Géostratégies d'influence, softpower et opinion

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Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe POLITIQUES D'INFLUENCE Les techniques d'influence (tel le lobbying) en intelligence économique trouvent un complément logique à l'échelon géostratégique : les politique étatiques d'influence menées à travers des médias, la "diplomatie publique" ou le "softpower... Cela renvoie à une des plus vieilles catégories : la distinction entre puissance et influence. La seconde notion renvoie a contrario à la première. Si la puissance d’un État se mesure à ce qu’il possède (ressources, armes, population, richesses…), son influence dépend de ce qu’il est, ou plutôt des images qui en émanent et des sentiments qu'il suscite. La puissance est – sans jeu de mots - toujours en puissance, en ce sens qu’il lui faut se manifester, éventuellement contre une autre forme (une autre armée, un autre compétiteur économique) pour se transformer en un pouvoir effectif et pour garantir une chance d’obtenir ce que l’on veut d’autrui. L'influence, elle, se constate après coup, par ses effets. Si l’État B a fait ce que souhaitait l’État A comme spontanément, il faut bien expliquer cela par son influence internationale. Ou encore, par le fait que l’opinion internationale, les médias, les organisations dites de la société civile aient soutenu l’action de A, de telle sorte que les gouvernements n’aient pu que suivre. La puissance se mesure soit en chiffres (PNB, milliers de kilomètres carrés, têtes de missiles, millions d’habitants…) soit en termes de supériorité technologique, scientifique ou autre, mais toujours par comparaison. L’influence naît d’une relation assez mystérieuse : les autres veulent la même chose que vous, jugent comme vous et souvent, désirent vous imiter ou vous aider. Peut-on obtenir cet effet délibérément voire systématiquement ? La tentation n'est pas nouvelle. Aussi l’idée d’avoir une politique étatique d’influence – ne serait-ce que pour économiser l’usage de sa puissance – n’est pas neuve. Quand, pour préparer les guerres médiques, Darius achetait des citoyens grecs afin qu’ils soutiennent des positions favorables à la Perse dans leurs propres cités, ou quand Alexandre, après avoir conquis un pays, s’empressait de se proclamer fils des dieux locaux et incitait ses généraux à prendre des épouses autochtones, ils menaient des politiques d’influence. Quand Sun Tse conseille à un souverain de fournir du vin et des concubines au roi voisin pour amollir son caractère, où d’encourager les dissensions et les jalousies dans le camp d’en face, il s’agit toujours de politique d’influence. Et pourtant ces exemples ont près de deux millénaires et demi. Il existe donc depuis longtemps des stratégies positives d’attraction ou d’imitation (exporter son modèle, présenter une image favorable) ou des stratégies de répulsion (rendre l’adversaire odieux, lui faire perdre ses partisans ou ses alliés, le diaboliser). La traditions française nous porte volontiers à confondre une politique d’influence et une politique de prestige. Pour caricaturer, notre pays ne devrait avoir que des amis (voire de bons clients) parce que nous sommes le pays de la liberté, des droits de l’Homme, de la qualité de vie, de la vraie culture, de la langue des élites… ou encore parce que nous sommes naturellement favorables à la diversité et au multilatéralisme... Et nous en concluons souvent que cela devrait se payer en dividendes économiques et diplomatiques. De façon générale, la politique d’influence recouvre un vaste éventail :


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe - Gagner des marchés, rendre d’autres pays plus réceptifs à ses produits, en y trouvant des relais, en faisant en sorte que les consommateurs y deviennent plus désireux de certains biens ou d’un certain style de vie - Agir sur les décisions d’organisations internationales, y faire jouer ses amis dans le sens de ses intérêts - Avoir des alliés et des relais d’opinion dans d’autres États, le cas échéant favoriser leur succès politique dans leur pays, entretenir ses réseaux - Soutenir les mouvement politiques ou religieux extérieurs plus ou moins proches de votre idéologie - Jouir d’une bonne image en général, susciter une préférence spontanée, vendre la "marque" (branding) nationale - Employer des professionnels de la communication (ou leurs méthodes) pour peser sur les décisions d’autorités nationales ou internationales, mais aussi pour défendre sa réputation auprès d’une opinion et de médias étrangers, - S’assurer que ses positions seront relayés par des ONG prestigieuses, des autorités religieuses, morales, culturelles dans les forums internationaux ou auprès des médias - Former ou formater les élites des autres - Faire passer une idée auprès d’une opinion étrangère, s’adresser directement à elle par-dessus la tête de ses gouvernants - Le cas échéant, créer des médias pour cela, exercer une véritable propagande hors frontières - Susciter un rejet d’un rival, le décrédibiliser, le diaboliser - Lutter contre ce que l'on considère comme de la désinformation hostile à votre pays - Désarmer l'hostilité de groupes ennemis, les "déradicaliser" pour appuyer une politique de pacification et/ou assurer sa propre sécurité - Faire que chaque soir votre Nation ait moins d'ennemis qu'elle n'en avait le matin - Mener en sous main des actions de déstabilisation contre des entreprises ou des autorités étrangères qui contrarient votre politique - Encourager certaines mentalités, cadres intellectuels, valeurs, catégories, codes… qui rendront les relations plus faciles, qui amèneront les autres à penser, travailler, juger comme on le désire. Par exemple faire de telle sorte que les élites d’un autre pays soient familières avec votre langue, vos normes juridiques, techniques, comptables, éthiques… - Conclure des alliances informelles... Il serait difficile de trouver un pays qui à une époque ou à une autre, ait davantage excellé dans chacun de ces domaines que les USA. Surtout, les Américains théorisent ce qu’ils font, ils le disent et ils le nomment. D’où une profusion de concepts, souvent ronflants et redondants. Cela donne suivant les époques : - La guerre " pour les cœurs et les esprits " - puis la " guerre culturelle " lancée notamment par la CIA contre l’URSS - La " diplomatie publique " confiée en particulier à l’US Information Agency (et devenue après une courte période d’oubli, un sous-secrétariat d’État) avec ses Radio Free Europe, Voice of America, ses bourses pour étudiants, ses tournées pour journalistes étrangers - L’influence "stratégique", les opérations psychologiques, actions de "guerre cognitive" ou " guerre de l’information " et autres vocables volontiers employés par le Pentagone pour désigner quelque chose qui, au final, ressemble à de la propagande - Les " relations publiques " et " advocacy role " que mènent pour le compte des USA des agences de communication privées


