Respiration(s)

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Jade Le Kim

Respiration(s)





Respiration(s)



Jade Lê Kim

Respiration(s)

2010 Ensad Design Objet Mémoire dirigé par Anna Bernagozzi



Introduction

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I. Inspirer 1. Influencer / Guider 1,01 Bibliothèque 1.02. Internet 1.03 Musées / Galeries / Expositions 2. Mouvement / Dynamique / Projection 2.01 Constat 2.02 Prospective 2.03 Futurologie 2.04 Déviations de la Prospective et de la Futurologie 3. Sentiment / Souffle 3.01. Salons 3.02. Facebook 3.03. Conférences 3.04 Institutions

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Inspirations

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II. Expirer 1. À bout de Souffle 1.01 L’Emergence d’une Prise de Conscience 1.02 Les Changements d’une Profession 1.03 Une Situation Bloquée 2. Un Bol d’Air 2.01 Se Fédérer 2.02 Éduquer 2.03 Agir

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Conclusion

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Bibliographie

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Introduction Respirer est pour l’être humain, un réflexe, et un mécanisme vital. Il nous permet de nous alimenter en oxygène, combustible essentiel à notre corps pour assurer les fonctions qu’il doit accomplir et pour rejeter les déchets gazeux liés à ces fonctions. Un processus assez semblable s’accomplit chez les designers et dans la création en général. Design Nom masculin (anglais design, projet, du français dessein) * Discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets usuels jusqu’à l’urbanisme. * Ensemble d’objets créés selon l’optique de cette discipline : Vendre du design. Cette définition du design dans le dictionnaire Larousse me semble peu précise et très restrictive. Le design vient du même mot en anglais et peut être utilisé de deux manières : un substantif qui aurait pour sens la projection, le plan, le dessein, l’objectif ou encore la configuration, la forme. La seconde utilisation est en tant que verbe et signifie manigancer, simuler, procéder de façon stratégique ou encore ébaucher et esquisser. Design provient aussi du latin, designare qui lui même a pour origine, le signum, c’est-à-dire le signe. Le design dispense donc un discours par ses représentations, et ces représentations qu’elles soient tangibles ou virtuelles, véhiculent toujours une idée, un concept précis. Ces deux étymologies montrent également que le design est aussi travail de la forme, de l’esthétique, que cela soit pour une image, un objet, un tissu … Le design est donc « l’articulation harmonieuse d’une forme et d’une finalité, la symbiose entre des dimensions matérielles et immatérielles », un dessin et un dessein. Si le design est en partie un dessein ou un objectif, cela signifie qu’il est acte d’intention de volonté et de décision. Cet acte de donner une idée, une intention nécessite un état mental particulier pour celui qui la donne, un état qui favorise l’imagination, la conception et l’expression de cet acte. Cet état est celui dans lequel on se trouve lorsqu’on a « trouvé l’inspiration », lorsqu’on a inspiré des choses qui par une alchimie indéfinissable, nous donnent l’exaltation et les idées pour créer.

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dictionnaire Larousse

Petite Philosophie du Design Vilém Flusser

L’ABCdaire du Design Valérie Guillaume, Benoît Heillrunn Oliver Peyricot


dictionnaire Larousse

Inspiration Nom féminin,atin inspiratio, -onis, souffle) * Mouvement intérieur, impulsion qui porte à faire, à suggérer ou à conseiller quelque action : Suivre son inspiration. * Enthousiasme, souffle créateur qui anime l’écrivain, l’artiste, le chercheur : Chercher l’inspiration. * Ce qui est ainsi inspiré : De géniales inspirations. * Influence exercée sur un auteur, sur une œuvre : Une décoration d’inspiration crétoise. * Phase de la respiration pendant laquelle l’air atmosphérique, riche en oxygène, pénètre dans les poumons. Si l’inspiration est donc un sentiment, un état mental particulier, une influence, il y a donc quelque chose à l’extérieur qui favorise l’apparition de ce sentiment, des sources d’inspirations. Tout est source d’inspiration : d’un végétal à une femme, d’un paysage à une scène de vie, d’une vue à un tableau… Ce n’est pas la nature de cette source d’inspiration qui est importante, mais surtout comment celle-ci vient interagir avec nous. On peut imaginer une première interaction consciente (voire provoquée) : un artiste va aller voir une exposition car il sait, par bon sens, qu’il est bon pour lui et son travail de voir d’autres travaux. Où alors, il sait que ce qu’il va voir est susceptible de faire naître chez lui une idée. Le fait « d’aller chercher l’inspiration » vient d’une volonté personnelle et d’une réflexion sur son travail. Quel que soit le type de travail, on sait qu’il s’inscrit dans tel domaine, s’apparente ou se différencie de celui de telle personne, ce qui va nous pousser à nous y intéresser ou pas. Cependant, cette démarche, bien que tout à fait respectable, peut risquer à une sorte d’enfermement. On se dirige naturellement vers ce que l’on connaît, ce qui nous conforte et pas forcément vers ce qui pourrait faire évoluer notre travail. Une interaction inconsciente me semble plus intéressante du fait qu’en ne dirigeant pas son regard, on peut être inspiré par quelque chose d’inattendu. Nos cinq sens sont en permanence en éveil et ils font de nous une sorte d’éponge perméable à tout ce qui nous entoure. Aujourd’hui, des méthodes, des moyens technologiques permettent d’exacerber l’inspiration. Ils ne sont pas des sources d’inspiration en eux-mêmes mais ils en favorisent l’accès, la compréhension ou le cheminement des idées.

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Mais si les designers s’inspirent de choses, ils en expirent d’autres par leurs créations : toute production de designer véhicule un concept, une idée et est un acte de volonté. Les designers transmettent des messages, et ce qu’ils expirent servira à inspirer d’autres designers. Qu’avons-nous expiré en tant que designer jusqu’à présent ? Que voulons-nous expirer au monde de demain ? Il y a donc non seulement inspiration, mais aussi expiration et ces deux mécanismes sont les deux phases d’un processus vital pour la création, la Respiration des Designers. Dans ce mémoire, je vais tenter d’expliquer dans un premier temps, ce qu’est l’inspiration et quels moyens nous avons à notre disposition pour l’exacerber. Une analyse poussée de la définition me permettra de classer ces moyens en catégories et d’analyser les rapports que j’ai avec ces moyens. Dans un second temps, je tenterai de définir ce que les designers expirent aujourd’hui et ce qu’ils devront expirer pour créer le monde de demain. Les hommes depuis peu ont pris conscience de l’impact de leur civilisation sur notre planète, et cette prise de conscience remet profondément en question nos modes de vie. La question du mode de vie n’étant pas étrangère à la pratique du design, celui-ci est aussi en pleine mutation et son rôle dans nos sociétés se développe. Il est donc nécessaire de voir quelles sont ses nouvelles missions et quelles attitudes les designers devront adopter pour être en harmonie avec la société de demain. Ce mémoire est pour moi, l’occasion de d’analyser les rapports que j’ai avec ces ressources qui m’aident à créer au quotidien, ces moyens technologiques qui nous semblent tellement acquis que leur rôle dans la création en est oublié. L’inspiration est une donnée essentielle dans la création et celle-ci étant en plein changement, la manière de s’inspirer doit aussi évoluer. Il me semble également important d’avoir une vision plus claire des possibilités du métier de designer : prendre conscience des directions que le design peut prendre me permettra de faire un choix et de définir ce que je voudrais apporter à ce monde en tant que designer.

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I. Inspirer Verbe transitif (Latin inspirare) * Créer chez quelqu’un, en particulier chez un artiste, un état privilégié qui lui favorise la création, l’imagination, l’invention : Paris inspire de nombreux poètes. * Intéresser et donner l’occasion à quelqu’un, à son imagination, à ses capacités intellectuelles de s’exercer facilement : Le sujet de l’examen ne m’inspirait pas. * Influencer, guider, dicter l’action de quelqu’un, être à son origine : C’est la peur qui m’a inspiré cette démarche. * Susciter, provoquer, faire naître chez quelqu’un un sentiment : Inspirer à ses enfants le goût de la lecture. Inspirer le respect. Respirer Si l’on prend l’étymologie latine du mot « inspiration », elle est donc un souffle. Un souffle intérieur, mais aussi un souffle qui vient de l’extérieur, car l’inspiration est une phase de « respiration ». En s’inspirant de quelque chose, nous respirons cette chose. Tout comme la respiration est vitale pour les êtres vivants, l’inspiration est vitale dans le processus créatif. Sentiment « Je me sens inspirée pour ce… » L’inspiration est un sentiment personnel qui vient appuyer la création. Se sentir inspiré, c’est se sentir apte à donner naissance à une idée. Se sentir inspiré suscite à la fois une exaltation, une excitation chez celui en quête d’inspiration et en même temps un immense soulagement. L’exaltation d’avoir trouvé une piste à explorer même si l’on est qu’au début d’un chemin de création. Rien n’est plus angoissant que d’être sans but. L’inspiration rassure et crée donc un état de confiance dans lequel celui qui cherche à créer, imaginer, ou inventer va pouvoir s’exprimer. Mouvement Cependant, si l’inspiration est souffle, elle est donc mouvement. Tout d’abord un mouvement entre nous et l’extérieur car nous percevons par nos sens, des choses et nous nous en imprégnons. Ce que nous percevons interagit avec notre esprit, notre vécu, ce qui crée aussi un mouvement intérieur.

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dictionnaire Larousse


L’inspiration est donc allers-retours entre notre contexte et notre esprit. Elle est à la base de tout processus créatif et elle influence notre manière de créer. La question que l’on se pose alors est : qu’est-ce qui nous inspire ? Comment fonctionne l’inspiration ? Interactions Tout est source d’inspiration : d’un végétal à une femme, d’un paysage à une scène de vie, d’une vue à un tableau… Ce n’est pas la nature de cette source d’inspiration qui est importante, mais surtout comment celle-ci vient interagir avec nous. On peut imaginer une première interaction consciente (voire provoquée) : un artiste va aller voir une exposition car il sait, par bon sens, qu’il est bon pour lui et son travail de voir d’autres travaux. Où alors, il sait que ce qu’il va voir est susceptible de faire naître chez lui une idée. Le fait « d’aller chercher l’inspiration » vient d’une volonté personnelle et d’une réflexion sur son travail. Quel que soit le type de travail, on sait qu’il s’inscrit dans tel domaine, s’apparente ou se différencie de celui de telle personne, ce qui va nous pousser à nous y intéresser ou pas. Cependant, cette démarche, bien que tout à fait respectable, peut conduire à une sorte d’enfermement. On se dirige naturellement vers ce que l’on connaît, ce qui nous conforte et pas forcément vers ce qui pourrait faire évoluer notre travail. Une interaction inconsciente me semble plus intéressante du fait qu’en ne dirigeant pas son regard, on peut être inspiré par quelque chose d’inattendu. Nos cinq sens sont en permanence en éveil et ils font de nous une sorte d’éponge perméable à tout ce qui nous entoure. Multiplicité La nature des sources d’inspiration est très variable et il est intéressant de regarder comment celles-ci ont évolué avec le temps et à travers l’histoire de l’art. Les statues de la Grèce Antique (surtout vers VIIe au Ve siècle) montrent une grande corrélation entre les mythes religieux : les artistes trouvent l’inspiration dans des scènes de légendes ou de mythes de l’Olympe. Les statues montrent des visages sans expression particulière comme pour ne pas dénaturer l’âme. La naissance de la démocratie à Athènes, les guerres contre l’empire Perse ou entre les cités, vont modifier les sujets artistiques : le sacré demeure toujours

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un sujet de prédilection, mais les sculptures deviennent plus animées, les visages plus dramatiques, comme si le tragique des événements de l’époque avait influencé les artistes. Un grand saut dans le temps nous conduit au XIVe siècle et aux débuts de la Renaissance. Cette période est marquée par le courant de l’Humanisme qui préconise un retour à l’éducation par les textes classiques afin de favoriser l’ascension humaine. Ce recentrage philosophique autour de l’homme provoque également un recentrage artistique. L’homme tend à être plus analysé qu’idéalisé et les artistes s’efforcent d’acquérir la science de l’anatomie et de progressivement s’inspirer de modèles vivants. Giotto (Florence, v. 1267-1337) amorce cette révolution en attachant de l’importance non pas au réalisme physique de l’homme, mais au réalisme de ses attitudes et de ses gestes au sein d’une scène. Donatello (Florence v. 1386- 1466) donne lui, du réalisme aux corps, en s’inspirant directement de modèles vivants : le Saint Georges (1415-1416) montre une expressivité et une présence plus fortes dans son visage, comme dans son attitude par rapport aux sculpteurs précédents. La peinture hollandaise du XVe siècle pousse cette inspiration et analyse de la nature jusqu’à une précision jamais inégalée : le but n’est pas de recréer la réalité mais de s’en inspirer afin d’en obtenir une illusion parfaite. Le tableau de Jan Van Eyck, Giovanni Arnolfini et sa femme (1434) donne l’illusion de surprendre le couple tant le niveau de détail est important dans les matières et lumières. Un autre saut dans le temps nous amène à la fin du XIXe siècle. Le mouvement de l’impressionnisme marque une rupture avec la peinture précédente. La nature dans sa diversité de scènes, reste toujours la principale source d’inspiration mais la volonté n’est plus à la précision réaliste mais à la vibration et à l’émotion. L’art du XXe siècle permet de constater une diversification plus forte des sources d’inspirations. Les Surréalistes qui viennent chercher l’inspiration, non plus dans la réalité de la vie quotidienne, mais dans leur inconscient. Avec le développement des médias et de l’accès à l’information, l’inspiration vient se loger dans l’actualité : des évènements politiques, sociaux, économiques sont à l’origine d’œuvres comme par exemple le tableau Guernica du peintre espagnol Pablo Picasso (1937) qui traite de l’horreur de la guerre. L’inspiration n’est plus directe, elle peut n’être qu’un thème suggérant une réflexion dans l’œuvre :

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Histoire de l’Art E.H. Gombrich


c’est le cas avec Marcel Duchamp qui avec ses ready-mades où l’inspiration vient d’un questionnement politique sur la notion d’œuvre d’art. Au travers de l’histoire de l’art, on s’aperçoit donc que les sources d’inspirations sont complètement liées à l’histoire des hommes : les sujets des œuvres sont liés aux croyances, aux mythes, aux évènements contemporains de leurs époques. Ces sources d’inspirations sont toujours brutes : elles ne sont ni organisées, ni traitées. Révolution(s) Une invention va révolutionner le rapport des artistes à leurs sources d’inspiration : l’avènement de l’imprimerie au XVe siècle va permettre non seulement la diffusion d’idées, de savoirs, d’images à grande échelle mais aussi leur pérennité par le nombre d’exemplaires. Le livre devient un support physique pour pérenniser un instant : il devient un moyen de stockage d’informations, un moyen d’organisation et de répertoire d’un existant parfois éphémère. La richesse de son développement va faire de lui un outil pour les artistes, les créateurs : par son biais, ils vont avoir accès à des connaissances variées tant dans leur contenu que dans leurs origines géographiques, mais aussi diffuser leurs propres idées ou créations et participer à cette grande base de données. Par la suite d’autres outils vont se développer grâce à l’impression et par le développement de nouvelles techniques au fil du temps. Parmi les grandes avancées, on peut citer l’invention de la photographie vers les années 1820, qui grâce à son procédé, va permettre de capter le réel non pas tel que l’homme le perçoit, mais tel qu’il impressionne le support. La révolution numérique va bouleverser les outils existants et en produire de nouveaux : l’invention et le développement de l’ordinateur (des premiers calculateurs programmables jusqu’à l’IPad, micro-ordinateur tactile et intuitif, relié à Internet) va permettre de numériser, stocker des informations et de les extraire de leur dimension temporelle. L’accroissement de personnes utilisant cette machine et surtout leur mise en relation, grâce à Internet vont donner des outils en évolution permanente et accessibles au plus grand nombre.

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En tant que designer, chercher l’inspiration par rapport à une demande ou un sujet commence par rechercher l’existant : à partir du thème, nous dégageons des pistes, des mots-clefs qui vont nous permettre des travaux, des créations, des réflexions se rapportant de près ou de loin à notre thème de départ. Concrètement, il s’agit de bâtir un univers en sélectionnant des projets déjà réalisés, afin de trouver une piste qui soit est dans l’amélioration, le prolongement de ces projets, soit de s’en écarter et de voir où se trouvent les manques. Cette phase pourrait donc être une phase d’imprégnation, d’influence par l’existant. Après avoir choisi une piste qui nous semble judicieuse, l’étape suivante est de l’inscrire dans le temps présent : la recherche de projets réalisés nous a certes fourni des données, mais celles-ci concernent un temps passé parfois éloigné du contexte dans lequel on se trouve. Il faut donc inscrire notre piste dans le présent, lui trouver des données sur lesquelles le designer pourra s’appuyer pour trouver une réponse pertinente. Cependant, on crée plus que pour l’instant présent. Dans une optique de durabilité, il faut prévoir les comportements à venir, les besoins à plus ou moins long terme afin de ne pas donner des solutions immédiatement consommées, immédiatement jetées. Il faut donc inscrire notre piste de solution dans le temps présent mais aussi dans les temps possibles à venir, donc dans un mouvement, une dynamique à plus ou moins long terme. Enfin, lorsque cette piste commence à se formaliser, il nous faut la remettre en question, la confronter à d’autres pistes, l’enrichir par d’autres moyens. Il faut échanger, interagir avec d’autres personnes afin de remettre en question sa viabilité, sa pertinence avant même d’envisager son expression formelle. Ainsi, le processus qui permet au designer de donner naissance à une idée suit une méthodologie bien précise. La méthodologie dont je vais parler est la mienne et je ne cherche pas à faire de généralités. Bien qu’elle ne soit pas totalement mûrie et approfondie par l’expérience et les années, il me semble intéressant de l’analyser et de m’en servir. Je vais m’appuyer sur ses 3 étapes pour classer les outils que les designers emploient quotidiennement : le but de ce classement est d’expliquer le fonctionnement technique de ces outils mais aussi le rapport que nous entretenons avec eux.

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1. Influencer / Guider L’inspiration ne peut se baser uniquement sur la poésie d’un instant inattendu : cet instant nous touche, car il fait écho à quelque chose en nous. Cela peut être un autre instant vécu, quelque chose que nous avons vu, lu, entendu : un souvenir ancré dans notre esprit. Au cours de notre vie, nous acquérons des souvenirs d’expériences qui peuvent avoir par une alchimie insaisissable, un écho avec un instant que nous vivons. Les humains possèdent ainsi naturellement, d’immenses bases de données stockées dans leur mémoire. Dans le langage courant, on emploie ce terme pour définir tout regroupement, toute collection d’informations suivant un classement et un fonctionnement défini. Cette base peut avoir différentes formes matérielles ou non et regrouper des informations qui varient tant dans leur nature que leur contenu. 1.01 Bibliothèque Une bibliothèque (du grec ancien βιβλιοθήκη : biblio, «livre» ; thêkê, «place») est à la fois « une collection de livres, de périodiques et de tous autres documents graphiques et audiovisuels classés dans un certain ordre » mais aussi le lieu abritant cette collection. Quelles que soit leur type, elles sont d’immenses bases de savoir. On peut parler de bibliothèques ouvertes au public (qu’elles soient publiques comme les bibliothèques municipales ou privées) et de bibliothèques privées au sens de celles qu’une personne possède chez soi. Les bibliothèques ouvertes au public permettent de consulter des documents et parfois de les emprunter pour une durée déterminée. Les premières bibliothèques apparaissent dans l’Antiquité entre le IXème et le VIème siècles av. J-C sous la forme de collections de tablettes d’argile en Égypte, Assyrie et Grèce. La plus connue des bibliothèques antiques est celle d’Alexandrie, crée au IIIème siècle av. J-C, par l’un des généraux d’Alexandre Ptolémée Ier. Elle aurait compté jusqu’à 700 000 volumes de toutes origines : en effet, Ptolémée Ier demandait à tous les états amis, d’envoyer des œuvres écrites qui étaient ensuite traduites en grec. Le port d’Alexandrie favorisa également la croissance du fond de la bibliothèque.

