Carnet de voyage en librairies

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Un ĂŠtĂŠ en librairies carnet de voyage


Ce Carnet de voyage en librairies a été publié pour le compte des Librairies Initiales et avec le soutien de la région Île-de-France, la région Rhône-Alpes, et la DRAC Poitou-Charentes


Introduction. Qu’est-ce qu’une librairie indépendante ? Quand je pose la question autour de moi, plutôt à des lecteurs, le terme de « librairie indépendante » est parfois encore nimbé d’un voile de mystère. Après quelques secondes de réflexion, on se doute que je parle de petites librairies, de librairies de quartier. Sans être faux, ces deux éléments, taille et rayonnement géographique, ne sont pas les critères fondamentaux qui caractérisent la librairie indépendante. La librairie indépendante est une création idéologique née bien après la naissance de la librairie, avec l’apparition des chaînes de commerce spécialisé et pour s’en distinguer. Voilà en tout cas ce qu’il en est dit sur le site des libraires Initiales1 : « Une librairie indépendante est une librairie n’appartenant ni à un groupe industriel ou commercial, ni à une chaîne. C’est un lieu où œuvrent des libraires qui ont à cœur de diffuser les livres qu’ils aiment, et non pas ceux que d’autres auront choisis pour eux et le public. C’est un espace à taille humaine où les mots proximité, diversité et service prennent tout leur sens. C’est le carrefour de la création littéraire, le garant de la liberté de toutes les lectures. » 1. www.initiales.org


Pour le Syndicat de la librairie française2 (SLF), « l’indépendance est la liberté que possède le dirigeant de consacrer une partie raisonnable de ce qui pourrait être la marge bénéficiaire nette de son entreprise à financer : la part de rotation lente du stock qui constitue son fonds de référence 3, et du personnel en nombre suffisant capable de choisir et de conseiller ». Résumons : des livres qui restent, le fonds, et des employés qualifiés. Ces librairies sont aujourd’hui au nombre de 2 000 en France, et selon Laure Adler : « L’existence d’un réseau de libraires indépendants constitue une sorte d’exception dans le monde, grâce à laquelle peut être maintenue la création littéraire. Il faut tout faire pour défendre la diversité des écritures et des talents, pour éviter que la best‑sellerisation n’étouffe les autres livres de qualité. » Cette année, le socle de ce réseau de libraires indépendants, le prix unique du livre, a été ébranlé4 et certains ont attaqué ce qu’ils considèrent comme une institution poussiéreuse et sans avenir5. Mais face à ces menaces, « les professionnels 2. www.syndicat-librairie.fr — 3. Fonds constitué de livres publiés depuis plus d’un an, date de première édition. — 4. Dans le cadre de l’adoption de la loi de modernisation de l’économie (LME) en juin 2008, le député Dionis du Séjour a déposé un amendement visant à ramener de deux ans à un an la durée durant laquelle tout solde sur le livre est interdit. — 5. Thierry Wolton, Le Monde, 18 janvier 2008 : « Le combat du Syndicat de la librairie française est non seulement d’arrière-garde car Internet est devenu un vecteur culturel essentiel, y compris pour le livre, mais surtout il sent son poujadisme en pratiquant un corporatisme qui n’a rien à voir avec la défense du livre. »

et les lecteurs se mobilisent6». Et le danger est, pour l’instant, écarté. Parmi ces 2 000 libraires, j’en connais surtout trente-quatre, les adhérents de l’association Initiales… Alors, pourquoi ne pas aller voir de plus près comment vivent et travaillent ceux qui se sont lancés dans cette folle aventure : vendre des livres et vouloir en vivre ? Ainsi est née l’idée d’un autre tour de France : du 7 au 28 juillet 2008, j’ai franchi la porte de dix-neuf librairies indépendantes appartenant à l’association de libraires Initiales, j’ai regardé, écouté et tenté d’apprécier un métier, une passion, une cause. Consciente de la subjectivité de mon regard, je vous propose un panorama estival et fugace de quelques librairies aux quatre coins de France.

6. Appel pour le livre, juillet 2008. Voir le site : pourlelivre.wordpress.com.



Lundi 7 juillet, Obliques, Auxerre. La gare de Paris Bercy dessert les villes

de Bourgogne, dont Auxerre, première étape de mon périple, ou Venise, en train couchette… et si finalement je me trompais de train et filais vers la lagune magique ? Restons sérieux, ce sera la Bourgogne, Auxerre et la librairie Obliques dirigée par George Bassan. Le ciel se couvre sévèrement sur la banlieue, le train passe par Maisons-Alfort, devant des pavillons et des maisons de ville… puis c’est la forêt, les maisons disparaissent, aspirées une à une par la terre, y poussent de grands arbres centenaires, des broussailles colorées, des prairies entourées de bosquets. Puis des serres, des usines, des entrepôts. De petits nuages gris et légers courent au ralenti au-dessus des cimes comme des touffes de fumée. Plus haut, les nuages blancs immaculés et majestueux enveloppent le ciel de rubans de laine. De petites centrales électriques, de grands parkings, des amoncellements de cageots et de palettes vides sur des plates-formes d’usines vétustes. Au-dessus d’une cimenterie d’un autre âge, d’étranges nuages si bas, si gros, si épais, semblent se pencher vers la vitre pour observer les passagers du train. La lumière perce derrière la rangée d’arbres qui borde les rails, et après une colline dorée et humide comme le dos d’un chien après l’effort, c’est Auxerre, et j’oublie doucement l’Italie. George m’accueille à la gare d’Auxerre, déjà sous la pluie. À la terrasse couverte d’un café, George connaît tout le monde, tout le monde connaît George. Ils seront d’ailleurs tous là pour fêter les trente ans de la librairie, le 30 novembre prochain. Alain Kewes des éditions Rhubarbe, JeanClaude Peyrard, retraité, fidèle client de la librairie que nous invitons à notre table, François Bodaert, éditeur à Sens (Obsidiane)… La librairie est un ancien magasin de chaussures, le bouton de porte d’entrée en forme de pied chaussé est resté. 10

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La large vitrine fait face au portique Renaissance ouvrant sur l’église Saint-Pierre, l’église préférée de George. Son bureau est à l’étage. Elle s’y installe et, comme tous les matins, ouvre sa boîte mail, trie les messages, lit les plus importants. La cigarette distinguée à la main, George me raconte comment être libraire indépendant dans une ville comme Auxerre l’a amenée à devenir peu à peu un acteur majeur de la vie culturelle, associative de la ville et de la région.

pour proposer aux participants des ouvrages en regard du programme de conférences. Mais le quotidien de George, c’est d’abord et avant tout un énorme travail de gestion et d’administration… et la lecture ? D’abord le matin, entre 7 h et 10 h 30. George est une vraie passionnée, assume ses mille et une fonctions, elle est lucide sur ses limites concernant notamment l’Internet, largement laissé de côté, et la décoration !

Elle se bat pour sa librairie, et la librairie – surtout depuis la gratuité du livre scolaire en Bourgogne7 – auprès de ses clients, mais aussi au sein d’instances régionales (elle est présidente des associations des libraires de Bourgogne et vice-présidente du Centre régional du livre, CRL) ; elle milite aussi pour la culture et sa diffusion (en tant que présidente de l’association du théâtre municipal et trésorière de l’association Mouv’art qui promeut l’art contemporain de l’Yonne). Et si la librairie est presque devenue « un lieu collectif », ce que retiennent surtout les clients et amis de George, c’est bien sa faculté à sortir de sa librairie et à participer à bon nombre d’événements. Pas une manifestation culturelle sans que George n’apporte un bout de sa librairie au cœur de l’action, le livre va à la rencontre du lecteur. George est aussi aux manettes du prix des Lycéens et Apprentis en Bourgogne. Et quand une classe d’apprenties esthéticiennes récompense Virginie Ollagnier pour son roman Toutes ces vies qu’on abandonne (Liana Levi, 2007) devant l’auditorium complet et attentif de Dijon, « ça fait sacrément plaisir ». Autre événement important : Les entretiens d’Auxerre8 où Obliques et Ruc, librairie traditionnelle d’Auxerre, s’associent

George a eu une vie bien remplie avant la librairie, elle pourrait déjà être à la retraite… Elle attend le bon repreneur pour profiter de sa nouvelle maison, au milieu des champs de blé.

7. Votée en 2004, la belle idée de la gratuité du livre scolaire s’est transformée en handicap pour les libraires indépendants : en effet, ce sont les établissements, et non les parents, qui ont reçu les subventions. Et le système d’appels d’offre des marchés publics a finalement, favorisé les grossistes régionaux et nationaux. — 8. condorcet.lyonne-blog.com

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Concrètement La librairie aura trente ans en novembre 2008, George en est responsable depuis douze ans. Responsable George Bassan Équipe un libraire, un metteur à part9, un apprenti. Superficie 100 m2 Nombre de références 30 000 Le contexte local Auxerre, préfecture de 40 000 habitants Un IUT, un IUFM, un BTS. Les librairies à Auxerre : Ruc et Odyssée, librairies générales, La Pieuvre, librairie spécialisée bande dessinée Les librairies en Bourgogne  120 « points de vente », 30 à 40 librairies 9. Le metteur à part ou réceptionnaire/iste est chargé de la réception des colis, de sa distribution par rayon. Il est aussi en charge des retours des livres invendus.

Une librairie, un livre Nancy Huston, Instrument des ténèbres, Actes Sud, 1996. Pour moi, Instrument des ténèbres est un livre fétiche parce qu’il est paru juste après que j’ai repris la librairie ; ce fut mon premier « coup de cœur de libraire » et ma première recommandation de lecture, ce qui en fait aussi le symbole de la rencontre avec les lecteurs auxerrois car ils nous ont suivis avec enthousiasme sur cette lecture.


Mardi 8 juillet, Le Cadran lunaire, Mâcon. Je quitte Auxerre déjà

fatiguée, le coq des voisins a chanté à peu près tous les quarts d’heure à partir du milieu de la nuit. Mais je compte sur ce voyage pour lutter contre ma tendance naturelle à la fatigue et je rêve de me réveiller un matin, après trois heures de sommeil, fraîche et souple comme un roseau de printemps… C’est Noémie qui vient me chercher à la gare, elle est jolie et gaie, nous marchons jusqu’à la librairie Le Cadran lunaire10 en centre-ville. Noémie est l’employée de Jean-Marc Brunier qui a longtemps travaillé seul, avant d’embaucher Antoinette, puis Noémie.

La librairie est divisée en deux espaces de taille égale : une première salle réservée à l’adulte et une seconde en contrebas pour les enfants et la bande dessinée. Au fond, le bureau de réception des offices11, des réassortiments12, des commandes et des retours13. « Le jour où je renvoie plus de cartons que j’en reçois, j’arrête. » Ce paradoxe exprime bien un aspect problématique de la situation de la librairie aujourd’hui face à l’offre éditoriale, chaque année plus importante14. Noémie a un master de philosophie et a suivi une formation de librairie à l’Institut de promotion commerciale de Lyon15 (IPC). Mâcon n’est pas un choix, c’est la seule place en librairie (telle qu’elle l’imagine) qu’elle a trouvée. Elle aime beaucoup son métier, la librairie où elle travaille, Jean-Marc et Antoinette, mais Lyon lui manque et elle aimerait un jour ouvrir sa propre librairie. 10. Le Cadran lunaire est le titre d’un roman d’André Pieyre de Mandiargues (Gallimard, 1972). — 11. Les offices sont les commandes de nouveautés, choisies avec le représentant plusieurs semaines avant leur sortie. — 12. Le libraire recommande un livre dont il n’a plus ou pas suffisamment d’exemplaires.—13. Les libraires retournent aux éditeurs les livres invendus. — 14. Tant de livres paraissent tous les mois que, parfois (souvent ?), les libraires submergés, ont l’impression de renvoyer autant d’invendus que de recevoir de nouveautés, et le temps imparti à la réception et aux retours de colis prend de plus en plus de place dans l’emploi du temps du libraire. —15. www.ipc-ecd.cci.fr.

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Au-dessus de la librairie, une grande salle accueille les rencontres qu’organise régulièrement Jean-Marc. La prochaine rencontre sera le 12 septembre avec Jeanne Benameur16. Il y a aussi une cuisine et un bureau côté façade, je descends du café pour tout le monde. Jean-Marc nous rejoint à la librairie après l’heure du déjeuner. Il est maintenant à la caisse et, entre deux clients, il prépare la rentrée avec un représentant17. La librairie et la rue étaient bien calmes jusque-là, mais à 15 h, les cafés ouvrent leurs portes, les clients sortent d’on ne sait trop où et passent... notamment devant la vitrine de la librairie : à gauche, elle est consacrée à Tomi Ungerer, illustrateur, dessinateur et auteur pour enfants et adultes, à droite, à la belle collection « Le nom de l’arbre » (Actes Sud). L’après-midi passe vite, l’ambiance est douce et légère dans la librairie. J’ai de la chance, Pascal, cadre infirmier et lecteur curieux, passe rendre des services de presse qu’on lui a prêtés… il n’est plus un simple client, mais un lecteur dont on attend des critiques et des conseils de lecture. Jean-Marc parle d’ailleurs de ses clients comme des lecteurs assidus, exigeants qui achètent le plus souvent leurs livres en grand format18. C’est très surprenant, et cela se confirme dans l’aménagement de la librairie : l’interclassement19 n’est pas passé par là. Les poches sont un peu relégués à côté de l’escalier, les tables sont exclusivement réservées aux livres brochés. Jean-Marc et Noémie travaillent beaucoup, encore plus depuis qu’Antoinette attend un enfant. Nous dînons tous les quatre et, le lendemain matin, Jean-Marc m’accompagne à la gare après une photo avec le chat de la librairie…

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16. Dernier roman, Laver les ombres, Actes Sud, 2008. — 17. Les représentants informent les libraires des nouveautés et interviennent dans la relation commerciale avec les diffuseurs. — 18. Édition brochée, souvent la première édition d’un ouvrage. Celui-ci peut ensuite reparaître en format de poche. — 19. Mode de classement par auteur sans distinction de format (poche ou grand format). La littérature est ainsi regroupée dans un seul et même rayon. Ce mode de classement, qui date d’une vingtaine d’années, a succédé au classement poche/grand format, qui succédait lui-même au classement par éditeur.


Concrètement La librairie a été créée en 1977 par Sylvie Boinvilié, libraire militante. Jean-Marc Brunier la rachète en 1995 au propriétaire suivant, bien décidé à redonner une âme littéraire et engagée à la librairie. Responsable Jean-Marc Brunier Équipe deux libraires Superficie 80 m2 Références 9 500

Une librairie, un livre Pascal Mercier, trad. N. Casanova Train de nuit pour Lisbonne, Maren Sell, 2006. Existentiel, essentiel, voilà un livre majeur. Toutes les questions sont posées, amour, amitié, fidélité, responsabilité, engagement. Et même la question de la littérature, de son pouvoir, de son devoir. Alors chaque lecteur, à sa mesure, trouve les réponses qui lui sont propres. N’est-ce pas là le miracle des grands livres, des très grands livres ? En tous les cas, 20 celui-ci est le plus « recommandé » de toute l’histoire du Cadran lunaire.

Le contexte local  La librairie Renaudier, librairie traditionnelle de Mâcon, ferme ses portes après l’arrivée d’un magasin de la chaîne de librairies L’univers du livre. Cette dernière est par la suite rachetée par le groupe Gibert Joseph20 qui développe le livre d’occasion. La librairie régionaliste Barting a fermé sans trouver de repreneur. Un Cultura21 a ouvert en périphérie. Il n’y a plus de salon du livre à Mâcon. Le plus proche a lieu tous les deux ans à Saint-Laurens-sur-Saône. L’association Atout Sens22 dont JeanMarc a assuré la présidence pendant plusieurs années a pour but de promouvoir la culture en milieu rural. Chaque année est invité un écrivain dont on découvre l’univers, à travers un spectacle associant musiciens, comédiens, plasticiens… Citons quelques-uns des auteurs invités : Philippe Claudel, Eric Holder, Véronique Ovaldé, Michèle Lesbre… 20. Librairie historique spécialisée en livres d’occasion, acquéreur de l’Univers du Livre en 2001. — 21. Chaîne de magasins de produits culturels appartenant au groupe Carrefour. —22. www.atoutsens.free.fr 21


Mercredi 9 juillet, Lune et l’Autre, Saint-Étienne ... Et je rate mon train. C’est sans conséquence grave, ici les liaisons en TER sont fréquentes. Je prends le train suivant et quitte la Bourgogne, direction la région Rhône-Alpes. Il fait beau et chaud, et malgré le doux bercement du train, je ne m’endors pas, je tiens résolument compagnie à ma fatigue.

Nous passons par tout un chapelet de villes « sur-Saône » et devant des serres, des centrales d’épuration, des grues, des collines boisées, des meules, beaucoup de meules. Changement à Lyon. La librairie Lune et l’Autre, anciennement Blandine Blanc, du nom de sa précédente propriétaire, a été reprise par Marie et Céline il y a un an. Elles ont toutes les deux à peine trente ans et étrangement se ressemblent. Elles se sont connues quand elles travaillaient à la Fnac de Lorient. Marie avait fait son premier stage chez Blandine Blanc. Quand elle a appris que Blandine souhaitait prendre sa retraite, très rapidement la reprise s’est organisée. Aujourd’hui, Marie et Céline sont ravies et fières de leur réussite. Elles ont transformé la librairie à leur image ; le rayon jeunesse, spécialité de Céline, a pris de l’ampleur et l’espace qui lui est dédié offre maintenant le confort et les couleurs qu’il mérite. Le rayon dédié à l’architecture, au design et à la création contemporaine est au diapason d’un public curieux, notamment celui de la Biennale internationale du design de Saint-Étienne23, dont la dixième édition a eu lieu en novembre 2008. Le rayon littérature reste le rayon principal de la librairie et c’est la 23. biennalesaint-etienne.citedudesign.com

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« lecture-plaisir » qui guide les choix de Marie. Dans l’avenir, elles aimeraient développer le rayon sciences humaines, un peu léger pour l’instant. Il y a plusieurs librairies à Saint-Étienne. Lune et L’Autre attire une clientèle de quartier et a gardé les fidèles de Blandine. Elle participe à la vie culturelle de la ville, propose des livres lors des conférences de philosophie, « Dehors », organisées en partenariat avec la villa Gillet24, pour certains spectacles du théâtre de la ville… Comme Auxerre et Mâcon, Saint-Étienne a ses rues piétonnes et ses enseignes franchisées. Les librairies indépendantes font figure d’exception et deviennent mes repaires dans des villes qui finissent par toutes se ressembler. Obliques, Le Cadran Lunaire et Lune et L’Autre, aussi différentes soient-elles, sont nées de la même envie d’assurer une certaine continuité, de reprendre et de faire vivre un lieu que ces « jeunes » libraires estiment essentiel à la vie de la ville, de la région.

la carte postale et les gentils messieurs un peu fous me saluent bien bas. Il fait doux, nous dînons en terrasse. Marie regarde sa montre, elle est attendue, son compagnon et elle partent dès ce soir passer quelques jours en Bretagne. Céline gèrera la librairie seule, elles sont habituées à ce fonctionnement. Mais elles avouent avoir énormément travaillé cette année, le métier de libraire est fantastique tant que l’enthousiasme est là ; elles pensent qu’un jour, elles vogueront vers de nouvelles aventures…

Je rencontre un client fidèle de la librairie, nous discutons un peu à l’arrière du magasin, puis il sort rejoindre un ami en face, dans la bouquinerie… Marie et Céline sont occupées avec des représentants et des clients, alors je l’y rejoins… et quelle ambiance ! Un ancien dermatologue et deux autres personnages comme tout droit sortis des livres poussiéreux de la boutique se donnent la réplique devant la libraire amusée – et un peu blasée aussi. En feuilletant un album de vieilles cartes postales, je tombe sur une carte de L’Œil de la Lettre, plus précisément sur un dossier consacré à la littérature allemande édité par ce groupement de libraires qui a, pendant d’assez longues années, tenu le haut du pavé dans la profession. En partant, la librairie m’offre 24

24. 720plan.ovh.net

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Une librairie, un livre Martine Sonnet, Atelier 62, Le temps qu’il fait, 2008. Atelier 62, c’est le récit que tous les fils et filles d’ouvriers auraient voulu écrire sur leur famille. Martine Sonnet raconte l’histoire de son père, ouvrier dans les forges des usines Renault-Billancourt. Ce n’est pas un récit larmoyant, ni accusateur, mais plutôt une chronique familiale extrêmement bien documentée (références nombreuses à la Gazette des métallos). Par le biais de son histoire familiale, l’auteur rend hommage à toute une génération d’ouvriers dont les conditions de travail ont été très dures (peu d’ouvriers atteignaient l’âge de la retraite). Un livre instructif et poignant qui nous oblige à nous retourner sur un passé pas si lointain qu’on ne le croit.

Concrètement Responsables Céline Guilbaud et Marie Marcon Superficie 80 m2 Références 10 000


Jeudi 10 juillet, Passages, Lyon. Je quitte Saint-Étienne sous un grand soleil. Seule dans l’appartement de Marie, je profite du calme de la rue, je me penche vers la route ondulée, et tend mon visage vers les collines alentour, une sorte de prière du soleil.