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe - L’élargissement du modèle technologique, culturel et économico-politique des USA (enlargment) ou le " formatage de la mondialisation " (shapping the globalization) - Le " social learning ", formation des élites de pays étrangers, surtout de l’ancien bloc de l’Est à la démocratie ou au mode de gouvernance occidental - Le "softpower ", et peut-être maintenant le "smart power" à supposer qu'un tel animal existe, revenu très à la mode sous la présidence d'Obama. Pourtant, comme l’a montré la prolifération des chaînes internationales d’information par satellites, qui sont souvent des outils d’influence assumés (al Jazeera, Tv Sur, CCN, Russia Today ou France 24 pour la France…), il n’y a pas de monopole américain en ce domaine. Par ailleurs, il serait temps de s’intéresser à des politiques d’influence balbutiantes ou que nous percevons mal comme celle de la Chine et de l’Inde. Par dépit, peut-être de ne pouvoir parler d’une politique d’influence européenne… Enfin la privatisation de l'influence, que ce soi au profit des médias ou des ONG et autres groupes d’influence, sans parler du terrorisme qui est après tout un mode d’influence par l’horreur, est un facteur déterminant des futures politiques nationales.


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Autorité politique contre influence médiatique (article publié dans Géopolitique n° 108) Extraits Pendant la période historique où la presse écrite détermine le débat public, les rapports entre le quatrième pouvoir et le système politique se posent en termes de soumission ou critique tant il semble évident que le média joue un rôle second par rapport à l'autorité. Le politique ordonne et agit, le journaliste s'il est servile ou s'il subit un contrôle social (voire policier) relaye la position officielle ; il la critique s'il a d'autres options idéologiques, plus le courage le talent ou la possibilité de les exprimer. Les médias valent suivant qu'ils reflètent plus ou moins authentiquement événements et opinions. Dans l'idéal, le citoyen rationnel, éclairé sur les affaires du monde par une presse pluraliste (des journalistes plus "intellectuels critiques" que "chiens de garde"), débat avec ses pairs dans l'espace public, puis indique par des procédures démocratiques le chemin du Bien Commun à des gouvernants serviteurs de la Loi. Il s'agit là d'une utopie évidente car le pouvoir des médias excède très vite celui de décrire et de juger : voir Randolph Hearst poussant son pays à la guerre à Cuba en 1898 (une anecdote douteuse veut qu'il ait télégraphié à son correspondant à la Havane : "Fournissez les images, je fournirai la guerre."). Cette représentation toute théorique du rapport autorité/influence reflète un stade de la technique lié à la presse à imprimer. Mais d'autres évolutions techniques - nous en évoquerons trois, mais il en est sans doute d'autres - bouleversent ce rapport. Influence d'État : secteurs et vecteurs La première mutation affecte le lien entre frontière politique et frontière médiatique au sens géographique. Jusqu'au seuil de la seconde guerre mondiale, celui qui contrôle le territoire gère à peu près les flux d'information qui y circulent, même si des publications peuvent franchir une douane clandestinement. Le souverain maîtrise les instruments de destruction sur son territoire (la fameuse violence légitime) mais aussi les moyens de communication de masse, généralement soumis à autorisation. Mais voici qu'apparaît la radio et qu'aucun gabelou n'arrête les ondes. Pionnier en ce domaine, le Saint Siège se dote de Radio Vatican en 1931, propaganda fide et émet à l'échelle internationale à partir de 1937 par autorisation spéciale de l'Union internationale de la radio. La Seconde Guerre mondiale stimule l'usage "offensif" de la radio en direction d'un territoire à libérer ou à conquérir : instructions pour ses partisans, désinformation ou démoralisation pour ses adversaires, propagande pour les habitants... Voir Radio Londres ou "Germany Calling" avec le fameux "Lord Haw Haw" propagandiste nazi. Pourtant la création de médias destinés à persuader des populations étrangères, dans leur langue et chez eux est typique de la Guerre Froide[1]. L'Est finance modestement quelques médias destinés à l'exportation et à la catéchèse (intelligentsia européenne n'a pas besoin de lire Spoutnik pour pencher vers le marxisme et radio Tirana ne convertit que des convaincus). En revanche, les USA conçoivent sous Eisenhower une stratégie de "diplomatie publique" ; une de ses composantes principales est l'utilisation de radios émettant au-delà du rideau de fer. De 1953 à 1999, l'US Information Agency[2], crée Voice of America, puis la radio anticastriste Radio Marti. Radio Free Europe, en principe privée, mais financée par le Congrès remplit la même fonction de lutte idéologique contre le communisme. La recette combine l'héritage de Woodrow Wilson (convertir la planète aux valeurs démocratiques, gagner les "cœurs et les esprits"), l'idée chère à la CIA (mener une "guerre culturelle" contre l'Est y