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La bibliothèque d’Alexandrie devint progressivement grâce à l’énergie et l’influence du pouvoir royal, un prodigieux centre de recherches académiques réservé à une élite de savants. Elle fut détruite en partie vers 50 av. J-C lors de la vengeance de César après l’assassinat de son rival Pompée par ordre du souverain d’Alexandrie, Ptolémée XIII. 40 000 à 70 000 volumes stockés dans des entrepôts furent incendiés. Par la suite, les historiens supposent que les guerres entre païens et Chrétiens et/ou la conquête arabe au VIème siècle ap. J-C. Par la suite, au Moyen Âge, les bibliothèques prennent de l’importance, soutenues par des rois tels Saint Louis ou Charles V. Elles se rapprochent aussi du pouvoir religieux et sont essentiellement créées et enrichies par les monastères comme celle de l’abbaye du Mont-Cassin ou celle du Vatican en Italie. Les universités crées en occident au XIIème siècle, se dotent elles aussi de bibliothèques, ce qui permet aux laïcs d’accéder à la lecture. L’invention de l’imprimerie utilisant des caractères mobiles en plomb vers 1440, modifie le contenu des bibliothèques et contribue à leur développement. En effet, le volumen, rouleau de papyrus remplacé ensuite au IIIème siècle ap. J-C par le codex, livre manuscrit relié sur le côté, puis enfin par le livre imprimé. Le livre imprimé permet de baisser les coûts de production et donc d’élargir la diffusion des œuvres. Le développement de l’Humanisme pendant la période de la Renaissance, fait croître l’idée que les bibliothèques sont d’utilité publique, ce qui favorise encore plus leur développement à travers l’Europe. François Ier crée le dépôt légal, mesure qui oblige les imprimeurs à déposer un exemplaire de chacune de leurs publications à la bibliothèque du roi. Il faut ce pendant attendre le XXème siècle pour que les bibliothèques deviennent réellement accessibles : les bibliothèques municipales deviennent gratuites, on crée des catalogues et de nouveaux moyens de classification par thèmes / natures de documents / auteurs /… Le développement de l’apprentissage de la lecture, puis l’instauration de la scolarité obligatoire apportent de nouveaux lecteurs : la lecture n’est plus réservée qu’à l’élite,

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ce qui pousse les bibliothèques à diversifier tant leur contenu que leurs activités : elles organisent des expositions, des rencontres, des colloques ou conférences, créent des zones spécialisées (comme pour les enfants, les sciences…). L’association de l’informatique aux bibliothèques à partir des années 1980 permet d’améliorer leur fonctionnement interne et les relations entre bibliothèques sur un même fond. Aujourd’hui, une bibliothèque n’est plus qu’une simple accumulation de documents. L’évolution des usagers, de leurs attentes a poussé les bibliothèques a ne plus être de simples lieux de stockage de données mais à devenir des structures de services aux usagers. Une bibliothèque fournit des supports d’informations de manière brute : elle ne cherche pas à décrypter les informations données par les livres mais peut y faciliter l’accès. Se rendre à la bibliothèque donne aussi l’impression de se retrouver dans une caverne d’Ali Baba : on se sent tel un explorateur en quête d’un trésor perdu qu’est l’information ou le livre que l’on recherche. Atteindre le but, trouver ce que l’on cherche n’est au final pas le plus important : se perdre dans les allées, les rangées de livres, se noyer dans le flux d’informations est tout aussi jouissif, car c’est s’émerveiller de siècles de cultures, d’écritures réunies par l’homme. Les bibliothèques existent physiquement dans notre monde et comme tout chose qui existe, elles sont limitées spatialement par des murs. Une technologie a cependant permis de rendre virtuel ce savoir, l’affranchissant ainsi des contraintes de notre monde. 1.02 Internet La nécessité de pouvoir communiquer fut à l’origine du « réseau des réseaux » à l’aube des années 1960 aux Etats-Unis : la collaboration entre deux équipes de chercheurs en informatique situées à plusieurs milliers de kilomètres de distance et la nécessité de maintenir des communications militaires en cas d’attaque furent les deux principales raisons. L’enjeu devient rapidement de connecter des réseaux d’ordinateurs entre eux afin de n’en former qu’un seul. Trois chercheurs américains, Donald Davies

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(National Physical Laboratory), Paul Baran (Research and Development RAND Corporation) et Leonard Kleinrock (Massachusetts Institute of Technology) rendèrent cet enjeu possible. En effet, cette connexion entre différents réseaux pouvait provoquer des conflits entre eux et des destructions de données. Ils créèrent une forme de transmission des données appelé aiguillage par paquets (packet switching) : une donnée est encapsulée en plusieurs unités, comprenant toutes les informations pour la transmettre et pour la décoder à l’arrivée. Un réseau est créé grâce à cette innovation : le réseau ARPANET, développé à partir de 1966 par la DARPA, l’agence de recherches avancées pour le Département de la Défense des Etats-Unis. La firme Bolt, Beranek and Newman (BBN) fut chargé de produire le matériel nécessaire. Le premier lien fut établi entre l’université UCLA (Los Angeles, Californie) et le Stanford Research Institute le 21 novembre 1969. Le mois d’après, deux nœuds sont ajoutés, les universités de Santa Barbara et de l’Utah. Par la suite, de nouvelles branches sont créées portant le nombre de nœud jusqu’à 111 en 1977. Parallèlement, les premières applications utilisant ce réseau sont développées comme le courrier électronique mis au point en 1972. Cependant, plus le nombre de nœuds ARPANET augmentait, plus la diversité des communications entre nœuds s’accroissait. Il fallut donc trouver un moyen d’uniformiser ces communications : le protocole TCP/IP (Transmission Control Protocol / Internet Protocol) est créé en 1974 et toujours en vigueur de nos jours. Il permit en outre d’augmenter le nombre de réseaux reliés entre eux par ce système. Ce protocole de fonctionnement, d’abord utilisé aux Etats-Unis s’exporta en Europe et permis la globalisation du réseau : ainsi le terme « Internet » qui signifiait « inter-réseaux » prit la nouvelle signification de réseau mondial étendu utilisant le protocole TCP/IP L’augmentation du nombre d’utilisateurs et du nombre d’applications utilisant Internet poussa les chercheurs à essayer de restructurer l’architecture du réseau. Une application majeure fut développée par Tim Berners-Lee, chercheur au CERN, à partir des années 1990 : le World Wide Web, un système regroupant une multitude de pages écrites en HTML (HyperText Markup Language) et reliées entre elles par des liens hypertextes. Le Web utilise un nouveau protocole de transmissions de données, le http (Hyper Text Transfer Protocol).

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Le Web, un nombre infini de pages reliées par un seul même système.

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L’application Web est l’image que l’on a aujourd’hui d’Internet : un ensemble de pages contenant textes, musiques, images, vidéos, applications, accessibles par une adresse URL (Uniform Ressource Locator) ou en cliquant sur un lien. Internet devient alors plus qu’un simple système de communication, il devient un système de partage et de stockage de d’information, une base de données à l’échelle mondiale. Le chercheur Joël de Rosnay analyse les évolutions passées et à venir d’un certain nombre de domaines dont Internet. Il affirme qu’Internet est passé du statut de Technologie de l’Information et de la Communication (TIC) au statut de Technologie de Relation (TR). En effet, à partir de la technologie de mise en réseau d’ordinateurs, ont été développé des applications et des services allant au-delà du simple échange informatique. Des démarches de la vie quotidienne comme envoyer du courrier, écouter de la musique, regarder un film, faire des recherches, consulter ses comptes bancaires ou encore réserver un voyage, un spectacle ont été virtualisées afin de simplifier leur accès. Le Web a même permis de prolonger ces applications et d’en faire de nouveaux services. Si l’on prend l’exemple de la réservation de billets de train, le site de la SNCF permet la réservation et l’achat de ces billets tout comme le permettaient déjà les agences. Il s’est développé un autre site permettant la revente de billets de train entre les usagers qui ne pourraient pas les échanger. Les usagers mettent en ligne les caractéristiques de leur billet et attendent qu’un autre usager intéressé les contacte. Ce site, à l’échelle de la France, propose un service qui serait difficile à créer sans la technologie Internet : il met en relation des personnes qui ont des besoins complémentaires. Ainsi, Internet ne sert plus seulement de vitrine, il met en relation des personnes plus facilement et génère des applications pour simplifier la vie de ses usagers. Ce développement d’Internet ne s’est pas fait uniquement par des chercheurs : Internet facilitant par son fonctionnement, la communication et l’échange d’idées, ce sont toutes ces personnes reliées entre elles par Internet, qui ont pu développer ses applications. Joël de Rosnay parle ainsi « d’intelligence collaborative » qui fait évoluer Internet en Technologie de Relation (TR) grâce aux interactions entre ses agents.

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2020 : les Scénarios du Futur Joël de Rosnay

www.trocdestrains .com


Ainsi, Internet regroupe aujourd’hui près de 1,59 milliard d’utilisateurs (en mars 2009, selon l’Internet World Stats) qui participent tous à leur manière à son développement. Les évolutions technologiques des ordinateurs, modem et autres terminaux ont amélioré la rapidité du réseau et diversifié la nature des données que l’on peut y trouver (vidéo, sons, images,…). Chaque photo mise en ligne, chaque musique partagée, chaque information transmise alimente cette immense et impérissable base de données qu’est devenu Internet : elle se nourrit de toutes les interactions entre ses agents rendues possibles par des applications telles Facebook, Google, Picasa… Internet est donc aujourd’hui la première ressource que l’on utilise quand on a besoin de rechercher une information. Dans le cadre d’une recherche d’idées pour un designer, Internet représente un formidable vecteur d’inspirations. Je me propose d’étudier quelques applications d’Internet souvent utilisées par les designers.

Jimmy Wales

La première application dont je vais parler est Wikipédia. Wikipédia est un projet d’encyclopédie libre collaborative issu d’un premier projet, Nupedia. Nupedia, fondé en mars 2000 par un homme d’affaires américain, Jimmy Wales. Le but de ce projet était de créer une encyclopédie libre en ligne, de grande qualité et rédigée par un comité d’acteurs scientifiques. Cependant la rareté des collaborateurs ralentit la progression du projet. Son rédacteur en chef, Larry Sanger, proposa alors à Jimmy Wales, de créer sur le modèle de Nupedia, un autre site Web dont les pages seraient modifiables par les visiteurs du site (wiki) et qui filtrées et vérifiées par des experts, pourraient compléter les pages de Nupedia. Cependant, la progression de Wikipédia fut bien plus rapide que celle de Nupedia, et ce projet fut définitivement enterré en septembre 2003 au profit du « projet d’encyclopédie librement distribuable que chacun peut améliorer » Le développement de Wikipédia s’est fait grâce à l’augmentation de ses collaborateurs bénévoles et grâce aux dons reçus de lecteurs, mécènes ou fondations : la Wikimedia Foundation a reçu en 2007-2008, 6,4 millions de dollars US de donateurs et les a redistribué dans les différents projets dont elle s’occupe.

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En effet, Wikipédia s’est doté de nouvelles applications, afin de compléter sa mission : le Wiktionary, un dictionnaire (2002), Wikiquotes, un recueil de citations (2003), Wikimedia Commons, une banque de données multimédia en licence libre (2004)… Wikipédia permet l’édition, la modification, l’utilisation de ses articles à tous les internautes : étant un projet collaboratif, il est régi selon des règles de bon sens, de dialogue et de savoir-vivre. La pensée de Wikipédia est de fournir des informations d’un point de vue neutre, de « décrire le débat plutôt que d’y participer » L’auteur d’un article se doit d’exprimer objectivement les idées relatives au sujet, de les étayer par des sources extérieures et fiables. Sur une question portant à controverse, il doit aborder tous les points de vue sans insinuer que l’un est plus fiable que l’autre, et sans en favoriser un par rapport à ses préjugés personnels. La vérification des contenus publiés sur Wikipédia est nécessaire pour la fiabilité des informations. Elle s’effectue sur quatre niveaux : un premier niveau, est une page permettant de vérifier toutes les modifications récentes sur un article. Cette vérification est effectuée par des volontaires et des automates et elle permet de détecter des actes de vandalismes comme la suppression de pages, les insultes… Un deuxième niveau de vérification consiste en la surveillance par les rédacteurs inscrits sur le site, des modifications apportées aux articles qu’ils ont crée ou qu’ils ont modifié. Périodiquement, ces rédacteurs doivent, par une liste de suivi, vérifier ces modifications. Le troisième niveau est la vérification par un correcteur volontaire, de toutes les contributions de l’auteur ayant subi les deux niveaux précédents. L’auteur ayant trop d’erreurs peut se voir interdit de rédaction sur Wikipédia. Le dernier niveau consiste en un projet d’amélioration des articles faisant partie d’un des portails de Wikipédia. Une équipe de volontaires passionnés et/ou spécialisés du thème choisi, relisent, complètent ou corrigent les articles appartenant à ce thème. Wikipédia est organisée par des portails thématiques (Culture et Société, Sciences et Techniques, Histoire, Géographie…), eux-mêmes divisés par disciplines (Arts, Religion, Sciences Humaines et Sociales, …), par époques (Antiquité, Moyen Âge…) ou par continents géographiques. Par la suite, on observe une autre division, par grandes notions correspondant au sous-thème.

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Jimmy Wales


Lorsque l’on cherche directement un article en le tapant dans le moteur de recherches, l’article permet par des liens, de remonter aux divisions précédentes, d’accéder à des articles connexes, ou à des liens externes sur le sujet qui forment une sorte de « nébuleuse » d’informations. Ainsi, Wikipédia est bien plus qu’une base collaborative de données : Wikipédia permet de se créer son propre réseau personnalisé d’informations et de savoir autour d’une simple recherche. Wikipédia, grâce à son accès gratuit et en ligne, fait qu’on se tourne toujours vers cette application pour les premières recherches. Son interface simple et accessible de tout ordinateur connecté à Internet, permet de se renseigner très facilement sur un sujet et son fonctionnement par liens, articles connexes, et de dégager rapidement des pistes. Wikipédia par ses articles synthétise souvent de multiples théories sur un sujet, ce qui permet d’avoir un aperçu global du sujet que l’on traite. En interrogeant des collègues de design, il apparaît qu’une recherche théorique sur un sujet leur semble primordiale : en effet, les designers d’aujourd’hui en viennent souvent à devoir côtoyer des domaines au-delà du design : l’aéronautique, la mécanique, l’informatique,… Pour répondre de manière cohérente à leurs projets et dialoguer avec des intervenants spécialisés, les designers doivent donc se sensibiliser un minimum sur ces sujets. Wikipédia apparaît pour eux comme un moyen d’accéder rapidement aux informations dont ils ont besoin, informations qui sont en plus souvent simplifiées, décryptées pour être plus accessibles que les parutions dont elles sont extraites. Cependant, bien que les designers interrogés accordent de la fiabilité au contenu de Wikipédia, ils estiment que cette application ne doit intervenir que pour dégrossir le sujet, et qu’elle ne doit pas être l’unique source d’informations théoriques.

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L’encyclopédie collaborative est l’exemple du caractère participatif du Web 2.0

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Une autre application utilisant Internet m’intéresse : les blogs apparus à la fin des années 1990. Un blog est une forme de site Web constitué de billets ou « posts » rédigés au fil du temps. Ces billets peuvent toutes les formes : textes, images, vidéos, sons, … Les blogs diffèrent des sites Web par leur facilité de conception : en effet, de nombreux fournisseurs d’hébergement (Blogger, Over Blog, Skyrock Blog,…) permettent une conception rapide d’un blog, à partir de modèles prédéterminés. Le blogueur poste lui-même ses billets, sans passer par un tiers comme un développeur de sites Internet. Il peut également lui-même modifier la forme de son blog en ligne, à l’aide des outils fournis par l’hébergeur. Une autre différence, par rapport à un site Web, est que les lecteurs d’un blog, peuvent poster des commentaires sur les billets. Ce qui crée une possibilité d’échanges, de débat qui n’est pas offerte par les sites classiques. La gestion des articles se fait de manière chronologique mais également aussi par une catégorisation par thèmes, les libellés d’articles. D’autre part, il est possible pour le lecteur d’accéder uniquement aux derniers billets mis en ligne par ce qu’on appelle le fil RSS ou Atom.

State of Blogosphere 2007 Technorati

Le Peuple des Connecteurs http://blog.tcrouzet. com/

La création de blogs a connu un véritable engouement ces dernières années : le moteur de recherches sur la blogosphère, Technorati, estimait le nombre de blogs dans le monde pour l’année 2004 à 4 millions. Trois ans plus tard, en 2007, il en compte plus de 70 millions. En 2007, 120 000 blogs étaient créés en moyenne par jour à travers le monde et les blogueurs postaient environ 1,5 millions de posts par jour, soit plus de 17 posts par seconde. L’attrait principal dans le fait de créer un blog est l’auto-représentation : la possibilité de pouvoir parler de sa personnalité en ligne, voire d’en construire une totalement différente autour de sujets qui lui sont propres. En quoi les blogs sont-ils devenus une source d’informations, d’inspirations pour les créatifs ? Thierry Crouset, blogueur et écrivain, analyse au travers de son blog Le Peuple des Connecteurs et au travers du livre du même nom ( Bourin Éditeur, 2006), le phénomène des utilisateurs d’Internet. Dans un article de son blog, il affirme que le blog est un formidable support pour la pensée en mouvement : selon lui, il est contraire à tout bon sens d’attendre qu’une pensée ou une idée soit « stabilisée et cohérente » pour la partager.

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Bien au contraire, c’est en la partageant avec d’autres qu’elle évolue et la forme du blog permet de rendre parfaitement l’évolution d’une pensée. De nombreux designers créent en plus de leur site officiel, un blog, où l’on voit l’évolution, jour par jour, de leurs travaux, de leur pensée. Ces blogs sont comme des ateliers virtuels qui leur permettent de partager leur personnalité, leurs méthodes, leurs inspirations. De notre côté, cela satisfait notre curiosité et nous donne l’impression d’être des témoins privilégiés de leur aventure. Cependant, se pose encore la question de la propriété intellectuelle sur ces posts mis en ligne. Bien que quelques systèmes de sécurité empêchent la copie d’images ou de texte, il est cependant quasi impossible de protéger ce que l’on met sur un blog. D’où le fait qu’il se dégage parfois une impression de fausse sincérité sur les blogs, l’auteur hésitant à dévoiler ses « trouvailles » de peur que d’autres se les approprient. Le designer Rodolphe Dogniaux considère son blog, Design-Matin comme « un blog de recherche, d’analyse, d’observation, de réflexion, de production et d’expérimentation en direct live, utilisant comme outil le design. ». À la différence de son site Internet qui est une vitrine pour exposer ses travaux de designer, son blog lui permet d’exposer en temps réel, ses recherches, ses expériences, tout ce qui nourrit les projets exposés sur son site. Pourquoi choisir de dévoiler tous ces « secrets de réflexion » ? Rodolphe Dogniaux part du constat que toutes les nouvelles idées se nourrissent d’idées plus anciennes et que par conséquent, les idées, les réflexions des designers doivent pouvoir être pillées. Le blog lui paraît donc être la meilleure forme d’expression, le meilleur outil de communication pour exposer sa vision du design et ses réflexions personnelles : on y trouve aussi bien des observations théoriques que des recherches graphiques, des maquettes, des vidéos qui forment une base de données sur la pratique de ce designer.

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design-matin.com www.rodolphedogniaux.com


Un autre type de blog se remarque sur la blogosphère : ce sont des blogs qui traitent de projets réalisés par d’autres, les exposent, les expliquent à leurs lecteurs. Ils servent de galerie d’exposition pour des travaux graphiques, objets, vidéo réalisés par des créateurs, chaque post correspondant à un projet.

www.dezeen.com

www.trendsnow.net

Ces blogs en plus d’être des vitrines, tentent de fonctionner comme des journaux en ligne, suivant l’actualité de leur domaine et réalisant des interviews ou des reportages. Le blog Dezeen, lancé fin 2006 reçoit plus d’un million de visiteurs par mois et est devenu incontournable dans le domaine de l’architecture et du design. Le contenu est classé par catégories ( architecture, design, mobilier, graphisme,..), par évènements ( Milan Design Week, Salon Maison et Objet,…) et par mois. Le blog TrendsNow est plus qu’un blog recueil de projets : il propose un agenda des évènements liés aux design, des dossiers thématiques, des annonces d’emploi, des liens vers d’autres sites… TrendsNow devient plus un réseau qu’un blog. Ces blogs sont des entreprises ayant des rédacteurs employés et sont financés par la publicité ou des sponsors. Bien qu’étant de formidables sources pour voir des projets reliés au design, ils ont parfois le défaut de vouloir tout traiter, et donc de rester en surface des projets. Leur travail est plus celui de vitrine que d’analyse et leur attrait est souvent plus pour les objets dits « tendance » que de réelles innovations. Leur contenu est soumis aux effets de mode et ils jouent un rôle de témoins de la société virtuelle à un moment donné.

