Futebol

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Futebol Textes et photos de

Jo達o Luiz Bulc達o



Préface par Raï

Entre 11 et 13 ans, je jouais beaucoup plus au basket qu'au foot. Mais quel que soit le sport que je pratiquais, il y avait toujours un ballon. Dès mon plus jeune âge, j'ai perçu la fascination que cet objet éveille en moi. La simple vue d'un ballon m'a toujours donné envie de jouer, de m'entraîner et avant tout, de me mettre au défi. Quand j'ai eu à nouveau envie de m'amuser avec un ballon aux pieds, j'ai commencé à ressentir une aisance très agréable, qui allait au-delà de celle que je pouvais ressentir chez mes amis, même si certains d'entre eux m'impressionnaient au point de trouver qu'il me serait impossible d'être meilleur qu'eux. Un jour, comme par enchantement, un brin de magie, tout a changé. Cette aisance s'est transformée en talent exceptionnel, une grande, nouvelle et belle découverte. Et ce que je considérais autrefois comme un simple don est devenu, à compter de ce jour-là, un privilège divin. Je prenais beaucoup plus de plaisir, j'évitais mes adversaires, je franchissais les obstacles et je me sentais la force de faire gagner mon équipe. Je me souviens d'un après-midi, j'avais 13 ans, il pleuvait dans ma ville natale, et ce qui devait être une partie de foot s'est transformé en un jeu entre deux amis et un ballon. Ce jour-là, j'ai commencé à tenter des trucs que je n'avais jamais osé tenter jusque-là. Je me sentais plus en harmonie avec les mouvements du ballon et j'avais l'impression de mieux le connaître. C'est comme si je pouvais anticiper son parcours et avec toute ma créativité d'enfant, transformée en allégorie, il m'obéissait en tout ce que j'expérimentais. Après des heures de dribble, de danses, de feintes et d'actions, le coup de grâce a enfin été porté. Mon compagnon rond s'est approché en rebondissant derrière moi. Lorsque j'ai senti sa présence, j'ai donné, instinctivement, un coup de talon, et il est parti avec une telle précision. Comme s'il pouvait mesurer la hauteur de mon adversaire courageux qui semblait ne pas comprendre ce qui lui arrivait. Alors, le monde s'est arrêté et le ballon a continué seul sa route. Lentement, il a progressé et soigneusement, il est passé au-dessus de mon adversaire, en lui effleurant la chevelure. Et moi, je n'ai eu qu'à amortir sa descente de l'autre côté, dans une rencontre victorieuse. Impuissant et impressionné par ce qu'il voyait, mon ami m'a dit : "Ça suffit, maintenant !" À partir de ce jour, nous savions tous deux que le rôle que je jouerais dans ce sport, pour lequel nous avions déjà une réelle passion, ne serait pas celui de simple spectateur ou d'agent extérieur, mais bel et bien celui d'un vrai protagoniste. Cette image est restée gravée dans ma mémoire et ce fut le début d'une carrière des plus magiques. Je dois remercier les dieux du football, et cette passion du ballon, d'avoir vécu à fond la magie de ce sport, qui est non seulement présente les jours de grand match mais dans beaucoup d'autres moments, également retracés et exposés dans ce livre.