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe compris en montrant combien "notre" jazz ou "notre" peinture abstraite peuvent être subversifs face au réalisme soviétique à la Jdanov) et enfin une confiance très américaine dans le pouvoir libérateur des médias. Il s'agit de donner une "vraie" image de l'Amérique et de son mode de vie. Faire savoir, c'est forcément convertir des citoyens de l'Est qui ne peuvent être communistes que par ignorance. Dans les années 90, avec la chute de l'URSS (et en particulier sous la présidence de Clinton) la diplomatie publique est remplacée par la politique de "softpower "[3], basée sur l'exemplarité et la séduction des USA. Désormais, les partisans d'un "élargissement" du modèle américain font bien davantage confiance aux médias privés qu'aux officines plus ou moins liées aux services secrets. Beaucoup expliquent en partie la chute du Mur par la séduction du mode de vie capitaliste que les téléspectateurs de RDA contemplaient en recevant les télévisions de RFA. Avec toutes les mythologies que répandent les œuvres de fiction. Le feuilleton "Dallas" et le rock auraient en somme vaincu Honnecker et la Stasi. Tout ce qui est universel, démocratie, marché, culture de masse et société de communication sert objectivement les intérêts US, pense-t-on dans la décennie 90 : Al Gore prophétise que la démocratie se répandra sur "l'Agora planétaire" de la Toile. Lors de la première guerre du Golfe, outre les armes de haute technologie, les USA semblent s'être aussi assurés le monopole de l'image, grâce à CNN la chaîne d'information continue de Ted Turner, Du missile décollant d'Arabie saoudite au missile explosant à Bagdad, rien n'échappe à ses caméras : une guerre sera désormais vue en plongée, donc avec un œil occidental, côté vainqueurs, démocrates et "modernes"[4]. Et les médias nationaux s'abreuveront au robinet à images planétaire À l'effet CNN s'opposera pourtant dix ans plus tard l'effet al Jazira. La "petite" chaîne qatarie arabophone reçue par peut-être quarante ou cinquante millions de spectateurs atteint une notoriété mondiale le 7 octobre 2001 en diffusant au monde entier une cassette de ben Laden au début de l'intervention militaire en Afghanistan. La chaîne qui, depuis s'est dotée d'une petite sœur anglophone, compte dans tout le monde arabe, symbolisant une vision alternative de celle de l'Occident[5]. À tel point que les émirats financent al Arabiya, que les USA lancent des radios et télévisions arabophones (comme al Hurrah) pour compenser son influence. Désormais, dès qu'une État prétend à une influence hors-frontières, la chaîne internationale d'information télévisée, si possible multilingue, devient un outil presque obligatoire : BBC International pour le Royaume-Uni, Deutsche Welle pour l'Allemagne, Russia Today pour la Russie... Même notre pays, avec France 24 émettant simultanément en français, anglais et arabe n'échappe pas à la règle. Tout est possible, de la lutte idéologique (Telesur chaîne latinoaméricaine anti-impérialiste lancée par Chavez) à la fonction vitrine : attirer les investisseurs étrangers et donner une vision paisible du pays, (fonction de la télévision chinoise CCTV). Dans tous les cas l'État séducteur selon l'expression de Régis Debray[6] doit maintenant persuader aussi l'opinion internationale, ou au moins une très vaste aire culturelle (monde arabo-musulman ou latino-américain) d'adhérer à ses objectifs. D'autant qu'il n'est pas seul à jouer sur ce terrain. La compétition par les chaînes par satellite - relayée bien entendu sur Internet comme nous le verrons - est maintenant ouverte y compris aux organisations internationales, ( telle l'Otan lançant une télévision destinée à combattre la communication des talibans) ou à des partis comme le Hezbollah avec al Manar. D'autant plus que si l'on remonte un degré de plus en amont, non pas vers la diffusion mais vers la fabrication d'images, la compétition est encore plus ouverte et le contrôle plus difficile[7]. Les Américains, incapables d'empêcher la circulation de vidéo cassettes jihadistes du "producteur d'al Qaïda", as-Sahab en sont conscients, comme le sont les Israéliens qui


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe hésitent entre l'interdiction des caméras à Gaza ou la contestation des images des bavures de Tsahal. Ils les dénoncent comme du pur "Pallywood" (Hollywood + Palestiniens) : des mises en scènes d'atrocités par des manipulateurs du Hezbolalh ou du Hamas abusant les reporters européens. La lutte est désormais engagée pour la métapropagande : décrédibiliser les images de l'autre comme pure propagande. Certes, pas plus qu'il n'existe de marché parfait, il n'y a de circulation concurrentielle absolue de l'information. Dans la plupart des pays, le média le plus influent restera une chaîne télévisée nationale, et l'idée que "sur Internet plus aucune censure n'est désormais possible" est carrément fausse. La Chine réussit notamment - aidée, il est vrai, par la barrière de la langue - accomplit ce paradoxe : avoir une population énorme branchée sur Internet et un contrôle politique presque sans faille de ce à quoi elle a accès. Mais la tendance lourde est à l'abolition de la frontière intérieur/extérieur La classe politique : spectacle et dépendance Seconde grand effet de l'explosion des médias : la dépendance de la classe politique à leur égard. Abaissement du politique et de sa dignité face aux exigences de l'Audimat, de l'urgence spectaculaire, de l'agenda télévisuel, impératif de séduction et de personnalisation, prédominance de la vulgate journalistique, confusion entre représentants du peuple et membres des peoples..., la critique a été souvent faite. Du coup, la dénonciation (justifiée) de l'État spectacle[8] finit presque en lieu commun pour plateau télévisé. Le lecteur nous dispensera de plaider le dossier en détails pour ne prendre qu'un exemple. Il est d'ordre financier : l'argent de la communication politique. Ainsi le budget des campagnes pour l'élection présidentielle - Barack Obama (639 millions de dollars) et son rival (360 seulement) - excède le milliard de dollars, la plus grande partie dépensée en publicité pour les médias. Ce record historique (trois fois le prix de la campagne de 2004) prolonge une tendance lourde : la sélection de la classe politique sur des critères médiatiques avec son corollaire, la professionnalisation de la communication et la prédominance du spécialiste de l'apparence sur le responsable de la décision. Nous aimerions croire que notre pays - où il est vrai, un candidat n'est pas encore autorisé à dépenser des millions d'euros pour des minutes de télévision - ne subit pas cette dérive, mais de récentes affaires (le budget de sondage de l'Élysée ou la révélation des sommes perçues par quelques gourous du marketing politique) suggèrent le contraire. Il n'y a pas eu une époque mythique où le succès d'un politicien ne dépendait pas de sa capacité de sourire et de lever des fonds et où il n'était élu que sur son programme et le contenu de son discours. Sans souci de sa démagogie, de sa télégénie, de ses petites phrases ou de ses dons publicitaires. Simplement le changement quantitatif (l'argent) traduit des changements qualitatifs : l'évolution de la forme ne peut pas ne pas changer le fond. D'un côté, le conseiller en communication traduit tout en termes de consommation politique (demandes de l'opinion mesurées par sondage, adaptation de l'offre aux tendances "sociétales", tendances, créneaux, image de marque...) ; d'autre part les médias sélectionnent sur leurs propres critères (le renouvellement perpétuel, les questions "qui font débat" et "qui interpellent", l'image forte, la formule qui échappera à l'oubli, la "relation humaine" et la capacité "d'être proche des gens" que doit avoir le "produit politique"..). Au total il faudrait une singulière force de caractère pour résister aux projecteurs et aux paillettes. Comme à la pression de l'urgence médiatique avec son tempo particulier (réagissez vite, soyez original et exhaustif, mettez vous au niveau du téléspectateur, vous avez quarante secondes). ....