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Les lecteurs se concentrent autour d’un groupe de blogs se faisant constamment référence entre eux, ce qui développe leur visibilité.

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www.google.fr/intl/ fr/why_use.html

La dernière application d’Internet qui m’intéresse, relative aux bases de données est le moteur de recherche Google. En 1996, deux étudiants de l’université Stanford, Larry Page et Sergey Brin aux Etats-Unis créent un moteur de recherches BackRub dont l’innovation est qu’il analyse les relations entre les sites Web. Ils le renomment Google, en référence au terme mathématique gogol qui signifie 10100. Il symbolise l’objectif principal de Google qui est d’organiser la multitude d’informations et de pages Web dans le monde qui restent cependant inférieures à un gogol. Larry et Sergey se mettent à rechercher des fonds pour leur entreprise et réussissent à rassembler 1 million de dollars US. La société Google Inc. dont le bureau sera pendant un temps un garage dans la Silicon Valley, est lancée le 7 septembre 1998. Le moteur de recherches prend rapidement de l’ampleur grâce à son algorithme de classement PageRank : « Le principe de PageRank est simple : tout lien pointant de la page A à la page B est considéré comme un vote de la page A en faveur de la page B. Toutefois, Google ne limite pas son évaluation au nombre de « votes » (liens) reçus par la page ; il procède également à une analyse de la page qui contient le lien. ». Ce système permet par rapport à une requête d’optimiser les chances de trouver la réponse appropriée. Grâce à ce système, Google devient le premier moteur de recherches à référencer un milliard de pages Web en 2000. En moins d’un an, ce nombre de pages triple et Google lance la recherche d’images via son moteur de recherches, mettant à disposition 250 millions d’images à travers le monde. Google s’ouvre aussi au monde en 2001, traduisant son site Google.com en 26 langues. Ainsi, son succès augmentant Google Inc développe ses activités, en créant de nouvelles applications (Google Actualités,), rachetant l’hébergeur de blogs Blogger (2003), en ouvrant des bureaux à l’étranger, en s’introduisant en bourse (2004), en proposant un service de courrier électronique (Gmail, 2004), en proposant un service de publicité contextuelle rémunérée (AdSense, 2003), développe des interfaces de programmation (API) à partir de ses services pour d’autres sites (2002), rachète l’hébergeur de vidéos Youtube (2006), développe un navigateur puis un système d’exploitation du nom de Google Chrome OS…

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Chaque jour, 620 millions de personnes visitent Google : le site représente 85,78 % des parts de marché de la recherche sur Internet. Chaque mois, 87,8 milliards de recherches sont effectuées sur Google. 19 835 personnes travaillent pour Google Inc et l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires en 2009 de plus de 23 milliards de dollars US dont 97% proviennent de la publicité via Google AdWords. (données compilées par le site Pingdom)

www.google.fr/intl/ fr/why_use.htm

Aujourd’hui, Google est devenu incontournable dans la recherche sur Internet. La simplicité de son fonctionnement et la sobriété de sa page d’accueil sont les premières raisons de son succès: en effet, Google joue sur une page dénuée de tout superflu mais en gardant une note d’humour par son logo qui change de temps en temps (des doodles, logos crées pour des occasions particulières). Sa rapidité est aussi est aussi un grand atout : un utilisateur met en général moins de 0,4 secondes pour obtenir une réponse à sa requête. Google répond de manière précise à une requête, sans pour autant écarter des pistes : « Avant de proposer une page, Google vérifie qu’elle contient tous vos termes de recherche, mais il analyse également la proximité de ces termes. Contrairement à la plupart des autres moteurs de recherche, Google privilégie les résultats en fonction de la proximité des termes de recherche ; les résultats proposés en premier sont ceux dans lesquels vos termes de recherche sont aussi proches que possible, ce qui limite (ou élimine !) les pages non pertinentes. » La diversité des formes des résultats est aussi un atout : Google trouve des résultats de sites, blogs, livres, actualités, vidéos correspondant à une requête. Dans un processus de recherche d’existant pour un designer, Google va jouer un rôle d’immense annuaire. Google est une immense base de données: il va trouver les sources de réponses correspondant à notre requête mais pas les réponses en elles-mêmes. Il va faciliter notre travail en mettant les réponses les plus pertinentes en avant, ce qui peut faire gagner du temps, mais la quantité de résultats peut parfois être déroutante. L’utilisation de la fonction de recherche d’images par Google est aussi un gain de temps mais possède un autre intérêt : celui de proposer une multitude d’images et donc de stimuler visuellement notre réflexion. La page nous « noie » dans les images et va l’une d’entre elles va peut-être déclancher une révélation.

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1.03 Musées / Galeries / Expositions Selon le dictionnaire Larousse, un musée est un lieu, édifice où sont réunies, en vue de leur conservation et de leur présentation au public, des collections d’œuvres d’art, de biens culturels, scientifiques ou techniques. Le Conseil International des Musées (ICOM) donne une définition plus exigeante : « Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » (Article 3, Section 1 des statuts de l’ICOM, 24 Août 2007) Une galerie d’art est également un lieu de présentation d’œuvres d’art au public mais elle a en plus la caractéristique de les proposer à la vente. L’origine du mot « musée » vient du grec museion, temple des Muses, les divinités des arts. Sous l’Antiquité, le musée a plus la vocation d’un centre de recherches : il propose des salles de conférences, des bibliothèques, des jardins, des laboratoires et accueille des savants sous mécénat royal. La notion de collection apparaît au Moyen Âge : la royauté voulant montrer son pouvoir par sa richesse, elle s’attache à collectionner pierres précieuses, tapisseries, tableaux et trésors. L’idée d’un musée comme lieu permettant d’héberger des collections n’apparaît cependant qu’à la Renaissance : la redécouverte des textes anciens pousse certaines familles passionnées d’histoire à s’intéresser aux vestiges de l’Antiquité. On se met à collectionner des médailles, des statues, des fragments d’édifices et à les exposer comme preuve de puissance. Le développement des voyages d’exploration va changer la nature des collections et la raison de les exposer : les voyageurs rapportent des spécimens de nouvelles espèces de plantes, d’animaux, de matériaux naturels… Au cours du XVIIIème siècle, les collections se multiplient et s’ouvrent progressivement au public : en France, le Louvre est ouvert au public quelques temps après la Révolution Française, et se créent pendant la même période le Muséum d’Histoire Naturelle et le Conservatoire National des Arts et Métiers.

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icom.museum/ statutes_fr.html


La chasse aux trésors s’accélère au XIXème siècle : les chercheurs occidentaux se ruent en Orient, rapportent des pièces et se les font acheter par les gouvernements ou par des nobles riches. Ainsi, le général Bonaparte est envoyé en Égypte accompagné de savants (astronomes, mathématiciens, naturalistes, peintres, …) et de militaires afin d’explorer et de conquérir le pays, d’en apprendre les coutumes et l’histoire. Alors que la conquête militaire est un échec total, la mission scientifique remporte un réel grâce à la découverte et à la traduction de la pierre de Rosette succès et provoque en Europe, une passion générale pour l’Égypte. De nombreux musées historiques et ethnographiques sont créés après ces expéditions : la Galerie des Batailles (Château de Versailles en 1837), le Musée des Antiquités Nationales (1862), le Musée du Moyen Âge (1844). Les musées d’art se multiplient également en France et deviennent alors pour les artistes apprentis des lieux de formation : ils viennent copier les tableaux, les sculptures dans des musées tel le Louvre. Le début du XXème siècle est pour les musées une période de grande remise en question : accusés d’être figés dans le passé, ancrés dans un académisme profond, ils ne cherchent pas à pousser les révolutions artistiques en cours, ni à exposer leurs œuvres. L’organisation spatiale des musées, leurs scénographies d’expositions sont elles aussi mises en cause, accusées de ne pas favoriser l’appréciation des œuvres. Les œuvres du XXème siècle étant complètement différentes de celles des siècles précédents, et nécessitant d’autres points de vue pour les apprécier, apparaît alors l’idée de les mettre à part dans des musées d’art moderne. Cette expression utilisée pour la première fois par le journaliste et dessinateur Andry-Farcy va le conduire à récolter des dons et des legs d’artistes vivants (Matisse, Picasso, Monet) et de collectionneurs (Marcel Sembat) afin de créer en 1919 à Grenoble, le premier musée d’art moderne en France. L’institution muséale se met donc en mouvement pour suivre la création actuelle et l’exposer comme elle se doit : on allège les intérieurs des musées, on isole certaines œuvres pour améliorer la circulation du regard, on utilise l’éclairage et la neutralité des couleurs pour les mettre en valeur… Une cohérence mondiale se crée dans les musées, qui décident de se réunir en 1926 sous l’égide de la Société des Nations (SDN) en un Office International des Musées, puis par le Conseil International des Musées en 1946 sous l’Unesco.

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Les musées à partir des années 1970, en plus de collecter, conserver et exposer des œuvres, reviennent à leur fonction première sous l’Antiquité, celle d’être des centres de recherches. Ils deviennent des centres culturels organisant des expositions, créant des centres de documentation, des bibliothèques, des ateliers de formation, des auditoriums. Ils cherchent à élargir leur public en proposant des visites pédagogiques de leurs expositions, des rencontres, des projections de films, des librairies ou des cafés. En élargissant leur champ d’activités, les musées deviennent des pôles d’attraction pour les villes, où se mêlent les nourritures spirituelles et la consommation au nom de la vie culturelle. De nombreux musées dits modernes ou postmodernes sont créés à cette époque : le Centre George Pompidou (1977), la Cité des Sciences et de l’Industrie (1986), le Centre des Arts Plastiques et Contemporains (Bordeaux, 1983). D’autres sont réhabilités (Musée des Beaux-Arts de Nantes, Palais des Beaux-Arts de Lille, le Musée d’Orsay dans la Gare d’Orsay) et certains sont même agrandis (National Gallery à Washington, le MoMA de New York, le Grand Louvre à Paris). Ces chantiers font augmenter la fréquentation des musées et la fréquentation des villes dans lesquelles ils sont construits. La curiosité est ce qui pousse naturellement les designers à visiter des musées, des expositions ou des galeries ne traitant pas uniquement de sujets liés au design. Conscients d’être des « touche-à-tout » et d’avoir à aborder des sujets parfois pointus, les designers peuvent utiliser les musées comme des bases de données concrètes et sensorielles : contrairement à une encyclopédie qui fournirait des informations théoriques, un musée donne des informations qui relèvent du sensible et parfois de l’expérimentation. Les musées vont en relation avec un thème, un mouvement, un artiste, un concepteur, proposer un parcours souvent chronologique. Ils apportent une multitude d’informations sur un sujet mais orientent le regard du visiteur, en créant un parcours qui oriente le regard. Les galeries sont généralement moins spacieuses qu’un musée, et de ce fait, elles sélectionnent plus ce qu’elles vont exposer : généralement, une galerie va faire une « proposition », c’est-à-dire qu’elle choisi une œuvre forte reflétant une idée qu’elle veut exposer à son public.

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Les musées comme les galeries sont aussi des lieux : ils proposent un espace, une enveloppe et une sorte de voyage : voir une exposition peut être un moyen de s’évader, comme un moyen d’apprentissage. Une partie du métier de designer étant très technique et pragmatique, s’évader, s’abstraire est essentiel pour réinsérer de la poésie dans la création des designers. Les musées nous impressionnent, tant par leur grandeur que par les œuvres qu’ils présentent et qui nous touchent. L’inspiration ne vient donc pas par hasard : certaines choses que nous lisons, voyons, écoutons, sentons, nous influencent et restent en suspens dans notre esprit jusqu’au jour où elles interagissent lors d’un projet. Ces références, qu’elles soient des projets existants, des citations, ou la vision d’un instant ne peuvent pas s’exploiter telles qu’elles. Ces références existent, elles sont « déjà vues ». Pour constituer la base d’un nouveau projet, elles doivent d’actualiser, s’inscrire dans le présent, voir dans les temps futurs : elles doivent être en mouvement.

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Plan du Musée des Arts Décoratifs de Paris.

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2. Mouvement / Dynamique / Projection 2.01 Constat La consommation et l’éphémère L’expression devenue un des credo actuel des designers est la notion de durabilité qui selon Wikipédia « est une configuration de la société humaine qui lui permet d’assurer sa pérennité. Elle repose sur le maintien d’un environnement vivable, sur le développement économique à l’échelle planétaire et sur une organisation sociale équitable ». Jusqu’à présent, nous avons évolué dans une société basée sur la consommation : la consommation, d’abord pour répondre à nos besoins élémentaires, puis pour répondre tout simplement à nos envies. Après avoir trouvé les réponses aux besoins humains, les acteurs du commerce international ont créé des besoins chez les consommateurs afin de leur vendre de nouveaux produits dont ils n’auraient pas eu le besoin, si celui-ci n’avait pas été suscité. Ainsi, de plus en plus de produits basés sur des concepts futiles ont été mis sur le marché, accompagnés de communications accrocheuses poussant les consommateurs à acheter ces produits pour répondre à leurs besoins artificiels. Ces besoins, facilement comblés, sont rapidement oubliés tout comme les objets qui y répondent et qui finissent dans les ordures. Ainsi, jusqu’il y a quelques années, les designers travaillaient dans le but de trouver des solutions instantanées à des besoins éphémères crées par cette société de consommation et non dans l’optique de répondre durablement à de réels besoins. La question que je me pose n’est pas de savoir quels besoins sont réels ou non mais plutôt de comprendre ce qui a provoqué ce changement d’opinion. Tout d’abord la première notion reliée à celle de durabilité est la notion de temps dont l’écoulement s’est considérablement accéléré depuis le siècle dernier.

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Tic-Tac-Tic-Tac « Avant l’invention de l’horloge, nous n’étions pas gouvernés par elle mais nous avions la notion du temps. Les rythmes naturels déterminaient la durée de nos activités : nous arrêtions de travailler lorsque notre tâche était accomplie ou lorsque le soleil se couchait […]. Nous n’étions pas asservis à l’écoulement linéaire du temps : différentes formes de temps allaient et venaient en fonction des saisons » Cette citation du théoricien du design, John Thackara nous donne un aperçu de la perception du temps avant les temps de l’industrialisation et de la mondialisation. Aujourd’hui, le temps est une contrainte, nous courons sans cesse après lui et cela depuis que nous avons réussi à créer des technologies permettant d’accélérer le temps biologique qui était le nôtre. L’augmentation de la population mondiale, de ses besoins, l’expansion des villes, l’industrialisation ont favorisé cette course aux progrès. John Thackara affirme également que « l’accélération perpétuelle du temps façonne nos manières de manger, de voyager, d’innover, et entre en conflit avec ce que peut supporter la planète. Innover sans cesse nous conduit à une sorte de boursouflure de la production, à une pression incessante en vue d’améliorer toutes sortes de dispositifs ou de logiciels qui dégradent la qualité de nos vies. » Ce serait donc cette détérioration de la qualité de nos vies qui nous aurait permis de prendre conscience du caractère néfaste de l’accélération du temps. Les machines à la place des hommes dans les usines, des voitures à moteur plutôt qu’à chevaux, le téléphone plutôt que le courrier sont des exemples de progrès technologiques qui ont permis de compresser le temps. Cependant, notre rythme naturel biologique ne peut être nié et s’oppose au rythme artificiel que nous avons créé. Pour suivre ce rythme, nous devons réfléchir, solutionner et produire vite, ce qui en général permet de répondre à l’instant présent mais pas sur du long terme.

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In the Bubble John Thackara


Ajouté à la dégradation de la qualité de vie, c’est la question de l’héritage qui a fait prendre conscience de l’intérêt de produire durablement. En effet, nous ne projetions dans l’avenir que nos rêves liés à des envies de progrès mais nous ne pensions pas aux conséquences des moyens mis en œuvre pour réaliser ces rêves. Nous nous sommes par exemple rendus compte plus de 50 ans après de la pollution crée par l’utilisation du pétrole et de ses produits dérivés. Trop vite, trop complexe

In the Bubble John Thackara

Jusqu’à présent, il y a donc eu un manque de lucidité, d’anticipation et de projection dans la création de produits, une mauvaise analyse des différents temps et de « la vitesse qui dégrade les écosystèmes dont nous dépendons ». Pour répondre aux besoins des hommes, nous avons créé des solutions qui ont non seulement aujourd’hui des conséquences inattendues sur notre environnement mais qui en plus, sont d’une telle complexité, que de les changer, ou les faire évoluer serait une tâche des plus laborieuses. Nous manquons donc aussi de légèreté et de flexibilité dans ce que nous créons et « nous découvrons que nous sommes loin de maîtriser les systèmes complexes que nous inventons. Le monde suffoque, écrasé sous le poids de systèmes complexes que nous inventons, […] dont nous ne cernons pas les contours et qui nous semblent impossibles à modifier » Cet objectif de durabilité pousse donc les designers, comme d’autres branches professionnelles à ne plus s’intéresser uniquement aux besoins actuels des populations mais à les anticiper et à analyser les comportements à venir. Les designers se doivent d’être dans leur temps mais aussi dans une certaine prévision des temps futurs et cette attitude d’anticipation doit être la leur avant même d’avoir trouvé une idée. Différents outils et démarches sont possibles et permettent aux designers de réfléchir à leurs projets dans une optique de durabilité.

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2.02 Prospective La première démarche que je vais aborder est la prospective : c’est « une science ayant pour objet l’étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales qui accélèrent l’évolution du monde moderne, et la prévision des situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées. ». Ce domaine n’est pas dans une prévision absolue des futurs possibles mais considère l’avenir comme « le temps des choses à faire par opposition au passé, temps des choses faites ». Décider quelles « choses » sont à faire ne peut s’effectuer qu’en ayant une idée du futur, une idée des directions que le monde prend. La prospective est donc avant tout une attitude, celle d’affirmer que le monde de demain découle de décisions au présent, et que de déterminer quelles peuvent être les orientations du monde de demain, permet de prendre les bonnes décisions aujourd’hui. La « bonne » décision n’est pas inscrite dans un rapport de Bien ou de Mal, cela se rapporte plutôt à ce qui permettrait d’assurer la pérennité de l’homme, donc à la notion de durabilité. Le terme de « prospective » a été inventé par le sociologue, philosophe et administrateur français Gaston Berger (1896-1960) à la fin des années 1950. Selon lui, la prospective se définit sous cinq principes : - « Voir loin » : compte tenu de l’accélération du temps (voir ci-dessus), il faut voir à plus long terme, pour être mieux préparé à ce qu’il va arriver. Il prend l’exemple notamment du conducteur de voiture qui lorsqu’il roule sur une route inconnue de nuit, a besoin que ses phares éclairent loin. - « Voir large » : intégrer tous les éléments qu’ils soient passés ou présents, avérés ou supposés, confronter toutes les opinions dans le but d’obtenir les pistes les plus larges. - « Analyser en profondeur » : Gaston Berger estime que la prospective ne se fait pas en « rêvant de l’avenir » mais par un long travail d’analyse au-delà des apparences. - « Prendre des risques » : prévision et prospective ne jouissent pas de la même liberté. La prospective est un travail d’imagination qui nécessite de se lancer dans des pistes qui peuvent paraître au début farfelues.