Note du Photographe

Mes premiers souvenirs d’enfance liés au futebol remontent à la mythique finale de la Coupe du Monde de 1970, au Mexique ; des images transmises à la télé, en direct et en noir et blanc. À la fin du match Brésil-Italie, l’équipe de Pelé avait conquis son troisième titre de champion du monde. J’avais sept ans. Mon pays vivait sous la dictature, et les militaires voulaient profiter de cet événement pour créer un sentiment d’unité nationale et de fierté. Je me souviens d’avoir assisté au retour héroïque et victorieux de ces champions, défilant les bras ouverts le long des avenues, à Rio de Janeiro. En souvenir de ces événements, mon père garda soigneusement pendant des années les éditions hors-série de Manchete et Fatos&Fotos, ces magazines qui me faisaient rêver avec leurs reportages – l’équivalent en France de Paris-Match... Je suis devenu entretemps photojournaliste, dans notre jeune démocratie balbutiante. En 1994, j’ai couvert à Rio de Janeiro l’arrivée de la Seleção, qui brandissait dans les rues un quatrième trophée, d’une nouvelle coupe du monde remportée aux États-Unis… J’ai quitté le Brésil cette année-là pour m’installer à New York, puis à Paris trois ans plus tard. Depuis, je retourne régulièrement dans mon pays pour y réaliser des reportages, et le futebol est devenu l’un de mes sujets de prédilection. Lors de tous ces voyages, je vois des hommes, des femmes et des enfants, tous âges confondus, jouer au ballon rond, du nord au sud, de l’est à l’ouest de ce pays continental. À chaque passe, à chaque dribble, à chaque but – raté ou réussi – ces scènes de foot me rappellent mon enfance. Je photographie les brésiliens sur les plages, dans les favelas, dans les rues, dans les prisons, dans les vestiaires et même jusqu’aux plateformes pétrolières. Je croise ensuite ces mêmes passionnés dans les stades – non plus le temps d’un match informel mais dans les tribunes, supporters fiévreux de leurs équipes et de leurs idoles. Des idoles qui nourrissent encore l’imaginaire de tous ces joueurs anonymes. Mais combien sont-ils à vivre de leur passion ? Un sur un million devient un Pelé, un Zico, un Romario, un Ronaldo, un Neymar… ou d’autres célébrités, tous issus de milieux défavorisés. Dans cette société brésilienne encore profondément inégalitaire, le foot donne à ces gamins une nouvelle chance. Le désir reste donc palpable dans tout le pays où des millions d’enfants rêvent un jour de porter à leur tour le maillot jaune et vert de l’équipe nationale, la Seleção… Je suis toujours ému lorsque je constate que la performance, le talent et la magie de quelques joueurs parviennent à faire oublier, même provisoirement, les défaites plus intimes et quotidiennes de chacun. C’est là toute la beauté d’une victoire collective… Je dédie ce livre à mon frère Pedro Paulo, le meilleur gardien de but de toute mon enfance. João Luiz Bulcão





























Je vis pour toi, Corinthians

À 72 ans,Valquiria Dionisio de Jésus, surnommée Tante Valquiria, est une star à São Paulo. Non pas parce qu’elle porte le nom de deux divinités,Valkyrie et Dionysos, mais parce que cette guerrière est dévouée corps et âme à son club adoré : les Corinthians. Les jours de match, on la reconnaît d’emblée à son haut-de-forme argenté qu’elle arbore fièrement dans le stade. Dans les tribunes, tous les supporters des Corinthians – surtout les fanatiques, ceux des Gaviões da Fiel – l’appellent tia da Fiel, la tante du club. Tante Valquiria arbore toujours un visage joyeux, sa marque de fabrique. Pourtant, la vie n’a pas toujours été tendre avec elle... Après un divorce, l’éclatement de sa famille et une dépression importante, son médecin lui conseille de trouver une activité, un passe-temps pour meubler ses journées. C’est à ce moment-là qu’elle épouse la destinée de l’équipe des Corinthians. Avant chaque match, elle suit un rituel très précis, toujours le même. La guerrière se prépare au combat : devant la glace, elle se maquille soigneusement, puis revêt son armure élégante aux couleurs du club. Avec coquetterie, elle enfonce ensuite son casque argenté sur son épaisse chevelure, pour estomper un peu les effets de l’âge… Une allée royale semble relier le stade des Corinthians et sa maisonnette.Triomphante, l’égérie est acclamée dans les rues de sa banlieue populaire de São Paulo. Et sur le chemin du retour, qu'elle effectue à pas lents, elle murmure, comme une prière, le refrain de l'hymne des Gaviões da Fiel : « Regarde cette bande fous Ils sont fous de toi, Corinthians Et à ceux qui pensent que c’est peu Je leur crie : Je vis pour toi Corinthians. »

































