Irreverent est un objet artisanal et rare qui offre un espace à des travaux inédits et des créations libres d’artistes. Chaque numéro est consacré à un thème que ces gens de texte ou d’image sont chargés d’illustrer. Depuis sa création en 2007, Irreverent a publié 175 contributeurs.
Ă Jeanne et Lucie
L’autre
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Sommaire 6 9 10 17 22 36 46 52 54 56 58 60 62 69 71 72 76 80 83 90 91 94 97 100 110
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L’hiver est lent « Je est un autre » L’autre Heimatlos Ago-e Marche dans la beauté Prisme Vous Untitled 6 fois 2 i-Giaconda Terry Lace Les anonymes Regard Requiem pour un molosse Rendez-vous Une autre vie Les sentinelles L’autre rive L’autre … à d’autres Régine et le loup Décors montagneux L’autre bouquet final L’homme qui habitait le studio voisin de l’appartement de mes parents lorsque j’étais enfant « Other Anothers » Esthétique de l’artifice (extrait) Contributeurs
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« Le rêve touche la région où règne la pure ressemblance. Tout y est semblant, chaque figure en est une autre, est semblable à l’autre et encore à une autre, et celle-ci à une autre. On cherche le modèle originaire, on voudrait être renvoyé à un point de départ, à une révélation initiale, mais il n’y en a pas : le rêve est le semblable qui renvoie éternellement au semblable. » Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, p. 355 (Gallimard, 1955)
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Texte : Lucie Esnault - Bronze : Denis Esnault - L’Elan*, 2014. 1/8. 30 x 10 x 12 cm. Le Floch fondeur
L’hiver est lent
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* inspiré du film L’Elan d’Etienne Labroue coécrit avec Marc Bruckert
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Massimo Piersanti, Giuseppe Penone, série « Rovesciare i propri occhi »
« Je est un autre » Arthur Rimbaud à Paul Demeny, dans Lettre du voyant (15 mai 1871) - Photographie : Massimo Piersanti
« (…) Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! (…) La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage. Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! »
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L’autre Texte : Marie Demestre Photographies : Frédéric Stucin
Paris, le 11 janvier 2015.
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Je suis un canal. Je me crois libre mais suis destinée à n’être que l’effigie de mon ombre. Il fut un temps où je croyais en notre irresponsabilité. Et puis j’ai vu. L’autre. J’ai vu dans vos yeux que nous étions aveugles. Pas aveuglés, non. De nature, nous nous étions retrouvés au large de nous-mêmes. Je ne savais pas encore que combattre était irréductible à notre foi. J’avais le goût du désaccord, l’attitude qui fait place nette. Le drame à la commissure des lèvres. J’avais mal et j’aimais cela. Puisque vivre c’est sentir. Puisque vivre c’est se saisir. Je n’ai à cœur que de vous aimer, autres, semblables. Je ne m’extrais pas de la masse populaire, autoritaire. Je ne veux pas m’en désolidariser car je n’en ai pas le droit. Nous sommes tous, un. Un con commun. Un tronc commun, c’est selon. Du reste, je ne participe pas aux liesses collectives pour être debout à vos côtés. Je m’y rends pour y être debout, simplement. Entre mes doutes et ma foi. Ma foi… Qu’y puis-je ? Je suis descendante de tziganes, gitans impopulaires, marocains, portugais. Je m’enorgueillis d’être le fruit d’un métissage. Mais au fin fond de mon âme, je suis juive. Je suis errante. Je suis aussi vieille. Adoubée par le temps. Jeune, j’avais l’énergie. Je ne m’en servais pas. Je perdais mon temps. Plusieurs décennies dans cette vie, dans un cycle qui se perpétue. L’autre me fait face. Oui, toi. Horloge, ombre, aiguilles. Le métal froid de l’espérance glace mes espoirs. Vous êtes debout mais en quel état ? Et qui êtes-vous ? Errant ? Comme moi ? Vous ne le savez pas, je crois. Tu me regardes et me demandes de m’engager. Mais je me lève tous les matins. Je le suis déjà. Je m’engage chaque matin à finir ma journée. Alors laisse-moi. Même si tu as peur de me voir immobile, sache que mon esprit turbine bien plus que mes jambes. Aux âmes citoyens, tu dis. Tu es un cliché, mais je ne t’en veux pas. Tu es un topos humain, tout comme je le suis. Est-ce une raison pour m’en convaincre ? Je ne le sais que trop, tu déambules, prends la parole. Oh oui, tu la prends. Tu l’ôtes des mains de ceux qui aimeraient exprimer et matérialiser leur silence. Un cri doit être entendu, sinon il meurt dans le regret de l’inexpression. Toi tu moulines, c’est fou, je n’avais jamais vu cela. Tu brodes, compliques, tergiverses et apostrophes. Tu t’agites. Je dois t’énerver, je le reconnais. Je dois terri-
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blement t’énerver. Tu me mitrailles, me tacles et me secoues. Rien n’y fait. Je suis descendue dans mon cœur. Ressourcée. Je t’invite à le faire. Prends garde. Je suis aveugle aussi. Je suis aveugle. Nous avons tous notre mot à balancer au premier innocent de passage. Mais cette violence, celle dont je parle, et que tu ne comprends pas, ou plus, n’a pas lieu d’être. Tu es un diamant. Pas un diamantaire, ne l’oublie pas. Offusque-toi et dis NON. Tu sais que la reconstruction nécessite l’ouverture du cœur. Mais tu ne veux pas t’y résigner. Ce serait trop bête ! Ah non ! Pas l’amour ! Je crois que tu fais fausse route : non pas qu’il y en ait une de viable. Mais tu creuses là où tu as mal. Alors que le NON n’a de chances de progresser que dans la justice. Bien sûr, tu détestes. Et c’est ce qui te maintient alerte. Ta veille n’est pas une lacune. Je te dis juste que ton chemin n’a de sens que s’il accepte le mystère. Tu es né homme, femme, infirme. Soigne-toi s’il te plaît. Ouvre ta plaie, cautérise-la et apporte-lui du sens. Ta désespérance est ce que tu as de plus précieux car elle possède en revers, la fiabilité d’une union programmée. TU ES PROGRAMME. Je comprends que tu ne l’aies pas vu, ceci est si imperceptible. Offre-toi l’opportunité de t’aligner. Dis NON, d’accord. Mais cherche ton humanité. Au-delà du cliché que tu es. Je dois te paraître moraliste. Mais je suis un canal, souviens-toi. Je te l’ai confié plus avant. Je suis un canal. Cette connexion je te la dois, esprit. Autre. Mon corps et ma voix ne dépendent que de toi. Mais j’agis avec inefficacité dans ce monde de résultat. Bilan : mon inaction apparente me conforte dans le fait que je fais partie du Tout sans culpabilité. Si toi tu cries, je me tais. Et cet équilibre nous va bien, n’est-ce pas ? La partie congrue est lésée par définition. Mais elle existe. Et je n’ai pas peur de te le dire. Je suis. Je suis je suis je suis je suis. Et mon ego me porte sans cesse à le penser. Mon âme est plus tranquille à ce propos. Plus réservée. Plus timide. Nous sommes des Tirésias inversés. Deux yeux et pas de regard. Deux iris et un voile opaque ne forment qu’un halo sombre, souviens-toi. Ne crois pas que je puisse t’aider à le retirer autrement qu’en cessant de parler. Tout est lié. Tu me proposes la vue et le cri. Mais je te parle de vision et de sage aphasie. Comment nous entendre ? A propos, j’ai complètement oublié de te dire : TAIS-TOI s’il te plaît. Avec
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tout le respect que je ne te dois pas. Tais-toi. Vous m’empêchez de vibrer, toi et ta tristesse sauvagement conservée. Ah, tu la bénis celle-là. Tu la bénis ton indignation. Après tout, chacun son trésor. Pour cela, je ne t’en veux tellement pas, si tu savais. Je te comprends même. Et n’ai rien à te pardonner. Chacun se forme à sa résistance, la tienne est ta bouée. Elle est belle, bien polie. Lisse et déjà vue. Mais elle t’appartient et je t’en félicite. Mais ne t’y enferme pas. Disons que je te conseille de laisser une porte entrouverte. Notamment celle qui te permettrait de descendre au fin fond du fond des tréfonds fondateurs. La petite porte sans poignée qui s’ouvre au sésame de ton silence. Un silence révolté, je te rejoins bien sûr. J’entends des sirènes au dehors. Je pense à Ulysse. Je suis frappée par ton discours. Non pas qu’il soit pertinent. Mais il exprime manifestement ta perdition. Il est de toute beauté, fait appel à des valeurs terriblement séduisantes. J’en tomberais presque l’armure d’idéaux qui me permet de marcher avec toi. Mais quelque chose cloche. Les sirènes ? Impossible d’identifier le son de notre désaccord. Il est beaucoup moins sonore que notre conversation. Je le sens pourtant, le bruit de ton vide. Il résonne si péniblement contre la paroi de ton cœur qu’il finit par m’atteindre en filigrane, j’en ai bien peur. Je vais te confier quelque chose : seule ton agitation m’effraie. Elle fait la part belle à l’immobilisme. Permetsmoi de te féliciter à nouveau. Mais ne vois-tu pas quelle montagne tu t’apprêtes à escalader ? Ah tu me rassures. Merci d’en avoir prononcé l’occurrence. Ego, car il s’agit bien de cela. La belle révolte n’est ni signataire, ni selfisable. Encore moins réseautable. C’est cela la liberté : je peux dorénavant créer du néologisme autant qu’il m’en plaira. L’autre. Le réseau. Aujourd’hui si tu n’en as pas, tu te penses exclu du monde. « Je ne capte pas. » En effet, tu ne captes rien, mon vieux. « Je m’exprime sur les réseaux. » Si tu en es convaincu, gloire à toi. Alors tu peux me dire que des révolutions ont débuté grâce à l’invention génialissime de Monsieur Zuckerberg (oui, souvent tu uses du superlatif comme d’un acmé sémantique).
