Les éditions de l’île de Seuqramainos 2005-2002
Notes : Les éditions de l’île de Seuqramainos se présentaient ainsi, de 2002 à 2005, au nombre de 7 nouvelles à télécharger sur le site Internet de l’île. L’île de Seuqramainos est aujourd’hui dissolue dans l’océan des réseaux électroniques. Ainsi les adresses virtuelles et topographiques ne sont plus valables. Seul le monde imaginaire est la bonne adresse. (Sonia Marques / 03.08.2011)
Elle-mĂŞme par Sonia Marques
19 Juillet 2005 © Sonia Marques {http://www.seuqramainos.org}
Elle-même Elle m’aime. Je ne sais comment fait-elle. Le matin, j’ouvre les yeux, elle dort à côté. Puis elle se réveille et se tourne en face de moi. Elle entrouvre ses yeux. Elle a l’air heureuse. Je suis étonné. Sa main tente de me caresser, d’attraper ce qu’elle peut. Sa main rencontre une partie de mon corps à l’aveuglette. Dès le contact, elle pèse de tout son poids puis se rendort. Je me lève doucement sans faire de bruit. Je vais dans la cuisine et je nous prépare un café. Elle se réveille. Je la vois arriver. Elle me sourit. Je suis toujours étonné. Je mets la table au hasard. Elle baille. Sa figure est boursouflée par ses rêves. Elle a l’air sympathique et saoul. Je n’ose pas penser à quoi je ressemble. Elle m’embrasse maladroitement. Elle n’est pas du matin. Quand va-t-elle se réveiller ? Cela fait des années que je redoute ce moment. Elle me raconte sa nuit. Je ne l’écoute pas. Je la regarde. Ses cheveux sont ébouriffés, ses mains tachetées, ses seins libres sous son paréo, lourds et apaisés. Elle me pose des questions. Je ne sais plus lui répondre. Je n’ai jamais su lui dire que je l’aimais et elle est toujours là, ignorant tout de moi, de mes sentiments. Je ne peux imaginer ce que l’on fera ensemble demain. C’est elle qui danse. C’est moi qui la regarde. J’aimerais faire comme elle. Mais alors, qui me regardera ? Elle se prépare, s’habille pour aller travailler. Je l’aide à aller plus vite afin qu’elle ne prenne pas de retard. Je l’aime. Elle me l’a dit ce matin. Elle-même. 1
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Elle-même histoire écrite 19 Juillet 2005 la nuit à Charenton en France
Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Au royaume des grincheux par Sonia Marques
1er Juillet 2004 © Sonia Marques { http://www.seuqramainos.org }
Lettre au royaume des grincheux
Chers grincheux, Je vous ai quitté lâchement cet été. J'espère que vous comprendrez pourquoi en lisant cette histoire. Disons, que je suis, dans l'histoire, Sa Majesté (abrév. S.M.) et que vous vous reconnaîtrez sans doute, au royaume des grincheux. Bien sûr, être majestueuse me tire d'affaire. Mais il ne tient qu'à vous d'écrire à votre tour, à votre manière ou… Sans manières. Médire un peu comme au bon vieux temps, mais dire aussi l'inédit ! Me tirer vite fait, et prendre la poudre d'escampette, c'est tout ce qu'il me restait à faire au royaume des grincheux ! Aujourd'hui, sauvée, je vous présente mes hommages en vous dédiant cette histoire. Croyez, chers grincheux, à l'expression de ma respectueuse sympathie. S.M. 1
Elle était Sa Majesté au royaume des grincheux. Le grincheux-paresseux était élu à la majorité des grincheux. Le grincheux-laborieux était son bras droit. Le grincheuxgrincheux était le plus vieux. Le bientôt-grincheux était le plus jeune et tous les grincheux comptaient sur lui pour la succession. Il y avait aussi, une grincheuse-grincheuse aussi vieille que le grincheux-grincheux. Elle n'avait jamais été élue de sa vie par les grincheux, de sorte qu'elle excellait parfois en grinchuosité par ses rancœurs ravalées. Il y avait aussi, une grincheuse-chieuse, à priori jeune, mais les grincheux paraissaient toujours très vieux. Celle-ci utilisait les mots les plus usités par les grincheux pour rester dans leur clan, de vieux mots, de vieilles expressions. Elle était la plus vicieuse, celle en fait, qui menait la danse tout en sachant qu'elle ne serait jamais élue de sa vie par les grincheux. Comme les grincheux préféraient les grincheuses, les chieuses abondaient dans leur sens parce qu'elles craignaient de partir à l'aventure, seules. Et, par un malin plaisir, elles entérinaient le royaume dans la grinchuosité la plus désagréable. Lorsque la bienheureuse majesté arrivât au royaume des grincheux, elle fut surprise qu'on ne lui souhaitât pas la bienvenue. Ils parlaient en vieux grincheux et se plaignaient continuellement. Elle apprit leur langage qu'elle trouva difficile et tordu. Tout en s'y adaptant, elle faisait passer des messages secrets de bonheur aux enfants des grincheux. Le royaume des grincheux fut un temps soit peu, bousculé. Chaque grincheux se réconfortait de rester grincheux en râlant avec les autres à chaque réunion. À la majorité, ils élisaient la pire grinchuosité comme loi, espérant que la majestueuse devienne une grincheuse, jamais élue de sa vie comme les autres grincheuses, n'ayant comme mots à dire, que les vieux mots usités par
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les grincheux, les plus maussades. La dépréciation de soi était une valeur sûre. Tandis qu'elle mettait en valeur le plaisir, dont ils avaient peur, de dire et de donner des mots inédits. Mais peu lui importait, elle était déjà majesté. Comme les grincheux ne voyaient dans la vie que les désagréments et que leur travail principal était de les surenchérir ensemble, ils ne savaient pas qu'il existait d'autres royaumes avec d'autres qualités de mots. Pour ne pas sombrer, les grincheux devenaient revêches. Sa Majesté avait d'autres royaumes en vues et les grincheux, qui croyaient être les seuls dans leur spécialité, s'attachèrent à elle, tandis qu'elle se détachait d'eux, ne réussissant pas à transformer le royaume des grincheux en bienheureux. Ne désirant pas devenir Sa Majesté des grincheux, elle dut les quitter. Partir comme elle était venue. Ils pensaient que c'était les trahir. Mais en secret, dans un coin de sincérité de leur cœur grincheux, ils savaient qu'ici, avec eux, elle ne serait jamais bienheureuse. Elle partit. Les grincheux ne pouvaient parvenir à lui dire, combien elle les avait rendus un temps soit peu heureux car ils faisaient ensemble le royaume des grincheux et ne devaient pas faillir à leur réputation. Ainsi Sa Majesté les quitta, sans savoir ce qu'ils pensaient au fond de leur cœur. Elle n'emporta pas leurs mots secrets, ils demeureront ainsi, inédits.
