JARDIN(S) SECRET(S)
JA R DIN ( S ) S ECR ET ( S )
JA R DIN ( S ) S ECR ET ( S ) Jardin(s) secret(s) compile les productions d’un séminaire de recherche de quatrième année de la formation paysage de l’ensapBx, animé par Hélène Soulier et Dominique Henry.
Sommaire
Hélène Soulier Les mythologies créatives ............................................................. 4
Abécédaire ........................................................................... 6 Marie Bretaud Jardin névrotique ...................................................... 62 Caroline Benito
Romain Lacoste 24
Séminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
3
heures dans mon jardin
Alice Leberre L’heure Helena Le Gal
Adrien Moréni
bleue ............................................................................... 108
Statue cherche jardin
Paul Leurent JARDINs
........................................... 84
...................................................... 136
EXISTENtIELS, TERRITOIRES SECRETS
Le silence de l’eau
.................... 172
..................................................... 214
Le mot des étudiants .................................................................................................. 269 Médiagraphie .................................................................................................................. 271
Les mythologies créatives Jardin(s) secret(s), le livre, est issu d’un séminaire de recherche de quatrième année animé par Dominique Henry, paysagiste dplg et docteur en géographie et moi-même. Ce séminaire a pour objectif à la fois une synthèse du parcours des étudiants de la formation paysage de l’ensapBx et l’affirmation d’une personnalisation de ce parcours, par la distance critique et l’écriture d’un regard singulier. Cet enseignement correspond au moment où les étudiants amorcent leur travail de diplôme de fin d’études et préparent ainsi la fin de leur cursus : il est donc le lieu d’un travail personnel guidé par la tension entre deux démarches : la créativité et la distance critique.
Séminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
4
Mais un jardin secret n’est ni un jardin, ni tout à fait un secret. La locution permet de mettre en débat la notion de jardin contemporain, relativement absente des enseignements des écoles du paysage, discrète également sur la scène de la conception et de l’aménagement. Le jardin constitue une échappée des discours contemporains prononcés par les concepteurs tout en restant la cible extrêmement populaire des festivals d’été et des magazines divertissants étagés dans nos kiosques urbains. Comment ne pas y voir un certain paradoxe ? Les paysagistes faisant œuvre dans le monde du jardin ont quelque chose de spécifique -Gilles Clément se réclame avant tout d’être jardinier et rechigne à employer le terme de paysagiste, son engagement se porte sur une éco-philosophie contemporaine tandis que Pascal Cribier, architecte de formation, fabrique des jardins extraordinaires la plupart du temps sur des terrains privés, autant dire inaccessibles à tous… Quant à la réflexion théorique sur le jardin, elle est avant tout provoquée par les historiens… C’est comme si les paysagistes avaient déserté le jardin, emportés par les flots aménageurs ou gestionnaires des paysages. Ma première motivation se trouvait donc là. Interroger le monde et les filiations en partie desquels nous venons, nous autres les paysagistes, alors que les discours professionnels et pédagogiques semblent avoir mis en œuvre une distance circonspecte à leur égard. Or le jardin est un «espace autre» , il provoque la 1
1 Foucault Michel, Dits et écrits – 1954-1988, Paris, Gallimard,
juxtaposition de plusieurs espaces en son lieu. Dès lors, une deuxième motivation pointait. Celle de mettre au service d’une interrogation essentielle (le jardin contemporain comme domaine intellectuel délaissé) des univers personnels, souterrains et sans doute profonds, c’est-à-dire la dimension secrète de l’hétérotopie. Pour cela, il fallait également cesser de destiner la création paysagiste à d’autres, ceux qui sont présents sous la forme d’hypothèses dans un contexte pédagogique, le «on», les «usagers», l’«habitant » comme des touts informels auxquels on prête des pratiques et des attentes sans véritablement les vérifier. Tenter également le tout pour le tout en demandant à de futurs paysagistes d’interroger leurs propres individualités, désireuses d’un jardin et porteuses d’outils capables de les exprimer tout en leur trouvant un espace de définition contemporaine. La part secrète du jardin permet donc de mettre sur un même plan des mythologies personnelles, des univers poétiques, idéologiques, scientifiques et créatifs. Que ces jardins existent ou non, qu’ils soient découverts par hasard, conçus pour l’occasion du séminaire, aménagés ou improvisés, bâtis de manière empirique ou fantasmés, réels ou virtuels, les étudiants du séminaire en rapportent des caractéristiques diverses ainsi que des données représentées. Si l’investissement intellectuel a été tourné vers quelques uns des fondamentaux théoriques du jardin, la question de la représentation n’a pas été négligée pour autant. Bien au contraire. La découverte d’un jardin secret ne pouvait se faire qu’en vertu de sa représentation. Le paysage reste tendu entre ces deux pôles (définition et représentation), le jardin également. Définir un jardin en lui associant une production plastique : telle est la demande qui leur a été faite. Il fut donc surprenant de constater que la création plastique ou la représentation sont venues soit en règle du jeu de la construction d’un jardin2, soit en illustration3, soit en termes de pratique de célébration4 de celui-ci, ou bien encore comme l’expression d’un jardin enfoui qui ne demandait qu’à prendre forme5. Toujours est-il que les jardins secrets présentés ci-après sont systématiquement engagés dans un mode d’expression et c’est bien de cette dialectique que nait chacune des idées de jardin secret. On se rend compte que, par extension, les travaux investissent la représentation (écrite ou graphique) comme support lui-même du jardin6, ou intermédiaire entre par exemple un corps et un
Bibliothèque des Sciences humaines, 1994. 2 Voir Le Gal Helena, « Statue cherche jardin », pp.136-171. 3 Voir Leurent Paul, « Jardins existentiels, territoires secrets », pp.172-213. 4 Voir Moréni Adrien, « Le silence de l’eau », pp. 214-265. 5 Voir Le Berre Alice, « L’heure bleue », pp.108-135. 6 Voir Bénito Caroline, « Abécédaire », pp.6-61.