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Musta Fior
Tout ceci est un leurre, cher ami. Mais si tu signes des pétitions avec ton cœur plus qu’avec ton ego, j’en suis ravie. En parlant de ravissement, n’as-tu pas le sentiment de te faire prendre en otage ? Le débat est ouvert, je te laisse réfléchir la lumière de cette modeste pensée. Je ne saurais me départir de cette masse d’êtres cherchant à extorquer l’avoir. Dans cette lignée de publications accusatrices, défilent la haine de soi et des autres. Déculpabilise, bon sang ! Unis nous sommes dans cette quête. Ne te pense pas en échec dès lors que tu convoites le bonheur. Tout est normal dans ce monde sans creux ni quête. Personne n’accepte le silence régénérant pour ce qu’il est. Alors tu remplis tu remplis. Tu publies. Tu es indécis même. Parfois la caresse de la plume, d’autres fois la lacération du fouet. Tu veux réveiller ton peuple, quelle noble idée. Mais tu choisis tes mots, alors que ce sont eux qui devraient te choisir. Tu apocalypses ton propre langage, prends un mot pour un autre et ignore sa charge sémantique énergétique. J’aurais voulu que tu divagues, mais même cela tu n’y parviens pas. Le contrôle. Comme à l’école. Tu me diras aussi combien d’années tu as usées sur ses bancs. Je te propose de créer. Des valeurs. Des langages. Des codes à déchiffrer pour ton bon plaisir. Je te propose de te laisser aller à la divagation intime d’un espace si peu visité. Je te propose d’explorer ton âme. Cet autre en toi. Qui te permet de me comprendre, moi. Ton étranger. Et au passage, allume la lumière s’il te plaît, on n’y voit rien.
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Heimatlos Collages : Musta Fior
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Musta Fior - Marc Allen Upson
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Ago-e Texte : Isabelle Simonnet Gravures : pascale hemery
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Amis, Cette histoire est la nôtre. Elle s’inscrit dans la nuit. Elle s’inscrit dans l’aube où nous avons franchi le seuil. Nos pas sont liés. Nos souffles portent Celui qui EST. Dans le linceul de ceux dont on ne connaît pas le nom. Dans le sel des eaux. La fissure des eaux. Sur la terre de nos crépus Nous marcherons ensemble En la nuit de l’immonde Au seuil inhabité Car je vous le dis, La formule garde l’inséparé Et la douceur, et la beauté plus grandes que la baie qui vit naître l’enfant. Rien n’existe par soi-même. Rien n’a de soi que manifesté. Ayibobo. Ainsi soit-il, Amen. Portez cette nuit à vos lèvres. Qu’elle y coule comme du velours de crasse. Qu’elle pisse sur l’inutile. Portez cette nuit à vos lèvres. Nuit de gamelles / savates traînantes / éjaculations / rires / bordel Nuit de palabres collées aux murs. De pannes à réparer encore et encore à suer, avec les gosses entre les jambes. Nuit vandale jamais repue de nos débris. Nuit de débris plus lumineuse qu’une comète sur l’écume d’Ayiti (1). Et qu’à force de soif, vos lèvres se ferment sur l’ineffable. Cette nuit-là, Saturnin ne dormait pas. Il savait l’acte de l’aube. Il savait les trois marches. Après, il oublierait dans la krémass (2). Il s’accrocherait au naufrage de ce terib bidonville de La Savane. (1) Haïti (2) Breuvage alcoolisé haïtien, sucré, crémeux
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Ses grands bras posés le long du corps comme des branches de bwa twompet (3), il respirait à peine. « Oh Bondye mwen (4) ! Quand on n’a rien on peut encore nous avilir ! Bondye mwen ! Mizé (5) est plus grande si on t’arrache à toi-même ! » Il n’avait pas besoin de les regarder pour les savoir recroquevillés la mère et l’enfant, yeux grands ouverts l’un dans l’autre. Sa petite femme aux seins de terre sèche. Aux seins de crevasses. Les yeux grands ouverts l’un dans l’autre. A s’aimer plus que des rêves glissés dans une griffure. A s’aimer de chair. Plus que la douceur du premier jour. Et plus que lui-même, Saturnin, ne recevrait dès lors. C’était un regard d’enchaînés nus comme un fil tendu, agrippés l’un à l’autre. Déjà en souvenir de l’effroi à venir. L’enfant avait remué les lèvres. Elle le tapotait doucement. Il savait qu’il n’y aurait rien d’autre. Il ne pleurait pas. Il était dans son odeur. Dans le chaud de cette odeur. Dans l’originelle matrice. Ses pupilles étaient noires tel le bétyle d’Elagabal. Rose sa bouche de goyave. Le ventre gonflé et les membres maigres. Saturnin aimait l’enfant. Aimait la femme. Amis de bien et de sang, écoutez cet amour. Ne vous arrêtez pas. Je vous l’ai dit. Nous marcherons ensemble. Nous tomberons dans la fissure des eaux. Dans la fêlure des larmes. Nous extrairons nos membres des râles assoiffés. Nous abîmerons au regard du bétyle. Car je vous le dis, l’amour est comme la mer, il n’a ni début ni fin. Car je vous le hurle, l’amour est comme la mer. Il garde les absents les absents qui reviennent et qui vont qui ne sont jamais vraiment partis qui jamais ne reviennent vraiment. Ce que portait Saturnin en lui, c’était cet amour pour l’enfant et la femme. (3) « Bois trompette » : arbre en Haïti dont les branches creuses et cloisonnées sont utilisées pour faire des tambours (4) « Oh mon Dieu ! » (5) Misère
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Pascale Hemery
Là était son être, là était l’ultime demeure. Amis de bien et de sang, écoutez cet amour. Rien n’existe par soi-même. Rien n’a de soi que manifesté. A l’aube, Saturnin a levé son grand corps. Cela est dit. Il avait eu toute la nuit pour que le corps sache. Que le corps accomplisse. Il fit ses ablutions. Enfila une chemise et un pantalon blancs. Posa dans une coupelle des grains de café, dans l’autre du sucre. Puis il se retourna. Ils le regardaient. L’enfant et la mère. Peau contre peau. Serrés. Il s’agenouilla devant eux. A présent, ils formaient un tout ; front contre front, serrés. Là était sa demeure. Son essence. Dans la femme, et l’enfant. Dans ce chaud d’avant la pensée. Où qu’il soit, lui, Saturnin, ils seraient à jamais sa mémoire et son oubli. Ses bras prirent l’enfant. C’était la première marche. La femme laissa faire. Or ses lèvres remuaient. Il ne l’avait pas entendue dans la nuit. Mais son ventre et ses lèvres bougeaient. Ils fredonnaient depuis la nuit : « Dodo ti pitit manman do-o-do ti pitit manman Si ou pa dodo krab la pral manje’w Si ou pa dodo krab la pral manje’w Manman ou pa la lalé nan maché papa ou pa la l’alé larivyè Si ou pa dodo krab la va mange’w Si ou pa dodo krab la pral mange’w » (6)
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Il prit un sac de sport. Mit l’enfant dedans. Fit glisser la fermeture éclair. Juste ce qu’il fallait pour que le petit respire. Le porta contre son torse. Du fond du sac les pupilles noires regardaient. Comme un fil tendu elles traversaient sa poitrine jusque sa petite femme aux seins de lames. Il l’entendit tomber à terre. Traversaient sa poitrine pour la soulever comme un pic, un balancier. Pour pas tonbe, pas mouri manman, manman chérie (7). Alors elle se jeta à ses pieds. Elle baisa ses pieds. S’agrippa à ses pieds. « Oh Saturnin, donne-nous encore aujourd’hui. Saturnin pitye (8). Erzili sauve nou. Erzili (9) me donnera du lait. Pitye mon amour ! Pitit mwen (10) ! Dodo ti pitit manman do-o-do ti pitit manman ! » Elle labourait ses chevilles. Lui lacérait les jambes de stalactites surgies de ses anthracites. « Renmen m (11), mon amour, mennaj mwen (12), bebe mwen (13) Pitye ! Pitye pa fé sa ! (14) » Là était sa demeure. Son essence. Dans la femme, et l’enfant. Mais le corps savait ce qu’il devait accomplir. Il franchit le seuil. La deuxième marche commençait. Amis de cuivre et de sel, Cette histoire est la nôtre. Elle s’inscrit dans l’aube de l’inhabité. Nos pas sont liés. Nous marcherons sans nous regarder. Je vous l’ai dit. Nous chanterons dans la merde Nous hurlerons dans nos génitaux Nous renaîtrons des obscures amnésies
(6) Berceuse haïtienne. (7) « Pour ne pas tomber, pas mourir maman chérie » (8) Pitié (9) Déesse de l’amour dans le vaudou (10) « Mon petit » (11) « Maman t’aime » (12) « Mon adoré » (13) « Mon bébé » (14) « Pitié ne fais pas ça »
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Dans le sel des eaux, la fissure des eaux Nous chanterons la douceur et la beauté qui firent naître l’enfant. Saturnin avançait dans La Savane. Du fond du sac les pupilles noires le regardaient. Il murmurait « Dodo ti pitit / Si ou pa dodo krab la pral manje’w ». Mais les sombres irradiaient dans l’interstice du métal. Devant la grille il s’arrêta. « Hôpital Immaculée Conception ». Il ne connaissait pas les écritures. Mais il savait que c’était là. Quand ils furent seuls, l’enfant et lui, il ouvrit le sac et déposa sur le sol le bébé, si léger. « Papa renmen ou pitit gason m, manman renmen, manman ou pa la lalé nan maché, dodo titit krab lan kalalou dodo titit krab lan Kalalou. Yon lòt manman ap vini (15). » Il attendit longtemps caché. Les bras lestés au corps. Pour ne pas chavirer avant que. Puis quelqu’un prit l’enfant. Entra dans le bâtiment. C’est à cet instant que le petit hurla. Saturnin s’affaissa. « O mon fils ! O mon fils ! Pou ki sa ! Mizé est plus grande si on t’arrache à toi-même ! Mizé est plus grande ! O bébé mwen c’est pas abandon. Devant nos ancêtres je le jure ! Devant Maîtresse Erzili je le jure ! Un autre papa, une autre maman sont en chemin. Ils veillent déjà sur toi. Sois heureux ti moun mwen, sois un grand homme ! Ago-é ! » Le cri brûlait sa peau. Frappait ses tempes à l’éclatement. Ce cri d’effroi était le leur. Battant le linceul océanique de ceux dont on ne connaîtra jamais le nom Battant le pubis de celles dont on ne connaîtra jamais le nom Battant les séparés dont on ne connaîtra jamais le nom
Pascale Hemery
(15) « Papa t’aime mon petit garçon, maman t’aime, maman n’est pas là, elle est partie au marché »
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Comme on bat du linge pour en ôter les poussières Et Heureux soient les vivants qui même à quatre pattes, même à bout, peuvent prendre les scories Heureux soient ceux qui peuvent les nommer et les chérir Car d’une infime particule Vient l’apaisement. Mais ceux dont on ne connaîtra jamais le nom Ne sont pas même écume Aux cils des marchant Les non nommés Qui pourtant furent enfantés Les non nommés Qui pourtant savaient les rites Qui pourtant savaient les rythmes Les non nommés Dans le fer des eaux Dans le bois des eaux Dans le fer, le bois, le sang Des tempes Dans le cri. Saturnin se releva. La troisième marche était devant lui. Et quelle est la plus difficile de toutes ? Amis je vous le demande. Mais nous avançons ensemble sans nous regarder. Chacun avec la question. Les ténèbres avalent la lumière - la lumière embrase les ténèbres. Et qui peut dire, qui peut dire l’ineffable? Seul Legba, l’Invoqué, porte le Verbe et le Silence. Amis de peine et de bonté, Nous sommes au commencement. Cette histoire est la nôtre. Elle s’inscrit dans la nuit.