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Lettre au royaume des grincheux histoire écrite le 1er Juillet 2004 à Charenton France Photographie de la couverture faite à Vancouver au Canada en 1997 Photographie du dos faite à Charenton 2004
Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Les ĂŠpaves par Sonia Marques
13 Juillet 2005 © Sonia Marques {http://www.seuqramainos.org}
Les épaves Elles arrivaient de toutes parts, pas en même temps et très lentement… Leur ralentissement pouvait être insoutenable. Il provenait sans doute d'une volonté farouche d'abandonner les mouvements les plus vifs au profit de déplacements sans effort. Pourtant elles arrivaient une à une avec ce manque de rapidité qui leur était commun, avec leurs encombrements singuliers. Elles tardaient toutes à se manifester tandis que leur effet progressif ne pouvait être nié car lorsqu’elles arrivaient, elles semblaient encore s'étendre davantage, gisantes, lasses, à bout de résistance, d’une présence incommensurable. En les observant venir de loin, nous sentions ce que l’existence tentait de nous faire éprouver : le temps. Un sentiment étrange s’emparait de nous ; délicieux et désagréable sentiment d’impuissance lorsque nous apercevions leur ombre précédant leur arrivée. Rien ne pouvait les empêcher de troubler notre quiétude et nous ne pouvions plus détourner le regard de leur venue. Succédait à ces sensations une terreur violente, soudaine, la peur d’être envahi par leur passé. Si nous acceptions ces phénomènes extraordinaires à intervalles irréguliers, nous pouvions être soulagés de l’épreuve suite aux premiers sentiments angoissants. Si nous résistions à leur existence jusque-là inconnue, leur révélation provoquait un choc psychologique prolongeant l’angoisse en retardant tout dénouement. Ce cas était terrifiant. 1
Que fallait-il accepter ? Leur présence égarée, leurs rebuts déplaisants ? Nous ne savions d’où venaient-elles et pourquoi choisissaient-elles d’échouer ici dans ce lieu sans importance où nous prenions vacances de nos emplois respectifs, en bord de mer. Peut-être que cet espace maritime avait la taille d’une terre comme l’île d’Ouessant et qu’en quelques années il avait pris l’ampleur de l’Angleterre avec toutes ces arrivées intempestives. Nous évaluions mal l’expansion de leur nouvelle terre flottante sur la mer. J’ai commencé à écrire sur elles. Mes connaissances étaient assez réduites en la matière. Je me suis empressé de les qualifier d’épaves au sens péjoratif du terme, mais j’étais un peu grossier et irrévérencieux, jusqu’au jour où j'ai été touché les voyant arriver, de mes propres yeux. Personne ne m’avait prévenu. De tout ce que l’on m’avait appris, de l’expérience de tous mes fiers amis et mes lâches ennemis, tous ces hommes qui ont compté dans ma vie, je m'avérais être complètement inculte. Comment ces vaisseaux de connaissances nous avaient-ils échappé ? Tous les spécialistes, chacun concentrés dans leur domaine savant respectif aux allures futuristes avaient donc évincé de leurs recherches, ces perles évidentes devenues des mastodontes prêtes à nous engloutir avec elles dans leurs histoires séculaires ? ! Mes collègues de bureau tous informaticiens plaisantaient sur ces phénomènes car sur Internet, une épave est un ordinateur dont le système n'a pas été mis à jour depuis de longs mois, de sorte qu'il est presque assurément criblé de failles de sécurité et infecté par toutes sortes de virus et de vers. Hors dans ce cas précis, les épaves 2
étaient plutôt bien rodées. Les multiples virus avaient fortifié leur système immunitaire, de sortes qu’elles étaient invincibles sur ce point. Les pieds dans l’eau, le soleil m’avait envoyé ses derniers éclats et je paressais sans y faire gaffe. J’étais abruti par ma journée d’été, de gaufres au sucre glace avec ma famille trop affective. Il est stupide de le signaler dans ce récit, mais je déteste les gaufres. Mes outils de travail croupissaient sûrement eux aussi dans la pénombre d’un parc réseau d’ordinateurs sans électricité. Je crois même avoir réussi à oublier l’idée de lire mon courrier électronique, tant les membres de ma famille m’ont rapporté de leurs ragots quotidiens comme une vague de mails indésirables. En vain, je venais d’être seul et prenais la température de l’eau au bord d’une station portuaire désertique. J'étais vidé. Face à l’immensité de l’eau stagnante, au détour d’un geste anodin comme lorsque l’on regarde dans l’angle mort de son véhicule, j’ai ressenti une présence chaude arrivée tout doucement, sans parvenir à tout voir d'un coup. Plusieurs mouvements de tête me faisaient recomposer le panorama d'un grand bateau effrayant coloré de bleu. Cette masse avait la taille du Musée du Guggenheim à Bilbao dont les reflets métalliques avaient fini de nous convaincre, version “ piteux état ”. Je sais cette description peut paraître grotesque, mais je vous conjure pour l'instant de me croire. Sa présence assombrissait tout le paysage marin. « Caerulea », ce débris venait sans doute d’un naufrage daté de plusieurs siècles, très belle épave désemparée, majestueuse et toute ridée ! Saisi d’effroi, je me sentais tout petit et ridicule avec mes histoires 3
