés chargés de la surveillance des expositions, avec le vendeur des billets, les représentants des librairies, de la boutique des souvenirs, du cinéma, et des exposants. 3. Serrell et Adams (1998) 4. Serrell et Adams (1998)
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Les questionnaires auto-administrés visaient à collecter les données des visiteurs sur leurs expériences antérieures de visite, sur l’intention de revenir, les sources d’information utilisées, les suggestions d’amélioration des services et certaines données sociodémographiques. La collecte des données s’est effectuée du juillet jusqu’en décembre 2011. Sauf les jours de fermeture, le comportement de visite de deux-trois visiteurs a été analysé et noté pendant les jours ouvrables5). Chaque sujet de l’enquête été observé par des équipes d’étudiants qui ont noté l’heure d’entrée et de sortie de chaque salle, le temps passé devant chaque objet exposé et le parcours de visite choisi (donné par la carte détaillée des salles du musée). Ont également été collectées des données de nature qualitative (les observations) sur l’expérience de visite. Chaque sujet de l’enquête a été tenu de remplir à la fin de la visite un questionnaire autoadministré. Tableau no 1. L’échantillon de l’étude: les catégories des visiteurs
L’origine des visiteurs
La tranche d’âge des visiteurs
Roumains
Etrangers
Jeune
Jeune
Adulte
Adulte
Personne âgée
Personne âgée
L’échantillon de l’étude a été réalisé à partir des variables d’intérêt suivantes: la tranche d’âge des visiteurs et leur origine (Roumains ou étrangers), le sexe des visiteurs et les horaires de visite (matin: 10h00-14h00 et après-midi 14h0018h00). 223 cartes de parcours ont été réalisées pendant l’étude. Le critère linguistique a été le motif principal de refus car les questionnaires étaient disponibles uniquement en roumain, en anglais et en français. Dans l’étape préalable à l’analyse, 23 cartes sur 223 ont été rejetées par les opérateurs (les parcours étaient incomplets) mais les questionnaires ont été conservés.
5. Cette activité a été effectuée par une équipe de 25 étudiants de la Faculté de Sociologie et d’assistance sociale de l’Université de Bucarest.
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II. La structuration de l’espace muséal et le comportement de visite Les études ont analysé les différents types de comportement culturel (musique, filmes, livres, etc.) et ont mis en évidence l’importance de l’éducation dans la formation du comportement et des préférences des consommateurs. En outre, un certain niveau d’éducation correspond à un facteur psychologique individuel, à une certaine capacité de traiter des informations6). Le choix du musée et la manifestation d’un certain type de comportement de visite sont influencés en grande partie par le niveau d’éducation du visiteur. Les données de l’enquête menée pour mesurer l’audience du MNPR montrent un niveau élevé d’éducation des visiteurs, avec 67% qui ont suivi des études universitaires ou postuniversitaires. C’est un pourcentage supérieur à la moyenne nationale (45%). (Tableau no 2). Le niveau d’éducation n’est pas l’unique variable qui rapproche le visiteur du musée. L’étude de l’interaction entre les visiteurs (les éléments actifs du musée) révèle les pratiques sociales et les dialogues à l’intérieur du musée. L’espace muséal et sa structuration jouent un rôle important dans la communication des visiteurs. Les études qui mesurent l’audience des musées montrent que les caractéristiques objectives des salles (l’emplacement, l’agglomération, l’étalage et le contenu) ont un impact direct sur le comportement de visite et sur la création des parcours de visite. Tableau no 2. Echantillon de l’étude: les catégories des visiteurs
Niveau d’éducation Collège Lycée (10 classes) Ecole professionnelle Lycée (12 classes) Ecole postsecondaires Université courte durée Université longue durée Postuniversitaire TOTAL
Echantillon MNPR Niveau national 6% 10% 4% 6% 1% 6% 13% 28% 6% 5% 10% 6% 40% 31% 17% 8% 100% 100%
Source des données pour l’échantillon national: Centre de recherche et de conseil du secteur culturel - le Baromètre de la consommation culturelle 2010, l’édition d’hiver. A été évaluée la population qui a visité des musées ou des expositions pendant la dernière année.
6. Chan et Goldthorpe (2007)
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1. L’emplacement des salles
L’analyse du temps moyen passé par les visiteurs dans les différentes salles du MNPR montre que de début de la visite coïncide avec les salles où les visiteurs passent le plus du temps. Ainsi, les salles Croix Arbre de vie (au rez-de-chaussée), Peste (au sous-sol) et Triomphe (à l’étage) sont des options de départ où les visiteurs ont passé le plus de temps (tableau no 3). La salle Croix Arbre de vie a été dans la plupart des cas l’option principale pour le départ de la visite et en même temps l’endroit où les visiteurs ont passé le plus de temps (320 secondes en moyenne). Dans certaines situations les visiteurs ont choisi l’étage comme point de départ et la salle Triomphe à été ainsi l’endroit où les visiteurs ont passé le plus de temps. Tableau no 3. Le classement des salles selon le temps moyen de visite Position
Salle
Temps moyen passe (secondes)
1
Croix Arbre de vie
320
2
Triomphe
272
3
École paysanne
271
4
Icones 2
257
5
Peste
253
L’emplacement de la salle Peste est assez particulier. Parfois elle est choisie comme point de départ et souvent elle n’est pas visitée car est située au sous-sol du bâtiment. Pendant l’étude les salles Fenêtres et Temps (rez-de-chaussée), Minorités (étage) et Chambre d’étude (étage) étaient souvent fermées pour des raisons administratives. Sinon, quand elles étaient ouvertes, leur emplacement a eu un effet différent, car situées aux extrémités du couloir, elles étaient souvent „victimes” de l’interruption prématurée du parcours de visite. Sinon, le niveau d’intérêt pour ces salles était élevé. Malgré sa fermeture et son emplacement à l’extrémité du couloir, lors de l’estimation du temps passé, la salle Fenêtres et Temps se situait en 9ème position (195 secondes en moyenne). 2. L’agglomération dans les salles
Le MNPR propose une grande variété de salles qui différent par leur taille et l’agglomération des objets exposés. On peut considérer ainsi le temps relatif comme un indicateur complémentaire à la durée moyenne passée dans les salles. C’est pourquoi une analyse des salles a été réalisée avec deux variables: le temps passé par les visiteurs et le nombre d’objets exposés.
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Les salles où les visiteurs passent le plus de temps sont: Maison, TravailFeu, Nourriture, Ecole paysanne et Travail, Eaux et Vent (tableau no 4) Tableau no 4. Le classement des salles en fonction du temps relatif de visite Position
Salle
Temps relatif (secondes/nombre d’objets exposés)
1
Maison
30
2 3 4 5
Travail-Feu Nourriture Ecole paysanne Travail, Eaux et Vent
22 21 16 12
Au temps relatif passé dans une salle s’ajoute un autre indicateur: le nombre d’arrêts devant les objets exposés (le nombre d’arrêts par rapport au nombre d’objets disponibles). Cet indicateur montre l’intérêt des visiteurs pour les différents objets exposés. Il est intéressant d’observer que le nombre d’arrêts n’est pas proportionnel au nombre d’objets exposés/ ensembles disponibles. La plupart des arrêts sont consignés dans les grandes salles, avec peu d’objets exposés, qui présentent sous la forme de divertissement une partie de la vie paysanne. Si on rapproche le nombre d’arrêts à l’intérêt éveillé, les salles Travail-Feu ou Maison se retrouvent en tête des préférences des visiteurs du MNPR. Tableau no 5. Le classement des salles en fonction du nombre moyen d’arrêts devant les objets exposés Position
Salle
Nombre d’objets exposés
1 2 3 4 5
Travail-Feu Maison Nourriture Chambre d’étude Travail, Eaux, Vent
7 7 8 13 17
Nombre moyen d’arrêts 2 2 2 2 3
Nombre relatif d’arrêts 0,27 0,23 0,21 0,19 0,19
3. Le contenu et l’arrangement des salles
Les données collectées par la méthode T&T montrent que le contenu thématique des salles n’a pas une influence significative sur le temps passé par les six catégories de visiteurs dans les salles du musée. Il y a une seule exception: la salle Peste qui suscite l’intérêt des personnes âgées roumaines par opposition avec la salle Ecole paysanne qui suscite l’intérêt des jeunes.
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La salle Ecole paysanne fait partie de la catégorie des salles dotées d’espaces de documentation et d’éléments d’infrastructure qui facilitent l’accès aux objets exposés. Cette catégorie inclut les salles Travail-Feu (située à l’étage et dotée de «cabinets d’études», elle livre des informations sur les artisans et leurs ateliers y sont exposés), Icones 2 (située au rez-de-chaussée, dotée de bancs devant des compositions thématiques qui réunissent des icones), Chambre d’étude (située à l’étage, expose des livres manufacturés). Ce sont aussi les salles qui proposent des espaces de repos pendant la visite.
Fig. no 1 Espaces de documentation du MNPR
Une autre catégorie de salles expose des objets de grandes dimensions et un accès inédit aux œuvres (escaliers qui permettent la visualisation de haut). Ce sont des salles Maison (le foyer d’Anton Mogoș)? Travail, Eaux et Vent (exposant un moulin à foulon et un harnais)? Pouvoir de la Croix (exposant un crucifix) Reliques (exposant des reliques des Pères de l’Eglise orthodoxe). Les fiches T&T montrent que ce sont les objets devant lesquels les visiteurs passent le plus de temps.
Fig. no 2 Modalités d’accès inédit aux objets exposés
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Sont relevées aussi les salles qui facilitent l’interaction des visiteurs avec les objets exposés. 72% des répondants du questionnaire auto-appliqué déclarent que les objets exposés par le MNPR sont interactifs. La salle Nourriture est souvent évoquée grâce aux possibilités d’escalade d’une spirale thématique. III. La visite du MNPR par les personnes âgées – l’intérêt pour les loisirs L’indicateur qui se réfère à la qualité de vie et qui mesure la préoccupation des personnes âgées pour les loisirs est de plus en plus présent dans les préoccupations des politiques publiques de l’Union Européenne, notamment à travers le concept de vieillissement actif, «active ageing». Comme le vieillissement démographique engendre des difficultés importantes à long terme (déstabilisation du marché du travail, du système d’assurances sociales et des retraites), les catégories âgées de la population sont encouragées à s’impliquer volontairement dans les activités économiques, culturelles et communautaires susceptibles de contribuer au développement des communautés et de l’ensemble de la société. Les activités physiques et culturelles, l’enseignement continu, l’amélioration des relations avec les jeunes générations, le volontariat et l’entreprenariat permettent aux personnes âgées de s’intégrer après la retraite. C’est pourquoi notre enquête a dédié une partie spéciale aux personnes âgées. Le mot «seniors» (older adults, seniors, elderly people) concerne dans notre enquête les visiteurs âgés de plus de 60 ans. Les auteurs Martin Turcotte et Grant Schellenberg7) ont identifié quatre types de loisirs qui intéressent les seniors: les activités passives (regarder la télé, écouter la radio), cognitives (la lecture, les activités d’éducation, les hobbies, l’utilisation de l’ordinateur), sociales (rencontrer des amis, parler au téléphone) et physiques (sport, ballades)8). La visite des musées fait partie des loisirs cognitifs et sociaux. 1. Modalités d’information des seniors sur l’activité du MNPR
Les amis et les relations sont les premiers à informer les seniors roumains sur l’activité du MNPR. Les journaux et les magasins constituent la deuxième source. Les seniors étrangers utilisent davantage les guides touristiques qui fournissent des informations utiles sur les sites à visiter et qui donnent des conseils de visite en fonction du temps disponible, de la proximité et des centres d’intérêt. 7. Turcotte et Schellenberg (2007) 8. Turcotte et Schellenberg (2007)
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Le MNPR se situe en position favorable, grâce à la proximité de deux autres musées importants, le Musée Grigore Antipa le Musée de Géologie. 2. Le comportement de visite des seniors
Ce sont les seniors roumains qui passent le plus de temps dans les salles Fenêtres et Temps, Ecole paysanne, Triomphe, Croix Arbre de Vie et Icones 2. Il est intéressant d’observer que la salle Fenêtres et Temps (fermée pendant la plupart de l’enquête) est préférée par les seniors roumains (384 secondes en moyenne). La salle Ecole Paysanne compte un temps plus élevé de visite (et de repos des visiteurs), grâce aux bancs qui y installés. Un des loisirs préférés dans cet espace est le jeu de rôles des seniors avec leurs petits-enfants (les grands-mères deviennent les enseignants et les petits-enfants les élèves pendant les heures de cours). Les seniors réclament des bancs ou des chaises dans les autres salles. La salle Triomphe attire les visiteurs surtout pour les costumes populaires qu’elle présente. Les salles Croix Arbre de Vie et Icones 2 (situées au rez-dechaussée) sont épargnées par le phénomène de saturation ressenti lors des visites (museum fatigue), qui explique le temps réduit passé dans les salles situées à l’étage. La saturation de visite est un état de fatigue et de saturation par rapport aux objets exposés, qui peut s’installer pendant la visite. La ressemblance des objets exposés dans le même espace, la surabondance et l’état physique des visiteurs sont des facteurs qui influencent l’installation de la fatigue pendant la visite9). Quand les seniors sont accompagnées par des enfants, ils deviennent des leaders et/ou des enseignants. Au sein d’un groupe d’adultes ils se concentrent au contraire sur eux-mêmes. Les recherches antérieures ont montré que les grands-parents s’impliquent dans beaucoup d’activités des petits-enfants et qu’ils jouent un rôle important dans la vie sociale des enfants. Les seniors jouent également le rôle de mentors pour leurs petits-enfants10). Ils donnent des informations adaptées à leur âge, vérifient leur assimilation et l’état des connaissances antérieures: Devant une photo de famille accrochée au mur, elle essaye de stimuler la mémoire de sa petite-fille, lui demande où elle a vu une photo semblable et lui explique que ses parents et grands-parents réalisaient des photos similaires. Elle revient ensuite pour vérifier les informations que la petite-fille a retenu: «qu’est-ce que c’est ça? Un voile pa-y-san?» (Fiche de suivi du comportement) 9. Moss et al. (2008) 10. Beaumont et Sterry (2005)
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Le musée est un espace d’apprentissage non-formel entre les générations. L’apprentissage actif suppose l’attouchement des objets exposés, l’interaction avec les objets, la comparaison avec d’autres objets exposés et leur intégration dans des situations de vie (par des exemples concrets)11). La vieille dame raconte à la petite-fille des anecdotes sur l’école de son enfance. Elles s’assoient à tour de rôles au pupitre et sur les bancs pour que la petite-fille découvre l’utilité des objets. La femme s’assoit sur le banc, à côté de la petite fille et lui explique l’enseignement d’antan, l’écriture à l’encre et à la plume. Puis elle s’assoit au pupitre, prête à jouer le rôle du professeur. (Fiche de suivi du comportement) Les seniors suivent l’intérêt des enfants pour les divers objets exposés et leur utilité, provoquent le dialogue ou adaptent leurs explications aux questions et aux intérêts particuliers des petits-enfants. L’atelier du forgeron incite la grand-mère à expliquer l’utilité des soufflets, du four, du marteau, de l’enclume. L’atelier du potier permet à la petite fille de faire la différence entre les pots, les cruches et les jattes. La fille qui devient intéressée par le livre à couverture cartonnée incite la grand-mère à le feuilleter et à lui expliquer le contenu sur les occupations, difficilement compréhensibles pour une gamine de son âge. (Fiches de suivi du comportement) La conversation est un aspect important du processus d’apprentissage12). Les discussions entre les grands-parents et leurs petits-enfants renforcent le lien affectif et enclenchent un échange d’informations utiles aux enfants pour acquérir de nouvelles connaissances. Quand les dames font partie d’un groupe (d’adultes ou des parents), elles se concentrent sur leur elles-mêmes, regardent les objets qui les intéressent et n’interviennent plus pour donner des explications ou pour raconter des histoires. Elles passent du temps seules, sans rôle précis. Pendant que la mère avec les deux enfants avance très vite dans la salle sans trop se concentrer sur les objets exposés, la grand-mère avance lentement, en observant mieux les objets. (Fiche de suivi du comportement) Les seniors ont un comportement didactique en présence des enfants: ils montrent et expliquent l’objet exposé (sans divagations ni distorsions). Ils amènent leur propre expérience, présentent l’information d’une manière appropriée à l’âge, donnent des réponses adaptées ou nomment les objets exposés qui sont inconnus des enfants. 11. Sanford (2010). 12. Sanford (2010).
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IV. Le potentiel de visite et les tendances de comportement des touristes étrangers La plupart des enquêtes et des analyses sur les visiteurs étrangers sont centrées sur le marketing. Pour ce qu’on appelle le «tourisme culturel», les musées sont des repères importants et des attractions touristiques qui obligent les managers à mieux répondre aux besoins, aux perceptions et aux attentes13). Les données collectées montrent que la période enregistrant le plus grand nombre de touristes étrangers qui visitent le MNPR coïncide avec les mois d’été et d’automne, et plus précisément la période juin-octobre. Le weekend est leur intervalle préféré de la semaine. Leurs principales sources d’information sur le MNPR sont les guides touristiques, les amis et les connaissances. 1. Les particularités du comportement des touristes étrangers
Les salles où les touristes étrangers passent le plus de temps sont: Croix Arbre de Vie, Triomphe, Icones 2, Peste et Beauté de la Croix. Le critère utilisé pour mieux comprendre leur comportement dans les salles d’exposition est le temps qu’ils passent en moyenne dans les espaces. Si l’on considère que le temps passé dans une salle d’exposition reflète l’intérêt qu’elle suscite chez le visiteur, le classement des salles les plus intéressantes est présenté dans le tableau no 6. Certaines caractéristiques des salles (emplacement, aménagement, possibilité d’interaction avec les objets exposés) influencent le comportement et les décisions du visiteur quant au temps passé dans les salles. Tableau no 6. Le classement des salles où les touristes passent le plus de temps (la moyenne du temps passé par les visiteurs roumains par rapport aux étrangers) Visiteurs étrangers Salle
Nombre de secondes (moyenne)
Croix Arbre de Vie
348
Triomphe
Position
Visiteurs roumains Salle
Nombre de secondes (moyenne)
1
Ecole paysanne
325
278
2
Croix Arbre de Vie
297
Icones 2
265
3
Peste
285
Peste
228
4
Triomphe
269
Beauté de la Croix
214
5
Icones 2
251
13. Jiehua Seng et Ada Lo (2010)
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Parmi les 5 salles énumérées dans le classement), 4 sont situées au
rez-de-chaussée. Les études analysant le comportement dans le musée révèlent que la fatigue perturbe le temps passé. Les observations ont montré que pendant la première partie de la visite, les visiteurs lisent les textes qui accompagnent les objets exposés et que la concentration baisse (cela se manifeste par une lecture rapide des textes) au fur et à mesure que la visite se prolonge14). L’analyse des indicateurs doit aussi prendre en considération la «saturation dans le musée» qui se réfère a l’expérience d’une visite répétée dans des salles, qui se succèdent et qui se ressemblent, qui contiennent des objets similaires (dimension et emplacement15)). On affirme que les salles situées au rez-de-chaussée (au début du parcours de la visite) ont bénéficié d’un intérêt plus élevé. Il convient par la suite de souligner l’importance de l’emplacement des expositions dans l’espace muséal, qui influence le comportement. Comme les textes explicatifs en plusieurs langues sont presque inexistants, les touristes étrangers sont intéressés par l’aménagement des salles et leur emplacement est beaucoup plus important. En ce qui concerne le temps passé dans chaque salle d’exposition, l’étude relève quelques différences significatives entre les salles Beauté de la Croix et Ecole paysanne. Ainsi la salle Beauté de la Croix (qui réunit des costumes populaires, des tissus pour la maison, une collection en bois - des chaises) incite les visiteurs étrangers à passer en moyenne plus de temps que les visiteurs roumains. Malgré le fait que la salle est située au début du parcours, son exotisme attire les gens qui ne connaissent pas le village roumain. Les objets suscitent l’intérêt des touristes étrangers, qui y passent plus de temps. Par contre, les visiteurs roumains les classent dans la catégorie des objets communs, connus, avec lesquels ils ont eu contact à un moment de leur vie (le temps nécessaire à la découverte et à la compréhension est beaucoup plus faible). Par contre, la salle Ecole paysanne présente un écart significatif du temps moyen de visite entre les touristes roumains et étrangers. Les visiteurs roumains passent plus de temps dans cette salle qui évoque, par ses objets et ses installations, des moments importants de leur vie. Ils manifestent leur enthousiasme devant une salle de classe qui ressemble à celle qui a marqué leur enfance. Pour les touristes étrangers, les meubles et l’organisation de la salle ne suscitent pas le même type de souvenirs. Ces données révèlent l’importance d’une variable que les responsables des expositions/musées ne peuvent pas contrôler, mais qu’ils doivent prendre en considération. Il s’agit de l’origine culturelle et l’expérience de vie des visiteurs, qui peuvent influencer en grande partie leur comportement. L’observation du 14. USS Constitution Museum Team (2014) 15. Moss et al. (2008), p.36.
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comportement des touristes étrangers montre que pour eux, la visite du musée est plutôt une expérience d’apprentissage et de d’approfondissement du contenu des expositions. Pour les roumains, cela ressemble à un loisir (surtout quand il s’agit de visites familiales). C’est aussi l’opinion des surveillants des expositions qui ont participé aux enquêtes semi-structurées. Une variante des réponses était qu’une partie des visiteurs roumains (les habitants de Bucarest) profite de son temps disponible pour visiter le musée en journée. Ce sont des données qui soulignent l’importance de l’emplacement du musée dans le milieu urbain, en tant qu’élément essentiel de la décision du public de visiter et de répéter l’expérience de visite. Les chiffrent montrent que les visiteurs étrangers passent en moyenne plus de temps que les Roumains à lire les informations situées à l’entrée des salles d’exposition. Les touristes étrangers passent ainsi 36 secondes en moyenne dans chaque salle pour lire les informations, pendant que les Roumains passent 24 secondes. Les observations effectuées lors de la rédaction des fiches T&T montrent que les touristes étrangers ont besoin de se concentrer autour de l’infrastructure qui devra contenir plus de détails. Les dialogues que les touristes étrangers ont avec le personnel surveillant indiquent plusieurs besoins: la traduction des informations, la nécessité de donner des détails supplémentaires sur le contexte et l’histoire de certains objets, une infrastructure cohérente du parcours et une meilleure compréhension du sens des objets exposés. Les chercheurs comme McKercher et Du Cros argumentent que les attractions culturelles réussies racontent des histoires, les animent, rendent l’expérience participative et édificatrice pour le touriste, en se concentrant sur la qualité et la projection de l’authenticité16). 2. Besoins et tendances du public étranger
Les suggestions des touristes étrangers pour améliorer les services museaux et la qualité des expositions se référent principalement aux textes explicatifs. Tous les répondants ont évoqué le même type d’amélioration pour répondre aux besoins de connaissance des visiteurs. Les insatisfactions le plus souvent évoquées sont le manque d’information en anglais et en français, la précarité des informations du guidage audio, l’insuffisance des explications accompagnant les objets exposés (leur sens). Les études spécialisées parlent d’une dimension éducationnelle que les musées sont tenus de développer, pour transformer l’expérience individuelle de la visite en une expérience sociale, qui repose sur l’implication et la participation 16. McKercher et Du Cros (2092), p. 291
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de plusieurs visiteurs, mais aussi sur la création d’un contexte favorable à leur interaction et à l’interaction entre les individus et les objets exposés. Sotiria Grek parle ainsi d’une expérience éducationnelle et participative qui repose sur le dialogue entre les participants17). Les observations effectuées par le MNPR révèlent que les touristes étrangers manifestent leur curiosité et leur intérêt vis-à-vis des objets exposés et des installations (texture, forme, couleur, technique et modèles peints) en touchant les objets. C’est un comportement qui exprime le besoin de participation et d’implication, et qui est capable de satisfaire les attentes issues de leurs expériences muséales précédentes. Pourtant, les salles sont faiblement dotées en cadres (sauf le visuel) d’accès aux objets exposés pour les touristes étrangers. Les salles Ecole paysanne ou Chambre d’étude sont des exemples qui invitent le visiteur à participer, à rechercher, à s’impliquer dans le monde qu’elles incarnent. Cette expérience n’est malheureusement pas disponible pour les touristes étrangers, la documentation, les informations qui accompagnent les photos, les catalogues sont majoritairement disponibles en roumain. La popularité et l’interactivité de la salle Ecole paysanne fait que la moyenne du temps passé par les touristes roumains est supérieure à celle des touristes étrangers, ce que l’on peut expliquer facilement par l’absence d’informations disponibles en d’autres langues, mais aussi par un contenu plus représentatif de l’expérience de vie des Roumains que pour celle des étrangers. Il est important de mentionner que l’implication des visiteurs et que la facilitation de l’accès aux objets exposés rendent complexe l’expérience muséale et anticipent les besoins de connaissance. Les études récentes montrent encore plus que la décision des visiteurs de choisir une galerie d’art ou un musée ne dépend pas de la qualité de la collection, mais de l’ambiance de l’exposition, qui doit être capable de générer un sentiment d’implication et de participation. Lors d’une conférence dédiée au rôle de la stratégie de management pour le succès d’un musée, Waltl souligne cette dimension interactive qui propose l’implication du visiteur et la facilitation de l’accès aux objets exposés, et qui complète l’expérience d’apprentissage18). L’expérience de visite est enrichie au Musée du Paysan roumain par l’existence d’une boutique des souvenirs et d’un Club paysan, très appréciés par la plupart des visiteurs étrangers. Un employé du Club du paysan décrit ainsi les visiteurs étrangers: Les étrangers sont sympas car ils sont intéressés. Apres avoir fait leur plein cognitif dans le musée, ils arrivent ici pour boire un verre, écouter un concert et ils sont très...ils ont les yeux en mouvement, 17. Grek (2009), p.195 18. Waltl (2006)
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les antennes ouvertes, ils sont désireux de chercher, de regarder, de discuter, c’est très cool... L’analyse du comportement des visiteurs (surtout des étrangers) révèle l’importance des expériences antérieures dans les musées étrangers, qui est un facteur décisif dans la formulation de leurs besoins ou de leurs attentes. On peut ainsi expliquer la tendance d’interaction avec les objets, d’initier des dialogues avec le personnel surveillant et de passer du temps dans la boutique de souvenirs ou dans le Club paysan. Une nouvelle discussion avec un autre employé du Club paysan souligne l’idée que l’expérience d’autres musées génère l’attente et le besoin d’enrichir l’expérience cognitive avec une expérience de relaxation: Ils ont l’habitude d’autres pays plus développés... chaque musée a plus ou moins un club, un bar, un café. Le monde connait déjà. Tu vas au musée, tu regardes et après tu vas prendre un café, oui. En Roumanie ce n’est pas possible. C’est une chose nouvelle qui est apparue il y a 5-10 ans, je pense. Maximum 5-10 ans. Et alors... Les discussions avec les employés révèlent le fait que les visiteurs du Club paysan (sauf les touristes) incluent les étrangers qui habitent à Bucarest pour des raisons professionnelles. Il est intéressant aussi que certaines expositions photographiques aient attiré ce type de public présentant un haut potentiel de fidélisation. CONCLUSIONS L’analyse de l’expérience et du comportement de visite au MNPR met en évidence les avantages de la triangulation des méthodes de recherche utilisées dans la réalisation des enquêtes de fréquentation. Les instruments consacrés qui mesurent le degré de satisfaction et le comportement des visiteurs (le questionnaire ou le livre de suggestions) sont utiles et nécessaires, mais leur capacité à aider les managers ou les organisateurs d’expositions pour résoudre des problèmes est assez limitée. D’abord la méthode T&T, si populaire dans l’espace muséal occidental est faiblement utilisée en Roumanie. Si l’on mélange les observations qualitatives (les conversations ou la dynamique des groupes) et les entretiens, la méthode T&T révèle les modèles comportementaux, les modalités d’interaction des visiteurs avec le musée et son contenu ainsi que les besoins du public. Ensuite, bien que l’étude ait visé une seule institution muséale, on observe que les résultats de l’analyse ont un potentiel significatif d’extrapolation, surtout sur les modèles comportementaux. On observe également que les managers ou les organisateurs d’expositions valorisent les aspects suivants:
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• le comportement est influencé par l’emplacement des salles. Les salles situées au bout des couloirs/parcours de visite sont ainsi plus souvent les «victimes» d’une interruption prématurée de la visite? • le nombre d’arrêts sur le parcours n’est pas influencé directement par le nombre d’objets exposés ou d’ensembles disponibles. On observe que les arrêts sont plus nombreux dans les salles avec moins d’objets exposés, bénéficiant de grands espaces et d’une mise en scène appropriée ; • les espaces de documentation destinés au public et l’infrastructure qui facilite l’accès à la documentation et aux objets exposés augmentent le temps passé dans une section. Ce sont des éléments qui ont un potentiel élevé pour capter l’attention et l’intérêt, et d’augmenter le temps. La même observation est valable pour les salles qui permettent l’interaction avec les objets exposés? • la fatigue et la saturation sont des éléments qui influencent fortement le temps passé dans le musée et la qualité (la satisfaction) de la visite? • l’aménagement et l’emplacement des expositions sont essentiels dans l’absence ou l’insuffisance d’informations disponibles en d’autres langues. L’attention des touristes étrangers est ainsi dirigée vers l’infrastructure qui livrera plus de détails? • les sources d’information utilisées par le public avant la visite différent en fonction de l’âge ou de l’origine. Les visiteurs roumains âgés utilisent plus que les autres visiteurs le réseau social (amis, connaissances), tandis que le public étranger utilise les services touristiques (les guides)? • les caractéristiques observées chez les seniors révèlent qu’ils peuvent être considérés un groupe ciblé, capable de garantir le succès des programmes d’éducation destinés aux enfants? • en ce qui concerne la dimension éducationnelle, il est important que l’expérience individuelle de visite soit transformée dans une expérience sociale, qui repose sur la participation de plusieurs visiteurs et sur la création du contexte propice à l’interaction avec les personnes et les objets exposés. Bibliographie Beaumont, E., & Sterry, P. „A study of grandparents and grandchildren as visitors to museums and art galleries in the UK”. Museum and Society 3(3) (2005), p. 167180. Borun, M., Dritsas, J., Johnson, J. I., Peter, N. E., Wagner, K. F., Fadigan, K., Jangaard, A., Stroup, E., & Wenger, A. (1998). Family learning in museums: The PISEC perspective. Philadelphia, PA: The Franklin Institute. Chan, T. W., & Goldthorpe, J. H. „Social stratification and cultural consumption: Music in England.” European sociological review 23(1) (2007), p. 1-19.
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Grek, S. “In and against the museum: the contested spaces of museum education for adults”. Discourse: Studies in the Cultural Politics of Education 30 (2) (2009), p. 195-211. McKercher, B. & duCros, H. (2002). Cultural Tourism: The Partnership Between Tourism And Cultural Heritage Management: Routledge. Moss, A., Francis, D., & Esson, M. “The relationship between viewing area size and visitor behavior in an immersive Asian elephant exhibit”. Visitor Studies 11(1) (2008), p. 26-40. Sanford, C. W. “Evaluating family interactions to inform exhibit design: Comparing three different learning behaviors in a museum setting”. Visitor Studies 13 (1) (2010), p. 67-89. Serrell, B. & Adams, R. (1998). Paying attention: Visitors and museum exhibitions. American Association of Museums. Sheng, J., & Lo, A. “Evaluating the tourism potential of public museums in Hangzhou: A supply-side perspective”. Journal of Travel & Tourism Marketing 27 (3) (2010), p. 287-305. Turcotte, M., & Schellenberg, G. (2007). A portrait of seniors in Canada, 2006. Statistics Canada, Social and Aboriginal Statistics Division. USS Constitution Museum Team. Timing and Tracking: How Do Families Use Your Exhibitions? http://familylearningforum.org/evaluation/types-of-evaluation/ timing-tracking.htm (15 octombrie 2014) Waltl, C. (2006). Museums for visitors: audience development–a crucial role for successful museum management strategies. Intercom. http://www.intercom.museum/documents/1-4Waltl.pdf (15 octombrie 2014) Andrei Crăciun est chercheur au sein de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle? il a un Master en Anthropologie et développement communautaire et régional (2009-2011) et il est diplômé de la Faculté de Sociologie et assistance sociale de l’Université de Bucarest (2005-2008). Depuis 2008 il participe à la réalisation d’études sociologiques dans plusieurs domaines (culture, éducation, migration, santé, groupes défavorisés). [andrei.craciun@culturadata.ro] Bogdan Pălici a suivi des études universitaires (2004-2008) et le Master en Anthropologie et développement communautaire et régional (2008-2009) de la Faculté de Sociologie et assistance sociale de l’Université de Bucarest. A partir de 2008, il a été chercheur au Centre de Recherche et de Conseil dans le Domaine Culturel et depuis 2014 il travaille au sein de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle. [bogdan.palici@culturadata.ro] Andreea Racles, chercheur au sein du Centre de Recherche et de Conseil dans le domaine culturel entre 2009 et 2011, est actuellement inscrite au programme doctoral du Centre d’Etudes de la Culture (Graduate Centre for the Study of Culture) et membre du département de Sociologie et d’études culturels de l’Université Justus Liebig (Giessen, Allemagne). [andreea.rackes@gmail.com]
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Le Musée-Vivant Vatra cu Dor de Șivita (Galați), entre construction identitaire et fonctionnalité Dr. ANA PASCU (Musée national du paysan roumain)
Abstrait Beginning with 2008, the specialists from the Bucharest’s National Museum of the Romanian’s Peasant have been involved in helping, through different methods – research, counseling, promotion – a large number of collections and private museums of ethnography, which had either appeared or developed throughout the country after 1989. Each collection is strongly affected by its owner’s personality – not only regarding the exposition, but also in matters of functions and relationships with the related community – and this is why researching such a collection has to be individualized through a case study. An example is the research that has been made about the “Vatra cu dor” Living-Museum, the property of Paul Buţa, situated in the village of Şiviţa (in the Galaţi county). The research emphasizes the way in which the history of the owner’s lifetime - studies, specializations, functions, concerns has directly influenced the conception that stood as a basis for the development of the collection and for the progress of the related activities. Although influenced by the ethnographical concepts of the ‘60s that have been lately called into question by the last years’ ethnography, Paul Buţa is now going beyond the tight theoretical framework that he had first aimed and manages to create a modern “museum”, which has lively relationships with the local community and also represents a successful model and a source of inspiration for other private collections.