Arrivée à Lyon en fin de matinée. La façade étroite est trompeuse, la librairie est vaste, tout en longueur, elle s’est même agrandie depuis le rachat d’une boutique mitoyenne en 2007. Il fait extrêmement chaud, les ventilateurs soufflent à plein régime et, comme moi, les clients entrent aussi pour la fraîcheur… Et les petits mots accrochés sur les livres plébiscités par Erik, Françoise ou les libraires de l’équipe volettent au-dessus des tables. Françoise Charriau et Erik Fitoussi ne sont pas des « jeunes » libraires. Ils sont passés par la librairie Millepages de Vincennes en région parisienne avant d’ouvrir leur propre librairie dans un ancien magasin de porcelaine de Lyon. L’équipe est aujourd’hui composée de plus de huit libraires. L’offre de livres à Lyon est assez riche : un magasin Virgin, deux Fnac, deux magasins Decitre, plusieurs librairies indépendantes, notamment Vivement dimanche dans le nouveau quartier branché et familial de la Croix-Rousse. Dans ce contexte, Passages est une librairie littéraire, elle réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires en littérature, elle attire les gens du quartier mais aussi, grâce à sa situation en centre-ville, tous les clients avides de conseils… D’ailleurs, Françoise dira d’Erik qu’il est le « meilleur vendeur qu’elle connaisse ». Lors du déjeuner, la discussion s’engage sur la concurrence représentée par le commerce en ligne. Françoise Charriau fait partie du directoire du Syndicat de la librairie française25 (SLF), elle est très 25. www.syndicat-librairie.fr

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investie sur ces questions et pense que la librairie indépendante doit prendre sa place sur le Net, notamment proposer la vente en ligne26. Encore en chantier, les mois qui viennent devraient apporter des réponses à un débat qui dure. La librairie accueille auteurs et éditeurs, Françoise et Erik participent aussi à un nombre impressionnant de manifestations extérieures : la Fête du livre de Bron, Quai du polar à Lyon, la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne, les Assises internationales du roman, de fréquents colloques organisés par le pôle psychiatrie du CHU… Erik Fitoussi participe aussi au prix des Cévennes27, premier prix littéraire européen. Premier lauréat cette année : La Fille sans qualités, de Juli Zeh, paru chez Actes Sud. Je passe la soirée avec Philippe Fusaro ; il est responsable de la littérature étrangère, et ne m’est pas inconnu ! Il a travaillé de longues années avec Sylvie et Francis Bernabé dans leur librairie, Quai des Brumes, à Strasbourg, avant de descendre plus près du soleil. Le Colosse d’argile et Palermo solo28, ses deux derniers romans et deux premiers volets d’une trilogie, sont autant de déclarations d’amour à l’Italie, pays de ses ancêtres et où, lors de ses voyages, il « s’est senti mieux qu’ici sans y avoir vécu29 ».

26. Le livre est, comme d’autres produits, disponible en ligne sur des sites généralistes, comme Amazon. La Fnac et d’autres magasins spécialisés proposent également la vente en ligne. — 27. www.prix-cevennes.com — 28. Parus à la Fosse aux ours, respectivement en 2004 et 2007. — 29. Portrait paru dans Le Matricule des anges, no 56, septembre 2004 (www.lmda.net). 30

La question des marchés La part de vente aux collectivités dans le chiffre d’affaires d’une librairie est très différente d’une librairie à l’autre. Question de choix, d’abord : certains libraires préfèrent se passer de cette part de revenu et se concentrer sur les ventes en magasin ; question aussi de possibilités. Chaque région offre dans ce domaine des contextes bien spécifiques qui favorisent plus ou moins la librairie indépendante. Elle est souvent concurrencée par des grossistes ou par des chaînes qui affichent des atouts « de taille » (nombre de références, équipe de libraires…). Néanmoins, et pour limiter une concurrence uniquement financière, la loi du 18 juin 2003 plafonne à 9 % du prix public la remise accordée aux collectivités. Hors des appels d’offre des marchés publics, les libraires travaillent de gré à gré avec des collectivités (CDI, bibliothèques municipales…), en général de petite taille.

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Une librairie, un livre Jean Echenoz, Courir, Minuit, 2008. Comment transformer un champion olympique en funambule poétique, en équilibre instable sur un fil imaginaire ? Par la grâce de l’écriture de Jean Echenoz. Ce merveilleux roman nous présente les égarements centrifuges d’Émile, coincé entre le régime communiste et son désir fou de courir toujours plus loin, à l’extrémité de sa vie.

Concrètement Responsables Françoise Charriau et Érik Fitoussi Équipe six libraires et un comptable Superficie 250 m2 (+ 50 m2 de bureau) Références 20 000


Vendredi 11 juillet, Lucioles, Vienne. Je quitte Lyon dans la matinée

après un dernier passage à la librairie pour une photo souvenir devant la vitrine. Pas facile de regrouper tout le monde, cela s’avèrera impossible dans bon nombre de librairies : il y a toujours quelque chose à faire, un client, un représentant, un coup de téléphone super-urgent, une erreur de livraison, de facturation, des commandes à passer, à réceptionner… Mission accomplie. Et avec l’aide du gentil réceptionniste, je saute dans un bus direction la gare. Mon train a une demi-heure de retard, chouette, le temps de reprendre un café. Arrivée à Vienne. Ça y est, c’est le Sud, c’est sûr maintenant. Je suis les instructions de Michel Bazin, longe l’avenue aux platanes, tourne à droite… voilà le temple romain et, en face, la librairie. Épatant !

Nous déjeunons avec Renaud Junillon, son nouveau « second » , féru de littérature noire à qui l’on doit le beau dossier Roman noir paru en juin 2007. Et Michel de me raconter l’histoire de la librairie… Tout commence en 1976, quelques amis, enseignants pour la plupart, se lancent bénévolement dans l’aventure. Le but : créer un lieu de liberté, d’échanges, un outil de réflexion collective ; très axée sciences humaines, la librairie naît avec François Maspero, Reiser, Cabu, l’École des loisirs, les éditions des Femmes… C’est l’époque des débuts de l’écologie, de l’antinucléaire, de l’antipsychiatrie. Lucioles n’est pas une exception, les années 1970 voient se créer certaines des plus importantes librairies indépendantes d’aujourd’hui. La première réelle embauche a lieu un an après, mais Michel Bazin, professeur de lettres, ne sera salarié de la librairie qu’en 1993 ! Entre-temps, la librairie a évolué entre les déménagements successifs et l’ouverture de l’association à des actionnaires. Aujourd’hui, on est loin des 30 m2 d’origine et, depuis 1991, sise en face d’un temple romain (le temple d’Auguste et de Livie) incroyablement bien conservé,

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la librairie s’est encore agrandie en 2006 et possède maintenant une belle salle d’exposition et de rencontre, l’espace Jérôme Lindon. Face aux autres points de vente de livres, l’équipe de huit libraires fait la différence… du conseil, encore du conseil, entre autres dans le rayon jeunesse qui représente pas moins de 25 % du chiffre d’affaires et fait de Lucioles un membre actif de l’Association des librairies spécialisées jeunesse ALSJ30. En 1991, la librairie crée son prix littéraire. C’est La Saga de Youza31 qui ouvre le bal des prix Lucioles qui font œuvre de découverte : Philippe Claudel, Nancy Huston, Cormac McCarthy, Russell Banks, Haruki Murakami… Michel se souvient que lors du déménagement de la librairie, pas moins de quarante personnes étaient venues prêter main-forte et il insiste sur le lien très fort, et présent depuis le début, avec les clients-lecteurs de la librairie. C’est ainsi que le premier prix est ensuite rejoint en 1997 par le prix Lucioles des lecteurs décerné par un jury composé d’une douzaine de lecteurs passionnés. Vont suivre, avec le même engouement un prix Lucioles junior et un prix Lucioles lycéens. Le dernier-né, le Prix BD, est accompagné de l’exposition de planches originales. Vienne bat depuis plusieurs semaines au rythme de son célèbre Festival de jazz et les murs de la salle d’exposition sont en ce moment habillés des très belles photos de Eddy Wiggins, photographe américain qui a couvert les fêtes et autres « bœuf jazz » de la rive droite de Paris durant les années 1950 et 1960. Et ce soir, je devrais dire cette nuit, Michel a prévu une séance de dédicace avec Claude Bolling. Le chef d’orchestre doit signer son autobiographie après le concert de son Big Band, qui a lieu au théâtre antique en dernière partie de soirée. Mais il pleut des cordes, alors 36

30. www.citrouille.net — 31. La Saga de Youza, Youozas Baltouchis, Alinéa, 1990 (rééd. Pocket, 2001).

peut-être que la séance de dédicace sera annulée, et que je pourrai rejoindre mon lit plus tôt… Je me surprends à rêver de pluies diluviennes, de raz-de-marée… que le théâtre soit noyé sous les eaux, si je peux rentrer dormir ! Mais Michel est bien décidé à attendre que le temps s’améliore et m’invite à dîner en attendant l’accalmie qui mettra fin à tous mes espoirs de repos. Festival oblige, le restaurant est bondé, mais pas de problème, on s’installe en terrasse… L’eau piégée dans l’auvent menace de se déverser sur nos tables, mais Michel, aussi grand que résolu, tend les bras, soulève le tissu gonflé par le poids et zou ! tout coule par-dessus bord, dans la rue. Bref, ce n’est pas un peu de pluie qui va arrêter Michel Bazin. Le chef cuisinier, ivre de tant d’agitation, nous prend pour des vedettes… C’est cocktail, plats à la carte, et service personnalisé… la grande classe ! La fatigue perd du terrain, le concert peut commencer ! C’est la dernière soirée du festival et le spectacle est hallucinant. La pluie et le public cohabitent dans une semi-indifférence, les musiciens jouent presque comme si de rien n’était. Et moi aussi, à l’abri relatif sous un poncho aux couleurs du festival, je me laisse finalement prendre au piège de la voix de Stacey Kent… qu’il pleuve, si je peux encore et encore entendre ça ! Vers 1 h du matin, nous installons la table sommaire qui accueille des enregistrements CD et une vingtaine de livres de Claude Bolling. Je n’ai plus sommeil et nous attendons l’arrivée de l’artiste. Ce sera probablement un de mes meilleurs souvenirs : le sourire imperturbable de Michel, l’enthousiasme serein d’une poignée de mélomanes, sous la pluie encore et toujours… 37


Concrètement Responsable Michel Bazin Équipe neuf libraires Superficie 220 m2 (+ une salle de rencontre et d’eposition de 50 m2) Références 35 000

Une librairie, un livre Youozas Baltouchis, trad. D.Yoccoz-Neugnot La Saga de Youza, Alinéa, 1990 (rééd. Pocket, 2001). C’est le premier (et à ce jour le seul) livre traduit du Lituanien Baltouchis. Malgré une très bonne presse, ce livre n’a rencontré qu’un succès d’estime. À Lucioles, nous sommes transportés par ce roman d’exception racontant l’histoire de ce paysan lituanien qui choisit de fuir le monde par chagrin d’amour. À travers la figure du taciturne Youza, c’est l’évocation d’une nature sauvage et belle d’un pays déchiré par l’histoire… et la librairie a créé pour lui donner davantage d’écho le premier prix Lucioles : près de vingt ans après, ce livre a touché et ému des milliers de lecteurs !


Samedi 12 juillet, librairie des Cordeliers, Romans-sur-Isère. Le lendemain matin, je crois rater mon train qui a finalement deux heures de retard… Je rejoins les vacanciers joyeusement entassés jusque dans les casiers réservés aux bagages. À mes pieds, une petite fille se tortille, impossible de trouver le sommeil, trop de secousses, trop de bruit. Moi, je regarde le paysage, les rangs de vigne qui me rappellent chez moi.Je dois changer à Valence et prendre un autocar pour Romans-sur-Isère. J’arrive enfin, sous – encore ! – un léger crachin. Mais le joli défilé de parapluies devant la façade lumineuse de la librairie rend au ciel un peu de ses couleurs. « Small is beautiful. » Denis Beylier aime sa petite librairie, c’est comme ça qu’il l’a ouverte en 1979 et qu’il la transmettra. Dans les années 1970, après un beau début de carrière dans le marketing industriel, il rêve d’une autre vie. Ce ne sera pas la vie en communauté et l’élevage de chèvres, mais la librairie ! Alors il se forme, chez un grossiste à Lyon, en tant que « metteur à part débiteur débutant ». Et tous les samedis, il écume la région pour trouver la ville qui accueillera sa librairie. À Romans-sur-Isère, donc, pourtant déjà dotée de cinq librairies – toutes ne sont pas restées. Aujourd’hui, la librairie du Lycée, récemment acquise par Chapitre.com32, la librairie La manufacture et la librairie des Cordeliers proposent une belle offre à la clientèle en phase de di32. www.chapitre.com. Chaîne de magasins et site de vente en ligne de livres neufs et d’occasion détenus par Direct Group France, filiale du groupe allemand Bertelsmann qui détient également France Loisirs, Le Grand Livre du mois les librairies Privat, Alsatia et Livre et Compagnie.

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versification (notamment en lien avec la future installation du centre de recherche en énergies renouvelables.) J’apprends aussi que les choses ont changé dans la région : dans les grosses villes comme Valence, Romans ou Montélimar, il y a moins de librairies qu’il y a trente ans. Mais le nouvel essaimage de la population dans de plus petites villes a été accompagné d’ouvertures de librairies. Autre nouveauté : le système de carte M’RA mis en place par la région Rhône-Alpes en vue de faciliter l’accès des jeunes à la culture33, notamment par un crédit accordé à l’achat de livres scolaires, a fait entrer une nouvelle clientèle à la librairie des Cordeliers. Le point fort de la librairie est la littérature  ; viennent ensuite les sciences humaines et les essais d’actualité. Et si Sébastien passe près d’une demi-heure avec une maman à la recherche de livres pour les enfants de sa famille, ce n’est pas par hasard : Denis défend une approche artisanale, humaine. Autre dada, plus secret celui-là, les livres d’artistes. Ils sont exposés dans la salle du premier étage, et attendent patiemment leur acquéreur… Le salon Romans à Romans34, initié par la librairie, invite chaque année une cinquantaine d’écrivains autour d’expositions, de débats, de concours et d’ateliers d’écriture… Et tous les ans, on retrouve la librairie au Salon de la petite édition à Crest (petite ville au bord de la Drôme) dont la 17e édition a eu lieu du 18 avril au 5 mai 2008 et affichait au programme cinquante maisons d’édition, neuf rencontres avec auteurs et éditeurs, une journée professionnelle pour les bibliothécaires et deux ateliers de création plastique pour les écoles… La librairie participe

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33. Il existe un grand nombre d’initiatives semblables, notamment en Île-de-France depuis 2001. Le chéquier Tick’Art, dispositif destiné à faciliter l’accès des jeunes Franciliens à la culture, contient un chèque-livre. — 34. www.romansaromans.123.fr.

également au partenariat entre l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation35 (Arald) et l’association Doc Net36, qui a pour but d’aider la diffusion de documentaires de création dans les librairies indépendantes. Et pour mettre en valeur ce nouveau fonds de savoirs et de connaissances à disposition du public, et avec la médiathèque et le cinéma d’art et essai, trois documentaristes sont invités à intervenir lors d’un prochain Cycle sur l’image. Denis et Sébastien reçoivent aujourd’hui même par La Poste l’objet de tant de spéculations : l’e-reader ou livre électronique. Les libraires ont été invités par Epagine, filiale de Tite-Live 37, à tester cette nouvelle façon de lire durant l’été ; des éditeurs ont ainsi mis à disposition certains de leurs premiers romans. Le bilan sera fait à la rentrée : fini le papier ? Denis est dubitatif, Sébastien curieux, sans plus. À suivre… Ma visite à Romans est courte, je rejoins Grenoble ce soir. La pluie n’a pas cessé, dans l’autocar, je profite déjà du repos qui m’attend demain, dimanche. Puis ce sera Marseille, dans deux jours, après les célébrations du 14 juillet, cette année l’occasion de fêter les trente ans des éditions Actes Sud, en Arles.

35. www.arald.org — 36. film-documentaire.fr — 37. Logiciel de gestion de stock et outils d’information pour les produits culturels. www.titelive.com

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Une librairie, un livre Grégoire Polet, Leurs Vies éclatantes, Gallimard, 2007.

Concrètement Équipe fin juillet 2009, Denis part à la retraite et Sébastien sous d’autres cieux. La librairie est reprise par François et Olivier, un nouvel équipage pour une même passion. Superficie 100 m2 Références 9 000


Dimanche 13 juillet 2008, Le Square, Grenoble. Le dimanche, je

rôde autour des hautes vitrines aux rideaux baissés, la librairie Le Square est fermée. Mais je la connais bien, je n’ai qu’à fermer les yeux… Créée il y a plus de cinquante ans, la librairie a été rachetée il y a plus de vingt ans par plusieurs éditeurs, car le fondateur ne trouvait pas de repreneur. Une SARL est montée. Et depuis dix-huit ans, c’est Françoise Folliot qui en est la « directrice fondée de pouvoir ». Lectrice passionnée et chef d’entreprise rigoureuse, Françoise a ouvert Le Square, anciennement librairie universitaire (certains l’appellent d’ailleurs toujours la librairie de l’Université), à un plus grand public, même si les sciences humaines restent un rayon majeur de la librairie et que celle-ci intervient très régulièrement sur le campus lors de colloques en sciences humaines, lettres ou sciences politiques.

La librairie s’est également modernisée, informatisée, agrandie et même refait une beauté. On retrouvera d’ailleurs le bleu de la vitrine et des lampes qui éclairent les tables sur le site Internet, futur nouveau relais des activités de la librairie après La Gazette, éditée tous les deux mois. On y découvre les rencontres hebdomadaires – qui ont lieu dans sa nouvelle salle inaugurée en 2005 –, les coups de cœur de l’équipe et des dossiers thématiques. Hors les murs et tout au long de l’année, la librairie travaille avec le cinéma d’art et d’essai, le Méliès, les salles de spectacle de la ville et de la périphérie et aussi le réseau particulièrement dense des bibliothèques de la ville et du département, notamment lors du temps fort de l’année Le printemps du livre de Grenoble (printempsdulivre.bm-grenoble.fr). Autour d’un thème précis (la famille, la rébellion…), s’enchaînent rencontres avec des auteurs, soirées lectures, dédicaces, salon du livre… c’est toute la ville qui se met aux couleurs du livre et de la littérature. Aujourd’hui,

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Le Square est la première librairie indépendante généraliste de Grenoble et grâce à l’équipe de treize libraires passionnés, elle attire aujourd’hui un nombre toujours plus grand de lecteurs. Fille de libraire, Françoise a fait une école de journalisme, a été professeur de lettres, éducatrice, linguiste pour un projet de traduction assistée par ordinateur, puis libraire. D’abord chez Glénat, éditeur et librairie spécialisée en bande dessinée, puis Le Square. Ce qu’elle préfère dans le métier de libraire : la multitude de tâches qui rythment son quotidien, faire une vitrine, faire ses comptes, préparer une rencontre avec un auteur, gérer de près son stock, conseiller les clients, imaginer de nouveaux projets pour la librairie… Comme, par exemple, l’implantation d’un kiosque au sein de la MC238, ouvert tous les soirs de spectacle et proposant aux spectateurs un fonds en rapport avec la programmation du centre culturel : danse, théâtre, musique. C’est également à la MC2 et en partenariat avec Le Square qu’a eu lieu en septembre 2008 le deuxième Forum Libération. Ou encore le développement d’un rayon de DVD documentaires qui a très vite trouvé son public. Le programme à venir ? Raymond Depardon, Jean-Paul Dubois, Olivier Rolin, Michel Lebris et sûrement une nouvelle expo…

vérifier qu’elles sont toujours là, immobiles et immenses, figées et légères, Entre ciel et terre39, un peu comme les traits de pinceaux de Fabienne Verdier qui s’étalent sur mes genoux. Puis je ferme longuement les yeux sous les rayons du soleil de six heures. Le lendemain, nous rejoignons Arles pour fêter les trente ans d’Actes Sud. Tout l’après-midi, le vent a soufflé fort sur la ville. En me promenant avec Noémie, et quand nous nous prenons en photo dans le jardin du cloître Saint-Trophisme et au bord du Rhône, je dois retenir mon chapeau de paille. Au couché du soleil dans le théâtre antique, le public applaudit longtemps – pourtant, il ne sait pas que c’est la dernière fois qu’il écoute le poète palestinien Mahmoud Darwich40. À minuit, depuis le toit-terrasse du Méjan, on entend les feux d’artifice lancés audessus du fleuve.

Je continue ma balade dans un Grenoble endormi qui me rappelle les dimanches moroses de mon adolescence provinciale, ces dimanches souvent sauvés d’un ennui mortel par quelques heures de lecture… Quand je rentre chez Françoise, le chien et les chats se sont réfugiés dans la fraîcheur du salon. Je prends ce beau livre posé sur le radiateur et je m’installe sur la terrasse qui fait face à la chaîne de Belledone. Je lève régulièrement les yeux vers les montagnes, pour 48

38. www.mc2grenoble.fr

39. Paru chez Albin Michel, 2007. — 40. Poète palestinien, traduit chez Actes Sud. Décédé le 9 août 2008.

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Une librairie, un livre Dezso Kosztolanyi, trad. E. Vingiano de Pina Martins, Viviane Hamy Anna la douce, Viviane Hamy, 1992 (rééd. coll. « Bis », 2007). Un des plus grands livres de l’écrivain hongrois. Dans une famille bourgeoise du début du XXe siècle, la maîtresse de maison a enfin trouvé la bonne idéale. Mais Anna, observant jour après jour ses maîtres, Anna, douce et soumise, va pourtant commettre un crime effrayant. Une critique sociale féroce du monde bourgeois après la chute des « rouges ».