débiles familiales ressassées, les crèmes solaires, les slips mouillés, la serviette ensablée et j'en passe. Je n’étais plus dans ce goût nostalgique de la gaufre de sucre glace qui me rendait dépressif, j’étais figé sur la rive, les pieds relevés à quelques millimètres de l’eau, captivé par tous les détails hybrides de la composition de cette saugrenue carcasse usée. « Foliata » avait surgi derrière, complètement effeuillée, comme une pomme gigantesque avec toutes ses épluchures. Elle devait subsister d’un désastre quelconque et avait fait tout ce chemin pour venir nous voir. Je me suis peu à peu levé en ralentissant au maximum mes mouvements, l’air de rien. J’étais prêt à toutes les accueillir, à mes risques et périls. « Nodosa », au loin, était couverte de bosses et je me demandais combien de jours s’écoulerait-il avant que je ne la voie vraiment. Elle était déjà si démentielle avec ses nodules indisciplinées qu’en s’approchant souverainement, j’imaginais déjà qu’elle pourrait m’épouvanter davantage avec ses protubérances me donnant la chair de poule. J’essayais de nommer ces épaves comme le ferait-on d’animaux égarés dont on ne connaît pas les propriétaires, tout en retenant mon excitation intérieure. Ce n’était pas tant leur physionomie de brocante maritime qui surprenait mais leur faculté à avoir dépassé l’âge décent. Oui, ces entropies mystérieuses nous relataient d’anciens jours d’opulence et aussi toute une déchéance physique magnifiée par leur grande échelle. Elles mesuraient chacune un principe d’incertitude de la nature, des aléas de l’existence. J’ai connu la rouge « Rubra », la tachetée « Sticta », celle avec des rayures sur la tête « facelina » . Elles étaient toutes autotrophes, capables d'assimiler un élément 4
sous forme minérale, puisqu’elles demeuraient entre l’eau et la terre et une partie de leur corpulence atteignaient les profondeurs sous-marines afin de s’ancrer parmi les végétaux. Ces espèces de véhicules abandonnés sur la voie publique m’apprenaient sur moi-même. Elles existaient tandis que je disparaissais peu à peu en les décrivant. Elles m’ont inspiré un manifeste rendu célèbre à travers le monde intitulé : « Le droit aux épaves » (traduit de l’anglais « Right to the wrecks » paru dans le journal du New York Times). Leur territoire augmenté par différents cataclysmes de l’environnement (cyclones, tsunamis, tremblements de terre, ouragans, séismes, tornades, fontes des neiges, glissements de terrains, éruptions volcaniques, avalanches, inondations, chutes de grandes météorites, etc.) rassemblait des éclopés multiples et variés, formés d’amalgames de matériaux et d’organismes vivants assez surprenants. Cette vaste étendue d’arrimage d’épaves, nous l’appelons aujourd’hui, le far-wrecks. J’ai abandonné mon métier d’informaticien afin de me consacrer uniquement à ces recherches, ces havres de connaissances. Et depuis, je suis tombé amoureux d’une épave merveilleuse. J’apprends beaucoup avec elle. La vie m’a caché, sous couvert de fantaisies mineures et de bizarreries monstrueuses, beaucoup d’énergie, de beauté. Je vous conseille d’aborder une de ces épaves mystérieuses, quelque peu effrayantes et de respecter leur éminente expérience. Elle vous fera peut-être chavirer aux préliminaires mais laissezvous charmer par leur fragile démarche, néanmoins 5
déterminée par leur persévérance. Elles manquent de tout laisser tomber et pourtant, elles ont tout gardé des traces de leur passage dans le temps. Évidemment la découverte de ces épaves lointaines m’ont fait passer pour fou à lier. Plusieurs controverses scientifiques ont été écrites. Mais la conquête du far-wrecks a commencé à faire fortune car quelques parasites sont venus se greffer sur le site. Des aventuriers sans scrupule étudiant la biodiversité des espèces sous-marines dans les universités ont commencé à écrire des thèses fantastiques sur l’archéologie sousmarine programmées sur plusieurs années, sans jamais avoir vu ces épaves arriver ! D’autres se disent prospecter des récifs artificiels afin de comprendre de quelle manière la vie aquatique peut prendre place et ainsi recréer un écosystème. Hors les épaves ne sont pas mortes ni artificielles. Des sites de plongée, genre de centre de biologie subaquatique, se sont créés loin du far-wrecks afin de ne pas approcher de trop près ces monstres, mais d’y accéder par les fonds sous-marins, ni vus ni connus. Les dimensions de ces vaisseaux organiques fantomatiques pouvant atteindre des kilomètres sous l’eau, les plongeurs y trouvent, non sans bonheur, une petite faune fixée d’invertébrés, comme des éponges encroûtantes, des anémones de mer, des coraux mous un peu pelucheux jaunes ou blancs appelés aussi les « doigts de l’homme mort », toutes sortes d’œillets de mer. Les enfants accompagnés de professeurs de plongée aiment ramener des étoiles rouges, des couteaux et des coquilles agglutinées dans les recoins de l’épave même s’ils craignent de rencontrer les « fesses d’éléphant » de grandes éponges 6
couvrantes à bourrelets arrondis pouvant mesurer plusieurs décimètres de largeur. D'autres histoires farfelues véridiques se sont inspirées des descriptions de ma rencontre avec les épaves les plus dépravées les unes que les autres. Mes nombreux articles ont servi aussi les études de jeunes gens diplômés sur les maladies dégénératives ou sur l’espérance de vie, comme cette dernière : « L’absence d’hygiène augmente la longévité »… Je vais sérieusement y penser. Avec quelques amis, nous partons au far wrecks accueillir les épaves, bravant notre stupeur première. Quelques badauds ont été engloutis parce qu’ils ne prenaient pas garde, portant préjudices à celles-ci, les traitant d’épaves hideuses provenant d’héritages de misère, sans même prendre le temps de les connaître. En connaissance de cause nous prenons toutes les précautions devant ces baleines sentimentales et n’avons jamais été aussi plein depuis ces arrivées silencieuses. Oui, j’oubliais une chose très importante, les épaves ne font aucun bruit.