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Elle s’inscrit dans l’aube des marches. Nos pas sont liés. Nos souffles portent Celui qui EST. L’enfant est au-delà de la baie qui le vit naître. L’enfant est mort une première fois. L’enfant est né une seconde fois. Dans le linceul de ceux dont on ne connaît pas le nom. Dans le sel des eaux. La fissure des eaux. Dans l’Autre qui veille par delà l’océan. Et l’amour front contre front serrés. Dans les profondeurs du bétyle d’Elagabal Pareilles à des lucioles éclairant les ombres. La formule porte en elle l’oubli. Le seuil inhabité. Et la douceur, et la beauté au bout du balancier.
Pascale Hemery
Rien n’existe par soi-même. Rien n’a de soi que manifesté. Ayibobo. Ainsi soit-il, Amen.
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Marc Allen Upson - Fred Blanchard
Marche dans la beautĂŠ Photographies : Flore-AĂŤl Surun / Tendance Floue et Pierre-yves Brunaud / Picturetank
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C’est l’histoire de la rencontre entre deux êtres ; entre deux sensibilités tendues vers un même désir de contemplation du monde ; une marche amoureuse qui prend son temps, dans un souffle régulier réglé sur le pouls de la Terre ; un jeu de miroirs où chacun explore son intimité et se dévoile sous le regard de l’autre, avec le filtre naturel du rapport au paysage, au corps et à la sensualité.
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Le chant de la nuit
Extrait de cérémonie de guérison Navajo en Tsegihi Dans la maison faite d’aurore Dans la maison faite de crépuscule Dans la maison faite de sombres nuages (…) Dans la maison faite de pluie femelle Dans la maison faite de pollen Dans la maison faite de sauterelles Quand le sombre brouillard barre la porte Le chemin pour le traverser se trouve dans l’arc-en-ciel (…) Avec le sombre tonnerre audessus de toi, élance-toi vers nous
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Avec les nuages façonnés à tes pieds, élance-toi vers nous Avec l’obscurité lointaine faite de sombres nuages au-dessus de ta tête, élance-toi vers nous (…) Avec les éclairs sur le faîte, au-dessus de ta tête, élance-toi vers nous Avec l’arc-en-ciel accroché à la voûte au-dessus de ta tête, élance-toi vers nous Avec l’obscurité lointaine faite de sombres nuages au bout de tes ailes, élance-toi vers nous Avec l’obscurité de la terre, viens à nous
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Je t’ai offert le sacrifice rituel J’ai préparé le pollen pour toi. (…) Avec joie, mon intérieur s’apaise Avec joie, mes membres retrouvent leur force Avec joie, ma tête devient calme Avec joie, j’entends à nouveau Avec joie, je marche Insensible à la douleur, je marche La lumière en moi, je marche Sentant la vie, je marche. Avec joie, les enfants te regarderont Avec joie, les aînés te regarderont
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(…) Dans la beauté, je marche Avec la beauté devant moi, je marche Avec la beauté derrière moi, je marche Avec la beauté au-dessus de moi, je marche Avec la beauté au-dessous de moi, je marche Avec la beauté tout autour de moi, je marche Tout est fini dans la plénitude Tout est fini dans la plénitude.
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Prisme Texte : J茅r么me Suzat Peintures : Corinne Jullien
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1 Le secret est un secret secret un secret que l’on ne comprend pas car il n’est autre que le secret de ce qui est encore un secret. 2 Je prends ton visage et je prends ton ombre je prends le vide que tu crées et je m’y mets parce que je n’ai pas le choix parce que je suis là où tu n’es pas. 3 Au-delà de la peau du regard ma chère particule sœur rien ne me relierait à toi si les mots du monde n’étaient pas, 4 les mots du monde animal les mots du monde électrique les mots du monde parfum les mots du monde humain. 5 La mort est un état sans langage.
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Corinne Jullien
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Corinne Jullien
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Fabrice Praeger
Vous Texte : Gabrielle Jarzynski Dessin : Alexandre agniez
Trouve les 777 diffÊrences entre ces 2 images !
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Vous êtes face à ma face. Un miroir. Vous êtes la bulle contre ma bulle. Un dédale. Qui êtes-vous ? Vous. Vous vous engouffrez vers les ténèbres. Une fosse aux lions. La noirceur est puante l’urine jonche les dalles de béton. Hommes Femmes Monde des gladiateurs les spartiates ont été vaincus. Vous vous faufilez dans la machine du diable. Vous êtes assis. Vos ischions. Vous écoutez. Soprano tu m’endors. Vous observez. Dame mère tu me crispes. Vous ressentez. Sale mioche tu m’étrangles. Vous détaillez la cambrure de mes lèvres le charbon
de mes yeux le vin de ma peau. Où allez-vous ? Vous. Langue entre vos dents Parfum de maïs Guitare du gitan. Vous êtes la boîte rose de mes pensées. Vous êtes le poney tatoué de mes regards Vous êtes les fleurs violettes de mes gestes Vous êtes le tonnerre lumineux de cet arrêt. Mélange de peur Tremblements fascinants. D’où venez-vous ? Vous. Le métèque ils vous appellent. Alors je me suis dit. Les synoïkos dans la rue Les énoïkos dans les restaurants Les pédoïkos sur les bancs publics. Tous filles et fils de métèques. Je Nous Vous.
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Untitled Par Thomas Rimoux
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6 fois 2 Sur et sous la communication, Pas d’histoires, volet 4. Anne-Marie Miéville et Jean-Luc Godard, INA, 1976. Extraits choisis par Karine lucas
« A propos des enfants, à la naissance un enfant n’est pas agressé, il ne se sent pas ouvert ou fermé vis-à-vis de la société. Si on le pince, si on ne lui donne pas la nourriture dont il a besoin, il crie, il va dire quelque chose, sinon il ne se sent pas agressé, même par le fait que sa mère ne l’aime pas, par exemple. Il ne le sait pas encore, qu’il y a sa mère et que lui est en dehors de sa mère, qu’il est, qu’il s’appelle : moi. Mais en dehors, il y a moi et il y a dehors. Et bien, dehors, c’est tout ce qui n’est pas lui, c’est l’autre. Quand on regarde cette image, on voit que moi, l’autre il est tout seul, pourtant il y a l’autre, moi devient l’autre et l’autre devient moi, et comment ça peut se faire que moi devient l’autre et l’autre devienne moi ? Il y a une circulation de moi à l’autre, ça circule et si ça circule comme ça, c’est qu’il y a ça, c’est là que ça se fait, c’est ça que finalement, il appelle moi. S’il peut appeler ça moi, c’est parce qu’il est devenu l’autre, moi est un autre, Je devenu un autre. Il y a une circulation, là on le voit très bien, je fais ceci. Je est à moi. Ce mouvement-là est à moi. Si ça fait comme ça, il y a passage. Le passage, il est là, ce qui sépare moi de l’autre. C’est donc la séparation qui est importante, de voir et de montrer. Il y a deux choses, il y a 1 et 2 ou le contraire, et il y en a une troisième qui est entre 1 et 2. Celle-là, on ne la montre jamais, c’est ça qui est intéressant, c’est de
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montrer, montrer entre 1 et 2, un dehors et un dedans. L’important, c’est la séparation. C’est parce qu’il y a séparation, qu’il y a circulation. Par exemple, là il y a la faim, et là il y a l’amour. Alors comment l’amour va aller à la faim et comment la faim va aller à l’amour. (…) Il y a toujours une distance, elle varie sinon, il n’y a pas de communication possible, c’est un mélange de temps et d’espace entre les deux. La distance est ici plus fine, c’est le toucher. Le toucher réduit la distance. Ce qui est important, c’est la séparation, ici, si on dessine la séparation un peu plus large, il a un fleuve, il y a un courant dans le fleuve qui va dans un sens et qui va dans un autre, là il y a un rivage et là aussi et un courant qui passe pour communiquer. Il passe par le fleuve pour aller à l’autre. Chaque fois, on passe par le fleuve pour aller vers l’autre. (…) Entre 1 et 2, il y a « entre », c’est la troisième partie. Il faut faire attention à ne pas l’éliminer. Eliminer le troisième consiste à dire qu’il ne faut pas de contradiction, ce n’est pas possible, heureusement ça ne va pas dans le même sens, c’est ce qui fait bouger. (…) Surface 1 et surface 2 cherchent à aller, non pas vers l’autre mais à sortir chacun de sa surface. Quand on élimine le courant, le fleuve, la contradiction, le mouvement, on élimine un troisième qui s’appelle le tiers monde, le un tiers du monde, le un tiers exclu par tous les penseurs, Aristote et les écoliers, vu ce qu’ils apprennent à l’école ! »
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est le fleuve au milieu, le courant, le courant, le courant…
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i-Giaconda Par James King
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Terry Lace Par Pauline Rivière
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Les anonymes Par Sylvie Meunier
Où comment des photographies d’amateurs deviennent des photographies d’anonymes… Un projet qui interroge l’anonymat, ce qu’il reste à voir lorsque les visages ne sont plus visibles. Cacher pour voir autrement ; cacher pour, peut-être, mieux voir.