Keywords: private collection, ethnographic area, functionality, identity construction, community
Collections et musées dans les communautés rurales En 2008, une équipe de muséographes et de chercheurs du Musée national du paysan Roumain de Bucarest a lancé une étude sur un phénomène culturel très intéressant qui a débuté avant 1989 et qui s’est rapidement développé depuis. Il s’agit de l’apparition (dans l’environnement rural) de collections d’objets à caractère ethnographique, et dont les propriétaires ne sont pas des spécialistes du domaine muséographique, ethnographique ou artistique. Ces collections ont des traits communs: la plupart des objets reflètent la culture paysanne locale? les collections se situent dans les maisons personnelles ou dans des espaces à caractère traditionnel (vieilles maisons,
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appentis ou annexes agricoles) achetés pour être transformés en «musées»? ils sont ouverts au public local et aux touristes. Les propriétaires connaissent bien la culture traditionnelle locale qu’ils valorisent. Les motivations pour constituer des collections sont très variées et souvent liées à la dissolution rapide de la vie traditionnelle avec la modernisation du pays (débutée dans la période communiste par la destruction de la classe paysanne, la collectivisation et l’urbanisation), un processus qui s’est accéléré après la révolution de 1989. La Loi sur les musées et les collections publiques no 311/2003, définit le musée comme «une institution culturelle publique au service de la société, qui recueille, conserve, recherche, reconditionne, communique et expose, en vue de l’éducation, de la connaissance, et du loisir, les témoignages matériels et spirituels des communautés humaines et de leur environnement». La collection est définie comme «l’ensemble cohérent des biens culturels et naturels systématiquement collectés par les personnes physiques ou juridiques de droit public ou privé». La plupart des collections privées analysées à partir de 2008 par le Musée national du paysan roumain à travers son programme culturel Collections paysannes de Roumanie, ne répondent pas parfaitement à ces caractéristiques. Elles sont souvent des collections ethnographiques appelées «musées» par leurs propriétaires et par la communauté locale qui les reconnait généralement comme tels. Un trait commun est que la plupart de ces musées et collections privés ont été encouragés et soutenus par les institutions publiques locales. Il leur manque le soutien des institutions culturelles reconnues (les musées régionaux) et du Conseil spécialisé dans l’enregistrement, la conservation et l’exploitation du patrimoine1). Ces collections devraient être valorisées car la plupart réunissent un mélange d’objets communs et de biens culturels rares (à haute valeur patrimoniale) et leurs propriétaires sont bien ancrés dans la vie des communautés locales. Leur mise en valeur est aussi très intéressante car les propriétaires y mettent leur empreinte personnelle dans la conception, l’organisation et le fonctionnement. 1. C’etait le projet du Musée national du paysan Roumain initié en 2008. En 2012 a été créé le Réseau des Collections et des Musées Ethnographiques privés de Roumaine (RECOMESPAR). Le MNPR a organisé à cette occasion des programmes de formation pour collectionneurs, des expositions. Il a produit la documentation nécessaire à la promotion, des études scientifiques, des conférences financées par l’AFCN. La tradition des projets du MNPR a été reprise par le RECOMESPAR, qui a réussi à restaurer des objets, a organisé des expositions et a collaboré avec des institutions culturelles et universitaires prestigieuses comme le Complexe national muséal Astra, l’Université nationale d’art de Bucarest, l’Université Lucian Blaga de Sibiu, CIMEC, le réseau de musées rurales d’Hongrie. Le RECOMESPAR n’as pas bien sûr réuni l’ensemble des collections ethnographiques privées roumaines. Il est seulement resté un repère et un exemple de bonnes pratiques. Parmi les collectionneurs bénéficiaires de son soutien, on retrouve Paul Buță, le propriétaire du Musée-vivant Vatra cu Dor de Șivita (le département Galați), qui est le sujet de la présente étude.
Ana Pascu, Le Musée-Vivant Vatra cu Dor de Șivita (Galați) | 33
Les 25 collections étudiées par l’équipe du MNPR ont prouvé leur originalité et leur non-conventionnalisme. L’aspect général final est donné par plusieurs éléments: les objets eux-mêmes, les maisons qui abritent les collections et le paysage de la région. Ce sont des moyens d’expressions incomplets, qui réussissent à captiver l’intérêt par leur positionnement hors du standard imposé par les expositions «classiques» des grands musées. Ce type de musées et de collections privés peut constituer un partenaire de dialogue pour les musées nationaux et régionaux ainsi que pour les petits musées gérés par les mairies et les écoles rurales. Une petite partie des propriétaires de ces collections concentre ses efforts pour la récupération, la protection et la promotion des objets ethnographiques représentatifs de la culture et de la mémoire locale. La plupart souhaitent la conservation et la revigoration des traditions anciennes qu’ils tentent de transmettre aux jeunes générations. La collection ethnographique est ainsi l’instrument de travail pour atteindre ce but. Les collectionneurs jouent un rôle très important dans la vie culturelle locale, ils sont une sorte de «porte-parole du patrimoine», selon la formulation du D. Poulot2). L’analyse effectuée par l’équipe du MNPR (20082014) relève un ralentissement important de la déperdition des traditions (parfois une revitalisation) dans les zones où l’intérêt des collectionneurs est vivant. La complexité des éléments caractéristiques des collections et de leurs relations avec les communautés qu’elles représentent nécessite une méthode d’analyse basée sur des études de cas. Dans la présente étude, nous avons concentré notre attention sur le Musée-vivant Vatra cu Dor, propriété de Paul Buță, acteur de comédie au Théâtre musical Nicolae Leonard de Galați. Observations préliminaires et hypothèses de travail L’objet de la présente étude n’est pas de statuer sur la catégorie institutionnelle (collection ou musée) de la réalisation de Paul Buță. Pour faciliter notre discussion, nous allons utiliser la dénomination «Musée» et «Musée-vivant» conférée par le propriétaire. Le musée est situé dans le village de Șivița, à environ 18 km de la ville de Galați, près du lac Brateș et de la rivière Prut. Ouvert en 2006, le Musée repose sur une conception que Paul Buță soutient constamment dans son discours et qu’il applique dans ses actions. D’abord, le propriétaire souhaite offrir aux élèves (par son exposition et ses activités) une alternative au virtuel, au numérique, à Internet et à la télévision. Ensuite, le collectionneur souhaite conserver et présenter l’identité de la zone ethnographique de Covurului. Le propriétaire a amassé une collection diversifiée d’objets ethnographiques très anciens ou datant du début de la période communiste (les années 1950), qui 2. Poulot (2006), p.7
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reflètent la vie quotidienne des paysans. Il n’a pas voulu suivre le modèle des collections d’art (qui exposent des artefacts ethnographiques de grande valeur), ni intégrer son musée dans un réseau de tourisme culturel en vue de tirer des bénéfices financiers. Son concept muséologique né à Șivița vise à reconstituer la vie quotidienne du village avant la période communiste et à construire l’identité locale de la zone ethnographique de Covurului, qui réunit les villages du sud du Plateau de Moldavie et qui est située entre les rivières Siret, Prut, Danube et la plaine inferieure de Siret. Au centre de la zone de Covurului se trouve la ville de Galați3) et l’activité du Musée de Paul Buță. Paul Buță a construit l’identité d’une zone qui n’est pas son berceau natal, mais où il s’est installé. La construction s’est faite par une stratégie complexe de revalorisation identitaire. La théorie est bien connue: «quand la comparaison est favorable, l’identité sociale de l’individu est positive? sinon, elle est perçue de manière négative et cela peut créer des stratégies de (re)valorisation identitaire»4). Avec la perception négative de l’actuelle identité de la zone de Galați (et implicitement du village de Șivița) Paul Buță décide de l’améliorer selon ses propres critères, sa personnalité et ses valeurs. C’est l’avantage d’une personne physique qui décide une action de construction identitaire: il peut exprimer librement sa «subjectivité» (conceptions musicologiques, connaissances spécialisées, expression du gout, etc.) et entraîner une démarche originale. Paul Buță compare le statut de la communauté de Șivița à deux moments historiques différents: les 10-15 dernières années et la période antérieure à l’époque communiste (caractérisée par la présence d’une vie traditionnelle). Selon Amelian Chirilă (70 ans - contemporain de trois périodes distinctes de l’histoire du village roumain), ami de Paul Buță, instituteur à Tulucești (qui exerce une tutelle sur le village de Șivița) et initiateur d’un autre musée local, l’année 1950 «a représenté une période de rupture dans l’évolution du village». L’installation du communisme a détruit brutalement l’ancien mode de vie paysan et a provoqué des changements importants: l’urbanisation, l’industrialisation, la collectivisation. Cette dernière a détruit les structures archaïques des foyers. La systématisation du village s’est traduite en une reconstruction selon le modèle urbain. La culture paysanne a ainsi subi des changements importants. Afin de se légitimer, le pouvoir communiste a instauré l’image du paysan en tant que symbole du peuple roumain5). Les conséquences immédiates étaient l’invention et la réinvention des traditions basées sur la culture populaire. 3. Située au bord du Danube, à l’est du pays, Galati réunit 250.000 habitants, un combinat sidérurgique et un chantier naval. C’est une des plus importantes villes de Roumanie, qui a profondément influencé la vie et la culture des communautés rurales de la région. 4. Blanchet, Francard (2005), p. 330. 5. Hedesan, Mihailescu (2008) 187-200
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Pour Paul Buță, le choix de la période antérieure à l’installation du communisme comme élément de repère est issu d’une passion pour la culture du village. Sa biographie nous montre qu’il a toujours aimé la vie des gens de sa communauté natale. Cette passion l’a déterminé à faire ensuite des recherches sur la culture des villages, à devenir collectionneur de folklore et enfin, beaucoup plus tard, à suivre des programmes de formation. Ses débuts sont influencés plutôt par la valorisation de la culture populaire de l’époque communiste. Il a participé plusieurs fois au célèbre festival Le chant de la Roumanie, avec des danses populaires et des coutumes utilisant des masques sur scène, et il a gagné de nombreux prix. Les notions d’ethnographie acquises lors de ses études lui ont rendu facile la compréhension moderne de la notion de «musée» et ont constitué un avantage, un passeport de vie. Paul Buță se lance d’une part dans une recherche solide sur la région, qu’il analyse afin de reconstruire son identité, et d’autre part, il conçoit un musée qui n’est pas une simple exposition d’objets ethnographiques, mais un essai de reconstitution de la vie rurale avant 1950, avec la sélection de certaines occupations, pratiques, traditions et de certains moments de la vie communautaire. Il essaie de couvrir le hiatus entre l’objet usuel et l’objet de patrimoine en accentuant la fonction éducative de l’objet. Il invite et reçoit des jeunes qui viennent vivre au moins pendant une journée sans électricité et utiliser les objets anciens. Paul Buță utilise sa passion de collectionneur pour promouvoir la région de Covurului (et surtout le village de Șivița), en se concentrant sur certaines groupescibles comme les enfants et les adolescents, mais aussi les seniors du village. «Car l’imaginaire du patrimoine peut, selon le cas, faire apparaître des identifications personnelles, provoquer des débats au sein des collectivités spécialisées ou même accompagner des pratiques collectives – les modalités de vivre l’héritage «inventé» ou «construit». En tant que propriétaire d’un musée-atelier ethnographique, Paul Buță représente un nouveau modèle de porte-parole du patrimoine du village, l’héritage d’un modèle de vie paysanne qu’il reconstitue, car il le considère essentiel pour l’identité, la mémoire et les pratiques. Dominique Poulot constate «qu’en effet, les morales individuelles et les éthiques collectives s’articulent et se reconfigurent autour des héritages plus ou moins revendiqués, des découvertes plus ou moins utiles pour l’identité d’une population, pour sa mémoire et ses pratiques. Les porte-paroles ou les avocats de ces adaptations – l’antiquaire et son objet ancien, le curateur et son musée, le folkloriste et sa terre – ont adopté peu à peu le stéréotype. Il y en a d’autres à réinventer aujourd’hui, comme le paysan et son chaume dans la nouvelle ruralité, décrite par Monique Poulot. Leur analyse permet de s’interroger sur des identités que le recyclage des images construit, sur des objets et des pratiques qui n’ont pas d’héritiers et qui
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ont été transmis simultanément à ceux qui savent en profiter [...]. L’homme du patrimoine sait doter l’objet des coordonnées – spatiales et temporelles – afin de le situer, les expliquer et les interpréter. Les principes de construction des corpus, les réponses aux problèmes de définition, les modalités d’enregistrement – nécessitent l’existence de catégories à remplir, d’endroits à vérifier, et plus précisément d’un territoire à mesurer, d’une chronologie, d’un parcours6)». Nous avons d’abord concentré notre attention sur l’identification du rapport entre Paul Buță et son musée versus l’identité locale. Ensuite il nous reste à analyser la signification qu’il attribue à la notion d’«identité locale», les concepts qui ont servi de base pour cette construction identitaire, la reconnaissance par la communauté de son rôle de représentant de cette identité, l’utilisation de l’identité locale pour rendre le passé attractif aux jeunes. Paul Buță (re)construit l’identité de la zone de Covurului par la redécouverte et la reconstitution. Il utilise cette construction identitaire dans une fonction mémorielle, orientée vers les habitants (il les incite à redécouvrir leur propre culture) et vers les jeunes de la région, de Galați et des villages voisins (il les incite à assumer les valeurs du passé). Le Musée-vivant Vatra cu Dor de Șivița est un musée dynamique, conçu et réalisé comme un outil de cette construction et de sa promotion. Conçu pour refléter une identité «objective», le musée est une réalité «subjective», la conception personnelle de son propriétaire. Son éducation et ses passions, ses aptitudes natives, sa biographie (avec les points forts et les points faibles, les succès et les échecs) sont autant d’éléments qui ont déterminé le choix d’une conception muséale et sa matérialisation. Des méthodes spécifiques à l’ethnologie ont été utilisées pour collecter la documentation nécessaire à la présente étude. En 2009 nous avons visité le musée et nous avons réalisé des enquêtes non-structurées et ciblées, effectué des observations directes des cours (danses locales et réalisation des masques) que Paul Buță enseigne aux enfants du village dans son musée. Une visite informelle du propriétaire au MNPR en 2009 a livré des détails sur sa conception muséale. En 2010 nous avons collaboré avec Paul Buță à l’élaboration d’une exposition itinérante du MNPR, dédiée aux collectionneurs du Centre culturel Dunărea de Jos de Galați et en 2011 nous sommes revenus au Musée-vivant Vatra cu Dor, accompagnés par de jeunes collectionneurs, des stagiaires d’une école d’été réalisée au sein du projet du MNPR intitulé «Un futur pour le patrimoine, un patrimoine pour le futur», financé par l’AFCN. C’était une occasion favorable pour avoir de longues discussions sur les concepts muséologiques, qui a réuni les participants et Paul Buță. 6. Poulot (2006). p. 7
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La théorie des zones ethnographiques et la construction identitaire de Paul Buță Le hasard a déterminé la réalisation du musée de Paul Buță à Șivița? il aurait pu être aménagé dans n’importe quelle autre construction ancienne en adobe, à couverture en roseaux, aux alentours de Galați. Paul Buță a essayé de mettre en place un musée représentatif pour l’ethnographie de la région de Covurului, ignorée par les ethnologues pendant plus de 100 ans. Afin d’atteindre son objectif, il a cherché une ancienne maison avec une architecture traditionnelle dans un village situé autour de Galați. L’architecture, le prix accessible et la proximité de la ville ont été les critères de recherche. Il a visité plusieurs maisons pour trouver finalement dans le village de Șivița trois foyers à vendre. Le choix de la maison actuelle repose sur le fait qu’elle permet un espace d’habitation, une ancienne construction en adobe pour l’aménagement du musée, avec d’autres annexes qui peuvent être adaptées et transformées en ateliers et une grande cour, parfaite pour exercer les danses traditionnels et la ronde paysanne, ou d’autres activités organisées pour les visiteurs. Ces avantages ont fait que le prix n’était plus le critère essentiel. Et le propriétaire a emprunté de l’argent pour réaliser l’achat.
Fig. no 1 Musée-vivant «Vatra cu Dor» - vue extérieure
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De point de vue ethnographique, Șivița fait partie de la région de Covurului, qui ne correspond pas entièrement (de point de vue géographique) au département de Galați. Le concept de culture paysanne segmentée en zones ethnographiques est spécifique à l’ancienne anthropologie culturelle et permettait aux anthropologues de la deuxième moitié du XIXe siècle d’expliquer l’uniformité relative des traits culturels et civilisateurs de certaines régions. Longuement discutée et contestée, la théorie des aires culturelles est toujours utilisée pour faciliter les études comparatives. Aisément applicable, surtout dans les zones où les conditions géographiques ont permis l’apparition de traits relativement uniformes, répandus sur des aires bien délimitées, la théorie est largement appliquée en Roumanie. Dans les dépressions situées entre les montagnes sont apparus des groupes humains qui ont partagé plusieurs traits culturels et se sont organisés en formations étatiques appelées «pays» à un certain moment de leur développement historique (l’époque médiévale). Ce contexte a permis le développement de la théorie des zones ethnographiques, qui a atteint son apogée dans les années ´60, et qui a été perpétuée jusqu’à nos jours car, malgré les critiques, elle repose sur la réalité historique et géographique roumaine. Pour Paul Buță, qui est entré en contact avec la réalité ethnographique dans les années 1980, c’était l’instrument théorique le plus accessible7). Il l’a repris tell quelle, l’a utilisé comme base pour sa construction identitaire, mais c’est l’étude approfondie de la réalité régionale qui lui a permis dépasser le périmètre théorique trop limité. La zone de Covurului est un plateau en lœss divisé en plaines propices aux cultures de la vigne, du blé et du maïs. Le climat est aride et les quantités d’eau sont pauvres. A coté de la ville de Galați, il y a le lac Brateș, un des plus grands lacs du pays, utilisé dans les années communistes pour l’irrigation en agriculture. L’assèchement du lac a affecté Șivița qui était autrefois situé sur ses berges et pratiquait la pêche. Les habitants étaient porteurs d’une culture du roseau, 7. La zone ethnographique serait la partie composante d’un territoire propice aux phénomènes et aux épisodes civilisateurs, qui accomplit une fonction spécifique; C’est une unité de comportement ethnique qui repose sur des formes particulières de civilisation traditionnelle, projetée dans un espace géographique déterminant. Une zone ethnographique (z.e.) réunit un groupe limité d’activités et de capacités techniques de travail, adaptées à l’environnement, un ensemble unitaire d’éléments et d’aspects civilisateurs créés dans cet environnement, un centre de polarisation et de diffusion de la civilisation locale sans trop d’impacts, d’échos, de contaminations et d’influences périphériques. En tant qu’unité de comportement ethnique, la zone ethnographique est dynamique et mobile. Elle se développe dans le temps et dans l’espace, en fonction du centre gravitationnel de ses activités matérielles. Deux zones ethnographiques ont été identifiées: une qui inclut et couvre plus ou moins l’ensemble du système de comportement ethnique avec comme base la civilisation traditionnelle locale (ex.: une zone agricole, pastorale, viticole, etc.)? et une autre forme qui inclut et couvre uniquement un aspect particulier ou la configuration d’un problème de civilisation (ex.: la zone des maisons en bois, les cloches en terre cuite pour la cuisson, le voile en soie grège, etc.). La zone ethnographique doit être considérée comme partie intégrante d’une unité ethnique comportementale plus large, qui s’appelle région ethnographique. Plusieurs zones ethnographiques à contenu similaire forment une région ethnographique (ex.: la région ethnographique de Transylvanie réunit plusieurs zones ethnographiques dénommées en langage populaire «pays», comme: le Pays de Bârsa, le Pays de l’Olt, la Pays de Hațeg, le Pays d’Oaș, etc.). Le concept de zone ethnographique est lié aux concepts de «zone folklorique» et de «zone d’art populaire», équivalentes dans le contexte d’une zone ethnique]. Vulcanescu (1979), p. 291-292.
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aujourd’hui disparue. Le roseau était utilisé pour la construction des toits, pour natter des tapis à l’aide d’outils spécifiques. La proximité de la ville a affecté également la culture locale et a déterminé la migration journalière de la force du travail vers le combinat sidérurgique et le chantier naval de Galați. Comme dans la plupart des cas, les gens ont renoncé à leur culture locale pour la culture de la ville.
Fig. no 2 Musée-vivant «Vatra cu Dor» - vue intérieure. Le motif décoratif du poisson que l’on retrouve sur la taille d’oreiller nous rappelle la proximité d’autrefois entre le village de Șivița et le lac Brateș, partiellement asséché pendant la période communiste
Paul Buță était passionné par les anciennes traditions du département de Galați bien avant qu’il s’installe dans le village. Il a étudié les villages autour de la ville de Tecuci (ancien département de Tecuci), les villages de son département natal de Vaslui (l’ancien département de Tutova) et les villages du département de Vrancea. Il n’a pas limité ses recherches à l’ancien département de Covurului. Son aire de recherche s’est élargie dans les départements (et zones ethnographiques) voisins. Une fois installé à Șivița, Paul Buță a adapté son discours identitaire à la communauté existante: il a démarré un processus de (re)construction de l’identité locale, en tant que partie composante d’une identité plus large que la zone ethnographique de Covurului. Son acceptation par la communauté et l’appréciation des services qu’il rend à l’identité locale sont des éléments évidents du succès de sa démarche.
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On se demande pourquoi il a choisi de reconstruire l’identité de la zone de Covurului, qui n’est pas sa zone ethnographique natale. La réponse qu’il nous donne repose sur le fait que les ethnographes des années 1980 (et leurs recherches insuffisantes et inachevées) ont considéré les anciennes traditions de cette partie de la Moldavie comme perdues en grande majorité et depuis longtemps, et que la zone a été ignorée par les spécialistes jusqu’à nos jours. Paul Buță entre le rôle de l’acteur et la pratique de l’ethnographie Peu de gens sont capables de démarrer un processus de reconstruction identitaire? et moins encore seront capables de finaliser une telle démarche. Pour comprendre les raisons du succès de Paul Buță, il est nécessaire de parcourir sa biographie. Paul Buță est né en 1961 dans le village de Raiu, commune de Murgeni, le département de Vaslui, situé à la frontière du nord de l’actuel département de Galați, dans la zone ethnographique du Plateau de Moldavie, l’ancien département de Tutova. Selon Paul Buță Raiu a gardé une grande partie des traditions antérieures à l’époque communiste, mais elles sont différentes de celles de Șivița. On observe clairement que le processus identitaire ne vise pas une récupération «subjective» des éléments culturels de son enfance et oubliées après sa migration vers la ville (caractéristique du début de l’ethnologie roumaine), mais un processus de récupération «objective» de certaines pratiques culturelles8), appartenant à la zone où Paul Buță habite par les circonstances du destin. A l’âge de 14 ans il quitte son village natal pour habiter pendant deux ans dans une petite ville (Bârlad, département de Vaslui), dans le foyer du Lycée Pédagogique. Il est transféré ensuite dans un autre lycée de Tecuci (département de Galați), pour suivre sa famille. Après le lycée, il travaille pendant une courte période de temps dans une usine d’emballages métalliques à Tecuci. Doué pour le métier d’acteur, passionné par le théâtre et la comédie, Paul Buță intègre assez vite l’équipe d’artistes amateurs de son usine. C’est la période des années 1980, en plein d’essor du festival Le Chant de Roumanie. Chaque usine soutient une équipe d’artistes pour participer à des festivals et à des concours afin d’obtenir des prix, de retrouver du prestige, de la reconnaissance et de justifier son activité. Au début, le groupe artistique de Paul Buță utilise un scénario chorégraphique qui ne ramène aucun prix. Un membre du jury leur explique que le mélange d’éléments ethnographiques des différentes zones (ex. un danse spécifique à une zone ethnographique utilisant une chanson appartenant à une 8. Les zones ethnographiques du sud de Moldavie ont pourtant une base culturelle commune et plusieurs éléments communs avec le reste du pays
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zone différente) n’a rien d’original et n’obtiendra jamais un prix. Paul Buță reconnait la justesse d’une telle critique et se met (avec son équipe) à rechercher des danses locales dans les villages situés à proximité (l’ancienne zone de Covurului). Ils les apprennent scrupuleusement et les présentent sur scène. Ils reçoivent un premier prix et ils provoquent une rumeur parmi les chorégraphes qui n’étaient pas au courant de l’existence de danses spécifiques régionales. Les critiques ont bien appris à Paul Buță que le folklore signifie: des typologies, des spécificités, des zones ethnographiques, soit les éléments de la méthode scientifique de l’ethnologie roumaine des années 1980. Sans doute cette méthodologie a-t-elle influencé sa pensée. On l’observe dans son discours de présentation de l’identité de la zone de Covurului aux enfants qui viennent visiter son musée. Les premiers succès enregistrés avec son équipe déterminent Paul Buță à continuer la visite des villages pour rechercher des coutumes et des traditions locales. Il devient méthodiste et référent chargé des questions culturelles à la Maison de la Culture de Tecuci et leader de la troupe de comédiens qui continue a participer aux festivals. Sa collègue Maria Chiriță, professeur de langue roumaine, ancienne étudiante de la Faculté de Philologie de Iași, devient sa partenaire de discussion et un soutien important dans ses recherches. Maria Chiriță réussit elle aussi à concrétiser son rêve, une maison-musée ethnographique à Soveja (département de Vrancea). Les discussions avec Maria Chiriță aident Paul Buță à consolider ses connaissances théoriques et à concentrer son énergie pour des recherches dans un domaine souvent difficile à parcourir. Il continue à écrire des textes de comédie, à faire son travail de chorégraphe amateur pour l’équipe de danseurs Doina Siretului, à faire des recherches dans les villages pour combler les vides dans la littérature spécialisée et à trouver des coutumes locales à mettre en scène dans les festivals. Une directive du festival Le Chant de Roumanie, à l’époque communiste, était de découvrir les créations populaires typiquement locales. C’était une modalité du contrôle de la culture roumaine pour découvrir de jeunes talents et les imprégner de la théorie soutenue et imposée par le système de l’ethnographie officielle. C’était le cas des jeunes talents mais aussi des artisans et des artistes populaires9). Les recherches effectuées par Paul Buță révèlent l’existence de nombreuses coutumes, dont l’élément essentiel est le masque rituel. Il anticipe d’un côté le potentiel artistique d’une représentation artistique avec des masques et d’un autre côté, la beauté de l’objet en tant que valeur de patrimoine à conserver. Paul Buță se lance dans une étude approfondie sur le sujet: «j’ai eu l’ambition, peut-être un peu de folie, de mettre en scène un rituel de mariage utilisant des masques. Pour les fêtes de Noël j’ai aussi utilisé des masques. Il y avait aussi un rituel 9. Mateoniu (2008), p. 101-108
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d’enterrement dans un petit village à coté, Umbrărești, où les gens portaient des masques. Nous avons approfondi le sujet des masques». (Paul Buță) Il commence à chercher des informations sur le rituel des masques des précédentes générations. Il commence aussi un processus délicat pour reconstituer des masques selon une méthode scientifique. Les masques sont travaillés selon la description des seniors du village. Il découvre ainsi la différence entre la perception traditionnelle et le contexte: «Mère Safta, voila ce que j’ai fait, est-ce que c’est bon?». «C’est bon mais à notre époque on ne s’embêtait pas à réaliser le nez, comme tu as fait c’est très beau? A notre époque il n’y avait pas de matériel aussi beau, et pour ne pas détruire nos habits on improvisait, car le masque était utilisé une soirée, les jours d’après il était détruit». (Paul Buță) Il ne s’arrête pas et continue à faire des recherches sur le rituel de jeu et la reconstitution des textes. Il fait des recherches dans les zones voisines, jusqu’à Bacău, où les traditions des masques sont encore vivantes. Il découvre aussi des masques vivants dans son village natal, à Vaslui, lit toute une documentation disponible, enrichit ses connaissances sur leur signification et arrive à bien maitriser ce sujet qui l’intéresse. Paul Buță franchit peu à peu la frontière entre la reconstitution et la création des masques traditionnels: un jour il voit une vieille dame «grippe-sou» dans le bus et crée un masque qui caractérise son avarice, réalisé soigneusement en plumes de pintade (tachetées de noir sur fond blanc) un masque qu’il met en scène lors d’un spectacle. Il utilise la même technique pour toutes les coutumes qu’il met en scène. Il reconstitue en détail les des parties de cérémonies, suite aux discussions avec les seniors du village et réalise toute une documentation pour être sûr qu’il ne commet pas d’erreurs. Il réalise aussi une critique du texte (car utilise les informations du texte pour reconstituer le rituel entier) et réalise de brèves reconstitutions des cérémonies initiales. On y retrouve une autre ligne directrice de l’ethnologie des années 1980, celle de la recherche de l’archétype (Urtexte)10). La reconstitution des masques et des coutumes existant avant la période communiste n’est pas gratuite? au besoin de connaître la vérité et de trouver des arguments capables d’infirmer l’avis des ethnologues sur la précarité ethnographique de la région, il ajoute l’utilisation des masques dans ses spectacles, en mettant en scène des coutumes disparues. Ce n’est pas une «invention des traditions» au sens de E. Hobsbawn11), mais de leur «réinvention»: sortir les objets du contexte et les reconstruire dans le présent sous une forme et/ 10. Hedesan, Mihailescu (2008), p. 194 11. Hobsbawn (2005) p. 1-14
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ou une signification différente: «on doit immédiatement faire la différence entre la tradition inventée et celle qui est réinventée: la première est plutôt fictive et réalisée pour différents raisons idéologiques, comme c’est le cas du tourisme, pour des raisons lucratives. La deuxième se réfère plutôt à une reconstruction dans le présent d’une tradition existante, en lui attribuant une nouvelle forme ou symbolique (c’est le cas d’une chanson ou d’une danse ignorée et ensuite reprise pour des raisons d’attraction touristique). Une méthode usuelle de présentation et de réinvention de la tradition est la démonstration folklorique: les festivals, les foires, les brocantes et les musées, les danses folkloriques ou les objets exposés12). Paul Buță est capable de réinventer les traditions afin de construire une identité de la zone Covurului. Paul Buță essaie de s’assurer qu’il réalise une reconstitution correcte des coutumes des masques, que ces masques ont bien existé dans la zone de Covurului et que, visitant les villages, il obtient la confirmation des seniors et collecte des informations sur les nouvelles formes de manifestation du rituel. Il organise une exposition de masques à la Maison Culturelle de Tecuci et lance une invitation au célèbre académicien Romulus Vulcănescu, dont lui avait étudié l’œuvre. Il essaie ainsi d’obtenir la confirmation de la justesse de son travail en faisant appel à une autorité reconnue. Romulus Vulcănescu valorise son travail et l’appelle «mascologue»: «L’artisan des masques est celui qui, suite aux connaissances transmises par la famille, crée des masques, mais toi, tu étudies le processus de réalisation d’un masque, ce qui est autre chose? c’est de la science mise en pratique» – s’efforce Paul Buță de reproduire les mots du réputé académicien. Paul Buță est actuellement un des plus réputés artisans populaires capables de créer des masques, avec lesquels il a participé à de nombreuses expositions en Roumanie et à l’étranger: France, Autriche, Italie, Angleterre, Belgique et République de Moldavie. Il donne des cours de chorégraphie, apprend aux gens les danses spécifiques des différentes zones du pays qu’il visite et les met en scène. Convaincu de la justesse et de la nécessité de sa démarche de reconstituer la vie paysanne avant l’époque communiste, il ne renonce pas à son intention de susciter l’intérêt des gens pour les anciennes traditions locales (malgré le fait qu’il quitte Tecuci en 1992 pour partir à Galați en tant qu’acteur du Théâtre Nicolae Leonard). Il essaie de collaborer avec des spécialistes qui partagent avec lui la nécessité de récupérer en urgence les traditions locales de la période antérieure à l’installation du communisme. Il ne trouve pas de spécialistes mais ne se décourage pas. Lors des recherches qu’il mène pour le Centre Culturel du 12. Nagy (2009), p. 87
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Danube Inferieur, il découvre une église très ancienne, de l’époque d’Etienne le Grand, abandonnée dans un cimetière. Il découvre aussi les traces du dernier artisan potier de la région, le dernier moulin du sud de la Moldavie, etc. Il éprouve ainsi un sentiment de fierté patriotique: il s’identifie avec la région dont il s’efforce de garder le patrimoine, conscient du fait que ces valeurs peuvent disparaitre d’un jour à l’autre. Paul Buță éprouve également un fort besoin d’agir, d’autant plus que la ville de Galați n’a pas de spécialistes en ethnologie (pendant longtemps, la ville n’a pas eu de section ethnographique dans ses musées d’histoire ou d’art). En plus, dans les musées qu’il a visités, il n’a pas trouvé d’objets ethnographiques appartenant à la région de Galați. La ville de Galați n’a pas d’artisans populaires: «je vous le dis… j’ai une expérience personnelle triste. A Galați il n’y avait pas d’artisanat populaire avant mon apparition et les masques il y a dix ans. Il y avait uniquement un peintre qui réalisait des icones vitrées, qui participait aux expositions et qui peut être inclus dans la catégorie d’artisans populaires». Ce contexte défavorable à la culture paysanne locale a inoculé à Paul Buță l’idée que les enfants n’auront plus de sources d’informations. Il essaye par la suite de convaincre les autorités locales d’entamer des actions pour préserver le patrimoine appartenant à la culture populaire de la période antérieure à l’installation des communistes. Il propose d’abord de construire, sur un terrain vide situé à cote du nouveau Musée de Sciences naturelles, une annexe fonctionnelle où les enfants pourront pratiquer les différents métiers populaires actuellement ignorés. Ensuite, soutenu par le président du Conseil Régional, il écrit un projet destiné au Musée du village de Galați, placé dans la réservation naturelle Gârboavele, à coté de Galați, pour reproduire sept maisons anciennes de la région (pas nécessairement de la zone ethnographique de Covurului): la maison d’une sorcière, une maison avec une pièce secrète qui abritait les jeunes filles pendant l’invasion des Tatars, la maison d’un forgeron, etc., les maisons découvertes et inventoriées par Paul Buță lors de ses recherches. Le Conseil Régional n’a pas finalisé le musée mais a gardé le projet de Paul Buță et l’a mis en place en 2007, dans une conception différente, avec un financement européen. Paul Buță s’est occupé de collecter les objets pour le nouveau musée malgré le fait que sa conception muséologique n’a pas été prise en considération. Le scenario s’est répété lors de l’organisation d’une foire d’artisans populaires à Galați et dans beaucoup d’autres occasions. Il se décide ainsi en 2003 à acheter sa propre maison à Șivița pour mettre en place son propre musée et illustrer sa conception muséologique, la reconstitution de l’ancienne culture locale et l’éveil de l’intérêt des jeunes pour leur passé.