Le Jésus de Gradiins

« Jesus Tricolor », de son vrai nom Pedro Luna, a hérité de ses parents deux passions : sa mère lui transmet dès sa plus tendre enfance la foi catholique ; son père l’amour du foot. Deux raisons de vivre qu’il retrouve chaque week-end. L'une le dimanche matin, de bonne heure, à la messe, et l'autre l’après-midi, au stade municipal pour assister au match de l’un des clubs les plus populaires du Brésil, le club l’équipe de Santa Cruz. À 17 ans, sa mère demande à Pedro d’incarner le Jésus de Nazareth dans les rues d’Olinda (ville voisine de Recife, dans le Pernambouc) lors des processions de la Semaine Sainte, ces spectacles populaires qui retracent les principaux épisodes de la vie de Jésus. Il est vrai que sa ressemblance avec le Christ est frappante… Pedro aime jouer ce rôle, et ploie sans sourciller sous le poids de la croix. Il deviendra le Jésus de sa ville pendant de nombreuses années.Vêtu des attributs de la souffrance humaine, d'une tunique blanche et d'une couronne d’épine, Pedro prend goût...à la Passion du Christ. Il force alors son personnage et acquiert une renommée locale en devenant le Jésus des gradins, dans le mythique le stade mythique d’ Arrudão, Mythique car ce stade de l’équipe de Santa Cruz n’existe que qu’existe grâce à l’argent et à la sueur de ses supporters, qui l’ont construit de leurs propres mains. Aujourd'hui, étudiant en sciences sociales à Recife, ce militant des causes sociales délivre la bonne parole dans les gradins, un message de paix pour contenir la violence rampante dans les stades. Quand l'équipe de Santa Cruz gagne, les supporters le remercient de sa présence. Quand elle perd, il y a toujours quelqu’un qui reproche au Jésus des gradins de l’avoir abandonné…lui et son équipe ! Mais peu importe. Il continue à prêcher la civilité dans un univers où la violence est latente. Avec défaite ou victoire, Jésus Tricolor continue à croire à son rôle de pacificateur.



































Le Peladão

Au Brésil, il est courant de voir une bande de copains courir après un ballon. Ces matchs sans prétention dont le seul objectif est de s'amuser ensemble s'appellent les Peladas. Tout en respectant les règles de base du foot, la Pelada s'adapte à toutes les circonstances : le terrain, le ballon, le nombre de joueurs... Mais à Manaus, la capitale amazonienne nichée au bord du fleuve Rio Negro, la Pelada se magnifie en Peladão. Le mot gagne en superlatif, il prend une toute autre dimension : c’est le plus grand tournoi de football amateur au monde ! Lors de sa première édition, en 1973, les organisateurs ont décidé d’associer au tournoi masculin un concours de beauté. La règle principale : l'équipe inscrite au championnat de foot propose sa propre reine. Pour jouer au Peladão, nul besoin d'être un roi Pelé. De même, il n’est pas nécessaire d’être un top model pour être proclamée reine. Ainsi, la meilleure équipe gagne et la plus belle femme est désignée la « Reine du Peladão ». Le Peladão est devenu très populaire dans cette région. Il attire plus de spectateurs que les matchs officiels de la ligue professionnelle de Manaus. Au cours de sa 41e édition, plus de 500 équipes se sont inscrites. Autant de reines donc défilant sur la pelouse du stade, applaudies dans les tribunes par les amis, les supporters et la famille. Bon nombre d'entre elles ont accepté d’être candidates simplement pour accompagner une connaissance ou un parent, tous ceux souhaitant participer au Peladão. Mais pour certaines de ces filles, les plus belles d’entre elles, la participation à la compétition peut être le point de départ d'une carrière de top model. Devenir une star, pour ces reines de beauté comme pour ces amoureux du ballon, est une réalité. Priscilla Meirelles fut couronnée Miss Earth trois ans après avoir été élue « Rainha do Peladão 2001 ». Et plusieurs joueurs ont vu leur carrière professionnelle commencer sur les terrains de quartier avant d’êtres consacrés dans les stades. Le rêve persiste.





