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Les épaves histoire écrite le 13 juillet 2005 à Charenton France
Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Tout contre vous par Sonia Marques
14 Septembre 2004 © Sonia Marques { http://www.seuqramainos.org }
Tout contre vous Vous le découvrez, c’est une merveille. Qui est-il ? Tout contre vous, il vous touche. S'il est de 70 kg, le poids de sa peau est évalué à 2100 g., celle-ci recouvre tout le corps et en reproduit les formes extérieures. Vous le touchez. De 0,5 mm à 2 mm, sa peau est plus épaisse à la plante des pieds, 3mm environ. Vous le regarder de très près. Sa coloration est obtenue à la répartition en surface de quatre composantes principales. Il y a la mélanine, un pigment brun, le carotène dont la couleur varie du jaune à l'orange, l'oxyhémoglobine, plutôt rouge et la carboxyhémoglobine, plutôt pourpre. Sa couleur principale est une accumulation topographique, caractéristique de ces composantes en certains points du revêtement cutané. Elle est influencée par des facteurs nutritionnels, d'environnement (ensoleillement) et génétiques. L'absence complète des deux premiers pigments caractérise l'albinisme. Il vous colle à la peau. Vous le sentez. Il n'est pas lisse. Il a des reliefs, des dépressions et des orifices à sa surface. En profondeur, vous percevez ses irrégularités, aux 1
passages des vaisseaux et des nerfs. Sa résistance à l'étirement est considérable. Son épiderme est un épithélium pavimenteux stratifié kératinisé (cinq couches) fabriqué en permanence par la couche basale. La kératinisation est la transformation cornée de l'enveloppe des cellules et des fibrilles épidermiques; elle aboutit à la desquamation (détachement de la couche épidermique superficielle par petits lambeaux ou squames) ou à une augmentation d'épaisseur sous l'action de traumatismes répétés (callosités). Il vous adhère. Il vous épouse. S'il ne vous est pas épidermique, sachez que sa couche superficielle recouvre le derme et reproduit la surface de la peau avec ses saillies et tout ce que l’on vient d’énoncé. Son derme ou chorion est la couche essentielle de sa peau. Vous ne le verrez pas. Imaginez. Le derme lui confère sa résistance et son élasticité; c'est là que se situent les récepteurs des divers modes de la sensibilité extéroceptive. Il est riche en fibres conjonctives (75% de la structure). Il contient du collagène, une sorte de soutien, extensible, résistant, très abondant dans la peau cicatricielle, avec une organisation anarchique en amas responsable d'hypertrophie. Il contient aussi de l'élastine, l'élasticité de la peau saine, pratiquement inexistante dans le tissu cicatriciel. Par sa surface profonde, le derme est en rapport avec l'hypoderme. Plus en profondeur, invisible, sous le derme, cet hypo2
derme est une couche adipeuse sous-cutanée riche en graisse et en vaisseaux sanguins. Son rôle est d'amortir les pressions auxquelles la peau est soumise et de protéger l'organisme des variations de température. Passez votre main sur ses fesses et ses talons, l'hypoderme s'y trouve essentiellement, ce sont des parties du corps devant supporter un impact important, il est quasi inexistant dans les autres zones. Il est des coins de paradis à bactéries que vous sentirez. La densité bactérienne sur la peau varie énormément, allant de 14 millions par cm2 entre les orteils à 1700 par cm2 au niveau des extrémités des membres supérieurs. Les glandes sudorales sont particulièrement nombreuses au niveau de la plante des pieds, beaucoup plus rares au niveau des cuisses. S’il transpire à votre contact, c’est bon signe, il est vivant. Il ressent des émotions. S'il en a encore, caressez ses cheveux. Le cheveu est composé de 85 à 90% de kératines (protéines fibreuses qui se retrouvent dans les ongles et la peau), de 10 à 13% d'eau, le reste étant des lipides. Le nombre de cheveux varie de 200 à 300 cheveux par cm2 sur le cuir chevelu et leur épaisseur est approximativement deux fois plus importante chez les sujets d'origine mongole (0,1 mm) que chez les indo-européens (0,05 à 0,09 mm). Il a chaud. Si la température cutanée (sujet nu) au niveau du 3
front est de 32°C, elle n'est que de 27.7°C au niveau de l'avant-bras et de 20°C sur le dos du pied. Vous suscitez son excitation, pas d’inquiétude, il réagit vite. La peau de l’ensemble du corps est sensible aux caresses même si beaucoup de sensations se concentrent sur les zones érogènes et en particulier les organes génitaux. Nous pouvons vous féliciter d’avoir réussi les préliminaires.
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Tout contre vous
histoire écrite 14 Septembre 2004 à Charenton France Photographie de la couverture faite à Kassel en Allemagne en 1997 Photographie du dos faite à Epinay sur Seine en France en 1996 Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Une lexicographe Ă Gianduja par Sonia Marques
14 Septembre 2004 © Sonia Marques { http://www.seuqramainos.org }
Une lexicographe à Gianduja Sur un bateau de la marque "Outremer 40", long de 12 mètres, avec 10 couchettes, 90m2 de voilure, d'un moteur diesel de 30 CV, Mademoiselle K naviguait en mer avec un maximum autorisé de 14 personnes. Attirée par l'annonce sur le port maritime : "2H de détente sportive à 17 €", Mademoiselle K espérait rencontrer ces 3 mots d'ordre en publicité "Stabilité, silence, performance" sur ce catamaran en Camargue... Il y avait une possibilité "Arrêt baignade, bronzing", mais en 2h de temps humain, cela semblait "fort en chocolat". Ne mélangeons pas tout, ou presque... Allons-y carrément ! Je vous présente Mademoiselle K. C'est une lexicographe. Une personne qui compose des définitions de mots en vue de l'élaboration d'un dictionnaire. Elle doit, entre autres, en se référant à différentes sources documentaires et en recourant à ses connaissances en étymologie, donner le sens de chaque mot et ses dérivés, préciser son origine, son utilisation et sa transcription phonétique. Elle a le souci de formuler des définitions claires et précises qui permettront aux lecteurs de connaître et de comprendre la signification des mots et d'en faire une utilisation juste. Comme un grand nombre de personnes, Mademoiselle K s'est offerte une semaine de vacances, au bord de la mer en 1
septembre pour faire une pause dans son travail. Elle opta, seule, pour l’option "Arrêt baignade, bronzing", dans les 2h de temps humain impartis de cette balade maritime en Camargue sur un catamaran. Sur une plage sans nom, elle se retrouva sans définition possible. Elle pensa tout haut : "C’est fort en chocolat !". Elle remarquait que la forme de cette plage était triangulaire et le sable composé de grains de noisettes grillées broyées avec du sucre glace. Elle lui donna le nom de Gianduja. La mer était d’une teinte chaude et veloutée en cette fin d’après-midi. Sa surface brillante se reflétait sur sa peau devenue cacao. Au soleil couchant, il ne lui venait pas à l’esprit que les 2 heures de la formule s’étaient écoulées depuis un certain temps et que le catamaran ne reviendrait plus la reprendre. Elle commençait à avoir faim. Je vous laisse deviner le reste. La plage Gianduja, outre son taux d'anthropophagie élevé, est réputée pour rendre votre peau, chocolat. À Gianduja, il n'existe pas de mot, de formule précise ni de temps qui nous permette de comprendre le sens et la raison de s'auto-dévorer.