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Fig. no 3 Musée-vivant «Vatra cu Dor» - vue intérieure. Paul Buță a découvert dans la zone de Covurului l’existence de tissus beaux et originaux
Nouveau et ancien dans la conception muséale de Paul Buță Conformément à l’ethnologie et à la muséographie des années 1980, Paul Buță a voulu d’abord présenter un Musée spécifique à la zone ethnographique de Covurului. C’est la raison pour laquelle il a reconditionné une vieille maison dans le style architectural de la région, réalisée en adobe, à toiture en roseau. Il a reconstitué l’atelier de poterie (encourageant le petit-fils du dernier artisan potier qu’il avait découvert dans la région à reprendre ce métier) et l’atelier de menuiserie. Il a installé également un métier à tisser, a construit un four dans une annexe où il prépare souvent à manger pour les visiteurs. Il a sculpté en acacia un crucifix, selon la coutume du village de son enfance. Tous ces éléments sont fonctionnels. Les enfants qui lui rendent visite peuvent faire de la poterie, tisser, fabriquer des masques, natter le roseau, toucher les objets, se déguiser avec des costumes populaires ou dérouler des activités plus modernes comme la peinture. L’aménagement du musée a pour objectif principal de présenter l’identité locale. Pour le rangement des pièces, Paul Buță s’est inspiré des anciennes maisons du village: les tissus bien pliés sur le coffre d’espérance, les tapis sur
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les murs et les icones orientées vers l’Orient. Il est ouvert à chaque instant pour améliorer son exposition, en présentant d’autres éléments de la vie paysanne de la période antérieure à l’époque communiste. Comme il a récemment détecté l’existence d’un ancien type de poêle en terre cuite, dont le coin du feu se trouve à l’extérieur de la pièce qu’elle réchauffe, il n’exclut pas la possibilité de reconstruire dans le futur un tel objet. Le critère de l’exposition des objets est assez simple: «je vais rajouter des objets qui parlent de l’ancienneté et de la vérité de la zone» (Paul Buță). La fonction éducative de la collection d’objets et la présentation de l’identité locale (la fonction mémorielle) sont prioritaires. La conservation du patrimoine matériel occupe un rôle secondaire. Cette réalité est illustrée par le mélange d’objets provenant d’autres zones ethnographiques (les costumes populaires de la région d’Argeș ou la poterie de Horezu) et d’objets récents. Ils sont tous exposés comme objets de patrimoine et leur conservation vise l’éducation pratique des enfants. L’apprentissage est facilité par la remarque des différences entre les diverses zones ethnographiques, les périodes historiques et la qualité esthétique.
Fig. no 4 Musée-vivant «Vatra cu Dor» - vue intérieure
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Les principes de base de sa collection d’objets sont aussi simples. Il préfère les objets anciens réalisés manuellement. Il n’est pas intéressé par les objets à haut statut dans un foyer. Il ne détient que deux icones. Si on prend l’exemple de l’objet le plus banal comme le mortier en bois, il est important d’observer l’empreinte de son artisan: «je ne collectionne pas d’objets réalisés avec des processus industriels. Je prends l’exemple d’un mortier pour le blé, nécessaire à faire une colivă (le gâteau préparé pour les cérémonie des morts), même s’il est fait en utilisant la douille d’une roue, ce qui est important c’est le fait qu’il a coupé la douille pour réaliser le mortier, car il ne disposait pas de bois». (Paul Buță) Il se méfie des objets métalliques car la plupart sont réalisés dans les usines. Il préfère la céramique, les tissus et les objets en bois. Les critères de sa collection reflètent partiellement l’ethnologie des années du communisme. Un tapis des années 1965, assidument tissu n’est pas considéré comme «une valeur» car il est un «tissu selon des modèles qu’on retrouve dans les livres» et les motifs floraux ne portent pas l’empreinte de l’ancien, comme la queue d’hirondelle par exemple. Les critères de l’authenticité et de l’ancienneté pèsent quand il estime la valeur d’un objet (selon le modèle des musées qu’il a visités pendant les années de sa formation professionnelle). La culture de n’importe quelle zone, même de la plus isolée, ne contient pas uniquement des critères spécifiques, mais des éléments communs à des zones plus ou moins répandues. Paul Buță a dû concilier la théorie des zones ethnographiques qui, pendant l’époque communiste était concentrée sur les éléments spécifiques (relativement rigide, avec la réalité vivante des faits). Paul Buță ne s’est pas limité à identifier et à présenter les éléments strictement locaux. C’était un avantage car, pour représenter la spécificité de la zone il a dû souvent faire appel aux éléments provenant d’autres zones, sans empiéter sur les principes, car les éléments respectifs sont communs aux deux zones. Il a amené du roseau de Tulcea, car il n’a pas trouvé de la force de travail pour amener celui du lac Brateș ou bien il a acheté à Vrancea les pantalons paysans en bure (pour son costume représentant la région de Galați) car «ils sont identiques». Dans la conception de Paul Buță, la spécificité de la zone ne se fait plus par exclusion (avec les éléments qu’on ne retrouve plus dans une autre zone), mais par inclusion (en tant qu’éléments de la zone), peu importe s’ils sont locaux ou viennent d’autres régions culturelles. Parti d’un concept de base limité et rigide, Paul Buță arrive à une approche plus adaptée à la réalité. Il réussit donc à amasser dans son Musée les éléments qu’il a trouvés dans la zone, peu importe s’ils appartiennent à la région de Covurului ou aux zones ethnographiques voisines.
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Un musée pour les habitants Conçu pour les enfants, le musée de Paul Buță cible aussi d’autres groupes. Il considère qu’un tel musée pourra être utilisé d’abord pour les habitants du village. L’histoire des relations entre le propriétaire et le village passent d’un début difficile à un présent marqué par une normalité remplie de bons exemples. On observe clairement les stratégies de Paul Buță et les moments-clé où les habitants ont changé leur comportement. Il est d’abord rejeté par les habitants du village et considéré un «vénétique» en train d’ouvrir un bistrot à toiture en roseau, qui porte atteinte à la moralité du village. Il y a deux observations à faire. D’abord l’indignation de la communauté devant l’ouverture imminente d’un nouveau bistrot est motivée par la coutume et la fierté locales (un bistrot doit être ouvert par un habitant du village et non par un intrus). Ensuite on remarque la disparition presque totale de la culture du roseau. Actuellement il existe encore des maisons et des annexes à toiture en roseau et les gens utilisent encore des nattes, des paniers et d’autres objets en roseau réalisés par leurs parents et le métier de constructeur de toits en roseau s’est perpétué. Ce qui reste, c’est la signification décorative du roseau, car la signification utilitaire s’est totalement perdue. Les gens ont entendu parler des restaurants et des bars décorés de roseaux, très en vogue dans les années 1990. Ils ont associé l’information que Paul Buță souhaite réaliser un toit en roseau pour sa maison à l’ouverture imminente d’un nouveau bistrot, car personne ne veut plus des toits en roseau. Pendant les trois ans de restauration de l’ancienne maison, les gens ont manifesté leur antipathie envers le «vénétique», en provoquant des dégâts qui ont culminé avec le vol de la pompe utilisée pour la fontaine. Paul Buță ne s’est pas mis en colère contre les habitants, anticipant leur changement d’attitude au moment où la destination réelle de la maison (musée de leur propre culture) sera dévoilée. C’est une des raisons pour laquelle il a décidé d’inaugurer de façon somptueuse son Musée, en incluant plusieurs événements capables de synthétiser de manière symbolique les moments importants de la vie publique de la communauté paysanne: la sanctification du crucifix, l’aumône et la ronde. L’inauguration devient ainsi le moment propice de la transmission de son message de réconciliation vers la communauté et, simultanément, l’invitation à ressusciter les coutumes de la vie commune qui relient la communauté, comme les soirées sociales, l’aumône, le mariage, la ronde, des coutumes presque disparues. Paul Buță propose ainsi à la communauté que son Musée devienne l’endroit d’une vie communautaire qui conserve l’esprit traditionnel. L’habitude locale l’a déterminé à inviter le prêtre pour la sanctification du crucifix. Il a préparé trois plats traditionnels pour l’aumône. La ronde
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du village a été réalisée par le groupe folklorique du Centre Culturel avec l’appui de la chanteuse de musique populaire très appréciée, Maria Buțăciu. Rapidement dit, ce que l’on appelle aujourd’hui «musique populaire» est une autre «création» de l’époque communiste, utilisée lors des festivals et surtout l’événement national intitulé «Le Chant de Roumanie». On observe évidement les traces des années communistes qui pénètrent dans la construction de l’identité de la période antérieure, et qui font partie intégrante de la vie actuelle. En plus, Paul Buță pense qu’un compromis est capable de sauver le répertoire musical d’un oubli imminent (même sous une forme modifiée, adaptée à la modernité). L’inauguration du Musée a été un grand succès. Les habitants du village y ont participé en grand nombre, attirés par la musique. Un peu timides au début, ils ont préféré rester à l’extérieur de la clôture, intimidés par la présence des autorités locales (la maire de la commune et les invités de Galați). Paul Buță les a invité à entrer, à s’assoir autour de la table, à danser et à marquer l’événement par la joie et le bien-être. Son comportement a été la preuve que le Musée les représentent et, de ce point de vue, leur appartient. On suppose que le crucifix a été le «cheval de Troie» qui a détruit la résistance des habitants. Le crucifix sanctifié est ainsi entré dans leur patrimoine: pendant les trois premières années d’ouverture du Musée, la candela ne s’est jamais éteinte. Les femmes ont veillé pour que la flamme reste vivante, soit pendant leurs promenades quotidiennes, soit le dimanche, lors de leur aller-retour à l’église. Même s’il n’habite pas le village, Paul Buță laisse la porte ouverte quand il arrive au Musée. C’est un geste symbolique, qui annonce aux voisins qu’il est ouvert au dialogue avec la communauté: «la porte n’est jamais fermée quand je suis présent». (Paul Buță) En effet, les gens viennent le saluer, regarder le Musée, observer les changements, lui amener des objets. Ils se reconnaissent dans le Musée qui leur rappelle le passé et comparent les objets du Musée avec leurs objets personnels. Par rapport à d’autres communautés, les habitants de cette zone renoncent difficilement à leurs objets anciens. Ils amènent en général au Musée-vivant les objets qu’ils souhaitent jeter. Ils gardent le reste dans un coffre ou dans le grenier «pour être utiles aux enfants». Paul Buță ne refuse jamais un objet. Il arrive parfois que les gens amènent au Musée des objets chers, en signe de respect pour le propriétaire et pour son travail: une femme lui a donné un jour une bouteille de bon vin. Les gens ont changé complètement leur comportement initial. Même s’il est un vénétique, ils ont de l’estime pour Paul Buță car il a fait quelque chose d’important pour le village: «c’est un étranger qui a fait quelque chose de bien pour notre village, un monsieur étranger? Il n’est pas d’ici mais, il est venu
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construire un crucifix, quelque chose de beau dans notre village. On l’estime car il est un homme bien, respectueux, on l’estime et il nous respecte.» (Elisabeta Oprea, une voisine). Le moment où les habitants du village lui causaient des dégâts ou lui volaient des objets en signe de protestation est bien passé. Après l’ouverture du Musée, pas de dégâts, pas de vols. Les voisins se sont transformés volontairement en gardiens: «Nous, en tant que voisins, on observe s’il y a des voleurs» (Elisabeta Oprea, une voisine). Les études supérieures reconfirment son statut dans la communauté et lui confèrent de la crédibilité: « Il a de l’expérience, il a fait une école comme il faut, il doit avoir quelques classes» (Elisabeta Oprea, une voisine). Les gens valorisent le Musée de Paul Buță pour sa fonction mémorielle: «il a fait une bonne chose pour les enfants, pour que tout ne sombre pas dans l’oubli» (Elisabeta Oprea, une voisine). La présence du Musée a augmenté l’intérêt des habitants pour les objets anciens hérités et implicitement pour leur passé. Le fait qu’un monsieur ayant fait des études supérieures, venant de la ville ait créé un Musée dans leur village, qu’il valorise les objets qui n’ont pas de valeur pour eux, les a obligé à reconsidérer les choses. Les actions de Paul Buță ont constitué une stratégie prolifique de revalorisation identitaire. Paul Buță a réobtenu l’appréciation des habitants et il déclare que c’est très important, car les gens de la communauté n’ont pas le sens des relations sociales. Comme le propriétaire l’observe, il n’y a pas de bancs publics à l’extérieur, car les gens n’ont pas l’habitude de socialiser le soir ou pendant les fêtes, comme dans la plupart des régions de Roumanie. Les voisins ne socialisent pas et ils ne t’invitent pas à l’intérieur de leur propriété, ni à l’extérieur, pour ne plus parler de leur maison. Les gens sont méfiants et réticents et, sauf leur famille, ils se méfient des relations avec les autres. Paul Buță qui a l’habitude des relations cordiales de son village natal de Raiu, ou du village natal de sa femme, appartenant au même département, a essayé de leur apporter cette coutume et il a réussi. Les voisins et les visiteurs lui ont signalé souvent des gens qui détiennent des objets anciens. S’ils habitent dans le département, Paul Buță se déplace pour les chercher et les acheter malgré la distance. Mais il ne se limite pas à la zone de Covurului, ce qui compte ce sont les éléments communs des zones et pas les différences, car le «local» s’élargit et le «spécifique» estompe ses limites. Paul Buță a utilisé l’inauguration pour promouvoir son Musée au niveau du département. Ce n’est pas une promotion qui vise des bénéfices personnels, car il ne perçoit pas de taxes de visite. Au contraire, il utilise son argent et son travail et celui de sa femme pour faire venir les visiteurs, sans obtenir de profit. Ce n’est pas le profit qui l’intéresse, mais l’enrichissement de l’âme, des connaissances (plus riches et plus correctes) des enfants de nos jours sur un mode de vie dont ils se sont éloignés. C’est la raison pour laquelle il a invité des autorités publiques,
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des journalistes, des gens de culture, des inspecteurs scolaires et des professeurs, des gens passionnés d’art. C’était le début d’une collaboration prolifique avec les écoles et les lycées: chaque semaine il reçoit des visites scolaires et il accueille des camps d’été. Il y a beaucoup d’enfants qui arrivent des zones limitrophes, de Galați mais aussi des départements de Vaslui et Vrancea.
Fig. no 5 Paul Buță avec les étudiants de l’Ecole d’été organisée par le MPR en 2011
Un musée pour les enfants Dans son Musée ne viennent pas que les enfants, mais aussi les artistes qui désirent s’inspirer du monde ancien du village ou les professeurs pour des réunions scolaires. Paul Buță espère ainsi leur faire comprendre la nécessité de diffuser aux nouvelles générations les connaissances sur l’univers de leurs grands-parents: « ils viennent à Șivița pour réaliser des activités de leur programme. Ils y restent du matin au soir pour débattre des problèmes liés à l’interactivité, aux enfants, aux métiers d’artisan, ce qui n’est pas mal, car ils sont professeurs de roumain et ils doivent éduquer les enfants dans le sens des traditions et de la culture populaire. Les enfants doivent apprendre comment faire, pourquoi faire, car aujourd’hui leurs recherches se résument à l’Internet?» (Paul Buță)
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Le côté pédagogique du musée est primordial. Paul Buță rejette ainsi la conception muséologique classique qui ne permet pas aux enfants l’utilisation pratique de l’objet et où l’enfant n’apprend rien suite à sa visite. C’est la raison pour laquelle il a conçu un musée «fonctionnel» qu’il appelle de manière très plastique «musée-vivant», et il insiste pour que cette terminologie soit utilisée. Dans son Musée l’enfant a le droit de toucher les objets, il est même obligé de le faire: « Mon idée était qu’ils viennent ici pour travailler. C’est le rôle que j’ai donné à la maison, ce n’est pas pour la visite, car pour la visite ils peuvent choisir d’autres musées qui exposent des objets plus intéressants. J’ai voulu qu’ils viennent ici pour travailler. L’interactivité, c’est ça qui m’intéresse? Et qu’ils voient le métier à tisser [... ] J’ai bien déclaré que je vais afficher en majuscules, sur une feuille de papier la devise: «Le compagnon du groupe n’a pas le droit de dire Ne pas toucher. Ils doivent encourager, dire touchez?» Partout où on va il est inscrit Ne pas toucher. Ca c’est mon idée?». (Paul Buță)
Fig. no 6 Paul Buță explique le processus de réalisation d’une natte en roseau
Il impose aux visiteurs un programme spécial de visite. Ainsi la durée est de minimum une journée. Les enfants ont le temps d’effectuer diverses activités, de prendre un repas traditionnel qu’ils vont préparer ensemble à l’endroit aménagé autour du four situé dans le jardin. C’est la raison pour laquelle l’accès des enfants de l’école maternelle n’est pas permis, car ils sont trop petits pour que les traces de la visite restent inscrites de manière durable dans leur mémoire. Il organise en échange des camps d’été de sept à dix jours pour les élèves du lycée. Les
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expériences ont satisfait les participants: les adolescents ont fait de la peinture, se sont habillés en costumes populaires, ont réalisé des objets de poterie, ont analysé tous les coins du Musée, sans avoir accès à l’Internet, sans ordinateur et sans nourriture moderne de type fast-food. Les anciens métiers inconnus, attractifs pour les enfants car nouveaux, les coutumes et le rituel des masques, les danses ou les plats, sont, sans doute, des éléments d’une construction incomplète du village roumain de la période précommuniste, extrêmement intéressante et crédible. Les objets du musée viennent la compléter. Ce sont des objets que les enfants peuvent utiliser comme ils veulent, qui peuvent recevoir des fonctions qu’ils n’ont jamais eu, qui sont ainsi ressuscités pour une nouvelle vie. C’est le même processus de réinvention des traditions que Paul Buță a utilisé pour remettre en scène les coutumes populaires. Orienté vers les besoins intimes des petits visiteurs, Paul Buță observe les réactions pour pouvoir ensuite répondre et adapter son discours, décrire et raconter, de manière charmante et comique, les anciennes coutumes. Comme on l’observe, Paul Buță met en œuvre un programme de popularisation des pratiques traditionnelles et de la mémoire locale, qu’il les a reconstruits pendant ses années de recherches. Deux voisines viennent souvent au Musée pour filer la laine et raconter des histoires aux visiteurs, en légitimant par leur présence authentique et sincère la reconstruction de Paul Buță. Elles (et les autres seniors du village) représentent des sources d’informations riches et détaillés qui permettent à Paul Buță la construction d’une image identitaire crédible. Les enfants de la communauté locale bénéficient d’une attention spéciale. Ils sont les bénéficiaires du savoir-faire et des connaissances de Paul Buță, pas nécessairement grâce à la présence du musée dans leur village, mais grâce aux cours qu’il leur donne. Il s’agit de cours de danses spécifiques à la région, de réalisation des masques, certifiés par le Centre Culturel du Danube Inférieur. Paul Buță cherche lui-même des sponsors pour que les cours qu’il donne aux enfants soient gratuits.
Fig. no 7 Paul Buță et ses masques
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Paul Buță est un vrai pédagogue. A l’occasion de la foire des artisans organisée dans la ville de Galați, la présence des vendeurs de souvenirs-kitsch l’a inquiété car ils peuvent tromper la perception des enfants, qui peuvent les confondre avec les vrais artisans populaires. Les enfants ne doivent pas percevoir la réalité de manière altérée: « ils vont se rappeler ainsi que le métier d’artisan populaire suppose de vendre du chewing-gum, des poupées chinoises à la foire organisée pour la Saint André. C’est vous [les organisateurs du foire de Galați] qui déformez la réalité, et qui altérez l’éducation des enfants». (Paul Buță) Paul Buță est capable de tout donner: sa maison, son argent, ses connaissances, son travail, son temps, sans rien recevoir en échange. Il souhaite offrir aux enfants une alternative à la culture moderne, qui repose sur un excès de communication virtuelle via l’Internet. Ce qui manque aux enfants, ce sont les activités pratiques. Remplacer l’ordinateur par la lecture n’est pas une solution. La solution est de remettre le réel à la place du virtuel, de construire. De réaliser une construction bien enracinée dans leur passé.
Fig. no 8 Travaux réalisés pendant les camps d’art organisés dans le Musée-vivant
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BIBLIOGRAPHIE Blanchet, Ph., Francard, M., Identités culturelles dans le Dictionnaire des altérités et des relations interculturelles, G. Ferréol, G. Jucquois (coord.), POLIROM, 2005, p. 330 Hedeşan, O., Mihăilescu, V., The Making of the Peasant in Romanian Ethnology, Le Témoigne, no 11/2008 Hobsbawn, E., Introduction: Inventing Traditions, în E. Hobsbawn, T. Ranger (eds.), The Invention of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge, 2005 (1983) Mateoniu, M., Les artisans de la campagne et les musées d’ethnographie de Roumanie, Le Témoigne, no 13/2008 Poulot, D., De la raison patrimoniale aux mondes du patrimoine, Socio-anthropologie [En ligne], No 19/2006, mis en ligne le 31 octobre 2007, consulté le 23 juin 2009. URL: http//socio-anthropologie.revues.org/index753.html, p. 7 Nagy, R., La marchandisation des traditions, (thèse de doctorat, L’Université Libre de Bruxelles et L’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest, 2008 – 2009), p. 87.
Ana Pascu est muséographe principale à la section d’études ethnologiques du Musée national du paysan Roumain. Préoccupée par l’ethnologie de l’enfance, (peu étudiée en Roumaine), elle a passé en 2009 sa thèse de doctorat en philologie, à l’Université de Bucarest (Faculté de Lettres) avec le sujet «Textes et contextes dans le jeu des règles de l’environnement urbain». Passionnée par la recherche des moyens attractifs, capables de susciter l’intérêt des enfants pour la culture traditionnelle, elle a édité en 2009 un manuel folklorique pour le cycle primaire (co-auteurs Irina Nicolau et Carmen Mihalache). C’est un recueil de contes sur la création du monde qui a reçu le prix «Smaranda Cantacuzino» de l’Association Magazine historique. En 2006 elle a édité (en tant que co-auteur) un manuel sur les traditions locales (pour la 7e classe), financé par le programme de développement durable du Pays de Hațeg, soutenu par l’Université de Bucarest et finalisé par la réalisation d’un géo-parc. Le programme Collections paysannes roumaines réalisé par le MNPR lui a permis d’étudier les musées ethnographiques privés de Roumanie et leurs moyens de développement (sans l’intervention brutale des visions muséographiques antagonistes). La vie quotidienne de l’époque communiste, les problèmes actuels du patrimoine et son rôle dans le développement durable des communautés rurales sont ses thèmes de recherche, dont les résultats se sont concrétisés dans plusieurs articles et études de cas parus dans la revue Le Témoin, dans l’Annuaire du Musée ethnographique de Moldavie et dans des ouvrages collectifs. [ana2ania@yahoo.com]
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Couverture arménienne du XIXe siècle. Investigation scientifique des matériaux et restauration Ioan Bratu (Institut National pour la Recherche et le Développement des Technologies Isotopiques et Moléculaires, Cluj-Napoca) Laura Trosan (Musée Ethnographique de Transylvanie, Cluj-Napoca) Vasilica-Daniela Toader (Musée Ethnographique de Transylvanie, Cluj-Napoca) Claudiu Tanaselia (Institut de Recherche pour l’Instrumentation Analytique, Cluj-Napoca) Constantin Marutoiu (Université «Babeș-Bolyai», Faculté de Théologie Orthodoxe, Cluj-Napoca)
Abstract An Armenian cover was investigated with non-destructive (XRF) and FTIR spectroscopy methods in order to establish the nature of the metallic fibers used to embrodery and the nature and degadation status of the basic textile fibers. The composition and structure of the materials present in the cover prove that it had been made at the beginning of XIX century. Were used on copper wire and linen fiber textile, fringes are older than the rest of the fibers, which is apparent from analysis of the lignin/cellulose ratio. Based on these achieved scientific information the Armenian cover was restored and preserved with appropriate materials and methods in order to introduce it in the museum circuit.
Keywords: armenian cover, XRF, FTIR spectroscopy, metallic and textile fibers, Armenian symbols, degradation status, restoration.
Introduction Les Arméniens constituent l’un des peuples les plus anciens au monde. L’Urartu, le territoire qui a permis leur développement, a réuni une communauté de peuples qui représentait au VIIe siècle av. J.-C. le pouvoir le plus important de l’ouest de l’Asie. Il possédait des terres situées entre le lac Van et le lac Ourmia et a élargi sa suprématie au nord, vers la Transcaucasie et au sud, vers la Syrie. Les premières mentions sur Hayassa (considéré comme le futur nom de l’Arménie, Hayastan) datent du XIVe siècle av. J.-C., quand ce petit royaume était cité dans les inscriptions hittites de Bogâzköy. Le dernier roi connu des Urartéens était Rusa III (610-583), son royaume étant ultérieurement absorbé par l’empire des Mèdes. Les Urarteens13) sont tombés dans l’oubli pour plusieurs siècles. Leur art date de plusieurs millénaires. Pourtant, l’art arménien a intégré des caractéristiques nationales propres pendant le Moyen Age, grâce au 13. Calistru, Rusu (2013), p.8-9
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développement de l’architecture, de la musique, de la littérature, des arts plastiques et appliqués (la bijouterie, la poterie, la réalisation des tapis). L’Arménie a été surnommée «l’avant-garde de l’Europe en Asie». Deux forces opposées, l’esprit européen et l’esprit asiatique mélangés et fusionnés ont déterminé la trajectoire de la vie arménienne et ont créé le caractère du peuple pendant des millénaires. «La recherche et la découverte de la synthèse de l’Orient et de l’Occident est évidente dans les créations artistiques, dans la littérature et la poésie arméniennes»14). Les nombreuses relations avec la Syrie, la Mésopotamie et la Perse mais aussi avec l’Empire Byzantin ont influencé sa culture. Ce double contact avec la Grèce et l’Orient a déterminé l’apparition en Arménie, pendant le VIIe siècle, d’un art intéressant et original15). La couverture arménienne faisant l’objet de cette étude a été offerte par Icobovitz Miklos et Martha à l’Association Arménienne de Cluj-Napoca. Description
Description documentaire-artistique
Les textiles artistiques, surtout les broderies à fil métallique étaient réalisées en utilisant du matériel onéreux, ce qui explique leur utilisation intensive et les essais pour prolonger leur durée de vie. Certains textiles à fil métallique étaient utilisés pendant des décennies, puis réparés et conservés comme des trésors. Certaines étaient enrichies de pièces en matériau nouveau ou de pièces récupérées sur des textiles endommagés. Ces procédures rendent difficile la datation des objets, car les matériels et les fils qui les composent étaient réalisés à des époques différentes. Presque toutes les parties composantes ont été remplacées: les revêtements, les renforts et le matériel auxiliaire à rôle décoratif (la dentelle, les galons, les franges)16). La décoration de la pièce analysée est symétrique. Chaque côté contient une broderie représentant une paire de paons à queue fermée, encadrant une grenade. Chaque coin contient une broderie représentant un vase de fleurs ou un panier à anse. La broderie centrale représente un paon à queue ouverte entouré par des éléments végétaux. Le panier/la vase – riche en ornements, il déborde de divers éléments végétaux qui renvoient au statut et à la symbolique de l’identité arménienne: «le monde comme un jardin»17). La grenade – symbole de la fertilité et de la chance chez les Arméniens. Parmi les motifs décoratifs les plus utilisés dans la décoration des pièces 14. Brussov, Siruni (2009), p.3 15. Bandalau (2013), p.6-7 16. Skoze (1984), p.735-757? Cimpăianu (1996) p. 503-515 17. Petrosian (2001), p. 25-32
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textiles on remarque la grenade et la fleur de grenade, connues en plusieurs versions et dont l’évolution artistique peut être observée dans le temps18). La grenade est utilisée par les tisserands italiens de velours dans les années 1420-1430, par modification de la fleur chinoise de lotus. Ce motif a aussi été apprécié par les artistes de la Renaissance. Donatello l’a utilisé pour réaliser la tombe du Pape Giovanni XXII, entre 1425-1429. La grenade devient un ornement apprécié chez les Italiens, les Espagnols, les Anglais et l’Orient l’utilise dans toutes ses versions: la grenade simple, fermée, schématique. Sa surface a été ensuite décorée différemment pour mieux suggérer les pépins, puis ouverte en morceaux séparés, intercales des points. La grenade est ensuite stylisée (des morceaux latéraux lobaires ou représentés comme feuilles indépendantes) et dynamisée (par les lignes de contour)19). Le paon – symbole de l’intégrité chez les Arméniens. Le paon à queue ouverte signifie dans la culture arménienne l’orgueil et la fierté. Le paon à queue fermée signifie la modestie, la croyance et la soumission20). Tout comme le dessin et la qualité des points de broderie, la chromatique d’une pièce est un élément essentiel lors de l’analyse esthétique. La généralisation devient impossible si on prend en considération l’immense diversité des couleurs utilisées dans les broderies. Pourtant, on peut faire des observations sur les zones de provenance de certaines particularités chromatiques. L’influence de la Renaissance italienne se ressent dans les couleurs fines et les pastels, tandis que l’influence orientale se manifeste par les couleurs puissantes et contrastées21). Chaque époque reflète sa manière de pensée par l’image qu’elle dégage du présent ou du passé. Le tableau analytique réunit toujours des éléments intellectuels dominants dans un contexte précis et repose sur les épistèmes historiques. La mémoire historique, la psychologie de l’époque et l’épistémologie se conjuguent dans la réalisation de tout produit culturel22). Les broderies métalliques des pièces textiles peuvent être regroupées en deux catégories: les broderies réalisées exclusivement en fils et accessoires métalliques et les broderies réalisées à fil colorié et fil métallique. Les broderies métalliques sont à leur tour «monochromes» (avec des modèles brodés exclusivement en argent doré), «dichromes» (avec une alternance des surfaces en argent et des surfaces en argent doré) et «polychromes» (avec argent doré et paillettes de toutes les couleurs)23). 18. Petrosian, Underwood (2006), p. 138-139 19. Cimpaianu (1978), p.367-380? (1981), p.626-640 20. Mathews, Sanjian (1991), p. 173-177 21. Patrik (1985), p.9-12 22. pop (2014), p. 164 23. Szoke (1994), p.158-166
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La pièce proposée à la restauration peut être classée dans la typologie des broderies dichromes, fortement influencées par les ateliers de l’Europe centrale. La technique de réalisation et les matériels La discussion sur le matériel a comme point de départ sa répartition en trois catégories: le matériel principal, le matériel nécessaire aux broderies (le fil, les paillettes, les perles) et le matériel auxiliaire (la dentelle, les franges, les bordures). Le matériel principal utilisé pour ces types de broderies n’est pas très varié. Il se résume à quelques types de toiles en lin fondu ou en soie. Les plus nombreuses, qu’on retrouve généralement en Transylvanie, sont les broderies réalisées sur des tissus en lin, à partir des plus fins et légers et jusqu’aux toiles les plus grossières24). La couverture arménienne est réalisée en toile en lin, avec du fil de lin, du fil métallique ou tordu sur du fil de lin ou en ruban de cuivre. L’introduction des fils métalliques dans la décoration des textiles est mentionnée dans la Bible: l’Exode 39, 2-3 (XIIIe siècle av.J.-C.) sans pouvoir établir une «chronologie» de leur origine. Les fils métalliques étaient réalisés simultanément dans plusieurs ateliers répartis sur un territoire élargi, par des techniques secrètes, et commercialisés dans le monde entier. Les fils métalliques se composent de deux éléments morphologiques essentiels: le ruban et le fil à section circulaire25). Les fils métalliques étaient réalisés en or, en argent ou en alliages de ces métaux? le ruban doré est apparu vers le Xe siècle26). Des bandes larges de quelques dizaines de millimètres étaient coupées en morceaux ou en feuilles de métal très fines, de quelques microns, pour être ensuite enroulées autours des fils en soie ou en lin, pour faciliter le tissage ou la broderie. Les feuilles en argent étaient dorées sur un côté et ensuite enroulées sur le fil textile, pour donner l’impression de l’or27). A partir du XIIIe siècle, l’or n’est plus le matériau principal des fils métalliques. La recherche des documents historiques et les investigations supposent qu’à partir du XIVe siècle, dans certaines zones de l’Europe, le cuivre a été utilisé. Les fils en cuivre étaient ainsi utilisés pour les broderies et les tissus appréciés par la classe moyenne, désireuse d’imiter l’opulence de l’aristocratie28). Le matériel auxiliaire a un rôle décoratif: il réunit les dentelles (qui mettent en évidence la bordure de plusieurs pièces) et les franges, réalisées en fil textile et en fil métallique. 24. Cimpaianu (1980), p.736-740 25. Jaro (2009), p.125-140 26. Hoke, Petraschek-Heim (1977), p.49-62 27. Lins (200), p.241-265 28. Jaro (2002b), p.57
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L’état de conservation Le matériel textile Après son intense utilisation, le matériel organique (le fil de lin) de la couverture arménienne (Fig. no 1) s’est détérioré au niveau de la matière de base, de la broderie métallique (Fig. no 2), mais aussi du revêtement initial, qui a gardé uniquement la trame, la chaine étant détériorée (Fig. no 3). Le point d’entrecroisement du revêtement avec le matériel de base garde un témoin. 15% de la surface présente des pertes de matière. À plusieurs endroits on observe la «restauration» des fils (Fig. no 4), tandis que sur le revers de la pièce a été appliqué ultérieurement un morceau de draperie de Jacquard, qui représente un épisode de chasse (Fig. no 5).