7 Voir Bretaud Marie, « Jardin névrotique », pp.62-83 8 Le Palais idéal, réalisation du facteur Cheval. 9 Jarman Derek, Un dernier jardin, Londres, Thames & Hudson, 2013. 10 Voir R comme Résistance dans L’abécédaire de Deleuze Gilles, film réalisé par Pierre-André Boutand, entretien avec Claire Parnet, Editions Montparnasse, 2004. 11 Voir Lacoste Romain, « 24 heures dans mon jardin », pp.84-107
manière du jardino segreto, où les objets sont à l’état d’assemblage improvisé pour le maître des lieux, ce séminaire tente de donner un ordonnancement à des collections personnelles constituées d’engagements de jeunes paysagistes, de manières de faire empruntées ici ou là dans les disciplines créatives, d’interrogations, de choix de représentations pour «préparer le terrain» de nos futurs jardins.
Hélène Soulier, paysagiste dplg, docteur en architecture.
5 Séminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
espace psychologique, le corps7 devient lui-même jardin secret, comme le lieu de la catharsis nécessaire à la création jardinière. L’utopie du corps foucaldienne -le corps comme porteur irréparablement des mêmes présences et des mêmes blessures- se métamorphose ici, et par la représentation, en cet «espace autre». Il se pare également de gestes quotidiens, d’incessantes pratiques, comme les jardiniers que nous sommes dès qu’il faut biner, bêcher, creuser, arroser et rappelle quelques jardins issus de l’obsession de leurs créateurs : le Palais idéal8 ou le Dernier jardin9 de Derek Jarman. Comment ne pas considérer que ces jardins obsessionnels sont à la fois des œuvres exceptionnelles mais que leur force est un cri poussé, une résistance10 magnifique à la hauteur de la part sombre de leurs auteurs, malades ou névrosés ? Ce qui est plus surprenant encore, c’est que le lieu en tant qu’espace existant délimité perd de sa dimension indispensable à l’élaboration d’un jardin: les productions des étudiants donnent accès à un espace virtuel au moment de sa conception, ou déjà existant et c’est alors un regard posé dessus par l’intermédiaire de la fenêtre qui le hisse au statut de jardin11. La représentation joue le rôle du média d’un jardin qui se trouverait quelque part et ne nécessite pas la réalisation de celui-ci pour exister, car c’est bien sa conception qui est visée, ou les procédés personnels qui interfèrent dans la conception d’une œuvre. Et lorsque le jardin est en cours de conception, il existe déjà. Jardin(s) secret(s) n’est donc pas une entreprise collective pour une nouvelle définition du jardin mais tente de renouveler les éléments fondamentaux de celui-ci, entendu dans sa dynamique créative. Si les procédés créatifs actuels et le métissage disciplinaire concerné par le terme de « projet » décuplent les manières de faire naître une idée spatialisée, les paysagistes ont bel et bien saisi l’ampleur des médias, des outils, des concepts dérivés de cet horizon désormais gigantesque. Chacune des productions ouvre en ce sens une manière d’entamer une création et met à nu le lieu personnel, souvent non diffusé, de là où les choses commencent et s’appuie sur un pan théorique de l’art des jardins de manière partielle mais avec franchise. Ce commencement est parfois fait de bric et de broc, mettant en lien des éléments épars et constitutifs d’une géographie personnelle. Aller chercher le début d’une solidification de ces quelques éléments, fluides jusqu’alors, fut la volonté de ce séminaire. A la
Laraire
Friche
Wisteria
Cailloux
Al Ambhra
Nain de jardin
Tondre Jardinier
Gardien
Saule pleu Bestiaire ZigZag
Quelque-part
Vagabond Épicure Dionysos
Mur
Utopie
Jardinier
Kaolin
Abécédaire Caroline Benito
Saule pleureur Prévert
Xanthophylle
Orange
De la distraction à la nécessité
Abécédaire // Caroline Benito
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Il fut un temps où je n’avais pas de jardin, du moins ce qui me semblait être un jardin, et que je définissais alors comme un espace extérieur à ciel ouvert qui m’appartienne et que je puisse jardiner. Mais la nécessité de mettre les mains dans la terre me conduisait à jardiner des espaces appartenant à d’autres; famille, amis, voisins, connaissant mon intérêt pour le végétal, m’ouvraient les portes de leurs jardins. Travailler au jardin des autres est une chose, pour peu qu’on nous écoute, on peut y prendre des décisions, mais les choix pris seront toujours tournés vers les attentes, les envies et les besoins de celui qui possède le jardin, répondant ainsi à une sorte de cahier des charges. Travailler à son jardin est différent, il faut construire son propre cahier des charges, faire des choix sur le statut et les formes d’un espace à construire. Je m’interrogeais souvent sur mon jardin, à quoi ressemblerait-il si j’en possédais un ? Je le construisais et le reconstruisais sans cesse en esprit, il était chaque jour différent, sa taille variait, l’ambiance, la lumière changeaient, tantôt jardin d’ombre, tantôt de lumière, il accueillait des végétaux tant exotiques que locaux. Chaque construction excluait les autres du fait que les objets qui s’y rencontraient, pour des raisons esthétiques ou chronologiques, ne pouvaient s’y trouver ensemble, il en va de même pour les végétaux ayant des exigences incompatibles; et je ne pouvais me résoudre à choisir parmi ces constructions. L’indécision ne pouvait durer, l’heure arriverait où j’aurais moi aussi mon jardin et il m’était impensable qu’au moment si attendu je ne puisse agir. Et bien que la sagesse populaire nous enseigne que «les cordonniers sont les plus mal chaussés», il me semblait que j’avais tout à apprendre des paysagistes. La formation de paysagiste pouvait donc amener des réponses et je m’engageais sur cette voie espérant apprendre la rassurante méthode qui guiderait le dessin du jardin et qui organiserait le capharnaüm que j’avais en esprit. Je pensais apprendre des règles de composition, une maîtrise des effets d’optique, le vocabulaire et la symbolique propre à chaque style de jardin. Je pensais avoir beaucoup à recevoir et peu à construire dans la définition du jardin. Décision un peu folle que de s’engager dans une formation en pensant y résoudre une question personnelle, et en apparence superflue, mais c’est que l’intuition du statut particulier du jardin était déjà plantée. J’effleurais l’idée que le jardin était une transfiguration
de la réalité, une nécessité, un besoin inscrivant l’individu dans une humanité, à la différence des besoins vitaux de subsistance qui inscrivent l’individu dans une espèce animale, celle de l’homo sapiens. De la sorte, apprendre l’art des jardins, c’était apprendre à être humain, et en construire un avec lequel on soit en accord c’est être capable d’exprimer ce que l’on est. Au terme de la formation de paysagiste je ne sais si je suis devenue plus humaine, mais mon jardin a pris forme, une forme que je n’attendais pas. Les lignes qui suivent, à la façon d’une introspection, tentent de rétablir le chemin de pensée qui m’a menée à une définition de ce qu’est mon jardin.