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Dictionnaire Larousse

De la Prospective, textes et fondamentaux de la prospective française (1955-1966), Gaston Berger, Jacques BourbonBusset, Pierre Masse,


De plus, la prospective se fait sur de longues durées, ce qui n’implique pas l’urgence d’une réponse, et donc plus de liberté et de recul. - « Penser à l’homme » : la prospective porte comme l’Histoire sur des faits reliés aux humains si ce n’est qu’elle s’attache à un futur possible et non à un passé avéré. Cependant, « l’avenir n’est pas seulement ce qui peut ‘arriver’ ou ce qui a le plus de chances de se produire. Il est aussi, dans une proportion qui ne cesse de croître, ce que nous aurons voulu qu’il fût. ». Nous devons nous intéresser à ce que l’homme désire qu’il arrive pour son futur. À partir de données factuelles, la prospective vise à imaginer les conditions de vie à 5, 10 ou 20 ans que cela soit du point de vue matériel, culturel, spirituel et même moral. Anticiper ces conditions de vie permettent de mieux les comprendre, de mieux intégrer les changements de la société afin d’éviter par exemple, des retards, des décalages ou des conflits sociaux. La prospective ne propose pas un résultat absolu et définitif : elle imagine des situations, des scénarii pour le futur à partir de signes actuels en constante évolution. Elle permet de donner des directions, des axes de recherche. Deux méthodes dominent en matière de prospective : le scénario et l’intuition. La première technique consiste à entremêler des faits actuels et des hypothèses issus d’un thème, afin d’aboutir à des scénarii d’évolution de ce thème. La seconde méthode relève plus de l’intuition : elle analyse les signes envoyés par la société et les classe selon leur importance par rapport à des signaux présents. On parle alors de signaux faibles / forts en relation avec des tendances lourdes.

www.lecca.com

Une agence majeure de prospective a développé depuis les années 1970 des méthodes afin de mesurer les dynamiques et analyser les possibles : il s’agit du Centre de Communication Avancée (C.C.A.), crée par le sociologue Bernard Cathelat. Cette agence propose d’un côté un Observatoire de Prospective Sociale et un cabinet de consulting en management social pour les entreprises. Bernard Cathelat a créé une méthode baptisée Socio-Styles Système dans laquelle il considère la prospective comme une sorte de météorologie sociale et qui fournit à ses clients des instruments de navigation. La finalité de son observatoire est de fournir des « Styles de Vie », c’est-à-dire des catégories de personnes. Ces catégories ne se basent plus sur des classes sociales mais sur l’observation

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des comportements humains sur des sujets comme la consommation, la spiritualité, les valeurs, l’orientation politique, tout ce qui forme une manière de vivre particulière. Le C.C.A. propose différents outils de ce qu’il appelle « météorologie sociale » Le premier est ce qu’il appelle une « Topographie des Zones Climatiques » : ce sont les SocioStyles en eux-mêmes. Bernard Cathelat affirme qu’il ne faut plus penser en terme de « français moyen » par exemple : la France est plurielle, il n’y a pas un type de français moyen, mais une multitude dont les emplois, les gestes quotidiens, la consommation, les choix ainsi que bien d’autres critères diffèrent. Il s’agit par cet outil de répertorier ces différents comportements de la population, d’en faire des profils qui sont au sein de la météorologie sociale, des climats voir des micro-climats sociaux. Le second outil est un « Faisceau Dynamique des Flux Culturels ». On remarque qu’au sein d’une société, il y a des courants d’opinions ou d’actions qui touchent les personnes. Ces courants peuvent être par exemple des modes (porter un certain type de vêtement, partir en vacances dans un pays en particulier, …), des croyances (le chamanisme, la réincarnation, …) ou des concepts (l’écologie, la consommation responsable, la durabilité…). Ces courants agissent comme le vent : il peut y en avoir plusieurs en même temps, ils peuvent disparaître et revenir de manière cyclique ce qui crée une « rose des vents ». Ces flux culturels ont pour effet de disperser les SocioStyles en fonction de leurs sensibilités. Le troisième outil est le « Mapping » ou carte socio-structurale. Cette carte vient photographier en vue aérienne la société dans sa diversité : elle montre la dispersion des SocioStyles énoncés en premier lieu par les flux culturels. Géographiquement parlant, cela forme des grandes régions qui correspondent à des mentalités, composées d’agglomérations (les différents SocioStyles). Cet outil est comme une carte routière qui montre les distances entre les villes, les différents chemins d’accès : le « Mapping » montre les rapports entre les SocioStyles.

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Styles de Vie volume n°1 Cartes et Portraits et volume n°2 Courants et Scénarios Bernard Cathelat


Le quatrième outil se nomme la « sociostructure » : c’est une forme de boussole sociologique qui vient montrer des points cardinaux. Ces points cardinaux sont les piliers de valeurs, les modèles que partagent le plus de personnes d’une société, à un moment donné. Le but étant de montrer quel horizon paraît le plus attractif pour une population à un moment donné et quelles sont les grandes oppositions dans la société. Enfin, le dernier outil se nomme « Prospectives de Vies ». Cet outil analyse des évènements, des faits d’actualité suffisamment dynamiques et qui préparent déjà à l’avenir. Cette forme de prévision météorologique dégage des lignes de forces déjà présentes dont l’influence va se prolonger dans le futur. Cette méthode s’appuie sur un dispositif très complet : des enquêtes, des sondages multi-thématiques, des programmes informatiques permettant de synthétiser les informations recueillies et de définir des modèles, des analyses structuralistes, un suivi de ces prospectives établies… Tout cela permet d’établir une base de données socioculturelles, un baromètre des Styles de Vie établis par le C.C.A. Plutôt que de classer les consommateurs dans des catégories de revenus, ou d’origines socio-professionnelles, cette méthode crée des profils correspondant à des modes de vie. Ces modes de vie, ces SocioStyles évoluent donc permanence puisque leur définition s’appuie sur des comportements qui évoluent eux même en fonction de l’âge, d’influences extérieures, de croyances. Ce qui fait donc de ces SocioStyles, un outil bien plus dynamique que de simples classes socioprofessionnelles. De plus, cette méthode prend en considération des phénomènes plus larges, tels que les mutations du travail, des médias, l’accès à la culture ou aux technologies, dont les effets influencent les SocioStyles sur du long terme. On a donc à la fois un outil complexe et complet mais dynamique. Ainsi cette méthode permet de définir une sorte de climatologie des civilisations : la prospective sociale devient ici une étude de biologie socioculturelle puisqu’il s’agit d’étudier dans quel milieu pourra se développer une idée ou un comportement généré par un projet.

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Les cinq outils prospectifs du C.C.A.

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Cette méthode permet au C.C.A. de développer en plus des modes de vie, des réflexions et des tests stratégiques pour des clients provenant de domaines comme l’automobile, la banque, la beauté, la mode, la presse, les médias… Ces réflexions visent à prévoir le développement d’une marque ou d’un média, étudier la clientèle d’un produit, analyser la communication d’une entreprise, tester un concept ou un produit, … Allier prospective et design

Le Design : essais sur des théories et des pratiques sous la direction de Brigitte Flamard

Un article intéressant aborde la question de l’alliance entre la prospective et le design. Cet article écrit par Édith Heurgon, conseillère en prospective et stratégie affirme que le métier de designer a évolué rejoignant progressivement les objectifs de la prospective : le design est passé de la volonté de démocratiser le beau, à celle de répondre aux besoins des hommes. Puis le design s’est diversifié devenant aussi bien de la conception de mobilier que de la création de services, de la publicité comme de l’organisation d’entreprise, ces différents types de design répondant aux nouveaux besoins d’une société en mutation. Les designers doivent donc s’adapter, avoir de nouvelles compétences, s’ouvrir à la société et l’analyser, l’anticiper. Édit Heurgon affirme donc que le design et prospective doivent s’allier et pour cela, elle propose deux modèles. Le design seul, aujourd’hui à tendance à suivre « les modes », il est soumis aux lois du marché et du marketing. La prospective, comme on l’a vu plus haut, s’est considérablement affirmée et développée, créant une multitude de méthodes mais se perdant dans ses outils. Édith Heurgon propose donc un premier modèle d’association où « la prospective apporte au design, en amont de la création proprement dite, une capacité de compréhension, de formulation, voire d’anticipation des mouvements de la société, des comportements émergents, sous l’angle des modes de vie et des usages. De son côté, le design apporte à la prospective une aptitude à concrétiser, à mettre en formes, en images ses représentations du futur, voire ses scénarios par des objets tangibles… » Ce premier modèle fait donc de la prospective, une analyse et du design, la réponse concrète à cette analyse. Cependant deux limites se dégagent de ce modèle : tout d’abord, la prospective n’est dans ce cas-là, qu’une étape dans la création, ce qui réduit l’interaction entre ces domaines.

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Ensuite, les futurs possibles qui se dégagent des analyses prospectives ont du mal à se détacher de la pensée unique de la loi du marché véhiculée par la société aujourd’hui. Le design aura donc tendance, couplé à la prospective, à être dans « l’air du temps » et pas dans la projection. J’ai parlé précédemment de l’accélération du temps mais il existe deux types de temps selon Édith Heurgon qui cite Bergson : le temps physique (chronos) qui permet de mesurer, quantifier et orienter le temps du passé vers le futur, et le temps devenir (aiôn), qui est le temps de la durée, de la conscience et des changements. « On distingue ainsi l’avenir, associé au temps physique, en lien avec la prévision (que sera, à quelle date, telle entité ?) et le devenir, qui fait sens de la valeur de différenciation que nous attribuons au cours des choses (que devenons-nous ?) » La prospective actuelle s’adresse à l’avenir, au temps physique, elle cherche à déterminer des futurs possibles. Selon Édit Heurgon, une nouvelle prospective pourrait s’attacher au temps devenir : le présent dans ce temps-devenir, n’est pas qu’un instant bloqué entre un passé révolu et un futur à venir, il est un présent que l’on devient, c’est-à-dire un présent de l’expérience. En créant une prospective du présent selon elle, on viserait alors à « anticiper l’advenir ». Au lieu d’envisager tous les futurs possibles, en tenant compte des expériences passées et de celles possibles à venir, la prospective du présent concevrait des futurs souhaitables : un avenir détaché de la fatalité, de la peur, et qui serait plus optimiste. Envisager des futurs souhaitables permettrait donc de choisir l’évolution qu’on veut donner au présent. Ce changement de point de vue concernant la prospective nous conduit au second modèle d’association proposé par l’auteur. Si l’on considère la prospective du présent comme la conception de futurs souhaitables pour l’humanité, le design interviendrait dans les transitions, les mutations qui permettraient aux hommes de concrétiser ces futurs. En interaction avec la prospective du présent, il serait donc un acteur d’un développement durable non soumis aux lois du marché, un design d’anticipation, en accord avec des futurs souhaités par les hommes et pour les hommes.

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2.03 Futurologie Origines Dans la Revue Internationale des Sciences Sociales, Pierre Piganiol affirme que « la futurologie se propose de projeter dans l’avenir l’état actuel du monde, c’est-à-dire d’en deviner l’évolution en distinguant ce qui est d’ores et déjà inéluctable et ce sur quoi on peut agir » Contrairement à la prospective qui tend à envisager les futurs pour mieux influencer le présent, la futurologie cherche à prédire l’avenir : elle affirme que le futur peut être connu à partir d’éléments présents, et qu’il est donc le résultat d’un certain déterminisme. En plus du déterminisme, la futurologie envisage le futur d’une manière fataliste puisque certaines choses selon elle, ne peuvent être changées. Revue Internationale des Sciences Sociales : la futurologie Introduction p551, volume XXI, numéro 4, 1969

Le développement de la futurologie s’est fait en parallèle du développement de la science : à partir du moment où l’homme a développé des techniques et les applications qui en découlaient, il a toujours cherché à prévoir quelles nouvelles connaissances génératrices de progrès pourraient apparaître et supplanter les précédentes. C’est donc la quête du progrès qui a motivé en premier la futurologie. La question reste alors de savoir comment la futurologie réussit, à partir des connaissances actuelles, ce qui sera techniquement possible ? La futurologie affirme avoir une méthode scientifique basée sur l’étude de données statistiques passées et présentes et proposant ensuite une exploration des possibles. Par rapport à un problème existant (par exemple celui de se déplacer), le chercheur va déterminer toutes les données de ce déplacement (sous l’eau, sur terre, a pied, a moteur, etc…), passer en revue les solutions actuelles de ce déplacement, les diviser, les recombiner afin de dégager de nouvelles pistes. Cette méthode utilise des modèles scientifiques telle l’extrapolation qui à partir d’une série d’observations chiffrées, permet de construire une courbe et de déduire les paramètres d’évolution à court terme, en fonction de la formule générale. L’extrapolation utilise des indicateurs c’est-à-dire de représentations numériques d’un phénomène permettant des comparaisons dans le temps

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et dans l’espace, qui doivent être choisis avec précaution. La distinction entre futurologie et prospective est débattue : dans les pays anglosaxons, il n’y a pas de distinction, ces deux termes font référence au terme « future research », dont les méthodes relèvent plus de la prévision futurologique que de la prospective. Cependant, même si les deux domaines possèdent des outils en commun, ils n’en font pas du tout le même usage et leurs objectifs de base n’ont pas du tout le même point de vue. En France, il y a une méfiance envers la futurologie qui est considérée comme absurde du fait qu’elle prétend que le futur peut se déterminer. Alvin et Heidi Toffler, écrivains américains, font partie des futurologues les plus reconnus : deux de leurs livres, le Choc du Futur (1970) et la Troisième Vague (1980) ont grandement contribué aux changements sociétaux de la fin du XXe siècle. Ils ont été les premiers à aborder la prévision futurologique de manière globale et à considérer qu’un changement majeur dans une discipline pouvait être le moteur de mutations d’une société. Le Choc du Futur aborde le sujet des transformations rapides du XXe siècle et de leur impact psychologique sur les hommes et les sociétés. Selon eux, « trop de choses se passent en trop peu de temps » et ces changements correspondent à trois concepts : - La brièveté : nous consommons de plus en plus vite que cela soit des objets que nous achetons et jetons, des relations qui se font et se défont vite, les déplacements, les changements d’organisation sociale ou économique. - La nouveauté : dans les sciences et en relation avec les mœurs, les relations sociales - La diversité : reconnaître la diversité comme outil d’individualisation et de singularisation des hommes dans une société.

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The Third Wave Alvin Toffler

Dans la Troisième Vague, Alvin Toffler décrit trois types de société qui se sont établis les unes à la suite des autres, une société venant recouvrir une autre comme une vague. Trois vagues se distinguent de son analyse : - La vague agraire : une société essentiellement tournée autour de la terre qui est vecteur de vie (agriculture et donc nourriture), de commerce et d’artisanat et dont l’organisation se structure autour de la possession de territoires. - La vague industrielle : à partir du XVIIIe siècle, la naissance des techniques comme la vapeur vient remplacer l’homme par des machines pour certains travaux. Les ateliers deviennent des manufactures puis des usines de plus en plus grandes, ce qui transforme donc une grande partie de la production artisanale en production de masse. La société se structure plus sur la possession de biens que de territoires et cette culture de masse noie l’individu dans la classe à laquelle il appartient. - La vague post-industrielle : au début des années 1970, le secteur tertiaire émerge, dynamisé par le développement de l’ordinateur, des réseaux de communication. Ces techniques font de l’échange d’informations un point clef du développement de cette société : la force humaine a permis de développer l’agriculture, l’argent en a fait une industrie agroalimentaire bénéficiaire mais l’information, le savoir ont permis d’améliorer les rendements et d’en faire des modèles de réussite économique. L’échange, la transmission d’informations deviennent le centre des activités humaines créant de nouveaux types de relations sociales, d’emplois et mondialisant des cultures ou des modes de vie. Chaque nouvelle vague se superpose à la précédente et la recouvre progressivement. Comme dans une mer, lorsque deux vagues se superposent, cela crée des fluctuations et des perturbations liées à la transition, transition qui s’effectue lorsque la première vague est arrivée à maturité, et non au bout d’une durée prédéterminée. De plus, lorsque deux grandes vagues de changements surgissent en même temps, cela crée du chaos, chaos qui est nécessaire pour que l’une des vague devienne dominante. Cette théorie des vagues a pu être appliquée à de nombreux domaines et a permis de modifier la représentation qu’on a de l’évolution des sociétés. Au lieu de considérer l’histoire et l’évolution des hommes de manière chronologique, elle montre des connexions verticales entre les différentes sociétés qui se sont succédées.

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Imagination et futurologie Revue Internationale des Sciences Sociales : la futurologie Introduction p551, volume XXI, numéro 4, 1969

Un article, dans le même numéro de la Revue Internationales des Sciences Sociales cité précédemment, aborde la relation entre l’imagination et la prospective. L’imagination est la faculté de l’esprit d’élaborer des images, des conceptions nouvelles, des situations et au sein d’un processus créatif, elle est un facteur indissociable de l’inspiration. A un tel point que pendant des siècles, son influence et ses utilisations ont été cantonnées aux domaines artistiques telle la peinture, la sculpture ou la musique. Robert Jungk, l’auteur, affirme que depuis trois générations, l’imagination s’est liée aux domaines des sciences exactes, et que « l’homme, sous l’emprise des effets de sa propre force créatrice, commence à modifier sa position vis-à-vis du destin. » Robert Jungk affirme que l’homme, dans son désir de progrès, d’assouvissement de ses besoins, d’augmentation de son « rendement » a donné naissance à des inventions qui pour certaines sont allées contre l’équilibre de la nature. Il considère qu’actuellement, les prévisions futurologiques ont trop tendance à suivre des directions logiques par rapport aux expériences vécues et qu’elles ne questionnent pas suffisamment ce que l’homme a créé dans le passé. Selon lui, le but de la futurologie devrait être de remettre en question le présent, voir de le nier afin de s’orienter vers un avenir qui ne ferait pas les mêmes erreurs. L’imagination n’est pas uniquement, la faculté de créer mentalement, c’est surtout pour l’homme, la possibilité de rester ouvert d’esprit et de pouvoir se critiquer lui-même. L’imagination pourrait donc avoir un rôle de critique dans la futurologie afin qu’elle ne soit pas seulement « le prolongement du présent ». L’imagination logique est la forme la plus utilisée actuellement et la seule admise par les scientifiques. Elle établit de façon rationnelle un lien entre le connu et l’inconnu et est utilisée par exemple dans le processus d’extrapolation, cité plus haut. Cependant les résultats que cette imagination logique donne sont au final dans la continuité de l’évolution des choses puisqu’elle est liée à ce qui s’est précédemment passé. L’imagination critique comme elle l’indique, remet en question ce qui est établi. Cependant elle motive cette critique par des arguments logiques et donc se lie plus qu’on ne le suppose à ce qu’elle remet en question. Il est donc difficile pour elle de s’en libérer et de dégager de nouvelles pistes.

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La dernière forme, l’imagination créatrice utilise en quelque sorte les résultats des deux premières formes : elle se sert de ce qu’on peut logiquement extrapoler pour l’avenir (ou de ce qu’il ne faut pas extrapoler) pour le mettre de côté et poser de nouvelles bases sur des conceptions totalement différentes de tout ce qui a précédé. Les scénarios qu’elle proposerait seraient donc plus innovants et moins des projections logiques du monde d’aujourd’hui. On peut cependant se demander s’il est réellement possible de se détacher du présent et d’envisager un avenir totalement différent. En effet, quelques conceptions arriérées entrent en opposition avec la volonté de nouveauté. Aujourd’hui, il y a une vraie exigence de fiabilité, voire de traçabilité de ce qu’on utilise comme données d’élaboration de nouvelles conceptions. Ces données doivent être reconnues comme « sérieuses » et doivent avoir une interprétation convenue. Robert Jungk affirme que pour reconnaître la place de l’imagination dans la futurologie, qu’il « faudrait [déjà] modifier la conception qu’on a des ‘données’ et reconnaître que toutes les observations et indications ne sont que le reflet instantané d’un processus, de quelque chose de mouvant et d’éphémère ». Selon lui, il faudrait également accorder une place particulière aux rêves, aux suppositions, aux visions, à l’onirique et l’incertain. Il propose concrètement par exemple, de réserver dans les congrès scientifiques, une partie du temps disponible à la pensée spéculative et à l’expérimentation, de suivre l’exemple de certaines grandes entreprises américaines dont le but est pour leurs perspectives d’avenir, de trouver des idées extravagantes, de faire appel à des artistes, musiciens, poètes… Cependant, ces tentatives d’utiliser l’imagination comme moteur pour la futurologie peuvent être des obstacles à une réelle imagination créatrice si l’on s’appuie sur l’espoir ou l’exigence que leurs résultats doivent être utiles et utilisables. La pression de l’utilitarisme, du résultat peut s’avérer être un frein à l’imagination créatrice. La futurologie a donc besoin de se libérer des chaînes de la pure logique des choses et pour cela peut utiliser l’imagination créatrice non pas comme source fiable de données mais comme moteur pour s’échapper des conventions et pour éventuellement effectuer de réelles percées.