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Une lexicographe à Gianduja est une histoire écrite 14 Septembre 2004 à Charenton France Photographies à Vancouver Canada 1997
Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
La nage
par Sonia Marques
1er Juillet 2004 © Sonia Marques { http://www.seuqramainos.org }
La nage Je regarde l'eau. Avant de plonger, je ne sais jamais si je vais réussir à nager, comme si je n'avais aucune mémoire, comme si je ne savais pas nager, je ne me rappelle plus comment on fait. Avant de nager, je ne sais pas nager. J'ai oublié ce savoir-là. - Y a-t-il une méthode pour être sûre de soi ? Être sûre que l'on ne coule pas, se rappeler que l'on sait nager ? Je ne me rappelle jamais de mes compétences. Je me persuade. Je n'en sais rien. Tout reste à découvrir. Il faut que je re-nage à chaque fois. Donc je plonge et si je réfléchis trop, jamais je ne plonge. Je reste sur le bord regardant les autres, étonnée de voir qu'aucun d'eux ne coule. - Comment font-ils ? Il y a de légères différences, mais ceux qui restent le plus longtemps nagent semblablement. Brasse, dos crawlé, crawl tout court, ils et elles filent. D'autres barbotent, s'accrochent au bord. D'autres restent au bord, attrapent froid. Donc quand j'arrive au bord de l'eau, je plonge sans savoir si je sais ou pas nager. Puis d'un seul coup, à la première immersion, ma mémoire revient sans que j'y pense, je nage. 1
Je file, file. Je me rince les idées. Je me rafraîchis la mémoire. Je trempe mon corps tout entier dans un autre élément. J'ai l'impression de quitter ma corpulence et de devenir autre chose. Un truc qui sait sans réfléchir. Un truc qui ne coule pas. Alors je dois me concentrer pour résister à ma gravité. Je dois me rappeler de toutes mes forces que je sais. Je sais nager. Chaque geste m'informe de ce savoir et je dois le recycler aussitôt dans ma mémoire, pour qu'un autre geste le suive et que ces gestes se répètent. Il faut que je me transmette à moi-même ces informations et ainsi je ne coule pas. J'alterne. J'écris. Mon écriture file, file. Mais je n'ai jamais su écrire. Lorsque je lis, je me demande comment les écrivains, ces hommes, ces femmes arrivent à écrire. Puis, un jour, je prends un stylo, j'ai plein de choses à dire, c'est dans ma tête, mais je ne sais pas écrire. Puis, je prends un carnet et j'écris. Je file, file. Ma mémoire revient. Je me souviens de tant de choses, des mots, des pensées. J'avais oublié tout cela, il faut que je me concentre pour ne pas que tout arrive d'un coup, que les mots s'empilent les uns sur les autres, que les lettres fassent un tas. Alors je me concentre pour faire des lignes. J'allège le ton, je résiste à ma gravité. Je me 2
dis que cela sera plus compréhensible pour les autres. Je fais des lignes de mots. Des lignes, des lignes. Et mon logiciel de traitement de texte me facilite la tâche. Lorsque je tape sur le clavier, je crée des mots dans la succession des tapotements et les mots que j'avais dans la tête apparaissent sur l'écran, en ligne directement. Même si je pense en zigzag, cela apparaît directement en ligne. C'est incroyable, c'est magique, j'écris en ligne ! Lorsque je relis ces écrits, je ne me rappelle pas les avoir écrites. Alors je nage pour allier mon corps à mon esprit. Je nage comme j'écris. Dans la piscine, il y a des lignes tracées, alors je nage tout droit en suivant les lignes. Cela me facile la tâche, je file, file, je ne m'arrête pas. S'il n'y avait pas ces lignes droites, je nagerais en zigzag, mais cela gênerait les autres. Je nage pour oublier que je sais écrire. J'écris pour ne pas couler. Je me rappelle que je sais penser. Écrire me force à ne pas couler. À ne pas oublier que je sais penser. Car dans le monde, personne ne me le rappelle, au contraire. Tout est mâché pour me faire comprendre que je ne sais pas penser par moi-même. Pire il y a des écritures qui me rappellent que je ne sais pas écrire, que cela n'est pas donné à n'importe qui ! Pire on m'a enseigné à ne pas savoir écrire, à ne pas aimer lire ! Je suis têtue. J'ai repris mes écris de petite fille. J'ai repris confiance. Quand je marche, pas la peine de me le rappeler, 3
cela se voit. Mais personne ne sait que je sais nager. Personne ne sait que je sais écrire, quand je marche. Je porte l'amnésie comme un vêtement qui me tait. Cela me cache, ainsi je peux écouter les donneurs et donneuses de leçon incognito. Mais il faut que je me rappelle, il faut que je me souvienne, seule. Sinon, je tombe dans l'oubli, l'oubli de moi, je me coule. Avant d'écrire, je ne sais rien, car je ne me souviens pas. - Ai-je des compétences ? Je ne sais plus. Je reste au bord de tout. Je doute d'un rien. Je me laisse éclabousser. Je n'arrive plus à plonger, à risquer la bêtise, le barbotage, la non-élégance des termes, de l'allure athlétique. D'un coup sans m'en apercevoir, je me laisse aller aux enfantillages, je m'amuse. J'ai envie de nager n'importe comment, me sentir libre avec ces mouvements sans lignes droites. Je plonge avec idiotie, je joue, je fabule, je me défoule, je suis à l'aise et puis j'apprends l'air de rien à ne pas couler, à rester longtemps dans l'eau sans avoir la même méthode que les autres. J'ai trouvé ma méthode. Je nage vingt minutes à chaque fois que je vais à la piscine, sans m'arrêter. Voici vingt minutes que j'écris sans arrêt. Mon corps s'adapte à l'environnement, il écrit, son esprit nage. Le temps est écoulé, je sors de l'eau. J'ai fait mes longueurs en vingt minutes. 4
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La nage
histoire Êcrite 1er Juillet 2004 en revenant de la piscine de Charenton France Photographies de la piscine de Vancouver au Canada de 1997 Edition texte et photographies : Š Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Les insĂŠparables par Sonia Marques
24 Août 2003 © Sonia Marques { http://www.seuqramainos.org }
Les inséparables L'un s'appelle Oubli l'autre s'appelle Souvenir. Ils sont toujours ensemble. Ils sèment…le Doute. Ils se séparent rarement car ils ont comme lien la Mémoire. Ce sont de fabuleux inventeurs. L'un préfère oublier et l'autre préfère se souvenir. L'un dit "Je me souviens…" au présent. L'autre dit "J'ai oublié…" au passé. L'un garde en Mémoire, l'autre perd la Mémoire. À eux deux ils conservent et effacent leur Mémoire commune. L'anamnèse est la pratique de Souvenir. L'amnésie est la pratique d'Oubli. Mais ce n'est pas si cartésien. Car Souvenir enregistre les choses pour ne pas les oublier et les revivre de nouveau. Oubli répète les choses car il ne se souvient pas les avoir déjà fait. Ils se croisent dans une certaine forme de répétition. Oubli ne s'en rend pas compte et Souvenir s'en rappelle malgré lui. Ils se désirent l'un et l'autre, s'envient et s'attirent, se repoussent. Ils s'aiment et ensemble, sèment …le Doute.