Le jardin refuge C’est en étudiant l’Histoire de la philosophie antique qu’est né un premier questionnement quant au statut du jardin, et quelques éclairages quant à ce que pourrait être mon jardin. La présence systématique du jardin dans les écoles de la Grèce antique retenait mon attention. Je me demandais comment un espace en apparence si anodin et récréatif, pouvait tenir une place si importante dans la construction d’un mouvement de pensée. Qu’il s’agisse de l’Académie de Platon, du Lycée d’Aristote, ou du Jardin d’Épicure, chaque école donnait un statut particulier à cet espace. Mais c’est celui d’Épicure dans lequel je me projetais, dans lequel je m’asseyais sous l’ombre d’un figuier. Le jardin d’Epicure aurait pu être mon jardin, et par son statut d’espace en marge il participait et participe encore à la définition que je donne au jardin. Qu’en est-il de ce jardin ? A la veille du IIIè siècle avant JC, la structure politique des cités démocratiques grecques a explosé. Il ne s’agit plus de petites cités où les citoyens sont liés par l’amitié, la démocratie orale qui atteignait son apogée sous Péricles n’a plus de sens dans l’Empire d’Alexandre, où le citoyen n’est plus citoyen de la cité mais citoyen du monde. Athènes ne déroge pas à la règle, et pour échapper au tumulte de la vie politique, Épicure trouve refuge dans un jardin dont il fait l’acquisition en 306 avant JC. Loin des fracas de l’Empire et des complots, le jardin devient pour Épicure le lieu où le bonheur par l’ataraxie devient possible. A la différence du Lycée d’Aristote et de l’Académie de Platon qui dépendaient de l’administration athénienne et où l’on enseignait que la finalité et l’épanouissement de l’homme était dans la cité, le Jardin d’Épicure est une propriété privée qui incarne le désengagement de la sphère publique1. Par rapport 1 Épicure, Sentences vaticanes, dans Lettres, maximes, sentences,
A la façon du jardin d’Épicure où l’entropie du monde est neutralisée, les jardins des sans-abris newyorkais photographiés par Diana Balmori et Margaret Morton5 en 1993 révèlent que le jardin est un de ces lieux, peut-être le seul, où l’homme tente furtivement d’arrêter, le temps d’un instant, un monde qui lui échappe. Le jardin réenchante la réalité, et quand bien même il serait potager, il ne tient pas du besoin vital et biologique de s’alimenter mais bien de la nécessité de transfigurer le réel. Les sans-logis des rues de New-York, dont la préoccupation principale est la survie, et par conséquent s’alimenter, ont pris le soin de construire des jardins, si humbles et si éphémères soient-ils. Certes on pourrait n’y voir que le besoin d’expression de soi et d’embellissement du monde, mais il y a probablement plus dans ces actes de jardins, certainement le besoin de construire un havre de paix dans le tumulte de la réalité ambiante. «Un havre de paix, même artificiel, répond à un besoin spécifiquement humain, par opposition à un abris qui répond à un besoin spécifiquement animal»6. Le jardin refuge des sans-abris, bien qu’il se donne à voir puisqu’il est dans l’espace public, possède un caractère secret. Il est en effet la forteresse où s’exile l’esprit, l’espace magique où l’entropie du monde est trad. Jean-François Balaudé, Paris, Le Livre de Poche, 1994, Sentence 58. 2 Hannah Arendt, De l’humanité dans de « sombres temps », dans Vies politiques, trad. Barbara Cassin et Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1974. 3 Film réalisé par Vittorio De Sica, «Le jardin des Finzi-Conti», 1970, d’après le roman éponyme de Giorgio Bassani, 1962. 4 Épicure, Lettre à Hérodote, dans Lettres, maximes, sentences, trad. Jean-François Balaudé, Paris, Le Livre de Poche, 1994. 5 Diana Balmori et Margaret Morton, Transitory Gardens, Uproted Lives, New Haven, Yale University Press, 1993. 6 Robert Harrison, Jardin, réflexion sur la condition humaine, trad. Florence Naugrette, Paris, Éditions le Pommier, 2007, p. 59.
neutralisée. Peut être est-ce là, dans son caractère secret et magique, que l’on trouve les traits les plus primitifs du jardin. Bien que le débat sur l’origine des premiers jardins reste sans réponse à ce jour, je partage la thèse de Pietro Laureano selon laquelle les jardiniers du paléolithique cultivaient des jardins «pour des raisons rituelles, magiques (…) mais pas nécessairement dans un but économique et productif»7. Les premiers jardins étaient des espaces en marge d’une réalité, espaces magiques dont le jardinier possédait les secrets, et où il cultivait des plantes hallucinogènes et psychédéliques utilisées dans des rituels magiques. Les premiers jardins offraient des substances modificatrices de la conscience, non pas dans le but une fois encore de fuir la réalité, mais plutôt dans le but de construire un monde symbolique et imaginaire qui dans l’opposition permet de construire le monde réel et lui donner un sens.