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2.04 Déviations de la prospective De la prospective classique inventée par Gaston Berger, ont découlé des pratiques centrées sur des domaines bien particuliers : les bureaux de style, les cabinets conseil en tendances ainsi que bien d’autres appellations sont des agences dont le but est de prévoir l’orientation des consommateurs, leurs envies pour un type de produit donné et dans deux, cinq ou dix ans. Les domaines concernés relèvent surtout du textile ou du style pour l’habillement mais l’automobile, l’aménagement intérieur et le design font également appel à ce type de services. Ces agences proposent en général deux types d’outils : un outil de tendances globales sous la forme de publications de cahiers chacun sur un aspect particulier de la tendance (gammes de couleurs, motifs, matières, beauté, art de vivre…). Ces cahiers suivent en général le fonctionnement des saisons de l’habillement et sont donc publiés deux fois par an et deux ans à l’avance. Un second outil est un service de conseil en tendances, personnalisé pour un client ou une marque. Le client peut demander des conseils pour mieux déterminer les cibles de ses produits, pour redynamiser sa marque, recentrer ses codes esthétiques, structurer les collections de produits et encore bien d’autres stratégies créatives. Ces équipes « conseil » sont en général composées de créatifs, de sociologues et commerciaux. J’ai moi-même effectué un stage dans l’un de ces bureaux de style : Trend Union, fondé par la designer néerlandaise Lidewij Edelkoort il y a 25 ans est spécialisé dans la prévision de tendances textiles. Deux fois par an, Trend Union réalise des cahiers de tendances ainsi qu’une présentation audiovisuelle sur un thème correspondant à la tendance pressentie par Lidewij Edelkoort. Ces cahiers proposent des photos, des échantillons de textiles ou de matières en relation avec des thèmes et des mots-clefs qui ont pour objectif d’inspirer la personne qui les regarde. La présentation audiovisuelle reprend les pistes dégagées par les cahiers et les complète par des sons, des musiques des vidéos. Les cahiers qu’elle propose sont très variés autant dans leurs sujets que dans la manière dont ils les abordent. Le travail de prévision commence par les couleurs de la saison, suivi des types de tissus (Avant Première Couleur et Avant Première Tissus). Un cahier de tendances générales complété d’un cahier détails (le cahier Key) ainsi que d’un travail sur les imprimés

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(le cahier Pattern) et sur les matières (le cahier Touch) viennent s’ajouter. Ces cahiers ne présentent pas que des photos de mode, de tissus, ils cherchent à inspirer avec des illustrations plus riches et plus inattendues les prévisions de tendances : ils utilisent les cinq sens pour communiquer les concepts et l’on peut aussi bien avoir un échantillon de tissu, que de parfum ou un extrait de musique pour illustrer. Les cahiers édités par Lidewij Edelkoort sont élaborés avec soin et goût et il est impossible de ne pas être touché en les consultant. Cependant, en entrant en stage chez Trend Union, je m’attendais bien sûr à cette qualité esthétique présente dans leur travail mais j’imaginais aussi qu’il s’appuyait sur des analyses, des chiffres, des études, des outils proches de ceux de la prospective ou de la futurologie. Lidewij Edelkoort avait l’air de plus être dans une démarche de sentir ce qui les thèmes qui pouvaient fonctionner deux ans plus tard, « de humer l’air du temps » que dans une démarche de précision, d’analyse. Je suis consciente que ma position de stagiaire ne me donnait pas accès à toutes les explications ou les méthodes, mais au bout de trois mois dans cette entreprise, il m’a semblé que cette prévision de tendances était dans un « flou artistique » plus que dans une réelle précision et pertinence. Ayant peu travaillé directement avec Lidewij Edelkoort, il m’a cependant semblé qu’elle prenait toutes les initiatives et que sa prestance et son caractère étaient plus à l’origine de son succès que ses qualités de visionnaire. Bien que les prévisions de ce type d’agences ne soient pas fiables, il me semble qu’elles ont un rôle à jouer dans les processus créatifs. Les images, les sons, les matières nous touchent et entrent en interaction avec notre vécu artistique, nos références et nous permettent de projeter en avant des perspectives esthétiques voire conceptuelles. La prospective et la futurologie permettent aux designers de sentir les directions à prendre, de projeter leurs idées de créations sur du long terme afin de tester leur pertinence mais elles restent des domaines où la créativité et l’imagination ont peu de place. Les compléter par ce que proposent les bureaux de style tels Trend Union peut être un moyen d’ajouter un peu de poésie.

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3. Sentiment / Souffle Les hommes ont toujours échangé des idées, partagé des connaissances ou des découvertes entre eux. Bien que de révéler une idée puisse être dangereux pour la propriété intellectuelle de cette idée, nous avons besoin de la confronter à d’autres opinions que la nôtre, de la remettre en question par d’autres approches, d’autres concepts, de la malmener pour tester sa cohérence et sa pertinence. Que cela soit via des personnes, par des institutions ou dans des expositions, confronter son idée à celles des autres peut permettre de l’enrichir, de nous rendre compte de ses défauts, de rebondir sur d’autres choses. Et ce sont ces réactions qui nous donnent le sentiment d’être « inspiré », l’enthousiasme et l’exaltation d’un souffle créateur. Nous partageons naturellement nos idées entre nous : si je prends mon propre exemple d’étudiante à l’Ensad, lors d’un projet de cours, les élèves présentent toujours leurs idées devant les autres, qu’elles en soient au stade de simple croquis sur une feuille au stade de prototype. Nous pourrions passer un par un avec le professeur pour préserver une sorte de confidentialité mais là n’est pas le but. Présenter son idée au groupe, c’est s’assurer de la compréhension de cette idée, de sa pertinence et de la clarté de notre discours et parfois remettre en question son travail avec les critiques. Écouter cette présentation, c’est pouvoir questionner le travail de la personne qui présente mais aussi remettre en question le sien grâce à la vision qu’elle propose. Enfin, parler de ses idées, de son travail devant un groupe permet de situer notre création par rapport à celle des autres, à se positionner sur certains sujets en tant que designer. Au-delà même des présentations « officielles », nous parlons souvent entre nous de nos projets, nos envies, nos idées professionnelles sans être dans une attitude de concurrence. Cette solidarité est à mon avis liée au fait que nous sommes encore à « l’école » et non sur le marché du travail, car j’imagine bien qu’à ce moment-là, la méfiance reprend le dessus sur le partage bienveillant et amical.

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3.01 Salons Les salons de design sont une des occasion pour les designers (après l’école) de se rencontrer entre eux. Organisés à intervalles réguliers, ils offrent aux designers, moyennant participation, un stand pour exposer leurs créations. Ouverts au public ou réservés aux professionnels, ils permettent aux designers de rendre visible leur travail, d’expliquer leurs approches : ils sont une vitrine géante où un grand nombre de projets sont exposés. Les salons sont aussi pour les designers (participants ou non) de confronter leurs projets à ceux des autres car il n’est pas rare que plusieurs designers aient la même problématique. La Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne, crée en 1998, propose toujours un thème général ou des questions. Cette année en plus du thème général qui est la « Téléportation », elle propose un appel à candidature sur deux sous-thèmes, « la Mobilité dans sa ville et son imaginaire » et « Prédiction ». Ainsi une partie du salon exposera et confrontera les réponses des designers à ce même appel à candidature. La Biennale ouverte au public propose un programme de rencontres, de conférences et d’ateliers réservés aux professionnels du design et ainsi encourage les discussions et le partage. Un autre salon majeur est le Saloni Internazionale del Mobile à Milan. Crée en 1961, la première édition s’est déroulée en 1967 et attire designers et spectateurs du monde entier. Ce salon a la particularité d’être divisé en deux : une partie officielle est organisée par l’entreprise Cosmit et une autre, non-institutionnelle mais tout à fait reconnue se déroule dans des boutiques, des restaurants, des galeries et fait vivre Milan au rythme du design pendant une semaine. Ainsi, tout près des évènements officiels, des rencontres formelles ont lieu des expositions, des performances, des conférences, des ateliers bien plus dynamiques. Pour y avoir été en 3ème année, j’ai trouvé que ce qu’on appelle les « off » de Milan participaient bien plus à la richesse de la « Design Week » que le salon officiel. Cependant, Milan que cela soit au salon officiel ou dans les « off » m’a montré les limites de son rôle de moteur de rencontres et vecteurs d’enrichissement des designers.

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Bien que nous ayons assisté à des conférences intéressantes ou rencontré des designers que nous adulons, il m’a parfois semblé être dans une bulle d’hypocrisie générale plus que dans une atmosphère d’innovation et de curiosité. La faute peut être à la volonté de subjuguer le public, de montrer que l’on a les moyens de s’exposer et le faire d’une manière grandiose. Montrer l’argent derrière les créations m’a semblé parfois plus important que montrer l’innovation et le concept. Face à cela, le Web 2.0 a permis de développer des applications favorisant un échange et un partage d’idées plus sincère et honnête. Les réseaux sociaux ont développé le caractère participatif et communautaire d’Internet en créant de nouvelles manières de diffuser des informations et en rassemblant des personnes motivées par les mêmes intérêts. 3.02 Facebook À l’origine, ce réseau appelé « The Facebook » fut créé en 2004, par un étudiant en informatique de l’Université d’Harvard, Mark Elliot Zuckerberg, dans le but de rassembler ses camarades d’université en un réseau social à but professionnel. Rejoint par Eduardo Saverin (commercial), Dustin Moskovitz (programmeur), Andrew McCollum (graphiste), et Chris Hughes, Zuckerberg ouvrit le réseau un mois après sa création, aux universités Yale, Stanford et Columbia, avant de s’étendre à la majorité des universités américaines. En 2005, la société rachète le domaine facebook.com pour 200 000 $USD, perdant ainsi la particule « The » puis s’ouvre aux écoles secondaires américaines. Enfin, le 26 Septembre 2006, Facebook devient accessible à tout internaute de plus de 13 ans possédant une adresse email valide. Le fonctionnement de Facebook se base sur l’autoreprésentation de la personne qui s’y inscrit : celle-ci se crée un profil, entre son état-civil, ses études, ses intérêts, tout ce qui peut la représenter et qu’elle veut partager. Elle peut partager des statuts, des photos, vidéos, liens grâce au « Wall » qui est un mur d’expression. Cette personne recherche ensuite les profils de personnes qu’elle connaît et qui deviennent des « amis » virtuels et dont elle peut obtenir

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des nouvelles par une page « mini-feed » regroupant les faits et gestes partagés par ses « amis ». Un utilisateur Facebook peut rejoindre des groupes, devenir fan de certaines pages, commenter ce que poste ses amis et ainsi transférer en quelque sorte sa vie et sa personnalité sur Internet. L’utilisateur peut choisir des applications dans le catalogue qui est ouvert aux applications extérieures depuis mai 2007. Il peut communiquer avec ses « amis » via un chat, une boîte mail et par des commentaires postés sur les « Walls ». Une grande polémique s’est installée avec le développement de Facebook : l’utilisation de Facebook fait que l’on met à disposition des autres, une partie de sa vie privée. Ces données personnelles sont par les conditions d’utilisation, concédées à Facebook par une licence. Ainsi, Facebook utilise les données personnelles postées sur son site pour introduire des publicités adaptés aux profils des utilisateurs. Ces informations peuvent être vendues à des annonceurs publicitaires externes via Facebook Social Ads pour mieux cibler leurs publicités et connaître les attentes des consommateurs. Ce phénomène s’appelle la marchandisation de la parole privée. En 2009, Facebook a modifié les conditions d’utilisation du site en indiquant que tout contenu posté sur le site serait concédé à Facebook sous une licence perpétuelle, y compris les données supprimées. Le site a été obligé de faire marche arrière deux semaines après, un scandale ayant éclaté. Facebook permet à un créateur de s’offrir une vitrine d’exposition gratuite. En effet, un profil permet de mettre en ligne ses idées et de les rendre visible à un public. Quelle est alors la différence avec un site Internet classique ou un blog ? Facebook a l’avantage de permettre facilement la création du réseau social qui va avec la diffusion des idées et d’éventuellement créer une communauté autour de son profil. Jean-Paul Lafrance écrit dans le recueil Critique de la Société d’Information que « pour qu’il y ait communauté, il faut qu’il y ait réseau social, mais l’inverse n’est pas vrai ». Il affirme que pour qu’il y ait communauté il faut : - Un objectif commun, partagé par tous les membres. - Un programme qui structure la communauté. - Une organisation sociale qui implique une hiérarchie. -Un sentiment d’appartenance qui se crée avec le temps

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Critique de la Société d’Information 2010, Collection Les Essentiels d’Hermès, CNRS Éditions


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Créer une communauté virtuelle via Facebook peut avoir bien des avantages pour un designer en quête d’inspiration. En effet, comme je l’ai dit précédemment, la recherche d’une idée ne peut s’effectuer uniquement seul face à son bureau. L’accès rapide et facile à Facebook ainsi que son caractère participatif peut en faire le moyen via la création d’une « Page » ou d’un « Groupe », d’échanger rapidement sur un sujet, sur des idées, d’obtenir des avis de personnes variées et de rebondir dessus et donc de se créer une communauté autour de son travail. Cependant, créer de réelles communautés qui ne fonctionnent pas qu’en pointillés est très rare. Jean-Paul Lafrance constate que ce genre de réseau « loin de favoriser la solidarité humaine, nous renvoie à la solitude des gens dans nos sociétés anonymes, dépolitisées, sans territoires d’appartenance, sans racines, nomades. ». Développer des relations sociales d’échange, de partage et d’enrichissement via des réseaux sociaux tel Facebook est donc très excitant au début mais difficile à faire perdurer : malgré tous les progrès de la communication par Internet (les mails, les chat, Skype, …), rien ne peut remplacer une présence en face de soi qui réfléchit, discute, argumente. De plus, Facebook crée une fausse proximité entre les gens, qui me fait questionner la sincérité de ces relations virtuelles : lorsque je décide de cliquer « J’aime » sur une page, ou un profil, cela m’intéresse-t-il réellement ? Lorsque j’adhère à un groupe, ai-je vraiment envie de m’y investir ? En ce qui concerne le design, d’autres acteurs du partage ont choisi d’exister concrètement plutôt qu’en ligne. Des organismes et des institutions à différentes échelles existent pour encadrer le design, ceux qui en ont fait leur métier, ceux qui en sont les spectateurs et les acheteurs., au niveau théorique comme au niveau pratique.

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3.03 Conférences TED TED est une organisation à but non-lucratif crée en 1984 dans le but de favoriser le partage des idées sur des thèmes tels le design, les modes de vie, les technologies, l’environnement, l’éducation… TED organise chaque année une conférence dans la ville de Long Beach sur la côte ouest des Etats-Unis : pendant quatre jours, se succèdent une cinquantaine d’intervenants qui proposent des idées, des théories pour le monde de demain et sur des thèmes allant du biomimétisme à l’apprentissage de la musique, en passant par la santé, l’humanitaire, l’entreprise ou le design. Le millier de spectateurs invités, ont le choix des conférences et le but est de créer une émulation intellectuelle, des interactions et rencontres inattendues et de susciter des inspirations. Une seconde conférence, la TEDGlobal se tient à Oxford tous les ans également. Depuis 2007, le site internet TED met en ligne toutes les participations des TED Conferences, ainsi que d’autres discours, les TEDTalks, organisés en parallèle de la conférence annuelle ou issus d’organisations partenaires. Ainsi, chaque semaine, des milliers de spectateurs regardent les conférences en ligne, les postent sur leurs propres sites, profils de réseaux ou blogs et les partagent avec encore plus de monde. La pensée de TED est qu’en laissant la parole à certaines personnes, on peut en influencer des milliers d’autres et même pousser certains à proposer leurs idées. TED agit comme un vecteur d’optimisme : les discours proposés sont toujours dans la construction plutôt que la négation. Surnommée le Spa Cérébral, la TED Conference cherche à combattre le scepticisme et l’immobilisme humain en agissant comme un catalyseur d’idées. Doors of Perception À l’origine cette initiative vient d’une conférence internationale tenue à Amsterdam en 1993 sur les usages d’Internet et des nouvelles technologies. Cette conférence organisée par John Thackara, a rassemblé des intervenants de domaines tels le design, l’économie, la physique, la biologie, domaines qui jusqu’alors n’avaient jamais réfléchi ensemble sur des thèmes comme

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la maison, la vitesse, la légèreté… Par la suite, les Doors of Perception sont devenues des colloques annuels, rassemblant des acteurs des mondes du design, de l’économie, des sciences, de la recherche et de l’éducation, dans le but de réfléchir à un développement durable des sociétés. La dernière édition en 2007 s’est déroulée à New Delhi et avait pour thème les relations entre la nourriture, l’énergie et le design. Les participants se sont succédés pour parler de sujets tels les systèmes d’information des aliments (traçabilité, empreinte carbone, …), le « urban farming » ou cultures urbaines, le phénomène « slow food » ou encore les emballages. De 1993 à 2000, les Doors of Perception furent organisées chaque année par le gouvernement néerlandais, puis l’initiative se privatisa. Ajouté aux conférences, Doors of Perception est devenu le parrain ou l’instigateur de nombreuses initiatives locales ou régionales, comme un mini festival de développement durable, à Halifax (Canada) composé de rencontres et de workshops. Un autre exemple d’initiative est le City Eco Lab, une cinquantaine de projets exposés autour du développement durable urbain à Saint Étienne en 2008. Chaque édition des conférences Doors of Perception est l’occasion de lancer un appel à projets et des workshops : John Thackara affirme que la pratique est indissociable de la théorie, et que l’innovation doit passer par une expérimentation in situ et non en laboratoire. Cette expérimentation doit aussi se faire avec les personnes concernées : John Thackara croit qu’aucune solution innovante pour un problème donné ne peut être efficace si elle est imposée aux personnes concernées. Selon il faut impliquer ces personnes dans le processus d’innovation. Ainsi, les Doors of Perception favorisent une inspiration « sociale » : une inspiration par le métissage des cultures et des origines professionnelles. Plus que de simples conférences, ces deux organismes créent des communautés de savoir et des interactions parfois inattendues. En poussant les participants à adopter une attitude positive et un regard ouvert et curieux, TED et les Doors of Perception donnent du souffle et favorisent les rencontres ou interactions inspirées.