Fig. no 1 Couverture arménienne, état initial de conservation
Fig. no 2 Détérioration du fil en lin de la toile de base
Fig. no 3 Interventions non-scientifiques sur la pièce
Fig. no 4 Détérioration de la chaîne du revêtement initial
Fig. no 5 Le revêtement Jacquard
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Les fils métalliques
Les fils métalliques sont légèrement oxydés, légèrement détachés dans certaines zones, comme suite à la détérioration du noyau textile. Les franges de la pièce sont en cuivre, avec le noyau en soie, plus rigides que les autres fils métalliques, portant une patine brune d’oxyde de cuivre. L’investigation des matériaux Les appareils et la technique L’analyse et les tests ont été effectués en utilisant un spectromètre de fluorescence des rayons X portable (InnovX Aplha 6500). La tension de fonctionnement du spectromètre est de 35kV et l’intensité du courant de 15 micro-ampères. Le spot lumière a une surface de 2 cm2, tandis que le temps d’intégration était de 60s pour chaque test. Les analyses effectuées sont non-destructives (Fig. no 6). Les mesures IRTF (spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier) ont été effectuées à une résolution de 4 cm-1 , à l’aide d’un spectromètre JASCO 6100 utilisé dans le domaine spectral 4000 - 400 cm-1 par la technique KBr, qui utilise des pastilles de bromure de potassium. Fig. no 6 Prélèvement en vue de l’analyse avec le spectromètre XRF portable
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Les fils métalliques. Résultats et discussions
Les résultats des analyses de fluorescence aux rayons X sont présentés dans le tableau ci-après: Tableau no 1: les éléments composants des fils métalliques utilisés pour la réalisation des bordures de la couverture arménienne Elément chimique
Zone de prélèvement
%
Paon central
Ti Cr Mn Fe Cu Zn
ND 0.04 0.05 0.21 97.72 1.86
Panier/ Franges vase coin ND 0.16 0.20 1.08 98.10 ND
Guirlande latérale
1.60 ND ND ND 95.54 2.86
ND ND ND ND 98.52 1.48
Feuille Plumes latérale de paon gauche mates ND ND 0.07 0.04 0.14 0.05 0.60 0.21 97.99 97.77 0.84 1.82
Plumes de paon colorées ND 0.04 0.06 0.28 97.71 1.80
Note: le tableau contient uniquement les éléments dont la concentration dépasse 0,5%. ND – non détecté. Le tableau révèle l’existence de trois alliages: 1- Cu, Zn et Ti (pour les franges)? 2- Cu et Zn (pour le paon central)? 3- Cu en grande concentration, de plus de 98% (pour le panier et la guirlande latérale). La quantité de concentration en Cu et Zn est différente dans les fils. Les autres métaux comme Au et Ag ne sont pas présents, ce qui démontre que le métal utilisé pour la décoration de cette couverture n’est pas un métal noble29).
Les Fibres textiles. Résultats et discussions
La détermination du type des fibres textiles s’est effectuée à l’aide de la spectrométrie IFTR mentionnée antérieurement. La Fig. no 7 présente les spectres des fibres analysées, par comparaison avec les étalons des fibres modernes industrielles.
Fig. no 7 Les spectres IFTR de la couverture arménienne (ligne continue verte)? fil en lin – (ligne interrompue bleue)? fil en chanvre (ligne pointillée rouge) 29. Indictor (1989), p.171-182
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La comparaison des spectres IR de la couverture arménienne et des fibres en lin et chanvre, permet de constater que dans la réalisation de cette pièce a été utilisée la fibre en lin. Conformément à la méthodologie développée par Garside and Wyeth30), deux rapports d’intensité ont été calculés, pour identifier la nature de la fibre textile: R1=A1595/A1105 et R2=A1595/A2900. Les valeurs obtenues (0,16 et respectivement 0,42) ont été comparées avec les données de la Fig. no 4 de la référence bibliographique31). Il résulte que pour la réalisation de la couverture a été utilisée la fibre en lin. Les données relatives à l’ancienneté et au dégât sur les fibres textiles de la pièce ont été obtenues suite aux analyses IFTR, avec comme repère la référence bibliographique32). Le ruban d’absorption IR localisée à ~900cm-1 est caractéristique de la cellulose amorphe, tandis que le ruban centrée sur 1280 cm-1 est caractéristique de la cellulose cristalline, aussi que le ruban d’absorption centré sur 1335 cm-133). Le ruban d’absorption d’un maximum de 1373 cm-1 est caractéristique de l’état de vieillissement de la fibre, dont l’intensité baisse au fur et à mesure que le contenu de cellulose amorphe augmente. Le ruban de ~1430 cm-1 est dû à la phase cristalline, tandis que celui de ~897 cm-1 reflète le contenu de la phase amorphe34). A partir de ces attributs on peut émettre l’hypothèse de l’ancienneté de cette pièce, ainsi que son état de détérioration. L’indice total de cristallinité (TLC, A1378/A2904) et l’indice d’ordre latéral (LOI, A1378/A2904) ont été calculés et comparés avec les indices correspondant aux fibres étalon moderne. L’indice de cristallinité est défini aussi comme le rapport: I1372/I2900 et I1430/I89735). Le rapport entre les rubans d’absorption de 1335 cm-1 et 1318 cm-1 est utilisé pour surveiller l’état d’usure des fibres. Les résultats sont présentés dans le tableau no 2. Tableau no 2. L’état de cristallinité et l’état d’usure des fibres textiles de la couverture arménienne Le test
A1378/A2904 (TLC)
A1431/A900 (LOI)
A1335/A1318 (contrôleur de dégât)
Fibres de la couverture
1.2
1.42
0.97
Franges
1.05
1.09
0.99
Fibres en lin modernes
1.22
1.40
0.97
30. Garside, Wyeth (2000), p.1792-1793? Garside, Wyeth (2003), p. 269-275 31. Espeyo (2011), p. 50-58 32. Kavler (2011), p. 574-580 33. idem, op. Cit. Photo no. 5 34. idem, op.cit, photo no.3 35. idem, op.cit, p.578
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Si on compare les résultats correspondant aux fibres en lin moderne et historiques on constate que: • Le degré de cristallinité baisse pour les fibres historiques, spécialement pour les franges? • L’usure des fibres dans le temps n’a pas été détectée.
Conclusion L’interprétation des résultats des analyses XRF et IFTR effectuées sur le matériel composant de la couverture arménienne montre que sa réalisation a été effectuée au début du XIXe siècle, les «restaurations» ultérieures ont utilisé soit du matériel ancien (comme les franges), soit du matériel plus neuf (comme le tissu Jacquard). Les fils métalliques sont majoritairement en cuivre, et en faibles proportions en alliage avec d’autres éléments.
Les étapes de la restauration • Les données obtenues lors des investigations scientifiques effectuées sur les fils textiles et métalliques qui composent la couverture arménienne ont validé le choix des traitements et la technique de restauration de l’objet. • Les étapes parcourues pour la restauration étaient les suivantes: • Le démembrement de la pièce a entraîné l’enlèvement de la toile Jacquard et le démembrement des franges en fil métallique? • Le nettoyage humide de l’objet, qui consiste à fouler la pièce avec des torchons en coton et utilisant du détergent biodégradable Super 100, ayant une concentration de 3%, ainsi que l’enlèvement du surplus par compression avec papier-filtre? • Le nettoyage humide et le rinçage avec de l’eau distillée et l’alignement des fils à l’aide d’un pinceau et une pincette sur une surface plane (en verre) (Fig. no 8)? • Le revêtement de la crépine par collage, à l’aide d’une solution avec une concentration de 5% de carboxymetile cellulose (CMC)? • Le rinçage avec de l’eau distillée, des torchons en coton et un pressage avec du papier filtre? • L’allongement des fils textiles et leur alignement pour redonner la forme initiale à l’objet? • Le nettoyage des fils métalliques de la broderie avec une solution de Complexon III (du sel disodic de l’acide tétra-amino-acétique) en concentration de 3%?
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• Le nettoyage en bain de Complexon III et neutralisation avec de l’eau distillée, l’allongement et le pressage par poids des fils métalliques des franges? • Le collage des fils textiles avec une solution en concentration de 5% (CMC) et le remplissage des zones lacunaires avec les fils provenant du revêtement initial de la pièce? • Les extrémités des fils collés ont été fixées en jointure brase autour des éléments de la broderie métallique, en utilisant du fil compatible? • Le rassemblement de tous les éléments composant la pièce. Couture du revêtement initial revêtu de crépine tout autour de la pièce, la couture des franges métalliques, la couture du revêtement Jacquard nettoyé au préalable (Fig. no 9)? • La réalisation des photos pendant le processus de restauration.
Fig. no 8 Le revêtement initial pendant le processus de restauration
Fig. no 9 La couverture arménienne restaurée
Le processus de restauration de l’objet a duré 6 mois. La couverture arménienne a été exposée entre le 23 septembre et le 15 novembre au Salon National de Restauration, organisé par le Musée d’Olténie à Craiova, où les restaurateurs de cet objet ont été récompensés avec la mention de la Galle de la restauration roumaine.
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Olivia Florena Maruțoiu est assistante de recherche à la Faculté de Théologie Orthodoxe de l’Université «Babeș-Bolyai». Elle est aussi diplômée de l’université de Psychologie et docteur en chimie. Ses compétences professionnelles incluent: la chimie analytique qualitative, la chimie analytique quantitative, la spectroscopie, le RMN, le contrôle de la pollution de l’environnement et techniques de dépollution, le suivi de l’environnement par des méthodes analytiques modernes, les techniques chromatographiques, l’ethio-pathologie, la chimie de la restauration, la restauration en tempera, la restauration des fresques, etc. Elle a publié deux livres, 16 articles (dont 9 ont des indices de citation au niveau ISI) et détient deux brevets d’invention. Claudiu Tănăselia est chercheur scientifique du 3e degré à l’Institut pour l’instrumentation analytique (ICIA), spécialiste en développement des méthodes ICP-MS? maitrise en ICO-MS, LA-ICP-MS, HPLC? maitrise du spectromètre portable XRF. Il a publié 2 livres et 24 articles scientifiques. Il participe aussi à 13 projets avec financement national et international. [claudiu@tanaselia] Constantin Maruțoiu est docteur en chimie et professeur à l’Université «Babeș -Bolyai», la Faculté de Théologie Orthodoxe de Cluj-Napoca. Il est spécialiste en chimie appliquée, en restauration et conservation des biens du patrimoine, en expertise des œuvres d’art, en chimie analytique, en chromatographie sur couche mince et sur colonne, en analyse des polluants et des substances toxiques, en production spéciale, en synthèse et caractéristique des adsorbants, en obtention du matériel chromatographique et des dispositifs chromatographiques, en protection de l’environnement, etc. Il est aussi l’auteur de 6 livres et de 167 articles (dont 93 ont des indices de citations ISI), possède 30 brevets homologués, 50 technologies élaborées, 35 nouveaux produits obtenus et 40 contrats de recherche. [clarutoiu@ yahoo.com]
Simion Câlţea, L’Ordre de la Jarretière jusqu’à 1800 – le modèle des décorations européennes pré-modernes | 69
L’Ordre de la Jarretière jusqu’à 1800 – le modèle des décorations européennes pré-modernes Simion Câlția (Université Bucharest)
Abstract The present paper focuses on the political aspects of the Order of the Garter from its founding to the eve of moderns times, covering the period in which the Order was one of the most important in Europe and the main source of inspiration for orders created through Europe. Starting with a limited set of functions, the Order of the Garter, gradually, played a larger part in internal and foreign politics. Our aim was to analyse how the use of the order evolved through time and how these new uses generated institutional changes. These transformations played an important role in defining the basic functions of the orders in general and shaping the form in which those orders are seen today in museums.
Keywords: Garter, orders, political practices, institutional structures, foreign politics
Les décorations (les ordres et les médailles) sont des pièces qui attirent le regard dans les vitrines de chaque musée. Enchantés par le glamour et le travail de ces bijoux, nous avons tendance à oublier qu’ils sont le produit d’une longue et complexe évolution institutionnelle qui a déterminé leur aspect. Nous allons illustrer cette perspective dans les pages suivantes, à partir de l’Ordre anglais de la Jarretière. Bien qu’il ne soit pas le premier ordre de décoration1), il est pourtant le plus ancien qui ait survécu jusqu’à présent. Mais le plus important pour notre sujet est le fait que, pendant l’époque médiévale et pré-moderne, l’Ordre de la Jarretière était le modèle par excellence, qui a inspiré les souverains européens lors de la création de leurs propres ordres. Même son rival le plus prestigieux, l’ordre de la Toison d’Or, a été créé selon le modèle de l’Ordre de la Jarretière, et s’est efforcé d’imiter son succès. En outre, les transformations de l’Ordre de la Jarretière ont déterminé en grande partie les innovations déclenchées dans les ordres monarchiques et chevaleresques, plus précisément en ce qui concerne la marque physique, matérialisée dans les formes que nous connaissons aujourd’hui. Cet ordre représente ainsi un centre privilégié d’observation. Notre étude concerne le développement institutionnel de l’Ordre de la Jarretière, depuis sa création 1. Richard Barber, The Military Role of the Order of the Garter, în „The Journal of Medieval Military History” 7/2009, p. 1.
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et jusqu’en 1800. Après cette date, le paysage européen des décorations se diversifie et d’autres ordres (en particulier la Légion d’Honneur) deviennent le modèle européen. Ordres et confréries chevaleresques au début du XIVe siècle Pendant longtemps, les ordres monarchiques et chevaleresques ont été considérés comme une copie des ordres militaires et religieux, créés par les souverains pour les servir et non servir Dieu. Les recherches effectuées ces dernières décennies ont fortement nuancé cette idée. Les ordres militaires et religieux ont exercé, sans aucun doute, une influence importante. Leurs succès militaires, obtenus en particulier à la périphérie du monde catholique (la Péninsule Ibérique et les territoires situés à l’est de la mer Baltique) ont été très visibles. Ils sont observés même en Angleterre: les relations politiques (et familiales) entre le royaume anglais et la péninsule Ibérique sont bien connues grâce à la participation, à plusieurs reprises, de nobles anglais aux campagnes d’été menées par l’Ordre des Chevaliers Teutoniques. Mais le monde nobiliaire des XIIIe-XIVe siècles a facilité la prolifération de nombreuses confréries, fraternités, sociétés et même de simples associations temporaires. Parfois, un groupe de chevaliers décide de s’associer pour atteindre un objectif commun (une action guerrière, un pèlerinage ou une autre activité religieuse), cette association prenant fin une fois que son but est atteint. Certains souverains de la première moitié du XIVe siècle posent eux aussi les bases de telles confréries dont les objectifs sont le plus souvent politiques. En général, ces créations précoces ne survivent pas longtemps, et la plupart disparaissent après la mort du fondateur, ou au bout de quelques générations2). Certains d’entre eux ont survécu et ont formé les premiers ordres de décorations. L’Ordre de la Jarretière fait partie de la même catégorie? dans les statuts d’origine, il s’appelait „Company of the Garter” et ses membres étaient nommés «Compagnons3)». L’Ordre de la Jarretière n’a pas été une création exceptionnelle et unique, mais un des nombreux ordres similaires de l’époque? seule sa survie sur le long terme a fait la différence. La structure interne de ces ordres était beaucoup plus simple que celle des ordres militaires et religieux, et très similaire aux diverses fraternités et confréries. Le Grand Maître de ces ordres était toujours le souverain. Le manque de fonctions militaires ou religieuses, de possessions ou de services administratifs, ou encore le nombre limité de membres ont déterminé une 2. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 330 et les autres, p. 242-243. 3. Richard Barber, The Military Role of the Order of the Garter, en „The Journal of Medieval Military History” 7/2009, p. 2.
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structure avec peu d’officiers, dont le rôle était essentiellement cérémoniel (réception dans l’ordre ou cérémonies, peu nombreuses). Par rapport à l’hiérarchie des ordres religieux et militaires, l’Ordre de la Jarretière a une seule catégorie de membres (les chevaliers) et donc une structure simplifiée. Les obligations des nobles admis dans les ordres chevaleresques sont très différentes de celles de leurs ancêtres qui étaient membres d’ordres religieux militaires: l’entrée dans un tel ordre n’entraînait pas l’abandon de la vie quotidienne, ni la renonciation aux propriétés foncières, ni l’obligation de vivre dans la pauvreté ou dans la chasteté. Ils ne se battaient pas pour le Christ, mais pour le souverain, avec l’obligation de lui offrir leur appui, en parole et dans l’action. Le but principal de ces nouvelles créations était de fidéliser l’aristocratie: le souverain leur offrait ce prestige en les recevant dans un cercle très exclusif et élitiste, et les nobles offraient en échange leur allégeance et leur appui. Il est facile d’observer qu’il s’agit d’un renforcement des anciennes obligations féodales, «consilium et auxilium», qui reposent sur les relations entre le suzerain et ses vassaux, et par conséquent assurent le fonctionnement des structures politiques féodales. Toutefois, conformément aux idéaux chevaleresques médiévaux, les membres de ces ordres étaient tenus de faire des actions charitables, d’aider les orphelins et les veuves, de protéger l’église, etc. L’objectif primordial reste politique, tous les autres étant des objectifs secondaires. Le contexte politique Si la création de l’Ordre de la Jarretière est parfaitement normale dans le contexte de l’époque, sa survie est exceptionnelle et nécessite des explications. Beaucoup d’éléments nous conduisent vers le règne et la personnalité d’un des le plus longs souverains britanniques, Edward III (1327-1377). Il a commencé à régner à l’âge de 14 ans, à une époque où le prestige de la monarchie britannique était très bas. Son père, mentalement instable, venait d’être destitué du trône par la noblesse anglaise, puis assassiné, après un règne marqué par une défaite désastreuse contre les Ecossais et l’implication de ses courtisanes dans les affaires de l’Etat4). Le début du règne d’Edouard III, sous la régence de sa mère, n’améliore pas la situation: une nouvelle défaite devant les Écossais suivie d’une paix humiliante avec eux. Plus grave encore est la décision de la régence (prise au nom du roi mineur), de renoncer aux prétentions qu’il aurait pu avoir sur la couronne de France lors de la disparition de la dynastie capétienne et de prêter serment devant Philippe VI de Valois5). 4. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 96. 5. Pour le duché de Guyenne, situé au sud-ouest de la France.
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Après la sortie de la tutelle et l’exercice du pouvoir (en 1330, à l’âge de 17 ans), Edward III se révèle être un roi totalement différent. Son règne est marqué par de nombreuses campagnes guerrières réussies contre ses voisins, y compris les Écossais. Il dénonce le serment de vassalité fait au roi de France et, en 1337, déclenche ce qui est aujourd’hui connu comme la guerre de 100 ans, revendiquant le trône français, en tant que successeur le plus proche des capétiens. Il impose son autorité à ses vassaux et sa mort en 1377, (après 50 ans de règne) l’impose comme un des souverains européens les plus importants et les plus respectés6). Son prestige se reflète sur l’Ordre, et son règne très long fut un avantage encore plus important. Lors de sa mort, l’Ordre de la Jarretière était déjà une institution solide, dotée d’un fonctionnement cohérent, qui avait démontré son utilité. Cependant, il semble que ses successeurs ne lui montrent plus le même intérêt? et c’est seulement sous Henry V (1413-1422) que l’ordre suscite à nouveau l’attention des monarques anglais7). Ce qui nous intéresse le plus, c’est l’attraction d’Edouard III pour les valeurs chevaleresques. C’est le type de roi qui conduit lui-même ses troupes au combat, qui organise beaucoup de tournois et qui y participe personnellement, qui s’intéresse à tous les aspects de la culture chevaleresque. Le statut de chevalier-héros était alors très apprécié. En assumant ce rôle, le roi est devenu un modèle pour ses nobles, qui sont plus obéissants à quelqu’un qui leurs est supérieur sur le champ de bataille, ou dans les tournois. Il est difficile d’estimer aujourd’hui la part de passion et celle de calcul politique? les deux sont certainement intimement liées dans la personnalité d’Edouard III qui souhaite promouvoir les idéaux chevaleresques médiévaux tout au long de son règne8). La création d’un ordre chevalier par le souverain anglais doit être comprise dans ce contexte. La création de l’Ordre de la Jarretière Les registres et les documents de l’Ordre de la Jarretière, depuis sa création et jusqu’à l’époque d’Henry V (1413-1422) ont été perdus9) et les historiens ont été contraints de reconstituer son histoire à partir de sources secondaires: les allusions occasionnelles dans les chroniques, les registres de dépenses, etc.10) Aux chevaliers 6. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 97. 7. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 17. 8. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 97 et 101. 9. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londres, W. Pickering, 1841, p. vii. 10. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England,
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qui venaient à la chapelle pour célébrer le jour de Saint-Georges, la garde-robe royale prêtait des robes de cérémonie? les registres d’inventaire constituent ainsi un témoignage qui atteste de l’existence de l’ordre11) jusqu’à nos jours. En janvier 1344, le dernier jour d’un tournoi auquel participe l’élite de la noblesse anglaise et même des chevaliers venus du continent, Edouard III annonce solennellement la création d’un Ordre chevalier, ayant pour modèle les chevaliers de la Table ronde des légendes arthuriennes12). Les informations sur cet Ordre sont très sommaires: il semble qu’il devait réunir 300 chevaliers, tenir une réunion annuelle, être présidé par le roi en personne (comme Arthur a dirigé les Chevaliers de la Table ronde13)). Il est évident qu’Eduard III désirait s’identifier au personnage le plus prestigieux, à l’avant-garde de la noblesse anglaise et considéré le parfait chevalier ; le prestige croissant qu’aurait pu obtenir le roi (dans son pays et dans les pays voisins) implique des avantages politiques significatifs. Il paraît que la recréation la «Table ronde» par Edward III a été influencée par un ordre similaire, créée un peu avant, par son cousin Alphonse de Castille14). Malheureusement, l’ordre imaginé par Edouard III n’a pas été concrétisé: l’échec de la paix avec la France et la reprise de la guerre sur le continent occupent le roi, qui se concentre dans les années à venir sur les affrontements en Flandre et en Normandie. Outre le temps, c’est l’argent qui manque, car les campagnes menées contre les Français épuisent les revenus de la couronne15). On ne sait pas exactement comment les idées du roi ont évolué: un ordre composé d’un grand nombre de nobles qui se rencontreraient seulement une fois par an pour les tournois, est devenu un ordre plus petit, composé de chevaliers intimement associés au souverain. Il est possible qu’il ait été influencé par les projets du duc Jean de Normandie (fils du roi de France et futur roi connu le nom de Jean II le Bon), qui essaie dans la même période de réunir 200 chevaliers dans un ordre dédiée à Saint-Georges et à la Vierge Marie, dans sa propre chapelle vouée aux deux saints16). Par ailleurs, l’opposition du Pape à la création d’ordres qui s’occupent de l’organisation des tournois et d’autres activités similaires, à caractère guerrier Oxford University Press, 2000, p. 3-4. 11. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londres, W. Pickering, 1841, p. ix, à consulter l’annexe 1, p. 379 et les suivantes. 12. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 7. 13. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 107. 14. Ibidem, p. 109. 15. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 9-10. 16. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 114.
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a peut être influencé le souverain pour donner à l’ordre un caractère religieux plus accentué, ce qui était nécessaire pour obtenir du prestige17). La date exacte de la création de l’Ordre de la Jarretière est un des sujets longuement discutés dans l’historiographie anglaise, depuis le début du XVIIe18) siècle et jusqu’à nos jours. Les recherches les plus récentes situent la création de l’Ordre de la Jarretière entre 1348 et 134919). Certainement, à partir des années 1350, l’ordre devient un outil important de la politique intérieure et extérieure d’Edouard III. Ce n’est pas l’histoire chronologique de l’Ordre de la Jarretière qui est le sujet de cet article? nous allons essayer de décrire son fonctionnement institutionnel: la façon dont il est structuré et comment il a été utilisé par les souverains britanniques jusqu’à 1800. La structure et les fonctions de l’Ordre de la Jarretière dans «l’Ancien Régime» L’Ordre de la Jarretière est directement subordonné au roi, son indépendance par rapport à l’Etat étant renforcée, d’une part par l’existence de ses propres dignitaires, et d’autre part par un sceau distinct de celui du royaume20). Le rituel de l’Ordre est centré sur le souverain, dont le prestige augmente évidement21). L’Ordre a ses propres officiers, qui généralement ne sont pas membres, qui occupent diverses fonctions rituelles et administratives. Il est important de remarquer les positions importantes que ces officiers détiennent dans la hiérarchie générale du royaume: «le prélat» de l’ordre est l’évêque de Winchester, le gardien de l’ordre est devenu au fil du temps le premier gardien du royaume et le héraut de l’ordre était, dès sa création, le premier héraut anglais22). Il est facile de remarquer que la double position contribue à l’augmentation du prestige de l’ordre. Saint-Georges est le principal protecteur de l’ordre. Il a été choisi, d’un côté pour ses qualités militaires et, d’un autre côté, parce qu’Edouard Ier, le grand-père (et le modèle) fondateur de l’Ordre est celui qu’impose Saint-Georges comme patron de l’Angleterre, ainsi que son emblème (une croix rouge sur un fond blanc) sur les drapeaux et les vêtements de ses soldats23). L’Ordre dispose d’une chapelle 17. Ibidem, p. 114. 18. John Selden, Titles of Honor, Londra 1614, p. 657. 19. La création d’un ordre est un processus qui prend même aujourd’hui plus d’une journée, pour ne plus parler du Moyen Age. Pour l’Ordre de la Jarretière, la création de la chapelle de l’ordre date du 6 août 1348; mais il paraît que la première réunion des membres a eu lieu une année plus tard, probablement en avril, à l’occasion de la fête de la Saint-Georges. En tout cas, l’ordre était déjà créé le 2 septembre 1349, lors de la mort d’un des 24 premiers chevaliers. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 13-14. 20. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 3. 21. Ibidem, p. 23. 22. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 148. 23. Il convient de rajouter le fait que l’ordre conçu par l’adversaire d’Edouard III, le duc Jean de Normandie (futur roi de
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dédiée à Saint-Georges, desservie par un certain nombre de clercs, où se tiennent les réunions annuelles. A l’intérieur de la chapelle, chaque chevalier dispose de sa chaise, et les murs sont décorés par les emblèmes des membres décédés24). La devise de l’Ordre est „Honni soit qui mal y pense”. Les raisons de son choix, contrairement à la légende, ne sont ni triviales, ni romantiques, mais politiques, car la devise de l’ordre se réfère à la demande d’Edouard III pour l’héritage du trône de France.
[Fig. no 1. La jarretière. Réalisée en tissu bleu (souvent en velours) avec des lettres en or (brodées en fil ou réalisées en métal et ensuite appliquées)? elle s’attache sous le genou gauche. Maximilian Gritzner, Handbuch der Ritter - una Verdienstorden aller Kulturstaaten der Welt innerhalb des XIX Jahrhunderts, Leipzig, Weber, 1893, p. 92.]
Il choisit par conséquent une devise en langue française et utilise pour la jarretière les couleurs bleu et doré (les couleurs de la famille royale française). Le texte de la devise fait référence à la légitimité de ses droits de succession: ceux qui penseraient mal de la demande du roi anglais auraient dû avoir honte25). En outre, les rituels utilisés pendant les campagnes menées en France visent à encourager l’armée et accentuer la justesse de la cause d’Edouard III; l’Ordre de la Jarretière apparaît alors en position d’honneur26). L’ordre se composait de 26 chevaliers nommés27) Compagnons, y compris le chef de l’ordre, qui était automatiquement le roi d’Angleterre. Ce nombre est complété par 26 prêtres qui devaient servir la chapelle de l’Ordre, et par 26 chevaliers pauvres et âgés, qui devaient y être soignés ; cette dernière France, Jean II le Bon) était patronné par la Vierge Marie et Saint-Georges. Il est clair que ce projet a influencé la conception de l’Ordre de la Jarretière, dès le départ. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 124. 24. Initialement, Edward III avait transformé une ancienne chapelle, dédiée à l’origine à Saint Edouard le Confesseur, à la proximité de laquelle ont été construites les diverses annexes nécessaires à l’ordre (les chambres des membres du clergé, etc.). Elle est remplacée à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle par une chapelle gothique plus grande, qui existe même aujourd’hui.. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 146. 25. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 12. 26. Andrew Ayton, The Battle of Crécy: Context and Significance, în „The Battle of Crecy, 1346”, Andrew Ayton et Sir Philip Preston Bart (ed.), Boydell, 2007, p. 4. 27. Pour que quelqu’un soit admis dans l’Ordre, il est obligatoire d’avoir le statut de chevalier. Un événement survenu en 1525 le démontré clairement: le jour de la Saint-Georges un nouveau membre a été élu? plus tard dans la journée le roi trouve qu’il n’avait pas le statut de chevalier. Il rassemble les membres de l’Ordre à nouveau dans la chapelle, déclare l’élection nulle pour non respect du statut et retire de manière symbolique les distinctions de l’Ordre. Puis Henry VIII lui confère le statut de chevalier et procède à une nouvelle élection où les membres lui donnent leur vote à l’unanimité. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londra, W. Pickering, 1841, p. xci.
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disposition n’a pas été respectée à l’époque d’Edouard III et, il semble que le nombre des chevaliers pauvres entretenus par l’Ordre à l’époque médiévale n’a jamais dépassé trois, pour des raisons financières28). Pratiquement, à partir de la fin du Moyen Age, seuls les 26 chevaliers compagnons sont considérés comme membres de l’Ordre, le clergé de la chapelle et les autres officiers exerçant des fonctions accessoires, sans bénéficier du statut privilégié de. Les membres de l’ordre étaient «élus» comme suit: chaque chevalier était tenu de présenter 9 propositions et le souverain avait le droit de choisir, sans être contraint de nommer le candidat qui avait le plus de propositions29). Les détenteurs du titre de Prince de Galles (l’héritier officiel du trône), ne sont pas membres de droit, mais ils arrivent généralement assez rapidement à y être nommés, par la procédure habituelle d’élection30). Contrairement à d’autres fraternités chevalières de l’époque, les devoirs des membres de l’Ordre de la Jarretière sont beaucoup plus réduits. Les chevaliers sont tenus d’être présents une fois par an à Windsor, à l’occasion de la Saint-Georges, où le chef de l’Ordre est célébré pendant trois jours. Outre la participation aux 4 cérémonies religieuses organisées dans la chapelle (dédiée à Saint-Georges), les chevaliers discutent des problèmes liés à la vie de l’ordre31). Les chevaliers sont aussi obligés de porter l’insigne de l’Ordre (la jarretière), etc.32) S’ils ne peuvent pas participer aux cérémonies de Windsor le jour de la Saint-Georges, les chevaliers sont tenus de porter la cape de l’Ordre, avec tous les insignes, quel que soit le lieu où ils se trouvent33). Les obligations statutaires des chevaliers devant le souverain se résument à demander l’approbation du roi en cas d’absence aux cérémonies ou pour aller à l’extérieur du royaume. En outre, bien que les statuts le prévoient expressément, les membres de l’ordre sont tenus d’être fidèles au souverain34). Les obligations d’un membre devant les autres membres sont assez réduites: les chevaliers ne sont pas autorisés à lutter les uns contre les autres (sauf lorsque leurs souverains sont en guerre), chaque membre est tenu également de payer, proportionnellement à son rang, un certain nombre de messes commémoratives après la mort d’un autre chevalier35). 28. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 125. 29. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 36 et les suivantes. 30. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 125-126. 31. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 23 32. Ibidem, p. 27 33. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 152 34. Ibidem, p. 139. 35. Ibidem, p. 139-140.
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L’ordre comme un instrument de la politique intérieure À l›époque d›Edouard III, l›Ordre de la Jarretière est visé par la noblesse anglaise. Les premiers membres sont élus parmi les nobles vertueux dans les campagnes militaires en France, et surtout dans la bataille de Crécy36). Le prestige qu’ils gagnent se reflète sur l’Ordre, et augmente le désir d’adhésion de nouveaux membres à une telle société élitiste. Ce prestige reste inaltéré un demi-siècle plus tard, quand Henry V porte à l’ordre une attention spéciale37)? les exploits des chevaliers pendant les batailles de Crécy et de Poitiers sont maintenant auréolés, en les plaçant dans un passé glorieux qui se transforme progressivement en légende. Le caractère militaire de l’Ordre sous Edouard III ne peut pas être remis en question. Nous assistons dans les deux siècles suivants à une lente transformation, où les commandants et les chevaliers sont progressivement remplacés par les principales personnalités politiques du royaume. Bien que les offices qu’il déploie soient militaires ou politiques, le rôle de l’Ordre de la Jarretière reste le même: un instrument par lequel le souverain peut attirer et fidéliser ceux qui lui sont nécessaires. Le monarque bénéficie de l’appui et de la soumission des personnalités les plus puissantes de l’époque, sans lesquelles il est presque impossible de gouverner, en leur offrant en échange du prestige. L’appartenance à l’Ordre de la Jarretière est moins valorisée que le titre de comte, en particulier lorsque celui proposé pour l’avancement en grade n’a pas de descendants38). La jarretière est attribuée pendant les XVIIe et les XVIIIe siècles principalement aux grands nobles du royaume (la moitié de ceux qui l’ont reçu entre 1660 et 1760 sont des ducs ou leurs héritiers présomptifs)? dans des cas très rares, où un non-noble est reçu dans l’ordre, le titre nobiliaire lui est conféré assez vite. D’autre part, un rang élevé n’entraîne pas automatiquement l’admission dans l’Ordre: les mérites militaires ou politiques, la sympathie, la faveur du roi ou le soutien de personnes influentes auprès de la cour sont très importants. Même parmi les ducs (rang de noblesse le plus haut en Angleterre), certains ne sont pas membres de l’ordre, tandis que la proportion de comtes ou de marquis est considérablement réduite39). Les postes élevés dans l’État ou à la cour du roi jouent un rôle clé. La grande majorité de ceux qui ont détenu des hautes dignités ont été reçus membres de l’Ordre de la Jarretière, d’où l’importance de la fonction à cette époque. 36. Richard Barber, The Military Role of the Order of the Garter, în „The Journal of Medieval Military History” 7/2009, p. 3-4. 37. Hugh E. L. Collins: The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford University Press, 2000, p. 17 38. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 135. 39. Ibidem, p. 110-116.