Le jardin secret de la Renaissance En affirmant que mon jardin est donc ce «point repos du monde qui tourne»8, le refuge secret et magique qui en marge du monde, derrière de hauts murs, préserve l’esprit de l’agitation du dehors, je l’inscris d’une certaine façon dans une tradition de jardin, celle du giardino segreto de la Renaissance italienne. Durant cette période, la pensée humaniste, marquée par l’ouverture au sens figuré comme au sens littéral, découvre la pensée antique et relève l’importance de l’espace du jardin où cette pensée a pu se déployer. Si l’ouverture propre à la pensée humaniste s’incarne dans l’aménagement de l’espace, ce n’est toutefois pas dans les «grands jardins» ouverts sur le monde, et que l’Histoire a retenus, que se fait l’étude des anciens ou que se construit la pensée humaniste, mais bien dans de petits jardins clos, des giardinetti. Ambigüité que Gaëtane Lamarche-Vadel souligne dans son ouvrage consacré à ces petits jardins refuges où se cultive l’esprit. En effet «le monde clos du Moyen-Age s’ouvre à la Renaissance sur les espaces stellaires, que les peintres dessinent à l’intérieur du tableau un espace fuyant à l’infini, que l’architecte de la cité idéale construit des alignements de maisons créant de longues perspectives, il est naturel que les jardins aussi s’affranchissent de leurs limites et repoussent la clôture au-delà de la portée du regard»9. Toutefois, il persiste dans ces grands jardins ouverts 7 Pietro Laureano, Jardin de pierre. Les Sassi de Matera et la civilisation méditerranéenne, trad. Sidonie Joannès, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, « Temps et espaces », 2005, p.30. 8 T.S Eliot, « Burnt Norton » Meurtre dans la cathédrale. Quatre quatuors, trad. Pierre Leyris, Paris, Guilde des Bibliophiles, Presses du Compagnonnage, 1963, p. 137. 9 Gaëtane Lamarche-Vadel, Jardins secrets de la Renaissance, des astres, des simples et des prodiges, Paris, l’Harmattan, 1997, p. 63.
9 Abécédaire // Caroline Benito
à la pensée grecque antique le bonheur épicurien se distingue en ceci qu’il est nécessairement dépolitisé, et il n’est accessible que dans l’espace privé du jardin et non sur l’agora. L’ordre entretenu entre les murs du jardin préserve de l’entropie du monde extérieur. Cependant il ne s’agit pas d’un espace où l’on fuit la réalité en solitaire comme le condamne Hannah Arendt2. Le jardin des épicuriens n’a rien de comparable avec « le jardin des Finzi-Contini »3 porté au cinéma par Vittorio De Sica, où une famille juive italienne rompt avec l’insupportable réalité du régime mussolinien en se réfugiant dans un jardin. Le jardin d’Épicure au contraire, cultivé avec les disciples, était l’espace propice où l’on pouvait se ressaisir en repensant une réalité dont on avait conscience, en réinventant des possibles. En outre, la culture du jardin permettait de penser, par analogie, la culture de l’homme et de ses vertus. Les cycles de culture et la corruption de la matière des fruits et légumes qu’on y rencontrait, permettaient de penser et illustrer les axiomes de la physique atomiste épicurienne4 où tout n’est que matière.
Abécédaire // Caroline Benito
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sur l’horizon un espace fermé, ceint de hauts murs, un jardin dans le jardin. Contigu aux espaces privés de l’habitation où l’on prend repos et où l’on étudie, et qui se tiennent à l’écart des espaces de réception, le giardinetto que l’on appellera désormais le giardino segreto (le jardin secret) garantit le calme, le repos, et l’intimité nécessaires à la pensée et la découverte des lois de la nature. «Ce jardin ressemble en tous points aux enclos médiévaux plantés d’herbes et de fleurs. (…) Ne se singularisant par aucune originalité, il se remarque au contraire par la récurrence et la rigidité de sa forme, la petitesse de ses dimensions, la présence de ses remparts qui semblent le protéger de l’histoire, du temps et de l’espace qui l’entoure. Il est d’une autre époque, un anachronisme»10. Le jardin secret est un lieu absolument autre, et dans la mesure où il incarne une utopie, on peut le qualifier, selon l’expression foucaldienne, d’hétérotopie. Certes, tous les jardins sont selon Michel Foucault des hétérotopies, «le jardin depuis le fond de l’antiquité est un lieu d’utopie»11, il s’agirait même de la plus ancienne hétérotopie. Cependant le giardino segreto apparaît comme une surdétermination de l’hétérotopie, en étant découpé et hermétique dans l’espace et le temps. Peut-être est-ce ce statut d’hétérotopie qui s’est perdu dans le sens métaphorique où l’on emploie aujourd’hui l’expression «jardin secret». En effet rares sont ceux qui affirment avoir un espace physique et réel qu’ils nomment jardin secret, puisque l’appellation jardin secret renvoie plus aujourd’hui à une intériorité impalpable, une vie de l’esprit où aucun des objets du jardin ne se rencontrent. Perte regrettable ? Je ne sais qu’en penser. Il est vrai qu’à l’heure où fleurissent çà et là des jardins partagés, ressusciter l’idée du jardin secret comme espace physique permettrait d’amener de la différence, et répondre ainsi aux enjeux de diversité si chers à l’époque. Toutefois, si avant d’entamer la formation de paysagiste j’aurais cherché la forme de ce jardin secret dans une tradition, dans la forme même qu’il possédait à la Renaissance, il n’en est rien aujourd’hui. En effet, si l’idée du jardin secret de la Renaissance, ou celui d’Épicure est indissociable de sa forme, il me semble que la formalisation actuelle de mon jardin n’est pas à puiser dans une forme passée.
10 Ibid., p. 66-67. 11 Michel Foucault, Le corps utopique suivi de Les hétérotopies, Paris, Nouvelles éditions lignes, 2009 .
Le jardin affranchi de son sémantisme Je suis venue au paysage pour chercher la forme de mon jardin. Comme je l’évoquais précédemment, j’attendais de la formation une sorte de «savoir mettre en forme» qui me permettrait de choisir dans la multitude d’objets hétéroclites que j’avais à l’esprit. Je me rassurais en imaginant cette hypothétique méthode du paysagiste qui épargne de l’effroyable abîme du doute. Je refusais la possibilité de me dicter mes propres règles, j’étouffais une liberté de gestes dans le dessin du jardin, et ce faisant, j’oubliais que le jardin est un art et que par conséquent il pouvait se transcender. L’expression même «art des jardins» autorise le parallèle entre histoire et philosophie de l’art, et histoire et philosophie des jardins. En se penchant sur l’histoire de l’art, Hegel dans son Esthétique distingue trois moments de l’art, l’art symbolique, l’art classique et l’art romantique. Dans les deux premiers temps l’art est transcendé par un sur monde qui lui est distinct. Ainsi l’art symbolique est au service de la connaissance du divin, l’art classique au service du vrai et de la rationalité, et c’est dans le troisième moment, celui du romantisme, que l’art s’affranchit d’un sur monde, il se transcende lui même. Ce troisième moment correspond à ce que l’on pourrait appeler l’art pour l’art, et «c’est lorsqu’il est ainsi libre et indépendant qu’il est véritablement l’art, et c’est seulement alors qu’il résout le problème de sa haute destination»12. Le jardin étant lui-même un art on pourrait envisager l’histoire du jardin secret selon trois grands moments. Ainsi le jardin du paléolithique évoqué auparavant pourrait être envisagé comme un jardin secret au service d’un monde magique, donc transcendé par l’idée du divin. Le giardino segreto de la Renaissance italienne, espace propice à la découverte des lois de la nature serait lui transcendé par l’idée du vrai. Il resterait donc le jardin secret contemporain qui doit se transcender lui même. De la même façon que l’œuvre d’art est aujourd’hui indéfinissable je ne peux dire quel serait ce jardin secret qui se transcende lui même. Cependant je peux confirmer qu’aujourd’hui le terme jardin, secret ou non, n’est plus enfermé dans un carcan culturel, et ne prend ses règles de construction que de lui même. Libéré de son sémantisme, le jardin peut prendre toutes formes.