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe [1] Frances Stonor Saunders Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre Froide culturelle, Denoël, 2003 [2] Leo Bogart, Premises For Propaganda: The United States Information Agency's Operating Assumptions in the Cold War, New York, Free Press, 1976 [3] Joseph Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990 [4] Dominique Wolton, War Games, Flammarion 1992 [5] Miles Hugh, Al-Jazira, la chaîne qui défie l'Occident, éd. Buchet Chastel (trad.fr.), 2006. [6] Régis Debray, L'État séducteur, Gallimard 1997 [7] F.B. Huyghe, Maîtres du faire croire. De la propagande à l'influence, Vuibert 2008 [8] R.G. Schwartzenberg, L'État spectacle, Flammarion 1979


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Géopolitique de la séduction Le softpower jouit d'un effet de mode depuis l'élection d'Obama ; et surtout d'un effet de contraste. Si les années Bush furent placées sous le signe de l'unilatéralisme, et de la puissance sans complexe préconisée par les néo-conservateurs, son successeur n'a cessé de se référer à la coopération internationale, à l'exemplarité dont devaient à nouveau preuve faire les USA, à leur image à rétablir, à l'attraction qu'exercerait une Amérique fidèle à ses valeurs et culturellement créative, etc. Certes, l'opposition entre Obama le "soft" et le charismatique et Bush le "hard", pour ne par dire le brutal et l'arrogant a été nuancée par des déclarations de la nouvelle administration (et en particulier d'Hillary Clinton) sur le "smart power". Ce pouvoir "intelligent" combinerait logique de coercition et logique d'attraction, puissance et influence, recours à la force quand cela est nécessaire (l'effort militaire en Afghanistan, par exemple) et capacité d'amener autrui à partager le point de vue US, chaque fois que cela est possible. Il est difficile d'objecter à cette brillante synthèse (le sens commun nous avait déjà appris qu'il est préférable d'être à la fois fort et sympathique) et le débat pourrait s'arrêter là. D'autant que le stratégie qui se déduit de ces prémisses - utiliser suivant les cas les instruments diplomatiques, militaires, économiques, politiques ou culturels les plus adaptés pour réaliser ses objectifs - ne semble pas d'une originalité bouleversante. Pourtant, le mot softpower s'emploie de plus en plus à propos de la Chine, par exemple, de l'Inde, etc. comme si une compétition internationale pour la séduction venait de s'ouvrir. Une constante géopolitique La pensée géopolitique avait-elle besoin de tes anglicismes et néologismes ? Des notions aussi fondamentales n'ont pas été découvertes avant-hier : Jospeh S. Nye, l'universitaire qui "inventa" le softpower il y a une vingtaine d'années est le premier à reconnaître qu'il n'a fait que donner un nom à une pratique immémoriale. Philippe de Macédoine payant des agents d'influence pour qu'ils soutiennent sa cause dans les autres cités grecques, Alexandre se présentant comme le fils des dieux locaux dans les royaumes qu'il conquérait et adoptant les coutumes locales, les Romains recevant et éduquant dans leur culture les jeunes princes étrangers... avaient déjà découvert ces principes. Comme les stratégies chinois décrivant à la façon de Sun Zi l'art de manipuler les princes et les généraux adverses. Ou encore la France de Louis XIV dont le modèle culturel est imité dans toutes l'Europe. Voire celle de la troisième République créant les Alliances Françaises et se présentant comme "la patrie des droits de l'homme". La géopolitique distingue deux types de relation entre les Nations. Les unes reposent sur la puissance et sur un rapport symétrique de rivalité/négociation (guerre qui mesure les forces, diplomatie qui recherche des accords et compromis, commerce qui suppose l'échange) ; les autres ressortent à l'influence. Qui dit influence dit asymétrie : il y a l'influencé et il y a l'influent qui, par son prestige, l'attraction qu'exerce son modèle, les liens qu'il a liés hors de


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe ses frontières avec les élites étrangères ou les populations, le préjugé favorable dont il jouit, etc. a plus de chances d'obtenir ce qu'il veut des autres. Obtenir quoi au fait ? Les stratégies "douces" peuvent viser à des buts plus ou moins difficiles et complets. Elles peuvent simplement chercher à désarmer l'hostilité d'autrui, à ne pas se faire d'ennemis, à obtenir une neutralité de populations ou de gouvernements qui pourraient basculer dans le camp ennemi. À un stade supérieur, l'influence cherche à contrôler des zones et réseaux pour susciter des comportements favorables : ici on pourra commercer, là on trouvera des soutiens dans les organisations internationales. Avec ce pays, on établira des relations privilégiées, tel autre tendra systématiquement à être votre allié et à soutenir vos causes. Au stade suprême, les méthodes de séduction et de persuasion visent à produire un mimétisme complet : transformer l'Autre, le rendre semblable à soi en l'amenant à partager sa vision du monde,le faire se comporter selon son modèle, quitte à baptiser un tel modèle universel. D'autre part,il existe des techniques d'action sur le psychisme humain dont les traditions philosophiques, psychologiques et stratégiques nous fournissent les modèles. Les Grecs ont pensé la question de la doxa. C'est l'opinion communément admise, l'ensemble de préjugés et de stéréotypes à travers lequel nous, humains ordinaires, établissons nos jugements au quotidien, sans vraiment être renseignés, sans prendre le temps de la réflexion approfondie, et, le plus souvent,en pensant comme le milieu qui nous entoure. La psychagogia platonicienne, l'art de conduire les âmes, mais aussi la rhétorique aristotélicienne, et,si l'on descend jusqu'à des techniques destinées a l'emporter dans des controverses plus ordinaires, l'éristique ou la sophistique fournissent des méthodes d'action sur l'opinion. Certes ces méthodes sont limitées à l'action par la parole sur un ou des interlocuteurs appartenant à la même Cité. Pourtant, sans imiter Barthes qui réduisait toutes les figures de la publicité moderne sur les antiques figures de la rhétorique, il faut reconnaître que les lois de la propagande, le storytelling, la psychologie sociale de l'engagement, etc. ne font souvent que reformuler des recette immémoriales de l'action sur les représentations d'autrui. Si nous étions en Chine et si j'étais de culture chinoise, j'aurais sans doute pris les exemples destinés à soutenir cette thèse réactionnaire (rien de nouveau sous le soleil) dans la tradition de Sun Zi, du livre des stratagèmes ou du Tao du Prince (Han-Fei-tse). Si le besoin d'exercer une influence hors frontières existe depuis toujours, et si la quête de la recette de la persuasion ou de l'adhésion agite les plus brillants cerveaux depuis des millénaires, où est le problème ? Il devrait être résolu par nos sociétés où un nombre considérable de diplômés de haut niveau s'emploient dans des industries chargées d'occuper le temps du cerveau humain et de rendre ledit cerveau plus prévisible, notamment par un appareil statistique impressionnant et en disposant de moyens de diffusion planétaires. 4 I, 4 M : la quadrature du cercle Le problème est un problème de quadrature du cercle. Reste pourtant que la saint Graal de la machine universelle à séduire ou à persuader s'éloigne toujours de nous. La machine à convertir les infidèles inventée par le théologien Raymond Lulle à la fin du XIII° siècle ou la machine à produire des livres de Swift dans son Gulliver ne prêtent pas moins à sourire que nos modernes logiciels rhétoriques. Disons qu'il faut résoudre le problème des quatre I et des quatre M. Qu'il faut faire fonctionner ensemble pour produire ce résultat merveilleux que vous appellerez suivant votre goût : softpower, influence, conquête de l'opinion, attraction, adhésion (mais certainement pas propagande, car il est bien connu que ce sont les autres qui font de la propagande).