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Les commandants de la marine ou de l’armée sont rarement reçus dans l’Ordre.40) D’un autre côté, l’appartenance à l’Ordre est souhaitée, recherchée et même traquée. Ceux qui sont prêts à intervenir auprès des personnalités de l’époque louent leurs mérites, soulignent leur engagement et font appel au réseau de relations et d’influence dont toute personne importante dispose41). La guerre civile anglaise représente un moment de crise: quelques chevaliers de l’Ordre de la Jarretière passent du côté des parlementaires modérés ou ont une attitude oscillante. Après le retour de la monarchie, ils sont pardonnés et certains reçoivent même des fonctions pendant la Restauration42). L’attribution de l’Ordre de la Jarretière par Carol II reflète la volonté du souverain d’obtenir le soutien de différents groupes politiques, non seulement des anciens royalistes: sauf les fils de nobles morts pour la cause royale, sont reçus dans l’Ordre un ancien général parlementaire et représentant d’une ancienne famille noble, qui, au fil des générations avaient donné plusieurs membres à l’Ordre. Le rôle confessionnel de l’Ordre de la Jarretière Le caractère chrétien de l’Ordre de la Jarretière est indiscutable: patronage de Saint-Georges, rituels, devoirs des membres, chapelle au siège de l’institution. Cependant, l’obligation d’être catholique lors de l’admission dans l’Ordre est formellement introduite en 1519. Dans la société anglaise des XIVe et XVe siècles, une telle déclaration était anodine, car tous les grands nobles du royaume étaient chrétiens depuis des générations. Le problème commence à se poser suite à la Réforme qui impose une indication plus claire de la situation confessionnelle des impétrants. Les statuts indiquent clairement que les condamnés pour hérésie ne pourront jamais devenir membres43). Le fossé entre Henry VIII et la papauté, ainsi que les progrès importants de la Réforme en Angleterre vont changer sensiblement la donne. L’arrivée au trône des Stuarts, profondément catholiques, dans un pays où une grande partie de l’élite est réformée et souvent hostile aux «papistes», complique la situation. Bien que les souverains de cette dynastie essayent de promouvoir le catholicisme par tous les moyens, les réalités de la politique intérieure les obligent souvent à ouvrir l’Ordre aux nobles protestants. La Glorieuse 40. Ibidem, p. 116-129. 41. Ibidem, p. 135-137 42. Ibidem, p. 63 et la note no 10 43. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londres, W. Pickering, 1841, p. Lxxxiv.
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Révolution et l’arrivée au trône d’une dynastie protestante règlent le problème, et au XVIIIe siècle l’appartenance à cette confession devient obligatoire pour pouvoir aspirer à être reçu dans le prestigieux Ordre britannique. Le fossé confessionnel a aussi des conséquences dans la politique internationale. Au Moyen Age, on retrouve parmi les membres de l’Ordre certains monarques ibériques et certains souverains de la dynastie des Habsbourg. Au XVIIIe siècle, aucune tête couronnée, peu importe son importance et la nécessité de son alliance pour la politique anglaise, ne rejoint l’Ordre s’il est catholique. En outre, cette pratique est souvent utilisée dans le monde catholique: conformément aux statuts, la Toison d’Or (tant celle des Habsbourg autrichiens, que celle des souverains espagnols) ou bien le SaintEsprit français ne peut être donnée qu’aux catholiques? c’est une disposition strictement respectée tout au long du XVIIIe siècle44). L’Ordre comme outil de politique étrangère L’Ordre de la Jarretière n’a pas été utilisé seulement comme instrument de politique intérieure. Les statuts précisent que les membres de l’ordre peuvent être chevaliers britanniques et étrangers, et ainsi, parmi les 26 membres fondateurs, trois viennent de l’extérieur de l’Angleterre. Sur les 267 membres identifiés à ce jour pour la période allant jusqu’à 1509, 45 proviennent de l’extérieur du royaume. Il est à noter qu’en général, les étrangers sont des gens beaucoup plus importants. Il y a bien sûr, parmi eux, de simples chevaliers (en particulier des Français, des Burgondes ou même des Allemands qui luttent en France dans l’armée du roi d’Angleterre), mais le plus souvent ce sont des personnes de hauts rangs nobiliaires, et 15 d’entre eux sont des rois ou des empereurs. La répartition géographique des souverains étrangers, membres de l’Ordre de la Jarretière, montre les alliances que l’Angleterre essaie de construire: l’Empire romain-germanique, la Bourgogne, le Portugal, la Castille et l’Aragon, le Danemark, la Norvège et la Suède, etc.45) Les souverains européens sont très désireux de recevoir des décorations étrangères46). Charles Quint a été investi chevalier de l’Ordre de la Jarretière à l’âge de dix ans, et a pris la place (et le siège) après la mort de son père; son investiture fait suite à l’intervention de son grand-père, Maximilien 44. Le premier non-catholique reçus dans l’ordre le Toison d’or espagnol est Arthur Wellesley, le duc de Wellington, qui libère la péninsule ibérique de la domination française et remet les monarchies espagnoles sur le trône. Honneur et Gloire. Les trésors de la collection Spada, Société des amis du musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, Paris, f.a. [2008], p. 38-39. 45. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 132 şi 134-135. 46. Les rares exceptions comme les rois anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 188-189.
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de Habsbourg, l’empereur romain-germanique désireux de faire croître rapidement le prestige de son successeur47). L’entrée d’un souverain dans un des plus importants ordres de l’Europe est une occasion de propagande politique. Le Roi de Suède Charles XI est âgé de seulement 12 ans quand la Jarretière lui est conférée en 166848). Les membres de la régence, en tant que représentants suédois à Londres, s’efforcent de marquer l’événement d’une manière forte et rayonnante. La décoration a été remise au roi mineur à Stockholm, ville qui a accueilli des événements pendant quatre jours, dont 2 heures de feux d’artifice et d’innombrables coups de canon. La principale cérémonie s’est déroulée en présence de l’élite de la cour suédoise. L’événement a été immortalisé sur une plaque qui proclame que «l’Entente des rois sauve les peuples49)». L’installation du même roi dans la chapelle de l’Ordre, qui s’est produite deux ans plus tard à Londres, a été marquée par des festivités qui ont duré trois jours (du 28 au 30 mai 1671)50). Johann Georg II, le Prince électeur de Saxe va plus loin, en utilisant la propagande de la décoration d’un ordre si prestigieux, après son entrée dans l’Ordre de la Jarretière. Il est évident qu’en 1699, à l’occasion de son investiture, des fêtes somptueuses ont été organisées, y compris une chasse à l’ours. Mais Johann Georg II ne s’arrête pas là, le souverain Saxon crée une fête annuelle destinée à commémorer son investiture, appelée «Georgfest», qui fait référence à Saint-Georges, le patron de l’Ordre de la Jarretière, et à son propre nom. La fête annuelle est un événement important qui réunit des spectacles de la cour (du théâtre et des récitations de poèmes, des ballets, des tournois, divers concours, des feux d’artifice, etc.), la réalisation de médailles et, à deux reprises, l’édition de l’histoire de l’Ordre de la Jarretière. Les commémorations se succèdent chaque année jusqu’à la mort du prince saxon51). Frédéric Ier de Hohenzollern, roi de la Prusse et Prince électeur de Brandebourg est lui-aussi très fier de son appartenance à l’Ordre. Il a même ordonné la réalisation d’une sculpture qui le représente, vêtu en soldat 47. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londres, W. Pickering, 1841, p. lxxx. 48. Elu le 19 juin, investi à Stockholm le 29 juillet 1668, installé par representation le 28 mai 1671, George Frederick Beltz, Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its Foundation to the Present Time, London, W. Pickering, 1841, p. cxcii. 49. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 192-194. 50. George Frederick Beltz, Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its Foundation to the Present Time, London, W. Pickering, 1841, p. cxv. 51. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 194-195.
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romain, l’Ordre de la Jarretière sur la poitrine de son armure. La jarretière était alors utilisée comme modèle décoratif pour les meubles et les tableaux, toujours visible, même lorsque le souverain ne la portait pas ou qu’il n’était pas présent. Les insignes de l’Ordre ont été portés par le cortège funéraire de Frédéric Ier de Hohenzollern et ont été gravés sur son monument funéraire. Les ordres sont utilisés pour cimenter des alliances, y compris des mariages, pour acheter des amitiés, etc. et leur attribution est parfois longuement négociée. Dans certains cas, la nomination d’un souverain moins important dans un ordre prestigieux peut le déterminer à modérer ses prétentions financières, sa participation à une guerre étant achetée avec moins de subsides par la puissance qui lui a conféré l’ordre52). Dans des circonstances exceptionnelles, les généraux des puissances alliées peuvent devenir membres. Pendant la guerre de sept ans, Ferdinand, Prince de Brunswick-Lunebourg, commandant de l’armée anglo-hanovrienneprussienne, qui a lutté contre la France en Allemagne du nord-ouest et aux Pays-Bas, contribue de manière décisive, par ses victoires, à neutraliser l’armée française. Plus que le vote de remerciement que le Parlement britannique lui accorde en signe de reconnaissance, il est décoré de l’Ordre de la Jarretière par George II, roi de la Grande-Bretagne et duc de Brunswick et Lunebourg (Hanovre)53). En 1672, Louis XIV demande au roi d’Angleterre, Charles II, de conférer l’Ordre de la Jarretière à Ralph Montagu, l’émissaire anglais à la cour française, qui a joué un rôle important dans l’obtention de la neutralité de l’Angleterre dans le traité secret fait à Douvres54). En demandant cette faveur « considérable» pour roi de France, il n’hésite pas à rappeler une faveur similaire faite par son père au roi d’Angleterre lorsque, à la demande de ce dernier, l’ambassadeur français à la cour de Londres a été reçu dans l’Ordre du Saint Esprit55). Mais, apparemment, l’intervention de Louis XIV n’a pas réussi car que Ralph Montagu ne figure pas dans la liste des Chevaliers de l’Ordre56). Au XVIIIe siècle, l’Ordre de la Jarretière est devenu l’ordre le plus important de l’Europe protestante, et joue, au niveau international, un rôle équivalent à celui que la Toison d’Or, ou plus récemment, le Saint-Esprit jouent dans le monde catholique. 52. Ibidem, p. 199-200, a consulter la note no 85. 53. Ibidem, p. 208-210. 54. Le traité est conclu le 22 mai 1670. Par ce traité, l’Angleterre, traditionnellement hostile a la France et favorable aux néerlandais, s’engage à rester neutre dans la guerre entre la France et les Pays-Bas (1672-1678). R. Ernest Dupuy, Trevor N. Dupuy: The Collins Encyclopedia of Military History, ed. a 4-a, BCA, 2007, p. 617. 55. *** Œuvres de Louis XIV, T.5, Lettres particulières, Paris, Treuttel et Würtz, 1806, p. 493-494. 56. http://www.heraldica.org/topics/orders/garterlist.htm, consulté en 2013.
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L’Ordre de la Jarretière en exil Les ordres attribués par des monarques déchus en exil, ou par leurs successeurs, constituent une pratique qui remonte jusqu’à la période prémoderne. La situation des Stuarts est sans doute la plus connue. Après l’exécution du roi Charles Ier d’Angleterre en 1649, son fils, le futur Charles II, est devenu souverain de l’Ordre et continue de nommer des chevaliers pendant son exil, sans les solennités connues en Angleterre57). Après la restauration de la monarchie, l’Ordre est rétabli dans son ancien éclat. La situation devient plus compliquée après 1688, suite à l’exil des Stuarts? la Jarretière reste pourtant l’ordre anglais le plus important conféré par tous les souverains du royaume. Après avoir été banni d’Angleterre, James II, ainsi que son fils et son neveu (les deux prétendants à la couronne d’Angleterre), ont attribué l’Ordre de la Jarretière à leurs partisans les plus importants (les deux premiers ont aussi attribué l’Ordre du Chardon). Même s’ils n’étaient plus de facto sur le trône, les décorations et les titres de noblesse qu’ils conféraient étaient très populaires et souhaités par l’aristocratie anglaise qui s’affichait avec, ou commandait des portraits personnels pour les immortaliser. Il y avait même des nobles britanniques décorés, tant par les rois hanovriens installés sur le trône, que par les Stuarts exilés. Au fur et à mesure que les puissances continentales se réconcilient avec le Royaume-Uni et retirent leur soutien aux Stuarts, les décorations conférées par ces derniers peuvent plutôt causer des problèmes, et non amener du prestige? le phénomène dénommé «les ordres d’au-delà des eaux58)» s’éteint ainsi progressivement, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle59). Les enseignes de l’Ordre de la Jarretière Le monde médiéval était si plein d’insignes qu’il fallait inventer une occupation (celle de Herald) ainsi qu’une discipline (l’Héraldique) pour gérer le phénomène. À première vue, il semble étonnant de voir le rôle marginal qu’avaient les insignes au sein des ordres, pendant le XIVe siècle. On doit se rappeler que ces ordres réunissent très peu de membres (entre 14 et 50)60), et qu’en plus ils se connaissent déjà. La noblesse dont ils font partie (et qu’ils souhaitent impressionner par leur appartenance) est assez limitée, et les membres de l’Ordre sont déjà très connus. Il était donc inutile de marquer leur statut de membre par un signe extérieur. Cela 57. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 62. 58. Cette expression caractérise les ordres situés de l’autre côté de la Manche. 59. Antti Matikkala, The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour Sistem 1660-1760, Boydel, 2008, p. 211-228. 60. Richard Barber, The Military Role of the Order of the Garter, în „The Journal of Medieval Military History” 7/2009, p. 2.
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peut expliquer les dispositions statutaires qui exigeaient le port de l’insigne et imposaient des sanctions en cas de non-respect de ces dispositions. Par conséquent, les insignes de l’ordre (par rapport aux statuts applicables après 1800) sont décrits brièvement, sans trop d’explications sur le symbolisme et sans détailler l’objet (dimensions, matériaux, comment les porter, etc.). Par conséquent, il y avait au début une très grande variété: chaque insigne était unique, car réalisé sur commande, reflétant ainsi l’habileté de l’artisan créateur mais aussi les aspirations, la richesse et la fantaisie du commanditaire. Pour l’Ordre de la Jarretière, il semble que la cape soit la plus uniforme. Tous ces éléments distinctifs étaient conservés dans la garde-robe royale et distribués aux membres lors des cérémonies. L’appartenance à l’ordre était marquée à l’origine, uniquement par une jarretière61) bleue, portant la devise de l’Ordre et brodée en or. On lui rajoute très vite une représentation de Saint-Georges à cheval, en train de tuer le dragon, soit cousue sur les vêtements, soit sous la forme d’un bijou attaché à un cordon. À la fin du XIVe siècle, l’Europe occidentale connaît la vogue des colliers en or massif, et les enseignes de l’ordre sont suspendus à un tel collier62). Cette façon de porter l’insigne est formalisée par Henry VII Tudor, qui introduit le sautoir auquel il est suspendu une représentation de SaintGeorges tuant le dragon63).
Fig. no 2. «Grand George»: Saint-Georges tuant le dragon. Le bijou est réalisé en métal doré et souvent embelli de pierres précieuses? il s’attache à un collier solide. Il est aussi couramment utilisé pendant les cérémonies officielles. Maximilian Gritzner, Handbuch der Ritter - una Verdienstorden aller Kulturstaaten der Welt innerhalb des XIX Jahrhunderts, Leipzig, Weber, 1893, p. 94. 61. A l’époque, la jarretière était un accessoire utilisé par les deux sexes. 62. D’Arcy Jonathan Dacre Boulton: The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Boydell Press, 2000, p. 3. 63. Beltz, George Frederick: Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. and Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londra, W. Pickering, 1841, p. lxxviii.
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Ce bijou est souvent somptueusement réalisé, émaillé ou décoré de pierres précieuses. En parallèle avec le port quotidien, apparaît une version constituée uniquement d’un ruban bleu porté autour du cou, avec un bijou comprenant une représentation simplifiée de Saint-Georges tuant le dragon, entouré d’un Jarretière.
Fig. no 3. «Lesser George». Réalisé en or, mais plus petit, plus simple et rarement orné de pierres précieuses, l’effigie du Saint suspendue à un ruban bleu était destinée au port quotidien. Handbuch der Ritter - una Verdienstorden aller Kulturstaaten der Welt innerhalb des XIX Jahrhunderts, Leipzig, Weber, 1893, p. 92.
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Cet insigne est réalisé en métal précieux, mais rarement orné d’émail ou de pierres précieuses. En phaléristique, la version du port quotidien est appelée «Lesser George», pour pouvoir la différencier de la version plus imposante, destinée au port sur le sautoir (dénommée « Greater George «). Les plaques (ou «étoiles» comme on les appelait à l’époque) apparaissent plus tard. La Jarretière est dotée d’une plaque seulement au XVIIe siècle, sous le règne de Charles Ier. Mais à cette époque les plaques sont considérées plutôt un objet de décoration ou une pièce de vêtement, qu’un symbole de l’ordre? d’ailleurs elles ne font pas partie des éléments remis au nouveau chevalier, lors de son investiture. Parallèlement aux changements d’aspect de la décoration, les dispositions statutaires deviennent plus claires, plus précises et plus détaillées, pour arriver au début du XIXe à réglementer précisément la forme et le matériel utilisé pour la réalisation des bijoux, ainsi que la façon de les porter. Concernant les insignes extérieurs, l’Ordre de la Jarretière définit sa forme classique, celle que nous connaissons aujourd’hui, vers le début du XVIIIe siècle.
Fig. no 4. Les enseignes de l’ordre, reproduites dans une publication du XVIIIe siècle par Johann Wilhelm Rammelsberg, Beschreibung aller sowohl noch heutiges Tages florirenden als bereits verloschenen geist- und weltlichen Ritter-Orden in Europa nebst denen Bildnissen derer Ordens-Zeichen, Berlin, 1743, p. 12.
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Tous ces aspects nous aident à mieux comprendre pourquoi des exemplaires de l’ordre provenant des premiers siècles de son existence n’ont pas été conservés. Le rôle tout à fait secondaire des insignes pendant la période médiévale, leur diversité, ainsi que la pratique répandue de faire fondre les vieux bijoux pour en créer de nouveaux, plus en vogue, ont contribué à la disparition des pièces médiévales. Les pièces conservées, datant de la période pré-moderne ou encore plus récentes, sont des objets d’expositions extrêmement précieux, même dans les musées les plus célèbres. Le British Museum possède le collier le plus ancien qui a appartenu au comte William Compton de Northampton (devenu chevalier de l’ordre en 162864)). Le Musée de la Légion d’Honneur, qui abrite la plus importante collection mondiale d’ordres et de médailles, expose un exemplaire pré moderne de l’insigne de l’ordre. Les musées moins connus détiennent parfois des pièces d’exception. Le Musée national du château du Compiègne, par exemple, abrite une collection exceptionnelle qui réunit la plupart des décorations ayant appartenu à Napoléon III, conservés dans un coffre construit à l’époque spécialement pour eux. L’Ordre de la Jarretière (que le roi reçoit en 1855, pendant la guerre de Crimée) est l’un des rares cas où le public peut observer une pratique courante des personnalités politiques importantes de la période pré-moderne et moderne: faire réaliser plusieurs exemplaires de la même décoration65). Napoléon III avait un seul collier, mais deux plaques différentes, deux insignes («Lesser George») et pas moins de quatre jarretières, adaptés aux différentes exigences du protocole (pour le costume civil, pour l’uniforme, etc.)66). Seuls deux musées roumains se contentent d’être les dépositaires des pièces de l’Ordre de la Jarretière: Le Musée Peleș et le Musée national de l’histoire de Roumanie67). Evidemment, les pièces de l’ordre sont très recherchées par les collectionneurs. Très probablement la plus importante collection privée d’insignes de l’Ordre de la Jarretière appartient à Antonio Bendetto Spada et réunit plusieurs exemplaires exceptionnelles du point de vue historique, comme l’insigne du sautoir («Greater George»), qui a appartenu au roi d’Italie Victor Emmanuel III, le «Lesser George» du dernier empereur allemand Wilhelm II68), ou bien la plaque qui a appartenu à l’influent général britannique du XVIIIe siècle, John Churchill, duc de Malborough (devenu membre de l’Ordre de la Jarretière en 1702)69). D’autres 64. Garter Insigna of the Earl of Northampton, http://www.britishmuseum.org/explore/highlight_objects/pe_mla/ garter_insignia_of_earl_of.aspx, (28 novembre 2014). 65. Les décorations inventoriées après la mort de Georges IV de Grande Bretagne révèlent 55 insignes différents de l’ordre Patterson (1996), 89 ; c’est un cas exceptionnel, car la plupart des personnalités avait l’habitude de confectionner quelques exemplaires. 66. Chefdebien, Wodey [2011], pp. 54-55. 67. Il est dépositaire de l’exemplaire remis à Carol Ier en 1938. Pârvan, Opaschi, Martin (2011), 117-119. 68. Qui a été exclu de l’Ordre en 1915. 69. Chefdebien, Wodey [2008], pp. 58,68 et 70.
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pièces attirent l’attention par leur exécution exceptionnelle, par leur ancienneté (le plus ancien date du XVIIe siècle) ou par les matériaux spéciaux utilisés (un «Lesser George» réalisé en ambre70)). La collection, qui réunit au moins 43 pièces appartenant à l’Ordre de la Jarretière, est complétée par plusieurs insignes d’officiers de l’Ordre et par un manuscrit officiel datant du début du XVIIIe siècle (qui était offert aux membres lors de leur investiture71)). En Roumanie, la seule pièce qui a circulé était le brevet de l’Ordre de la Jarretière du roi Ferdinand (devenu membre en 1924)72).
Fig. no 5. La forme du costume de chevalier de l’Ordre de la Jarretière, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. G. L. Rochemont; J. Bischoff, Geschiedkundige beschrijving der oudere en nieuwere, thans bestaande ridderorden, Amsterdam, Da Cunha, 1843, Planche no 11. 70. Chefdebien, Wodey [2008], p. 63. 71. Chefdebien, Wodey [2008], pp. 83-85. 72. Vendu en 2011 par la Maison de ventes aux enchères Artmark. La vente aux enchères Roumanie Royale (25011), p. 101.
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Une décoration représente beaucoup plus qu’une pièce exposée dans une vitrine, peu importe sa splendeur et son magnétisme qui attirent les regards. Pendant des siècles, les bijoux de l’Ordre de la Jarretière avaient un rôle secondaire par rapport à la symbolique et au prestige conférés par le statut de membre. Les pièces de l’ordre étaient simplement des objets de décoration spectaculaires, nécessaires à la scénographie qui marquait l’entrée dans l’ordre et le transfert de prestige du souverain anglais vers le nouveau membre. Autrement, les personnalités du royaume auraient pu commander ces bijoux auprès de leurs bijoutiers, avec beaucoup moins de frais et d’efforts. C’est le prestige de l’ordre qui est incomparablement plus précieux que la valeur marchande des pièces, et qui permet au souverain d’utiliser la jarretière comme outil de gouvernement. Le prestige extraordinaire de cette institution (qui a augmenté avec chaque génération, par l’entrée dans l’ordre de nouvelles personnalités prestigieuses) a transformé l’Ordre de la Jarretière en un modèle à suivre, par les souverains qui voulaient mettre en place des institutions identiques dans leurs Etats. Par conséquent, l’Ordre de la Jarretière a joué un rôle fondamental dans la création du système pré-moderne de décorations, un rôle qui a atteint ses objectifs seulement vers le début du XIXe siècle. Bibliographie Ayton, Andrew. „The Battle of Crécy: Context and Significance”, en Andrew Ayton; Sir Philip Preston Bart (ed.), 2007, The Battle of Crecy, 1346, Woodbridge: Boydell Press, p. 1-34. Barber, Richard. „The Military Role of the Order of the Garter”, en The Journal of Medieval Military History, 7 (2009), p. 1-11. Beltz, George Frederick. 1841. Memorials of the Most Noble Order of the Garter, from its foundation to the present time. Including the history of the order; Biographical Notices of the Knights in the reigns of Edward III. And Richard II., the chronological succession of the members and many curious particulars relating to English and French history from hitherto unpublished documents. Londres, W. Pickering. Boulton, D’Arcy Jonathan Dacre. 2000. The Knights of the Crown: The Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe, 1325-1520, Woodbridge: Boydell Press. Chefdebien, Anne; Wodey, Laurence (coord.). [2008]. Honneur et Gloire. Les trésors de la collection Spada, Paris, Société des amis du musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie. Chefdebien, Anne; Wodey, Laurence (coord.) [2011]. Ecrins impériaux. Splendeurs diplomatiques du Second Empire, Paris: Société des amis du musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie.
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Collins, Hugh E. L. 2000. The Order of the Garter, 1348-1461. Chivalry and Politics in Late Medieval England, Oxford: Oxford University Press. Dupuy, R. Ernest; Dupuy, Trevor N. 2007. The Collins Encyclopedia of Military History, 4eme edition, BCA. Garter insignia of the Earl of Northampton, http://www.britishmuseum.org/explore/ highlights/highlight_objects/pe_mla/g/garter_insignia_of_the_earl_of.asps, (le 28 novembre 2014) Les Enchères Publiques Royales Roumaines. Mardi, le 27 septembre 2011, 19h30 à l’Opéra national de Bucarest, Bucarest, la Galerie Artmark, 2011. Louis XIV. 1806. Œuvres de Louis XIV, T.5, Lettres particulières, Paris: Treuttel et Würtz. Matikkala, Antti. 2008. The Orders of Knighthood and the formation of the British Honour System 1660-1760, Woodbridge: Boydel Press. Pârvan, Katiușaș Opaschi, Cătălinaș Martin, Tudor. 2011. L’honneur des nations. Ordres et décorations appartenant au patrimoine du Musée National d’histoire de Roumanie, Tome I, Târgoviște: La forteresse. Patterson, S. 1996. Royal Insigna. British and Foreign Orders of Chivalry from the Royal Collection, Londres: Merrel Holberton. Selden, John. 1614. Titles of Honor, Londres: Thomas Dring. Velde, Francois. List of the Knights of the Garter, http://www.heraldica.org/topics/ orders/garterlist.html, (le 6 mai 2013).
Simion Câlția est chargé d’enseignement à la Faculté d’Histoire de l’Université de Bucarest? il donne des cours d’histoire urbaine du XIXe et XXe siècles et d’histoire des ordres et des médailles. Docteur en histoire, avec une thèse en histoire urbaine soutenue à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, intitulée: «Agglomérations urbaines ou rurales? Les villes des Principautés Roumaines à partir de la fin du XVIIe siècle et jusqu’au XIXe siècle», Edition de l’Université de Bucarest, 2011. Ses recherches en phaléristique visent à élargir la portée du domaine, analysant les décorations en tant qu’instruments politiques ou mécanismes sociaux. Etudes récentes: Décorations et discours politique pendant le règne de Charles Ier, in «Penser le XIXe siècle. Nouveaux chantiers de recherche», Edition de l’Université Alexandru Ioan Cuza, Iași, 2013, p. 223-252; The orders of Charles I’s reign as a support for a political discourse, annales de l’Université de Bucarest, 1/2014. [simioncaltia@hotmail.com]
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«Victorian taste» à Iași pendant le XXe siècle: faïence anglaise portant la marque du producteur, appartenant aux collections du Musée d’histoire de Moldavie Ioan Iațcu (Complexe muséal national Moldavie)
Abstract Archaeological researches created during the period 1978-1979, in the area of the nowadays location of the Tribunal of Iaşi, led to the discovery of two faience plates, which are at present part of the patrimony of Moldavia’s History Museum in Iaşi. These plates were meant for the common people, were made by two different English manufacturers, in the “transfer printing” technique. The printing of the first plate shows composition with birds, and on the verso the manufacturer’s stamp which contains the word “Zoological” and the monogram W&B. These elements indicate it was achieved in the Wood & Brownfield workshops in Cobridge, during the period 1841-1850. The second item is a small plate ornamented with personages within an oriental frame. The manufacturer’s stamp contains the word “Kulat” and the monogram P B &H, thus pointing to the Pinder, Bourne & Hope company in Burslem, which created such items during the period 1851-1862. The presence of the plates point out the tendency of the high class of the city of Iaşi at mid-19th century, for the purchase of luxury items made in the British Isles.
Keywords: Iaşi, English manufacture, faience, transfer printing, monogram, birds, oriental frame
Certes, les fouilles archéologiques effectuées à Iași ont mis en évidence une importante quantité de fragments de faïence ou de porcelaine provenant de l’espace européen, micro-asiatique ou de l’Extrême-Orient? mais le manque d’informations écrites ou plutôt le manque d’intérêt pour ce matériel «moderne» a créé un vide dans l’étude de l’évolution de la ville moderne, et ce dans un contexte de développement du concept «urban archaeology» (archéologie urbaine). Ce matériel, la faïence, est souvent présent dans les fouilles archéologiques effectuées dans le site historique de Iaşi et plus encore. Si, du point de vue de la technique d’exécution on peut faire quelques observations, l’état avancé de fragmentation des objets rend difficile leur attribution à des centres de production ou à des manufactures. Les fouilles archéologiques systématiques de la cour royale de Iași, effectuées dans les années 1960 ont conduit à la découverte de quantités impressionnantes de faïence et de porcelaine provenant de divers centres asiatiques (des assiettes et des bols chinois ou ottomans1)) et européens (des morceaux des assiettes anglaises 1. Andronic, Neamţu, Dinu (1967), 236, Fig. no 38
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datant de la première moitié du XIXe siècle). De plus, les fouilles archéologiques réalisées entre 1978 et 1979 par Nicholas N. Puşcaşu et Maria Voica Puşcaşu dans l’actuel site du Tribunal de Iași, situé à la proximité du palais royal, ont contribué à mettre en valeur un riche matériel céramique, de provenance autochtone ou importé. La deuxième catégorie met en évidence deux assiettes inédites en faïence anglaise, appartenant aux collections du Musée d’histoire de Moldavie, qui font d’ailleurs l’objet de notre étude. Jusqu’en 2008 elles faisaient partie de la catégorie des objets qui reflétaient l’époque moderne, dans l’ancienne exposition permanente. Pendant les travaux de restauration du Palais culturel, elles ont été conservées dans les entrepôts de l’institution, et présentées au public uniquement pendant les expositions temporaires. La recherche des deux artefacts relie les analyses techniques et stylistiques aux données de la littérature spécialisée, avec pour but de les intégrer au contexte socio-économique moldave du milieu du XIXe siècle2). * o La première pièce (Fig. n 1), ayant comme numéro d’inventaire 16.514, est une assiette fragmentée en faïence, avec les bordures en forme de feuille, appartenant à un service de table. Ses dimensions sont de 2,2 cm pour le grand diamètre et de 13,5 cm pour le petit diamètre.
Fig. no 1. Assiette modèle Zoological, produite dans la manufacture Wood & Brownfield
L’assiette est peinte en couleur marron-café, avec des motifs ornementaux extrêmement riches. La bordure est réalisée en carreaux et tout autour de la 2. Ibidem, 236, fig. 39, 40
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frange intérieure il y a des feuilles et des fleurs disposées en alternance. Le centre représente deux oiseaux aquatiques, un rameur et une grue, tandis que les plans secondaires représentent des petits pavillons situés en bord d’étangs. Le socle de l’assiette présente un cartouche composé d’une bordure d’éléments végétaux, surmonté d’une couronne encadrant le logo «Stone Ware» et le monogramme «W & B». En dessous, sur une bande, il est inscrit le nom du modèle imprimé: «Zoological» (Fig. no 2).
Fig. no 2 Assiette modèle Zoological - détail portant la marque du producteur
Cette conception a été lancée par la manufacture Robinson, Wood & Brownfield (c. 1836-1841), reprise par son successeur Wood and Brownfield (1841-1850). Par conséquent, elle a été attribuée à la période 1837-18503). Mais si on prend en compte le monogramme W&B, la réalisation de l’assiette découverte à Iași a été attribuée à la période 1837-18504). En outre, nous savons que le modèle a été produit dans une variété de couleurs: bleu, violet ou rose. La dentelle de la 3. http://www.brownfield.pwp.blueyonder.co.uk/Plates.htm (22 September 2014) 4. http://www.brownfield.pwp.blueyonder.co.uk/Earthenware.htm (23 September 2014): „Few items from the 1840s are found with clear marks. Those from the 1850s and 1860s usually have a printed mark or impressed registration diamond”; pour analogies à consulter la section „Earthenware. Plates”
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bordure et le réalisme de la composition centrale semblent créer un pont entre les modèles précédents des années 1820 et les nouveaux modèles, appartenant au romantisme spécifique à la période des années 1830.5) Des détails sur la société Wood and Brownfield Earthenware Factory de Cobridge, Stoke-upon-Trent, du comté anglais Staffordshire, sont fournis par un texte reproduit de The Pottery Gazette en 1886. Ainsi, la société Robinson & Wood Brownfield (c. 1836-1841) a déployé son activité dans les ateliers situés à Waterloo Road, construits en 1808. Après la mort de Robinson, la manufacture a poursuivi son activité sous la dénomination Wood and Brownfield (1841-1850). A partir du 1er novembre 1850, après le retrait de Wood, William Brownfield (18121873) travaille seul et produit jusqu’en 1871 uniquement des objets en faïence. En 1871 il s’associe avec son fils aîné, William Etches Brownfield6) et ouvre la production aux objets en porcelaine, ce qui amène un grand succès. Pendant cette époque, le travail est assuré par les 500 employés que compte l’entreprise depuis 18507). Des questions moins connues sur les conditions de travail des ouvriers ont été rendues publiques suite aux entretiens réalisés en 1841 par Samuel Scriven, au bénéfice de la Royal Commission on Children’s Employment, avec les anciens employés des ateliers Wood and Brownfield. Il s’agit de 24 femmes ouvrières, dont 10 enfants de moins de 13 ans, semi analphabètes, qui travaillaient de sept heures du matin à six heures du soir, avec une demi-heure de pause pour le petit déjeuner et une heure pour le dîner, mais aussi du temps libre pour jouer, sans normes supplémentaires, tel que relève le témoignage de deux chefs de productions, Sarah Morris et Ann Bradbury8). Mais le témoignage d’un enfant de 8 ans, Robert Humphries, qui manipulait les petits wagons de transport, nous apprend que le programme de travail était épuisant9). Ces détails nous confèrent une vue différente sur ces produits de luxe, très appréciés par un segment réduit de consommateurs, qui étaient en fait le résultat d’un effort déployé par des enfants, qui constituaient de la main d’œuvre pas chère et un sujet sensible. Dans sa série de porcelaines «Zoological», Wood & Brownfield a realisé un large éventail de modèles, tels que: «Antelope», «Camel», «Lion Cages», «iger Cages», «Zebra Pen», «Rhinoceros stylo», «Ostrich Pen», «Kangaroos», ainsi qu’une variété d’oiseaux. Ce modèle a été produit pour la première fois pour rendre hommage à l’inauguration du London Zoological Garden en 1828. De nombreux animaux étaient alors considérés comme des curiosités et n’étaient pas connus du public10). Les aménagements destinés au zoo étaient une attraction pour les visiteurs, surtout en raison de la présence d’espèces exotiques jamais connues 5. http://dishynews.blogspot.ro/2013/12/zoological-gardens-some-source-prints.html (23 septembre 2014) 6. http://www.thepotteries.org/allpotters/193.htm (25 septembre 2014): „from 1871 some marks had „& Son” 7. Danckert (1992), 111 8. http://www.thepotteries.org/advert_wk/025.htm (22 septembre 2014) 9. http://www.thepotteries.org/advert_wk/025.htm (22 septembre 2014) 10. http://spodeabc.blogspot.ro/p/z.html (23 septembre 2014)
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par les Britanniques et du fait que London Zoological Garden n’a pas été ouverte au grand public jusqu’en 184711). Il est possible que la source d’inspiration de ce thème soit les lithographies de George Scharf (1788-1860), qui les a inclus dans son ouvrage intitulé Six Views of the Zoological Gardens (1835)12), mais la mode constituant à représenter des animaux sauvages dans la décoration des objets en porcelaine existait en France dès 182613). Les compositions «Zoological» réunissent diverses espèces d’animaux admirés par les visiteurs. Les petites clôtures très fragiles, dont la hauteur arrive parfois jusqu’aux genoux des animaux, ne semblent pas offrir une protection suffisante aux visiteurs, les représentations suggérant ainsi une ambiance idyllique, propre au romantisme. Cependant, les assiettes ainsi décorées reflétaient l’image des zoos. Parmi les manufactures britanniques qui ont produit des tels modèles on peut mentionner: Ralph & James Clews, Hicks et Meigh et P. W. & Co14). La deuxième pièce (Fig. no 3), ayant comme numéro d’inventaire 16.177, est une assiette fragmentée en faïence fragmentaire, qui, faisait probablement partie d’un service de table. Les dimensions sont de 15 cm pour le grand diamètre et de 6,5 cm pour le petit diamètre. Le modèle «Kulat» est imprimé sur la surface interne de l’objet, en utilisant la technique de la peinture à patron manuel, avec pour couleur dominante le noir sur blanc.