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3.04 Insitutions du Design VIA et Lieu du Design ViaDesign 3.0 1979-2009 : 30 ans de création de mobilier

Le VIA est une association loi 1901 crée en 1979 Jean-Claude Maugirard sur l’impulsion du CODIFA (Comité de Développement des Industries Françaises de l’Ameublement) et d’André Giraud, Ministre de l’Industrie de l’époque. Son but est de promouvoir la création française dans le domaine de l’ameublement en France et de la représenter à l’étranger. La mission est à l’origine prévue pour deux ans durant lesquels Jean-Claude Maugirard doit élaborer une stratégie rassemblant tous les acteurs de la création française afin de la relancer (le secteur du meuble à cette époque ne représente que 5 à 7% du marché). Différents services sont proposés à l’ensemble des professions de l’ameublement pour les accompagner dans leur développement : des aides à la création (Carte Blanche, Aide à Projet,…), des conseils en stratégie marketing, en prospective, des aides à la communication et à la promotion. Implanté depuis 1995 dans le Viaduc des Arts, avenue Daumesnil dans 12ème arrondissement de Paris, le VIA propose également une galerie d’exposition ouverte au public. Gérard Laizé, directeur du VIA depuis 1994, a considérablement ouvert les champs d’application du VIA. En effet, bien que le VIA soit centré sur le design relié à l’ameublement, les problématiques de ce domaine ont fortement évolué depuis sa création. « Je le redis souvent, les objets et les meubles sont à l’aménagement ce que les notes sont à la composition musicale. Suivant ce principe, l’assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 1996 a accepté ma proposition de modifier les statuts du VIA pour que, dorénavant, nous nous intéressions non seulement au mobilier mais également à tous les éléments qui composent notre cadre de vie… » L’ameublement n’est plus uniquement chaises et tables : d’autres besoins sont apparus, d’autres matériaux, d’autres manières de vivre et le VIA en a tenu compte pour faire évoluer ses missions.

www.lieududesign .com

Le Lieu du Design, situé au 74 Faubourg St Antoine à Paris a été crée en 2009 sur l’initiative de la région Ile-de-France. L’origine de ce projet vient d’un constat assez simple : la France est connue pour sa création et notamment pour

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ses designers et il fallait structurer sa lisibilité et sa visibilité. Le Lieu du Design, contrairement au VIA, touche à toutes les formes de design que cela soit le mobilier, l’environnement, l’espace ou encore les services. Il a pour vocation d’être une plateforme de valorisation, de promotion, d’échange et de diffusion pour les designers. Pour cela, il cherche à fédérer les différents acteurs du design (designers, écoles, éditeurs, industriels, scientifiques, médias, spectateurs, acheteurs) en un seul lieu et à les mettre en relation pour favoriser les échanges de compétences. Le Lieu du Design propose des conseils aux designers (matériaux, stratégie, prospective, juridique,…), des formations, des rencontres et colloques et organise des expositions et conférences pour le public. En quoi ces deux acteurs du Design favorisent l’inspiration des designers ? Le Lieu du Design et le VIA sont donc des acteurs majeurs du design en France. Ils sont non seulement garants de son développement et de sa visibilité, mais cherchent à créer un contexte favorable pour la création. Ces acteurs ont bien senti que le métier de designer tend à se confronter à d’autres domaines et que ces évolutions du métier peuvent être déstabilisantes. Le fait de savoir qu’en certains lieux privilégiés sont concentrés tous les outils, les intervenants et les conseils utiles aux designers est très sécurisant. Leur rôle sur les designers pourrait s’apparenter à celui d’un mécène sur un artiste : soutenir par une présence rassurante, une influence, une aide financière. Ils favorisent également les rencontres entre les différents acteurs du design et tentent de créer une communauté efficace autour des designers : susciter des interactions, des échanges est comme je l’ai dit précédemment un moyen d’enrichir la création, d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’inspiration des designers. Cependant bien que le VIA et le Lieu du Design soutiennent financièrement des projets, les exposent, les associent à des partenariats, ils n’ont qu’une influence très limitée sur les designers. Les Tables Rondes du VIA, les Matinales du Lieu du Design sont de très bonnes initiatives en ce qui concerne l’accès à des rencontres, des savoirs ou aux débats mais elles ne dégagent pas une volonté politique, un chemin à suivre pour le design dans les années à venir.

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On sent dans les discours et publications de Gérard Laizé (directeur du VIA) et Laurent Dutheil (directeur du Lieu du Design) la volonté de tracer des directions pour la création française : un design basé sur l’analyse de phénomènes sociaux actuels et à venir, un design durable et éco-conçu, un design d’innovation… Mais bien que ces orientations soient énoncées, l’excitation d’avoir des objectifs nouveaux, l’émulation intellectuelle qu’elles devraient susciter ne me semble pas être très visible. Je vais prendre mon exemple pour illustrer mon propos : depuis que je suis entrée à l’Ensad, j’ai toujours entendu les professeurs nous demander de réfléchir à l’éco-conception ou à la durabilité d’un projet parallèlement à sa conception. Cependant, jamais ces deux expressions n’ont été les moteurs de nos créations, elles n’étaient que des exigences comme d’autres à remplir dans nos projets. Il est vrai que qu’il est déjà positif d’inclure ces objectifs dans les projets d’école mais, en faire des sujets d’expérimentation ou de projets pousserait les étudiants à en faire des priorités dans leurs recherches. Le VIA et le Lieu du Design montrent des engagements, des objectifs, des politiques pour le design français, il ne manque plus que quelques outils pour fédérer les designers dans ces volontés et créer le souffle dont l’inspiration des designers et le Design lui-même ont besoin. L’Agence de Promotion de la Création Industrielle (A.P.C.I.) Institut Français du Design (I.F.D.) L’A.P.C.I. a été crée en 1983 pour rapprocher les ministères français de la Culture, de la Recherche et de l’Industrie sur le domaine de la création industrielle. Elle est devenue totalement privée en 1993. L’objectif de cette agence est de promouvoir la reconnaissance du design par les entreprises appartenant à des domaines où son intervention ne serait pas évidente. L’A.P.C.I. cherche à imposer le design comme un vecteur de compétitivité et d’innovation, un acteur de stratégie pour les entreprises. Elle promeut également l’usage du design pour les politiques publiques dans l’amélioration des modes de vie, des transports, de la santé, de tous les domaines où le design a un rôle à jouer pour améliorer la vie en société. Enfin, l’A.P.C.I. en tant qu’agence française, a bien sur pour mission de promouvoir et de développer

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l’offre de design français, tant auprès du grand public que des professionnels, en France et à l’étranger. Les activités proposées par l’A.P.C.I. pour remplir ses objectifs sont assez variées. Pour les entreprises, elle propose des conférences de sensibilisation au design dans l’entreprise, des ateliers de design et d’accompagnement personnalisé pour les PME / PMI qui souhaiteraient intégrer le design à leur activité et un Club Design, Innovation et Prospective pour les entreprises ayant déjà intégré le design et voulant en développer les applications au sein de leurs projets. L’A.P.C.I. propose un certain nombre de publications par an, notamment un guide du design européen qui comprend chaque année, un état des lieux du design, un guide pratique et un annuaire des professionnels du design. Un programme européen de conférence permet de sensibiliser grand public et professionnels aux nouvelles pratiques et enjeux du design. Enfin, l’A.P.C.I. organise depuis 1999 un prix nommé l’Observeur du Design qui a pour but de repérer des réalisations innovantes et de récompenser les meilleurs projets en distribuant le Label de l’Observeur ainsi que d’autres prix. Cette compétition est reconnue au niveau international par l’International Council of Societies of Industrial Design (ICSID) et les projets sont exposés à la Cité des Sciences et de l’Industrie chaque année. L’A.P.C.I. est une initiative nationale dont les missions s’étendent au niveau international. Elle accompagne et favorise les relations entre le monde de l’entreprise et les designers et leur offre un cadre sécurisant et des repères. Elle n’est pas une source d’inspiration à proprement parler, mais elle favorise les interactions qui donneront de l’inspiration aux designers. Les prix distribués par l’A.P.C.I. lors de l’Observeur du Design peuvent aussi être vecteurs d’inspiration pour les designers : en effet, ceux-ci reconnaissent la qualité d’un projet, ce qui distingue l’inspiration du créateur et l’encourage à persévérer dans ses efforts et dans sa production.

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Une autre institution au niveau national décerne également un prix, l’Institut Français du Design qui décerne chaque année le Janus parrainé par le Ministère de l’Industrie, qui vient récompenser des réalisations innovantes dans différents domaines : - Le Janus de l’Industrie pour les réalisations apportant des nouvelles réponses aux usages. - Le Janus de la Santé pour les projets concernant le bien être des patients aussi bien que des personnels médicaux. - Le Janus du Commerce qui récompense les réalisations sur les nouveaux modes de consommation. - Le Janus de la Cité pour les collectivités qui adoptent des démarches favorisant la qualité de vie. - Le Janus de l’Étudiant qui récompense les projets de fin d’étude. - Le Janus du Service pour le design de services. International Council of Societies of Industrial Design (ICSID) L’ICSID est une organisation internationale à but non-lucratif fondée en 1957 dont le but est de protéger les intérêts et de promouvoir la profession de designer indstriel. Cette organisation qui rassemble des professionnels de plus de cinquante pays est une des plus influente : elle ne rassemble pas que les designers mais toutes les professions et domaines qui touchent au design comme la recherche, l’éducation, la promotion, le commerce, les gouvernements. Elle intervient sur quatre axes : la communication entre les différentes institutions de design locales, régionales et nationales et entre les différents acteurs, la protection juridique des designers, l’éducation et la recherche en design, et enfin la sensibilisation à ses pratiques et ses enjeux. Tous les deux ans, se tient le congrès international de l’ICSID suivi d’une assemblée générale qui rassemble les représentants de toutes les entreprises, organisations ou gouvernements membres. Le congrès permet aux participants d’échanger des idées sur les directions que prend le design ou sur des thématiques comme la mobilité, la communication, le service… L’assemblée permet de définir les programmes d’action, d’éducation et de recherches qui seront menés par l’ICSID. Ces programmes contiennent des conférences, des rencontres

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internationales, des workshops de design ou encore parrainent des évènements locaux ou des compétitions de design. L’ICSID fait partie de l’International Design Alliance (IDA) dont les autres membres sont l’International Council of Graphic Design Associations (Icograda) et l’International Federation of Interior Architects/Designers (IFI). L’IDA a pour but de rassembler les organisations internationales de design sous une seule bannière afin de peser au niveau international. L’ICSID est l’institution référence en matière de design : elle définit ce que seront les politiques et les champs d’action du design au niveau mondial. La variété d’origines professionnelle et géographique de ses membres en fait une institution à l’image de ce que doit être le design aujourd’hui : ouvert sur le monde, pluriculturel et pluridisciplinaire. Tout comme l’A.P.C.I. à l’échelle de la France, l’ICSID par ce qu’elle propose à l’échelle internationale favorise l’inspiration des designers. Elle est un cadre rassurant qui donne des directions pour la création, directions sur lesquelles les designers peuvent s’appuyer pour créer et qui donc favorisent leur inspiration.

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L’inspiration, bien qu’étant un phénomène fugace et presque indéfinissable, est essentielle à la création. Elle est l’infuence, la petite voix qui nous guide, la force créatrice de l’homme et le sentiment d’exaltation. J’ai montré dans cette partie que l’homme à travers les époques et avec l’évolution des technologies, a su créer des moyens parfois complexes pour l’exacerber. Ces moyens que j’ai cité, ne sont pas des sources d’inspiration en eux-mêmes mais en favorisent l’accès et les interactions nécessaires. Mais pour qu’ils y aient sources d’inspiration, il faut donner à inspirer : ce qui nous entoure est une source naturelle d’inspirations mais l’homme, par ses comportements, par son empreinte, par ce qu’il crée donne à inspirer. L’homme laisse des traces de son passage qui véhiculent des idées, il laisse un héritage derrière lui, il expire. Mais si l’homme expire, il est essentiel qu’il ait conscience de la nature de cette expiration car celle-ci influencera les générations à venir. Il nous faut expirer des choses, insuffler l’inspiration à ceux qui viennent après nous en adéquation avec le monde que nous voulons créer. Que voulons nous expirer au monde qui arrive, aux créateurs en devenir ?

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Inspirations

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La Fabrique Végétale de Gilles Belley

pour sa vision poétique du durable Jardin domestique composé de multiples objets dont la fonction découle de l’intéraction entre les lois naturelles et les agromatériaux utilisés

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Manned Cloud Jean-Marie Massaud

pour la lenteur du voyage Moyen de transport inspirĂŠ du dirigeable.

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Muji

pour sa philosophie de « produits de qualité sans marque»

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100 Chairs in 100 Days Martino Gamper

pour son mixage des codes

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Dior & John Galliano Haute-Couture, Prêt-à-Porter, Joaillerie

pour son patchwork des cultures

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5.5 Designers

pour la joie et l’efficaitÊ de leur communication

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Maison Martin Margiela Mode, Parfum, Joaillerie, Objets

pour l’Êtrange

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Mini Kitchen Joe Colombo

pour sa fonctionnalitĂŠ intemporelle

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Clever Little Bag Yves Béhar

pour son idée simple et légère Boîte à chaussure utilisant 65 % de carton en moins qu’une bôite classique

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II. Expirer 1. À bout de souffle ? 1.01 L’émergence d’une prise de conscience Ces quinze dernières années ont vu émerger une remise en question profonde chez les hommes. En effet, jusqu’à présent, l’homme ne s’était pas soucié de l’empreinte qu’il pouvait laisser sur la Terre, ni de ce qu’il pouvait aussi transmettre à ses enfants et aux générations à venir. L’homme, pendant des siècles, s’est contenté de vivre pour sa propre existence, marquant son territoire au prix de luttes et rivalités, essayant d’accumuler richesses, possessions, que de toutes manières, il ne pourrait emporter dans sa tombe. L’homme n’a pas cherché à voir au-delà de sa propre mort en tant qu’individu, et les questions de transmission à ses enfants n’ont jamais dépassé des considérations économiques ou matérielles. Au début du XXème siècle, un concept a commencé à se développer en Europe : après la création de l’écologie, terme crée par le biologiste allemand Ernst Haeckel en 1866, désignant la connaissance de la maison (la maison des hommes, donc la Terre), il fallait trouver un nom à la science qui s’occuperait de la gestion de la maison. Un des étudiants d’Haeckel, le naturaliste et géographe Grigore Antipa, eut l’idée d’employer le terme géonomie pour définir la science qui permettrait de gérer la Terre. Aujourd’hui, le terme a évolué, il est la science qui étudie les rapports entre les sociétés humaines et leurs environnements naturels. Cependant aujourd’hui, le mot est peu employé, et son sens, est associé dans le langage courant, à celui de l’écologie. Par la suite, une organisation a joué un rôle précurseur dans le monde : le Club de Rome, crée en 1968, est un groupe de réflexion réunissant des personnalités à des postes importants dans différents secteurs à travers le monde. Le Club de Rome fut le premier organisme à s’intéresser à l’impact du développement des sociétés et à parler de développement durable et d’empreinte écologique : en 1972, il publia un rapport intitulé « Halte à la Croissance ? » sur la commande du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

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Ce rapport, écrit par Dennis et Donella Meadows, est la première étude sur les conséquences de la croissance économique et démographique que connaît le monde à cette époque. Il souligne pour la première fois, le caractère limité et l’impact de l’utilisation de ressources naturelles comme le pétrole et le gaz, l’augmentation de la pollution, la baisse des ressources alimentaires. Sa conclusion est qu’il faut mettre un terme à cette croissance effrénée que connaît le monde, et lui substituer un équilibre qui doit passer par des mesures telles des limitations démographiques et des quotas de production. Ce rapport, qui propose une vision plutôt dramatique et négative de l’évolution de l’homme, a été très controversé. La même année, une conférence des Nations Unies à Stockholm expose les problématiques décrites dans ce rapport, les interactions entre économie et écologie. Cette conférence est un échec sur le plan décisionnel mais un postulat se dégage : l’environnement est un patrimoine que l’on doit respecter, pour que les générations futures puissent en profiter autant que les précédentes. Ce sommet sera appelé rétrospectivement le premier Sommet de la Terre. En 1987, une définition est proposée et approuvée par la Commission Mondiale pour l’Environnement et le Développement pour le terme de développement durable : « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » Cinq plus tard a lieu le second Sommet de la Terre à Rio de Janeiro (Brésil), qui consacre le concept de développement durable. Il est élargi à d’autres notions que l’utilisation avec parcimonie des ressources naturelles : le progrès économique, la justice sociale, et la préservation de l’environnement. En 1997, est établi le Protocole de Kyoto pendant la Conférence des Nations Unies du même nom. Ce traité international, ratifié à ce jour par 183 pays, vise la réduction de l’émission des gaz à effet de serre par l’instauration de quotas et de permis d’émission. Il prévoit aussi des mesures permettant aux pays en voie

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de développement, ratifiant le traité, de bénéficier de méthodes de production propre et de financements pour des projets de réduction d’émissions. Ce protocole est entré en vigueur en 2005, après 8 ans de négociations acharnées entre les pays. La Conférence de Copenhague, quinzième conférence des Nations Unies dans la Convention-cadre sur les changements climatiques, s’est déroulée en 2009. Cette conférence avait pour but de renégocier un accord international sur le climat pour remplacer le Protocole de Kyoto, censé prendre fin en 2013. Une déclaration qualifiée d’accord international a été émise : les pays s’engagent à réduire de moitié avant 2050 leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à celles de 1990, afin de limiter la hausse moyenne des températures à 2°C en 2100. Cependant, cet accord est considéré comme un échec car il est non contraignant juridiquement parlant. De plus, aucun engagement chiffré n’a été prononcé par les pays, aucune instance n’a été créée pour faire respecter les engagements pris et contrairement à Kyoto, peu de mesures ont été créées pour accompagner les pays vers leurs objectifs. Il aura donc fallu quasiment un siècle pour que l’homme prenne peu à peu conscience de l’impact de ses activités et de sa simple existence sur la Terre. Mais ce temps écoulé a peut-être changé quelque peu les esprits, mais n’a pas changé concrètement le fonctionnement de l’homme, qui a réfléchi mais continué de produire. Pourquoi tant de temps ? La nature humaine, bien qu’elle évolue en permanence, est frileuse à l’idée de non seulement reconnaître ses défauts ou ses erreurs, et elle est encore plus statique quand il s’agit de changer. Mais encore plus que l’immobilisme des hommes, c’est l’individualisme qui pose problème. La Conférence de Copenhague a été le parfait reflet de l’absence de concertation et de coopération internationale en matière d’environnement. Bien que les pays se soient réunis et qu’ils aient négocié par le biais de leurs représentants, aucun d’entre eux n’a su mettre de côté ses intérêts nationaux à court terme pour le bien de l’humanité à long terme.

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À plus petite échelle, un homme va peut-être agir à sa mesure pour participer au développement durable (gestion des déchets, baisse des emballages…). Mais lorsqu’il s’agit de mettre de côté son mode de vie axé sur la valorisation de sa place dans la société par la consommation pour le bien de la planète, l’homme n’est pas prêt. Comme le font les gouvernements, les hommes favorisent ce qui peut améliorer leur existence d’individus et non ce qui peut assurer l a pérennité de l’espèce. Bien qu’il y ait une prise de conscience, il n’y a pas encore d’action efficace 1.02 Les changements d’une profession

Design pour un monde réel Victor Papanek

Parallèlement à cette prise de conscience générale, le rôle des designers a évolué au cours du dernier siècle. Du rôle d’artisans de la décoration et de l’ameublement, les designers se sont ouverts à des problématiques liés à l’évolution des modes de vie : se loger, se nourrir, s’éclairer, se chauffer, se transporter, communiquer… L’échelle de production s’est agrandie : de pièces uniques créées en atelier sur mesure, les designers ont pu augmenter de façon exponentielle leur production grâce à la mécanisation du travail et la progrès des technologies et ainsi créer des objets de grande consommation. Depuis les quinze dernières années, le design a même dépassé la simple création d’objets : il est devenu services, processus, plans d’organisation, applications informatiques. Le designer s’est progressivement intégré dans des domaines où il n’avait pas sa place avant. Le designer aujourd’hui peut se lier à l’ingénieur pour travailler sur des problématiques d’énergies, de transports, de matériaux. Mais il peut aussi travailler pour une grande entreprise, afin d’inventer de nouvelles stratégies, de nouveaux outils de communication ou encore pour redéfinir le champ de l’entreprise. Ou encore développer avec un sociologue, un service d’aide à la personne. Le design est devenu création, conception, projection et cela quel que soit le domaine d’application. Comme le dit Victor Papanek « Le design sous-tend toute activité humaine. La préparation de toute action en vue d’une fin désirée est une démarche de design ».

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Le design correspond Ă une multitudes de pratiques diffĂŠrentes qui se rejoignent.