Concrètement Responsable Françoise Folliot Équipe treize libraires Superficie 330 m2 Références 46 000



Mardi 15 juillet, Maupetit, Marseille. Quand j’arrive à Marseille, c’est

presque la fin de l’heure du déjeuner. Je déjeune seule dans une pizzeria près de la librairie. Les serveurs rangent la salle, la musique diffusée par la radio est trop forte maintenant que les clients sont tous partis. Je mange très vite des lasagnes brûlantes et rejoins dare-dare la librairie située dans la partie haute de La Canebière ; on aperçoit, au loin, vers le port, les reflets de l’eau dans le ciel brûlant de soleil. La librairie est assez incroyable : 950 m2 divisés en salles, couloirs, recoins, alcôves sur trois niveaux. La librairie existe depuis 1927, et ça se voit ! Des échelles en bois permettent d’atteindre le haut d’étagères murales, à plus de trois mètres du sol. René Caprioli n’a pas exactement chômé avant de diriger la librairie Maupetit : il crée la librairie de l’Horloge à Carpentras en 1974 (revendue en 1988, elle est dirigée par Françoise Bascou depuis). C’est à cette époque (1977-1978) qu’il rencontre une certaine Françoise Nyssen accompagnée de son père, Hubert Nyssen. Un « déjeuner de Carpentras » s’ensuit au cours duquel beaucoup de questions sont posées de part et d’autre dans la perspective de « faire naître » une maison d’édition en province. Le succès sera au rendez-vous… Puis, nostalgique de séjours en Afrique centrale et occidentale, René s’envole pour la Guyane avec femme et enfants. Cinq ans après, la librairie ne trouve pas sa place dans « ce désert culturel» et René rentre en France pour subir l’opération du cœur à laquelle on l’avait préparé depuis longtemps. Remis sur pied en quelques semaines, et orienté par l’Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), René repart sur un autre chantier, à Carcassonne cette fois. En 1998, les éditions Actes Sud dont il est resté très proche le rappellent pour diriger

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la librairie Maupetit. Dix ans après, la librairie compte une équipe de vingt libraires, deux salles d’exposition et d’animation, la salle Nina Berberova mise à disposition d’associations phocéennes et la salle Joseph Conrad. La librairie a ses fidèles et bénéficie de l’idée ancienne, vérifiée et bien répandue suivant laquelle « chez Maupetit, on est sûr de trouver ». La littérature et le scolaire sont en tête, mais la librairie est aussi une librairie universitaire (notamment droit, économie et gestion, dont les pôles d’enseignement se trouvent sur La Canebière). De nombreuses sollicitations extérieures rythment la vie de la librairie : le rendez-vous annuel de Lutte ouvrière (si, si !), les colloques de psychiatrie de la Timone, le Festival de la rue du Tango… Quand la Fnac s’installe en 1983, il y plusieurs grosses librairies indépendantes à Marseille Aujourd’hui, seules restent Maupetit, L’Odeur du temps, Prado Paradis, Arcadia, Regards, l’Histoire de l’œil et d’autres librairies de quartier de plus petite taille. La Fnac a ouvert un second magasin en 2005 dans le sud de la ville, auquel se sont ajoutés un Cultura et un Virgin Megastore, ouvert dans les années 1990. Après notre entretien René doit prendre son tour de caisse. Eh oui, même avec vingt libraires, René tient à être au plus près de la clientèle, un moyen d’être toujours au contact de la « réalité du terrain » et la meilleure façon d’avoir l’œil sur tout !

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La librairie Maupetit : 80 ans d’histoire… Ernest Maupetit, ancien directeur de banque, avait associé un cabinet de lecture à cette librairie de 900 m2 dès 1927. Victor Maupetit, son fils et successeur, le supprimera lors de la reprise en 1947. Pendant vingt à trente ans, la librairie est la librairie de référence de la ville et de la région. Période sombre à partir de 1990 : Victor Maupetit vend la librairie à Plein Ciel et au Grand Livre du mois. Quatre ans plus tard, l’absence de succès les pousse à revendre à un banquier en quête de nouveauté. Nouvel échec, redressement judiciaire en prime. Les éditions Actes Sud sont alors appelées à la rescousse pour sauver cette librairie historique. Et elles-mêmes demandent à René Caprioli d’en prendre les rênes. C’est ce qu’il fait en 1998.


Une librairie, un livre Concrètement Responsable René Caprioli Équipe une vingtaine de libraires Superficie 900 m2 Références 48 227

Joseph Conrad, trad. Odette Lamolle Lord Jim, 1900 (nombreuses rééditions disponibles en poche et grand format).


Mercredi 16 juillet, Au Poivre d’Âne, La Ciotat et Manosque.

Quand on arrive à La Ciotat, le soleil est encore assez haut dans le ciel, c’est la fin d’une belle journée d’été. Des bateaux voguent au large, d’autres sont restés amarrés ou hors de l’eau, rangés dans un garage – un genre d’échafaudage –, comme des chaussettes dans leur tiroir. Je me sens toute bête à pousser des ah ! et des oh !, genre Parisienne engoudronnée, lâchée hors des limites du périph’. J’en rajoute un peu – je trouve ça poli –, mais pas trop : ça me fait vraiment quelque chose, cet assemblage précis et brouillon de rochers, d’oiseaux virevoltants, d’odeur de sel et de bleu jusqu’au loin. Je n’ai pas vu la mer (d’habitude, c’est plutôt l’océan) depuis longtemps, alors oui, je suis heureuse d’être ici. Après un passage chez Valérie, nous redescendons manger une pizza sur le port. Pour attirer les touristes, la mairie organise depuis quelques étés un marché nocturne. Les familles s’y promènent et peut-être, comme nous, finiront par craquer devant ces étalages de colifichets et d’ustensiles sans surprise… Le lendemain matin, je rejoins Valérie après avoir un peu traîné au lit, et profité du calme de son joli appartement à l’ambiance estudiantine. La librairie est la plus jeune de l’association : elle aura deux ans en juin 2009. Elle est au cœur du centre piétonnier, dans une rue perpendiculaire au port, sur 50 m2, et Valérie s’y sent comme un poisson dans l’eau. Elle a monté son projet comme tout ce qu’elle fait, proche de la perfection, et en continuant à travailler à Manosque Au Poivre d’âne, où elle a (presque) tout appris sur la librairie. D’ailleurs, si on lui avait dit il y a quelques années qu’elle serait libraire, elle n’en aurait pas cru un mot. Valérie a toujours eu un sacré caractère ; elle n’a pas passé son bac, mais est partie deux ans en Suisse gagner sa vie et

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s’amuser. En rentrant, elle a travaillé en bibliothèque et a suivi la formation initiale de l’Association des Bibliothécaires Français (ABF). Elle est alors entrée à l’Institut universitaire technique (IUT) information-communication option Métiers du livre à Aix-en-Provence. Diplôme en poche, elle quitte la France pour travailler dans une maison d’édition à Munich au service des droits étrangers. De retour en France, elle a travaillé quelque temps pour les Éditeurs sans Frontières41 puis aux éditions de l’Aube avant sa rencontre avec Jean-Christophe Desfilhes qui l’amène doucement à développer son projet de librairie. Il manquait une librairie à La Ciotat. Valérie s’y est installée sur les conseils de professionnels et après avoir mené une étude de marché. Les chiffres et le sourire de Valérie prouvent que c’était une bonne idée. Elle me raconte avec des étoiles dans les yeux l’excitation d’avoir trouvé le lieu parfait dans le centre-ville de La Ciotat, l’émotion lors de la commande d’implantation, l’énervement aussi pendant le montage des meubles et le soulagement après avoir réglé des petits accrocs de livraison avec son transporteur en but aux contraintes liées au centre-ville piétonnier de La Ciotat. En province, toutes les livraisons sont acheminées via les plates-formes de distribution Prisme42, système encore perfectible : il est encore possible de réduire les délais de livraison, de massifier les envois et de négocier les tarifs auprès des transporteurs de façon groupée. Se déplacer hors les murs est difficile quand on travaille seule. Valérie participe néanmoins à La Cour aux livres, séance de présentation pour les lycéens, et intervient au cinéma après certaines

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41. www.editeurs-sans-frontieres.com — 42. Plates-formes de redistribution situées en Province permettant de mutualiser les flux et les coûts, gérée par la Commission de liaison interprofessionnelle du livre (CLIL).

séances. Les sollicitations affluent, Valérie se donne le temps de pouvoir y répondre dans de bonnes conditions. En revanche, elle reçoit volontiers dans sa librairie : Anne-Marie Garat, Pia Petersen, Jacques Séréna, Karine Giebel, Jacques Gaillard, Dominique Mainard, René Frégni, Joëlle Gardes, Emmanuel Loi, Nestor Ponce, Laura Alcoba, Christian Astolfi et Moussu T – que ce soit avec le soutien de l’association Libraires du Sud ou non. Valérie a elle aussi reçu son e-reader, et là, c’est dit sans détour : elle est plutôt fan ! Lire sur un objet si léger, perfectionné, confortable, elle adore, et elle est déjà prête à se lancer dans l’aventure de sa diffusion. Mais pour l’instant, elle range ses rayons, imagine une nouvelle organisation, notamment à l’avant du magasin et colle des post-it en forme de cœur sur ses lectures favorites. Nous fermons le magasin à midi, c’est Véronique, employée à temps partiel, qui prend le relais cet après-midi. Direction Manosque. Manosque est à une heure de la Ciotat ; et on ne peut pas faire plus « Midi », la place rectangulaire, les terrasses colorées, le puit d’époque, les platanes, les ruelles étroites aux boutiques aguicheuses… un vrai décor. Et, au centre, la librairie de Jean-Christophe, Au Poivre d’Âne, créée dans les années 1980 et à son emplacement actuel depuis 2003. Elle fait aujourd’hui 150 m2, et l’équipe se compose de quatre libraires. En ce moment, on compte aussi un stagiaire belge, « envoyé » par les libraires de Liège (Livre aux Trésors, cf page 29 partie Noël). Au Poivre d’Âne est la librairie principale de Manosque, et Jean-Christophe est de toutes les manifestations culturelles de la ville, en particulier les fameuses Correspondances de Manosque43 dont la prochaine édition 43. www.correspondances-manosque.org

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Concrètement La Ciotat Responsable Valérie Ehrhardt Équipe un libraire Superficie 50 m2 Nombre de volumes 7 000

Une librairie, un livre La Ciotat Karla Suarez, trad. C. Bleton La Voyageuse, Métailié, 2005. Deux Cubaines se rencontrent dans l’avion qui les emmène vers le Brésil pour un séjour autorisé d’études. A la fin de leur visa, elles décident de ne pas revenir et, pour des raisons différentes sans aucun rapport avec la politique, de trouver une place ailleurs dans le monde. Lucia se marie avec Bruno, un homme d’affaires italien et part à Rome, Circé cherche la ville où elle se sentira chez elle.Deux portraits de femmes sensibles, deux facettes de ce que nous pourrions tous porter en nous.


aura lieu du 23 au 27 septembre 2009. Le théâtre de la ville, les places, les cafés accueillent des lectures sur le principe de la rencontre entre auteurs, genres, styles, également entre écriture et musique, qui s’écoutent et se répondent. Autre acteur du livre avec lequel la librairie collabore, Éclat de Lire mène sur l’année un programme d’actions de lecture vers le public jeune avec, entre autres, un festival de littérature jeunesse et un prix littéraire des adolescents. Soucieuce de s’adresser à tous les publics, l’association installe chaque semaine une bibliothèque de rue dans cinq quartiers de la ville, réalise des animations et ateliers de lecture pour les tout-petits dans les crèches, organise un comité de lecture d’albums. Tout au long de l’année, Au Poivre d’Âne travaille de conserve avec le centre Jean Giono44 à l’animation de l’œuvre de l’auteur provençal et organise rencontres, expositions, ateliers… Après Jean Giono, Pierre Magnan et René Frégni, autres auteurs de la région, sont encore et toujours les favoris des lecteurs et les meilleures ventes de la librairie. Jean-Christophe est aussi président de l’association des Libraires du Sud (www.librairie-paca.com), née en 1997 à la suite d’un rassemblement de libraires marseillais. Le regroupement associatif permet aux libraires d’être soutenus par les pouvoirs publics (région, DRAC, etc) et de financer l’organisation de rencontres littéraires dans leurs librairies. Le réseau permet de mutualiser des moyens professionnels : échanges de compétences, site Internet, formations, communication, etc. L’échelle régionale se révèle très adaptée aux tournées d’écrivains et aux échanges professionnels, actions qui complètent celles d’Initiales. Et peut-être est-ce pour cette raison que Jean-Christophe 66

44. www.centrejeangiono.com

est aujourd’hui (tous les jours ?) très occupé. Il s’assied quelques petites minutes, juste le temps d’évoquer son parcours… Jurassien, il fait des études d’agronomie, passe cinq ans en Afrique dans une entreprise équitable de transformation de fruits et légumes. Des soucis de santé l’obligent à rentrer en France. Il se forme au métier de libraire à l’Institut de promotion commerciale (IPC) de Lyon, passe par la librairie de l’Horloge à Carpentras (vous vous souvenez, celle-là même créée par René Caprioli), puis à la librairie Cart à Besançon avant de reprendre Au Poivre d’Âne à Manosque. La concurrence ? Plutôt des librairies spécialisées complémentaires (jeunesse, géographie-voyages), un espace culturel Leclerc45… Et il faut impérativement mentionner une librairie près de Forcalquier, à Banon : Le Bleuet est une rareté, dans un village de moins de 1 000 habitants, cette librairie ne compte pas moins de 100 000 livres et 50 000 titres, une curiosité qui attire touristes français et étrangers en plus des clients de la région. Quand je quitte la librairie, Jean-Christophe est avec un représentant… en produits équitables ! La librairie proposera aussi du café, du chocolat et du thé équitables, une diversification en forme de retour à ses premières amours. Nous reprenons la voiture en fin de journée pour nous enfoncer encore un peu plus dans l’arrière-pays provençal. Valérie me dépose à Oraison où Daniel Chini a ouvert une librairie en 2000. Nous verrons ça demain, c’est pour l’heure le temps de rentrer à Lurs où Viktoria, l’épouse de Daniel, nous attend. 45. Magasins spécialisés en produits culturels, développés par la chaîne de grande distribution française E. Leclerc.

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Une librairie, un livre Manosque Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde, Seuil, 1997 (rééd. coll. « Points histoire », 2000).

Concrètement Manosque Responsable Jean-Christophe Desfilhes Équipe trois libraires Superficie 150 m2 Références 15 000

Cet ouvrage analyse le développement des agricultures depuis 10 000 ans. Quelques millions d’agriculteurs mécanisés et spécialisés sont parvenus à des sommets de productivité. Des centaines de millions de paysans sont frappés par la pauvreté. Ce livre montre que la crise actuelle de l’économie agricole s’explique par la mise en concurrence inconsidérée des héritages agraires des différentes régions du monde. Les auteurs (de l’Institut national agronomique de Grignon) proposent une réflexion sur la mondialisation et une stratégie mondiale capable de sauvegarder et de développer l’économie paysanne pauvre, de relancer l’économie et de construire un monde vivable. .


Jeudi 17 juillet, L’arbousier, Oraison.

La nuit est déjà tombée quand nous dînons sur le balcon protégé d’une pergola où grimpe de la vigne. Devant moi, les Alpes avancent les pieds sous leur robe provençale ; dans mon dos, le soleil se couche à l’entrée du Lubéron. Anastasia, la fille de Viktoria, est arrivée il y a quelques jours en France ; elle ne parle pas encore le français – on s’y emploie très sérieusement – et je ne parle pas le russe. Alors, nous échangeons des sourires. Je suis fascinée par son histoire, j’essaie de comprendre ce qu’elle ressent à être ici, maintenant, et tente d’imaginer ce que sera sa vie et ce qu’elle racontera quand elle sera une femme à l’accent imperceptible. Entre la poire et le fromage, et même comme un cheveu sur la soupe, une sauterelle verte et immense surgit du noir intense de la nuit et vient se poser tout près de nos assiettes. Tandis que Viktoria et Anastasia hurlent en se réfugiant dans les bras l’une de l’autre, je n’écoute que mon courage et saisi mon appareil photo, bien décidée à aider ce moment, cet insecte et moi-même à passer le cap de la postérité… À quelle heure sonne la cloche de l’Angélus ? Certainement trop tôt. Et à cela s’ajoutent les mouches, spécialité du coin, qui m’attaquent consciencieusement – mes moulinets spasmodiques n’y changeront rien. Voilà encore une nuit un peu courte, et je crois une étape nécessaire à ma formation de voyageuse sans peur et sans reproche. Daniel a fait des études d’histoire, son autre passion avec le cinéma. Après plusieurs missions – dont un cinéma de station de ski ! –, la librairie a été pour lui la meilleure façon de continuer à œuvrer pour la diffusion de la culture en toute indépendance. Originaire de la région, il revient et installe sur 48 m2 une bien jolie librairie. Le contexte n’est pas facile, et la culture assez peu soutenue par les élus. Grâce à lui, les habitants, désireux d’échanges et de rencontres,

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ont maintenant leur rendez-vous avec le livre. Daniel me parle de Robert Morel, éditeur au talent fou, au vrai sens du terme. Précurseur du livre sous toutes ses formes, Robert Morel s’est installé dans la région dans les années 1960 et a, pendant plus de vingt ans, laissé libre cours à son imagination, et à celle de son épouse, Odette Ducarre. Ses livres sont maintenant des pièces de collection46, notamment Le Livre des bonnes herbes de Pierre Lieutaghi paru en 1966 et que les éditions Actes Sud rééditent depuis 1998. Daniel veut s’agrandir, la librairie est à l’étroit dans des murs trop épais. L’occasion se fait un peu attendre, et maintenant que la famille compte deux nouveaux membres, il va falloir se dépêcher… Après une visite express du village de Lurs, on passe à la librairie et, contrairement à ce que Daniel pensait, les clients sont bien matinaux aujourd’hui, alors, je me réfugie dans le bureau. À peine le temps d’acheter trois cartes postales, et Daniel me conduit à la gare de La Brillanne-Oraison. La guérite, le banc et l’horloge, rien ne semble avoir changé depuis les années 1950, quand la côte était encore un peu le bout du monde. Je grimpe dans mon Ter pour Marseille. Une correspondance m’y attend, j’espère, pour Montpellier.

Une librairie, un livre Concrètement

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46. www.presences.free.fr

Responsables Daniel et Viktoria Chini Superficie 48 m2 Références 9 500 + 1 200 disques et DVD

Jean Giono, Les Récits de la demi-brigade, Gallimard, 1972 (rééd. Folio, 2000). Parce que Pauline de Théus (Le Hussard sur le toit) et Langlois (Un roi sans divertissement) se retrouvent dans une maison au bout du monde autour d’un suicidé, écossais.



Vendredi 18 juillet, le Grain des Mots, Montpellier. J’arrive à

Montpellier aux heures les plus chaudes de l’après-midi et j’apprécie tout particulièrement que la librairie d’Aline et Daniel soit climatisée. Le souci du confort et de la sérénité est d’ailleurs à l’œuvre dans tous les coins de la librairie : lumineuse, colorée, silencieuse (merci la moquette) ; plusieurs fauteuils vous attendent à chaque coin d’étagères, pour feuilleter un livre, bien sûr, mais, aussi, comme cette famille qui entre, pour discuter tranquillement avec son libraire, attendre que ses enfants ou son époux aient fait leur choix. En 1993, Daniel, tout d’abord client, devient l’associé d’Aline chez Alinéa, librairie qu’elle a ouverte seule à Pontoise en 1980. Dix ans après, ils ont cherché, et trouvé, où prendre un nouveau départ à deux.