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe Il y a d'abord le I des intérêts : une grande Nation a de grands intérêts,et tout le dispositif vise finalement à ce que le comportement des autres reste ou devienne favorable à ces intérêts. Pas d'angélisme! Le second I est celui de l'idéologie (certains soutiennent que nos idéologies ne sont que l'alibi de nos intérêts, ou plutôt la transposition fallacieuse de notre point de vue partiel et partial dans le monde des idées et des valeurs universelles). Mais l'idéologie au sens le plus large (incluant, par exemple, les pratiques culturelles qui sont porteuses de valeurs de points de vue sur l'ordre souhaitable du monde) a trois propriétés merveilleuses. Elle est contagieuse, donc, elle peut se propager hors frontières (si son discours n'est pas trop centré sur les particularités du groupe qui la professe). Elle est subversive, donc elle permet de dénoncer l'idéologie adverse (il n'y a pas d'idéologie sans représentation ennemie qu'elle dénonce et combat comme erreur et illusion). Enfin l'idéologie est un produit isolant : elle protège très bien contre le doute et la nouveauté). Le troisième I est celui de l'image. Toute puissance suscite des représentations mentales chez ceux qui lui sont extérieurs : des jugements, des connotations qui sont associées à son seul nom, des valeurs, des figures qui sont censées la représenter (de Gandhi à Mickael Jackson !), des productions culturelles ou des faits historiques que l'on évoque dès que l'on en parle, une sorte de personnalité collective... Le dernier I est celui de l'influence envisagée comme stratégie de persuasion, destinée précisément à faire opiner l'opinion, à la faire adhérer. Chacun de ces éléments, ce que nous voulons, ce que nous pensons, comment nous sommes perçus et comment nous nous voulons convaincre, interagissent constamment et se contredisent fréquemment. Et le seul dont nous soyons maîtres, notre expression délibérée, nos stratégies de séduction connaissent leur propre quadrature. Ou plutôt leur propre quadrilogie, quatre M que nous empruntons ici à Régis Debray. Il faut certes le bon message. Mais il faut aussi les vecteurs : les médias qui atteindront le destinataire. Notamment en situation de concurrence avec d'autres médias (y compris ce méta-média qu'est la rumeur). Quand bien même le bon message est véhiculé par le bon média, encore faut-il qu'il rencontre le bon milieu ; c'est-à-dire que son interprétation soit bien conforme aux attentes de l'émetteur, que ses grilles culturelles, ses préjugés et prédispositions n'en annulent pas la force persuasive ou n'en retournent pas les signes attractifs en signes de grotesque ou d'infamie. Il faut enfin les bonnes médiations : nos croyances ne passent pas d'individu à individu ou de média à cerveau, mais sont transmises par des communautés que ce soit en aval (nous pensons ici à ce que nous appelons Organisations Matérialisées d'Influence : lobbies, think tanks, ONG, mais aussi médias, réseaux sociaux, etc) et en aval au moment où nous confrontons nos représentations à celles de nos communautés. Mais si ces données sont structurelles, inhérentes à tout projet de politique d'influence, il est d'autres facteurs historiques et techniques. Corrigeons ici notre "nihil novi sub sole" d'un "Medium is message" Mcluhanien et moderniste. Ce qui nous incite à parcourir Quelques siècles de communication internationale au pas de course. Pour simplifier, nous prendrons nos exemples aux USA. Ce n'est pas que l'URSS ait ignoré l'importance des agents d'influence ou la France celle de la diplomatie culturelle ou de la politique de prestige, par exemple. de nombreux pays font appel à des agences de lobbying ou de relations publiques pour améliorer leur image ou augmenter leurs soutiens. L'idée de créer des médias internationaux n'est pas un monopole US. Simplement les États Unis sont le pays où l'idée de "gagner les cœurs et les esprits" des autres nations (voire de les convertir)