12 Hegel, Esthétique (1835 post.), tome premier, trad. Charles Bénard, Paris, Librairie Germer-Baillère, 1875, p.18. .
Si la façon dont je construis et mobilise ma pensée aujourd’hui n’est pas celle de la pensée antique, ni celle de la pensée classique, c’est du côté de l’œuvre de Gilles Deleuze13 qu’elle trouve son qualificatif. C’est la pensée en rhizome. Déployé sur un mode horizontal le rhizome n’a pas de centre, pas de périphérie, il est à la fois tige et racine, on ne sait ce qui sortira de ses nœuds, ni où exactement. Par analogie au végétal, la pensée rhizomatique ne pose pas de hiérarchie dans les idées, chaque idée a son importance, les idées sont commutatives. Aucune chronologie, aucune entrée spécifique n’est à privilégier pour l’explorer, aucun axiome n’est au fondement de sa construction. La pensée rhizomatique met en dialogue des idées en apparence incompatibles, et à la différence de la pensée classique à laquelle elle s’oppose, elle a un mouvement multi directionnel. La pensée classique, qui trouve son expression la plus aboutie dans la philosophie cartésienne14, a elle, un mouvement vertical et ascensionnel, des racines aux branches, chaque partie est distincte et seule la méthode et les règles pour la direction de l’esprit permettent de construire cet édifice de la connaissance. C’est cette même méthode et ces mêmes règles que j’étais venue chercher en entrant dans la formation paysage, oubliant de la sorte que l’esprit se construit selon un cheminement personnel et unique et non selon une méthode universelle. Conservant le statut de mon jardin secret comme espace refuge où l’esprit se construit, l’espace du jardin doit être construit à l’image de cette pensée rhizomatique. Le jardin devient lui même rhizome. S’étant libéré de son sémantisme, n’étant plus désormais un espace découpé dans la terre, et étant l’expression d’une pensée rhizomatique, mon jardin peut être un espace matérialisé qui accueille toutes les contradictions des éléments que j’envisageais par le passé, éléments parmi lesquels je ne suis plus obligée de choisir. Le rhizome réconcilie l’anachronisme et l’hétérogénéité des composants de mon jardin. Mais comment exprimer le rhizome matériellement? C’est une fois encore du côté de la pensée deleuzienne que je trouve une réponse, si certains de ses écrits mettent en œuvre cette pensée rhizomatique, c’est dans l’exercice de son abécédaire15 qu’il donne à mon sens le plus de matérialité à cette pensée. L’exercice de l’abécédaire c’est l’expérience de la 13 Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 2008. 14 Descartes, Discours de la méthode, Paris, Flammarion, 2000. 15 Réalisé par Pierre-André Boutang en 1988, L’abécédaire de Gilles Deleuze, avec Claire Parnet, Éditions Montparnasse, 2004.
pensée rhizomatique à l’œuvre. L’abécédaire permet d’aborder, de donner corps à des éléments en apparence décousus, sans relation les uns avec les autres, mais qui pris ensemble font sens dans la multiplicité. Comme dans le rhizome, l’alphabet ne présente pas de hiérarchie, chaque lettre a son importance, aucune n’est privilégiée, le T de Tennis n’a pas moins d’importance dans la pensée deleuzienne que le K de Kant16. Par ailleurs, si tous les alphabets ont un ordre, ils n’ont en soi ni commencement ni fin, et bien qu’ils soient finis (26 lettres pour ce qui nous concerne) ils ouvrent à une infinité linguistique, comme l’infinité des possibilités du rhizome. En entrant par une lettre différente à chaque fois on recrée une infinité de rhizome. Mon jardin a donc pris la forme d’un abécédaire où chaque lettre invoque et donne corps à un mot qui correspond à un élément présent dans mon jardin. Ces éléments sont des objets ou végétaux, existants ou disparus, des matériaux, des idées ou des impressions issus de l’expérience, de la mémoire, ou encore de lectures. Dans les pages qui suivent, chacun des éléments de mon jardin-rhizome est nommé et se raconte ou s’illustre par une production plastique ou graphique. De natures diverses et parfois impalpables, incompatibles dans l’espace géographique et dans le temps, les éléments abordés ne peuvent coexister que dans l’espace de ce recueil. Dès lors, l’expression formelle du jardin-rhizome c’est l’abécédaire ; 11 abécédaire qui ne fait pas qu’exprimer ou illustrer mais devient lui-même jardin. Dernière précision quant au devenir de ce jardin : si le rhizome n’est jamais fini, il en va de même pour ce jardin. Bien que toutes les lettres sont ici traitées, cette conception du jardin garde le chantier ouvert aux événements à venir et aux résurgences du passé que les caprices de la mémoire n’ont pas encore révélés. Le jardin-rhizome reste en perpétuelle construction.