Ils se sont alors installés à Montpellier et fêteront leurs cinq ans cet automne ; deux cents invités se sont pressés lors de l’inauguration ; gageons qu’ils seront au moins aussi nombreux cette fois, même si « ça n’a pas été facile tous les jours »… Derrière le risque, il y avait un pari, sur le fort potentiel d’une ville dynamique, sur un quartier en pleine transformation, mais aussi un constat : il ne restait plus qu’une seule librairie indépendante généraliste face à Gibert, Virgin et la Fnac, donc de la place pour deux ! Depuis 2003, la librairie a pris ses marques et a construit une image forte : résolument littéraire, elle organise avec l’aide de l’association des Amis du Grain des Mots des rencontres en partenariat avec des compagnies théâtrales, des départements universitaires, des associations travaillant dans le social, l’environnement ou le politique, des associations lacaniennes, les Amis du Monde Diplomatique. La librairie est aussi partenaire de La Comédie du livre, manifestation organisée depuis 1985 par les libraires de la ville. Tous les ans, la place de la Comédie réserve son espace aux stands qui accueillent rencontres, lectures, débats. Et une quinzaine de lieux, des cafés, centres culturels, musées ouvrent leurs portes à un

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Concrètement nombre incroyable de rendez-vous autour du livre. Les rencontres « Marina Tsvetaeva », « la poésie des exils » et « Écrire en Russie en 2008 » furent cette année organisées par la librairie. Aujourd’hui, la librairie bénéficie d’un cercle d’irréductibles fidèles, qui sont devenus des amis des libraires autant que de la librairie. Dans la voiture, Daniel et Aline me reprennent :« On ne dit plus Palavas-les-Flots depuis longtemps, mais Palavas tout court. » Oui, eh bien moi, c’est la première fois, et ce sera Palavas-lesFlots, j’y tiens. Le soleil se couche côté parking, les windsurfeurs font leurs dernières pirouettes avant de ranger leurs grandes voiles et nous nous déchaussons pour traverser la plage. Nous entrons dans un restaurant où il reste de la place. C’est un restaurant de saison, ouvert sur la mer, les murs sont de simples planches de bois peintes en blanc. Le mobilier en plastique est tout ce qu’il y a de plus tendance et l’éclairage fluo enveloppe la tombée de la nuit d’un air de boîte de nuit branchée. Nous commandons des plats de poisson, buvons du vin blanc très frais. La route du retour est agréable. Un peu sonnée, je laisse ma tête dodeliner contre le siège et je regarde en souriant la silhouette troublée de champs d’oliviers qui défile dans le noir. Au matin, quand je me lève, Aline et Daniel sont debout depuis longtemps. Aucune trace de petit déjeuner sur la table. Daniel lit Zone de Mathias Énard47, allongé dans le canapé ; Aline me prépare un jus centrifugé d’abricot et de pêche, m’explique comment fonctionne la récalcitrante machine à café. Depuis la terrasse, je suis surprise de voir le jardin tout en friche : Aline et Daniel déménagent bientôt, ils vont s’installer dans le centre de Montpellier, tout près de la librairie.

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47. Paru chez Actes Sud en 2008.

Responsables Aline Huille, Daniel Le Moigne Superficie 200 m2 Références 17 000

Une librairie, un livre, José Luis Sampedro, trad. F. Duscha-Calandre Le Sourire étrusque, Métailié, 1994 (rééd. coll. « Suites », 1997).


Samedi 19 juillet, Le Scribe, Montauban. Montauban est le premier arrêt

de la ligne Montpellier-Bordeaux. Derrière la vitre défilent les plages et les marais. Nous quittons le Roussillon et abordons le Sud-Ouest par sa limite méridionale, le Midi-Pyrénées. Et c’est à la couleur de ses murs que Montauban, comme Toulouse, doit son joli nom de « ville rose ». Jacques Griffault m’accueille à la gare et, comme à son habitude, c’est avec élégance et humour qu’il sera mon guide dans le centre-ville. Nous entrons dans les librairies amies, réunies sous les arches autour de la place nationale. Je découvre avec Jacques l’affiche qu’ils ont réalisée pour célébrer, à leur façon, décalée, le bicentenaire du département du Tarn-et-Garonne. La librairie de Jacques Griffault et de son épouse Brigitte est située faubourg Lacapelle, juste à l’entrée du centre-ville, depuis 1978. Créée en 1965, elle est concurrencée par la librairie Deloche, librairie générale de Montauban depuis les années 1930. Jacques et Brigitte ont repris la librairie Le Scribe il y a treize ans, après une belle carrière dans la banque et des années à parcourir le monde. La librairie occupe le rez-de-chaussée où se côtoient la littérature, les sciences humaines et un mini-rayon littérature jeunesse « pour dépanner » – Jacques oriente plutôt les lecteurs vers la librairie spécialisée jeunesse. À l’étage, une grande et belle salle où Brigitte invite et expose les œuvres d’artistes locaux. J’y rencontre Jacques Haramburu. Et depuis qu’il expose ici, il a transformé tout l’étage en atelier de création. Sacré personnage ! Si Jacques et Brigitte avouent facilement que le métier de libraire est un sacerdoce, ils n’ont aucun regret et quand il s’agit d’organiser le prix des Amis du Scribe ou Place aux nouvelles, ce n’est que du bonheur ! Le prix des Amis des Scribe existe depuis le début et fait la force de la librairie qui défend l’écoute, l’échange autour du livre. Chaque 18 juin, « l’autre appel du

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18 juin », comme aime à le rappeler Jacques, un livre paru au cours des deux dernières années est récompensé par un jury de lecteurs volontaires et passionnés. Cette année, les Amis du Scribe ont décerné leur prix à Michèle Lesbre pour Le Canapé rouge48. Place aux nouvelles49 a lieu au mois de septembre et réunit lecteurs et auteurs autour d’un genre mal-aimé en France, la nouvelle. Depuis 2006, le village de Lauzerte (superbe bastide du XIIIe siècle, me précise Jacques) accueille une partie des festivités. Le 21 septembre prochain, la troisième édition du festival recevra pas moins de vingt-quatre auteurs, dont tous ceux qui ont été conquis lors d’une première visite. Entre des séances de dédicace et des lectures à haute voix, le prix de la nouvelle récompensera le recueil d’un auteur. Au fond de la librairie, le bureau de Jacques est tapissé d’affiches. Elles gagnent petit à petit de la place sur les murs du magasin. Tout l’historique des rencontres organisées au sein de la librairie est ainsi exposé… impressionnant ! Et en tête, Anna Gavalda, invitée de la librairie en 1999. C’était une de ses premières invitations. Mais depuis son premier roman, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, Anna Gavalda a fait du chemin… jusqu’au Scribe où elle revenue il y a quelques mois à l’occasion de la sortie de son dernier roman La Consolante50.

vergure que cela impliquerait sont disproportionnés et, selon lui, ne seraient de toute façon pas suffisants pour concurrencer les sites bien trop en avance51 ; l’important, c’est ce qui se passe en magasin. Après le dîner, Jacques me propose de profiter du concert de jazz annoncé sur une des places de la ville. Je préfère regagner ma chambre confortable et passer la soirée, seule, à zapper en attendant la nuit tomber, puis à lire assez longtemps pour sentir mes paupières se fermer et rebondir sur le bord de mes cils, plusieurs fois, jusqu’à ce que je coupe ma lecture au milieu d’une phrase, que je ferme mon livre et le pose, en même temps que j’éteins la lampe de chevet et tire la couverture sous mon menton. Le lendemain, je fais un petit tour sur la grande place du marché ; une dame tire dans les allées bordées de platanes son caddie aménagé et propose boissons chaudes et fraîches aux commerçants ; à l’entrée du jardin, les témoins de Jéhovah font de la réclame, et moi je profite une dernière fois des mille soleils roses que reflètent les façades alentour.

Nous dînons au restaurant qui a sa terrasse devant l’hôtel où Jacques m’a réservé une chambre. Le dîner et le vin sont délicieux. Nous parlons beaucoup de la vente en ligne. Jacques pense que les libraires indépendants devraient revoir leur ambition à la baisse, les investissements d’en-

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48. Paru chez Sabine Wespieser en 2007. — 49. www.lescribe.com/nouvelles — 50. Tous les romans d’Anna Gavalda ont paru aux éditions Le Dilettante.

51. Amazon.com en tête, Fnac.com, Alapage.com…

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Concrètement Responsable Jacques Griffault Équipe un libraire Superficie 115 m2 en rez-de-chaussée (librairie), 115 m2 au premier étage (galerie d’art contemporain) Références 14 000

Une librairie, un livre Frank Conroy, trad. N. Akrouf Corps et âme, Gallimard, 1997 (rééd. coll. « Folio », 2004.) Au début, il y a Claude, jeune enfant, qui attend dans un appartement misérable sa mère qui fait le taxi à Manhattan. Un jour, il découvre un petit piano console blanc au milieu des vieilles valises, pneus et bidons d’huile qui encombrent l’appartement. Plus tard, beaucoup plus tard, pianiste célèbre, il donnera un concert à Carnegie Hall. Les deux autres héros de ce livre sont la ville de New York, celle des années 1940 et 1950, fascinante, qui insuffle une énergie stimulante à tous ceux qui y vivent, et la musique, ou plutôt toutes les musiques : classique, contemporaine, jazz... Une formidable histoire optimiste et follement romanesque.



Lundi 21 juillet, La Librairie…, Angers. La librairie ouvre sur la terrasse

d’un café. C’est là que je retrouve Cécile Dancoisne pour un entretien entrecoupé de ses bonds vers le magasin et les clients qui l’attendent. La vitrine est toute en bois et s’étale sur plus de dix mètres. On est un peu déçu en entrant à l’intérieur (la librairie ne fait que 35 m2 !), puis plus du tout après quelques instants : la hauteur du plafond, le désordre organisé, la lumière qui entre largement et le bois clair du mobilier rendent la visite très agréable et n’empêchent pas ce monsieur de passer trois quarts d’heure à explorer les tables et les étagères bien remplies.

Cécile vient d’Amiens. Responsable d’un centre culturel pendant sept ans, elle a voulu, après une pause, créer un emploi à sa mesure ; le projet de la librairie a fait son chemin et l’a conduite à Angers qui ne détenait plus de « petite librairie ». Cécile accueille aujourd’hui une clientèle sensible au contact et à l’échange et les plus fidèles ont maintenant un véritable rôle prescripteur ; cette interaction, Cécile en est ravie. Elle a aussi imaginé Les Apartés, programme de rencontres animées par les auteurs eux-mêmes, qui se déroulent hors les murs et en accord avec la bibliothèque, le théâtre d’Angers, certains lycées, un café. La région et la ville soutiennent ces initiatives. En 2004, est créée l’Association des libraires d’Angers pour répondre collectivement aux différents salons. Cécile a ouvert il y a cinq ans, elle sait qu’aujourd’hui elle est la croisée des chemins : continuer et s’agrandir, ou… ? À suivre… 89


Une librairie, un livre François Gantheret, Les Corps perdus, Gallimard, 2004.

Nous rentrons ensemble en voiture chez Cécile et son compagnon. Face à l’île aux Chevaux, au pied d’un pont qui traverse la Loire, c’est un petit bout de paradis. Il fait doux dans le jardin fleuri au désordre un peu anglais. La soirée ne fait que commencer. Quand la nuit s’avance, nous passons à table, les minutes s’écoulent doucement, s’arrêtent dans ce moment parfait où tout s’accorde ; juste le temps de finir cette gorgée, de reposer son verre, puis le temps s’accélère, c’est déjà l’heure de se coucher. Je me réveille dans la maison vide ; je prends mon temps. Des enfants pêchent sur les quais, un groupe s’avance sur le lit sableux de la rivière, je l’observe un instant en pensant que je resterais bien ici quelques jours, que ce doit être merveilleux pour lire.

Concrètement 90

Responsable Cécile Dancoisne Équipe un apprenti Superficie 35 m2 Références 8 500


Mardi 22 juillet, M’Lire, Laval. « Laval, la vie », c’est le slogan de la mairie…

Aujourd’hui, ça fonctionne bien sous un ciel bleu immaculé. La descente par le jardin donne la meilleure image de la vieille ville et de la Mayenne qui la traverse. La librairie est tout près de l’eau, Gabriel, jeune papa et « vieux » libraire (déjà neuf ans !), s’y rend à pied. Marie, aujourd’hui en vacances, a repris en 1998 la librairie où elle était employée, avec Simon, également en vacances et un groupe d’amis, soucieux de maintenir vivant un lieu qui comptait pour eux. Deux autres libraires, ainsi que deux apprenties, plus une comptable à mi-temps travaillent sur les 120 m2 répartis sur deux étages. Le sous-sol, plus vaste, est dédié à la littérature jeunesse (la librairie fait partie du réseau Sorcières des librairies jeunesse, elle a même son enseigne sur la vitrine), à la BD et aux disques. Il y règne une drôle d’ambiance, la ville est très calme, endormie, mais ça n’arrête pas de défiler dans la librairie. Des clients, bien sûr : ceux qui viennent chercher une commande ou le dernier numéro de leur série manga (ceux-là filent directement au sous-sol), ceux qui espèrent trouver ce livre dont ils ne se souviennent ni du titre ni du nom de l’auteur… mais aussi, des passants qui entrent acheter leur billet d’entrée au festival des Trois Eléphants52 du week-end prochain. Alors Delphine, apprentie en dernière année à l’Institut supérieur des métiers53 (ISM), se charge, avec le sourire, de la billetterie. Gabriel, lui, est à la caisse. Il accueille, renseigne, fait des recherches, des paquets cadeaux. Un homme discret lui parle quasiment dans le creux de l’oreille. Ah ! c’est un représentant à qui Gabriel indique, entre deux « bonjour, au revoir », les quantités à commander pour les titres à paraître… de vrais Shiva ces libraires !

52. www.les3elephants.com — 53. www.ism-laval.net, équivalent de l’INFL (Institut national de la formation en librairie) à Montreuil pour la formation des libraires au brevet professionnel de libraire.

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Concrètement Responsable Marie Boisgontier Équipe six libraires Superficie 120 m2 Références environ 30 000

Gabriel et Delphine travaillent en « binôme » avec Marie, responsable de la littérature et des sciences humaines ; ils participent à l’organisation des signatures à la librairie, à la préparation de stands au salon Étonnants voyageurs54 de Saint-Malo et aux autres salons locaux, le Salon de la jeunesse à Fougères55, Planète en fête56 à Pommerieux… et tout ça dans une ambiance détendue et bienveillante, s’il vous plaît. Gabriel rentre à pied, il doit faire des courses pour le dîner de ce soir. Je le rejoins après avoir récupéré ma voiture, presque seule maintenant, au parking. Je trouve la maison, dans un ancien quartier d’artisans ; en fait, ce sont trois petites maisons collées les unes aux autres. C’est charmant, un peu en chantier, très lumineux. Tous les trois, avec sa compagne, nous préparons le dîner tout de légumes – ils viennent de récupérer leur sac hebdomadaire distribué par l’Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) du coin. C’est une soirée entre amis. Nous avons tous à peu près le même âge, nous buvons tous du vin rouge et apprécions les tartines de rillettes, c’est un peu comme à Paris, avec mes amis. Mais cette fois je vais me coucher la première, je m’endors très vite, tandis qu’eux ont prolongé la soirée et sont même sortis tard dans la nuit. Le lendemain matin, j’arrive trop tard pour voir Guillaume, spécialiste ès gestion, parti tôt faire des livraisons dans des bibliothèques et autres petites collectivités des environs. Tant pis ! Il est temps de prendre la route, direction les côtes d’Armor, le Trégor et Lannion.

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54. www.etonnants-voyageurs.com — 55. www.office-culturel-fougeres.fr — 56. www.planete-en-fete.fr

Une librairie, un livre Sylvain Rossignol, Notre usine est un roman, La Découverte, 2008 (rééd. coll. « Poche essais », 2009) Roman atypique puisqu’il s’agit d’une « docu-fiction », Notre usine est un roman raconte l’histoire d’une usine pharmaceutique de la banlieue est de Paris, de 1967 au début des années 2000, vue par les yeux des salariés. Du faste des trente glorieuses, où rentrer chez Roussel-Uclaf comme ouvrier, technicien ou cadre était un trajet professionnel tout tracé jusqu’à la retraite, au reclassement complet du site, en ce début de millénaire, c’est toute une époque dans laquelle nous sommes replongés, bénie par les auspices du nouveau monde en marche après guerre, encouragée par mai 68, mais malheureusement rattrapée par la réalité d’un système où même les espoirs de l’arrivée de la gauche en 1981 n’arriveront pas à enrayer le cycle infernal d’une capitalisation de l’économie. Plus qu’un roman engagé, Notre usine est un roman est un livre sur l’engagement, non seulement syndical et politique, mais également sur l’engagement citoyen. À lire !


Mercredi 23 juillet, Gwalarn, Lannion. Pour trouver la librairie, j’ai

simplement remonté la plus jolie rue de la ville ; nous sommes en Bretagne et les libraires vous le rappellent gentiment en exposant jusque dans la rue des livres sur leur belle région. Le reste de la vitrine fête l’entrée de la musique dans les rayons (notamment les CD diffusés par Harmonia Mundi57). C’est vrai que depuis la disparition quasi totale des disquaires, les librairies indépendantes sont devenues des lieux privilégiés de diffusion pour la production de labels indépendants. Ma visite à Lannion survient juste avant le départ d’Alain Bougeant : fondateur de la librairie, il cède sa place à Philippe Saget qui rejoindra Laurent Dinsenmeyer, qui lui-même a remplacé Bernard Loriou, l’associé d’Alain Bougeant, en 2001. Bref, deux nouveaux associés vont assurer la continuité de cette belle librairie dès le mois prochain. Laurent et Philippe sont tous les deux des pièces rapportées : Laurent était ingénieur chez France Télécom et Philippe, professeur de mathématiques. C’est surtout le désir d’indépendance qui amène ces deux scientifiques à changer sérieusement de cap, et l’équipe de huit libraires dont une apprentie est là pour assurer le conseil – Isabelle pour la jeunesse (responsable hors pair des stands Bayard aux salons du livre de Montreuil et de Paris), notamment. Un petit retour en arrière s’impose… Alain Bougeant non plus n’était pas un littéraire de formation avant d’ouvrir Gwalarn, mais informaticien (quand un ordinateur ressemblait plus à 57. Harmonia Mundi est le premier producteur français indépendant de disques classiques, mais c’est aussi un diffuseur d’autres labels, et un diffuseur de livres.

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frigo américain), et parisien. À 28 ans, l’occasion de reprendre une librairie bretonne à Lannion coïncide avec son envie de liberté et lui permet de renouer avec ses origines. Trois ans après, en 1981, il rachète la librairie Gwalarn avec son associé, ingénieur… à France Télécom ! Il n’y a pas de hasard ! La librairie s’organise en continuité avec l’état d’esprit de 1968 et dans l’idée de « faire du commerce autrement »… et sans logiciel de gestion informatique. Alors on fait tout à la main, les commandes, le réassortiment. Alain se souvient des heures passées à écrire des lignes et des lignes de titres ; puis c’est l’arrivée d’Electre58 en 1989 dont la première version est disponible sur minitel. C’est la révolution quand ils informatisent toute la librairie en 2001 : on pense une nouvelle organisation, les libraires gagnent en autonomie et le travail en fluidité. Il y aussi eu des agrandissements sur le jardin du fond, et récemment des remaniements dans les rayons, plus de place pour la BD et le rayon Bretagne… On a gardé les fauteuils club un peu partout, et la signalétique est bien visible et assez jolie.

Tout le monde se lève tôt chez Laurent, on ne traîne pas. Alors je fais ce qu’on me dit : au bout de la rue à gauche, puis en traversant la route il y a un point de vue intéressant sur la mer. Je confirme. L’eau dans l’anse formée par la baie de Perros-Guirec, la mer qui s’étend vers les îles, la cime des arbres prise dans le faisceau des rayons du soleil… Tout brille à l’est. Comme prévu, Lannion a une autre tête le jour de marché, c’est à peine si on peut circuler dans les rues, je m’y risque un peu avant de remonter dare-dare à la librairie faire mes adieux et reprendre quelques dernières photos de cette décidément très chouette librairie.

Il y a du monde, ça défile à la caisse, eh oui, l’été c’est la belle saison pour Gwalarn et il y aura encore plus de monde demain, jeudi, jour de marché. Je croise Mélisande Auguste, apprentie au Merle Moqueur, librairie du 20e arrondissement de Paris ; elle est en vacances chez ses parents et passe saluer Alain chez qui elle a fait son premier stage il y a quelques années. La soirée est des plus agréables, après un dîner en famille, balade sur la côte de Perros-Guirec où Laurent a la bonne idée d’habiter, un peu d’aventure dans les rochers ; j’ai droit à une démonstration de ricochets avec en toile de fond la côte de Granit et au loin le chapelet des Sept-Îles. 98

58. Base de données professionnelle exclusivement destinée à la recherche de références bibliographiques.

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Concrètement Responsables Laurent Disenmeyer et Philippe Saget Équipe huit libraires Superficie 260 m2 Références environ 40 000

Une librairie, un livre Jared Diamond, trad. A. Botz et J-L. Fidel Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2006 (rééd. coll. « Folio essais », 2009). Jared Diamond, scientifique et militant écologiste renommé, a étudié le devenir de plusieurs civilisations (anciennes ou actuelles) pour essayer de comprendre pourquoi certaines d’entre elles ont purement et simplement disparues tandis que d’autres ont réussi à se maintenir. Il étudie par exemple le cas des implantations vikings au Groenland, la civilisation de l’île de Pâques, mais également les cas du Japon ou du Nouveau Mexique d’aujourd’hui. De multiples critères sont pris en considération, tant sociétaux qu’écologiques. Jared Diamond entend par là nous faire réfléchir sur le devenir de notre propre civilisation. Un livre touffu, mais passionnant et facile à lire !