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe a rencontré les moyens techniques les plus importants, le meilleur soutien de pans entiers du secteur économique (notamment des médias et industries culturelles), mais aussi le plus d'intellectuels ou de praticiens désireux de conceptualiser ou de nommer le phénomène. Cœurs, esprits et techniques Des siècles durant, celui qui contrôle l'information contrôle le territoire, un monopole qu'ébrèche lentement l'imprimerie, lorsqu'elle diffuse les idées des Lumières ou, plus modestement, sous forme de quelques libelles subversifs importés en fraude. Le véritable projet d'une propagation systématique d'une idéologie au reste du monde (y compris avec le projet démocratico-messianique made in USA de gagner les cœurs et les esprits) date de 14-18. Si l'Europe développe une propagande plus à usage interne à base d'exaltation nationaliste et de dénonciation des atrocités de l'ennemi, l'Amérique de W. Wilson pense la guerre comme une croisade démocratique. Trois hommes, les trois grands-pères des tous les spin doctors se partagent la tâche au sein des Comitee for Public Information. George Crell, qui mobilise tous les médias, à commencer par le cinéma, pour soutenir l'effort de guerre et diaboliser l'ennemi (assimilé aux "Huns" contre lesquels, il faut lancer une "croisade") Edward Bernays, neveu de Freud, qui écrit un ouvrage prophétisant la manipulation future des masses grâce à des techniques jouant sur les images et l'inconscient et qui sera surtout l'inventeur des relations publiques. Il s'emploiera parmi les premiers à faire des campagnes de lobbying internationales et à vendre l'image de pays (ce qui deviendra plus tard le "nation branding") Walter Lippmann, un sociologue et éditorialiste qui, dans des ouvrages fondamentaux comme "L'opinion publique" et "Le public fantôme". Il s'interroge sur les "manufactures du consentement" (une expression que reprendra Chomsky), ces grandes machines à faire voir et à faire croire et sur la manière dont elles détermineront à l'avenir une opinion publique, réduite à vivre la réalité à travers les représentations qu'autrui en produit, entourée d'un pseudoenvironnement de stéréotypes et d'expériences de seconde main. Après l'affrontement des propagandes fascistes et bolcheviks de l'entre-deux guerres, soucieuses à la fois de propager une image idéalisée de leur pays et de conquérir des appuis extérieurs, la grande étape suivante est celle de la Guerre Froide. Si l'URSS compte classiquement sur les partis frères et sur l'intelligentsia fascinée par la patrie du socialisme pour diffuser sa vision du monde, de l'autre côté du rideau de fer, on élabore une stratégie de "guerre culturelle". Elle fonctionne sur le financement d'intellectuels antimarxistes ou d'œuvres culturelles jugées subversives par leur modernisme suivant les critères du réalisme soviétiques! Elles sont aussi censées témoigner de la vitalité et de la séduction de sociétés libres. l'idée trouve son développement dans les années 60, sous le nom de la diplomatie publique. Autre thème souvent avancé : la DP devrait améliorer ou rectifier l'image nationale, une image indissolublement liée à la démocratie pluraliste et au libre marché. D'où deux vecteurs principaux. Le premier sont des médias classiques, en l'occurrence des radios, qui émettent vers l'autre côté du rideau de fer. Il n'arrête pas les ondes, pas plus qu'il n'empêche la culture industrielle distractive de séduire la jeunesse de l'Est. Les radios comme Radio Europe Libre ou Voice of America remplissent deux fonctions :ils présentent la "version de l'histoire" vue par les USA, et elle fait contraste avec l'information aseptisée et contrôlée


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe par les autorités. Mais les médias offrent aussi une ouverture sur les industries de l'imaginaire : les industries culturelles occidentales, leur rythme, leur valeurs jeunes et hédonistes, l'attirance qu'elles exercent dans tous les pays. Le second volet de la diplomatie publique concerne les réseaux humains : bénéficiaires de bourses,anciens étudiants des universités US, futurs membres des élites de leur pays,journalistes..., tous les décideurs et leaders d'opinion susceptibles d'être ou de devenir pro-américains. Dans cette première acception, la diplomatie publique consiste en actions menées par un acteur politique, et même étatique, en vue d'un effet psychologique en dehors de son territoire (où il est censé exercer une autorité légitime). Elles viennent en soutien d'une politique étrangère précise et servent l'image d'un pays. Cette stratégie est initialement pensée comme une réponse à une guerre totale menée par l'Urss. Côté soviétique, l'action est menée avec les moyens régaliens (la guerre, la diplomatie classique), mais relayée par l'internationale communiste et ses partis dans chaque pays, et aussi amplifiée par une agit-prop mondiale (soulever les masses de tous les pays contre le capitalisme, les convertir aux vérités du marxisme léninisme). La problématique de guerre des images et des idées est donc pensée comme un affrontement planétaire "pour les cœurs et les esprits", suivant la formule consacrée. Ceci amènera très vite les Américains à se doter de moyens et de structures (l'US Information Agency dont c'est la mission explicite), mais surtout de méthodes. Celles-ci peuvent se décomposer ainsi (même si les éléments sont toujours mêlés dans la pratique : - Connaître l'opinion étrangère, éventuellement ses attentes - Lui adresser un message via ses propres représentants à l'extérieur - Mener ce que certains nomment "diplomatie culturelle", d'autres "guerre culturelle" et qui consiste à propager des "œuvres" artistiques ou intellectuelles dont on attend qu'elles changent la mentalité ou les valeurs de ces opinions étrangères - Créer des réseaux humains, promouvoir des rencontres - Se doter de ses propres médias capables de toucher des audiences étrangères hors du territoire national et de leur faire parvenir le bon message. Dans le langage du Département d'État : - "Expliquer et défendre les politiques US en des termes qui soient crédibles et significatifs pour d'autres cultures - Fournir une information sur la politique étrangère des USA, et sur le peuple, les valeurs et institutions derrière ces politiques - Apporter les bénéfices de l'engagement international US aux citoyens américains et aux institutions en les aidant à tisser des liens forts et durables avec leurs équivalents étrangers - Conseiller le Président des États-Unis, le gouvernement et les acteurs politiques sur la façon dont les attitudes des étrangers auront un impact sur l'efficacité des politiques américaines. " La diplomatie publique remplit déjà les fonctions qui n'apparaissaient peut-être pas assez clairement à l'époque : - veille - message - valeurs - réseaux