Fig. no 3 Petite assiette modèle Kulat, produite dans la manufacture Pinder, Bourne & Hope 11. http://dishynews.blogspot.ro/2013/12/zoological-gardens-some-source-prints.html (23 septembre 2014) 12. Barshter (2006), 7 13. Majer (2009-2010), 123-161 14. Barber (1899), 160
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Il s’agit d’un style de décoration asiatique, avec une bordure composée de tiges végétales entrelacées encadrant une série de vignettes qui décrivent un château situé au bord d’un lac où d’une rivière, ainsi que deux pécheurs au premier plan. Le tableau central montre trois petites silhouettes humaines en costumes orientaux - deux assis par terre et une se tenant debout - devant une entrée qui donne vers une grande cour ouverte et flanquée de grandes colonnes de chaque côté. Au premier plan de la composition, on observe des fragments d’architecture, tandis que dans le plan éloigné on observe les contours de minarets, de flèches et de dômes, mais aussi des crêtes des montagnes. Le tableau est entièrement encadré par des palmiers et des végétations luxuriantes15). Sur le socle on observe la marque de fabrication, le nom du modèle situé à l’intérieur d’un cadre composé de feuilles et de tiges, ainsi que le monogramme PB & H. L’inscription se superpose à un marquage réalisé par la technique de l’impression, et représente une ancre flanqué par les lettres M et H (Fig . no 4).
Fig. no 4 Petite assiette modèle Kulat – détail portant la marque du producteur
Les initiales PB & H ont été utilisées par le fabricant Pinder, Bourne & Hope (c. 1851-1862) dans les ateliers de Burslem16), une des six banlieues qui font actuellement partie de la ville Stoke-upon-Trent du comté anglais de 15. Campbell, Gumbley, Hudson (2007), 192, 201, fig. 1/l 16. http://www.thepotteries.org/allpotters/799.htm (18 July 2014).
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Staffordshire. Thomas Pinder, le fondateur principal de cette société était le propriétaire de plusieurs manufactures de porcelaine. Il a dirigé entre 1849 et 1851 les ateliers situés au marché «Swan» („Swan Bank Pottery”)17). Entre 1851 et 1852 il s’occupe des manufactures situées au marché «Fontaine» («Fountain Place Works»)18), où il met les bases, à côté de deux céramistes locaux - Joseph Harvey Bourne et John Hope, de l’entreprise Pinder, Bourne and Hope, qui gardera cette équipe jusqu’en Janvier 1862. En 1860 la société déménage son activité dans les manufactures de «Nile Street», et deux ans plus tard, en 1862, John Hope quitte ce partenariat pour retourner à Fountain Place Works (Fig. no 519)), où il travaille en association avec John Carter, tandis que les ateliers de «Nile Street» continuent à travailler sous le nom Pinder, Bourne et Co. jusqu’en 1882.
Fig. no 5. Burslem. Les manufactures de la Place Fountain en 1840 (apud novembre 2014)
Les produits de cette manufacture étaient surtout destinés aux marchés de l’Amérique du Sud, de la Russie, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande20). Les fouilles archéologiques effectuées à «Wanganui Hotel», dans la ville de la Nouvelle-Zélande portant le même nom (Whanganui), ont révélé que, parmi les 21 manufactures de porcelaine britannique certifiées, cette société se remarquait par le grand nombre de pièces fabriquées sous trois modèles différents. Le modèle prédominant était le «Kulat», que l’on retrouve sur six objets en faïence. Par rapport à d’autres entreprises, cette société est très soucieuse de labéliser ses produits21). Entre 1878 et 1882, John Doulton le nouveau propriétaire de la société Pinder, Bourne and Co. décide de ne pas 17. http://www.stokearchaeologysociety.org.uk/Clayhanger/history.html (14 July 2014 18. Les ateliers etaient detenus entre 1818 et 1845 par de Enoch Wood & Sons, à consulter l’adresse: http://www. thepotteries.org/potworks_wk/084.htm (5 novembre 2014) 19. http://www.thepotteries.org/potworks_wk/132.htm (14 July 2014) 20. Furey (2010), 8 21. Campbell, Gumbley, Hudson (2007), 59, 64, 66, à consulter les tableaux 4.14, feature 525
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de produire de la céramique portant le nom Doulton and Co., et d’utiliser l’ancien logo: Pinder, Bourne and Co22). Par conséquent, la qualité du produit qui lui a assuré réputation et prestige a permis à la manufacture de rencontrer un grand succès (la médaille d’argent) lors de l’Exposition universelle de Paris en 1879. Illustred Catalogue of the Paris international Exhibition mentionnait à l’époque: „Messrs. PINDER, BOURNE & Co., of England, manufacture only earthenware, but that branch of ceramic Art they carry near to perfection. The silver medal awarded to them has been well earned, for among their exhibits are many admirable works entitled to high praise for good modeling and good painting; while their designs are not often by the more ambitious producers of porcelain. Our selections are made from a large assemblage of production that do credit to the firm23)”. On peut supposer que la deuxième marque additionnelle, réalisée par impression, appartient au décorateur. Cette hypothèse est confirmée par une assiette produite par l’entreprise Pinder, Bourne and Hope, entre 1862 et 1882, pour évoquer l’Exposition universelle de Londres de 1851. Le label «Crystal Palace, P.B. & H.» inscrit sur le socle de l’objet est accompagné de la marque du décorateur, réalisée par l’impression, soit les lettres M et H qui encadrent une ancre24). On peut remarquer que les services de table en faïence du modèle «Kulat» ont été produits entre 1851 et 1862, en noir et en bleu. La ligne de production du modèle a été maintenue plus tard, jusqu’en 188225), en conservant l’ancien monogramme, Pinder, Bourne & Co, comme l’atteste un morceau de vaisselle appartenant aux collections du Musée Powerhouse de Sydney, en Australie26). * L’analyse des éléments trouvés dans le site historique de Iași, nous révèle une préoccupation du consommateur local pour les produits en faïence complexes, à composition figurative, caractérisés par l’équilibre et la symétrie, qui partagent en même temps des images exubérantes de plantes et d’animaux 22. Ibidem, 199 23. *** „Illustred Catalogue of the Paris international Exhibition. X”, The Art Journal (1875-1887), N. S., 5 (1879), 50 24. http://archive.museumoflondon.org.uk/ceramics/pages/object.asp?obj_id=56161 (27 septembere 2014); http:// www.typenet.com/html/commemorative_plates.html (27 septembere 2014) 25. Simmons (2013), 255, 262, fig. 8.11 26. http://www.powerhousemuseum.com/collection/database/?irn=173090 (14 July 2014)
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issus de contes orientaux27). L’identification des deux objets en faïence amène plus de détails sur les appétences des familles de Iași, ainsi qu’une petite tache de couleur dans ce paysage urbain où, sur l’emplacement de l’actuel Tribunal étaient construites les anciennes maisons de l’homme politique Anastase Panu. Il y a vécu à partir de 1856 (Fig. no 6), après l’héritage de ses parents Panaite et Elena Panu, et jusqu’à sa mort à Vienne, en 186728).
Fig. no 6 Maison d’Anastasie Panu en 1912 (apud Anghel, 1995, 95)
Le processus d’occidentalisation spécifique au milieu du XIXe siècle a fait sentir sa présence dans les habitudes alimentaires de l’élite de Iași, qui utilisait des recettes culinaires importées d’Occident29), avec un produit fini (le plat) servi dans de la vaisselle d’origine européenne. Pour éviter les vols ou les incendies, la vaisselle était conservée, à côté d’autres objets de valeur, dans un endroit protégé et équipé de volets métalliques, appelé «gherghir». En ce qui concerne l’habitude de conserver les objets de luxe, un bon exemple est celui du chancelier Anastase Bașota, (1798-1869), propriétaire de plusieurs immeubles à Iasi et à Botoşani. Il détenait dans le salon de son manoir de Pomârla, dans la région de Dorohoi, «des armoires remplies de toutes sortes de couverts, argenteries, services de table en faïence ou en porcelaine, dont beaucoup dépareillés, certains brisés, mais tous bien gardés30)». 27. Hughes (f.a.), 168; Emerson, Chen, Gates (2000), 177-179, 205 28. Anghel (1995), 91-95 29. Drăghici (1846) 30. Sturdza (2004), 390
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La présence de tels objets dans les fouilles archéologiques vient compléter les constatations de William Wilkinson, qui observait en 1820 d’une manière assez subjective, que «la Valachie et la Moldavie sont maintenant approvisionnées par l’Allemagne avec toutes sortes ... soit par voie terrestre soit par voie fluviale (le Danube). Le calicut uni et imprimé, la verrerie et la faïence (Earthenware) qu’on trouve sur ces marchés sont d’origine allemande, sans distinction ; mais on les appelle des marchandises britanniques et, en tant que telles, elles sont vendues à des prix beaucoup plus élevés tant que leur véritable origine reste inconnue31)». Ce n’est pas par hasard qu’on attribuait à ces produits des origines britanniques, car les marchandises venant d’Angleterre étaient connues et appréciées par la haute société locale, comme le montrent les fouilles archéologiques réalisées à Casa Burchi-Zmeu de Iași, qui ont permis de trouver des fragments d’objets en faïence de la gamme «Creamware», le modèle «Royal», produits entre 1762-1820. La situation en Roumanie peut être comparée avec celle d’autres régions éloignées du monde, telles que l’Argentine, où la provenance des objets en verre et en faïence était la fois attribuée au Royaume-Uni, à la France et aux Pays-Bas32). Nous constatons ainsi que, pendant la première moitié du XIXe siècle, dans les Principautés roumaines, l’intérêt pour les produits exotiques augmente. Le marché a été rapidement monopolisé par les marchandises britanniques, tel que le remarquait l’archéologue roumain Gheorghe Cantacuzino (Gh. Cantea), «certains objets représentaient même les monastères roumains, tandis que d’autres comportaient une décoration orientale, bien que leur marque de fabrication soit britannique. Tous ces objets en faïence étaient réalisés en Angleterre, selon des modèles provenant de notre pays, des Balkans ou du Moyen-Orient, pour être ensuite exportés dans tous ces pays, où ils étaient demandés et adorés par les riches33)». Depuis 1814, certains motifs inspirés de la réalité urbaine de Iași sont devenus les thèmes préférés des porcelaines d’origine viennoise, comme par exemple le palais royal d’Alexandre Moruzi qui a été représenté sur une assiette ovale par le peintre miniaturiste Jakob Schufrid34). A partir de Faenza (Italie) et suite à la généralisation de la technique de fabrication et de production industrielles dans différents ateliers européens, la faïence a connu une expansion rapide en Europe35), pendant le XVIIIe et le XIXe siècle, en particulier à l’époque de la Reine Victoria 31. Voyageurs étrangers parlant sur les Principautés Roumaines du XIXe siècle, Nouvelle série, I, 1800-1821, G. Filitti, B. Marinescu, Ş. Rădulescu-Zoner, M, Stroia, Ed. Académie roumaine, Bucarest, 2004, 624 32. Schávelzon (2013), 16 33. Cantea (1959), 127, pl. CIII/1-2 34. Iftimi (2009), 263 35. Mănucu-Adameşteanu et alii (2003), 27; Rough (1896), 77
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d’Angleterre (1837-1901). L’achat des services de table en faïence est devenu extrêmement accessible à Iași et à Bucarest, après le développement des routes commerciales qui reliaient les ports du Danube (Galați, Brăila et Giurgiu) aux îles britanniques. La découverte de ces pièces de vaisselle décrit en outre le raffinement de l’aristocratie moldave, traduit l’appétence pour les objets d’origine européenne36) sans renoncer aux produits orientaux, plus accessibles, tout en conservant un caractère de compilateur de goûts et de styles. L’intérêt pour les objets en porcelaine chinois37) et le goût pour la faïence de l’Angleterre victorienne, montrent que les nobles et les boyards des deux principautés roumaines étaient au courant de la mode de leur époque, assimilant les habitudes de luxe des nobles familles orientales et européennes. Bibliographie A. Andronic, E. Neamţu, M. Dinu, „Les travaux archéologiques de la Cour royale de Iaşi”, L’archéologie de Moldavie 5 (1967), p. 169-285. R.-E. Anghel, „Maison d’Anastasie Panu (I)”, Ioan Neculce. Le bulletin du Musée d’histoire de Moldavie (nouvelle série) 1 (1995), p. 91-95. Barber, E.A. 1899. Anglo-American pottery: old English china with American views, a manual for collectors. Indianapolis. Barshter, N. 2006, Summer. „Giraffomania”, Transferware Collectors Club Bulletin. https://www.transcollectorsclub.org/bulletin_previews/articles/06summer_ giraffomania.pdf (27 septembre 2014). Campbell, M., Gumbley, W., Hudson, B. 2007. Archaeological Investigations at the Bamber House and Wanganui Hotel Sites (Town Sections 79 and 77), UCOL Whanganui Converge Redevelopment, Wanganui, Report to the New Zeeland Historic Places Trust and The Universal College of Learning. http://www.cfgheritage.com/2007_44ucol.pdf (25 September 2014). Gh. Cantea, „Recherches archéologiques sur la colline Mihai Vodă et aux alentours”, in I. Ionaşcu (red.). 1959. Les Bucarest d’autrefois dans la lumière des travaux archéologiques. Bucureşti: Edition Scientifique, p. 91-143. Danckert, L. 1992. Handbuch des Europäischen Porzellans. München: PrestelVerlag. Drăghici, M. 1846. Les 500 recettes testées dans la grande cuisine de Robert le premier chef de la Cour française. Iaşi: La typographie de l’Institut de l’abeille. Emerson, J., Chen, J., Gates, M. G. (2000). Porcelain Stories. From China to Europe. Seattle: Seattle Art Museum in association with University of Washington Press. Furey, L. 2010. Wellington Inner City Bypass Archaeological Investigations Arthur Street, Cuba Street, Tonks Avenue, vol. III, Ceramics, Stoneware, Leather and Miscellaneous Items, Reports to the New Zeeland Historic Places Trust and the New Zeeland Transport Authority. 36. Rosetti (1959), 160; pl. CXIV/15-17; fig. 56 37. Ibidem, 160, pl. CXIV/11-14
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http://environment.nzta.govt.nz/heritage/files/Furey52.pdf (27 September 2014). Hughes, G. B. f.a., English and Scottish Earthenware, 1660-1860. Londres. S. Iftimi, „Le Palais de la culture de Iaşi. Une rétrospective historique”, in D. Ivănescu, C. Mihalache (eds.). 2009. Patrimoine national et modernisation dans la société roumaine: institutions, acteurs, stratégies. Iaşi: Edition Junimea, p. 259-283. Jervis, W.P. 1896. Rough notes on pottery. Newark, N.J. M. Majer, „La Mode à la girafe: Fashion, Culture, and Politics in Bourbon Restoration France”, Studies in the Decorative Arts 17 (2009-2010), 1, p. 123-161. Gh. Mănucu-Adameşteanu et alii, „Une pharmacie de Bucarest de la fin du XIXe siècle”, Bucarest. Documents d’histoire et de muséographie 17 (2003), p. 26-63. D. V. Rosetti, „Curtea Veche”, in I. Ionaşcu (red.). 1959. Le Bucarest d’autrefois dans la lumière des travaux archéologiques. Bucarest: Edition Scientifique, p. 145-170. D. Schávelzon, „Argentina and Great Britain: Studying an Asymetrical Relationship through Domestic Material Culture”, Historical Archaeology. Journal of the Society for Historical Archaeology 47 (2013), 1, p. 10-25. Simmons, A.L. 2013. Soldier’s Foodways: Historical Archaeology of Military Comestibles in the Waikato Campaign of the New Zeeland Wars, Thesis, University of Otago, Dunedin, New Zeeland. http://otago.ourarchive.ac.nz/handle/10523/4545 (25 septembre 2014). M. D. Sturdza, „Le Grand Chancelier et Chevalier Anastase Başotă”, in M. D. Sturdza (coord.). 2004. Les grandes familles nobles de Moldavie et du Principauté de Valachie. Encyclopédie historique et biographique, I, Abaza-Bogdan. Bucureşti: Simetria, p. 382-401.
Ioan Iațcu est muséographe de 1er degré au Musée d’histoire de Moldavie, au sein du Complexe muséal national “Moldavie” de Iași. Son activité est orientée vers la recherche et l’exploitation du patrimoine muséal. A partir de 2011 il est docteur en histoire, avec une thèse intitulée «Constructions religieuses chrétiennes à Sciția Minor pendant les IV-VIe siècles». Ses centres d’intérêt sont l’archéologie grécoromaine et paléochrétienne, l’histoire de l’art paléochrétienne, l’archéologie du 1er millénaire après Jésus-Christ dans les Carpates orientaux, le pèlerinage chrétien. Il suit le parcours traditionnel de l’institution muséale de Iași et ajoute pendant les deux dernières années des préoccupations scientifiques pour la topographie et l’archéologie de la ville de Iași pendant les XVIIIe et le XIXe siècle? il s’intéresse également aux activités de recherche de l’archéologie préventive. La mise en valeur des biens culturels découverts constitue pour lui une préoccupation continue, au sein des manifestations et des expositions organisées par son institution, dans l’édition de catalogues d’exposition (l’Art du pèlerinage. Objets chrétiens dans l’espace des Carpates orientaux dans les IV-XVIe siècle, Iași, 2011), et dans des articles scientifiques auxquels s’ajoute la participation à des congrès et symposiums nationaux et internationaux. [iatcu80@gmail.com]
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Le motif du miroir dans la peinture moderne E. Manet, F. Sirato, Al. Ziffer OANA PĂDUREȚU (Musée national d’art de Roumanie)
Abstract I choose to look in the mirror of five modern paintings by approching the philosophical background of M. Foucault and H. Gadamer, regarding the relationship between the pictorial representation and the image reflected by a mirror placed inside picture itself. Closing together three paintings of the wellknowen French artist E. Manet and two ones from the Romanian modern artists F. Şirato and Al. Ziffer, I’ve been following in detalis the way those artists had made up a selection and reproduced just a little piece of the real world they live in, so as to keep the viewers constantly aware of the truth revealed by an art work.
Keywords: Modern painting, Manet, Şirato, Ziffer, Nana, Zola, mirror, selfportrait, relationship between the pictorial representation and the reflected image.
Par essence, le miroir est considéré par M. Foucault comme une expérience mitigée, un intermédiaire entre les utopies et les hétérotopies. Il constitue une utopie car il nous rend présents et visibles dans un endroit où nous ne sommes pas. Il constitue aussi une hétérotopie parce qu’il existe dans le même endroit que le contemplateur et exerce sur lui un effet rétroactif: au moment de la réflexion, le contemplateur se découvre lui-même, absent de l’endroit où il est en réalité1). Le regard du miroir me concerne moi et m’oblige à me pencher sur le Soi, m’oblige à me reconstituer et à réaliser une sorte d’introspection de l’image réfléchie. Cette image prend position à l’intérieur de l’image représentée par le tableau. Je propose une analyse de l’image réfléchie par le miroir, de sa contribution à améliorer la perception de l’œuvre artistique et du message que l’artiste souhaite transmettre au public. Selon Gadamer, le concept de la peinture (Bild) est analysé de point de vue ontologique, par différence entre le tableau et sa copie (Abbild) et en fonction de sa relation avec le monde. En d’autres termes, la représentation est non seulement la reproduction de la réalité, mais une manifestation du signifié, du prototype (Urbild). L’image du miroir est la copie idéale: ce que le miroir reflète est l’image du signifié (du Non-Être) qui n’est pas un être en tant que représentation. Par contre, le tableau a sa propre valeur d’être2). Le motif du miroir dans un tableau rassemble la représentation et l’image, respectivement le prototype et sa copie. 1. Foucault (2001), p. 254-255 2. Gadamer (2001), p.112-113
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L’interprétation de l’image réfléchie nous permet de saisir sa communication ontologique, à l’intérieur du tableau avec le signifié, en révélant la vérité (l’Etre) de la représentation, son essence. La representation du miroir dans une peinture n’est pas l’apanage de la modernité, elle s’inscrit dans une longue histoire qui va jusqu’à la Renaissance. Les ouvres choisies pour illustrer ce support théorique appartiennent en revanche à l’art moderne. Il s’agit d’un côté de deux peintures signées E. Manet (Devant le miroir (1876) et Nana (1877), mais aussi de l’œuvre de Francisc Șirato (Devant le miroir (1934-1935), et d’un autre côté deux autoportraits: l’un de Manet et l’autre Alexandru Ziffer, qui sont des autoreprésentations dans un miroir. Les deux peintures de Manet, Devant le miroir (1876) et Nana (1877), ont d’abord été refusées au Salon des arts puis exposées dans la vitrine du Boulevard des Capucines, suscitant à la fois l’indignation et l’enthousiasme3). Après le scandale qui a éclaté avec Olympia (1863), ouvrage dans lequel Manet, inspiré par la mise en page de la célèbre Vénus de Titien fait valoir pour la première fois l’image de la courtisane, l’artiste revient à ce sujet sous l’influence du naturalisme et de l’impressionnisme. La raison pour laquelle Olympia a été si fortement critiquée à l’époque était le sujet-même4). Ici, nous ne voyons rien de la beauté féminine idéalisée par l’artiste de la Renaissance, mais une femme banale, et même une courtisane. Devant le miroir, 1876 (Fig. no 1) et Nana, 1877 (Fig. no 2) ont été reçus par le public avec la même hostilité, bien que la courtisane ne soit plus représentée nue.
Fig. no 1. Edouard Manet – Devant le miroir, 1876-1877, Guggenheim Museum, New York. (La source de la photo: www. manetedouard.org/Before-the-mirror.html) 3. Neret (2003), p. 76 4. Balckwell (2005), p. 518
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[Fig. no 2. Edouard Manet – Nana, 1877, Kunsthalle, Hamburg, Allemagne. (La source de la photo: www.manetedouard.org/Nana--1877.html)]
Les deux œuvres ont dans le centre une représentation féminine, portant les mêmes vêtements et la même coiffure. La première présente une femme seule, vue de derrière, qui se contemple dans un grand miroir. La deuxième présente la femme, vue de profil, devant un petit miroir ovale, le regard levé vers le contemplateur. Le droit loin de la représentation figure un homme vêtu de noir, assis sur un canapé rouge, regardant de dos la femme. Le titre de la peinture nous relève le nom de la femme: Nana. Certes, Manet connaissait à l’époque l’œuvre de Zola, plus précisément l’Assommoir, où Nana apparaît pour la première fois5) et le roman du même nom qui sera publié plus tard. Tant la littérature que la peinture de l’époque abordait souvent le sujet de la courtisane pour reproduire la réalité de la société bourgeoise. Une année après le refus de l’exposition de son œuvre au Salon, Manet déclarait dans l’introduction du catalogue de son exposition privée que l’art devient un acte de sincérité nécessaire pour convaincre le public6). Au-delà de ce message 5. Neret (2003), p.75 6. Blackwell (2005), p. 519
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percutant, adressé à l’auditoire pour découvrir la réalité de l’art, la modernité de l’œuvre de Manet vise à la fois la touche de couleur vibrante et spontanée, capable de reconstruire l’espace. L’espace gagne de la profondeur par l’utilisation simultanée de deux éléments: la picturalité décorative et l’utilisation du miroir pour réaliser la représentation. A travers l’image captée, le miroir devient dans la peinture une instance capable de figurer ce qui s’absente de la représentation. L’artiste y intervient de manière subjective et choisit les éléments que le miroir reflète, pour renforcer le message qu’il souhaite transmettre au public. Gadamer appelle cette intervention «distinction esthétique» dont le rôle est celui de se concentrer sur la représentation-même, détachée de ce qui est représenté, sans que l’image s’annule toute seule. Au contraire, elle doit réaffirmer l’état de l’être de la représentation. «Son état d’être en tant que représentation signifie l’élément qui fait la différence de ce qui est réfléchi et lui confère la distinction positive d’être une image en opposition avec une simple copie». L’image du miroir et le regard dirigé de l’intérieur de la peinture vers notre espace, celui du contemplateur, intègre l’image dans un flux de communication où le contemplateur est lui-même concerné. Ce jeu des relations entre le celui qui regarde et ceux qui sont vus, représente une constante dans l’œuvre de Manet et illustre une façon originale de concevoir la peinture comme un acte de communication qui implique à la fois le contemplateur, l’œuvre et son créateur. Je pense que la modernité de l’œuvre de Manet doit être comprise de ce point de vue. Je vais ensuite retracer comment cette relation de communication tripartite est édifiée par le miroir. Dans la première des deux œuvres de Manet, la femme vue de dos, vêtue d’une jupe blanche et d’un corset bleu, se contemple dans un grand miroir. Le miroir ne nous révèle pas dans ce cas le visage de la femme. Grâce à une touche de couleur spontanée, l’image réfléchie suggère seulement les vêtements. La physionomie, qui reste cachée à nos yeux, n’est pas un obstacle qui nous empêche de discerner le sens de la peinture. Le corset, le geste de la femme qui le dégrafe, son regard dans le miroir et l’image que le miroir saisit de manière fragmentaire sont les attributs du sujet de la représentation: la courtisane elle-même, sans visage ni nom, la vérité de son être. Elle recevra le nom de Nana dans le titre de la peinture que Manet produit une année plus tard7). Placée au centre de la composition, la femme est vêtue du même corset bleu et du jupon blanc, auxquels s’ajoute une paire de bas brodés. Debout, elle poudre son visage devant un petit miroir ovale, appuyé sur un support métallique. Son corps est fixé de dos par le regard insistant d’un homme 7. Gadamer (2001), p.114
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élégamment vêtu, dont le corps est enlevé de la représentation. Nous voyons ici un jeu intéressant des regards. Affichant un doux sourire et un regard légèrement mélancolique, la femme ne se contemple pas dans le miroir, mais elle tourne son attention vers le contemplateur. Il est bien clair que Nana attire magnétiquement les regards, tant de l’intérieur de l’image que de l’extérieur, qui peuvent appartenir à nous ou à l’artiste. Ce conglomérat de regards fait apparaitre une rhétorique de la représentation qui met l’accent d’une part, sur le thème de la courtisane, et de l’autre, sur la perception de l’artiste vis-à-vis d’une catégorie sociale de son époque. Dans la peinture de Manet, ce n’est pas le gentleman, mais la courtisane qui illustre le mieux la réalité de la vie bourgeoise. Ainsi, le miroir incarne deux aspects: soit il est regardé mais sans produire une réflexion totale du contemplateur, soit il devient lui-même le contemplateur. Le miroir ne représente pas dans ce cas l’espace intérieur de la représentation, qui est inaccessible au contemplateur sous certains angles, mais qui met en évidence le concept autour duquel l’artiste a façonné l’image. Pour analyser les différentes connotations du miroir, j’ai choisi une des peintures de Francis Șirato (Fig. no.3), qui se ressemble du point de vue de la composition avec la peinture de Manet intitulée Devant le miroir (1876). Située de point de vue stylistique entre le traditionalisme et la modernité, l’art de Șirato connait plusieurs étapes successives. Son expérience de dessinateur et de caricaturiste en tant que collaborateur des magazines Cronica, Adevĕrul et Seara nous dévoile Șirato comme un observateur critique de la société, de la morale, des événements politiques et sociaux. L’esprit ironique l’anime aussi dans la réalisation des portraits ayant comme thème le masque ou le clown, à travers lesquels l’artiste éprouve ses valeurs expressionnistes, en utilisant de forts contrastes. L’expressionnisme ne sera plus une coordonnée stylistique de la peinture de Șirato, qui se montre plutôt l’adepte de l’intégralité formelle de type cézanien. Très présent dans le paysage artistique roumain dans les années 1922-1924, Șirato se situe, à la fois à travers l’art qu’à travers ses chroniques, dans le contexte de caractérisation de l’identification nationale8). En s’éloignant progressivement du dessin incisif, Șirato adoptera un style dominé par une vibration chromatique subtile, sous l’incidence de la lumière qui devient fluide, sans dissoudre la structure du réel. Après 1930, ces traits deviennent une marque définitive de Francis Șirato qui abandonne le thème inspiré de la vie rurale, préférant le paysage, la nature morte ou bien les intérieurs, toujours dominés par l’image d’une femme assise, dans une attitude contemplative. 8. Panaite (1998), p.5-6
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Fig. no 3 Francisc Şirato – Devant le miroir (1934-1935), Musée National d’Art de Roumanie
La seule création de Șirato où le miroir est présent révèle un épisode de l›intérieur, réalisée entre 1934 et1935 et intitulée Devant le miroir. Vêtue d’une robe rouge, la femme est représentée assise sur une chaise et se regarde dans un miroir. Son visage esquissé par la touche de couleur fine nous est révélé du côté gauche, à travers l’image du miroir. Si dans les deux tableaux de Manet, la femme est représentée en train de se maquiller, dans ce cas sa présence devant le miroir est différente. La tête légèrement penchée vers la droite, captée par l’image du miroir, la main gauche posée sur ses genoux et la main droite sur la banquette arrière de la chaise, ce sont des détails qui suggèrent plutôt un acte autoréférentiel, qu’une attitude narcissiste. Le regard de l’intérieur de la peinture qui se reflète dans le miroir n’est pas tout à fait clairement ciblé et ne semble pas répondre d’une certaine manière, au regard situé en dehors de l’espace de représentation. Dans ce cas, le miroir complète l’acte de contemplation du Soi, auquel nous, en tant que contemplateurs, ne participons pas, mais dont nous sommes témoins. Șirato n’utilise pas la femme en tant que prétexte d’analyse ou de critique des mœurs. Elle n’est pas la femme facile, des peintures de Manet, mais une femme solitaire, méditative. L’autoportrait de Manet, 1879 (Figure no 4) et celui d’Alexandre Ziffer, 1949 (Figure no 5) sont deux œuvres qui utilisent de manière différente l’autoreprésentation dans le miroir.