Jeudi 24 juillet, Le Livre Phare, Concarneau. Une sacrée route m’at-

tend. Je dois traverser toute la péninsule pour rejoindre le Finistère. Je ne résiste pas à m’attarder sur la très belle route côtière jusqu’à Morlaix. Je fais une halte à Guimaec chez Caplan & co, la première et célèbre librairie café. Il y a en effet une librairie, un peu austère, et un café qui, sans soleil, est un peu tristounet. Mais j’avoue que le concept est convivial et il y a du monde. On m’avait prédit des paysages sublimes, désertiques et fantastiques dans les monts d’Arrée… Je me suis lamentablement perdue, et j’ai mis plus de cinq heures pour atteindre Concarneau, au bord de l’évanouissement, mais assez contente de mon aventure sur ces terres inconnues (impossible de retrouver mon itinéraire sur une carte!). Il fait un temps de chien, pas la grosse pluie, mais cette espèce d’humidité poisseuse et neurasthénique ; à la tombée du jour, elle sera complétée par un charmant brouillard, apparemment typique du coin. Je comprends mieux pourquoi Catherine et Laurent ont choisi pour la vitrine et la décoration intérieure ce jaune… très jaune ! La rue est fleurie, agréable et en plein cœur de la nouvelle ville ; plus bas la Maison de la Presse est la seule « concurrence » à Concarneau ; il y a bien un Espace culturel Leclerc depuis 2005, mais sans impact négatif sur la santé du Livre Phare. Les autres librairies sont spécialisées en littérature jeunesse et celte. Laurent et Catherine se sont installés ici en juillet 1999. Elle est fille de libraire  ; après des études spécialisées à l’IUT de Bordeaux, elle travaille chez Plein Ciel à Angoulême. Lui a fait une école de commerce. Après le rachat de Plein Ciel par le groupe Privat59, Catherine convainc Laurent d’ouvrir leur propre librairie. Ils recherchent une ville au bord de la mer et ont assez rapidement le coup de cœur pour Concarneau. 59. Réseau de librairies en France et en Belgique, filiale du groupe France Loisirs, société du groupe Bertelsman.

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Très sérieusement, ils font une étude de marché, se renseignent auprès des bibliothécaires du coin ; ils ont aussi la chance de profiter de l’étude réalisée par l’observatoire économique du commerce de la chambre du commerce et de l’industrie (CCI) de Quimper. Elle mettait en évidence l’importante évasion commerciale et donc l’intérêt d’ouvrir une librairie à Concarneau.

Est-ce la fatigue de la route, le mauvais temps qui s’acharne, l’approche de la fin du voyage ? Mais à un moment donné – en mangeant mes moules marinières, sous la pluie en sortant du restaurant ? –, j’ai perdu le contrôle de cette soirée… Le réveil a été très douloureux, je ne savais pas qu’on buvait des mojitos en Bretagne.

La librairie fait 60 m2, le fond du magasin, domaine de Laurent – un garçon, une fois n’est pas coutume – est réservé à la jeunesse ; l’avant est essentiellement voué à la littérature. Sur un cageot « vintage », des livres en VO attirent une famille tout encapuchonnée, qui finalement achètera des livres en français.

Quand j’arrive à la librairie, Pascal Coatanlem dédicace son dernier livre La Reine des Amazones (Plon Jeunesse). Assis à une table devant la vitrine, il profite d’une accalmie pour me parler de son livre. Je me laisse tenter, bien que la littérature fantasy ne soit pas trop mon truc, mais il paraît que ça parle de la condition féminine, alors…

Pendant l’année, Catherine organise des soirées littéraires d’un genre particulier : sur réservation, on dîne au restaurant avec Michèle Lesbre, François Emmanuel ou Claude Pujade-Renaud ; une telle proximité rend les échanges uniques, même s’ils sont rythmés par des lectures à haute voix, fil rouge de ces rencontres. Un deuxième temps a lieu à la bibliothèque autour du club de lecture dont Catherine assure l’animation. Le cinéma est aussi, grâce à l’association de programmation Art et Éssai Grand Écran, l’occasion de parler littérature.

Après une crêpe au blé noir magnifique, je prends la route sans enthousiasme. La pluie a redoublé. Le voyage a des allures de fuite apocalyptique, mais j’arrive saine et sauve à Nantes. Je parviens non sans mal à mettre la main sur la cathédrale où Catherine, responsable du rayon littérature étrangère chez Vent d’Ouest, m’a donné rendez-vous. Bonne nouvelle : elle est conviée à un apéritif chez des amis !

Depuis son ouverture, Le Livre Phare participe au salon Livre et Mer60, d’abord sur des stands d’éditeurs puis sur un stand de plusieurs libraires qui ont monté un groupement d’intérêt économique (GIE) pour mieux répondre aux exigences de ce salon d’envergure. La librairie participe aussi à la foire biologique de Riec-sur-Belon et au salon du livre jeunesse de Doëlan-sur-Mer. 104

60. www.salondulivremaritime.com

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Concrètement Responsables Laurent Le Sayec et Catherine Véron Superficie 58 m2 Références 12 000

Une librairie, un livre Anouar Benmalek, L’Enfant du peuple ancien, Pauvert, 2000 (rééd. coll. « Livre de poche, 2008). Australie, 1918. Kader veille Lislei, sa femme mourante. Quarante ans plus tôt, l’Algérien et la Française se rencontrent après avoir fui leurs bagnes respectifs en Nouvelle-Calédonie et entraînent avec eux Tridarir, le dernier enfant aborigène de Tasmanie. Roman au souffle épique rare, L’Enfant du peuple ancien nous laisse abasourdis.


Vendredi 25 juillet, Vent d’Ouest, Nantes. La librairie est dirigée par

une équipe de quatre associés ; j’ai déjà pu rencontrer Alain Girard à l’occasion de réunions et de salons ; il est à l’origine de plusieurs dossiers d’Initiales, notamment le premier, consacré à Julien Gracq, que l’association a réédité en janvier. La librairie située dans le centre-ville de Nantes a une architecture bien particulière : trois étages conquis au fil des ans et réunis par des escaliers et des passages étroits. Et si les rayons de littérature sont clairs et aérés, le rayon sciences humaines, tout au fond, a des allures de caverne d’Ali Baba… D’ailleurs, il représente plus de 55 % du chiffre d’affaires de la librairie. Mais aujourd’hui, la situation de la librairie est complexe : la part importante des sciences humaines rend la librairie fragile. En effet, les mauvaises remises61 qui ont cours dans l’édition des sciences humaines, la baisse du lectorat étudiant, la grosse concurrence d’Internet en la matière et la difficulté générale du secteur menacent le rayon phare de la librairie, et donc son équilibre. Il s’agit alors de donner encore plus d’essor à la littérature de fiction, malgré la concurrence forte dans ce domaine des librairies nantaises, indépendantes ou non. Je déjeune avec Pierre qui a rejoint la librairie en tant qu’associé après plusieurs années à SaintÉtienne. Il m’explique longuement comment la librairie a fait le choix de compléter son chiffre d’affaires par des ventes en ligne sur les market-places que sont Amazon, Alapage… La librairie a ainsi pu trouver des clients pour un fonds de livres rares et épuisés, notamment en sciences humaines, qui dormaient dans les rayons, mais qui sont très recherchés par des spécialistes de 61. Remise sur le prix de vente accordée aux libraires par les éditeurs, dite « rémunération du librairie ».

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France et de Navarre. Vent d’Ouest répond également à des recherches plus communes par titre, et, grâce au système de notation par les internautes, les e-clients reviennent. Aujourd’hui la vente via ces sites représente 10 % du chiffre d’affaires. Pierre est bien conscient de ce que cela implique, tant d’un point de vue économique que politique ; mais, il en est convaincu, la librairie a besoin de cet apport pour continuer à bien fonctionner. Depuis peu, la réflexion s’organise pour inventer et créer sur le Net un espace propre à la librairie indépendante, et cesser ainsi de conforter des marques qui, grâce à leur puissance financière, étouffent le marché.

à l’animation des rencontres littéraires, notamment le Livre LU63. La librairie du Lieu unique suit, bien sûr, dans son offre de livres l’actualité de la programmation. Les premières tables sont réservées au design, à l’architecture, à la danse, aux arts plastiques… Dans les deuxième et troisième salles, une offre très personnelle en littérature générale, bande dessinée et cuisine, a été concoctée par les deux libraires complices. Et aussi beaucoup de fanzines et autres livres à faible tirage mis en dépôt64. Je ne m’attarde pas, j’ai prévu de passer le week-end sur la côte et je veux cette fois absolument éviter les bouchons.

Côté magasin, Vent d’Ouest et les autres librairies indépendantes du centre ville de Nantes ont mis en place une carte de fidélité commune et ont réactivé l’association Complices grâce à laquelle ils peuvent ensemble participer au festival Le Livre et l’Art, au Festival international de science-fiction de Nantes, Utopiales62, qui a lieu depuis neuf ans à la Cité des congrès. Depuis plusieurs années, la ville de Nantes a forgé sa réputation sur la place qu’elle accorde à la culture. Fer de lance de cette volonté politique, à la fois démarche, espace, nouvelle conception du temps de l’art et de la culture, le Lieu unique, espace pluridisciplinaire et festif, a pris place dans l’ancienne et fameuse biscuiterie LU. Et dans ce lieu qui fait des émules (nous aurons bientôt rendez-vous au Centquatre – 104, rue d’Aubervilliers à Paris), la librairie Vent d’Ouest a ouvert un nouvel espace de 78 m2 dont les grilles légères qui le délimitent se transforment souvent en cimaises pour des expositions organisées par les libraires, Caroline et Gwenaëlle. Alain Girard, lui, participe à l’organisation et 110

62. www.utopiales.org

63. www.lelieuunique.com — 64. Pour ces livres, la librairie sert de lieu de dépôt. L’éditeur ne reçoit que le fruit des ventes réelles.

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Une librairie, un livre Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, 2002.

Concrètement Co-responsable Alain Girard Équipe neuf libraires en centre ville, deux libraires au Lieu unique Superficie 200 m2 et 78 m2 au Lieu unique Références environ 50 000


Lundi 28 juillet, librairie du Rivage, Royan. J’arrive à Royan sous

des trombes d’eau. Cela ajoute un charme nostalgique à cette station balnéaire bâtie dans les années 1970. Les immeubles qui longent la côte sont troués de grandes arches qui ouvrent sur des galeries marchandes. Glaciers, restaurants et boutiques de souvenirs se succèdent. La librairie est, elle, au bout de la jolie allée de platanes qui mène au marché couvert.

Ici, la pluie, c’est bon pour le commerce, en tout cas pour le livre ; tout l’après-midi, la librairie ne désemplit pas, les touristes se réfugient sous l’auvent puis entrent. D’autres viennent résolument faire leur provision de lectures pour les vacances. Hormis ces journées un peu exceptionnelles, l’activité de la librairie se fait en grande partie durant l’année, auprès d’un public de retraités, nombreux à être installés ici, et le week-end auprès de visiteurs locaux qui, très souvent, n’ont pas une telle offre de livres près de chez eux. Pour répondre aux demandes de ces deux clientèles, Patrick doit ajuster son stock et son fonds au début et à la fin de l’été. L’été, le rayon poche et les meilleures ventes de l’année sont les plus sollicités ; pendant l’année, le public est à la recherche de titres plus rares, de découvertes. Patrick Frêche et son épouse Catherine ont le sourire. Jeunes libraires, ils ne regrettent pas d’avoir quitté la région parisienne et leurs carrières respectives (recherche industrielle et ergothérapie) pour se lancer dans la librairie. Ils se sont installés à Royan il y a trois ans, après avoir travaillé sur le projet avec l’aide de professionnels. En un mois, ils ont trouvé le local, fait des travaux et se sont installés dans ces 95 m2 de plain-pied. Valérie est employée depuis un an pour les seconder dans le rayon jeunesse, qui représente 30 % du chiffre d’affaires. Depuis six mois, la librairie a reçu le label « Lire en Poitou-Charente ». Ce label est le premier du genre ; à

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l’initiative de la région, il a été mis en place par l’Office du livre65 afin de valoriser et d’aider le travail des libraires indépendants. Les libraires doivent répondre aux différents engagements d’une charte66 et peuvent bénéficier d’aides au fonctionnement, à l’organisation d’animations et à l’informatisation. Proche de ce modèle, un label Lir (librairies indépendantes de référence) attend son application au niveau national, probablement en 2009. Prochaine animation ; rencontre avec Pascal Mercier, auteur suisse-allemand, dont le premier roman traduit Train de nuit pour Lisbonne a reçu le prix des librairies Initiales en 2007. Et comme de bien entendu, la librairie participe aux festivals littéraires de la région : Anguille sous roche67 consacré aux œuvres construites dans la double dimension texte et image, et Passeurs de monde qui fait place aux auteurs et éditeurs de particularités linguistiques ou géographiques. La Librairie du Rivage était la dernière librairie de mon voyage, et je suis heureuse de la voir si vivante. Je traîne derrière le comptoir, m’attarde ici et là… pas vraiment envie de partir. Je dis finalement « au revoir » et traverse l’allée. Les feuilles trempées collent au bitume et aux semelles. Je monte dans ma voiture, j’ai le cœur serré, mon voyage est terminé.

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65. L’Office du livre est une structure mixte région-État (direction générale des Affaires culturelles, DRAC) rebaptisé Centre régional du livre et de la lecture (CRLL). — 66. www.poitou-charentes.fr — 67. www.livre-poitoucharentes.org


Concrètement Responsables Patrick et Catherine Frèche. Équipe un libraire Superficie 95 m2 Références 16 000

Une librairie, un livre Régis de Sá Moreira, Le Libraire, Au Diable Vauvert, 2004 (rééd. coll. « Le Livre de poche », 2006) Le livre fétiche est Le Libraire ; une librairie comme on en rêve, la nôtre parfois... Poudoupoudou...


Conclusion. Une des choses qui m’a le plus marquée pendant ce voyage, c’est ma curiosité toujours intacte de découvrir une nouvelle librairie. Jamais je ne me suis lassée. Cette succession de murs, ces kilomètres d’étagères, de tables, ces milliers de livres… Finalement, tout cela aurait pu user mon envie de découverte. Mais chaque librairie était une surprise, et mon regard, chaque jour plus expert, pouvait capter la différence nichée ici et là, cette différence qui rend ces lieux uniques. Eh oui, chacune des librairies détient quelque chose de particulier, une ambiance, l’aura d’une personnalité, un lieu particulièrement beau et agréable. Et surtout, quelque chose de difficilement définissable, la marque d’une vie, le reflet d’un chemin parcouru. Mais, et c’est peut-être la deuxième chose que je retiendrai, toutes ces librairies sont le fruit d’un travail, énorme, immense, démesuré… qualificatif qui varie selon l’heure de la journée, le jour de la semaine et le moral des troupes… Les horaires ultraflexibles paraissent n’être jamais suffisants pour contenir les mille tâches du libraire. Le système des offices associé à la production éditoriale exponentielle grignotent sur le temps dédié à l’organisation du magasin, à l’accueil et au conseil, à la mise en place


d’un agenda de rencontres… Dans ces conditions, la lecture devient un moment recherché et précieux, que le libraire doit construire et protéger… souvent le matin tôt avant d’ouvrir le magasin, le dimanche entre la famille et les obligations d’une maison, le soir tard. Mais les heures de lecture s’écoulent sur un autre rythme, comme une rivière souterraine, enfouie sous le tumulte des jours. Quelques traits communs. Plusieurs libraires étaient d’abord clients de la librairie indépendante de leur ville ; ils s’y étaient tant attachés qu’ils sont passés derrière le comptoir le jour où le libraire a cherché un successeur. Certes, la transmission se fait parfois dans le souci de la continuité, mais ce cas de figure idéal n’est pas forcément le plus fréquent. Trouver un repreneur pour sa librairie peut prendre du temps, même si les aides à la reprise ont été développées depuis quelques années tant au plan national (Centre national du livre, Association pour le développement de la librairie de création…) que local via les directions des Affaires culturelles (DRAC) ou les agences du livre, quand elles existent. Cette question est particulièrement actuelle : ce sont près de cent librairies qui devraient être à la recherche de leur repreneur dans les années à venir…

Certains craignent que les chaînes de magasins spécialisés soient les seuls à se présenter… La continuité s’opère souvent grâce à des libraires qui ont eu un autre métier avant. Ils étaient employés dans telle ou telle branche de l’industrie, souvent cadres. Puis un jour, ils se sont confrontés au fantasme du métier de libraire, ont laissé l’envie mûrir en eux, puis ont concrétisé un projet pragmatique et budgétisé. Car la librairie, c’est d’abord et avant tout un énorme travail de gestion. Maîtriser son stock, contrôler sa trésorerie sont des tâches très lourdes, mais indispensables à la pérennité du commerce, surtout quand le bénéfice atteint seulement en moyenne 1,4 % du chiffre d’affaires68. C’est peut-être pour ces raisons que « le libraire » est assez souvent un couple : travailler à deux, partager le stress, la charge de travail, c’est plus simple. Mais plus qu’une solution pratique, gérer une librairie en couple, c’est peut-être aussi le signe de la particularité de ce commerce, chargé de sentiments, d’émotions. Cette visite aura au moins largement confirmé ce dont on était persuadé : la librairie indépendante est une passion, un sacerdoce, un engagement 68. Situation économique de la librairie indépendante réalisée pour le Syndicat de la librairie française (SLF), le Syndicat national de l’édition (SNE) et le ministère de la Culture et de la Communication (DLL-CNL) en 2007.


de tous les instants. Les libraires, entre deux périodes de découragement ou de grosse fatigue, aiment ce qu’ils font, tous les jours et malgré tout car ils sont un peu responsables du bonheur de lire. Je rentre à Paris totalement exaltée à l’idée de créer ma propre librairie. J’ai pioché des idées dans chacune des librairies que j’ai visitées et j’imagine déjà son nom, l’organisation des tables, la couleur des murs et les livres que j’aurais aimés dans la vitrine. Je déambule dans le quartier, le nez en l’air, je note les numéros de téléphone des pancartes « bail à céder ». Et je réfléchis au meilleur emplacement possible, car comme m’a dit Patrick Frêche (librairie du Rivage) : « Pour le succès d’une librairie il faut trois choses importantes : l’emplacement, l’emplacement et… l’emplacement. » Voilà, c’est clair. Justement, un bon emplacement retient mon attention, près d’une librairie d’occasion, un grand angle de carrefour et une vitrine de dix mètres de long. Puis j’appelle, et là, tout s’écroule, à l’annonce du prix, mon imagination atteint ses limites et pouf ! je suis écrasée sous le poids de la réalité, au fond de mon canapé. Peut-être plus tard, quand j’aurai quelques économies et un partenaire pour partager l’aventure ?


Épilogue, l’assemblée générale. Les Saisons, La Rochelle, Librairie des Halles, Niort. Une fois par

an, les libraires Initiales se réunissent pour leur assemblée générale. C’est l’occasion pour tous de se rencontrer, d’échanger autour du métier et des problématiques du moment, mais aussi d’imaginer les projets de l’association pour l’année à venir. Traditionnellement, c’est un libraire de province qui accueille cette réunion. Cette année, ce n’est pas une, mais deux villes qui ont accueilli les libraires venus de toute la France : Niort et La Rochelle. Stéphane Emond a ouvert la librairie Les Saisons tout près du port de La Rochelle en 2004 sur une surface de 40 m2. Puis il a ouvert la librairie du Pilori à Niort deux ans après, rebaptisée Librairie des Halles depuis son déménagement en 2008. Deux librairies, deux créations bien différentes. Les Saisons est une toute petite librairie, deux petites salles, des murs chargés, un refuge bien agréable et intime où Stéphane « fait comme chez lui ». La librairie des Halles est au cœur de la ville, on y entre en famille, on s’y sépare, chacun son rayon, on s’y promène, on s’y retrouve, on la traverse. La ville y entre aussi, sa lumière, ses bruits, les voitures côté halles et la rue piétonne à l’autre sortie. La librairie occupe ce nouvel emplacement seulement depuis un an, avant elle était à l’étroit au musée du Pilori, dans une salle sans fenêtre et sans vitrine sur la rue.

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Niort n’avait plus de librairie, Stéphane Emond en a créé une très belle, notamment avec le soutien de la région, et en association avec l’éditeur régional Olivier Barreau (Geste éditions). La librairie est gérée par Anne-Marie Carlier, connue comme le loup blanc d’à peu près toute la profession – elle a fait ses armes à Lucioles (Vienne) auprès de Michel Bazin, puis a travaillé

plusieurs années à Besançon (Les Sandales d’Empédocle) avant de rejoindre la nouvelle librairie de Niort. Depuis le début, la librairie est un partenaire incontournable des festivals de la région proposés par le Centre du livre et de la lecture de Poitou-Charentes qui a reconnu sa spécificité de librairie de création avec l’attribution du label « Lire en Poitou-Charentes ». Elle organise aussi bien sûr des rencontres intramuros. Jeanne Benameur, Mathias Énard, Gilles Clément, Christophe Fourvel, Atiq Rahimi, Luc Turlan, Nathalie Novi, Emmanuel Cerisier, Florent Silloray, Zeina Abirached pour l’automne 2008, en route pour 2009 avec une rencontre avec les éditions Agone, avec Cheyne éditeur, avec Martine Sonnet, Arnaud Cathrine et Florent Marchet, Gérard Neyrand ou Lily Jattiot. Pas de temps pour l’ennui ! Et bien sûr, des projets... Top secret ! Affaire à suivre... C’est à l’issue de l’assemblée générale que je décide de poursuivre mon voyage et d’aller à la rencontre des librairies Initiales que je n’ai pas visitées au mois de juillet. Le titre est tout trouvé : ce sera « Un Noël en librairies ».

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Concrètement Les Saisons Responsable Stéphane Emond Superficie 40 m2 Références 11 000

Concrètement Librairie des Halles Responsable Anne-Marie Carlier Équipe cinq libraires Superficie 257 m2 Références 22 000 titres en rayon, parfois plus, parfois un peu moins !