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Le souvenir a peur de l'oubli et l'oubli ne veut pas se souvenir. Lorsque l'oubli cherche quelque chose de vital, il aimerait que le souvenir l'aide. Lorsque le souvenir repense à quelque chose de morbide, il aimerait que l'oubli l'aide. * Voici l'histoire de la naissance d'Internet et son utopie : Un jour Souvenir se sentait seul et perdu dans ses pensées. Oubli lui proposa une de ses balades préférées à la montagne. Souvenir s'arracha de ses pensées, il était heureux de sa proposition qui pouvait lui changer les idées. Ensemble, ils montèrent la haute montagne. Tout en gravissant celle-ci, Souvenir dit à Oubli : “ Comment s'appelle cette montagne ? ” Oubli lui répondit : “ Je ne sais pas. ” Souvenir ne comprenait pas, il était curieux de nature. “ Cela fait si longtemps que tu montes cette montagne et tu ne sais pas comment elle s'appelle ? ” Oubli était de nature sans-souci, il lui répondit un peu agacé : “ Je n'y ai jamais pensé, j'aime la monter sans réfléchir ”
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Souvenir, pouvant être fatigant, lui demanda de nouveau : “ Comment l'as-tu découverte ? À l’aide d'une carte ? ” Oubli, qui ne voulait rien entendre, lui dit : “ Non, non, je l'ai découverte tout seul ” Souvenir, remarquant son renoncement, lui posa une dernière question : “ Mais, si tu l'as découverte tout seul, de quels chemins venais-tu ? ” Oubli se mit à réfléchir tout en refusant de voir son abnégation. Souvenir chercha dans ses propres pensées, ne souhaitant pas se sacrifier pour rien, comment pouvait s'appeler cette montagne. Oubli commençait à s'inquiéter. Il se demanda comment avait-il réussit à gravir cette montagne autant de fois sans carte et sans savoir comment elle s'appelait. Il commençait à ne plus savoir comment continuer son chemin, comment guider Souvenir. Souvenir et Oubli étaient devenus très silencieux. Ils atteignirent le sommet de la montagne et ne se parlaient plus. Ils rencontrèrent un esprit invisible qui leur dit : “ Je m'appelle Doute et je vis ici. Vous ne pourrez plus continuer car j'ai perdu mon corps de femme qui s'appelait Connaissance. Je l'aimais. Elle était très belle, mais je ne lui ai jamais dit. Je ne pouvais me séparer d'elle. Maintenant j'en suis certain, j'ai besoin d'elle. Avant, je ne l'écoutais jamais, je la soupçonnais. À présent, je re-
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grette tous les ennuis que je lui ai causés ” Souvenir, soucieux de lui-même et de la poursuite de ses idées, lui posa une question : “ Cela ne nous empêche pas à nous de continuer ? ” Doute leur dit, avec une assurance qui appuyait son autorité : “ Je vous laisse continuer si vous retrouver Connaissance, sinon vous n'existerez plus, car je détruirais cette montagne ! ” Souvenir qui était trop curieux lui posa une dernière question : “ Savez-vous comment s'appelle cette montagne ? ” Doute dubitatif lui souffla une énigme qui ne pouvait prendre corps : “ Nous ne pouvons le savoir car nous sommes tous concernés. Mais c'est ici, au sommet de la montagne que tout se sépare et tout se rassemble ” Souvenir et Oubli retournèrent sur leurs pas. Oubli suivait Souvenir car il ne savait pas comment revenir d'où ils venaient. Pendant que Souvenir marchait devant, Oubli qui ne se rappelait plus du chemin du retour, ni de l'esprit Doute, eu une vision devant lui. Il aperçut une femme toute nue qui courrait à toute allure, en sens inverse, vers le sommet de la montagne. Il était attiré par ce corps, il se rapprocha pour mieux voir. Il s'écarta du chemin, il s'éloigna de Souvenir.
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Souvenir, lui, ne se soucia pas de sa disparition trop engagé dans ses propres pensées. Il refusait de croire au Doute et préférait retourner chez lui, plutôt que de continuer et trouver Connaissance. Il ressassait ses pensées et cherchait toujours le nom de la montagne. Il descendait dans ses profondeurs. Tandis que Souvenir se perdait de plus en plus, Oubli remontait la pente pour rencontrer la femme nue. Il voulait savoir qui était-elle. Elle lui dit qu'elle était Connaissance et qu'elle avait semé son esprit. Elle lui raconta comment elle avait réussi à s'enfuir car son esprit lui portait malheur et ne daignait pas la laisser libre. Il déniait aussi son intelligence. Il dérangeait ses idées en lui faisant croire qu'elle ne savait pas ce qu'elle disait. Elle raconta à Oubli tout ce qu'elle savait. Oubli était fasciné par son intelligence et ne vit pas le temps passé. Peutêtre s'écoula-t-il des siècles entiers, mais nul ne le savait hormis Connaissance, car elle avait conscience du temps que prenaient ses histoires à raconter. Elle aimait bien rester auprès d'Oubli car il la laissait libre de tout savoir. Il l'écoutait et n'enregistrait rien de ce qu'elle disait. Il n'était pas sceptique et ne soupçonnait pas ses dires. Elle lui dit aussi que depuis qu'elle s'est séparée de son esprit, d'autres esprits cherchent à la prendre car ils veulent tout savoir. Les esprits les plus bêtes cherchent à voler son corps pour paraître savant. Ils la veulent comme parure. Ils désirent posséder Connaissance. Comme elle n'a plus d'esprit, elle se fait prendre à chaque fois. Puis elle réfléchit longuement. Elle dit qu'avant de s'enfuir, elle avait beaucoup d'esprit. Son humour en déstabilisait plus d'un. Elle a besoin de retrouver son esprit qui s'appelle Doute. Elle réalise finalement qu'il n'est pas si bête et qu'il lui sert à quelque chose. Elle reprend confiance en elle et ne relativise plus son intelligence. Elle est sûre que