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Lola Duval
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Requiem pour un molosse Texte : Georges Vernat
je plains ceux ou s’il fallait être honnête celui en qui je n’ai plus senti de foi cet homme-là est assurément plus mort que moi la mienne tressaille à toute heure du jour dans eh bien la voix d’un vieillard qui tremble deux seins sous un chemisier jaune elle passe et gronde comme un train aux rails imaginés d’une gare imaginaire ma foi ne sent ni l’encens ni la pierre ni le chant trafiqué des aurores du soir ou de l’orage je voudrais t’en dire le nom sa beauté pâle et sa colère bien sûr, j’éteindrai les grands mots
ces chalumeaux de cirque les harangues au sublime et au dégoût. je te dirai ce qui erre dans les formes errantes comme les mirages ont bien luisantes solides leurs racines aux quelques rues dont l’homme fait sens la gangue étroite aux millions de visages tout brûle et voudrait qu’on s’y penche la foi celle qui brûle et mérite d’être sue n’est pas fichée dans la pierre dont ils ont fait leurs panthéons elle vibre dans la vie et la mort prise et perdue d’une seule trouée sensible s’il fallait pour être intelligible de cet homme sans foi
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dont les grosses mains ne pourront jamais me saisir je lui dirai qu’il est homme de son siècle lourd comme une ville comme le béton qui la couvre puisque l’homme a mis le sixième mur sous ses pas même lourd comme les foules qui se mêlent aux panneaux de métal et se réjouissent en s’ignorant des règles qui les écrasent lourd comme sa mort dont il n’a jamais vu les yeux droits dans les siens. je lui dirai enfin que j’ai souri bien des fois de ses combats furieux contre d’autres molosses de leur fracas naissent mon silence ma douceur ma colère et ma foi
Rendez-vous Texte : Mr T Dessin : Fred Crayon
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J’aime m’installer sur cette terrasse et regarder la vie autour de moi. Le point de vue est formidable : en toile de fond, la circulation du boulevard ; au premier plan, les passants qui empruntent la rue adjacente pour se rendre au cinéma, faire leurs courses, ou s’asseoir en terrasse. J’aime regarder les femmes, certaines femmes ont des jambes d’une beauté renversante. Onze heures trente. J’attends Mila et je suis en avance. Envie de prendre mon temps, de réfléchir aussi. Je sirote mon café tranquille. La terrasse est encore à l’ombre, le boulevard en revanche est sous le feu du soleil. Une dame chic s’arrête pour laisser faire son chien. Quand il a fini, elle sort un gant en plastique de son sac, se penche et ramasse la déjection, puis elle retourne son gant en un tournemain et jette le tout dans une poubelle… Le contact avec cette matière molle, ce geste qu’elle a dû faire mille fois… Je repose ma tasse de peur que le café me reste sur l’estomac. Ce que j’ai vu est une raison suffisante pour ne jamais avoir de chien. Pour le reste, une bière me fera du bien… Je l’avale d’un trait et commande la suivante. Une bande de gamins déboule. Ils se poussent en rigolant. L’un d’eux tripote une console de jeux. « Qu’est-ce que tu fous Antoine, tu joues ? - Ouais. - Passe-moi ton jeu ! Arrête, fais pas chier… » L’autre lui pique son jeu et se taille en courant. « Putain, rends-moi ça ! Merde, c’est mon jeu ! - Si tu le veux, viens le chercher… Viens le chercher si t’en es capable. Allez, petit, petit ! » Le voleur nargue sa victime en agitant la console de manière indécente. L’autre se précipite sur lui et la course poursuite commence tout autour de la place. Les autres mômes prennent parti, excitent les deux rivaux. Les provocations se multiplient et au bout de quelques minutes, c’est la débandade. La rue résonne de leurs insultes et de leurs cris aigus « Rendsmoi ça enculé ! », « Oh, il va pleurer ». Vachards les mômes, ça commence en jeu et puis… Ce n’est pas mon problème, encore que ça va le devenir si je ne fais rien d’ici l’arrivée de Mila. Je dois réfléchir. Je regarde les bulles, les centaines de bulles qui remontent à la surface de ma bière. Le soleil gagne du terrain et réchauffe
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ma peau. Je me rends compte que la terrasse s’est remplie pendant que les gamins faisaient leur cirque. Deux filles discutent à la table d’à côté, la plus jolie a une queue de cheval et j’adore ça. Je dois peser le pour et le contre. On le garde ou pas, cet enfant ? Elle ne m’a pas dit ce qu’elle voulait, mais il n’y a pas photo, c’est plié. Elle le garde, à bientôt 40 ans… Et moi, je le sais ce que je veux ? Je mate un peu trop les filles à la table voisine. Elles me fusillent du regard, inutile d’insister. Je commande un autre demi, c’est fou ce que la chaleur donne soif. La sueur coule sur mon front. Il faut absolument que je me rafraîchisse. Les toilettes… L’autre dans le miroir me ressemble, mais il a la peau rouge et les yeux exorbités… Sacré coup de soleil ! Là non plus je ne me suis rendu compte de rien. Je m’asperge d’eau, j’éponge mon visage. J’ai l’air un peu plus frais, mais ça reste moyen. J’ai toujours dit que je n’aurai pas d’enfants. Fini la liberté avec un geignard. Dès le début, les emmerdes surgissent en rafales : les nuits, les dents, les maladies, les jérémiades, tout le bordel… Sans oublier la petite sœur qu’il faut sortir de la hotte pour Noël. Mon frangin en sait quelque chose, il a trois mômes. Comment il survit ? Un miracle. Moi je n’ai aucune disposition, je fais l’oncle deux fois par an pendant quelques jours et puis basta. Alors enfiler la panoplie toute l’année… Midi quinze. Retour en terrasse. Toutes les tables encore à l’ombre sont occupées, pas d’autre choix que de regagner ma place. Réfléchir. Les compensations avec un môme, elles sont où ? Je ne vois pas bien. Les premiers pas, les sourires, les bisous, les câlins… Je crois pas que ça pèse bien lourd face au paquet de contraintes qui fait bloc en face, sans compter le désir qui s’étiole vite fait bien fait, se fane comme une fleur en pleine canicule. La femme qui devient mère, on m’a expliqué… D’accord je suis très égoïste, mais je l’aime cette conne ! Je ne devrais pas parler comme ça, je sais, mais depuis qu’elle est enceinte je ne peux pas m’en empêcher, ça me travaille sans arrêt. Voilà que je me remets à suer, une vraie fontaine. J’ai chaud, si chaud. Il faut que je retourne aux toilettes, vite. J’agrippe le lavabo et je me dévisage. J’ai une tête effrayante… Je dois délirer ! Mes yeux et ma bouche contiennent une tête miniature, ma tête prête à sortir comme la pâte dentifrice d’un tube, ma tête en trois exemplaires dans la glace ! Je dois échapper à cette vision obscène. Je ferme
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les yeux, j’ouvre le robinet à fond et je m’asperge pendant plusieurs minutes jusqu’à ce qu’on frappe à la porte. « Tout va bien monsieur ? - Oui. Oui, absolument. - Vous êtes sûr ? J’ai entendu crier. - Ah ! Ça va, oui. - Cela fait plus d’un quart d’heure que vous êtes enfermé. » Je n’ose pas regarder le miroir. Je sèche mes cheveux et je sors des toilettes lentement. Par chance, la seule table encore à l’ombre se libère. Il est presque douze heures trente, plus que quelques minutes avant que Mila n’arrive et je ne sais toujours pas ce que je veux, ce que je vais lui dire. C’est terrible. J’ai envie de rester libre, seulement est-ce que je le suis vraiment, est-ce que ma vie me convient ? En vérité, je n’en sais rien. J’aime ma vie mais je dois reconnaître qu’à certains moments je m’ennuie un peu, beaucoup même. Cela fait quelque temps déjà que je sens un vide, que j’ai l’impression d’un manque. De là à penser que je suis mûr pour trôner derrière une poussette l’air satisfait… Midi trente. Elle va arriver d’une minute à l’autre, avec son sourire magnifique (qu’elle va retenir un peu, c’est un moment solennel), sa queue de cheval, ses jambes parfaites. Je suis mal, il va falloir être fort et je ne sais toujours pas ce que je veux, la prendre (non, ça c’est déjà fait), la garder et prendre l’enfant, mais je n’en ai pas vraiment envie, ou dire non et la perdre, et je ne veux pas la perdre. Et que deviendra l’enfant si je dis non ? Je n’arrive pas à me décider, je ne sais pas choisir… Je pourrais me lever et quitter les lieux, non ? Non, impossible. Je pourrais aussi sortir une pièce de ma poche et la jouer à pile ou face… Encore moins. Je suis coincé là, fait comme un rat, et j’ai soif, terriblement soif. Je vais commander un rafraîchissement, une eau minérale, même si ça ne me ressemble pas, et attendre. Midi quarante. Bizarre qu’elle ne soit pas à l’heure, ça ne lui ressemble pas non plus. Je vais attendre encore. Elle ne devrait plus tarder. La voilà, c’est elle qui s’approche. Je reconnaîtrais sa silhouette à cent mètres et même davantage. Elle est splendide. Je vais lui sourire et la laisser parler, on verra bien ensuite, mais pour commencer je vais la laisser parler…
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Une autre vie Texte : Pierre-Olivier François Illustrations : Julien Grataloup