Une librairie, un livre Librairie des Halles La librairie est jeune, et les libraires aussi. Il est difficile de trouver un seul titre qui ferait l’identité de la librairie. Alors, quelques titres : Juste être une homme (Craig Davidson, Albin Michel, 2008), La Saga de Youza (Youozas Baltouchis, Alinéa, 1990 ; rééd. coll. « Pocket », 2002), Train de nuit pour Lisbonne (Pascal Mercier, Maren Sell, 2006 ; rééd. coll. « 10-18 », 2008), Extrêmement fort et incroyablement près (Jonathan Foer, éditions de L’Olivier, 2006 ; rééd. Seuil, coll. « Points », 2007), Guide de Mongolie (Svetislav Basara, Les Allusifs, 2007 ; rééd. coll. « 10-18 », 2008), Sans nouvelles de Gurb (Eduardo Mendoza, Seuil, 1994 ; rééd. coll. « Points », 2006).

Une librairie, un livre Les Saisons Maurice Pons, Les Saisons, Julliard, 1965 (rééd. Bourgois, 1995).


Appel pour le livre (extrait)69 Ce modèle, c’est la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre qui en est le pivot et le garant. En permettant d’infléchir les règles du marché afin de tenir compte de la nature culturelle et économique particulière du livre, elle passe aujourd’hui pour l’une des premières véritables lois de développement durable. Elle confie à l’éditeur la fixation du prix des livres qu’il publie. Les livres se vendent au même prix quel que soit le lieu d’achat, dans une librairie, une grande surface ou sur Internet, durant au moins deux ans. Ce système évite une guerre des prix sur les best-sellers qui ne permettrait plus aux libraires de présenter une offre de titres diversifiée ni aux éditeurs de prendre des risques sur des ouvrages de recherche et de création qui ont besoin de temps et de visibilité dans les librairies pour trouver leur public. De surcroît, le prix unique fait baisser les prix. Contrairement aux idées reçues, les chiffres de l’Insee montrent en effet que depuis une dizaine d’années, les prix des livres ont évolué deux fois moins vite que l’inflation. En favorisant la richesse, la diversité et le renouvellement de la création et de l’édition, en lieu et place d’une standardisation si courante dans de multiples secteurs aujourd’hui, en permettant une variété et une densité de points de vente du livre particulièrement remarquables, en privilégiant une véritable concurrence au détriment de la « loi de la jungle » et en maintenant des prix beaucoup plus accessibles que dans la majorité des autres pays développés, le prix unique du livre est une chance pour le consommateur, pour le lecteur et pour notre culture. La loi du 10 août 1981 n’est ni obsolète ni corporatiste. Si elle mérite un débat, c’est pour la rendre plus vivante et plus forte encore.

69. www.pourlelivre.wordpress.com

Les librairies Initiales

Antipodes 8, rue Robert-Schuman 95880 Enghien Tél. : 01 34 12 05 00 Fax : 01 34 17 69 26 auxantipodes@free.fr

Librairie des Cordeliers 13, côte des Cordeliers 26100 Romans-sur-Isère Tél. : 04 75 05 15 55 Fax : 04 75 72 50 56 libcordeliers@wanadoo.fr

Atout-livre 203, bis avenue Daumesnil 75012 Paris Tél. : 01 43 43 82 27 Fax : 01 43 43 82 73 info@atoutlivre.com www.atoutlivre.com

Gwalarn 15, rue des Chapeliers 22300 Lannion Tél. : 02 96 37 40 53 Fax : 02 96 46 56 76 librairie.gwalarn@wanadoo.fr

Au Poivre d’âne 9, place de l’Hôtel-de-Ville 04100 Manosque Tél. : 04 92 72 45 08 Fax : 04 92 72 40 03 librairiepoivredane@wanadoo.fr Au Poivre d’âne 12, rue des Frères-Blanchard 13600 La Ciotat Tél. : 04 42 71 96 93 Fax : 04 42 73 19 68 poivredanesurmer@orange.fr Comme un roman 39, rue de Bretagne 75003 Paris Tél. : 01 42 77 56 20 Fax : 01 42 77 56 20 commeunroman@wanadoo.fr www.comme-un-roman.com

L’Arbousier 1, avenue Abdon-Martin 04700 Oraison Tél. /Fax : 04 92 78 61 08 librairielarbousier@aliceadsl.fr L’Écritoire 30, place Notre-Dame 21140 Semur-en-Auxois Tél. : 03 80 97 05 09 Fax : 03 80 97 19 89 librairie.ecritoire@wanadoo.fr www.ecritoire-semur.com La Librairie... 12, rue Chaperonnière 49000 Angers Tél. : 02 41 87 48 43 Fax : 02 41 87 47 70 sarlllibrairie@wanadoo.fr

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La Librairie des Halles 1bis, rue Thiers 79000 Niort Tél. 05 49 04 05 03 Fax. 05 49 17 18 80 www.lalibrairieniort.com La Librairie du rivage 82, boulevard Aristide-Briand 17200 Royan Tél. / Fax : 05 46 22 05 16 librairie.rivage@wanadoo.fr www.librairie-du-rivage.fr La Réserve 81, avenue Jean-Jaurès 78711 Mantes-la-Ville Tél. : 01 30 94 53 23 Fax : 01 30 94 18 08 librairie.lareserve@wanadoo.fr Le Cadran lunaire 27, rue Franche 71000 Mâcon Tél. : 03 85 38 85 27 Fax : 03 85 40 92 16 cadran.lunaire@wanadoo.fr Le Cyprès 17, rue du Pont-Cizeau 58000 Nevers Tél. : 03 86 57 53 36 Fax : 03 86 59 59 24

Le Grain des mots 13, boulevard du Jeu-de-Paume 34000 Montpellier Tél. : 04 67 60 82 38 Fax : 04 67 60 82 91 info@legraindesmots.com www.legraindesmots.com

Le Square (L’université) 2, place du docteur Léon-Martin 38000 Grenoble Tél. : 04 76 46 61 63 Fax : 04 76 46 14 59 libsquar@club-internet.fr www.librairielesquare.fr

Le Livre Phare 8, rue Dumont-D’Urville 29900 Concarneau Tél. : 02 98 50 68 11 livrephare@wanadoo.fr

Les Saisons 2, rue Saint-Nicolas 17000 La Rochelle Tél. : 05 46 37 64 18 Fax : 05 46 34 05 58 www.lessaisons.fr librairie@lessaisons.fr

Le Merle Moqueur 51, rue de Bagnolet 75020 Paris Tél. : 01 40 09 08 80 Fax : 01 40 09 86 60 mailing@lemerlemoqueur.fr www.lemerlemoqueur.fr Le Merle Moqueur librairie du Centquatre 104, rue d’Aubervilliers 75019 Paris Tél. : 0140388565 www.lalibrairiedu104.fr Le Scribe 115, faubourg Lacapelle 82000 Montauban Tél. : 05 63 63 01 83 Fax : 05 63 91 20 08 libscribe@aol.com www.lescribe.com

Livre aux Trésors 4, rue Sébastien-Laruelle 4000 Liège Belgique Tél. :+32 04 250 38 46 Fax : +32 04 250 38 46 livreauxtresors@skynet.be Lucioles 13-15, place du Palais 38200 Vienne Tél. : 04 74 85 53 08 Fax : 04 74 85 27 52 lucioles@free.fr www.librairielucioles.fr Lune et l’Autre 19, rue Pierre-Bérard 42000 Saint-Étienne Tél. / Fax : 04 77 32 58 49 Lune-et-l-autre@homail.fr

Maupetit 142-144, La Canebière 13001 Marseille Tél. : 04 91 36 50 50 Fax : 04 91 36 50 79 maupetit@actes-sud.fr

Passages 11, rue de Brest 69002 Lyon Tél. : 04 72 56 34 84 Fax : 04 72 56 34 85 librairie.passages@orange.fr

M’Lire 3, rue de la Paix 53000 Laval Tél. : 02 43 53 04 00 Fax : 02 43 53 23 52 mlire@wanadoo.fr

Point-Virgule 1, rue Lelièvre 5000 Namur, Belgique Tél. : +32 081 22 79 37 Fax : + 32 081 22 79 37 info@librairiepointvirgule.be

Mots et Images 10, rue Saint-Yves 22200 Guingamp Tél. : 02 96 40 08 26 Fax : 02 96 40 08 27 mots-et-images@wanadoo.fr

Quai des brumes 120, Grand’Rue 67000 Strasbourg Tél. : 03 88 35 32 84 Fax : 03 88 25 14 45 quaidesbrumes@wanadoo.fr

Nordest 34, bis rue de Dunkerque 75010 Paris Tél. / Fax : 01 48 74 45 59 lib.nordest@wanadoo.fr

Vent d’Ouest 5, place du Bon-Pasteur BP 31626 44016 Nantes Cedex Tél. : 02 40 48 64 81 Fax : 02 40 47 62 18 librairie@ventdouest.org www.librairie-nantes.fr

Obliques 68, rue Joubert 89000 Auxerre Tél. : 03 86 51 39 29 Fax : 03 86 52 11 83 librairie.oblique@wanadoo.fr

Vent d’Ouest au Lieu unique 2, rue de la Biscuiterie 44000 Nantes Tél. : 02 40 47 64 83 Fax : 02 40 47 75 34 ventdouestalu@hotmail.com


La librairie indépendante en chiffres • 41 % du marché du livre. • 31,7 % pour les magasins spécialisés et 28,4 % pour la grande distribution. • 50 % du marché pour la littérature et les sciences humaines. • Le livre y représente plus de 80 % du chiffre d’affaires. • La remise accordée (« salaire du libraire ») aux libraires par les éditeurs est comprise entre 34,4 % et 37,9 % en moyenne. • Le délai de paiement auprès de distributeurs est de 63 jours. Le taux de retours est compris entre 16,6 % et 29,8 % selon la taille de la librairie. • Les ventes aux collectivités (vente à terme) s’élèvent jusqu’à 19,1 % du chiffre d’affaires en moyenne. • Les ventes au détail (vente au comptant) représentent jusqu’à 83,9 %. • Le taux de marge commerciale st en moyenne de 33,1 %. • Les frais de personnel représentent le premier poste de charges, absorbant plus de la moitié de la marge commerciale. • Le résultat net (bénéfice) moyen s’élève à 1,4 % du chiffre d’affaires. • Le bénéfice varie de + 8 % à – 8 % selon la taille de la librairie.

Les associations citées Initiales Libr’est Libraires atlantiques Libraires du Sud Libraires en Rhône-Alpes Association des libraires Jeunesse Alsj Citrouille Canal BD Alire

Les institutions citées Conseil National du Livre, CNL Syndical de la librairie française, SLF Syndicat national de l’édition, SNL Commission liaison interprofessionnelle, CLIL Direction régionale des affaires culturelles, DRAC Fédération interrégionale du livre et de la lecture, FILL Association pour le développement de la librairie de création, ADELC Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation, ARALD


Un NoĂŤl en librairies carnet de voyage


Nouveau départ. Depuis juillet 2008, le livre numérique est devenu une réalité. Le groupe Hachette et la chaîne de magasins Fnac se sont associés pour diffuser des contenus numériques téléchargeables et lisibles sur les lecteurs Sony. D’autres expériences ont suivi de très près, notamment au sein des cinq librairies Gallimard de Paris et Strasbourg grâce au système mis en place par Epagine, filiale de Tite‑Live1. Des libraires indépendants2 proposent, via le même système, la vente de livres numériques sur leur site internet. On peut pour l’instant y télécharger quatorze titres des éditions Gallimard au format ePub (lisible sur ordinateur et sur le reader Sony) et une vingtaine de titres au format PDF, publiés par d’autres maisons (L’Olivier, Le Seuil, Michalon, Minuit, Payot, Zulma, Viviane Hamy…), que l’on peut lire sur les terminaux de lecture comme Sony, Cybook, Iliad. D’autres librairies devraient rapidement suivre ces expériences. Car l’enjeu est de taille : être en mesure d’accueillir et de conseiller les nouveaux e-lecteurs au même titre que les lecteurs sur papier (probablement les mêmes lecteurs 1. Société de service informatique spécialisée en gestion de librairie. — 2. Alinéa (Martigues, Bouches-du-Rhône), Durance et Vent d’Ouest (Nantes, Loire-Atlantique), La maison du livre (Rodez, Aveyron) et Quartier latin (Nice, Alpes-Maritimes)


qui liront sur différents supports). Sans quoi, c’est le risque de perdre une part du marché dont on se sait pas encore quelle sera l’importance dans les années à venir. De l’autre côté de l’Atlantique, un accord entre les éditeurs américains3 et le moteur de recherche Google, signé fin octobre, vise à protéger le droit des auteurs dont les œuvres numérisées seront accessibles en ligne. Bon début, a considéré la commission numérique des libraires français Alire4‑Slf, mais pas suffisant : Google, ayant la mainmise sur la distribution des œuvres numérisées et les moyens techniques, risque de devenir à la fois éditeur (« producteur des ressources numérisées ») et libraire de ces œuvres (« distributeur ») et de bénéficier ainsi d’un monopole de fait. La commission numérique refuse donc le principe de l’opt out 5, et demande la mise en place d’un système de numérisation et de diffusion ouvert à tous les acteurs du marché. Débat d’ampleur et aux enjeux cruciaux s’il en est, et loin d’être clos. Avant de repartir sur les routes, plutôt sur les voies ferrées, je fais un bain de foule et de livres à Montreuil, lors du Salon du livre 3. L’Association des éditeurs américains (AAP) et la Guilde des auteurs américains (AG). — 4. Association des librairies informatisées et utilisatrices de réseaux électroniques, www.alire.asso.fr — 5. Selon ce principe, l’absence de refus explicite des auteurs et de leurs ayants droit équivaudrait à leur accord pour la numérisation et la diffusion des œuvres.

et de la presse jeunesse du 26 novembre au 1er décembre – c’est aussi un premier test sur l’impact de la crise. Depuis quelques années, Initiales est en charge des stands des éditions Bayard Jeunesse et Actes Sud Junior. C’est un rendez-vous annuel (à l’instar du Salon du livre de Paris, chaque mois de mars) pour les libraires de l’association, l’occasion de travailler ensemble, et d’échanger sur la situation de leur librairie. Et le bénéfice réalisé est la source principale de financement des projets de l’association. J’y retrouve Isabelle Réty, libraire jeunesse à Gwalarn à Lannion (cf. page 97 partie été) qui, pendant une semaine, supervise d’une main de maître l’équipe du stand Bayard. Cette année, c’est Gwendoline Delaporte, libraire jeunesse au Merle Moqueur (cf. page 56 partie Noël) qui est responsable du stand Actes Sud Junior. À leurs côtés, des libraires de Paris et de province vont se succéder pour assurer l’accueil, le conseil et la vente. Le salon de Montreuil est devenu en quelques années un rendezvous incontournable de la littérature jeunesse. Probablement parce qu’il fallait un salon à la hauteur d’une littérature qui a pris son indépendance et qui est aujourd’hui un secteur de créativité et de diversité unique. L’enfant n’est plus seulement un futur lecteur adulte, mais aussi un


lecteur à part entière. Ce qui n’empêche pas les adultes de craquer devant certains albums… Pour moi, c’est la magnifique et mystérieuse mise en image de Peter Pan par Susanne Janssen6, dans un album paru aux éditions de l’Être7. Une semaine après, le bilan est positif : les visiteurs ont en moyenne dépensé un peu moins que l’année précédente, mais sont venus encore plus nombreux. Les libraires sont ravis, les éditeurs aussi. Mais nous sommes aussi tous très fatigués et un peu déprimés, comme après une colonie de vacances. Heureusement, je dois m’atteler à mes prochains voyages. Cette fois-ci, je partirai et reviendrai tous les soirs à Paris, un itinéraire en étoile,un compte à rebours jusqu’à la fin de l’année, en commençant par Guingamp et en terminant par l’Île-de-France.

6. Illustratrice allemande qui avait déjà illustré Hansel et Gretel, paru en France chez le même éditeur. 7. Anciennement collection « Le sourire qui mord », Gallimard.



Vendredi 12 décembre, Mots et Images, Guingamp. Je m’ima-

ginais un accueil glacé, trempé, une belle et effrayante tempête bretonne. J’aurais dû regarder une carte avant de partir : point de falaises en lutte avec des vagues déchaînées – Guingamp est à vingt kilomètres de la mer – et aujourd’hui pas de vent, pas de pluie. Je n’ai pas d’autre choix que d’oublier mes humeurs passionnées, et d’adopter pour la journée l’âme terrienne de la Bretagne agricole. Je me console au bord du Trieux, où Laurence Nicolas m’emmène déjeuner – excellemment. Sur le chemin vers la librairie, les rues sont vides, la musique et les lumière de Noël donnent un air de fin de bal à la place centrale. C’est bien plus gai à la libraire, la musique est meilleure et le sourire de Dewi, ancien apprenti à Gwalarn (cf. page 97 partie été), réchauffe bien mieux que la « chaleur de granit » locale. Dans une ville de 8 000 habitants, Mots et Images est la seule librairie de la ville. Mais les magasins Leclerc ont frappé fort dans la région, on trouve un Espace Culturel à la sortie de chaque ville. L’impact sur les commerces indépendants8 du centre est d’autant plus fort que les difficultés de stationnement ne sont pas résolues. Et comme d’autres avant elles, Laurence a vu son chiffre d’affaires reculer depuis l’arrivée du nouvel Espace Culturel à la sortie de Guingamp il y a un an. Mais Laurence résiste bien, les mois d’octobre et de novembre, bien meilleurs, rassurent sur l’attachement des clients à la librairie et permettent d’espérer un équilibre pour les années à venir. Laurence n’est pas bretonne, elle s’est installée à Guingamp en 1997 avec son époux. 8. La multiplication des grandes surfaces culturelles est basée sur la recherche d’économies d’échelle, d’effets de taille et d’occupation du territoire, et leur part dans le marché du livre gagne chaque année du terrain.

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Parisienne, elle a appris son métier au sein de la toute jeune Fnac, quand le premier magasin de l’Étoile faisait 100 m2 et ne comptait que six employés. Elle a connu les deux déménagements de la Fnac, dont celui qui l’a conduite à son emplacement actuel, rue des Ternes. Quand Laurence s’est installée à Guignamp, elle a dû se passer des marques de confiance et des encouragements des acteurs économiques et politiques locaux. Mais, depuis plus dix ans, elle prouve qu’elle a su faire sa place et la garder, tout comme le magasin d’instruments de musique plus haut dans la rue qui attire des clients de toute la région.

pas feutré, alors que dehors la nuit finit de tomber, mais il est grand temps de rejoindre la gare. Dans le Ter entre Guingamp et Saint-Brieuc, un musicien argentin en costume de scène et chemise ouverte tient sa percussion entre les genoux et garde un œil sur ses deux grosses valises. Il nous montre la photo de sa petite fille sur son téléphone portable et nous invite à venir le voir jouer dans un lieu dont je ne parviens pas à comprendre le nom. Lui s’appelle Hector. La fille en face de moi est en tenue d’équitation. Les autres occupants du wagon sont des étudiants qui rentrent chez leurs parents.

Après un premier emplacement, Laurence a déménagé sa librairie rue Saint-Yves, dans le prolongement de la rue piétonne et commerçante de Guingamp. La pièce est un grand carré de 120 m2. À chaque côté sa spécialité, littérature, polars, jeunesse, sciences humaines, beaux-arts et, Bretagne oblige, un rayon local. Les grandes tables sont bien chargées, et parmi tous ces livres, je repars avec Dans les secrets de la police9, en rupture de stock et introuvable dans mon quartier. Et un cadeau de Noël, un !

Il fait nuit noire maintenant, on ne voit rien dehors et entre deux gares de campagne, j’imagine que la micheline s’envole au-dessus des champs et que nous dansons un long moment sur la musique d’Hector.

Après un début d’après-midi calme, la ville retrouve ses habitants et sa gaieté, les clients affluent en milieu d’après-midi, une bibliothécaire fait le plein de bandes dessinées, mais emportée par son enthousiasme et les conseils de Dewi, elle a dépassé son budget, et doit en reposer la moitié ! Une drôle de dame n’achète que des polars et un couple au chien adorable fait ses cadeaux de Noël. J’aimerais rester encore un peu, attendre la fermeture, en tournant autour des tables d’un

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9. Bruno Fuligni (dir.), Dans les secrets de la police : quatre siècles d’histoire, de crimes et de faits divers dans les archives de la préfecture de police, L’Iconoclaste, 2008.