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son esprit peut l'aider à ne pas se laisser faire Connaissance à n'importe quel autre esprit sans qu'elle le décide. Elle demande à Oubli s'il n'a pas vu un esprit lui dire qu'il aurait perdu Connaissance. Mais Oubli ne se rappelle plus avoir vu son esprit, mais n'est pas complètement certain de ce qu'il pense aussi. Pendant tout ce temps, Souvenir se morfondait. Il pensait à Oubli et était rempli de nostalgie. Oubli lui manquait et il ne pouvait plus remonter la pente de la montagne sans lui, car c'était son guide et son bien aimé. Plus rien n'avait de valeur. Il eut à l'esprit une image, une carte des environs qu'il avait dû laisser quelque part. Il passa toutes ses journées à chercher cette carte des environs. Dans un de ses tiroirs, il découvrit une photo qu'il avait prise dans sa jeunesse. C'était Oubli enfant avec une petite fille à ses côtés. Ils se tenaient la main sur une montagne. Souvenir se rappela ce moment. Oubli avait une amie qui racontait beaucoup d'histoires, des fables que Souvenir pensait fantastiques. Il se rappelait que cette petite fille avait beaucoup d'imagination mais n'était pas très sûre d'elle-même. Oubli adorait l'écouter et Souvenir enviait leur amitié. Il enviait aussi la capacité de la petite fille à inventer des mondes incroyables. Enfin, il se rassurait à penser que ces mondes n'avaient jamais existé car il vivait beaucoup dans le passé et ne les avait jamais rencontré sous cette forme contemporaine. Lorsque Souvenir s'apercevait des incertitudes de la petite fille, de son manque de confiance en elle, il allait dans son sens pour semer le Doute, son esprit, et ainsi Oubli n'était plus fasciné, il désenchantait. Oubli se mettait à réfléchir et se demandait si toutes les histoires étaient fondées, mais comme il ne parvenait pas à élucider les énigmes de la petite fille, il demandait à Souvenir, de l'aider. C'est ainsi que Souvenir et Oubli semèrent le Doute en
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haut de la montagne après avoir pris la photo. Et la petite fille s'est enfuie toute seule, on ne sait où, car elle emporta toutes les cartes du monde et les dictionnaires avec elle. Souvenir est heureux, il vient de comprendre son passé. “ Voici comment l'on a séparé Connaissance et Doute ” pensa-t-il. “ Ainsi Doute aide Connaissance, tout comme Oubli m'aide aussi, il existe peut-être bien d'autres inséparables ? ” Souvenir laissa tomber ses propres suggestions car elles étaient trop contemporaines pour lui, il préférait se rappeler des choses du passé. Il lut la légende en bas de la photographie : Oubli et Connaissance sur la montagne Mémoire Ainsi il se rappela de tout, mais ne pouvait trouver la carte de la montagne puisque la petite fille avait tout pris. Il comprit ainsi pourquoi Oubli ne pouvait se rappeler du chemin par lequel il était passé, car il avait laissé son amie s'enfuir avec tout ce qu'il aurait pu savoir, librement. Souvenir courut remonter la pente, rechercher Oubli. Il savait maintenant qu'il avait perdu Connaissance après avoir pris la photo et qu'Oubli l'avait laissé s'échapper librement. Pendant ce temps-là, Oubli et Connaissance arrivèrent au sommet de la montagne. L'esprit Doute les accueillis, ravi de refaire Connaissance. Elle se mit à nouveau à douter de l'amitié d'Oubli. Ainsi Connaissance et Doute ne se séparèrent plus jamais sur
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la montagne Mémoire. Souvenir retrouva Oubli qui fut ravi de faire sa Connaissance. Étonné qu'Oubli ne le remette plus, et préfère faire sa Connaissance, laquelle avait grandi, fût devenue une belle femme, il lui annonça sur le sommet de la montagne Mémoire, sa découverte de la photographie perdue. Connaissance observant la scène devinait les pensées d'Oubli qui essayait de se Souvenir de son passé. Elle ne voulait pas qu'Oubli pense trop à sa fugue, à sa séparation avec lui quand elle était petite et elle donna à Souvenir en échange de son silence toutes les cartes du monde qu'elle avait ainsi que les dictionnaires. Elle les posa par terre masquant un vide incommensurable. Souvenir avide de repères voulu s'emparer de toutes les cartes du monde et les dictionnaires. Mais il tomba dans le piège de Connaissance, dans le vide et plongea dans le monde de Connaissance et ne pu en sortir tant il remontait à la surface de la Mémoire, au sommet de la montagne, des milliers d'informations. Souvenir se noyait. Au sommet de la montagne Mémoire, il y avait un trou. Connaissance le savait bien. Ce trou pouvait être aussi profond que la montagne était haute, que la Mémoire pouvait contenir. Et comme tout le monde ignorait la contenance de la Mémoire et que tout en grimpant celleci, Oubli, le seul qui la connaissait bien n'avait pas mesuré son importance, c'était vertigineux. Oubli ne comprenait rien, ne saisissait pas ce qu'il se passait et ne voulait pas voir de quoi il s'agissait, alors il plongea dans le trou de la Mémoire et rattrapa Souvenir. Ils descendirent tous deux la montagne de cette façon en ligne droite sans porter attention aux informations de toutes part. Souvenir voulait tout regarder, garder la Mémoire entière, mais Oubli l'en empêcha pour ne pas qu'il sombre. Souvenir le suivait, ainsi ils perdirent tous deux
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Connaissance de nouveau et en arrivant au sol, perdirent aussi la Mémoire. Ils ne retrouvèrent plus la montagne, ils ne retrouvèrent plus la Mémoire. Ils ne savaient plus comment en étaient-ils arrivés là. Pour se rappeler ce moment magique, Souvenir inventa l'utopie par rapport à la Mémoire. Il espérait ainsi grâce à son invention retrouver l'origine de cette Mémoire, la montagne perdue de vue. Oubli inventa Internet dédiée à sa Connaissance, son amie perdue de vue. Tous deux espéraient reconstituer toutes les cartes du monde et les dictionnaires qui leur permettraient de remonter dans le temps. Ils passèrent, tous deux inséparables, le reste de leur temps dans l'utopie d'Internet, à rechercher la montagne perdue pour rafraîchir leur Mémoire, à semer le Doute sur l'existence de Connaissance, à effacer l'inutile, à actualiser leur Connaissance, à garder en Mémoire, à archiver leur Connaissance, tout en ayant des attaques d'esprit les plus bêtes et des crash disk.