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe - médias Pourtant l'arme médiatique est à double tranchant. La société de l'image le découvre au Vietnam. Les photos révélatrices des horreurs du conflit sont transformées en icônes par les pacifistes. Parallèlement, l'Amérique découvre sur ses écrans de télévision le visage de ses boys qui souffrent et qui meurent. Comme l'a compris McLuhan, la télévision a déplacé la ligne de front dans chaque foyer. Les sociétés ouvertes ne peuvent ni censurer ni supporter la vision de la violence qui est menée en leur nom. La parenthèse soft Après la chute du Mur, tandis se répand l'illusion d'une mondialisation heureuse et d'un nouvel ordre mondial éthique, la parenthèse sombre semble se refermer. La première guerre du Golfe ou des opérations d'ingérence humanitaire comme en Somalie montrent que l'Occident a désormais la maîtrise des contenus et des tuyaux (voir le cas emblématique de CNN). L'émergence du concept-valise de softpower s'inscrit dans ce contexte de soulagement et d'optimisme. Il fait la synthèse d'une pluralité d'éléments. - l'assimilation des industries culturelles américaines à un modèle universel : l'irrésistible attirance du contenu "mainstream" prolonge la prédominance politique et économique de l'hyperpuissance - l'exemplarité du mode de vie US, que l'on cherche à imiter partout sur la planète, l'admiration pour une société ouverte et prospère - plus largement encore,la notion qu'une sorte de sens de l'histoire mène l'humanité à adopter un même modèle politique, économique et culturel, favorisé par la fin de la grande confrontation Est Ouest et par l'émergence des nouvelles technologies - le triomphe des valeurs occidentales confirmé par leur victoire contre le communisme - et la stratégie qui semble se déduire de ces prémices : chercher le plus possible à obtenir le consensus, l'alliance et le soutien de autres nations. La théorie du softpower repose sur deux éléments : l'absence de réelle compétition face au modèle triomphant, et la fin inéluctable de l'hostilité. Contrairement à la vision volontariste et agressive de la diplomatie publique antérieure il ne s'agit plus de gagner une compétition entre deux visions du monde ou de déstabiliser l'autre, mais d'assurer paisiblement une transition heureuse sur fond de pax americana. De ne pas contrarier un mouvement auquel tendent les lois de l'économie et de la technique ( via la révolution de l'information ). Et d'attirer encore davantage vers ce que tous tendent naturellement à admirer. Le 11 septembre bouleverse tout. Autant que la révélation de sa fragilité, l'Amérique est frappée par le retour de l'hostilité. La figure de l'Ennemi revient et avec elle le principe de compétition idéologique. Dans un réflexe presque pavlovien, l'une de premières réactions de l'administration Bush est de recréer un sous secrétariat d'État à la Diplomatie Publique. Ses missions : répondre à l'angoissante question "Mais pourquoi nous haïssent-ils ?", rétablir l'image de l'Amérique en lançant de nouveaux médias arabophones cette fois (et, modernité oblige quelques sites Internet) , mener une politique de séduction envers le monde arabe en séparant ceux avec qui l'Amérique a "des valeurs communes" de "ceux qui haïssent notre liberté et notre mode de vie". La transposition du schéma de guerre froide s'inscrit dans une perspective de guerre au terrorisme (que l'administration Obama rebaptisera pudiquement "combat contre l'extrémisme violent"). Avec la même notion sous-jacent d'un malentendu : si les gens nous connaissaient vraiment, ils nous aimeraient. L'anti-américanisme est souvent


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe évoqué en termes de "misperception", comme si tout était affaire de mauvaise compréhension et de communications défectueuse. La guerre de l'opinion Le nouveau softpower de l'ère Obama est-il une simple reprise de celui de l'ère Clinton (public diplomacy républicaine et softpower démocrate alternant au gré des élections) ? Certainement pas. La nouvelle stratégie de séduction peut, certes, s'incarner dans un président universellement applaudi (sauf dans son pays) et qui, par exemple, reçoit un prix Nobel de la Paix pour l'espoir qu'il a suscité (et au moment où il envoie 30.000 soldats en Afghanistan). Il nous semble que la quête de l'anneau magique du softpower (avec ses variantes comme la déradicalisation ou la prévention de "dérives extrémistes") doit désormais intégrer de nouveaux facteurs : - si l'on considère le softpower comme un état, une relation ou un résultat, la question des moyens d'y parvenir se pose partout. Sous le nom de psyops, opérations d'influence ou informationnelles, civilo-militaires, perception management, communication stratégique ou de diplomatie publique (qui n'est plus connoté "droite US"), peu importe le nom, l'impératif de pédagogie et de séduction s'impose, y compris aux troupes sur le terrain. - la multiplicité des acteurs. Les autres grandes Nations qui adoptent des stratégies d'image de marque (on parle désormais de "Nation branding") et de communication. La prolifération des chaînes internationales d'information (y compris qatarie, saoudienne, vénézuelienne...) en est un bon symptôme. Mais les États ne sont pas seuls à jouer au jeu de l'influence : les lobbies internationaux, les mouvements d'idées, les ONG, les groupes activistes transnationaux, etc. sont aussi entrés en lice avec des moyens de dénonciation, d'inspiration, de mobilisation jusque là inconnus. Ils sont désormais à même d'imposer leur thématique, leurs débats, leurs exigences à des États courant souvent derrière l'évolution de l'opinion pour reprendre le contrôle de leur agenda et l'initiative politique. Même les mouvements terroristes (après tout le terrorisme, "propagande par le fait" est aussi un moyen d'influence) fonctionnent avec des moyens d'expression nouveaux que ce soit sur le Net ou à travers des médias classiques (voir le Hezbollah se dotant d'une chaîne de télévision par satellite). - les réseaux numériques perturbent la donne. Sur le plan interne, ils affaiblissent le contrôle des États : la critique venue de l'extérieur ou de l'intérieur (le phénomène de dénonciation du régime par des e-dissidents ou par de simples utilisateurs de Twitter comme en Iran) se développe. Tandis que dans le camp des démocraties, le discours officiel est contredit par le phénomène du journalisme citoyen, la fuite ou le "whistle blowing" (de la circulation des images de sévices à Abou Graibh aux révélations à très grande échelle de Wikileaks). Avec le Web 2.0 la tendance lourde d'Internet s'est exaspérée (une capacité de communiquer avec la planète entière à la portée de chacun, pourvu qu'il parvienne à mobiliser les réseaux de l'indexation, de la citation, de la recommandation etc, qui permettront à son message d'émerger et d'attirer l'attention de l'opinion en situation de surinformation). - enfin et surtout, la nouvelle stratégie est en train de découvrir la singulière résistance des cultures particularisantes à l'effet unificateur de la technologie. Des gens peuvent porter des Nike, écouter des clips, surfer sur les réseaux sociaux et faire le jiahd haïr les valeurs dites occidentales. La résistance de ce que nous nommons archaïque aux effets sophistiqués de nos machines à produire le consensus global La nouvelle règle