16 Ibid., séquence «K comme Kant» et séquence «T comme Tennis».
Abécédaire // Caroline Benito
Le jardin en rhizome
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
12
Abécédaire // Caroline Benito
13
l Ambhra Premier jardin vécu. Lieu de la promenade quotidienne de l’enfance, j’ai gardé de l’Al Ambhra des souvenirs réels, ou encore construits et fantasmés. De ces impressions ce sont les dentelles d’ombre et de lumière des moucharabiehs maures que je conserve aujourd’hui dans mon jardin secret.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
14
Abécédaire // Caroline Benito
15
estiaire L’espace de mon jardin accueille toutes sortes d’animaux. Qu’ils soient domestiques, auxiliaires, prédateurs, nuisibles, ou chimériques, … ils constituent un bestiaire imaginaire et familier sans lequel le jardin ne serait pas ce qu’il est.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
16
Abécédaire // Caroline Benito
17
ailloux
Bien que l’œuvre du Facteur Cheval ne m’ait jamais influencée de quelque façon que ce soit, j’ai pour habitude depuis de longues années de ramasser et ramener des cailloux, des pierres, des galets, ou roches des espaces traversés. Cette cueillette minérale prend place au jardin et y participe en portant avec elle le souvenir de mille lieux.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
18
Abécédaire // Caroline Benito
19
D
ionysos
Dionysos est dans chaque jardin. Après avoir été démembré, il est la promesse de l’éternel retour à la vie, de ce mouvement cyclique des éléments passant du tragique à l’ivresse joyeuse et dithyrambique.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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picure Comme précédemment évoqué, le jardin d’Épicure, jardin refuge et protecteur fut l’objet des premiers questionnements sur le statut du jardin.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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riche Il serait temps de dépasser ce qu’il est convenu de définir comme jardin, de le libérer de son sémantisme propre et lisse que la publicité et les médias proposent, et enfin accepter que la friche puisse être un jardin et le jardin puisse être une friche.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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Gardien Entre la sculpture et le spectre, le gardien est la présence rassurante, l’esprit protecteur qui veille sur le jardin.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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étérotopie Utopie incarnée et localisée, le jardin secret et rhizomatique est une hétérotopie en ce sens qu’il est un espace absolument autre qui compense et neutralise les espaces fonctionnels.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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I Si je partage la théorie selon laquelle l’art nous a appris à voir le paysage pour ensuite nous conduire à artialiser ce paysage, j’élargis ce concept de double artialisation sur la question du jardin. Et c’est du côté de la peinture impressionniste que je rencontre les nénuphars froissés et les flaques d’eau de mon jardin.
Abécédaire // Caroline Benito
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AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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jardiner Essayer, expérimenter, se tromper et recommencer, … mais toujours les mains dans la terre. Planter, déterrer, replanter, couper, bêcher, tailler, bouturer, … faire les gestes, …. ce sont les plaisirs du jardin.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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aolin Il y a du kaolin qui sort de la terre de mon jardin. Cette argile blanche et douce, dont on fait les porcelaines, devient peinture corporelle pour les rituels du jardin magique, de la même façon qu’elle est utilisée en Côte d’Ivoire lors de certaines célébrations de lieux de culte.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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L
araire
Mon jardin accueille un laraire revisité, ces petits autels qui dans l’Antiquité romaine étaient destinés aux Lares, les dieux du foyer.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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Mur De la tradition des jardins, c’est l’idée de l’hortus closus, de la fermeture, de l’espace clos de hauts murs que je retiens dans mon jardin secret.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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ain de jardin Eternelle amoureuse de kitsch, mon jardin secret ne pouvait qu’accueillir un nain de jardin. Véritable cadavre dans le placard, c’est dans l’espace du jardin secret que ce nain peut s’assumer et se libérer.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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range En ouvrant une orange le cadeau que j’y trouve ce n’est pas le pépin, mais les souvenirs de l’enfance. Un chant d’orangers à perte de vue, les inflexions de la voix du grand-père qui appelle son chat, l’ombre maigre des arbres sur la terre rouge et poussiéreuse. Il y a un peu de ce huerto dans mon jardin qui sent le néroli.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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Situé dans la Manche, le jardin de Prévert est un jardin où se célèbre l’amitié. De la même façon que les amis du poète ont chacun planté un arbre de leur choix, mon jardin est un espace que je partage et construis avec mes amis, chacun y laissant son empreinte et son nom.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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Q
uelque-part
Mon jardin secret ne se situe pas sur une carte connue, dans un espace géographique localisable, mais il est bien quelque part, sur une carte imaginaire entre terre, mer et étoiles.
Laraire
Friche
Wisteria
Cailloux
Abécédaire // Caroline Benito
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Vagabond Épicure Dionysos Nain de jardin
Mur Tondre
Utopie
Jardinier
Gardien Kaolin
Saule pleureur
Hétérotopie
Prévert
Bestiaire Xanthophylle
ZigZag
Quelque-part
Orange
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Rhizome
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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S
aule pleureur
Chagrin d’enfance. Le grand saule du jardin était l’espace de tous les possibles, sculpture en hivers, tipis d’indien en été, totem au printemps et instrument de musique en automne. Le jour où il a été coupé, c’est un imaginaire qui disparaissait, le saule n’était pas le seul à pleurer.
Abécédaire // Caroline Benito
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AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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ondre On ne tond pas un œuf ! Si le jardin qui se dessine dans un carré de terre peut être cédé, si on peut nous en priver, le jardin-rhizome lui est inaliénable.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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topie Ayant le statut d’hétérotopie, le jardin nait nécessairement de l’utopie, mais qui se dépasse en s’incarnant dans un espace physique, celui de la terre, du tapis, de la feuille de papier…, dans l’espace qu’on veut bien lui donner.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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agabond Le jardin vagabond, c’est le jardin que l’on porte toujours avec soi. Jardin de poche comme ceux des sans-abris évoqués précédemment, il est le point repos du monde qui tourne, où le temps s’arrête, où les cailloux, graines et souvenirs ont remplacé les aiguilles de la montre.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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W
isteria
Pas de jardin sans Wisteria! Plante du jardin de l’enfance, plante partagée dans une amitié, et même plante nomade dans son pot qui m’accompagne dans tous mes déménagements. Feuillage léger, floraison fragile et brève, parfum subtil, autant d’apparentes délicatesses qui cachent une grande vigueur ; paradoxe séduisant entre ce qu’elle est et ce qu’elle paraît.
Abécédaire // Caroline Benito
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AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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anthoph
lle H
HO
Molécule présente dans les cellules chlorophylliennes de certains végétaux, c’est elle qui assure les changements de couleur automnale. Molécule précieuse, qui bien qu’invisible pour l’œil se rencontre à profusion dans mon jardin, garantissant le changement et les nuances de l’arrière saison que j’aime y trouver.