Bacalhau

Si c’était seulement son sourire coloré et spontané, Bacalhau passerait incognito dans les rues de Garanhuns, petite ville du Pernambouc. Mais c’est tout à fait impossible : partout où il va, on reconnaît forcément le personnage. Et pour cause, depuis presque 40 ans, il porte jour et nuit du blanc, du rouge et du noir, les couleurs de son club : le Santa Cruz. Ce rituel peut être interprété par le profane comme d'essence religieuse. Pas du tout. Pour Bacalhau, c'est de la passion. Et cet amour n'a nul besoin d'explication. Né à Recife, capitale de l’état de Pernambouc, dans une famille catholique et pauvre, il hérite de son père, supporter inconditionnel du club local, le Santa Cruz, la passion du foot. C’est lui qui l'emmène voir les matches. Quel rêve de gosse ! Bacalhau est entouré de ses idoles. D'un côté son père, de l'autre, les joueurs de son club. (Ça n'est pas exactement ce qui était écrit, mais je ne sais pas si ça peut te plaire). Ces moments sont ses plus beaux souvenirs d'enfance. Mais à 8 ans, son insouciance prend fin, brutalement : son père est assassiné. La famille rapidement décomposée, l’abandonne. La jeune pousse devient sauvage. Bacalhau découvre la liberté en solitaire, il erre alors dans les rues, dort sur les plages et parfois dans la forêt toute proche. Seule balise pour contrer la dérive : le foot. De plus en plus passionné par le Santa Cruz, le club devient sa nouvelle famille. Sa passion se traduit par une transformation physique. Il troque ses dents blanches contre un dentier peint aux trois couleurs du club (Là, je ne sais pas si le dentier lui recouvre les dents ou s'il remplace carrément les dents). Dans le premier cas, pour que ce soit bien clair, il faudrait dire : Un dentier peint aux trois couleurs du club vient camoufler ses blanches dents. Si c'est la deuxième solution, on peut mettre ma première proposition, avant les parenthèses)…Et sa fidélité envers le club devient absolue : un jour, il accourt au chevet de sa femme, victime d'un accident de la route, heureusement sans conséquences. Là, il est consterné par ce qu'il découvre. Elle porte le maillot d'une équipe adverse ! Bacalhau est scandalisé, stupéfait et en colère ! Après 25 ans de mariage, il divorce sur-le-champ. Enfin il se met définitivement en ménage avec lui ! (avec qui ?) Aujourd'hui, les touristes viennent de loin visiter son excentrique maison, où toutes les pièces sont peintes aux trois couleurs de son club adoré. Ce petit homme, âgé aujourd’hui de 71 ans, inspire la sympathie. Son caractère bon enfant et sa serviabilité sont appréciés par la communauté de Garanhuns. Malgré les épreuves tragiques qu'il a traversées, il voit toujours la vie du bon côté, et il partage sa bonne humeur avec les autres. Son rêve le plus fou ? Que le jour de sa mort, l'arbitre demande une minute de silence et qu'il soit acclamé par les supporters de son équipe dans les gradins du stade Arrudão. Qu’on crie son nom du haut des tribunes et qu’il puisse l’entendre du ciel, du ciel clément. (Ciel clément veut dire en général, un climat plus doux, plus favorable. Je pense que ce n'est pas ça que tu as voulu dire. Peux-tu m'expliquer un peu ce que tu as voulu dire ou me donner le texte en portugais. Merci.) En attendant ce jour, Bacalhau a fait préparer son cercueil aux couleurs de l’équipe. Il est installé dans une pièce de sa maison. Il est donc prêt. Sa passion pour le club est éternelle.


































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