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Fig. no 4 Édouard Manet – Autoportrait (cca. 1879)
Fig. no 5 Alexandru Ziffer – Autoportrait (1949), Musée National d’Art de Roumanie
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Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, le miroir faisait partie de la représentation chez Manet et chez Șirato. Dans l’autoportrait que Manet peint en 1879, le miroir n’est pas représenté. Il se dépeint sur un fond neutre, vêtu d’un chapeau, la palette de couleurs dans sa main droite et un pinceau dans sa main gauche. V.I.Stoichiţă remarquait sur cette image un détail apparemment insignifiant, mais qui implique la présence du miroir9). Le fait qu’aucune source ne mentionne que l’artiste aurait été maladroit, démontre un effet expressément prévu dans la représentation. L’image de l’artiste est par la suite une image renversée dans le miroir, qui nous permet de visualiser en effet l’image d’une image. L’autoportrait est ici «le peintre en tant qu’image10)». Son regard nous fixe et nous devenons ainsi le sujet de la peinture qu’il crée. La peinture est saisie pendant son acte créatif, mais le modèle ne fait pas partie de la représentation, car nous ne voyons pas un épisode de l›atelier, il est placé à l’extérieur de l’espace de représentation, s›identifiant avec l’observateur. Nous sommes confrontés ici à une situation paradoxale dans laquelle, d’une part, le peintre est le modèle de la représentation et, d’autre part, l’observateur est à son tour le modèle de la peinture. J.E. Blanche, l’un des premiers biographes du peintre relève le fait que Manet utilisait souvent le miroir pendant qu’il peignait, son regard oscillant constamment entre le modèle et son image dans le miroir11). L’autoportrait de Manet est en fait une représentation de l’acte de peindre, dont la signification est renforcée par V.I.Stoichiţă qui soulève un détail qui n’est pas sans importance. Il s’agit de l’aspect d’ébauche qui est donné à la main qui tient le pinceau et qui suggère «qu’à la limite de la représentation, la peinture se tourne sur elle-même12)». Le miroir fait ici sentir sa présence par réflexion, contestant l›interrelation qui existe entre la représentation picturale et l›image réfléchie. Ceci est l›exemple le plus expressif pour illustrer le processus d›être de la peinture. La peinture d’Alexander Ziffer, représentant de l’école néo-moderne de Baia-Mare, connaît plusieurs étapes stylistiques, qui vont du conservatisme de l’Académie de Munich au naturalisme et à l’impressionnisme, de la conception spatiale de Cézane, au décorativisme qui caractérise l’œuvre de Gauguin. L’artiste a créé de nombreux autoportraits d’une extraordinaire profondeur et d’une grande force suggestive, soit en adoptant le système de composition classique pour ce type de représentation, soit en préférant une apparition à l’intérieur, près d’une fenêtre. Dans les années 1940, Ziffer a produit quatre autoportraits de grandes dimensions, en s’illustrant lui-même près d’une fenêtre13). 9. Stoichiţă (1995), p.203-233 10. idem. p.211 11. apud.idem.p.213 12. op.cit. p.212-213 13. Borghida (1968), p.24-25
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L’autoportrait réalisé en 1949 est la seule et unique représentation du Ziffer dans le miroir. L’artiste dépeint légèrement sa moitié de profil en fixant notre regard. Sa figure monumentale émerge dans un décor de canapés, recouvert d’une couverture décoré avec des motifs géométriques et figuratifs. Le miroir soutenu par un canapé, est ainsi observé sur le mur. La main gauche de l’artiste, représentée au premier plan, attrape une pomme sur une table recouverte d’une serviette, illustrée à l’extrémité inférieure de l’image. D’autre part, l’artiste tient le pinceau dont la pointe se prolonge au-delà du champ de représentation. L’image du miroir révèle deux personnages derrière lesquels on observe partiellement le cadre d’un tableau. L’un des personnages est l’artiste lui-même, vu de dos, tandis que l’autre est un personnage masculin, vu dans la moitié de son profil, que l’artiste fixe mais dont le regard rencontre le nôtre. Celui qui nous regarde dans le miroir nous prête la même image de la représentation que l’artiste lui-même, la seule différence est qu’il porte une moustache. Le pinceau que l’artiste tient par la main et son regard dirigé sur cet homme via le miroir, nous aide à identifier un modèle possible de la peinture, en cours de réalisation, mais que nous ne voyons pas. D’autre part, on observe ici un dédoublement de l’artiste en termes de jeux de regards, qui croisent à la fois l’espace de la représentation et ce qui reste à l’extérieur. La façon dont l’artiste est placé dans le miroir, en face de l’autre homme, est identique à celle établie entre l’artiste et l’observateur. En d’autres termes, l’image de l’homme du miroir se superpose, sur le plan conceptuel, à l’image de l’observateur. Dans l’autoportrait de Ziffer, le miroir opère un dédoublement qui unifie le modèle et l’observateur et, en même temps, l’artiste, l’œuvre représentée et l’observateur. Tant chez Manet que chez Ziffer, le miroir révèle le vrai sens de la représentation, réitérant le processus de création et la réception de l’œuvre. Dans les œuvres sélectionnées, le miroir permet d’une part de révéler l’espace réel, invisible par la représentation, complétant ainsi sa signification pour le spectateur, et d’autre part de devenir un instrument de la révélation de soi, du peintre lui-même ou de l’acte de peindre.
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Bibliographie: Blackwell, Publishing. 2005. Art in Theory 1815-1900. An Anthology of Changing Ideas. Blackwell: Blackwell, Publishing. Blackwell (2005), p.497-498 ; p.518-519. Borghida, Ştefan. 1968. Alexandru Ziffer. Bucureşti: Ed. Meridiane. Borghida (1968), p.24-25. Foucault, Michel. 2001. Theatrum philosoficum. Etudes, essais, entretiens (19631984). Cluj: Ed. Maison du Livre Scientifique. Foucault (2001), p.251-260. Gadamer, Hans. 2001. Vérité et méthode. Bucarest: Ed. Teora. Gadamer (2001), p. 110-117. Néret, Gilles. 2003. Édouard Manet 1832-1883 The first of the Moderns. London: Taschen. Néret (2003), p.75-76. Panaite, Cristina. 1998. Francisc Şirato – Entre la récupération de la tradition et la tentation de la modernité. Bucarest: Musée National d’Art de Roumanie. Panaite (1998), p.5-6. Stoichiţă, Victor Ieronim. 1995. L’effet Don Quijote: repère pour une herméneutique de l’imaginaire européen. Bucarest: Ed. Humanitas. Stoichiţă (1995), p.203-233. Oana Pădurețu provient d’une famille d’artistes et l’amour pour ce qui est beau a été son repère dès le début. Elle a approfondi sa passion pendant ses études à l’Université des Arts de Bucarest et a passé son doctorat au u Centre d’excellence pour l’étude de l’image. Elle a toujours peint la nature par passion, mais a aussi une expérience d’iconographe, de curateur et d’auteur d’études et d’essais sur les arts visuels. [oanapaduretu@yahoo.com]
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La des
Musées Revue
Institut National Pour la Recherche et la Formation Culturelle
II Projets museaux
Marinela Loredana Barna, L’Art alternatif financé à Braşov | 115
L’Art alternatif financé à Braşov MARINELA LOREDANA BARNA (Musée de la Maison des Mureşeni, Braşov)
Abstract Muresenilor House Museum from Brasov has implemented from May to September 2014, the project ‘’3A – Ateliere de Artă Alternativă - Alternative Art Workshops’’, project financed by Brasov City Hall, Brasov County Council and Reduta Cultural Center and organized in partnership with Urban Art Depot. This project has proposed diversification of cultural touristic offer in Brasov by realization of five alternative art installations in five spaces provided by partner institutions: temporary exhibition hall of Muresenilor House Museum, Arcadia hall of Reduta Cultural Center, Arts Tower, foyer of Patria Hall and the square of Patria Hall. This art installations were realized by five artist, three foreigners and two Romanian starting from June 30, 2014.
Keywords: Muresenilor House Museum, Brasov, alternative art, cultural project, art installations
Le Musée de la Maison des Mureşeni de Braşoov s’est imposé à partir de l’année 2010 comme l’un des leaders les plus importants parmi les projets culturels réalisés au niveau local, soit neuf projets financés par l’Administration du Fonds Culturel National et le partenaire principal dans de nombreux autres projets financés par la Fondation Orange, l’Institut Culturel Roumain, l’Administration du Fonds Culturel National, etc. Ces projets ont traité des thématiques comme: les activités muséales, l’intervention culturelle, le patrimoine immatériel, l’éducation culturelle et la formation professionnelle dans le domaine culturel. Le projet culturel «3A-Ateliers d’Art Alternative», a permis à la Maison des Mureşeni de devenir cette année le leader des deux actions: l’absorption des fonds locaux (financés par le Conseil local de Braşov) et la mise en place d’un projet d’art contemporain. Le projet réalisé entre le 5 mai et le 11 août 2014 visait à diversifier l’offre culturelle et artistique de la ville de Brasov, à réaliser des résidences artistiques d’art visuel dans les institutions partenaires du projet, (Maison des Mureşeni de Braşov, le Centre culturel la Redoute, la Tour des Arts et la Salle Patria), qui ont abouti à la création en temps réel de nouvelles œuvres d’art contemporaine. Un autre objectif était la promotion des idéaux d’une société ouverte et la familiarisation du public aux nouvelles tendances et aux moyens de l’art contemporain.
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L’invitation des artistes étrangers aux résidences artistiques, le nombre et la diversité des bénéficiaires (plus de 500 habitants et touristes) la diversité, le caractère multiculturel et multidisciplinaire des principaux résultats (installations complexes/ architecture mobile/ dispositifs vidéographiques/ découpages et collages photographiques/ projections superposées sur des objets/ vidéo installations, ambiance acoustique digitale) ont prouvé leur importance et justifié les priorités du programme de financement. Un point fort a été la période estivale quand la culture locale se résume aux monuments et aux objets de patrimoine «classique», assez communs aux villes des autres pays, et quand l’offre des institutions d’art et de spectacle est très faible. Cette période estivale est également propice parce que la ville de Braşov est une des destinations préférées des touristes (plus de 100.00 touristes roumains et étrangers) qui recherchent des loisirs et des services de consommation culturelle. L’expérience des dernières années révèle que les événements d’art contemporain sont appréciés, comme le Festival FATZADA. Les habitants souffrent eux-mêmes de la très faible offre culturelle. Pendant l’été les étudiants reviennent dans leur ville natale, la plupart des habitants partent en vacances pendant le mois d’aout et les enfants qui passent leurs vacances avec les grands-parents n’ont pas beaucoup de choix de loisirs. L’accès gratuit à l’événement outdoor (la petite place située devant la Salle Patria) ou aux événements indoor (la Salle Arcadia du Centre Culturel la Redoute et le foyer de la Salle Patria) leur a facilité l’accès. L’impact sur le public a été la stimulation de l’appétit pour un nouveau type de produit culturel, la visualisation en temps réel de la création des installations d’art alternatif et l’enrichissement des connaissances sur l’art contemporain. La réalisation des installations artistiques, sans avoir au préalable des connaissances spécialisées ou linguistiques, a été très attractive pour les touristes et les habitants. La qualité du partenariat a facilité la réalisation du projet dans les meilleures conditions. Le Centre Culturel la Redoute, en tant que partenaire principal, a eu comme mission d’organiser la promotion de valeurs culturelles et civiques dans le contexte régional, national et international. Il a accueilli deux ateliers artistiques dans la Salle Arcadia et dans un espace d’exposition récemment inauguré, la Tour des Arts située sur l’allée Tiberiu Brediceanu. L’Association le Dépôt d’Art Urbain, le second partenaire, est une organisation spécialisée dans la promotion et le soutien de l’art, par la production des événements culturels et éducatifs à implication sociale. Elle s’est imposée les dernières années au niveau local dans la promotion de l’art contemporain en réalisant plusieurs éditions successives du festival FATZADA. Braşov (comme d’autres villes du pays: Cluj-Napoca, Timişoara, Iaşi) souhaite déposer sa candidature pour devenir Capitale européenne culturelle en
Marinela Loredana Barna, L’Art alternatif financé à Braşov | 117
2021. Le succès des ateliers d’art alternatif aboutira par leur transformation, dans les années à venir, en une biennale d’art contemporain qui pourra être réalisée avec le soutien financier et logistique de la communauté locale. Plus le nombre de touristes étrangers et roumains n’augmente, plus la réputation de la ville de Braşov et des autres villes comme Bucarest et Arad leur permettra d’accéder au groupe des grandes biennales d’art contemporain (des événements culturels européens qui contribuent à la redéfinition de l’identité locale). L’implication permanente de la communauté et des ressources locales dans la préparation et la mise en œuvre de la biennale lui assurera une réelle pérennité. L’activité principale du projet, à savoir les cinq résidences artistiques, s’est déroulée du 30 juin au 11 juillet 2014. Elle a permis des visites en temps réel pendant la période de création et deux semaines après la finalisation.
Fig. no 1 Affiche
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«Un voyage de découverte des feedbacks vidéo» a été proposé par l’artiste française Magali Marc1) dans la Maison des Mureşeni, à Brasov. Elle a invité le public à visionner une installation à la fois interactive et participative, qui l’introduit dans le monde des feedbacks vidéo. Le visiteur devient ainsi un catalyseur humain, capable d’influencer les signaux vidéo, qui se nourrissent d’eux-mêmes. L’installation était capable de produire deux types de feedbacks vidéo, respectivement un feedback positif, généré par l’activation paradoxale de l’effet «négatif» de la chambre vidéo et le feed-back négatif qui devrait être «nourri» à l’aide d’une lanterne. Étaient également disponibles un documentaire sur le savoir-faire qui existe derrière le processus de création artistique et un hologramme d’une vidéo abstraite installé dans plusieurs feedbacks.
Fig. no 2 L’installation «un voyage de découverte des feedbacks vidéo» au Musée la Maison des Mureşeni
Elisa Martini2) d’Australie a été la réalisatrice de l’installation artistique dans la Salle Arcadia du Centre culturel la Redoute. La thématique principale de l’installation «N’aies pas peur, ils aiment la musique...» était de personnaliser les objets ou les images sous leur forme initiale la plus pure, simple et concrète. 1. http://vileo.com/magalimarc 2. www.elisamartini.com
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L’artiste a utilisé des objets provenant des endroits et des espaces qu’elle a connus à un moment donné et les a réutilisés ensuite d’une manière personnelle, dans un contexte différent, en leur conférant de nouvelles significations.
Fig. no 3 L’installation «N’aies pas peur, ils aiment la musique...» de la Salle Arcadia du Centre culturel la Redoute de Braşov
La Tour des Arts a accueilli l’installation «Touch&Taci» de l’artiste Daniel Roşca3), qui avait comme objet d’étude les poissons. Cette installationsculpture était en contraste avec le relief et les éléments de l’environnement. L’installation était en fait une mise en scène d’une perception personnelle de l’organisation globale que l’on ne retrouve plus dans les simples actions collectives des individus. «Touch&Taci» a illustré l’effet d’annihilation des relations interhumaines et l’assimilation progressive d’un silence apparemment caché sous le masque «touch-screen», en tant qu’élément primordial responsable du déséquilibre des masses dans la communication directe. L’œuvre d’Emanuela Ascari, dénommée «Vachement roumain», présentée dans la Salle Patria, a été le résultat d’un processus créateur qui s’est déroulé dans l’espace d’exposition. L’artiste a organisé un espace d’interaction avec le public et avec le personnel, en s’inspirant de la dénomination historique de l’endroit, respectivement la Patrie, dont la signification est «autochtone», ce qui a stimulé en même temps un échange d’opinions et de réflexions sur la signification du concept «patrie» pour chacun d’entre nous et a relevé des 3. http://www.blogger.com/profile/15736021224372038795
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questions sur l’obligation de chaque individu vis-à-vis de sa patrie, au moment quand il décide de la quitter et de vivre ailleurs. La plupart des gens qu’elle a rencontrés avaient travaillé en Italie pendant quelques années. L’artiste a essayé de mettre en forme la situation de l’expatriation, qui oblige beaucoup de Roumains à prendre avec eux, lors du départ, une partie de leur propre culture.
Fig. no 4 Installation «Touch&Taci» à la Tour des Arts de Braşov, le Centre culturel la Redoute de Braşov
L’œuvre a été une installation en mouvement, qui a réuni des éléments inspirés par les interlocuteurs, par la propre biographie de l’artiste et par les souvenirs de son enfance.
Fig. no 5 Installation «Vachement roumain» à la Salle Patria de Braşov
Marinela Loredana Barna, L’Art alternatif financé à Braşov | 121
Silvestru Munteanu a créé l’installation outdoor «Childhood Grand Tourismo» qui a été présentée dans la petite place devant la Salle Patria. L’artiste a construit un véhicule qui l’amenait en vitesse dans la période de son enfance, quand il collectionnait des petites voitures Audi ou Ferrari, ou bien quand la maquette d’une voiture de Formule 1 lui provoquait une énorme joie. C’est la voiture-objet qui a franchi la vitesse que les gens peuvent normalement atteindre. Adulte et artiste a la fois, il a réalisé un changement de proportions et a ressuscité le totem de son enfance, à un niveau surdimensionné. Il a réalisé une voiture de plus de trois mètres, dont deux chaises était capitonnées avec des logos utilisés dans les circuits de Formule 1, comme Ferrari, Shell, etc. L’illusion de la vitesse était complétée par les bruits d’une voiture réelle.
Fig. no 6 Installation «Childhood Grand Tourismo» placée dans la petite place située devant la Salle Patria
La nouveauté du projet était l’apparition de l’art contemporain sur la scène culturelle de Braşov. Les politiques locales ont été ainsi encouragées à soutenir la création contemporaine de niveau international. L’affaiblissement de la qualité de la création artistique nationale pourra être évité ou limité par la promotion et le soutien des artistes locaux dans des contextes internationaux. Braşov sera ainsi capable de s’imposer dans le futur, comme la ville des arts et de la diversité culturelle.
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Marinela Loredana Barna est née à Braşov. Diplômée de l’Université «Lucian Blaga» de Sibiu et du Lycée «Andrei Şaguna» de Braşov, elle a participé à des programmes spécialisés dans la rédaction des projets culturels, respectivement les stratégies de marketing culturel. A partir de 2008 elle est muséographie au Musée la Maison des Mureşeni de Braşov. Elle est la créatrice de trois expositions respectivement l’exposition publicitaire «Ecoutez, regardez, étonnez-vous?» (2009), le Sceau - garantie de l’originalité (2011), Les services de la poste dans le passé (2013). Elle déroule actuellement au sein du musée des projets comme: «L’histoire des vêtements du XIXe siècle», «la Publicité hier et aujourd’hui», «Lisons le journal de nos ancêtres?». Elle a également publié des articles sur l’histoire de la Transylvanie et l’éducation muséale dans des revues spécialisées. Pendant les trois dernières années, elle a réalisé quatre projets culturels à financement non-remboursable. [marinelabarna]@yahoo.com
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Les musées et la reconstitution historique Etude de cas: la typographie des Mureşeni DR. VALER RUS (Musée de la Maison des Mureşeni de Brasov)
Abstract Romanian museums are in a challenging position in the beginning of the third millenium: the pursuit for recovering the huge delay comparative with western european museums in captioning the attention of their own publics. One of the solutions tested in this period is the historical reconstitution/reenactment. All of these initiatives are opposed to the tehnological advancement and the question for the future is how to keep the ballance between the original heritage, historical reenactment and the temptation of tehnological gadgets. One possible answer is given by the project of reconstitution of an historical printing house from late 19th century, project financed by National Cultural Fund Administration.
Keywords: museums, reconstruction, printing house, Casa Mureşenilor, Braşov, Administraţia Fondului Cultural Naţional
Les musées roumains essayent de trouver leur chemin pendant l’époque contemporaine. Les années 1980 ont marqué la destruction accidentelle ou planifiée, pendant l’époque communiste, des institutions muséales, gardiennes du patrimoine. Cette destruction a été rendue possible par le transfert des biens à forte valeur culturelle à Bucarest (dans les institutions centrales), par la disparition d’une génération d’employés qualifiés (partis à la retraite ou émigrés) qui n’a pas été remplacée, par l’uniformisation des expositions permanentes sur l’ensemble du territoire national (qui a créé des situations ridicules: par exemple retrouver des personnages historiques comme Etienne le Grand et Vlad Ţepeş dans différents lieux, à Bucarest, Suceava, Zalău ou Timişoara), par l’implication de l’ensemble du personnel spécialisé dans un processus laborieux et sans finalité d’évidence systématique du patrimoine culturel national, via les célèbres fiches anachroniques verts/gris/marrons et, le plus grave, par le non respect des conditions minimales de conservation, de stockage et d’exposition motivé par la nécessité de faire des économies sur les postes de gaz et d’électricité. La période suivant la Révolution de 1989 a mené le système muséal roumain de l’agonie à l’extase. L’application, par réflexe, des anciennes méthodes par toute une nouvelle génération de muséographes, dans un nouveau contexte législatif et géopolitique. La modification législative de l’administration publique locale
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a entrainé la subordination de la plupart des musées roumains aux mairies et aux conseils régionaux. Un nombre restreint de musées représentatifs au niveau national ont continué à dépendre directement du Gouvernement. Les directeurs se voyaient ainsi confrontés d’un jour à l’autre à une situation inédite, et aux priorités locales et centrales de la transition des années ´90. C’était le moment qui a marqué le repositionnement de certains musées dans l’économie de la vie communautaire, au niveau local. Les aptitudes sociales et politiques des directeurs des musées ont été décisives dans leur relation directe avec les responsables locaux ou régionaux. C’est aussi le moment de l’apparition de l’atomisation des anciens musées régionaux, divisés en musées de spécialisés, en fonction du profil de leurs collections. Ce processus a été influencé par la position sociale et politique ou par les ambitions personnelles des spécialistes du middle management (directeurs adjoints, des chefs de section ou parfois simples muséographes). L’apparition de plusieurs musées n’a malheureusement pas entrainé la professionnalisation de leur activité. En directe corrélation avec la loi de la distribution (surnommée courbe de Gauss), il y avait des musées visibles, actifs et préoccupés par l’impact sur le public et des musées neutres, parfois marginaux dans le phénomène culturel local. La période difficile du management du patrimoine culturel roumain s’est achevée après l’entrée dans le nouveau millénaire et l’adoption d’une législation spécifique: loi sur le patrimoine culturel national, loi sur les musées et les collections, loi sur le management des institutions culturelles publiques. Ce paquet législatif, auquel s’ajoute une reforme permanente de l’administration publique centrale et locale, ont déterminé l’apparition d’un nouveau type de management culturel, qui valorise les projets/ les plans de management basés sur les objectifs et les indicateurs de performance. Apres les années 2000, les musées roumains entrent dans une nouvelle étape qu’on peut caractériser comme «une nouvelle uniformisation», comparable au phénomène expositionnel des années 1980. L’appui financier, parfois généreux, du Ministère de la Culture a permis l’apparition d’un processus de reconstruction des expositions permanentes au sein de quelques musées nationaux, subordonnés directement au Ministère, processus qui s’est élargi ultérieurement aux musées subordonnés aux autorités locales. L’existence d’un prestataire unique a déterminé l’uniformisation des expositions selon un modèle type. Peu importe la ville de destination (Sibiu, Sfântu Gheorghe, Bucarest, Târgovişte, Zalău oui Iaşi), on peut observer un diorama? «sculpté» en matériel plastique, illustrant un instant de la vie quotidienne, dans la plupart des cas s’agissant de l’intérieur d’un foyer, avec ou sans l’aide d’un mannequin, dont le rôle est d’«animer» la situation immortalisée. Dans le meilleur
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des cas, ces dioramas sont accompagnés d’un écran tactile ou simple, destiné à livrer les informations scientifiques (photos, textes et films). Le point commun de ces d’expositions est la calophilie et le manque de fonctionnalité. Elles sont belles (parfois aseptisées), nouvelles, éclatantes mais intangibles. Le principe «look, but do not touch» revient sous une autre forme. Vu les tendances des musées modernes occidentaux qui rendent leurs expositions plus accessibles en développant le caractère participatif, en changeant le discours qui va de l’objet de patrimoine vers la réplique fonctionnelle accessible au visiteur, on se demande sérieusement quelles sont les perspectives de nos expositions. Nous avons l’avantage stratégique unique dans l’histoire de la muséographie roumaine, de ne pas répéter les erreurs de nos collègues européens et américains. Nous avons maintenant accès en temps réel à leurs expériences de travail, grâce à Internet. Le problème qui doit nous préoccuper en permanence est la distribution des ressources financières. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’estimer correctement l’impact réel d’une exposition, en fonction du type de communication utilisée: les dioramas, les objets rangés dans une vitrine, les panneaux avec du texte et des images, les écrans tactiles ou simples, les répliques fonctionnelles des objets originaux, les jeux, etc. La question qui se pose est évidement est de savoir quelle est la priorité de notre investissement financier lors de la réalisation de nos expositions. La réponse à ce dilemme professionnel peut résider dans la description d’un projet culturel mis en place en 2014 par le Musée de la Maison des Mureşeni de Braşov qui a été financé par l’Administration du Fonds Culturel National. Etude de cas: la typographie des Mureşeni Nous allons faire une brève description du projet réalisé par le Musée de la Maison des Mureşseni de Brasov1) en 2014. Ce projet a été réalisé en partenariat avec le Musée Curtea Domnească de Târgovişte, l’Association les Chevaliers de la Cité de Bârsa, l’Ecole Générale Iacob Mureşianu de Braşov, le Collège National Andrei Şaguna de Braşov, le Lycée théorique Andrei Mureşianu de Braşov et avec le support financier de l’Administration du Fonds Culturel National. Le Musée de la Maison des Mureşeni de Braşov est devenu, pendant la dernière décennie, le leader de la promotion des personnalités locales. Il détient la plus complexe et complète expertise sur la science de la mémoire nationale et spécialement sur celle de la ville de Braşov. Les objectifs culturels ciblent la mise en valeur du patrimoine culturel et artistique de Braşov. La mission du musée est d’interpréter et de célébrer le passé dans le contexte du présent et du futur. Le Musée de la Maison de Mureşeni de Braşov existe pour montrer qu’il existe un 1. Gherman (1968)
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modèle humain à suivre. Les habitants actuels de la ville de Braşov sont tenus de connaitre leurs ancêtres et ce musée leur rappelle en permanence que «le futur a un noyau antique». Les Mureşeni et leurs contemporains (comme Gheorghe Dima, Paul Richter, Ioan et Stefan Baciu, etc.) représentaient un modèle de civilisation urbaine de type multiculturel, que le musée essaye actuellement de transmettre aux jeunes. Les principaux objectifs du musée sont ainsi: la préservation et la recherche équilibrée et sélective des collections et leurs exposition à des standards élevés, l’amélioration de l’accès à l’information du public, la réalisation de programmes de formation et d’information du public; une collaboration constante et efficace des structures internes impliquées dans l’organisation, afin de satisfaire les besoins d’information du public? la réalisation périodique d’études sur le comportement des visiteurs et sur leurs besoins d’information? la formation professionnelle continue du personnel, via les formations organisées par la structure tutélaire ou d’autres formes d’enseignement supérieur? la numérisation de l’ensemble des activités, conformément aux standards mondiaux ; l’identification de financement ou de cofinancement national et international, de sponsors? l’amélioration de la planification managériale, de l’organisation, de la coordination et du contrôle nécessaires pour atteindre les objectifs de la stratégie générale de développement. Le musée de la Maison de Mureşeni est dépositaire d’une riche expérience d’exploitation de son patrimoine, avec l’organisation programmatique des 9 dernières années, des programmes d’éducation non-formels, 9 projets financés par l’AFCN. Les activités les plus récentes, financées par cette institution, visent la formation et l’éducation du public, par l’intermédiaire des programmes et des projets interactifs, l’organisation d’ateliers de création et de cours interactifs destinés aux enfants et aux jeunes handicapés, des spécialistes des musées et d’autres institutions culturelles. Par l’intermédiaire du projet intitulé «Le musée vient chez toi? 2)» financé en 2010, 5 spécialistes en éducation muséale se sont déplacés dans cinq localités du département de Braşov pour animer des programmes d’éducation. La même année, le projet intitulé «Romana – la renaissance d’un danse du patrimoine national roumain»3) a visé la revitalisation et l’exploitation de la danse ROMANA, pour développer le patrimoine culturel immatériel national. En 2011 le projet «1 pour 2?» a permis d’élargir l’accès à la culture des enfants handicapés, et 10 d’entre eux ont bénéficié des activités de mentorat au sein du musée. En 2011, le programme «Muzeoforum – plateforme online de formation et d’échange des bonnes pratiques»4) (thématique: la formation professionnelle dans le domaine culturel) a formé, à travers 2 programmes de formation, 30 employés d’institutions culturelles provenant de 6 départements, sur deux sujets: 2. http://muzeulmuresenilor.ro/category/proiecte/muzeul-vine-la-tine/ 3. http://romanafestival.ro 4. http://www.muzeoforum.eu/
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l’exploitation du patrimoine culturel par l’organisation d’expositions itinérantes, et l’éducation non-formelle dans les musées. En 2012, deux projets ont été réalisés: «Le musée-mon premier emplois» qui visait l’intégration sociale réelle de 10 personnes handicapées dans deux institutions culturelles de Braşov, (la Maison des Mureşeni et la Maison Ştefan Baciu). En ce qui concerne le projet «ROMANA pour tous – une danse historique revient dans la communauté», 160 élèves ont appris la chorégraphie, qu’ils ont présentée sur scène lors d’un évènement public important de type flashmob, en centre ville. En 2013 deux autres projets ont été réalisés: «Fatzade historique – projet pilote de diversification de l’offre culturelle et artistique de la ville de Braşov», avec comme résultat la réalisation d’une œuvre murale historique de grands dimensions (25m x 2m =50m2) sur le mur de la cour intérieure du musée et le «Festival de danse historique ROMANA», le premier festival de danse historique de Roumanie, organisé les 7 et 8 novembre à Braşov. L’année 2014 a été marquée par deux projets: la reconstruction de la typographie de la famille Mureşianu et «3 A – Ateliers d’Art Alternative», un projet financé par la Mairie de Braşov, visant les mobilités et les résidences artistiques destinées aux créateurs contemporains, avec comme résultat principal la réalisation de 5 installations artistiques contemporaines situées dans 5 lieux différents de Braşov. Le projet culturel «De Gutenberg à Mureşianu» s’est déroulé du 6 mai au 3 novembre 2014, et son succès a jutsifié un prolongement. Voici une brève description de ce projet: «L’organisateur et ses partenaires souhaitent la reconstitution d’une typographie fonctionnelle du XIXe siècle dans l’actuel bâtiment du Musée de la Maison des Mureşeni à Brasov. Deux spécialises muséographes sont chargés de la documentation historique. Une première étape implique deux visites d’études à Gutemberg Museum Mainz en Allemagne et au Musée de l’imprimerie et du livre ancien roumain de Târgovişte. L’étude historique réalisée par les spécialistes est utilisée pour reconstituer les outils typographiques. Ont ainsi été réalisés deux reproductions de la fonderie, de la rotative et d’une matrice typographique qui ont été intégrées dans un concept expositionnel complétant l’exposition permanente du musée. 6 employés ont été formés comme facilitateurs, leur rôle étant de faire des démonstrations devant les visiteurs afin de réaliser la feuille d’un journal. Plusieurs événements publics ont été organisés: le vernissage de l’exposition typographie A. Mureşianu et des démonstrations gratuites pour 150 élèves de Braşov issus des trois institutions d’enseignement partenaires dans le projet». Le projet constitue une première dans la reconstruction d’une typographie in situ. Les photos typographiques conservées dans les archives du musée ont été utilisées pour reconstituer l’intérieur de la typographie initiale A. Mureşianu, datant de la fin du XIXe siècle. C’était une typographie utilisée pour
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éditer le journal de la famille, la Gazette de la Transylvanie. Les informations supplémentaires sur les imprimés et sur le principe typographique utilisant des lettres mobiles ont été fournies par le Musée de l’imprimerie et du livre ancien de Târgovişte. L’approfondissement des informations et la compréhension du texte européen ont été facilités par la visite d’étude effectuée au Gutemberg Museum Mainz en Allemagne. Il s’agit d’un musée qui expose les premiers imprimés, les reconstitutions de l’atelier typographique de Gutenberg et des démonstrations, mais aussi d’autres typographies appartenant à des époques historiques différentes et sur plusieurs espaces géographiques5). La reconstitution de la typographie d’Andrei Mureşianu facilite une meilleure compréhension du principe typographique caractéristique de la fin du XIXe siècle. Les visiteurs ont eu l’occasion de retrouver des informations historiques portées par le discours interactif, la démonstration, le travail de groupe et l’apprentissage dynamique (learn by doing). Le caractère interdisciplinaire du projet est le fruit d’une collaboration entre les historiens et les artiste-artisans qui ont participé à la reconstitution de la typographie et du matériel typographique. La méthodologie du projet a comporté plusieurs étapes. Tout d’abord la préparation des activités: le leader a organisé des réunions de travail avec l’équipe chargée du projet pour répartir précisément les responsabilités, consulter les parties prenantes, régler les aspects organisationnels, identifier les risques, les difficultés et les ajustements possibles, valider les modalités de promotion. Ensuite, l’activité de recherche et de documentation a été réalisée par deux spécialistes. Elle s’est concrétisée par la rédaction d’un rapport de recherche (contenant du texte et des images) sur l’évolution de l’imprimerie, l’histoire de la typographie A. Mureşianu et une thématique d’exposition. Une visite préalable a été effectuée au Musée de l’imprimerie et du livre ancien de Târgovişte, qui a accueilli un atelier et une démonstration pratique d’impression. La documentation a été complétée par les informations collectées lors de la visite d’étude effectuée à Gutenberg Museum en Mainz en Allemagne. Une marche publique a facilité la logistique de cette étape. Etape suivante, la réalisation de la rotative typographique et de la fonderie. Sur la base du rapport de recherche réalisé par les muséographes Bianca Micu et Ovidiu Savu, les deux artisans Bogdan Bălăşcău et Daniela Roşca ont réalisé les reproductions fonctionnelles d’une rotative, d’une fonderie et d’une matrice typographique. A partir de la thématique d’exposition réalisée par les spécialistes, une exposition photo-documentaire multimédia (des panneaux à cadre numérique et des écrans tactiles) a été réalisée au sein de l’exposition permanente du musée. Puis les artisans ont formé pendant deux jours les 6 employés du musée pour 5. Wilkes (1988)