AbĂŠcĂŠdaire // Caroline Benito
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Abécédaire // Caroline Benito
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Zig Zag Attirée deci delà en plusieurs directions, incapable de me déplacer de façon rectiligne dans un parcours tracé, c’est le mouvement du zigzag que j’ai adopté pour parcourir ou jardiner le jardin rhizome ou le jardin de terre.
Marie Bretaud
Jardin nĂŠvrotique
Jardin nĂŠvrotique // Marie Bretaud
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Jardin nĂŠvrotique // Marie Bretaud
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Protocole
Jardin névrotique // Marie Bretaud
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Il s’agit de tenter l’esquisse d’un jardin névrotique via trois écritures différentes : Un écrit théorique/opératoire permet d’entamer une définition de la notion de jardin névrotique en la resituant dans différents domaines: histoire des jardins, histoire de l’art, psychologie, rapport au corps… Il s’agit de parler d’ancrages, de références. Un écrit empirique tente une description métaphorique de l’acte intime, de la pulsion névrotique sur un espace vivant. Il s’agit de parler d’émotions, de sensations. Un écrit sublimatoire permet d’illustrer le jardin névrotique. Il ouvre cette notion à celle du corps nu, du corps vivant et secret, qui devient alors le support d’action et de discours intimes. Il s‘agit de parler d’action, d’empreintes, de temporalité. La construction de ces trois expressions en parallèle propose une représentation protéiforme de l’univers subjectif du jardin névrotique que la mise en jeu du corps va tenter d’appréhender.
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Pages 65 à 69 : Chronophotographies de l’écrit sublimatoire
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Usager lambda versus Moi Deux ans de design d’espace, quatre années passées à étudier le paysage, une à travailler en agence: trop peu de confrontations à la question du jardin. La majeure partie de nos préoccupations se porte sur l’espace public. Vaste territoire partagé, politisé, marchandisé, lieu des compromis. Nous imaginons un usager type (individu valide, de bonne condition, utilisant les transports publics, cultivé, élevé à l’occidentale, avec un enfant maximum qu’il peut transporter à l’arrière de son vélo) et ses pratiques théoriques. Vastes spéculations que nous apprenons à ancrer sur un territoire. La complexité du projet public réside dans sa nature de consensus.
Jardin névrotique // Marie Bretaud
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Tout comme l’hortus conclusus22 médiéval, des murs l’isolent de son environnement. C’est un lieu d’agrément intime et privé aménagé aux goûts du propriétaire. Jardin de plaisance et jardin du savoir, il prend forme à l’époque de l’humanisme et des grandes découvertes, comme une métaphore de cette « fermentation intellectuelle et scientifique»3. Cet alter ego du studiolo4 permet de prolonger l’exposition des collections du propriétaire. Les végétaux exotiques, les plantes rares y sont cultivés et étudiés. Lieu de science, d’observation, outil d’identification, ce laboratoire clos se distingue du festif giardino grande. Il s’agirait alors du lieu de l’introspection par excellence. Un endroit par et pour Moi. Il y aurait donc deux types de jardins, celui de la monstration, pour l’Autre, et le secret, pour Moi.
Le jardin secret comme lieu d’expressions névrotiques
Le jardin n’entre pas (ou que très peu) dans cette logique. C’est le rapport d’intimité entre un individu et un lieu. «Chaque jardin sera une sorte d’autobiographie de son maître : seul il pourra s’y retrouver entièrement, il y inscrira ses habitudes, ses tendances, ses admirations même. Son domaine ne révèlera pas la raison, l’intelligence, la discipline d’une collectivité, comme les jardins d’autrefois ; il trahira l’intimité, l’âme de chacun : ce sera comme une confidence au grand jour, un aveu que tout le monde pourra lire. Au reste, on ne parle plus d’esprit mais de cœur.»1 La personne remplace donc l’usager lambda, le X. On abandonne alors l’objectivité des besoins pour entrer dans un rapport sensible et bien particulier au lieu, à un espace subjectif. Il est alors plaisant de pouvoir mettre un nom sur l’habitant de ce site: Marie B., 24 ans, née à Saint-Sébastien-sur-Loire, moi-même, sera le sujet d’étude pour ce travail de jardin. J’ai une psychologie et une sensibilité propres que je peux prendre en compte, j’ai aussi des travers, des envies et des besoins parfois farfelus et inutiles. Contrairement à la foule de X qui traverserait un espace public, j’ai le temps de m’observer, de m’analyser. Mon jardin n’est pas un espace de compromis entre X, c’est un espace qui peut se permettre d’être radical.
Le jardin secret c’est celui de derrière. Il s’oppose au jardin de devant : celui que l’on contrôle et que l’on donne à voir, le lieu des démonstrations et des représentations destinées à autrui. Le jardin secret c’est le périmètre gardé, l’espace clos suffisamment protégé pour que l’on y cache ce qui ne doit pas être vu par l’Autre. Le temps, à la fois dans la fréquence et dans la durée, est nécessaire. Tout comme le jardin des tarots habité par Niki de Saint Phalle, c’est un espace que l’on voit évoluer, où l’on vit, un lieu que l’on habite autant qu’il nous hante. C’est le lieu de la libération des pulsions, celui où, à l’image du «palais idéal»5, l’obsession peut flirter avec l’acharnement. Tout comme le Jardin à C. en Bourgogne6 , c’est un espace où l’expérimentation et l’action ellesmêmes comptent plus que la forme qu’elles peuvent engendrer. C’est un terrain où l’obsession peut s’exprimer, sublimée par l’acte. Ainsi l’impalpable conflit entre la pulsion (le Ça ) et son propre jugement (le Surmoi) trouve un exutoire incontrôlé mais concret, physique et conscient. Il s’agit d’un jardin de la quête perpétuelle, où l’on élève ses secrets, où l’on se cherche, où l’on cultive son Moi.
Qu’en est-il de la part secrète du jardin ? La notion de jardin secret trouve une forme concrète dans l’histoire. Le giardino segreto italien du XVe et XVIe siècle est un espace dissocié du tracé général du jardin. Il constitue une sorte de pièce supplémentaire de la villa réservée au propriétaire et à ses proches.