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In the Bubble John Thackara

Le design étant devenu une démarche qui touche à tous les domaines, les designers ont donc un rôle plus grand et des responsabilités quant à ce qu’ils créent. C’est donc naturellement que la question du développement durable par le design s’est posée : « autour de nous, 80% de l’impact environnemental des produits, services et infrastructures provient de décisions prises durant le processus d’élaboration en design » affirme John Thackara. Les designers ne sont bien sûr, pas jugés comme étant les seuls responsables de l’état de notre planète, mais on attend parfois d’eux qu’ils trouvent en un instant des solutions concrètes, efficaces et rentables à tous les problèmes engendrés par l’activité humaine et qu’ils changent les modes de vie comme ils changeraient de chemise. Et bien que la mission des designers soit noble et valorisante, la reconnaissance par le grand public et les médias ne s’effectue que sur une seule forme de design, qui à mon avis, est peu représentative de notre champ d’action. Je parle ici d’un design popularisé par des personnalités à forte valeur ajoutée de communication, mais pas de réflexion, ou encore par certaines émissions de relooking décoratif dont les propositions seraient plus dignes du mot « foire » que du mot « design ». 1.03 Une situation bloquée Le paradoxe est donc là : les hommes attendent des designers qu’ils proposent des solutions pour changer les comportements nocifs à leur survie tout en refusant la moindre évolution qui leur ferait mettre de côté certaines habitudes. En quelque sorte, les hommes voudraient qu’il y ait un changement de société sans pour autant qu’ils aient besoin d’y participer ou de faire des efforts. Cependant les designers créent pour les hommes et ne peuvent se passer d’eux. Aujourd’hui, nous sommes donc dans une situation où l’individualisme et l’immobilisme de la nature humaine bloquent son évolution vers un futur souhaitable. Les designers, coincés entre l’urgence d’aller vers le développement durable de nos sociétés et le refus d’évoluer de leurs pairs, ne peuvent trouver des solutions efficaces et se retrouvent au final en manque de souffle et donc d’inspiration.

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Ainsi, un climat perplexe et neurasthénique s’est installé, ralentissant l’innovation et diminuant l’énergie, la foi et l’inspiration des designers. Nous sommes à bout de souffle sur une course contre la montre qui s’accélère de plus en plus. Comment changer cet état ? Comment retrouver une sorte de foi en l’homme et en notre capacité créatrice ? Comment retrouver l’inspiration pour expirer les choses dont le futur a besoin?

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2. Un Bol d’Air Compte tenu des enjeux auxquels les hommes doivent faire face, et des missions confiées aux designers, ceux-ci se doivent de retrouver la foi en leurs capacités créatrices. Le designer s’inspire et donne ensuite à inspirer : il transmet à ceux qui le suivent un message par ce qu’il crée. Ce qui implique donc une certaine responsabilité du designer qui doit savoir à l’avance ce qu’il veut transmettre par sa création. Nous sommes à bout de souffle du fait du paradoxe dont j’ai parlé précédemment mais peut être aussi parce que nous ne savons plus ce que nous voulons transmettre. Pendant longtemps, nous avons véhiculé par nos créations, la volonté de répondre aux besoins vitaux, d’améliorer les conditions de vie des hommes ou de transmettre des idéaux de beauté. Les sociétés occidentales ont atteint un niveau de vie suffisant pour sortir de la survie. Même si la course au progrès ne s’arrête pas, nous n’avons plus réellement besoin d’inventer pour améliorer ce confort, si ce n’est pour le rendre plus accessible à des pays ayant moins de ressources. Par la suite, le design s’est politisé, a transmis des critiques, la volonté de faire prendre conscience de dysfonctionnements ou de désaccords avec la société. Ce design du contre, propose certes de manière constructive des solutions, mais à mon avis, il ne va pas assez loin et il ne prend pas assez d’ampleur. Le design puisqu’il est considéré aujourd’hui comme un domaine ayant réponse à tout, doit prendre de l’ampleur et offrir des projets plus vastes, prendre en considération les problématiques de société et proposer des actions ayant un impact à grande échelle. Le design ne doit plus être seulement une discipline ou un domaine, il doit devenir une attitude, une manière de considérer ce qui nous entoure, que cela soit l’environnement, les personnes, les modes de vie ou encore les politiques, et d’en analyser les enjeux pour y répondre. Le design doit devenir l’ultime ressource renouvelable universelle et nous devons en transmettre les idéaux car nous sommes les designers qui inspireront ceux de demain. Il ne tient qu’à nous de modifier le statut du design et nos champs d’application. Je propose pour cela de travailler sur trois axes qui me semblent primordiaux pour faire évoluer le design et son action sur la société.

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2.01 Se Fédérer Se fédérer consiste à se grouper, se rassembler, à s’unir autour d’une personne, d’une idée, d’un but ou d’un projet commun. De tout temps, l’homme a tenté de se fédérer : les hommes se sont rassemblés en tribus, en cités, en royaumes, en diverses organisations dont les buts varient. Certaines fédérations ou pour but de représenter des individus appartenant à une même région géographique (états, régions, départements, …), d’autres rassemblent des individus pour venir en aide à d’autres populations (O.N.G., associations humanitaires), d’autres encore réunissent les acteurs d’une même branche professionnelle pour en défendre les droits (syndicats, fédérations de sports, …). Se fédérer à plusieurs individus permet d’avoir plus d’impact par rapport à un but que l’on partage, que si l’on était seul. Ainsi nous avons différents types de fédération et différentes échelles pour se fédérer, le plus gros échelons étant les hommes en eux-mêmes. Ces fédérations se superposent entre elles et interagissent les unes avec les autres selon leurs buts respectifs et les moyens qu’elles mettent en œuvre pour atteindre ces buts. Ces fédérations cependant ont un effet assez paradoxal. En effet, si l’on prend l’exemple de Copenhague que j’ai mentionné précédemment, des représentants d’états se sont réunis dans le but de négocier des mesures pour lutter contre le changement climatique, qui affecte les hommes. La conférence a été un échec sur le plan décisionnel car les représentants ont fait valoir leurs intérêts nationaux sur l’intérêt commun des hommes qui est de pérenniser l’espèce humaine. Autrement dit, les intérêts de l’échelle « États » sont passés au-dessus des intérêts de l’échelle « Hommes », alors que ces états parlent au nom de populations humaines qui ont donc les mêmes intérêts. En prenant les décisions (ou en ne les prenant pas), les états sont allés au final contre leur propre but, ayant un effet néfaste sur les hommes qu’ils représentent. Là est tout le paradoxe de se fédérer.

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Un exemple d’échelles de fédération des hommes

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Si nous prendre des décisions pour l’échelle « Homme » nous devons nous fédérer à ce niveau et pas à l’échelle en-dessous, car dans ce cas, les intérêts de cette échelle seront toujours considérés supérieurs à l’intérêt des hommes. Nous devons nous fédérer en « tout » et pas en « parties », sinon les intérêts des « parties » prendront l’avantage sur les intérêts du « tout ». Loin de moi l’idée de supprimer toutes les fédérations d’échelles inférieures à celle des hommes. Elles sont nécessaires pour des enjeux moins vitaux que la pérennité de l’espèce. Mais concernant le développement durable, il me semble qu’il est vital de se concerter, se fédérer au plus haut niveau, ne serait-ce que pour être plus efficace pour atteindre ce but. Les politiques concernant l’homme devraient être décidées au plus haut niveau, peut-être par une institution qui ferait office d’instance référence en la matière pour les gouvernements nationaux. Une sorte de ministère international de l’homme dont l’objectif principal serait d’assurer la pérennité de l’espèce. Je suis consciente qu’une telle instance, qui serait contraignante pour les gouvernements, ne peut exister sans garanties et dans les circonstances actuelles. Mais je ne perds pas l’espoir (l’utopie même !) qu’une initiative aussi efficace puisse un jour être crée par l’association des compétences de politiques, juristes, sociologues designers et citoyens de ce monde. Les designers doivent faire partie de ce processus et doivent s’unir avec ceux pour lesquels ils créent dans la réflexion : c’est le principe « participatif » qui est un des caractères du Web 2.0 et qui a permis de développer de manière exponentielle ses applications. Le designer, pour répondre aux problématiques environnementales et sociales qui sont les siennes aujourd’hui, doit s’associer non seulement aux autres designers mais aussi à ceux pour lesquels il crée, les hommes. Se fédérer veut aussi dire qu’il nous faut renoncer à l’individualisme : il nous faut arrêter de penser à notre existence en tant qu’individus et penser en termes d’existence de l’espèce. Je suis consciente que de changer un trait de caractère si profondément ancré dans la nature humaine sera bien difficile. Ce qui me fait dire qu’un autre axe du design pourrait être d’éduquer.

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2.02 Éduquer Si le design doit devenir une ressource à laquelle on fait appel au quotidien, une attitude où l’on réfléchit et améliore notre mode de vie, le design doit devenir une aptitude avec des compétences qu’il faut enseigner dès le plus jeune âge. Le changement de statut que je propose pour le design implique des changements au sein de la nature humaine qui doivent tout d’abord provenir de changements au niveau de l’éducation des enfants. L’école doit donc être aujourd’hui l’acteur principal de ces changements et les parents doivent aussi apprendre, par leurs enfants et par des actions de sensibilisation. Les enfants d’aujourd’hui seront les adultes de demain, ce qui implique qu’ils pourront transmettre naturellement à leurs enfants les nouvelles attitudes et manières de penser, analyser le monde qu’on leur aura appris. L’enseignement de cette aptitude pourrait commencer par exacerber la curiosité des enfants : je ne parle pas que d’une curiosité intellectuelle mais plutôt de les rendre sensibles à ce qui les entoure, que cela soit les relations et comportements humains, l’environnement, les arts, la société, la politique. Cela pourrait correspondre à une éducation civique étendue sur d’autres domaines que la société et fonctionnant par thématiques. Par la suite, il me semble qu’il est important de les pousser à analyser ces thèmes et à leur faire développer un regard personnel. Et enfin, les pousser à proposer, à agir ensemble Imaginons qu’une classe ait pour thématique le « bien manger », les enfants seraient éveillés à la nutrition, aux fruits et légumes de saison, aux O.G.M., à des questionnements utiles pour leur faire prendre conscience de l’incidence de leurs manières de manger sur le monde. Ils pourraient eux-mêmes par la suite proposer une image, un objet ou une action par exemple pour inciter ou favoriser la consommation de fruits et légumes de saison et ainsi agir à leur échelle. Ceci est un exemple facile mais faire réfléchir les enfants à des questions actuelles dont la réponse passe par un changement de comportement, a plus de chance de se produire à un jeune âge.

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Un design centrÊ autour de l’humain.

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Enseigner le Design ? Mais peut-on encore parler d’enseigner le design ? Ce mot est-il encore le bon ? Si l’on en reste à une simple analyse et à un enseignement passif en « il faut » ou « il ne faut pas », ce terme n’est effectivement pas utile. Mais si le but de cet enseignement est de réveiller la capacité créatrice de l’homme en incitant les enfants à proposer des choses pour agir sur leur quotidien et de participer au développement durable et à sa pérennité, le design prend alors sa place en tant que méthode d’élévation des enfants. Conscience, compréhension, réflexion, action pourraient être les quatre termes résumant cette pédagogie. Former les enfants d’aujourd’hui à un nouveau regard sur la société et à une analyse de leur mode de vie est essentiel pour que ceux-ci puissent le transmettre naturellement à leurs propres enfants demain. Des initiatives existent déjà dans cette optique-là mais elles sont récentes et nous avons peu de recul sur leur efficacité. Une école à Paris, la Living School située dans le 19ème arrondissement propose une pédagogie axée sur le développement personnel et sur la sensibilisation des enfants à un mode de vie durable et dans le respect de la nature. Par des ateliers ou des visites, les enfants semblent prendre conscience progressivement des enjeux qui nous concernent. La ville de Saint-Étienne a senti depuis quelques années la nécessité de relier le design à l’éducation dès le plus jeune âge. La biennale de Saint-Étienne propose ce qu’elle appelle une boite à outils pour insérer le design à l’école. Il s’agit d’un site Internet regroupant les ressources documentaires pour les enseignants, sur le design, son histoire, ses problématiques et des idées de petits projets. Certaines écoles font intervenir directement des designers dans leurs cours. Les rares initiatives françaises pour introduire le design à l’école, restent au mieux très théoriques ou alors sont plus dans l’exacerbation d’une créativité artistique. Les Etats-Unis ont un regard plus novateur sur la question.

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Une autre initiative est celle du Stanford Institute of Design, qui sous l’impulsion de différents professeurs de design, étudiants, instituteurs, a créé le K12 Lab. À la base, ces intervenants se sont réunis pour aborder le sujet de la créativité dans les études et dans les domaines professionnels en dehors des champs habituels de la création. Ils se sont rendu compte que des enfants en école primaire avaient parfois plus de créativité et surtout plus d’enthousiasme que des diplômés de grandes écoles. Se sentant concernés par les problématiques actuelles en matière de design, d’environnement et de modes de vie, ils ont décidé de proposer à des enfants entre 4 et 19 ans l’opportunité de les faire travailler dessus via des ateliers ou des projets (K12 : surnom donné aux douze ans d’études avant les études supérieures, donc maternelle, primaire, collège et secondaire). Le but n’est pas de former des designers professionnels mais de pousser les jeunes à prendre position et à agir sur ce qui les entoure afin de tendre vers un futur durable. Les thématiques sont assez variées mais restent toujours autour d’une notion qui leur est chère, le « human centered » : l’envie de travailler en tant qu’humain pour les humains. Le K12 Lab rassemble divers acteurs du design, de l’éducation et de la recherche qui interviennent directement dans les écoles en relation avec les professeurs sur place. Ces interventions peuvent être ponctuelles ou sous la forme de projets suivis mais le K12 Lab insiste sur le fait qu’elles doivent déboucher sur des propositions concrètes au-delà du débat et de la réflexion. Un des acteurs d’origine du K12 Lab est David Kelley, un designer qui a fondé IDEO : cette société qui édite des projets est aussi un bureau de recherches sur le design et la société. « Let’s build a generation of design thinkers. Our worlds needs great mind who can build powerful solutions to challenges we will face the 21st century. What would the world look like if everyone saw the problems in the world as design opportunities ? » Par là, David Kelley entend qu’introduire le design dès l’école en tant que méthode de regard et d’action sur le monde permettrait d’aborder les changements à mener au XXIème siècle d’une manière plus positive et constructive.

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http://dschool. stanford.edu/k12/ index.php

http://www.ideo. com/thinking/focus/ design-for-learning/


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Cette initiative me semble de loin la plus efficace et la plus logique en termes d’approche : en effet elle permet de fédérer sur des projets éducatifs à la fois les enfants, leurs professeurs et des professionnels du design. Ces projets ne sont pas que réflexion, ils aboutissent à une concrétisation qui montre aux enfants que l’action est possible et qui donne l’exemple au monde. Cependant, ceci est une initiative qu’il faudrait généraliser à toutes les écoles de tous les pays, ce qui veut dire que le bénéfice du design à l’école devrait être reconnu à l’échelle nationale par les agences gouvernementales et les ministères chargés des politiques en matière d’éducation. Ceci n’est pas le cas actuellement et il faut espérer que des initiatives comme le K12 Lab permettront de sensibiliser les pouvoirs publics. Le design à l’école doit être considéré à la fois comme un regard sur notre monde, une méthode d’analyse et une ressource d’action et pour cela, sa pédagogie doit être clairement définie au niveau national, voir au niveau mondial. Il pourrait exister au sein des Nations Unies, une agence qui définirait les modalités, les objectifs et les programmes de notions à aborder. Cette agence agirait en concertation avec les ministères d’éducation de chaque pays, proposant des thématiques ou des modalités adaptées à leurs besoins. Cours de Design ? La question que l’on se pose alors est que le design, doit-il devenir une «matière » telles les mathématiques ou le Français ? Je dirais qu’il ne faut pas le réduire qu’à cela. Les nouvelles pratiques du design telles que je les ai définies montrent qu’il fonctionne à la fois comme discipline propre (le mobilier par exemple) mais aussi comme méthode de recherche, stratégie ou développement (le design dans l’entreprise). Il faut donc envisager le design à l’école de manière plurielle : une méthode mais aussi une discipline, une réflexion mais aussi une concrétisation. Il faut cependant garder à l’esprit qu’il n’est pas une finalité en lui-même, qu’il n’est qu’un des chemin qui permettra à l’homme des mutations suffisantes pour assurer sa pérennité. L’éducation doit servir le design mais l’inverse est aussi vrai. L’éducation a besoin de méthodologies ou d’outils créés par des designers pour être plus performante.

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« Éduquer pour mieux agir », tel pourrait être le slogan de ma pensée. Le design ne doit pas en rester à une éducation intellectuelle, il doit être action sur le monde qui nous entoure grâce à cette éducation. 2.03 Agir L’immobilisme et la méfiance de la nature humaine dont j’ai fait la critique en prélude de cette partie pourraient ne plus être un frein à l’action sur ce qui nous entoure. J’ai montré jusqu’à maintenant que le fait d’introduire le design à l’école en tant que principe d’observation et d’analyse de ce qui nous entoure pouvait donner aux enfants un regard neuf et changer certains aspects depuis longtemps établis de la nature humaine : l’individualisme, l’égoïsme, le manque d’anticipation, le refus de voir au-delà de sa propre existence. En agissant sur ces aspects, on agit sur l’immobilisme ambiant qui prive la création et l’innovation de souffle et on recrée un état d’enthousiasme et d’inspiration qui peut favoriser l’action. Il existe des initiatives à travers le monde qui agissent à différents sur ce qui nous entoure et dont le concept et l’efficacité méritent qu’on les observe de plus près. De manière très concrète ou plus théorique, elles influent sur ces traits de la nature humaine qui nous handicapent et nous empêchent d’avoir l’inspiration, la foi en un monde meilleur. Transition Towns / Villes en Transition Le mouvement Transition Towns est né en 2006 dans la ville de Totnes (Grande Bretagne) sur l’impulsion d’un enseignant en permaculture Rob Hopkins et de ses élèves. Le but de cette initiative est d’inciter les habitants d’un territoire (un village, un quartier, une ville, …) à prendre conscience de la nécessité d’aller vers un développement durable en changeant progressivement leurs comportements. Cette initiative est partie d’un constat en trois points : - La baisse de consommation d’énergie est inévitable. - Les hommes doivent s’adapter aux changements notamment énergétiques s’ils veulent survivre. - Les hommes doivent agir collectivement dès maintenant.

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The Transition Handbook, from oil dependency to local resilience, Rob Hopkins traduit par Maxime David

Ce mouvement s’appuie sur la notion de résilience : « La capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser en intégrant ce changement, tout en conservant essentiellement la même fonction, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction. » Une société à haut degré de résilience serait plus réactive, et moins menacée par les changements. Un haut degré de résilience au niveau local permettrait en plus d’être moins dépendant des autres localités, sans pour autant aller jusqu’à l’autarcie. Le mouvement Transition Towns propose des modèles de transition pour s’adapter progressivement aux changements et non plus les subir. Conscient qu’il n’est pas possible de créer un seul modèle de transition pour tous les hommes du monde, Rob Hopkins propose des modèles de petite échelle (villes) pour des hommes partageant les mêmes habitudes et modes de vie. Trois objectifs d’action sont proposés : réduire la consommation d’énergies fossiles et donc l’émission de CO2 , se réorganiser, agir et produire local et enfin acquérir les compétences nécessaires. Ces axes de recherches sont fixés par l’organisation mais c’est aux habitants de la localité d’en définir les modalités et les solutions permettant d’y accéder. Quelques exemples de solutions déjà mises en places dans certaines villes en transition : - Créer une monnaie locale : indépendante du système financier mondial, elle permet de mobiliser l’économie locale. - Favoriser les circuits courts : réduire les intermédiaires entre le producteur ou le fabricant et le consommateur. - Circuler : auto-partage, co-voiturage, vélo, regrouper les déplacements, … - Produire de l’énergie : solaire, éolien, biomasse. - Produire des fruits et légumes de saison pour la consommation locale. Cette initiative a l’avantage d’être un cadre à la bonne échelle qui permet aux hommes de se fédérer par des réflexions et des actions concrètes. Elle rassemble les hommes, les citoyens, les acteurs économiques, scientifiques, politiques d’une localité et leur donne juste la dose d’espoir et le chemin pour trouver l’inspiration et des solutions. Aujourd’hui plus de 300 villes à travers le monde (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Japon, Allemagne, Australie, NouvelleZélande, …) sont des villes en transition.