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La stratégie de l'actuelle administration entend pourtant marquer sa différence dans la façon de traiter la lutte contre al Qaïda. Le premier élément d'une politique d'influence est le choix des mots. Tout le monde est d'accord pour renoncer à la formulation "Global War On Terror" (devenue l'acronyme GWOT). Même les Républicains, en leur temps avaient cherché un terme de remplacement. Dès 2005, un article du New York Times montrait que la Maison Blanche envisageait de parler désormais de "Guerre globale à l'extrémisme violent". D'autres (comme les chercheurs d'Heritage) auraient préféré "Struggle" (combat) plutôt que guerre, tandis que D. Rumsfeldt, à la même époque, parlait de Struggle againstof freedom and civilization ennemies (combat contre les ennemis de la liberté et de la civilisation). À ses débuts, l'administration Obama a hésité un moment à parler des "Overseas Contingency Operations" ("Opérations d'urgence à l'étranger", une urgence qui dure depuis 2001 dans le cas de l'Afghanistan) ou encore d'une stratégie pour "perturber, démanteler et défaire al Qaïda et ses affiliés, extrémistes violents en Afghanistan, au Pakistan et autour du monde.", ce qui est un peu long à retenir. Finalement, il semblerait que ce soit "Countering Violent Extremism" (contrer l'extrémisme violent devenu CVE) qui l'emporte. Cela a l'avantage de n'employer ni le mot guerre ni le mot terrorisme, de placer en position défensive, et de définir l'ennemi par son caractère fanatique ou radical et non par sa religion ou sa nationalité. Comme l'expliquaient à Newsweek deux hauts fonctionnaires: "contrer l'extrémisme violent" renvoie à un projet de l'administration Obama d'utiliser la "diplomatie publique" et les "communications stratégiques" comme composante de son effort pour s'opposer aux menaces montantes. Le CVE est une approche par le "softpower " pour gagner le soutien des musulmans modérés aux USA et à l'étranger. Cela inclut des efforts de la police et des représentants du gouvernement pour développer des relations plus étroites avec les communautés musulmanes locales et pour soutenir les éléments anti-extrémistes à l'étranger" Ils précisent un peu plus loin que les communications stratégiques peuvent inclure des "opérations d'information" clandestines contre des groupes terroristes et que le recours au "hard power" guerrier n'était en aucun cas exclu. Comme on le voit, le CVE traduit un assez large syncrétisme (empêcher la radicalisation des musulmans chez soi ou à l'étranger, établir des réseaux, mêler opérations de séduction et de services secrets avec une guerre idéologique pour délégitimer al Qaïda, voire avec une guerre tout court). C'était une chose que de faire parvenir son message "subversif" de l'autre côté du rideau de fer où tout ce qui venait de l'Ouest était à la fois désirable et interdit. C'en est une autre que de s'adresser à un public planétaire, qui baigne déjà dans la culture "mainstream", qui peut de mieux en mieux accéder à des sources d'information variées (ou du moins qui peut mieux contourner le monopole gouvernemental sur l'information circulant sur son territoire). C'est surtout une autre tâche que de s'adresser à des gens qui peuvent à la fois adorer le rap et Avatar et faire le jihad. Il ne suffit pas de "raconter l'Amérique au monde" comme on disait dans les années 60, bien avant la mode du "Storytelling", il est maintenant temps de l'interpréter, ou plutôt de comprendre comment des gens différents interprètent différemment un monde où les mêmes informations sont disponibles à peu près partout. Pendant que l'on commence à parler d'une diplomatie publique ou d'un softpower chinois ou indiens.


Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe Nouvelle diplomatie publique En effet, la diplomatie publique revient et pas seulement aux USA. Quelques indices : - Le vice-ministre israélien des Affaires Étrangères D. Ayalon "fait appel à des non-Juifs pour soutenir la guerre diplomatique" d'après Israël National News. Dans son discours, il s'adresse à des "organisations de diplomatie publique" qu'il "supplie" de continuer à travailler main dans la main avec Tel Avi et à combattre pour Israel. Comme, sur la même page, un lien vous mène vers des cours de tir au fusil d'assaut, le message pourrait paraître ambigu. Mais en fait, cela signifie dans la bouche du ministre qu'il faut contrer la propagande anti-israélienne par des blogs comme Instapundit ou se faire appuyer par des ONG amies. Rappelons pour la petite histoire que le ministère des Affaires Étrangères de l'État hébreu comprend un département des médias et de la diplomatie publique. En hébreu cette notion se rendrait par le mot hasbara qui veut dire "explication" - À propos d'institutions et de "Public Diplomacy", il existe aux USA un "sous-secrétariat d'État à la diplomatie publique et aux affaires publiques" dirigé par Judith McHale, une ancienne de Discovery Channel. D'après le Département d'État, sa mission consiste à - communiquer pour des publics internationaux - lancer des programmes culturels, des bourses et des échanges éducatifs - monter des programmes internationaux pour des visiteurs aux USA - et contribuer efforts du gouvernement US contre "le soutien idéologique au terrorisme" - Autre exemple : l'Otan qui s'est également dotée d'une Division Diplomatie Publique, avec studios audiovisuels, programmes de bourses et de parrainage, et une bizarre section des "Sciences pour la paix et la sécurité" qui mêle recherche sur l'environnement et formation antiterroriste. - Ou encore les multiples initiatives de diplomatie publique prises par les pays les plus divers, de l'Argentine au Zimbabwe - Enfin, il existe de plus en plus de formations à la diplomatie publique, notamment aux USA, notion plus ou moins mêlée à celle de "Global communication" ou "Strategic Communication" De ce point de vue, la diplomatie publique, certains parlent déjà de "nouvelle diplomatie publique" ne saurait plus se borner à financer des médias qui diffusent de la "musique jeune" et des informations "objectives", pendant que l'on promène des diplômés prometteurs dans le triangle d'or de Washington d'un think tank à un ministère. Elle s'intéresse désormais bien davantage aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux qui permettent à tous les points de vue de s'exprimer, aux différences culturelles à rebours de vieille vision d'un discours universaliste et unilatéral, aux relais qu'elle pourrait trouver dans l'opinion.


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