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Concrètement Responsable Laurence Nicolas Équipe deux libraires Superficie 120 m2 Références environ 16 000

Une librairie, un livre Stefan Zweig, trad. A. Hella et O. Bournac La Confusion des sentiments, 1926 (rééd. coll. « Le Livre de poche », 2007)



Samedi 13 décembre, l’Écritoire, Semur-en-Auxois. En Bourgo-

gne, les champs le long des voies et ensuite au bord de la route sont blancs et poudrés de neige, de brouillard et de gel. Ce n’est pas la mer non plus. Je dois me faire une raison, je ne la verrai pas avant Noël. Il fait vraiment très froid, froid à fendre pierre, même ce granit rose du Morvan dans lequel est construite la cité de Semur-en-Auxois. Au bas des doubles enceintes, la rivière contourne le promontoire rocheux et la ville, puis revient sur elle-même poursuivre sa route dans la Bourgogne vieille et sage. Dans son antique R5, Pierre Fourcault me fait faire un tour de la ville. C’est très beau, on parvient même à entrer dans le théâtre à l’italienne où a lieu un tournage. La librairie de Pierre occupe le rez-de-chaussée d’une jolie maison à colombages près de la place où se tient l’église de Semur. Il s’est installé ici en 1974 avec son épouse. La librairie qu’il devait initialement racheter n’étant finalement plus en vente, il a dû trouver un autre local pour monter son projet. À cette époque, il y avait trois ou quatre points de vente de livres. Reste aujourd’hui une librairie jeunesse microscopique près d’un centre commercial en « banlieue », et une maison de la presse. Comme Obliques (cf. page 11 partie été) et Le Cyprès (cf. page 41 partie Noël), L’écritoire participe au prix des Lycéens et Apprentis de Bourgogne. La sélection10 établie par les équipes pédagogiques, les libraires, les bibliothécaires, est l’occasion de parler livres et littérature dans les établissements scolaires. La remise du prix aura lieu le 19 mai au 10. Hugo Verlomme, Les Sept couleurs de Monsieur Gris, Yago, 2008 ; Karine Reysset, Comme une mère, éditions de L’Olivier, 2008 (rééd. Seuil, coll. « Points », 2009) ; Louis-Ferdinand Despreez, Le Noir qui marche à pied, Phébus, 2008 ; Nadine Monfils, Nickel blues, Belfond, 2008 ; Paul Vacca, La Petite Cloche au son grêle. Maman, Marcel Proust et moi, Philippe Rey, 2008 ; Samuel Zaoui, Saint-Denis bout du monde, éditions de l’Aube, 2008 ; Franz Bartelt, La Belle Maison, Le Dilettante, 2008 ; Patrice Juiff, La Taille d’un ange, Albin Michel, 2008 ; Sorj Chalandon, Mon traître, Grasset, 2008 ; Chahdortt Djavann, La Muette, Flammarion, 2008.

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Zénith de Dijon. Sur les 50 m2 de la librairie, Pierre travaille seul ou avec un apprenti. Depuis l’année dernière, c’est Olivier qui le seconde. Une semaine par mois, Olivier va à Montreuil pour suivre ses cours à l’INFL. Il vient de Marseille et est ravi de vivre ici, loin du tumulte de la ville. La librairie est adorable, les poutres de bois foncé se croisent au plafond et soutiennent les murs couverts de livres. Pierre y propose une très jolie sélection de littérature, de livres pour enfants et de beaux livres, et le rayon BD est vraiment riche. Deux bornes d’écoute de CD musicaux et des enregistrements de conférences complètent le tout. Les clients restent un temps fou dans la librairie. Ils viennent de loin dans la campagne et ne reviendront pas tout de suite, alors ils prennent leur temps, avancent doucement, reviennent sur leurs pas, et entre deux échanges avec Pierre, hésitent, puis se décident. Ils viennent aussi faire des photocopies, chercher leur commande, un livre de photo, un autre sur les plantes. En silence, un jeune couple procède très méthodiquement à ses achats de Noël et progresse régulièrement jusqu’au fond de la librairie. La vitrine est encore plus belle quand la nuit tombe. Un décor parfait pour les dernières heures de la petite fille aux allumettes ! L’épouse de Pierre est à la retraite, Pierre aimerait bien faire de même, reste à trouver un repreneur… Pourquoi pas moi ? Reprendre une librairie doit être un peu moins difficile que d’en créer une de toutes pièces, non ? Pour m’éviter l’attente à Montbard, Pierre et son épouse m’emmènent en voiture. Malheureusement, j’attends quand même un peu, le froid a gelé les voies ferrées près de Dijon et retarde le train. Mais il fait chaud dans le wagon, et je m’assoupis jusqu’à Paris. 22


Une librairie, un livre Hermann Hesse, trad. F. Delmas Narcisse et Goldmund, Calmann-Lévy, 1948 (rééd. coll. « Le Livre de poche », 2007).

Concrètement Responsable Pierre Fourcault Équipe un libraire et un apprenti Superficie 50 m2 Références 6 000



Mardi 16 décembre, Livre aux Trésors, Liège. J’arrive à la gare du

Nord avec quarante minutes d’avance ; je traverse une frontière aujourd’hui, ce n’est pas rien. Avec d’autres voyageurs frigorifiés, j’attends près d’un chauffage dans le grand hall ; les trains de banlieue et les premiers TGV déversent des travailleurs pressés qui courent vers le métro. Je prends le Thalys direction la Belgique, Liège, puis Namur. À bord, on m’informe en français, en anglais, en allemand et en néerlandais que je n’ai pas le droit de fumer de cigarette, mais que je peux éventuellement tenter de me consoler en regardant mes mails grâce au réseau wifi. La cigarette le ventre vide est toujours l’une des meilleures, et quand le froid s’ajoute à la faim, comme ce matin à la gare de Liège, elle est parfaite. L’association du bois et de la brique, les lumières indirectes, les tons doux du parquet rendent la librairie particulièrement chaleureuse. À l’entrée, il y a une petite table ronde, on peut s’y asseoir et se faire servir un café. Près de la grande vitrine, une grande table est traditionnellement installée en fin d’année pour les beaux livres ; en face, on trouve la sélection de livres de poche et de romans de la rentrée, chouchous de Philippe et Olivier, les deux libraires associés. La deuxième pièce est partagée entre le domaine adulte (littérature et sciences humaines) et le très beau rayon jeunesse. Une pente douce conduit à la dernière salle, consacrée, elle, à la bande dessinée indépendante. En 2002, Philippe Marczewski, chercheur en neuropsychologie à l’université, renonce à une carrière toute tracée pour ouvrir Livre aux Trésors – au départ essentiellement consacrée à la littérature jeunesse, avec un rayon adulte dans lequel la préférence va aux romans d’aventure et de voyage. Olivier Verschueren, libraire à Pax, librairie traditionnelle à Liège depuis quatre-

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vingts ans, le rejoint l’année suivante et développe la littérature et les sciences humaines. La bande dessinée, puis les beaux livres, viendront peu à peu compléter l’assortiment de la librairie. Autrefois très nombreuses, les librairies de Liège ont été décimées pendant les années 1980 et 1990. Seules deux librairies ont ouvert leurs portes au début des années 2000, Livre aux Trésors et l’Échapée belle, cette dernière étant rapidement revendue par sa fondatrice. Avec Pax, ce sont les trois dernières librairies généralistes indépendantes à Liège. On compte aussi La Parenthèse, grosse librairie jeunesse où le jeu prend de plus en plus de place, une librairie Agora du groupe Privat, quelques magasins spécialisés en bande dessinée et, bien sûr, une Fnac. Sur les chansons de Charles Trenet, ça discute, ça discute… Les clients entrent chercher leur commande, déjà emballée dans du papier cadeau, une jeune fille entre pour racheter Le Menteur d’Ombrie11, un roman haut en couleurs sur fond de Moyen Âge italien, qu’elle a lu sur les conseils des libraires et qu’elle offre maintenant autour d’elle. Je déjeune avec Olivier à la cafétéria du cinéma qui a tout récemment ouvert au bout de la rue. On se faufile entre les enfants qui sortent de la séance du matin. Olivier refait le point sur la situation spécifique de la librairie face à l’absence de prix unique du livre en Belgique. Petit rappel tout d’abord : on trouve les mêmes livres des deux côtés de la frontière franco-belge : la littérature française et la littérature traduite, éditée par des éditeurs français. Il y a bien sûr une littérature belge francophone, mais minoritaire. Mais, ici, pas de prix unique du livre : les libraires sont libres d’appliquer le prix qu’ils souhaitent, et non pas celui dicté par l’éditeur. En vendant 30

11. Bjarne Reuter, Le Menteur d’Ombrie, Gaia, 2005 (rééd. Actes Sud, coll. « Babel », 2007).

une certaine catégorie de livres à rotation rapide (tels les dictionnaires, les livres scolaires, les best-sellers) moins chers, les chaînes et les très grandes librairies détiennent ainsi une arme de plus contre les librairies indépendantes, incapables de suivre financièrement. À cette particularité s’ajoute une difficulté supplémentaire : les libraires sont légalement contraints de passer par les succursales belges de deux diffuseurs-distributeurs12 qui ajoutent aux prix des livres une surtaxe de 10 à 15 %, la tabelle. Les libraires belges souhaitent, comme c’est le cas avec les autres diffuseurs, passer leurs commandes directement auprès des diffuseurs en France et donc ne plus subir cette taxe qu’ils considèrent comme injustifiée13. Les libraires ont néanmoins obtenu, après un recours européen, l’obligation pour ces deux diffuseurs d’apposer une étiquette indiquant le nouveau prix intégrant la surtaxe, et une étoile cachant le prix éditeur. Il est en effet lourd et compliqué d’expliquer aux clients pourquoi ils paient un livre plus cher ici que de l’autre côté de la frontière à quelques kilomètres, et à quoi correspondent ces deux prix sur la jaquette. À notre retour à la librairie, il est déjà presque 15 h, Olivier doit me conduire à la gare. C’est encore une fois bien trop rapide. Après un dernier café, je dis au revoir à Philippe et à Claire, jeune Française qu’Olivier et Philippe ont intégrée à l’équipe cette année.

12. Hachette et Interforum. Le diffuseur est chargé de la promotion du livre. Il organise des campagnes promotionnelles, s’assure de la mise en place du livre dans les différents points de vente et du réassortiment. Le distributeur a un rôle logistique. Il gère le stock de livres pour le compte de l’éditeur. Il dispose généralement d’entrepôts situés dans des zones industrielles, où le terrain est moins cher. C’est lui qui reçoit et expédie les commandes et se charge de la facturation. — 13. Le SLFB (Syndicat de la librairie francophone belge) affirme en effet que cette taxe ne sert qu’à sauver une plate-forme de redistribution inutile depuis l’ouverture des frontières économiques. L’instruction de la plainte pour non-respect du droit à la concurrence est en cours à la Commission européenne.

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Concrètement Responsables Philippe Marczewski et Olivier Vershueren Équipe un libraire Superficie 120 m2 Références 14 000

Une librairie, un livre Enfin deux cette fois ! Henri Calet, trad. C. Atlan Monsieur Paul, Gallimard, 1950 (rééd. coll. « L’imaginaire », 2004) Un homme écrit à son fils qui vient de naître une longue lettre pour lui dire d’où il vient, qui il est – de quoi comprendre les circonstances brumeuses de sa naissance. Calet, c’est un frère à travers les brumes du temps. C’est l’écrivain des petites vies et des grandes déceptions, qui ne craint jamais de regarder ses faiblesses et sa mélancolie en face. Je ne conseille d’ordinaire ce livre qu’aux amis (choix de Philippe). Haruki Murakami, Kafka sur le rivage, Belfond, 2006 (rééd. coll. « 10-18 », 2007) C’est toute la grâce de Murakami, tout le charme d’une écriture fluide et légère, véritablement hypnotique, onirique et poétique, que l’on retrouve dans Kafka sur le rivage, d’où jaillissent tant d’émotions qu’elles résonnent encore longtemps après que le livre a été refermé (choix d’Olivier).


Mardi 16 décembre, Point Virgule, Namur. Ah ! la Wallonie…

Sa brume tenace, ses centrales thermiques… Ouf, ses libraires ! C’est Régis qui vient me chercher à la gare : à Liège, ils sont deux. Eh bien à Namur, ils sont trois ! Régis donc, le plus jeune, Anouk sa sœur et Patrick le compagnon de sa sœur. Une histoire de famille qui a commencé en 2001 et qui en 2009 verra une nouvelle page se tourner : les travaux ont commencé, la librairie s’agrandit. L’appartement au-dessus accueillera à partir du 15 février le rayon sciences humaines et fera alors de la place au rez-de-chaussée pour la littérature adulte et jeunesse. La librairie fera alors 120 m2 avec toujours de l’autre côté du couloir un bureau-réserve de luxe (40 m2) qui ferait rêver bien des libraires parisiens. Régis, Anouk et Patrick ont hâte de recevoir leurs nouvelles commandes, de réorganiser les rayons ; beaucoup de travail en perspective, mais une aussi grande excitation. Tous trois ont racheté la librairie avec l’idée de l’ouvrir sur la ville, de casser son image élitiste. Et c’est une réussite, de nouveaux clients y entrent, l’université la sollicite et grâce au service de commandes, la rumeur dit que l’on trouve tout à Point Virgule. Pour Régis, le métier de libraire est un engagement complet. Régis est élu au SLFB aux côtés d’Olivier et, l’année prochaine, il continuera, sûrement en tant que nouveau président du syndicat, à se battre pour le prix unique et contre la tabelle, notamment en alertant directement les éditeurs – souvent éloignés de ces problématiques –, afin de débloquer la situation. Ce soir, Régis a préparé une sélection de livres pour une conférence sur le goût, c’est la première d’un nouveau cycle de cours publics sur les cinq sens qui se déroulera toute l’année prochaine et pour lequel Point Virgule assurera une table de librairie. Je dîne rapidement avec Anouk et Patrick qui vont à un spectacle de danse. Un peu grisée par le vin bu trop vite, je garde un souvenir brumeux du chemin du retour entre Namur et Bruxelles. Là, je reprends le Thalys et, comme à l’aller, les informations en quatre langues durent un quart

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d’heure. Dans le journal de bord, le Thalyscope, je tombe sur un article sur la librairie Selexyz Dominicanen dans une des plus anciennes églises des Pays-Bas, à Maastricht qui a développé l’usage des RFID ou système de radio-identification. Ainsi, les 45 000 ouvrages de la librairie possèdent « une radio-étiquette contenant [leur] CV : titre, auteur, provenance, prix, disponibilité. » Ce système permet de suivre la vie de chacun des livres, et facilite à la fois les recherches des clients – des bornes sont à leur disposition, et ils peuvent être avertis par SMS quand leur livre est arrivé – et le travail des libraires. Ils remplaceraient en effet les code-barres et rendront plus simple et rapide le lourd travail de réception et de gestion de stock des libraires.

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J’arrive à Paris un peu avant minuit, je suis malade et j’aimerais ne plus avoir à quitter une librairie. Je vais pourtant en laisser d’autres derrière moi, un beau calendrier de visites m’attend encore: Nevers, Strasbourg, Paris et sa banlieue. Mais j’aime aussi partir, arriver, repartir, sortir d’un train, sortir d’une gare, tous ces mouvements que je répète tracent un lien invisible, mais tenace, entre toutes ces librairies. Aujourd’hui, nous avons longuement parlé des librairies, en Belgique comme en France, qui à très court terme seront à la recherche d’un repreneur, et qui auront bien des difficultés à en trouver. En effet, les libraires potentiels et les librairies à reprendre risquent de ne pas se rencontrer, faute de moyens bien sûr. Acheter une librairie aujourd’hui coûte cher – l’immobilier, le fonds – et la rentabilité est très faible. Les investisseurs solides sont rarement des libraires dans l’âme et ceux qui le sont n’ont pas souvent les moyens de vivre de leur passion. Le risque est grand, alors, de voir des librairies fermer ou être rachetées par une chaîne spécialisée. Mais comme à Namur et à Liège, à Nevers, la librairie Le Cyprès de Laurence Nicolas a été reprise grâce à un effort collectif et j’ai hâte de voir, un an après, comment Wilfried Séjeau s’en est sorti.


Une librairie, un livre (enfin trois !) David Albahari, trad. G. Lukic et G. Iaculli, Globe-trotter, Gallimard, 2006. Dans une petite ville des Rocheuses reconvertie en centre d’accueil pour artistes du monde entier, un peintre canadien découvre la complexité de l’histoire européenne en se liant d’amitié avec un Serbe et un Croate. Entre absurde et tragique, David Albahari tisse une œuvre passionnante (choix d’Anouk). Joseph Heller, trad. B. Matthieussent, Catch 22, Grasset, 2000 (rééd. coll « Le Livre de Poche », 2006). Véritable déflagration littéraire, ce livre est un manifeste contre l’absurdité de la guerre, et n’a malheureusement rien perdu de son actualité (choix de Patrick). Martin Eden, trad. F. Kerline, Jack London, 1909 (rééd. Phébus, coll. «  Libretto », 2001).

Concrètement Responsables Anouk Delcourt, Régis Delcourt et Patrick Noël Superficie 60 m² (et bientôt 120 m² !) + un bureau-réserve de 40 m² Références environ 13 000

Martin Eden est sans aucun doute le roman le plus autobiographique de Jack London. Publié en 1909, il nous plonge dans la vie de ce Martin, jeune matelot issu de rien, amoureux d’une bourgeoise hautaine. C’est l’histoire d’une ascension rêvée et de la chute violente qui en découle. C’est un récit d’une noirceur et d’un souffle inoubliables (choix de Régis).


Jeudi 18 décembre, Le Cyprès, Nevers. Munie de ma boîte de kleenex

familiale, je pars aujourd’hui pour le Nivernais, et sa capitale, Nevers. Il y a vingt ans, Laurence Marès avait baptisé sa librairie Le Cyprès en hommage à la Grèce, pays et civilisation fétiche, où elle vit maintenant une grande partie de l’année. Le reste du temps, elle revient à Nevers ; d’ailleurs chez Arlette, le café où Wilfried organise ses rencontres littéraires, on l’a vue, pas plus tard que la semaine dernière.

Les premiers candidats que Laurence a rencontrés pour la reprise de la librairie manquaient de moyens ou d’esprit libraire… L’esprit libraire, Wilfried, client de la librairie depuis son enfance, l’a, c’est certain ; les moyens, il les a trouvés, grâce, entre autres, au soutien de vingt-six associés ! Pendant le déjeuner – chez Arlette, on mange du choux farci et on a droit à un bisou de la cuisinière –, Wilfried me raconte le montage financier et juridique assez incroyable que la reprise de la librairie a nécessité. Pendant un an, il a frappé à toutes les portes, a lancé un appel auprès des fidèles de la librairie et de ses amis, s’est fait conseiller par une avocate, des libraires, des chefs d’entreprise, bref Wilfried s’est entouré. Il est ainsi parvenu à obtenir un prêt bancaire et l’aide du CNL, de l’Adelc et du conseil régional et a inauguré en avril 2008 le nouveau Cyprès, embelli d’un coup de pinceau et de quelques réaménagements. L’équipe est restée – une comptable à mi-temps, une libraire expérimentée, « cheville ouvrière » du Cyprès, une seconde libraire à temps partiel – et soutient Wilfried qui apprend encore les mille et un rouages du métier. Mais pour organiser des rencontres et proposer des tables de livres, il se débrouille très bien : chez Arlette, au Bar des sciences, dans des festivals locaux, lors de conférences de psychiatrie ou celles organisées par l’université des bistrots… bref, les occasions ne

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manquent pas de vendre des livres, de tisser un réseau, de faire parler de la libraire. C’est d’autant plus important que le département continue de perdre des emplois et des habitants. Maintenir une vie culturelle malgré tout est une des motivations de Wilfried, fatigué mais heureux !

Une librairie, un livre Dario Francheschini, trad. C. Moiroud Dans les veines ce fleuve argent, L’Arpenteur, 2008.

Après quelques allers retours entre le rez-de-chaussée et le rayon sciences humaines, au premier étage, je serais bien tentée de laisser aller ma fièvre dans un des fauteuils mous qui me tendent les bras, mais les clients affluent, ça se bouscule un peu à la caisse, alors, je me lance et j’aide le stagiaire aux paquets cadeaux…

Concrètement 42

Responsable Wilfried Séjeau Équipe deux libraires et un comptable Superficie 200 m² Références 60 000



Vendredi 19 décembre, Quai des Brumes, Strasbourg.

Le lendemain, toujours munie de ma boîte de kleenex, je prends – de justesse, cette fois – le TGV à la gare du Nord, pour la star de Noël, Strasbourg. L’esprit de Noël s’incarne ici à chaque coin de rue ; il faut marcher loin hors du centre ville pour échapper aux illuminations et retrouver son ombre. Un immense sapin de la forêt des Vosges surplombe la place Kléber, des effluves de vin chaud s’échappent des fameux marchés de Noël que l’on vient visiter d’un peu partout en Europe. Il y en a pour tous les goûts, un peu plus pour le kitch, peut-être ? Ce n’est pas sans déplaire à Sylvie Bernabé, qui s’amuse comme une petite fille de ces excès de lumières, de couleurs et d’odeurs et qui prend en photo les étalages sans fin de santons et de boules de Noël. Après la balade, on rentre à la librairie. Une file d’attente s’est organisée le long du comptoir qui mène à la caisse, Arnaud fait des paquets cadeaux à la chaîne et les yeux fermés… j’en prends de la graine. Au fond, une grande salle aux moulures et miroirs me laisse baba ; c’est le royaume de Juliette et du rayon jeunesse, mais aussi des livres d’art, de photo, d’architecture. De longues branches sèches laissent voir à travers les deux grandes fenêtres la cour de la maison du XVIe siècle dont il reste aussi, côté façade, un pignon que l’on voit de loin dans la Grand’rue. Sylvie et Francis Bernabé ont créé la librairie en 1984, quai des Bateliers. La librairie s’agrandit une première fois en 1988 avant de quitter les quais en 2004, et de prendre ses aises dans ses 130m2. C’est à cette époque que Sylvie rejoint officiellement et à temps plein la librairie. Aujourd’hui, Quai des Brumes mériterait de s’agrandir encore… on cherche un moyen, peut-être l’année prochaine. À côté de la Fnac, de Virgin et de la librairie Gallimard Kléber, Quai des Brumes, « la librairie

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fine de Strasbourg », a deux atouts : une équipe de libraires riches en conseils (littérature, bien sûr, mais aussi sciences humaines, notamment la philosophie et la psych-ologie, -iatrie, -analyse…), et un programme de rencontres denses, et particulièrement éclectiques. La richesse d’une librairie, c’est l’addition des « goûts et des couleurs » des libraires, organisée autour d’un chef d’orchestre. Quai des Brumes est un très bel exemple de cette juste alchimie. Avant de reprendre le rail, je m’amuse à participer, je conseille, oriente à droite à gauche, retrouve même la trace d’un de ces fameux livres sans nom et sans auteur, dont tous les libraires se régalent ! Je prends le train trop tard, je gaspille les meilleures heures de la soirée dans le train à essayer de ne pas écouter les conversations des mes voisins de compartiment, à manger un sandwich même pas si mauvais, et à essayer d’attirer l’attention, en vain, de ce garçon, là, à deux sièges devant.