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Les inséparables
est une histoire écrite 24 Août 2003 à Charenton France * Edition texte et photographies : © Sonia Marques Diffusion sur le site Internet http://www.seuqramainos.org contact : gro.soniamarques@seuqramainos.org
Notes : Ces nouvelles ont été motivées, pour la plupart, grâce à une rencontre hasardeuse, entre une voyageuse et une revue imprimée, dans une librairie d’art, à Toulouse. Cette revue nommée «Les préliminaires» était la première de La revue Monsieur Toussaint Louverture, une revue de littérature au sens plus classique et profond du terme. La voyageuse, de nouveau en déplacement, en Île de France, en se connectant sur Internet, avec les informations de la revue, ne tardait pas à découvrir qu’il y avait un espace virtuel également qui l’encourageait vivement à envoyer ses textes. La revue Monsieur Toussaint Louverture disait ceci : À travers elle, nous soutenons des textes qui nous ont marqués, dans lesquels nous croyons et pour lesquels nous nous battrons. La revue ne cherche pas à définir une nouvelle école d’écriture, elle ouvre un endroit à des auteurs et à leurs textes. Ces auteurs ont un certain travail d’écriture derrière eux, mais pas forcément la reconnaissance qui va avec. Il est évident que certains de leurs textes, de leurs histoires sont parfois un peu surprenants. La voyageuse insulaire a écrit et dédié un texte à cette rencontre, «Jusqu’au bout du monde» en l’envoyant à cette revue. Ce texte a été lu et apprécié, puis diffusé sur le site. Plus tard, d’autres nouvelles s’y sont retrouvées, des éditions de l’île deSeuqramainos («La nage», transformé en «Des longueurs en 20 mn» publié dans «Numerista» le recueil numéro I de Monsieur Toussaint Louverture, «Une lexicographe à Gianduja» sur leur site) Voici donc ici publié le texte «Jusqu’au bout du monde» (Sonia Marques / 03.08.2011)
JUSQU'AU BOUT DU MONDE PAR SONIA MARQUES Je m'arrête à un endroit. Nous sommes le 27 mai 2004. Je me trouve à Toulouse, plus exactement dans la librairie des Abattoirs, 76 allées Charles-de-Fitte. Je parcours les rayons en attendant les étudiants. Je n'en dirais pas plus pour l'instant, sinon que les étudiants viennent de la ville d'Angers, dans la région des pays de la Loire et que je viens de Paris, de la gare Montparnasse bien que j'habite une autre ville en Ile de France. Dans ce rhizome d'itinéraires, je me pose là, attentive un instant, me retrouvant seule, face aux rayons de la librairie. J'ai peu d'enthousiasme en général pour les livres vendus dans les annexes de l'art contemporain, peut-être parce que je m'y suis habituée ? Parce que je suis devenue exigeante, une artiste en phase de recherche, plutôt que de finitudes ? Je remarque un livret pas comme les autres. Ma curiosité me pousse à me hisser sur la pointe des pieds pour l'attraper. Il est placé si haut, que son inaccessibilité me fait demander de l'aide, chose rare, à mon ami de 1,85 mètres. Il me l'attrape. Rassasiée, je me contente d'apprécier la couverture. Des écritures fines et des dessins géométriques noirs parcourent le papier blanc et je lis entre autres : « LOUVERTURE » « AVENTURE EN TECHNICOLOR » « LES PRELIMINAIRES » « NOTRE REVUE DE NOUVELLES EST LA PLUS BELLE/AFFREUSE DU MONDE VOUS Y TROUVEREZ DES SORCIERS, LA PLUIE, UN TELEPHONE ET DES LETTRES. SI VOUS AVEZ 20 MINUTES, VOUS AUREZ AUSSI DES SURPRISES » « CINQ EUROS - MERCI »
J'achète l'impensable. Je mets la revue dans une pochette avec mon plan de Toulouse et je pars déjeuner avec les étudiants. Jeunes filles et jeunes garçons, cartes postales les plus usitées en main me demandent ce que j'ai acheté en cachette. Je leur montre la revue de "Monsieur Toussaint LOUVERTURE". Ils sont étonnés. C'est une vue imprenable que je leur offre. Ils s'en souviendront plus tard. Je tourne les pages en leur faisant remarquer la finesse et l'attention de l'écriture, des paginations, de l'imaginaire de quelques phrases lues furtivement. Mon ami E.C., collègue enseignant me dit : « Voici des écrits proches de ton île virtuelle, tu devrais leur proposer quelque chose » E.C. est plus aisé que moi pour les collaborations. Je ne fais pas trop attention à sa suggestion. N'ayant pas tout bien lu, je range la revue dans ma pochette en attendant d'être seule au calme. J'accompagne les étudiants dans leur car. Je leur fais un signe de la main en guise d'au revoir, pas d'adieux car je les retrouverais quelques jours plus tard aux pays de la Loire. J'oubliais ! Qui sont-ils ? Que font-ils ? Qui suis-je ? Ils repartent à l'école supérieure des beaux-arts d'Angers où j'enseigne les nouveaux médias, des choses en réseau, en relation les unes aux autres, par regroupements, par différences, des couleurs et des écritures hypertextuelles, des graphismes qui n'y paraissent pas, une certaine fabrication des mots-plaisirs… dans l'option communication depuis 3 ans, 16 heures par semaine en venant de Paris, gare Montparnasse. Je ne sais si je vais poursuivre dans cette école ma pédagogie de conte de fée pour châteaux hantés. Ce que je sais, c'est que les rencontres me poussent au voyage. Le 26 mai 2004, c'était le vernissage d'une exposition que nous avons organisé avec mon ami et collègue E.C. enseignant à
l'école supérieure des beaux-arts de Toulouse pour les étudiants des deux écoles dans un cadre pédagogique, nommée « Les icônes Apache ». Un titre spécial pour un même sujet d'étude d'une année donné avec bonne humeur aux étudiants de deux écoles distantes, dont je ne ferais cours ici. Vous êtes déboussolés ? Nous en sommes ici le 27 mai 2004 : Le lendemain du vernissage, nous sommes partis visiter le centre d'art contemporain Les Abattoirs. Dans la librairie en attendant les étudiants, j'ai acheté la revue de M.T.L. Ils sont partis, je suis seule. Me voici dans une chambre d'hôtel toulousaine, laissant derrière moi, toute cette effervescence de groupe. J'ouvre ma pochette et je lis la revue de Z à A en passant par M. Quelle surprise ! Enfin quelque chose qui m'excite vraiment dans nos écritures contemporaines. Quelque chose que je n'ai pas fait moi-même, rêvé sans doute mais jamais pensé toucher des yeux un jour. Mes sens s'intervertissent ainsi à la lecture. Plus tard. Je prends le train à grande vitesse jusqu'à Paris, terminus gare Montparnasse. Je prends la ligne 8, couleur violette du métro parisien. J'arrive à la station où il y a le mot "école" dedans. Je rentre chez moi. Je me connecte à Internet et pianote l'adresse suivante : http://www.monsieurtoussaintlouverture.net Arrivée dans l'autre monde, je lis le site de Z à A en passant par M. Je reconnais un auteur dont j'avais lu des textes sur son site Internet, il y a peu de temps. Il ne me connaît pas. Personne ne me connaît, d'ailleurs. Je regarde l'adresse postale de la revue : Monsieur Toussaint Louverture 82 avenue de Fronton 31200 Toulouse
Incroyable ! J'ai quasiment trouvé la revue dans son lieu d'origine ? - Une fois ma tête remplie de mots magiques, je me dis qu'il faut que je propose une collaboration particulière qui relaterait de cet itinéraire particulier. - Une nouvelle fois, je me dis, comme je ne connais personne, personne ne va me lire. - À chaque fois, je me dis que je pourrais vivre jusqu'à la fin de mes jours comme une inconnue aimant ce qui n'est pas encore connu. Peut-être parce que je ne fais aucun effort pour faire connaître ce que je fais, m'appliquant à retarder la communication de mon travail, refusant presque l'effet d'annonce ? - Pour une fois, je me dis, que je vais faire l'effort d'écrire pour des inconnus que je commence à apprendre à connaître, dont il me semble que j'ai quelque chose à partager. Ainsi j'ai pris le risque de me faire connaître en envoyant cet itinéraire jusqu'au bout du monde.