Elle avait fait le pot-au-feu comme il l’aimait, en séparant bien les différents légumes à la cuisson pour ne rien perdre du goût du poireau, du céleri et des carottes ; pour la viande, un bout de bœuf bien maigre, un autre plus gras, un troisième gélatineux. Une fois, ils étaient à peine mariés, il lui avait dit que c’est comme ça qu’il le préférait. Depuis, elle reproduisait avec une fidélité qui le touchait ce petit plaisir de bouche à la sauce gribiche. Puis, elle avait plié sa blouse bleue et rose passablement délavée, ramassé les miettes de la table avec sa petite pelle argentée, mis le couvert, regardé un peu le jeu télévisé de 19 h, hésité à feuilleter un magazine féminin acheté il y a deux semaines, et jeté un coup d’œil à l’heure. La petite pendule xixème à coquillages n’indiquait rien d’anormal. Il était dans les temps. Ce n’était pas son genre de s’arrêter dans un café, ou un bar à jeux, ou un claque, ou ce genre de bêtise. L’idée la faisait sourire doucement, l’imaginer avec un haut-de-forme dans une soirée mondaine, lui qui rougissait quand il y avait plus de trois personnes dans une même pièce. Non, à vrai dire, elle ne l’avait jamais soupçonné courir la gueuze dans un estaminet, ou la vahiné des îles, ou une de ces horribles demoiselles aux jupes trop courtes et aux cheveux trop longs qui se croient mignonnes juste parce qu’elles ont caché leurs tristes yeux derrière des lunettes de soleil surannées. Parfois, elle se surprenait à avoir des telles pensées, nettement plus agressives qu’il ne semblait convenable. Mais lui, non, définitivement, elle ne l’avait jamais soupçonné de rien. Il était toujours dans les temps. Et parfaitement convenable. A sept heures et demie, elle avait donné à manger à son « trio coquin » : deux poissons dorés et un hippocampe qui faisaient paisiblement
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Julien Grataloup
le tour des algues en plastique du bocal sur la commode Louis xvi. Il faudrait qu’elle rachète du chlore pour le filtre à eau. Et qu’elle réserve les billets pour le Puy-de-Dôme pour le week-end de l’Ascension. Leur club de marche avait décidé d’une excursion autour des volcans éteints du Massif central, dont l’un, dit-on, culmine à 840 mètres d’altitude. Ce n’était pas la destination qui l’intéressait le plus, mais cela pouvait être distrayant. Peu avant 20 h, elle avait entendu sa clé tourner dans la serrure. Il avait posé son petit chapeau sur le crochet, enlevé son manteau et son cachenez, posé sa sacoche de cuir de vachette. Il s’était lavé les mains et était venu lui faire un soupçon de baiser sur la joue. A table, ils avaient parlé de son chef de service, décidément bien peu charismatique, du fameux week-end dans le Massif central, et de quelques autres bricoles qu’elle avait tôt fait d’oublier. Quand il s’était tu, absorbé par ses propres rêveries, son regard à elle s’était perdu dans la gravure japonaise juste au-dessus de sa tête, une grosse vague d’un artiste célèbre dont elle n’avait jamais réussi à enregistrer le nom. Cela la prenait parfois par flash. Elle voyait tout à coup des bribes de l’autre vie qu’elle aurait pu avoir, femme fatale du musichall, ou aventurière des îles lointaines aux mœurs dissolues, nue sur une plage après l’amour avec un marin inquiétant, ou Mata Hari sans foi ni loi fuyant la jungle frémissante de bruits inconnus. Des rêves pleins de cris et de fureur, et de couleurs furieuses qu’elle n’aurait jamais, oh jamais accepté pour ses rideaux. Puis, brusquement, le flash passait. La vague retombait. On entendait à nouveau le tic-tac de l’horloge. Ce n’était pas grave. Il était temps de prendre une tisane et de ne pas trop tarder, demain serait encore une longue journée. Il l’avait félicitée pour le pot-au-feu. Vraiment, une fois de plus, elle l’avait parfaitement réussi.
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Rendez-vous Les sentinelles TexteFranรงois : Mr T Par Trebbi Dessin : Fred crayon
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Ut quossunt laut laborum faccupt atuscit aquam, imus idit que electe
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L’autre rive Par Cédric Rouzé
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« En quoi consiste l’acuité de la solitude ? Il est banal de dire que nous n’existons jamais au singulier.
par le toucher, par la sympathie, par le travail en commun, nous sommes avec les autres. Toutes
tout seul. C’est donc l’être en moi, le fait que j’existe, mon exister qui constitue l’élément absolu-
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Nous sommes entourés d’êtres et de choses avec lesquels nous entretenons des relations. Par la vue,
ces relations sont transitives : je touche un objet, je vois l’Autre. Mais je ne suis pas l’Autre. Je suis
ment intransitif, quelque chose sans intentionnalité, sans rapport. On peut tout échanger entre êtres
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sauf l’exister. Dans ce sens, être, c’est s’isoler par l’exister. Je suis monade en tant que je suis. C’est
moi incommunicable. S’il est incommunicable, c’est qu’il est enraciné dans mon être qui est ce qu’il
m’exprimer demeure sans effet sur ma relation avec l’exister, relation intérieur par excellence. »
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par l’exister que je suis sans portes ni fenêtres, et non pas par un contenu quelconque qui serait en
y a de plus privé en moi. De sorte que tout élargissement de ma connaissance, de mes moyens de
Extrait : Le temps et l’autre, d’Emmanuel Levinas (PUF).
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L’autre Par Martine Besombes
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Ricardo Mosner
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Régine et le loup Photographie : Régine Cirotteau
« Régine et le Loup » copyright adagp 2003 / Les Régines / tirage canvas / 65 x 65 x 5 cm
Extrait de No future dans un esprit jardin pour le livre monographique de Régine Cirotteau Frisson synchronie, édition Filigranes 2009. Vincent Latombe Que sont les Régines ? Des autoportraits ou plutôt des altéro-portraits de l’artiste en petite fille : images photographiques de l’artiste à des âges divers, à la mer, dans un pré rempli de coquelicots, s’apprêtant à enjamber un fossé, faisant des bulles de savon, ou posant dans une jolie robe bleue au jardin botanique… Images d’une enfance ordinaire et quiète, couvée par l’objectif amateur et ému de son photographe de papa. Des images comme il y en a plein dans les albums de famille. Avec lesquelles on récapitule une vie en l’inscrivant dans une lignée, des ambiances, des alliances et des deuils. De ces images où chacun reconnaît son propre « enfancement », cette manière grave qu’a l’enfant de s’enfoncer dans la représentation enfantine que l’on convoque de lui, d’être à l’image tout en n’y étant encore personne, à cet âge où l’on dit justement que l’on n’est pas encore une « personne », mais un devenir, une attente, un sombre pressentiment qui s’affole devant l’œil technique qui nous fige dans l’identité d’une proprette « petite personne », d’un modèle réduit de la future grande. Drôle d’idée qu’a eue là Régine Cirotteau de nous présenter ces images d’elle, qu’elle n’a pas faites, et qui ressortent surtout à cette part d’imaginaire privé de son identité. Certes, elle n’est pas la première à le faire, et un Christian Boltanski, ou plutôt un Mike Kelley, ont pu jouer de leur enfance en la mimant grotesquement à l’âge adulte, dans des pastels photographiques enlevés et épileptiques ou dans des performances de régression formaliste… Commentant, pour sa part, un choix d’images de sa jeunesse, reproduites en introduction à son opus sur lui-même, Roland Barthes écrivait : « (…) Ce que je dirai de chaque image ne sera jamais qu’imaginaire. (…) Lorsque la méditation (la sidération) constitue l’image en être détaché, lorsqu’elle en fait l’objet d’une jouissance immédiate, elle n’a plus rien à voir avec la réflexion, fût-elle rêveuse, d’une identité ; elle se
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tourmente et s’enchante d’une vision qui n’est nullement morphologique (je ne me ressemble jamais), mais plutôt organique. (…) Il s’ensuit que la photographie de jeunesse est à la fois très indiscrète (c’est mon corps du dessous qui s’y donne à lire) et très discrète (ce n’est pas du “ moi ” qu’elle parle). » Si ce n’est pas du « moi » de l’artiste que nous parlent les Régines (et, en accord avec cette idée, celles-ci « ventriloquent » d’autres voix étrangères…), de quel être intermédiaire, ni tout à fait « moi », ni tout à fait « elle », nous parlent ces images, qui nous fixent d’une manière si indiscrète et si discrète à la fois, et qui ne laissent pas d’intriguer, voire d’obséder. Tout d’abord l’artiste s’est ingéniée, en les agrandissant, à les soumettre à de menues transformations numériques, certaines modestes, d’autres plus apparentes, mais sans jamais entamer réellement la plénitude de l’image, la singularité d’« enfancement » qu’elle contient. Apparaissent ainsi une ombre gigantesque de condor sur l’herbe du pré, mi-chevreuils mi-dragons passant au loin le fossé à gué, une cravache subrepticement glissée dans une main d’appui, des bulles de savon qui brillent comme des cocons de fée, un dessin d’écume de vagues sur une poitrine impubère, des yeux blancs comme révulsés de malice… Autant de manipulations diverses, espiègles et apparemment minimes, mais qui nécessitent toutefois une maîtrise parfaite des manipulations numériques. Chacune de ces images se trouve être, de plus, ambiancée par une ritournelle distincte, montée en boucle et réinterprétant certains classiques du monde musical appartenant à l’enfance (Chapi Chapo, Les Mystères de l’Ouest, Pierre et le loup…). Ces images ainsi parées sans exagération d’art et d’artifice sont enfin tirées agrandies à la façon d’images-écrans sur une matière synthétique qui rappelle la toile cirée. Si les Régines évoquent fortement un petit théâtre de contes enfantins prêts à éclore, avec sortilèges et féeries attendus, bizarrement ceux-ci ne veulent pas démarrer. Ce sont comme des Il était une fois bloqués sur leur départ fictionnel.