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La 27ème Région Cette agence d’innovation publique est née d’une réflexion collective sur les bienfaits et innovations que pourraient apporter les technologies numériques au sein du domaine des politiques publiques. Cette réflexion a permis de mettre en avant le fait qu’il ne fallait pas seulement intégrer le numérique aux politiques publiques mais bien réinventer ces politiques publiques par cet outil. La 27ème région se veut comme « un laboratoire des nouvelles politiques publiques à l’âge numérique » pour les régions de France. L’échelle de la région a été choisie car de nombreuses décisions sociales, d’éducation, de développement sont prises à ce niveau. Cette agence ne se substitue pas aux institutions politiques, mais elle sert de cadre fédérateur pour ceux qui veulent réfléchir, créer et agir sur les enjeux pour le futur de nos régions. Elle met en relation les régions sur des sujets régionaux (tels le lycée de demain, la productivité des territoires, l’action sociale…) appelés des Défis, établit ensuite des programmes de recherche dont le but est d’aboutir sur des idées de projets, de scénarii d’action et enfin crée les partenariats avec les entreprises ou les institutions pour expérimenter ces nouvelles idées au sein des régions. Un des outils participatif que l’agence propose est le BarCamp, une sorte de « non-conférence » où il n’y a pas de spectateurs mais que des participants : citoyens, industriels, économistes, institutionnels se réunissent autour du Défi choisi et cherchent à proposer de nouvelles idées. La 27ème Région a lancé une opération nommée « Territoires en Résidence » qui vise à installer des équipes pluridisciplinaires dans des espaces publics tels des universités, lycées, gares, pépinières d’innovation dans le but de les faire travailler sur les enjeux de ces espaces. Ces équipes composées de designers, architectes, ingénieurs numériques, sociologues et chercheurs travaillent selon la méthode suivante : des interviews d’utilisateurs, des « remue-méninges » ou débats d’idées, production de scénarios, schémas, expérimentations, diagnostics. Les lycéens du Lycée Gabriel Fauré situé dans le centre ville d’Annecy ont travaillé sur le thème « où s’arrête la vie scolaire ? Qu’est-ce que le lycée ?» et ont mis en évidence des solutions permettant de rendre le lycée plus humain, plus proche des élèves tout en gardant son caractère d’institution du savoir. Ainsi ces opérations permettent de faire participer différents acteurs et utilisateurs de manière concrète à l’évolution durable et innovante des espaces publics. La 27ème Région a donc un rôle de moteur essentiel et de vecteur d’innovation à l’échelle des régions sans pour autant se substituer aux institutions déjà en place.

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http://la27eregion.fr

http://territoiresen residences .wordpress.com


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Time Banking Time Banking est une initiative fondée en 1980 par le Dr Edgar Cahn. Ce médecin qui travaillait dans un grand hôpital aux Etats-Unis, s’est rendu compte que l’argent était un facteur décisif pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne : sans argent, il est impossible de se soigner, de réparer un dégât dans sa maison, de prendre des cours de rattrapage et bien d’autres choses encore. Il développe alors un nouveau système monétaire basé sur l’échange de compétences, la théorie du Time Dollar™ : pour chaque heure passée à réaliser une tâche pour quelqu’un, je gagne un Time Dollar™, que je peux utiliser pour payer une personne qui réalisera une tâche pour moi. Ainsi ce sont les compétences que je propose qui me permettent d’accéder à des services et non l’argent dont je dispose. Pour faciliter ces échanges, il incite les citoyens à créer des Time Banks (littéralement banques de temps) dans les villes afin de limiter les déplacements. Cette initiative très présente aux Etats-Unis, se développe progressivement en Espagne, Italie, Israël, Chili, Japon, Corée du Sud,… Time Banking est une réelle innovation sociale : l’échange de compétences est accessible à tout le monde ce qui combat l’injustice sociale. De plus, cette initiative permet de sortir de l’individualisme prôné par notre société en créant cette forme de solidarité : on s’implique généralement dans le service que nous rend une personne, ce qui la valorise comme son travail et montre encore une fois, que l’homme est plus fort accompagné que seul. Quelles que soient son origine, son âge, son métier ou ses passions, chaque personne a des compétences qu’elle peut partager et mettre au service d’une autre personne. Différentes catégories de services sont définies : les aides ménagères (garde d’enfants, cuisine, ménage, animaux…), le bien-être (nutrition, forme, méditation, thérapie,…), les loisirs (musique, arts plastiques, théâtre,…), les transports, l’entretien des maisons ou encore l’accompagnement des personnes âgées. Cette initiative est une réussite car elle utilise les avantages d’une gestion globale sur une application locale : les Time Banks tout comme les banques traditionnelles, ne pourraient fonctionner s’il n’y avait qu’une agence par état, il y en a donc au moins une par villes mais reliées par le même concept.

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www.timebanks.org/


De plus, cette initiative permet de sortir de l’individualisme prôné par notre société en créant cette forme de solidarité : on s’implique généralement dans le service que nous rend une personne, ce qui la valorise comme son travail et montre encore une fois, que l’homme est plus fort accompagné que seul. O2 Global Network

www.o2.org

Ce réseau international crée en 1988 relie des acteurs du design, de la mode, de l’architecture, de l’enseignement, de la recherche, des entreprises et des O.N.G. impliqués ou intéressés par le développement durable. Le réseau O2 a pour but de faciliter l’accès à l’information, les échanges et les rencontres entre les personnes voulant agir dans cette optique. Pour cela, le réseau est organisé à différents niveaux : O2 Liaisons qui sont des représentants individuels au sein d’une région ou d’un pays, les O2 Groups qui sont des organisations locales de conseil en développement durable et éco-conception, et les O2 Hubs qui coordonnent les actions de plusieurs O2 Groups d’une même région géographique. Le groupe O2 France travaille ainsi avec des groupes agro-alimentaires (Auchan, Bonduelle, Danone, Champion, …), des entreprises de la mode et des cosmétiques (Bourjois, Étam), des mairies (Boulogne, Paris, Châlons-sur-Saône) ou encore des O.N.G. O2 Global Network agit à un autre niveau que les initiatives que j’ai cité précédemment : ce réseau international permet d’accéder aux informations et aux solutions pour concevoir des projets différemment. Il met en relation les personnes complémentaires et est donc vecteur d’inspiration. Architecture For Humanity

http:// architecturefor humanity.org

Cette entreprise à but non-lucratif a développé depuis 1999, un réseau de plus de 40 000 professionnels du design, de l’architecture et de l’ingénierie dans le but de répondre aux besoins de construction / reconstruction de bâtiments pour des populations défavorisées ou ayant subi des catastrophes. Architecture For Humanity part du principe qu’avoir un toit au-dessus de sa tête est une première étape essentielle vers un développement durable pour des populations défavorisées : en effet, tant que les besoins primaires ne sont pas comblés, les hommes ne peuvent se sortir de l’individualisme et s’intéresser

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à des enjeux qui dépassent leur simple existence, tel le développement durable. Architecture For Humanity tente ainsi de rétablir en premier les accès à l’eau potable, aux énergies, au logement, de redonner des bâtiments aux institutions sociales, politiques et économiques vitales, de créer des zones de dialogue dans les régions en conflit, et d’agir sur les effets des migrations de populations et sur l’urbanisation rapide. Ainsi via des récoltes de fonds, des sponsors et la participation spontanée de professionnels, cette entreprise crée des projets de construction / reconstruction qui tentent de sortir les populations de la simple survie et les poussent à reconstruire eux-mêmes leurs sociétés. Le design joue selon eux, le rôle de fondations et de ciment pour un développement durable de ces populations. Actuellement, Architecture For Humanity travaille à la reconstruction d’Haïti, après le séisme de janvier 2010, effectuant notamment le diagnostic, la réparation ou la reconstruction des écoles de Port-au-Prince.

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BD de Julien Cordier, expliquant les propos de Gunter Pauli

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Zero Emission Research and Initiatives (ZERI) Dans les années 1990, l’entrepreneur belge Gunter Pauli a créé une société (Ecover) fabricant des produits biologiques pour les tâches ménagères. Se sentant concerné par les problématiques environnementales, il a conçu l’usine de manière à ce qu’elle soit entièrement biodégradable et a mis en place des systèmes favorisant la récupération des déchets de production, des matériaux… Cependant peu de temps après, l’entrepreneur a découvert que des matériaux qu’il utilisait pour la conception de ses produits étaient issus de la déforestation en Amazonie et que leur utilisation avait donc de graves conséquences. Il revend l’entreprise et décide alors de se consacrer à la recherche de solutions alternatives à tous les comportements nocifs à la survie de la nature et de notre planète. Il met alors au point une théorie ainsi qu’une méthodologie intitulée « Zéro Pollution. » Selon lui, notre croissance s’est trop longtemps basée sur la surexploitation et le rejet de matières premières : « Le développement durable c’est la capacité de répondre aux besoins de tous avec ce dont nous disposons. Chaque système naturel, dont il s’inspire totalement, fonctionne avec ce qui est disponible. Or depuis des années, notre économie, comme notre système financier, a fonctionné avec ce qui n’existe pas. ». Gunter Pauli affirme qu’il nous faut retrouver un état d’équilibre sur la planète et pour cela, il propose de s’inspirer des systèmes naturels pour faire évoluer le nôtre. Notre mode de vie qui génère du gaspillage, des rejets qu’ils soient gazeux (émissions), solides (déchets, ordures) ou même sociaux (chômage, pauvreté) doit imiter les systèmes naturels qui font toujours le plus de choses avec le moins d’énergie possible. Ainsi, il prône un biomimétisme avancé et pragmatique au service du développement durable (« Biomimicry ») et propose des solutions telles des fils de soie inspirés de la soie produite par les araignées pour la réparation de lésions osseuses, le mécanisme permettant au diable épineux de recueillir l’eau du sol, ou encore la thermostat naturel du zèbre ou des termitières. Avec Janine Benyus qui dirige la Biomimicry Guild (Association de Biomimétisme), ils ont publié en 2008 au congrès de l’UICN (Union Mondiale pour la Nature), une liste des « 100 meilleurs inventeurs de la nature », soit un répertoire d’espèces ayant des particularités intéressantes à utiliser. Cette liste d’espèces et d’idées publiée sur son site Internet sera

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http://www.zeri.org/

Gunter Pauli à la Conférence LIFT 09 http://vimeo. com/5280798


réactualisée au fil des découvertes. Bien que certaines idées de biomimétisme puissent paraître un peu « gadget », traitant plus des symptômes que les causes, Gunter Pauli a le mérite de proposer un nouveau paradigme : celui d’un retour au naturel, au local, d’une vision optimiste de la création dans le futur. Ces initiatives, organisations ou entreprises prônent un design « humain » : leur but est de proposer des solutions à différentes échelles pour changer les comportements humains et pour développer durablement les sociétés. Ces initiatives n’agissent pas à notre place mais nous poussent, nous donnent les moyens, les outils, la réflexion pour agir et proposer : « pas de spectateurs, tous participants » pourrait être leur devise. Un autre de leurs points communs est de pousser à l’innovation quelle que soit son échelle. Cela peut être à l’échelle locale, celle des villes comme les Transition Towns ou à l’échelle des régions comme la 27ème Région, ou alors à l’échelle internationale comme le O2 Network. On pourrait penser que d’agir à différentes échelles, sur des initiatives publiques ou privées, pourrait être vecteur de désorganisation, ou pourrait les rendre moins efficaces, mais leur but commun permet pour l’instant à chacune de trouver sa place. Le risque reste cependant de voir les initiatives se multiplier et les rivalités pour l’attribution de budgets, bourses, ou dons augmenter, ce qui pourrait les éloigner de leurs buts. L’action pour être efficace doit donc s’effectuer à plusieurs échelles, mais doit être organisée au plus haut niveau, d’où la nécessité comme j’ai pu le dire précédemment, pour les hommes de se fédérer au plus haut niveau, autour du but de la pérennité de notre espèce. Ces initiatives agissent de deux manières : sur des points-clefs de nos modes de vie ou sur les liaisons entre ces points-clefs. Par exemple, Architecture For Humanity agit sur le logement, point-clef de notre existence et besoin primaire. La 27ème Région, elle, donne un cadre à des initiatives, rassemble des individus et tente de favoriser l’innovation sur des sujets tels que « moi et mon lycée » ou « moi et ma citoyenneté ». Elle favorise donc la réflexion et l’action sur les liaisons qui relient des points-clefs de ma vie au niveau régional. Mais ces initiatives, organisations ou entreprises, bien qu’elles aient des limites, ont toutes un caractère qui me semble essentiel : l’optimisme. Elles croient en l’homme, croient en ses capacités créatrices et en la possibilité d’agir. Ces initiatives n’imposent pas un modèle non plus, elles le créent avec les populations

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pour lesquelles il est destiné, ce qui ne peut que les convaincre du bien d’un changement profond et durable. Agir n’est cependant que la troisième étape d’un processus de changement de la nature humaine. Comme je l’ai montré, l’action sans concertation et sans éducation a peu d’efficacité, et sur ces trois points, le design a un rôle à jouer. Le design doit à la fois être la méthode de définition et d’organisation des missions reliées à ces points, mais aussi l’attitude générale d’analyse, d’observation de ce qui nous entoure. Les designers de métier sont indispensables mais en quelque sorte, tous les hommes doivent devenir, chacun à leur manière, des designers. Globaliser le design, le faire évoluer de discipline à ressource universelle est le meilleur moyen pour construire ensemble un futur souhaitable, au lieu de subir celui qu’on s’impose à nous-mêmes.

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Conclusion La respiration des designers est donc la clef du fonctionnement de la création. Deux phases la composent : l’inspiration qui est le processus permettant aux créateurs à travers différents moyens d’observer et d’être influencés par ce qui les entoure, de s’inscrire dans une dynamique de projection et d’échanges dans le but de favoriser la naissance d’une idée. L’expiration vient par la naissance, la formalisation et la concrétisation d’une idée qui donnent à inspirer à d’autres designers. Ainsi la respiration des designers comme celle des humains est un cycle qui s’enrichit de lui-même. Cependant, ce processus me semble être arrivé aujourd’hui à un point de rupture : la respiration des designers n’est plus en phase avec la société pour laquelle ils créent. Les designers ont vu leur rôle s’étendre à d’autres domaines au point de passer du statut de discipline à celui d’outil global. Bloqués entre l’immobilisme des hommes et entre l’urgence d’un revirement durable de la société autour de la notion de résilience, les designers sont dans l’impasse. Il est donc nécessaire pour en sortir et refaire fonctionner le cycle, de changer le statut du design, d’en faire une ressource environnementale et humaine, universelle et inépuisable. Le design doit devenir une attitude globale et collective et cela doit passer par l’éducation, la fédération des hommes dans le but d’agir d’une même impulsion pour la pérennité de notre espèce. Ce changement de statut permettra la mutation et le rétablissement du cycle de la respiration, mutation qui est essentielle pour accomplir les changements dont l’homme a besoin pour sa survie. Nous devons tous ensemble inspirer et expirer pour être les instigateurs et acteurs de nos futurs souhaitables. Je suis consciente que les changements que je propose au sein de la nature humaine et dans nos sociétés, ne peuvent résulter uniquement d’actes de design. Des enjeux stratégiques aux niveaux politiques, géopolitiques et économiques posent des limites à ce modèle. Ce qui me fait confirmer que les designers doivent agir avec ceux pour lesquels ils créent mais aussi que tous les hommes doivent se fédérer au plus haut niveau pour atteindre leur but commun.

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Réfléchir sur ce qui inspire les designers, comment ce processus fonctionne, et ce qu’il implique m’a fait prendre conscience de la complexité et de l’importance de ce métier : la complexité du processus qui amène à la création mais aussi les enjeux de cette création. Nous avons un rôle à jouer et des responsabilités à prendre. Mais cela m’a permis aussi de voir à travers initiatives que j’ai cité, que l’optimisme, la volonté et la foi en l’homme n’ont pas été totalement remplacées par l’appât du gain et du pouvoir. J’ai envie de faire partie de ces optimistes, de croire que changer est possible, et de créer des objets et des services au niveau des théories que je propose dans ce mémoire. Œuvrer pour un design humain, fédérateur et universel à toutes les échelles et redonner du souffle à l’humanité. Mon mémoire m’a donc fait prendre conscience que des projets simples de design peuvent être le moyen de changer les comportements humains et de véhiculer des idées d’optimisme et de progrès. Intéressée par le design de services et l’innovation sociale dans un but de développement durable, je n’en reste pas moins attachée aux objets du quotidien, aux meubles, inspirée par la beauté d’un matériau et l’évidence d’une forme. Ces objets du quotidien que l’on manipule nous semblent si évidents que l’on en oublie leur présence. Ces objets pourraient être le parfait support pour transmettre ce que je pourrais appeler des « valeurs de progrès » : j’aimerais que ces objets, par un service, un usage particulier ou un matériau, et en complément de leur fonction, soient chacun acteurs d’une innovation sociale ou environnementale. Il ne s’agit pas de simplement ajouter ce service à la fonction initiale de l’objet, mais plutôt de le créer avec l’objet en question, afin de lui donner une réelle valeur ajoutée. Valeur de progrès ajoutée qui conférerait aux objets quotidiens une nouvelle place. Dans l’idée d’un Grand Projet, je souhaiterais travailler sur ce thème, en créant une gamme d’objets à valeur de progrès environnemental et social ajoutée, à différentes échelles d’usagers, de lieux, dans la continuité des idées que j’ai développé dans ce mémoire.

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Bibliographie Ouvrages Gaston Berger, Textes et Fondamentaux de la Prospective Française (1955-1966), L’Harmattan, 2007 Bernard Cathelat, Styles de Vie volume n°1 : Cartes et Portraits et volume n°2 : Courants et Scénarios, Collection C.C.A., Les Éditions d’Organisation, 1985 Divers Auteurs sous la direction de Jean-Paul Lafrance, Critique de la Société d’Information, collection Les Essentiels d’Hermès, CNRS Éditions 2010 Divers Auteurs, Monstres et Merveilles de la Modernité, Cahier Laser n°6, Descartes & Cie, 2003 Divers Auteurs, sous la direction de Brigitte Flamard, Le Design : essais sur des théories et des pratiques, Éditions de l’Institut Français de la Mode, 2006 Divers Auteurs, Revue Internationale des Sciences Sociales, volume XXI n°4, La Futurologie, Unesco, 1969 Divers Auteurs sous la direction de Christine Colin, Design & Sic : stocker, inventorier, classer, Industries Françaises de l’Ameublement, 2004 Divers Auteurs, ViaDesign 3.0 1979-2009 : 30 ans de création de mobilier, catalogue de l’exposition du même nom présentée au Centre Pompidou, éditions du Centre Pompidou, 2009 Céline Lison et Tom Mueller, Les Leçons de la Nature, article paru dans la revue National Geographic, pages 46 à 71, avril 2008 John Thackara, In The Bubble, de la complexité au design durable, Cité du Design Éditions, 2008

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Article « Les «Entrepreneurs du Monde Vivant de la Nature» exposent leurs solutions révolutionnaires pour faire face aux défis environnementaux du 21ème siècle », Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2008 http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=535&ArticleI D=5816&l=fr

Article « Les Outils de la Futurologie » par Ridha Guermazi de L’Observateur de Tunisie, 2009 http://www.observateurtunisie.com/reflexion/les-outils-de-la-futurologie-1766.html

Design à l’École, la boîte à outils numérique, Cité du Design de Saint-Étienne http://designalecole.citedudesign.com/boite_a_outils.html#/accueil

La Domination de Google, dossier du Courrier International, 2006 http://www.courrierinternational.com/dossier/2006/10/19/la-domination-de-google

L’Histoire de Google en 2 minutes et 13 secondes http://descary.com/lhistoire-de-google-en-2-minutes-13-secondes-animation/

IDEO, A Design and Innovation Consulting Firm http://www.ideo.com/

K-12 Lab, Stanford Institute of Design http://dschool.stanford.edu/k12/index.php

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Lift Conference, what can the future do for you ? http://www.liftconference.com/

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La Stratégie du Design sous tous ses aspects, Nicolas Minvielle http://www.design-blog.info/

Technorati State of Blogosphere http://technorati.com/state-of-the-blogosphere/

Time Banking www.timebanks.org/

Universal Design Education Online, ressources pour l’enseignement et l’apprentissage du design http://www.udeducation.org/

Villes et Communautés en Transition – Transition Towns http://www.villesentransition.net/

La 27ème Région, agence d’innovation publique http://la27eregion.fr/

Territoires en Résidence http://territoiresenresidences.wordpress.com/

ZERI, Zero Emission Research and Initiatives, Gunter Pauli http://www.zeri.org/

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