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qu’ils apprennent à utiliser les outils typographiques: pour réussir à créer un texte imprimé à l’aide des lettres mobiles. Le Musée de la Maison des Mureşeni de Braşov a organisé le vernissage de l’exposition le 23 septembre 2014. La première démonstration a été effectuée à cette occasion, quand les premiers exemplaires personnalisés de la Gazette de la Transylvanie ont été réalisés. Des visites gratuites ont ensuite été organisées pendant les premières semaines après la rentre scolaire, pour les écoles partenaires. Les élèves ont participé aux démonstrations et ont reçu les exemplaires personnalisés du journal qu’ils avaient eux-mêmes imprimés. La promotion, la communication et la dissémination du projet ont été assurés par la publication d’annonces et d’informations sur les sites web du Musée et ceux des partenaires. L’édition et la distribution du matériel publicitaire (50 affiches, 500 flyers et 3 roll-ups) ont été effectuées dans la zone centrale et dans les zones agglomérées de Braşov, au centre d’information touristique de Casa Sfatului et dans les écoles de la ville de Braşov. La rentrée de l’année scolaire 2014-2015 a permis d’afficher un roll-up de promotion dans les écoles partenaires. Des conférences de presse ont été organisées durant toute la période du projet. On réaffirme en conclusion qu’une reconstitution non-fonctionnelle n’est pas une solution pour la muséographie roumaine6). Nous soutenons fermement une adaptation permanente du discours spécialisé, au sein de nos expositions, aux besoins des visiteurs, pour faciliter leur compréhension des phénomènes historiques grâce à des activités pratiques. Bibliographie: Mircea Gherman, “Mureşenii”, Magazine historique, no 4 (1968) Vasile Oltean. 2012. L’histoire de l’imprimerie de Braşov, vol.1, Iaşi: Ed. Tipografia Moldova M. Radu&A. Repanovici. 2004. Une hisoire des imprimeries et des imprimés. Braşov Ed. Universitatea Transilvania Walter Wilkes. 1998. Die Entwicklung der eisernen Buchdruckerpresse: Eine Dokumentation. Darmstadt: Technische Uni Darmstadt
Valer Rus est docteur en histoire moderne de Transylvanie et expert du Ministère de la Culture dans le domaine des biens culturels de patrimoine, section histoire moderne de Transylvanie. Il a été muséographe entre 1998 et 2000 au Musée municipal de Medias et, après l’année 2000, il a été muséographe, chef service et directeur (à partir de 2005). Il a également été le manager des 11 projets financés par l’Administration du Fonds Culturel National [rus.valer@gmail.com] 6. Radu&Repanovici (2004)? Oltean (2012)
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La des
MusĂŠes Revue
Institut National Pour la Recherche et la Formation Culturelle
III Le musee pour tous
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Musées accessibles DESPINA HAŞEGAN (Musée national d’art de Roumanie)
Abstract This article presents two different approaches to museum accessibility for persons with various disabilities. It is a rather new subject for Romanian museums, which usually resume to facilitating the access for persons with locomotors problems. During the latest years, The “Grigore Antipa” National Museum of Natural History and The National Museum of Art of Romania in Bucharest developed complex projects in order to provide access for the impaired persons. The “Grigore Antipa” National Museum of Natural History disposes of several facilities which encourage individual visits. The National Museum of Art of Romania offers educational programs for groups of visitors with disabilities. Keywords: Museum, accessibility, visitors with disabilities, projects, individual visit, educational program
La notion de «musée accessible» est peu connue dans la société roumaine, dans le sens où «accessible» renvoie à une chose à laquelle on peut facilement accéder, qui est facile, abordable, raisonnable, modique, à portée mais aussi que l’on peut comprendre. Le syntagme ne se réfère pas aux tarifs pratiqués, qui sont généralement accessibles au grand public, mais à la facilitation de l’accès aux collections pour une catégorie spéciale d’utilisateurs, les personnes handicapées. Un musée accessible devrait être un musée amical, facile à visiter pour ceux qui souhaitent le visiter réellement ou virtuellement. Pour beaucoup de musées roumains, les efforts d’accessibilité des collections se sont limités au respect des normes législatives en vigueur (mise en place des rampes d’accès, des ascenseurs, d’entrées adaptes, des toilettes, des systèmes de signalisation audio/ visuels, etc.). Au delà de cette obligation législative qui prévoit l’accessibilité dans toutes les institutions et lieux publics (y compris les moyens de transport en commun), il reste pourtant le problème de l’accès au contenu, aux collections exposées, pour les visiteurs présentant différents types d’handicap, par exemple les déficiences auditives ou visuelles. Voici une brève présentation chronologique des démarches d’accessibilité effectuées dans deux grand musées roumains à partir des années 2012-2013 (le Musée national d’histoire naturelle «Grigore Antipa» et le Musée national d’art de Roumanie, les deux sièges a Bucarest): Jusqu’en 2012, il y avait des expositions organisées au niveau national pour des personnes présentant des déficiences visuelles, comme La joie de
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l’attouchement au Musée régional d’histoire et d’archéologie de Baia Mare (octobre - décembre 2010)7), et Touche l’histoire au Musée national des Carpates Orientaux de Sfântu Gheorghe (juin-juillet 2012)8). Intéressantes et inédites, les expositions offraient à différentes catégories de public la découverte d’objets très divers (maquettes, reproductions, pièces tridimensionnelles, etc.), accompagnée par des explications en système Braille et, pour le cas de l’exposition Touche l’histoire, par des explications audio inscrites sur des CDroms. Ces initiatives salutaires étaient disponibles pour une période limitée de temps. Les premiers efforts de certains musées pour rendre accessibles à long terme leurs galeries permanentes se sont concrétisées assez vite dans les deux musées de Bucarest. En octobre 2012, un an après sa réouverture, le Musée national d’histoire naturelle «Grigore Antipa» de Bucarest a démarré le projet intitulé Le musée de tout le monde financé par Orange Roumanie. Il s’agissait du premier projet important dédié à l’accessibilité de l’institution pour les personnes handicapées. Cette nouvelle démarche ambitieuse dans l’espace muséal roumain a permis de créer des systèmes spécifiques destinés à faciliter l’accès de ce public à l’exposition permanente et aux divers événements culturels. Pour les personnes présentant des déficiences visuelles, des tapis tactiles ont été installés pour assurer leur déplacement en parfaites conditions de sécurité. 20 bas-reliefs reproduisant les dioramas de l’exposition permanente, accompagnés des explications en système Braille ont été placés tout au long du parcours de la visite et des restitutions des sons de la nature ont été réalisées. Pour le public présentant des déficiences auditives, deux muséographes ont été instruits en langue des signes pour réaliser des guidages et organiser des visites spéciales. Pour les personnes présentant des difficultés locomotrices, des ateliers d’art plastique inspirés de l’histoire naturelle ont été organisés. L’exposition temporaire intitulée Dans le noir, adressée à toutes les catégories de public, était dotée d’explications audio et le guide avait des déficiences visuelles. Cette démarche propose une méthode inclusive de visite qui amène, de manière temporaire et à titre expérimental, tous les publics à un point commun: percevoir la réalité en l’absence des capacités visuelles. Le Musée Antipa a ainsi réussi à atteindre un objectif important du projet, celui de «signaler, informer et démarrer un processus destiné à la société roumaine, de prise de conscience de l’importance de l’accès à l’information pour toutes les catégories de visiteurs, mais aussi des besoins et des droits des personnes handicapées9)». 7. Plus de détails sont accessibles sur le site http://maramuresmuzeu.ro/mija/ 8. Plus de détails sont disponibles sur le site http://mncr.ro/expozitii+exposzitii%20temporare+2012+expozitia%20 atinge%20istoria.html 9. Ion (2012)
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Outre les systèmes et la documentation réalisés dans le cadre du projet le Musée pour tous, l’institution met à la disposition des personnes déficientes, des facilités et des produits spéciaux: un guide de visite du musée pour les personnes présentant des déficiences auditives, disponible en format vidéo sur le site de l’institution (http://www.antipa.ro/ro/categories/68/ pages/193), diverses dotations destinées à faciliter l’accès des personnes avec des déficiences locomotrices (parking, rampes, toilettes, etc.). Pour le public présentant des déficiences visuelles, le musée propose plusieurs types de produits: un guide de présentation de l’exposition permanente réalisé en système Braille, deux catalogues contenant des échantillons de fourrures et des plumes réalisés en système Braille et les bas-reliefs représentant les dioramas que l’on retrouve sur le parcours de la visite, dont 17 contiennent les sons des divers animaux, six boîtes contenant des pièces que l’on peut toucher et quatre supports de présentation des coquillages, de divers types de plumes et des échantillons de fourrure de diverses espèces d’animaux. Le Musée Antipa offre actuellement à personnes présentant différentes types de déficiences beaucoup de possibilités d’exploitation du patrimoine, avec divers types de produits et de services. La plupart sont destinés aux visiteurs individuels ou aux petits groupes, de maximum trois personnes, qui ont la possibilité d’explorer de manière consécutive et selon leur propre rythme, le matériel d’information disponible (les catalogues - sur demande, le guide à l’accueil, les autres produits – dans l’exposition). Pour les groupes plus nombreux (comme par exemple une classe d’élèves d’une école spécialisée), le temps d’attente de chaque personne augmente proportionnellement au nombre de visiteurs et le temps consacré à l’exploration diminue. Une autre remarque se réfère à l’emplacement dans l’espace d’exposition des produits créés pour les personnes présentant des déficiences visuelles? certaines (comme les boîtes contenant des objets qui peuvent être touchés ou les supports exposant des coquillages, les échantillons de fourrure et de plumes) pourraient certainement intéresser toutes les catégories de public, quel que soit l’âge ou le handicap. Malheureusement, elles disposent d’étiquettes et d’explications en Braille et sont donc inaccessibles au public qui ne connait pas ce système spécial d’écriture. Le Musée national d’histoire naturelle «Grigore Antipa», avec son projet Le Musée pour tous, est le premier musée roumain qui a réussi à faciliter à long terme l’accès des collections permanentes aux personnes handicapées. Son offre est d’abord destinée aux visiteurs individuels qui bénéficient des éléments de protection, de confort et d’information/ découverte des collections. Le Musée national d’art de Roumanie propose une approche différente de l’accès au patrimoine pour les personnes handicapées. Mis à part l’aménagement
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des locaux avec des rampes d’accès, des ascenseurs et des entrées spéciales pour le public présentant des déficiences locomotrices, l’accès aux collections a été facilité par la réalisation de produits et de programmes spéciaux. Une première étape a été le projet InclusivART, entre octobre et novembre 2013 au Musée des Collections d’art, qui est une section du Musée d’art de Roumanie. Ce projet était destiné aux personnes présentant des déficiences sensorielles, motrices, cognitives ou émotionnelles. Il a été financé par l’Administration du Fonds Culturel National. A cette occasion a été aménagée la première Galerie tactile d’art de Roumanie, un espace conçu à la fois comme salle d’exposition et comme atelier éducatif, équipé de meubles, matériels et produits capables de permettre aux catégories de public-ciblé de se familiariser avec l’idée de musée, de collection et avec quelques œuvres d’art exposées. Le projet a inclus la reproduction des diagrammes tactiles des œuvres d’art, des trousses et des maquettes multi-sensorielles ainsi qu’un catalogue en système Braille des 9 œuvres d’art appartenant au Musée des collections d’art, comme par exemple les peintures de Nicolae Grigorescu, Nicolae Tonitza et les œuvres de sculpture et d’art décoratif. Un autre élément important du projet était la conception et la mise en place de programmes éducatifs adaptés (du point de vue du contenu et du format) aux groupes de personnes handicapées. Ces programmes étaient destinés aux élèves du cycle primaire et du collège (avec ou sans handicap), visaient leur familiarisation avec le musée et les œuvres d’art et assuraient un accès facile et interactif entre les groupes de participants. Cette approche inclusive et intégrative est un élément de nouveauté du projet InclusivART qui met en évidence le rôle du musée en tant que ressource de l’éducation non-formelle et de l’éducation inclusive. Un autre projet déroulé par le Musée national d’art de Roumanie et dédié aux personnes présentant des déficiences sensorielles est ARTtouch. Le projet intitulé «Le monde a travers les couleurs et le son» entre mai 2013 et avril 2014 a bénéficié du soutien financier de la Fondation Orange Roumanie. Trois œuvres exposées dans la Galerie d’art (Bouquet de fleurs de Jean Brueghel le Vieux, Saint Francisc et Saint Benedicte à l’écoute d’un ange musical de Guerchin et Porte (Saint Tropez) de Paul Signac) ont servi de modèles pour les applications multimédia réalisées afin de créer une réalité augmentée, des reproductions tactiles, des échantillons textiles, une «bibliothèque de sons» et une «bibliothèque olfactive» capables d’offrir aux personnes handicapées l’expérience d’une exploration multi-sensorielle de la Galerie d’art. Ce projet a permis de créer des produits destinés aux visiteurs individuels et aux groupes de différentes tailles. Les œuvres de Guerchin et Signac ont été dotées d’applications multimédia qui ont facilité l’accès via les touch-
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screens placés à côté des tableaux? chaque application a permis l’exploration individuelle et a livré des informations sur les éléments constituants: les plans, les personnages, les sources de lumière (Signac). Le célèbre Bouquet de fleurs de Jean Brueghel le Vieux était animé par une application spectaculaire en réalité augmentée, capable de proposer une nouvelle modalité de perception de la peinture et d’offrir des informations intéressantes sur l’histoire, le mode de vie et les croyances du XVIIe siècle? l’application peut être téléchargée gratuitement sur App Store et Google Play, en cliquant sur le lien inscrit sur le site, sur les plaquettes ou sur les affiches de la Galerie, et qu’on peut activer devant le tableau10). L’application peut être exploitée à n’importe quel endroit ou moment, sans que la présence du musée soit nécessaire. Des visites guidées et des ateliers spéciaux ont été conçus pour les groupes de personnes handicapées, qui utilisent des reproductions tactiles, des échantillons textiles, une maquette, des morceaux musicaux et de sons de la nature réunies dans une «bibliothèque sonore», des essences des parfums et des échantillons du parfum que les créateurs d’Expressions Parfumés de Grasse ont créé pour le tableau de Brueghel. Tous ces éléments transforment le tour multi-sensoriel de la Galerie d’art européenne en une expérience complexe et la simple visite du musée en un enchantement spécial. Les produits multimédia et les programmes conçus dans le cadre du projet restent proposés dans l’offre permanente du musée. Les projets InclusivART et ARTtouch permettent au Musée national d’art de militer pour la nécessité d’élargir l’offre de ses programmes éducatifs pour les personnes handicapées. Cette approche attire les groupes qui ont besoin, pendant la visite du musée, d’un éducateur muséal capable de faciliter la compréhension artistique par diverses expériences sensorielles. Le Musée ne dispose pas des mêmes facilités que le Musée Antipa. Pourtant, les visiteurs individuels ou les groupes de petite taille disposent de quelques produits multimédia qui transforment la visite de la Galerie en une expérience inédite. Ce nouveau secteur des facilités et des produits culturels destinés aux personnes handicapées a permis aux deux musées, le Musée national d’histoire naturelle «Grigore Antipa» et le Musée national d’art de Roumanie de se conformer aux demandes, de répondre aux besoins réels et de créer des repères. Les offres de ces deux musées ne sont pas en concurrence, au contraire, elles se complètent et reflètent leur particularité: la facilité et la protection d’une visite individuelle, riche en découvertes captivantes de l’histoire naturelle, la complexité d’un programme interactif qui utilise les capacités sensorielles et émotionnelles dans la perception des œuvres d’art des maitres de l’art européen ou roumain. 10. Plus de détails sont disponibles sur le site http://www.mnar.arts.ro/attouch/tur-multisenzorial
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Il reste beaucoup de choses à faire; actuellement il existe en Europe des galeries complètement accessibles aux personnes handicapés (comme le Museo Tattile Statale Omero de Mole Vanvitelliana, la région Ancona, Italie, qui permet de toucher tous les objets exposés11) ou la Galerie Tactile inaugurée en 2009 au sein de la Galerie d’Art de Zagreb, Croatie) ainsi que des expositions itinérantes créées spécialement pour les personnes présentant des déficiences visuelles (œuvres rendues accessibles et présentées dans la Galerie DiTACTA Multisensory Collection par Natasa Jovici, historien d’art, initiatrice des Galeries Tactiles de Zagreb12)). Les musées roumains sont tenus de réaliser des projets qui utilisent des produits qualitatifs et des approches interdisciplinaires, créatives et inclusives. Une première a été l’exposition temporaire multi-sensorielle destinée aux personnes présentant des déficiences visuelles Expérience Caravaggio – Diner chez Emaus, conçue par Natasa Jovici, la directrice de la Galerie DiTACTA de Zagreb, proposée entre octobre et novembre 2014 au Musée des Collections d’Art. Bibliographie Ion, D.A. (2012). Le Musée pour tous. Pour certains. Le musée s’ouvre pour la première fois! http://www.antipa.ro/ro/categoires/68/pages/192 (le 9 novembre 2014)
Despina Hașegan muséographie spécialiste en éducation à la Section éducation, communication, projets culturels et marketing du Musée national d’art de Roumanie en 2006. Elle est devenue en 2013 coordinatrice de cette équipe et s’est impliquée dans toutes les activités d’élaboration et de mise en œuvre des programmes éducatifs, dans les activités de communication, l’organisation de divers événements, dans la formation des volontaires, etc. Diplômée de la Faculté d’histoire et la théorie de l’art elle souhaite la transposition du langage et des informations spécialisées dans des formats adaptés aux différentes catégories de public. Elle a participé activement aux récents projets d’accessibilité réalisés par le MNAR comme la livraison de solutions pour répondre aux défis réels et la conception des nouvelles formes de travail pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées.
11. Plus de détails sont disponibles a l’adresse: http://www.museoomero.it/main?pp=museo&idLang=4 12. Plus de détails sont disponibles à l’adresse http://dictata.tumblr.com/exhibition
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Galerie tactile Mihaela Aurora CHRISTI
Abstract Many of the world’s museums boast some sort or other of a tactile gallery: 3D replicas, bas-reliefs, artifacts made of various type fabrics, paintings… The question is how far such a gallery can, or may, or should, go. The tactile gallery is a concept still young, development thereof depending on both technology and the basics of general/special human education. As such, on the one hand an emergent art field seems to be in search for its artists and galleries; on the other, the owners need to be pre-educated for the purpose. Basic tolerance will be needed for as large as life facts, such as widely divergent idiosyncrasies, logistics, cultures...
Keywords: tactility, enhancing, PIAF, bas-relief, 2D-3D
Otilia, une adolescente malvoyante1) utilise de divers codes de communication avec sa mère qui présente des déficiences auditives et avec son père qui souffre de déficiences verbales. Elle explore le monde à travers les expériences sensorielles et une intelligence émotionnelle exacerbée. Vasile Adamescu2) qui présente des déficiences auditives et visuelles met en scène l’art en proposant une exploration exclusivement tactile et olfactive. Les objets réalisés avec ses mains lui confèrent une voix unique, témoignent d’un réalisme fabuleux, celui de la reconstitution du monde difficilement perçu. Ann Cunningham3), sculpteur, auparavant spécialisé en art tactile, est un pionnier de l’accueil: l’artiste, en tant que messager de l’art, vient ouvrir une vue intérieure différente. Les musées cherchent des solutions tactiles via le bas-relief4). Par l’intermédiaire du projet SimteArta5) mis en œuvre au Musée d’art de Timișoara, le visiteur malvoyant est accompagné sur le tapis tactile dans la Galerie Corneliu Baba et découvre la reproduction tactile, quelques artefacts, la description audio/ en système Braille de 12 peintures de l’artiste. 1. Texte dramatisé, mozartini.wordpress.com/ce-ne-scriu-cititorii-nostri, le dossier ZiZulufZvon, pp.119, 126-31 2. www.youtube.com/watch?v=IYtkea_EBBo 3. www.youtube.com/watch?v=1HRX3fQtiLw, www.youtube.com/watch?v=pqKvfhxMlyk 4. diblas-udine.blogautore.repubblica.it/2011/07/11/per-i-non-vedenti-quadri-da-toccare-nei-musei-viennesi www.uicifirenze.it/uic/index.php?option=com_content&view=article&id=21&Itemid=127 5. Coordinateur Dan Pazelt, simtearta.wordpress.com
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En tant que volontaire du Musée d’Art de Timisoara, impliquée dans ce projet qui est actuellement stoppé, j’invite à une méditation sur les liens entre l’art et la malvoyance, qui ne doivent ni séduire ni décevoir. La première galerie tactile devrait sans doute être mise en place dans les écoles spécialisées et les reproductions en 3D utilisées comme matériel pédagogique sur l’histoire de l’art plastique6). L’étape suivante serait de se hisser au niveau du Musée Anteros, dont le standard est difficilement à atteindre7). Les malvoyants apprennent à l’école l’esprit positif d’intégrer l’infini dans la perception du bout des doigts. Ils vont pouvoir franchir une nouvelle étape et comprendre la peinture en tant qu’art sui generis et rationaliser l’espace 2D dans un instant intemporel, un vécu partiellement soumis et caché, où l’ensemble des dilemmes de la vie sont déchiffrées dans un code qui réunit la forme et les couleurs. Se pose alors le problème de la compatibilité avec la perception du malvoyant. Dans le musée, l’objet exposé est un tableau avec un périmètre déterminé et un texte perceptible au toucher8), auquel on associe une description capable d’informer correctement ce qui est visible et de réaliser une broderie sémantique des expressions. Chaque tableau est une invitation à la danse, n’est-ce pas? Notre modèle est la démarche américaine développée par le projet Art Beyond Sight9). Nous avons ainsi assumé un point de vue à partager ou non: un ars poetica qu’on utilise en ce qui suit, in extenso, en tant que base des discussions sur les compensations essentiels de la démarche10). Seul le tableau est celui qui parle des couleurs et en couleur, comme le banquet est avec et sur des arômes et des goûts, la photo parle de la lumière et le concert parle des sons. Tous ces éléments demandent à leurs artisans du savoir-faire et du talent. Malgré les efforts du peintre, le noir ne permet plus la compréhension du tableau. Pourtant un bas-relief lu et compris dans la lumière pourra ensuite être lisible dans le noir d’autant plus que les couleurs ont été apprises par cœur. Les couleurs sont à évoquer, comme les arômes et les sons, c’est la raison pour laquelle nous avons été doués de raison, de mémoire et d’imagination. Quant on partage du muscat rouge chaud, aromatisé de cannelle, girofle et poivre mais sans le sucre du miel d’acacia, c’est une 6. www.google.ro/search?q=arta+tactile+per+i+cecchi&espv=2&biw=1145&bih=618&source=lnms&tbm= isch&sa=X&ei=B9Y4VPOnAoj6PM73gMAM&ved=0CAYQ_AUoAQ#tbm=isch&q=istituto+per+i+cec chi+gallerie+di+arte&facrc=_&imgdii=_&imgrc=MY96vT--JFpR1M%253A%3BOIHPu_GIi3-MzM%3 Bhttp%253A%252F%252Fcdn.c.photoshelter.com%252Fimg-get%252FI0000kz1QLA5QgyE%252Fs%2 52F750%252F600%252FBlind-InstituteIMG-3040.jpg%3Bhttp%253A%252F%252Fflavio.photoshelter. com%252Fimage%252FI0000kz1QLA5QgyE%3B600%3B600 7. www.mostremusei.com/1542/musei-in-emilia-romagna-museo-tattile-di-pittura-antica-e-moderna-anteros.html 8. Par la technologie PIAF (Picture in a Flash). Notre partenaire de recherche était Harpo, www.harpo.com.pl 9. www.artbeyondsight.org/handbook/acs-verbal.shtml 10. Le texte integral est disponible dans le document Corneliu Baba, mozartini.wordpress.com/ce-ne-scriu-cititoriinostri.
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expérience cognitive. Et la prochaine fois on sera sans doute capables de le reconnaitre, d’autant plus que nous avons parlé de lui. On affirme pour la deuxième fois que la peinture est capable de nous aider à mieux connaitre le monde, à mieux nous connaître nous-mêmes quand on se reconnait dans la lumière du tableau. Les tableaux tactiles sont les sœurs de la musique animée. Est-ce que vous la connaissez? La visualisation animée par des effets sonores nous oblige à suivre le fil d’une seule couleur pour chaque voix ou chaque instrument: ces fils, continus ou sous forme de pulsation de couleur s’allongent simultanément, de façon superposée (comme le temps). Elles montent ou descendent, rapidement ou lentement, dans les sommets et dans les abîmes, avec une vibration perceptible par les paumes, la plante des pieds ou l’ensemble des pores de l’épiderme. Formés pour cette leçon visuelle, les malvoyants jouissent de la musique et sont en mesure de réaliser des compositions: il existe des musiciens qui ont des déficiences auditives, tout comme il existe des grands artistes plastiques malvoyants ou avec des déficiences auditives et visuelles à la fois. Oui, ils existent? Les messages des sens sont finalement visuels, tactiles, olfactifs ou gustatifs et nous aident à connaitre le monde, à partir de nous-mêmes et jusqu’à l’infini. Le libre arbitre appartient quand-même à notre raison et à notre âme. C’est la raison pour laquelle il existe les artistes. On ne peut pas séparer l’artiste de son art, car il ne détient pas l’art pour pouvoir la perdre, il s’identifie avec l’art. Sans l’art il n’est plus rien, voila le mystère. Tactile ou non-tactile, visible ou invisible, le tableau représente une devinette, une histoire du dit et du non-dit, des réalités visibles, partiellement ou complètement cachées. Il est très rare que l’on arrive à comprendre ce que l’on voit. En l’absence d’une vue intérieure, de la raison et de l’âme, instruite par le mot, la compréhension devient presque impossible. La preuve est la description d’un tableau par des enfants de six ans présentant des déficiences auditives et visuelles. Les enfants malvoyants imaginent le tableau, sans le voir, et choisissent sans doute le bien? par contre, les enfants présentant des déficiences auditives qui, à cet âge réalisent une communication rudimentaire, seront en mesure de le reproduire malgré leur niveau très bas de compréhension. L’art, comme projection intelligente de la perception sous des formes matérielles très diverses (qui vont de la pierre à la vibration imperceptible) existe sous des apparences de haut niveau. La grande partie des réalités essentielles se passent dans l’invisible: que peut-on percevoir de la circulation de l’électricité dans les fils électriques, des ondes vers l’écran de télévision, des bytes vers les ordinateurs? Ce qui est visible est le tremblement des feuilles
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quand le vent passe, pas le tremblement, mais les feuilles en mouvement. La peinture représente, comme on l’a déjà dit, l’art d’immortaliser le temps. Dans la même logique, l’art de la compression de l’espace de 3D à 2D. Tous les enfants de notre monde ont besoin de dessins, de comprendre le message des dessins, voila une vérité non-négociable. Mais la connaissance du dessin et du mot est une forme d’éducation et comme les choses ne vont pas d’elles-mêmes, il est difficile de trop intervenir pour réussir à intégrer un ignorant dans le monde de la connaissance. Dans ce contexte, l’éducation de l’imagination est inestimable, ce qui est en dernier ressort un jeu de l’intelligence. La collection qui fait l’objet de notre exposition est destinée à l’apprentissage, sous toutes les formes de perception. Comme disait SaintExupéry, dans certains contextes la représentation d’un certain chapeau prend la forme d’un serpent qui a avalé un éléphant. Les problèmes non-conjoncturels de la démarche11) correspondent d’un coté au type d’éducation offert par l’école, la famille ou les autres institutions et, de l’autre coté, au concept muséal adopté: reproductions in situ, dans la galerie? artefacts didactiques de la pédagogie muséale? ou les deux. Dans toute situation, seul l’artiste plastique dédié à l’idée pourra décider des solutions à adopter pour éviter de plonger dans le kitch. Mihaela Aurora Christi, professeur à la retraite, volontaire du Musée d’art de Timisoara et coordonateur du projet Mo’zArtino, mozartini.wordpress.com [a.m.christi@gmail.com]
11. On ne parle pas des problèmes conjoncturels qui ne sont pas essentiels et qui vont disparaitre plus ou moins volontairement.
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Ministère de la Culture L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle
QUI SOMMES-NOUS? L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle (INRFC) est un établissement public rattaché au Ministère de la Culture. C’est le seul institut national ayant pour objectif la recherche spécialisée sur les questions culturelles et la formation des professionnels dans le domaine culturel. Sa mission est de rendre ses programmes de recherche et de formation accessibles à toutes les institutions publiques culturelles, quel que soit le caractère de subordination ou le type d’organisation, de leur livrer des données statistiques pertinentes sur les politiques et les stratégies en matière culturelle, au niveau national et international. L’INRFC a l’avantage d’avoir intégré, en 2013, deux institutions prestigieuses: le Centre de Recherche et de Conseil dans le Domaine de la Culture (CRCDC) et le Centre de Formation Professionnelle dans le Secteur Culturel (CFPC). Les spécialistes de l’INRFC ont réalisé jusqu’à présent 70 études et recherches, ont participé à 31 conférences nationales et internationales, ont formé plus de 6000 bénéficiaires issus d’environ 700 institutions culturelles et ont évalué plus de 4000 candidats dans des sessions d’évaluation des compétences. Les bénéficiaires sont: des institutions culturelles publiques subordonnées aux autorités locales ou centrales, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, la Commission Européenne – l’Agence Exécutive Education, Audiovisuel et Culture, l’Autorité Nationale pour la Recherche Scientifique, le Centre National de Culture pour les Roms, l’UNITER (l’Union Théâtrale de Roumanie), le Commissaire pour le Programme Sibiu Capitale Européenne de la Culture 2007, ArCuB (le Centre des Projets Culturels de Bucarest).
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Ministère de la Culture L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle
L’ACIVITE DE RECHERCHE L’INRFC réalise, sur demande, des études de recherche appliquées, pour une grande catégorie de bénéficiaires. Ces études sont adaptées aux besoins et aux exigences de chaque organisation culturelle dans les domaines de la recherche, de la conception, du suivi et de l’évaluation des politiques et des programmes culturels. L’Institut s’adresse en priorité aux autorités centrales et locales qui disposent d’un réseau d’institutions, pour les accompagner dans l’élaboration des politiques dédiées et des stratégies capables d’appréhender la culture en tant que service public. Le département de recherche de l’INRFC dispose d’une équipe interdisciplinaire, de spécialistes en management, art, histoire, sociologie, marketing, anthropologie culturelle, sciences politiques et économie. L’INRFC produit notamment le Baromètre de la Consommation Culturelle. Produits de l’INRFC: études d’impact, études de suivi et de synchronisation (tracking and timing), analyses diagnostiques de gestion culturelle, études de cas pour des projets culturels. L’activité de recherche est coordonnée par un Conseil Scientifique, dont les membres partagent une culture d’excellence dans le domaine de la recherche, et exercent de hautes fonctions dans l’enseignement supérieur scientifique, culturel et artistique, ou dans des institutions culturelles.
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Ministère de la Culture L’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle
L’ACTIVITE DE FORMATION PROFESIONNELLE Dans le domaine de la formation professionnelle continue et de l’éducation, l’INRFC est le principal fournisseur de programmes du secteur culturel. Les programmes de formation offerts par l’INRFC sont reconnus au niveau national par le Ministère du Travail, de la Famille et de la Protection Sociale et par le Ministère de l’Education et de la Recherche. L’offre de l’INRFC comprend plus de 30 programmes de formation professionnelle (cours certifiés et ateliers de travail), couvrant les principales professions du secteur culturel – gestion culturelle, bibliothéconomie, muséologie, conservation et restauration, arts du spectacle, imprésaria, évaluation des projets, etc. Les formateurs sont des spécialistes reconnus dans leurs domaines de compétence, qui travaillent dans des institutions culturelles et d’enseignement prestigieuses.
L’offre de formation destinée aux professionnels du domaine muséal est riche et couvre la variété des métiers du patrimoine culturel, de l’introduction en muséologie, jusqu’à la conservation des œuvres d’art et la restauration des biens culturels.
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LES BASES DE LA MUSEOLOGIE Le programme de formation Les bases de la muséologie est conçu pour apporter les compétences spécifiques à la norme professionnelle de muséographe et offrir aux participants un ensemble d’outils nécessaires à leur activité. Sont ainsi présentées les nouvelles théories, pratiques et tendances dans le domaine de la muséologie. Le programme de formation est destiné en priorité aux nouveaux employés des musées et aux employés qui n’ont pas bénéficié des programmes de formation dans leur domaine d’activité. Structure: Module I • Protection du patrimoine? • Le musée en tant que fournisseur d’offre culturelle – sa mission? • Typologie des musées? • Code ICOM de l’éthique dans les musées? • Norme professionnelle de muséographe.
Module II • Recherche sur le terrain? • Recherche anthropologique et anthropologie urbaine? • Management des collections. Module III • Musée et expositions • Soutenance de l’examen final
CONSERVATEUR D’OEUVRE D’ART ET DES MONUMENTS HISTORIQUES Le programme de formation de conservateur d’œuvre d’art et des monuments historiques est destiné à apporter les compétences spécifiques aux opérations de conservation préventive des biens culturels mobiles et des monuments historiques pour éviter leur dégradation, ainsi qu’à délivrer l’attestation de ces compétences. Le programme de formation est destiné aux employés des institutions publiques culturelles chargés de la conservation des œuvres d’art et des monuments historiques, qui n’ont pas suivi d’études supérieurs spécifiques ou ne détiennent pas un certificat leur permettant d’effectuer ces activités. Structure: • Module I: 12 jours de formation? • Module II: 12 jours de formation? • Module III: 11 jours de formation. Emplois du temps: 8 heures/jour (y compris le samedi et le dimanche)
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Thématique: Concepts législatifs; Muséographie générale? Concepts élémentaires de la chimie organique et inorganique? Conservation préventive des biens culturels et des monuments historiques.
GERANT-CONSERVATEUR DE SALLE Le programme de formation Gérant-conservateur de salle est destiné à apporter des compétences spécifiques et de mieux faire connaitre les dispositions législatives, relatives au patrimoine national. Le programme de formation est destiné aux gérants-conservateurs des salles et aux surveillants, mais aussi aux employés des espaces museaux de petite taille ou des maisons mémorielles. Thématique: • Cadre législatif relatif à la protection du patrimoine culturel? • Eléments de communication publique? • Sources de dégradation des biens culturels? • Normes de conservation préventive? • Normes PSI et NPM. RESTAURATEUR DE BIENS CULTURELS Le programme de formation de Restaurateur de biens culturels est destiné à apporter les compétences spécifiques aux opérations de consolidation et de restauration des œuvres d’art. Le stage de formation est adapté à la technique de travail et aux matériaux de construction utilisés. Le programme de formation est destiné aux employés des institutions publiques culturelles (musées, bibliothèques, etc.) et aux personnes physiques ou morales qui n’ont pas suivi d’études supérieures spécialisées et qui ne possèdent pas un certificat attestant de leurs compétences pour exercer ce métier. Structure: • Module I: 12 jours de formation • Module II: 12 jours de formation Emplois du temps: 8 heures/ jour (y compris le samedi et le dimanche)
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Thématique: • Concepts législatifs nationaux et internationaux dans le domaine de la conservation et de la restauration? • Muséologie générale? • Restaurateur: profil, aspects méthodologiques? • Concepts de base de chimie générale? • Propriétés physiques et chimiques du matériel-support? • Rôle des investigations physiques, chimiques et biologiques dans l’activité de restauration? • Sources de dégradation: classification? • Types de dégâts? • Interventions spécifiques, méthodologies? • Documentation spécifique (dossier de restauration: contenu, structure, etc.) Les informations sur les programmes de formation de l’Institut National pour la Recherche et la Formation Culturelle sont disponibles à l’adresse www.culturadata.ro
57, rue Bardu Delavrancea, secteur 1, Bucarest, Code postal 011353 www.culturadata.ro - E-mail: office@culturadata.ro
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