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Décors montagneux Par Tom de Pékin
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Michel Le Page
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L’autre bouquet final Par Delphine Bretesché
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Près de la baraque à frites de vraies frites à deux bains un vernissage il y a là Karine avec toi deux enfants à vous qui croquent des frites le vent arrose sentir la frite un vernissage Denis tu dis tiens tu me dis Denis le thème c’est l’autre si tu veux écrire / je revois le cornet de frites les deux enfants une des enfants a les cheveux longs ses doigts s’activent sans qu’elle ait besoin d’y penser petits doigts à la recherche d’une frite pendant qu’elle cause avec / ses doigts ont une mission ils portent la frite aux dents L’autre bouger avant de sentir trop la frite je lirai le thème plus tard L’autre ça se lit vite un mot on ne le lit pas on le voit L’autre
ouvrir la porte du travail la première chose un son une chanson L’autre une chanson dont l’air revient bien avant les paroles on fronce ses on donne du la la la se souvenir L’autre L’autre qu’on n’attend plus Ferré mais si, tu sais, avec le temps avec le temps va Blam Ferré peut faire blam une chape un écrasement par timbre mots gueulés qui gueulent comme lui chantait gueule L’autre qu’on n’attend plus Avec le temps va tout s’en va avec la chanson tout revient lorsque le disque tournait sur la platine je mesure la science-fiction de cette phrase Ferré le son dans l’espace L’autre qu’on n’attend plus l’espace
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un salon une campagne à 40 km de des tomettes des poutres une cheminée avec le temps ça t’a une de ces gueules la musique entendue avant de savoir parler en écoutant la chanson on a les images qu’on peut à l’âge qu’on a un Jésus qui ruissèle dans son berceau je pourrais dessiner le berceau une jupe de qu’aurait du chien sans je peux aussi dessiner le chien / revenir Denis je revois la baraque à frites deux petites filles et Karine dix petits doigts dans un cornet je me sens pataude me serais mise à genoux pour dix petits doigts qui mangent des frites en famille m’envoie moi en couple sans Vous en avez ?
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Vous avez des ? Vous avez combien d’ ? Mais vous n’en ? Ah c’est que ? Tu sais / mais y’a / après tout / et puis ton travail / la création c’est un peu / dix petits doigts pour la dernière petite frite qui n’y échappera pas je m’éclipse – parfois ça brûle les yeux – Derrière de grandes lunettes l’artiste sourit je cours dans ses bras presque des bras qui savent construire des doigts qui créent il avait raconté un jour la poussette de sa fille dévalant la pente j’aime bien sa barbe comme il sent la cigarette parfois son odeur comme l’odeur de mes amis quand on / serrer des mains à l’intérieur je te présente / vous êtes / et vous / ah oui / très bien / L’autre plus tard Denis dit
à une terrasse autour d’un café tu prends ton temps je dis toujours quatre semaines du texte en fait du texte mon bureau est là regarde au-dessus de la rue la fenêtre ouverte
relire rien la phrase avec le temps existe la phrase l’autre qu’on n’attend plus n’existe pas.
Delphine Bretesché
ouvrir la porte du travail la première chose un son une chanson L’autre une chanson dont l’air revient bien avant les paroles on fronce ses on donne du la la la se souvenir L’autre L’autre qu’on n’attend plus Ferré mais si, tu sais, avec le temps avec le temps va Blam Ferré peut faire blam on vérifie au cas où juste pour se remettre le truc en tête aller à la page sur lire relire
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nous interroger et la claque de ne pas L’autre qu’on n’attend plus l’autre à qui déjà on avait donné un prénom cela prend du temps éteindre le projecteur être dans le noir hurler après la lumière les images qu’on rallume bordel tu exploses la télécommande tu exploses le projecteur tu exploses l’écran tu exploses le mur tu arraches les rideaux et la lumière du jour t’aveugle tu es aveugle tu veux être aveugle ne rien voir de ce nouveau jour l’autre qu’on n’attend plus tu veux retourner dans le faisceau Delphine Bretesché
Cette phrase tissée du souvenir l’air chanté l’air du passé le disque date de 70 moi de 72 il a baigné toute mon enfance et le souvenir de cette phrase avec le temps avec le temps va tout s’en va l’autre qu’on n’attend plus na na na la a la le premier autre l’enfant celui qui sorti ou non de soi va l’autre
de projection quand il et quand tu et quand vous et quand famille et quand ensemble tu hurles après la lumière aveuglante du jour retourner dans le noir bricoler le projecteur c’est peut-être un problème de fusible hein un fusible qui saute ça arrive se calmer chercher un non l’ampoule peut-être ça arrive l’ampoule aaaaaaa et ça ne sert à rien parce que tu as beau fermer les paupières de plus en plus fort le jour s’insinue tu veux rester aveugle arrêter de voir arrêter d’entendre fermer tout à tout
garder encore un peu mais rien le jour oblige à voir / moi moi voyez-vous moi moi ça moi non ça ne m’atteint pas les autres toutes les autres les autres sur les sites forums, etc. qui appellent zom leur homme zozo ses spermatozoïdes et gygy leur gynéco celles-là toutes Moi Auteure Plasticienne Diplômée de l’École Supérieure des Beaux Arts de Nantes Métropole Lauréate de l’Appel d’Offre International pour la Commande Publique de Sonification du Tramway du Mans je suis au-dessus moi voyez-vous
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moi ce désir-là c’est pur rien à voir avec un vide ah non madame rien du tout du tout moi c’est vraiment au-dessus voilà c’est / moi madame moi je ne suis pas comme toutes ces bonnes femmes qui hurlent au ventre vide qui s’acclimatent des hommes qui jettent des filets, qui tissent des toiles moi moi madame moi au-dessus moi clairement au-dessus oh la la oui bien au-dessus moi madame moi moi c’était sacré madame j’ai la chance oui tu oses ça aussi dire oui
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j’ai la chance de / un métier qui me / un art qui m’ / moi madame moi je n’ai pas de vide non moi c’est en plus à part du plus le bonus si heureuse tu oses tu sublimes tu oses si je n’ai pas d’ / un peu moins aveuglée alors alors voyons mettons pour que je sois ici sur cette terre moi il a fallu il y a longtemps très longtemps qu’une femme velue accouche dans une grotte sans péridurale au silex et que depuis cet accouchement fameux une lignée ininterrompue de velues
de mamelles des tonnes de seins des ventres gros des cris il a fallu des kilomètres de cordon ombilical des kilomètres de déchirures d’hémorragies de mortes au bout en sueur sans avoir pu serrer leur pour arriver à ça moi ici qui dit les filles désolée je crois qu’on va s’arrêter là. Alors tu penses que tout que cette horde va te bouffer qu’elles n’ont pas souffert elles le martyr pour s’arrêter là en plein début de XXIe siècle elles ont surmonté elles les famines les guerres les invasions les épidémies toujours réussi à en poser un à en démouler
Delphine Bretesché
puis moins velues de courbées puis redressée d’amoureuses de violée de barbares de vandales de soumises de conquérantes d’artistes de mères d’une quinzaine de mortes en couche il a fallu des brassées et des brassées
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des qui jettent leur slip dans l’arène des qui sifflent entre deux doigts au henné des youyous des langues inconnues qui fêtent tu pleures tu reçois des fleurs tu voudrais t’excuser des fleurs de partout elles frappent le plancher des gradins en rythme la vie la lignée les branches ça va continuer autrement Elles rient quelqu’un dit nous on ne peut rien faire tant que ça ne passe pas la porte de l’arène on attend longtemps on organise des festivals l’élection du plus beau bouquet final certaines ont deux ou trois arènes pleines ça dépend toi c’est joli les fleurs c’est une lignée de mains vertes.