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Une librairie, un livre, (deux, le premier étant pour le moment épuisé) Erri de Luca, trad. D. Valin Tu, mio, Rivages, 1998 (ouvrage épuisé pour l’instant). Des centaines d’exemplaires vendus à la librairie. Une plongée douce et sensible dans l’Italie d’après-guerre. Jacques Chauviré, trad. M. Lafon, André Dimanche La Terre et la Guerre, Gallimard, 1964 (rééd. Le temps qu’il fait, 2008). Le chef-d’œuvre de Jacques Chauviré, la France paysanne et bourgeoise durant la guerre de 1914-1918. Un livre somptueux.

Concrètement Responsables Francis et Sylvie Bernabé Équipe quatre libraires et un apprenti Superficie 130 m2 Références 25 000



Les derniers jours de décembre, l’Île-de-France. En Île-de-France, je visite sept librairies, différentes par leur taille, leur quartier, et leur retentissement dans leur ville. Et les librairies de Paris intra-muros sont d’abord à distinguer de celles de la périphérie et du reste de la France. La taille et la structure de la ville, sa composition socioculturelle, font de Paris un espace où les usages, notamment en matière de consommation culturelle, n’ont pas évolué dans le même sens que dans les autres villes de France, qu’elles soient grandes ou moyennes. Les grandes surfaces spécialisées, Fnac puis Virgin, après de belles années de réussite, ne représentent plus la même menace pour les librairies indépendantes qui bénéficient également de l’absence des chaînes présentes en province, tels Espace Culturel Leclerc, Cultura. Après une vague de disparitions des librairies traditionnelles dans le centre de la capitale, on assiste depuis une dizaine d’années à l’apparition de librairies, notamment dans l’est parisien, à l’image de l’évolution sociologique de ces quartiers. De plus, on ne retrouve pas les problèmes de déplacement et de stationnement des centres-villes de province, ou de certaines communes d’Île-de-France, dont les habitants préfèrent regrouper leurs achats au centre commercial à la sortie de la ville. À Paris, les achats se font principalement près du lieu de résidence ou du lieu de travail. Les Parisiens sont attachés à leur quartier et à leur librairie de quartier.

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Dimanche 21 décembre, Le Merle Moqueur, Paris 20e. C’est le

dernier dimanche avant Noël et, comme tous les commerces, les librairies sont ouvertes. Mais certaines d’entre elles n’ont pas attendu Noël et bénéficient d’une autorisation préfectorale depuis leur ouverture. C’est le cas de la librairie le Merle Moqueur, ouverte tous les dimanches, rue de Bagnolet, depuis 1999. Et c’est une de ses plus grosses journées, car le quartier est essentiellement résidentiel et ses habitants y sont le plus présents en fin de semaine. Yannick Burtin s’y est installé un peu par hasard ; il passait dans ce quartier en bus pour rejoindre le BHV de Rosny 2 où il était employé de librairie. Avec « trois bouts de ficelle », il installe son magasin dans le bas de la rue et, sept ans après, déménage dans un ancien garage où tout est à refaire.

de vente en ligne. L’ambiance est électrique ici, les libraires sont épuisés, le compte à rebours jusqu’à Noël est bientôt terminé, et si c’est une période essentielle à la vie des librairies, c’est aussi une période particulièrement éprouvante. Chaque jour compte, évidemment, mais tous savent que rien n’est joué avant le 24 décembre, veille de Noël où se font les derniers achats, souvent les plus nombreux !

C’est un gros projet, il obtient les aides et les soutiens nécessaires (CNL, Adelc, prêt bancaire…) à sa réalisation et à son succès. Car le quartier manquait vraiment d’une bonne librairie. Elle compte aujourd’hui onze libraires jeunes et passionnés, ravis d’avoir participé à cette aventure. Mais Yannick Burtin ne s’arrête pas là, des projets, il en a plein sa hotte ! le prochain est l’ouverture d’une seconde librairie, au sein du Cenquatre (104, rue d’Aubervilliers), le nouveau lieu culturel de la mairie de Paris, dans le 19e arrondissement. Encore une fois, un projet d’envergure et un sacré pari : 250 m2, une nouvelle équipe de cinq libraires, une librairie généraliste et un gros rayon beaux-arts lié à la programmation du centre artistique.Yannick Burtin, depuis bientôt trois ans président d’Initiales, est aussi membre de l’association des libraires de l’est parisien, Libr’est14 qui développera très bientôt son propre site 56

14. www.librest.com

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Une librairie, un livre César Aira, La Guerre des gymnases, André Dimanche, 2000 (rééd. Actes Sud, coll. «  Babel », 2008).

Concrètement Responsable Yannick Burtin Équipe onze libraires et un comptable (et cinq libraires pour la librairie du Centquatre) Superficie 300 m2 (+ 250 m2) Références environ 30 000

À Flores, quartier populaire de Buenos Aires, deux salles de sport se livrent une concurrence acharnée. Mais nous sommes dans un roman de Cesar Aira et, très vite, autre chose apparaît : la rivalité devient guerre civile et les échanges se font au lance-roquettes.


Dimanche 21 décembre, Comme un roman, Paris 3e. Et c’est

vrai que ça défile au Merle, mais aussi à Comme un Roman , librairie installée depuis 2001 dans le 3e arrondissement de Paris. Baptisée du même nom qu’un livre de l’auteur et ami Daniel Pennac15, voici une autre librairie indépendante qui a trouvé sa place, surtout depuis que Karine Henry et Xavier Moni ont emménagé tout près du marché des Enfants rouges, au sein de petites maisons mitoyennes dont on a abattu les cloisons. La librairie est à l’image du quartier, chic et choc et les vitrines lumineuses percées dans la longue et élégante façade (28 mètres !), noire et blanche comme il se doit, sont de vrais aimants… 14

La littérature, la jeunesse et les beaux-arts/beaux livres sont au rez-de-chaussée, et cet après-midi, il est difficile de se frayer un passage entre les tables. À l’étage, le rayon sciences humaines est plus calme, et la belle salle d’exposition est déserte. Tout le monde se presse en bas pour finir ces satanées cadeaux. D’ailleurs, moi aussi, je suis à la recherche de l’ultime cadeau et tous les très bons conseils de Manuella, libraire jeunesse, aussi à l’aise dans les rayons littérature et beaux-arts, n’y font rien, impossible de me décider. En sortant, je remarque les coupures de presse, collées sur le mur d’entrée, qui font la part belle à Karine, la libraire « star16 » et à Karine, l’auteure17. Encore plus que d’habitude, le dimanche est un jour comme les autres à Paris. Les rames de métro sont bondées, ça s’agite à la surface, pas l’heure de flâner au milieu du trottoir. Allez, allez, on se dépêche… direction le lointain 12e arrondissement, station Dausmenil.

Concrètement Responsables Karine Henry et Xavier Moni Équipe six libraires Superficie 200 m2 Références 21 000

Une librairie, un livre Atiq Rahimi, Terre et cendres, POL, 2000 (rééd. 2004) Karine et Xavier avaient reçu Ati Rahimi à l’occasion de la sortie du livre en 2000. Ils continuent de le conseiller, même depuis que son dernier roman, Syngué Sabour18, a été récompensé par le prix Goncourt. 18. POL, 2008.

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14. www.comme-un-roman.com — 15. Comme un roman, Gallimard, 1992 (rééd. coll. « Folio », 1995). — 16. Nouvel observateur, 19 novembre 2008 — 17. La Désœuvre, Actes Sud, 2008.


Dimanche 21 décembre, Atout Livre, Paris 12e. À Atout Livre aussi,

le charme agit. Et entre sourires et littérature, il est difficile de ne pas tomber amoureu(se) du libraire ! Mais, c’est avant tout avec grand professionnalisme, et chacun dans leur domaine, que depuis 2005 Bruno Liscia et Jérôme Dayre ont donné un sacré coup de jeune à une librairie un peu « plan plan ». Le premier préfère l’ombre et la gestion quotidienne, le second est plutôt l’as des nouvelles technologies et de la communication. Vous ajoutez à cela une équipe de lecteurs acharnés, des soirées tous azimuts, des rencontres, des concerts, des projections, des projets tout ce qu’il y a de plus innovants et voilà, Atout Livre est désormais une des librairies les plus dynamiques de Paris.

Côté livre numérique, Atout Livre est plus que prête à s’adapter. Depuis quelque temps déjà, on parle d’accueillir des bornes de téléchargement, et de vendre des lecteurs électroniques. Une nouvelle génération de libraires hybrides, donc, moitié hommes (de lettres), moitié robots, les deux pieds dans l’avenir du livre. Et en plus, Bruno, aussi expert en chiffres qu’en musique, me conseille judicieusement. J’ai trouvé mon dernier cadeau de Noël !

Concrètement Responsables Jérôme Dayre et Bruno Liscia Équipe dix libraires Superficie 330 m2 dont 280 ouverts à la vente Références 26 500

Une librairie, un livre (deux livres !) Goliarda Sapienza, trad. N. Castagné, Viviane Hamy L’ Art de la joie, Viviane Hamy, 2005 (rééd. coll. « Pocket », 2008).

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Bill Carter, trad. O. Colette Les Ailes de Sarajevo, Intervalles, 2008.


Mardi 30 décembre, Nordest, Paris 10e. Le 30 décembre à Nordest librai-

rie du 10 arrondissement, située, comme son nom l’indique, entre la gare du Nord et la gare de l’Est, on est en « phase de décompression » après les jours de folie de la période des fêtes. Patrick Bousquet, ancien de la Librairie parisienne de la radio qui a fermé ses portes en 1995, fondateur et responsable de la librairie depuis 1996, est d’ailleurs en vadrouille aujourd’hui. L’occasion de découvrir ses deux employés, pleins de surprises ! Nathalie, responsable joyeuse et pleine d’esprit du rayon jeunesse, a découvert le plaisir des livres auprès d’une libraire française à Casablanca. Après différentes expériences dans le livre ou pas – elle a même été habilleuse aux Folies bergères –, elle rejoint la librairie de Patrick en 2001. Ce qu’elle aime dans le métier de libraire, ce sont ses mille tâches passionnantes et la foi qu’il faut avoir, mais pas une foi « gonflée », une foi vraie, simple, en prise permanente avec la réalité. François, fana de bandes dessinées depuis qu’il sait lire, a quitté l’Aube et Romilly-sur Seine pour être libraire : formation à l’Asfodel19, apprentissage au sein de librairies BD et beauxarts, Virgule et Artem, un passage à la Fnac, puis Nordest en 1999. En 2002, il part pour La Martinique et travaille à Casa Bulles, la librairie BD de Fort-de-France. De retour en 2004, il réintègre Nordest, en attendant d’autres aventures. La librairie n’est pas informatisée, Nathalie me montre comment fonctionne le système des fiches en papier que l’on glisse à la dernière page du premier livre d’une pile. Elle n’a jamais travaillé que comme ça et ça lui convient très bien… Je descends la rue vers la Gare du Nord, les départs de train de banlieue c’est au bout du quai, sur une deuxième plateforme d’où partent les voies vers ces terres inconnues... Surtout ne pas se tromper, «- celui-ci passe bien par Enghien ? Oui ?, merci Madame !» e

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19. Association de formation de la librairie, aujourd’hui INFL.

Concrètement Responsable Patrick Bousquet Équipe deux libraires Superficie 85 m2 Références 12 000

Une librairie, un livre Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund, Calmann-Lévy, 1948 (rééd. coll. « Le Livre de poche » , 2007). Je me suis souvent servi de Narcisse et Goldmund comme d’un « déclencheur » . Ce magnifique roman initiatique sur fond de Moyen Âge a obtenu un indice de satisfaction très élevé auprès d’ adolescents récalcitrants à la lecture. Mais il convient également aux adultes désireux de faire connaissance avec l’auteur du Loup des steppes, premier prix Nobel d’après-guerre (1946). Deux personnages principaux très incarnés, aux contours psychologiques très précis et animés par un idéalisme tout adolescent, exercent sur les lecteurs un très fort attrait. L’aventure de Goldmund est une leçon de vie que l’on n’oublie plus.


Mardi 30 décembre, Antipodes, Enghien-les-Bains. À Enghien-

les-bains, à la librairie Antipodes, il n’y a pas non plus de système informatique, et Linda et Bruno Cassou, mère et fils, préfèrent s’en passer et préserver le rapport intuitif, voire charnel qu’ils entretiennent avec tous les livres de la librairie. Linda ne sait d’ailleurs faire que cela et n’a jamais souhaité faire autre chose, et ce depuis tout petite.

Dès qu’elle a pu, elle a travaillé en librairie le week-end, le soir après les cours – avant d’obtenir son premier poste, qu’elle a gardé dix ans, dans une librairie du Val-d’Oise. Ensuite, c’est Millepages à Vincennes – à l’époque, la librairie est toute petite et Linda travaille seule avec Francis Geffard20 –, la Librairie parisienne de la radio (avant l’arrivée de Patrick Bousquet), puis Enghien-les-Bains au début des années 1980. En 1995, elle ouvre Antipodes au sein d’un quartier neuf de commerces et d’habitations au cœur de la ville. La librairie s’agrandit en 2003, Linda et son fils Bruno rachètent un magasin de mode anglo-saxonne limitrophe dont ils ont gardé le très beau mobilier de bois clair que le menuisier a copié pour habiller l’ensemble des murs de la salle, désormais la pièce principale de la librairie.

en ce moment le livre et des planches originales de l’album jeunesse Petit carreau de Tosca (paru aux éditions Chandeigne), que les libraires ont reçu au mois de décembre. L’après-midi est gelé, les trottoirs de la ville de vrais patinoires, quelques clients s’aventurent jusqu’à la librairie, Linda aimerait qu’ils soient un peu plus nombreux, les 30 et 31 décembre sont censés être de « grosses journées ». Mais Bruno a ainsi le temps de se lancer dans une conversation de haut vol sur l’effet Tcherenkov avec son ami astrophysicien. Lors de ma dernière visite, Linda m’avait conseillé, et j’ai lu avec beaucoup de plaisir L’Étrangère aux yeux bleus21 de Iouri Rythkéou. Cette fois je me laisse convaincre par Jean-Baptiste : je repars avec La Peau et les Os22 de Georges Hyvernaud et L’Homme au marteau23 de Jean Meckert. Ce n’est pas très gai, mais très beau, m’assure-t-il. L’Enfant du peuple ancien est, comme au Livre Phare, à Concarneau (cf. page 103 partie été) un des livres piliers de la librairie, d’ailleurs Anouar Benmalek est le parrain de la librairie.

Cela m’avait surpris lors d’une précédente visite : l’absence totale de signalétique. C’est un parti pris. Ici, soit on prend le temps de chercher, puis on s’approprie les lieux, soit on se fait conseiller par Linda, Bruno ou Jean-Baptiste qui a rejoint Antipodes en 2003. La vitrine aussi évite la facilité : point de mise en avant de nouveautés, ou de coups de cœur ; mais une thématique unique,

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20. Francis Geffard dirige la collection « Terres d’Amériques/Terres indiennes » aux éditions Albin Michel. Sa librairie Millepages a vingt-cinq ans.

21. Actes Sud, 2001 (rééd. coll. « Babel », 2002). — 22. 1949. Réédité au Dilettante en 1993, puis chez Pocket en 1998. — 23. 1943. Réédité par Joëlle Losfeld (collection « Arcanes ») en 2006.

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Concrètement Responsables Linda et Bruno Cassou Équipe un libraire Superficie 100 m2 (+ 10 m2 de bureaux) Références 20 000

Une librairie, un livre Anouar Benmalek, L’Enfant du peuple ancien, Pauvert, 2000 (rééd. coll. « Livre de poche, 2008).


Mercredi 31 décembre, la Réserve, Mantes-la-Ville. Dernier jour de l’année, dernière librairie que je visite, La Réserve, dans le département des Yvelines, à une heure et quart de Paris depuis la gare Saint-Lazare en train omnibus, 1 500 kilomètres de Madrid… Créée en 1977, la librairie est tout d’abord installée à Mantes-la-Jolie, puis elle a traversé la frontière avec Mantes-la-Ville, matérialisée par la voie ferrée et la gare, à cinq minutes à pied.

Une librairie, un livre George Dawson, Richard Glaubman, trad. B. Blanc Life is so good. Je suis né au Texas il y a 102 ans, Payot, 2000 (rééd. coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2002).

Depuis le début, l’histoire de la librairie est collective. C’est grâce à des amis et associés que Stéphane Bernard l’a ouverte et a pu la développer. Aujourd’hui, c’est son troisième emplacement, elle occupe 220 m2 d’un ancien entrepôt de fruits et légumes que Stéphane a acheté avec ses amis de la biocoop du Mantois24. Les deux magasins profitent ainsi de l’attractivité de chacun et d’un grand parking commun, apportant une réponse aux problèmes de stationnement du centre-ville. Bientôt, le partenariat va évoluer : la biocoop ouvrira un nouveau magasin à 60 kilomètres d’ici, dans lequel La Réserve proposera sur 50 m2 une sélection de livres sur des sujets en lien avec les produits en vente : santé, nature, écoconstruction, développement durable… et aussi une sélection de romans, les nouveautés et les coups de cœur du libraire. L’histoire collective se déroule aussi hors de la librairie. Stéphane a, depuis la création de la librairie, toujours fait partie d’un réseau de libraires, d’abord L’Œil de la lettre, aujourd’hui Initiales. Il insiste sur l’importance d’appartenir à une action collective, pour donner du sens à son travail dans sa librairie, relier des pratiques comparables, agir au sein de la profession et donner une meilleure visibilité du métier aux clients. 70

24. pagesperso-orange.fr/biocoopdumantois/

Concrètement Responsable Stéphane Bernard Équipe cinq libraires et un comptable Superficie 220 m2 Références environ 35 000


Fin. Je reprends le RER dans le sens du courant, vers Paris et les dernières heures de l’année. Cette fois, mon voyage est vraiment terminé. Je ne sais pas encore ce qui me manquera le plus, les paysages qui défilent, les doux balancements du train, ma joue contre la vitre froide, les arrivées un peu engourdies… ou le temps passé à fureter entre les tables, à regarder les étagères, toucher les livres, écouter toutes ces histoires de livres, ces histoires de vies. Les menaces qui ont pesé sur la librairie indépendante cette année se sont éloignées. L’amendement du député agenais Dionis du Séjour25 à la loi Lang permettant les soldes à l’issue de la première année de parution a été retiré ; en effet, sachant que « les livres publiés depuis plus d’un an représentent en moyenne 50 % du nombre d’exemplaires vendus et plus de 80 % des titres vendus », la librairie indépendante et la diversité éditoriale avaient bien trop à perdre. Le prix restera unique pendant deux ans. Et, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, un accord26 concernant les délais de paiement a été signé accordant une dérogation à la librairie indépendante. En effet, le passage à 45 jours que la loi voulait lui imposer a été 25. Amendement présenté au mois de mai 2008 dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie. — 26. Accord dérogatoire signé le 23 décembre 2008.


considéré comme incompatible avec le cycle d’exploitation du métier et ses capacités financières. Une proposition de loi a été déposée par Hervé Gaymard, début décembre, visant à exempter complètement le livre de l’application des nouveaux délais de paiement, doit être examinée et votée. Mais la situation reste fragile, la gratuité des frais de port n’a pas encore été considérée contraire à la loi Lang, les sites de vente en ligne continueront donc d’exercer leur force financière sur un marché structurellement déjà fragile et d’user de toute leur influence pour s’imposer. Pour les défenseurs de la diversité éditoriale, la vigilance devra être permanente et le soutien au rôle de passeur du libraire qui « assume de fait une mission de service culturel pour le public, en mettant à disposition du plus grand nombre les dizaines de milliers de livres qui ne figurent jamais dans les listes des meilleures ventes27 » devra être inflexible. Tel est, notamment, l’objectif du label « Librairie indépendante de référence » (Lir) qui sera bientôt attribué aux librairies indépendantes répondant à des critères de qualité (fonds, programme d’animations…) Qui sait, peut-être qu’un jour et malgré les embûches et les risques, 27. Benoît Bougerol, président du SLF.

moi aussi j’ouvrirai ma librairie ? Je suivrai l’exemple de Wilfried, de Marie, d’Olivier et Philippe, de Régis, de cette nouvelle génération de libraires, aussi lucides que passionnés, qui se battent avec bonheur pour faire vivre le livre. Pour l’instant, je suis heureuse d’avoir créé, le temps de ce voyage, un lien entre tous ces lieux, à la fois uniques et si proches, mélange subtil de chiffres et de cœur, de raison et d’amour, qui sont comme les étoiles essentielles et discrètes d’une constellation qui brillera, c’est sûr, encore longtemps.


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