Marc Allen Upson
à en pondre un quelque part avant de partir et toi toi tu dis tu te retournes tu dis les filles désolée je crois qu’on va s’arrêter là tu imagines leurs sourcils féroces leurs rictus de hyènes à peine humaines leurs poils de bêtes humides certaines à massue toutes en colère tu n’oses pas te présenter devant elles tu ne te sens pas digne toute cette lignée tu attends de déboucher dans l’arène quelqu’un ouvre la porte tu es aveugle pétrifiée et là tu entends des gradins monter une clameur extraordinaire une ovation des hourras des vivats les massues en l’air
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L’homme qui habitait le studio voisin de l’appartement de mes parents lorsque j’étais enfant
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Texte : Antonin Imfeld
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Enfant, le studio voisin de l’appartement de mes parents était occupé par un homme seul dont le souvenir m’accompagne encore aujourd’hui. Âgé probablement d’une cinquantaine d’années, sa fine moustache était toujours remarquablement taillée, ses cols et poignets de chemise impeccablement repassés ; il faisait preuve de galanterie à outrance en ouvrant la porte de l’ascenseur et effectuait des gestes amples, parfois proche du grotesque, pour nous laisser entrer et sortir avant lui. Et puis il sifflotait constamment durant l’ascension jusqu’au 6ème étage – des airs que je n’ai jamais su reconnaître, d’ailleurs – tout en exhibant exagérément ses ongles soigneusement limés. Il se dégageait quelque chose de très triste, en définitive, de cet homme ; quelque chose que ni son eau de Cologne, ni cette exubérance de bonnes manières ne parvenaient à masquer. Des rumeurs dans l’immeuble laissaient sous-entendre qu’il avait un fils âgé d’une trentaine d’années ; cependant, personne ne l’avait jamais vu. L’idée que cet homme puisse avoir eu une vie de couple heureuse ne m’étonnait en rien. Je supposais qu’il devait être assez facile pour une femme de tomber sous le charme désuet de cet être aux manières grandiloquentes ; tout aussi facile que de s’en lasser après quelques années. Alors, comme pour s’assurer que cette solitude imposée à un seul homme ne suffisait pas, le malheur s’est appliqué à poursuivre son travail et ce voisin dont je ne me souviens malheureusement plus du nom de famille est tombé malade. Ça a débuté imperceptiblement ; sur son visage, notamment : la pâleur, les traits un peu plus marqués. Lorsque sa coiffure d’ordinaire parfaitement laquée s’est désépaissie jusqu’à se parsemer de trous, que le corps, affaibli, s’est aminci jour après jour, il est alors devenu difficile, même avec toute la politesse du monde, de masquer la maladie. Dans l’immeuble, les ragots sont allés bon train ; voilà bien le seul domaine, d’ailleurs, dans lequel vous pouvez avoir une entière disponibilité d’écoute de la race humaine. On lui donnait deux semaines ; trois, pour les plus optimistes. La locataire du 1er déclarait à qui voulait bien l’entendre que c’était une leucémie ; elle le tenait de la gardienne, qui elle-même le tenait de la femme du buraliste, dont la fille faisait un stage à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Tout le monde semblait se satisfaire de cette information, et bien qu’aucuns
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ne sachent à quoi cela correspondait vraiment, tous la propageaient à voix basse – mais de bon cœur ! – aux oreilles attentives alentour. Lui, en revanche, semblait tout à fait imperméable à cette agitation. Dans ma petite tête d’enfant, je l’imaginais encore suffisamment alerte pour percevoir l’effervescence que son état de santé produisait autour de lui ; pourtant, il continuait à ouvrir les portes en effectuant ses mouvements théâtraux, et offrait des « Je vous souhaite une excellente journée, Madame » en veux-tu en voilà, à peu près comme si de rien n’était. Une élégance à toute épreuve, en somme. Les médecins avaient dû lui conseiller la pratique d’un sport pour accroître ses chances de guérison. Un jour que j’attendais l’ascenseur sur le palier, il est sorti de chez lui avec un vélo de course flambant neuf et tout l’équipement de circonstance : un casque rutilant qui masquait dorénavant son absence totale de cheveux, un maillot jaune, naturellement, un short rembourré à l’entre-cuisses et des chaussures de cycliste qui l’obligeaient à une démarche amusante. Pourtant, même dans cet accoutrement, il ne perdait rien de sa superbe. Je me souviens avoir insisté pour qu’il monte en même temps que moi ; lui voulait à tout prix que je renvoie l’ascenseur, persuadé qu’on ne tiendrait pas tous les deux avec sa machine. Il a fini par la faire entrer sur la roue arrière, puis il a siffloté comme à son habitude durant tout le trajet — un air que je n’ai d’ailleurs toujours pas su reconnaître —, alors que son eau de Cologne fleurait l’espace. Il s’est avéré que deux mois plus tard, l’homme était toujours en vie, et bien en équilibre sur ses deux jambes en plus. Ses cheveux commençaient à repousser ; son corps s’épaississait, aussi. À présent, le jeu consistait à rapporter les lieux où on les avait croisés, lui et son vélo. Ma mère avait entendu une cliente, à la boulangerie, affirmer qu’elle l’avait vu dimanche dernier, en revenant avec son mari de chez sa grand-tante, du côté de Massy-Palaiseau, dans l’Essonne. Il pédalait tranquillement sur la nationale 20 et ne semblait absolument pas s’en faire. Elle le jurait presque, la cliente, me dit ma mère. Moi, ça me paraissait un peu loin. Il y avait bien 25 kms d’ici jusqu’à Massy. Je le sais pour y être allé deux ou trois fois, à cause que j’avais
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un oncle qui y habitait. Puis après tout, je me suis dit « pourquoi pas »… Ainsi, les ragots sur sa santé se sont faits plus rares, jusqu’à disparaître totalement avec le temps. Le voisin malade est redevenu un voisin comme tous les autres ; personne n’y faisait plus vraiment attention, habitués qu’ils étaient tous à ses pantomimes de vieux garçon. Lorsque ma mère m’a appris sa mort, quelques mois plus tard, à cause d’une rechute brutale et foudroyante, j’ai d’abord pensé qu’il était tombé de vélo ; qu’il avait eu un accident, s’était fait renverser. En réalité, la maladie s’est soudainement réveillée et a envahi l’entièreté de son corps en une dizaine de jours. Et il est parti comme ça, élégamment, sans faire de bruit. Le week-end suivant, un garçon d’une trentaine d’années est passé pour vider l’appartement. C’était son fils. Il a tout embarqué, et c’était la fin. Aujourd’hui, je n’ai besoin de fermer les yeux que quelques secondes pour observer à nouveau ce voisin raffiné faire danser sa fine moustache en arrondissant ses lèvres pour siffloter ces airs que je ne reconnaîtrai jamais.
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« Other Anothers » Par Brian Calvin
Courtesy : Corvi-Mora, London
Esthétique de l’artifice (extrait) Texte : Fernando Pessoa Photos : Giovanna Aresu
La vie nuit à l’expression de la vie. Si je vivais un grand amour, jamais je ne pourrais le raconter. Je ne sais pas moi-même, si ce moi que je vous expose tout au long de ces pages sinueuses existe réellement, ou n’est qu’un concept esthétique et faux que j’ai forgé de moi-même. Et oui, c’est ainsi, je me vis esthétiquement dans un autre. J’ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d’une matière étrangère à mon être. Il m’arrive de ne pas
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me reconnaître, tellement je me suis placé à l’extérieur de moi-même, tellement j’ai placé de façon purement artistique la conscience que j’ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité ? Je l’ignore. Je dois bien être quelqu’un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c’est – croyez-le bien – pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j’ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je vivais, je me détruirais. Je veux être une œuvre d’art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l’être dans mon corps. C’est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches – où mon artificialité, telle une fleur absurde, puisse s’épanouir en beauté lointaine.
Le livre de l’intranquillité, de Fernando Pessoa (Christian Bourgois).
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Giovanna Aresu
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Marc Caro
Contributeurs
Marie demestre est écrivaine et photographe. Diplômée d’un doctorat dont la teneur interroge l’alliance d’une poésie à la fois révoltée et spirituelle, elle est l’auteure de l’essai La Quête de l’absolu en cours de publication chez L’Harmattan. Son travail s’inscrit dans une volonté de réappropriation du monde par le langage vibratoire.
Pierre-yves brunaud est photographe. Ses photos questionnent la notion de territoire et observent la façon dont les hommes se l’approprient ou le délaissent. On le retrouve dans les pages de la presse quotidienne et magazine (de Libération à la revue Urbanisme) et dans la communication institutionnelle.
FrÉdÉRIC stucin est photographe. On peut voir régulièrement ses photos, notamment des portraits particulièrement justes, dans Libération et dans une bonne partie de la presse française.
Fabrice praeger vit et travaille à Paris. Il étudie le design à l’école Les Ateliers puis collabore aux Graphistes Associés. Il travaille à la fois sur les mots, les images et les objets, aux frontières du graphisme, du design.
www.fredericstucin.com
http://studio002.fr/?p=941
Musta Fior vit et travaille en France. Collagiste depuis 2010, il réalise ses collages surtout à base de papiers mais use parfois de la souris pour des collages digitaux. Il collabore avec d’autres collagistes internationaux sur divers supports.
Jérôme Suzat, ou Cheval Blanc, son pseudo, évoque le songe, le vin et la drogue. C’est à nos yeux le secret le mieux gardé de la chanson française.
www.pierreyvesbrunaud.net
www.youtube.com/user/22chevalblanc
corinne jullien vit, peint, sculpte et travaille aux Lilas. Elle a exposé à Paris et en région parisienne. Dans ce numéro, elle a illustré un poème de Cheval Blanc.
www.mustafior.tumblr.com
Isabelle simonnet travaille et vit à Nantes. Elle a commencé l’écriture en 2012 pour se détendre ou pour répondre à des propositions. Ses travaux ont été exposés à l’Espace Cosmopolis, l’Espace Louis Delgrés et au Nantes Events Center.
www.corinnejullien.com
Pascale HÉMERY est née en 1965. Elle vit et travaille à Paris, lorsqu’elle n’est pas partie dans d’autres lieux, ceux-là même qui lui donnent l’envie d’un art nouveau possible. Un catalogue raisonné a été édité par le Musée du dessin et de l’estampe originale de Gravelines.
Fred Crayon vit et travaille à Nantes. Après avoir obtenu son diplôme des Beaux-Arts, il découvre le graphisme et s’essaie, un certain temps, à l’illustration dans l’édition pour enfants. Parfois, il enseigne à l’Ecole d’Arts du Choletais ainsi qu’à l’ECV Atlantique auprès de classes préparatoires.
www.pascale-hemery.com
Flore-aël surun est née en 1975 à Neuilly-sur-Seine. Elle photographie des « survivants » et donne à voir leur force de vie. A partir de 2003, elle revendique son engagement de témoin, en quête de ceux qui choisissent la non-violence comme moyen de résistance.
Thomas rimoux est un artiste autodidacte, né en 1975 à Paris. Il se réapproprie les images du monde virtuel et révèle des paradoxes de la société industrielle dans ses bains chimiques. Coulures, lavis et traces sont autant
www.tendancefloue.net/floreaelsurun
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Meyer / Tendance Floue
GABRIELLE JARZYNSKI est musicienne de formation. Elle a aussi écrit son premier livre en 2013, Bout de ficelle, un récit poétique. Elle est publiée dans diverses revues littéraires (Le Cafard hérétique, Bloganozart, Lélixire.)
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d’accidents discrets qui viennent ébrécher les formes symboliques et les codes de l’ère numérique, dont il a fait son terrain de jeu.
Ricardo Mosner est peintre, sculpteur graveur et poète. Né à Buenos Aires, en Argentine, il vit et travaille à Paris. Il a réalisé 150 expositions personnelles en France et à l’étranger. Mosner collabore régulièrement à l’émission Des Papous dans la Tête sur France Culture. Il est Commandeur exquis du Collège de ‘Pataphysique.
Georges Vernat est né à Tours en 1991. Passionné de littérature, il publie, à 20 ans, son premier recueil de poèmes, Juego y Libertad. Il est aussi rédacteur dilettante pour le site Théoria.fr ou musicien sous le nom de Bartleby. Emmanuel Thireau écrit, dessine et pratique le détournement : série de collages « Héros » en 2010 ; recueil de onze nouvelles en 2012. Signe particulier : végétarien mais porté sur la chair quand même.
www.ricardo-mosner.com
Alexandre agniez est dessinateur, portraitiste belge, inconnu mondialement. Spécialiste de l’illustration non photoshopée depuis 1966. alexandre.agniez@orange.fr
James king est peintre. Diplômé d’Oxford, il a assisté Daniel Spoerri (mouvement Eat Art) et Raymond Mason. Il expose en France et à l’étranger.
Pierre-Olivier François est journaliste bourlingueur sur la chaîne Arte. Il a travaillé sur la Corée du Nord, la Sibérie, l’origine des frites et de la pizza. Julien Grataloup est illustrateur / graphiste. Il photocopie, découpe, colle, monte, rehausse à la gouache couleur et à la mine noire. Il met en scène et plante ses décors du New Yorker au Monde. www.juliengrataloup.com
http://jamesking.free.fr
Karine Lucas est engagée dans la culture et
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originaire du 9.3. Elle défend ardemment l’éducation artistique auprès des publics comme les tout-petits, les jeunes ou les plus éloignés, convaincue de la nécessité de l’art dans la vie.
François Trebbi est né en 1963 à Paris. Après un passage éclair en agence de pub, il se dirige vers la construction de décors pour la télévision et le spectacle. Il est ensuite amené à travailler sur la lumière et devient éclairagiste puis régisseur de scène. A Nantes, il a travaillé à la construction de L’Eléphant du Royal de Luxe.
LOLA DUVAL est diplômée de l’Ecole Estienne et du mastère de multimédia-hypermédia des Beaux-arts de Paris. Elle travaille dans tous les champs liés à la typographie : édition, presse, signalétique, identité de marque, design interactif.
Régine Cirotteau est diplômée de l’Ecole nationale supérieure d’art de Cergy Pontoise. Elle est artiste plasticienne, cinéaste et auteure interprète.
www.loladuval.com
Sylvie Meunier cherche au fond des caisses, boîtes et valises les petites photographies de famille. Elle remet ces instantanés de vie oubliés dans la lumière pour leur faire vivre d’autres histoires.
Pauline riviÈre est illustratrice. Elle vit et travaille à Athènes. Elle dessine, sérigraphie, grave et collectionne des images. Ses dessins sont publiés sous différentes formes : fanzines, cartes postales, affiches, autocollants, timbres. Elle prépare un livre sur la fête des conscrits dans les villages du Beaujolais.
www.instantanesordinaires.net
www.paulineriviere.tumblr.com
www.reginecirotteau.com
Martine Besombes a un peu travaillé comme maquettiste dans des studios de création. A énormément travaillé comme décoratrice et accessoiriste avec Philippe Découflé et d’autres. Beaucoup travaillé dans le décor intérieur et continue d’ailleurs.
images des autres pour subsister, prend des photos par facilité ou pour le plaisir des amis. Accumule les guitares de collection, les apparitions sur les scènes underground. www.mupson.com
Cédric Rouzé pratique son art de manière singulière : il n’est « fabriqué » par aucune école. Il a été architecte. Un temps berger, un temps sauvage. Il pratique le yoga et regarde la vie, un livre à la main.
Brian Calvin est né en Californie en 1969. Il est diplômé de la School of The Art Institute de Chicago. www.antonkerngallery.com/artist/brian-calvin
www.cedric-rouze.fr
Tom de Pékin n’est pas vraiment de Pékin mais Antonin Imfeld a une trentaine d’années. Il vit à Paris et n’a aucune ambition littéraire. S’il écrit, c’est essentiellement pour bénéficier du succès que cette activité suscite auprès des filles.
de Savoie et vit à Paris. Artiste militant, graphiste, réalisateur, il a travaillé pour Les Lettres Françaises, Têtu et Amnesty International. Il a dessiné l’affiche pour le film L’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie. http://tomdepekin.tumblr.com
Meyer est photographe du collectif Tendance Floue. Plongé entre Afrique noire, tauromachie camarguaise et doux mouvements de qigong à Pékin.
Giovanna Aresu commence en 2000 à travailler en tant que photographe de mode pour le magazine Elle France. En parallèle à la mode, elle développe une recherche personnelle qui a pour objet la relation entre l’espace et le temps. Passionnée par la photographie argentique, elle expose son travail depuis 2003.
www.tendancefloue.net/meyer
Fred blanchard est né en 1966. Il est illustrateur, dessinateur de bande dessinée, animateur et décorateur de dessin animé français. Il créé avec Olivier Vatine le label « Série B » des éditions Delcourt, qu’il dirige actuellement.
www.giovannaresu.com
Delphine Bretesché est auteure plasticienne, lauréate de l’appel d’offre international pour la sonification du tramway du Mans en 2014. Elle dessine, écrit du théâtre et de la poésie et poursuit ses recherches autour du territoire et de l’oralité.
Michel LE PAGE, dit « de Trentemoult », est graphiste dans le cuir, DJ dans la peau, artisan arty et party partisan. www.cargocollective.com/micheldetrentemoult
www.delphinebretesche.fr
Denis Esnault est directeur artistique indépendant. Il travaille pour Terra eco (presse magazine), pour des institutions ou des boîtes de communication. Il fonde Irreverent en 2007. Il modèle aussi la terre du Perche et en fait plâtres et bronzes. Il intervient également à l’Ecole de design de Nantes.
Marc Caro est l’autre moitié de Caro et Jeunet, celle qui fait mal. En 2008, il réalise son premier long métrage en solo, Dante 01, ainsi que Astroboy à Roboland, documentaire sur la technologie au Japon. Il prépare en ce moment un long métrage.
www.enodenis.com
Marc Allen upson est dilettante professionnel né en 1965 aux Etats-Unis. Il bulle pour vivre et tire les
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www.irreverent.fr
Textes : Marie Demestre, Isabelle Simonnet, Jérôme Suzat, Gabrielle Jarzynski, Georges Vernat, Pierre-Olivier François, Delphine Bretesché, Emmanuel Thireau, Antonin Imfeld Photographies : Fredéric Stucin, Flore-Aël Surun / Tendance Floue, Pierre-Yves Brunaud / Picturetank, Sylvie Meunier, François Trebbi, Régine Cirotteau, Marc Allen Upson, Giovanna Aresu, Meyer / Tendance Floue Dessins : Fred Blanchard, Alexandre Agniez, Thomas Rimoux, Martine Besombes, Delphine Bretesché, Fred Crayon Illustrations : Musta Fior, Fabrice Praeger, Pauline Rivière, Lola Duval, Julien Grataloup, Fred Crayon Peintures : Corinne Jullien, James King, Ricardo Mosner, Brian Calvin, Marc Caro Sculptures : Cédric Rouzé, Denis Esnault Gravures : Pascale Hémery Couverture : Ricardo Mosner « … à d’autres », série de trois peintures et textes manuscrits, 27 x 20 cm, technique mixte, 2015 Directeur de la publication et direction artistique : Denis Esnault Cofondateur : Arnaud Sagnard Conseillère éditoriale : Karine Lucas Relecture : Claire Baudiffier
Irreverent remercie Maxime Rautureau, la Galerie Melanie Rio, Michel Le Page, Picturetank, les lieux de diffusion qui soutiennent cette aventure, chacun des participants. Irreverent bénéficie du concours de la Région des Pays de la Loire. www.irreverent.fr - mail@irreverent.fr Copyright Irreverent® et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. INPI : 06/3416203 - N° ISNN : 1779-3165 ISBN : 978-2-9535800-44 Imprimé en France sur papier certifié PEFC 100% 10-31-1240 par l’imprimerie Rochelaise - Edition originale : 500 exemplaires. 2016
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Les dix autres numĂŠros et la musique qui les accompagne sont sur www.irreverent.fr
Caro, Demestre, Suzat, Simonnet, LE PAGE, Jarzynski, Vernat, François, Bretesché, Imfeld, Thireau, Stucin, Surun, Brunaud, Trebbi, Meunier, Cirotteau, Allen Upson, Aresu, Meyer, Agniez, Rimoux, Besombes, Blanchard, Crayon, Fior, rimbaud, Grataloup, Praeger, Rivière, Duval, Jullien, King, Mosner, Calvin, Rouzé, Hémery, LUCAS, ESNAULT