2 Jardin fermé, thème iconographique religieux européen employé pour l’associer, durant le Moyen-âge et la Renaissance, à la figure religieuse de la Vierge Marie. 3 Odile Lacaille d’Esse, «Les jardins pluriels», Jardins de France, mai 2008, p.32. 4 Cabinet de travail des princes et savants. 5 Le palais idéal, Hauterives, Drôme. A partir de 1879 le facteur Cheval, passera trente-trois ans à façonner, nuit après nuit, un « monument d’obstination ». Après avoir terminé Son Palais de rêve à l’âge de soixante dix-sept ans, il réalisa son tombeau au cimetière de la Paroisse durant huit années, il l’acheva à l’âge de quatre-vingt-six ans. 6 Jean-Marc Aubert, Aménagements successifs d‘un jardin, à C., en Bourgogne, Talence, édition de L’arbre vengeur, 2005.
1 Ernest de Ganay, Les jardins à l’anglaise en France au XVIIIe Siècle, 1943.
Mon corps, ce jardin Le jardin, au sens commun du terme, n’est pas le seul espace vivant, mouvant qui accueille une projection de l’esprit individuel ou sociétal. Le corps de l’Homme est depuis longtemps, en effet, un témoin de son esprit. A travers les âges, l’intervention à l’aide de peintures, de tatouages, de scarifications ou de piercings est aussi un moyen de communication. Ces transformations peuvent refléter une histoire (évoquer une épreuve de courage, la naissance d’enfants,…), un statut social (guerrier, chaman,…) ou une attitude (temps de guerre, femme cherchant un conjoint,…). La peau devient alors support de culture. A travers ces actions, l’individu adapte son apparence corporelle à son vécu, à sa société. D’une certaine manière l’esprit s’approprie sa propre enveloppe. Dans la société occidentale contemporaine on assiste aussi à ces transformations corporelles. Elles peuvent désigner une appartenance à un groupe social (punks, gothiques…), signifier un désir de séduction (maquillages, coiffures…), témoigner d’un événement présent ou passé (tatouages,…). 7 Emmanuel Louisgrand, «Allégorie du jardin à la française», Les Carnets du paysage, n° 9-10 – Jardiner, Arles, édition Actes Sud Nature, Versailles, Coédition Ecole nationale supérieure de paysage, Juillet 2003.
Depuis 1968, des valeurs telles que la recherche de l’épanouissement personnel, le féminisme, la libre sexualité, l’expression et la créativité, ont notamment émergé. En parallèle le corps devient un culte. «L’esprit incorporé jusque-là dans nos habitudes et nos codes trouve dans la matière même du corps le moyen de le personnaliser»8. Le corps «donné par la nature» apparaît alors comme une base à amender, à perfectionner, à façonner. Ce nouveau rapport est poussé à l’extrême avec des artistes tels qu’Orlan ou Lukas Zpira qui utilisent leur corps comme matière première. Aujourd’hui, à l’époque où le nomadisme occidental semble de mise, le système économique et culturel, de plus en plus étendu, initie l’individu au mouvement perpétuel. Les temporalités de l’Habiter s’accélèrent, l’homme occidental suit des flux de plus en plus rapides. Ainsi l’établissement et la culture d’un jardin, en tant que parcelle de terrain, semble de plus en plus compliqués, voire impossibles. Le jardin, s’il est nomade, peut alors s’incarner dans le corps; un espace d’exhibition d’une culture et du savoirfaire d’une société et d’un individu. Tout comme au jardin il s’agit de l’art de travailler une surface vivante qui va réagir au traitement infligé (cicatrisation maîtrisée d’une scarification, tolérance d’un piercing, contrôle de la persistance d’une peinture ou d’un maquillage). Le corps apparaît alors comme l’espace vivant, connu et mobile, pouvant contenir la force 71 culturelle et psychologique du jardin. Il devient le lieu de manifestation de notre culture et notre rapport au monde par excellence. Si le corps peut-être considéré comme le premier lieu de la transformation et de l’action dans un but d’intégration sociale comme dans la sublimation individuelle secrète, il représente en quelque sorte notre premier jardin. Mon jardin est secret. Il n’est dicible qu’à travers la métaphore. L’intérêt de cette figure de style pour un travail sur le jardin secret réside dans le sens caché que dissimule son sens apparent. La métaphore filée du corps comme jardin permet de rendre compte de l’univers de la névrose, d’une esthétique de ce jardin secret. Un texte décrivant des actes pulsionnels liés au jardin prend place sur la surface de la peau évoquant l’univers de l’art corporel. La sublimation de la névrose devient le lien qui crée une similitude entre la sphère corporelle de celle du jardin. Ces mondes se mêlent alors intimement : le corps (support, espace de projection) arbore l’acte
8 Bernard Andrieu, La Nouvelle Philosophie du corps, Ramonville Saint-Agne, édition érès, 2002, p.12.
Jardin névrotique // Marie Bretaud
Jardiner c’est développer «une capacité à transformer un Lieu en œuvre. Le terrain du jardin, une fois clos, devient l’espace de l’organisation à la fois réelle et symbolique de l’expérience de l’art»7. Finalement le jardin secret prend-t-il forcément la forme d’une parcelle de terrain? Il s’agirait d’un lieu habité, que l’on connaît, dans lequel on s’est construit, que l’on transforme. Il s’agirait d’un espace suffisamment intime pour que l’obsession et les actes pulsionnels puissent y prendre place. Cet espace où l’acte transcende la forme, cette exécution dans l’intime, ne donne lieu qu’à très peu de témoignages et les références se font rares. Comment le faire émerger sans dénaturer l’intimité de la quête ? Comment raconter cet acte autonome et perpétuel? Victor Hugo affirmait que le poète écrit toujours la même œuvre. Il semble en aller de même pour tous les domaines de la création, voire pour chaque individu investi dans un processus de conception au sens large du terme. Cet espace pourrait alors être l’espace du récit, celui d’un roman ou d’une nouvelle sans cesse réécrits. Il pourrait être celui de la toile, de la pierre ou du plâtre sans cesse repeints ou re-sculptés. II pourrait aussi être celui de la musique, celui du comportement social. Il pourrait être celui du corps.
névrotique (le récit) dont le jardin est le sujet, dans ce récit la mise en scène du jardin est une métaphore du corps. A travers le prisme du secret et de la névrose, il est intéressant de se pencher sur l’histoire des jardins et de leurs représentations pour enrichir cette mise en relation jardin/corps.
Jardin de devant, jardin de derrière
«Une pelouse fraîchement tondue, c’est comme un homme qui sort de chez le coiffeur, ça fait toute la différence.»9
Avec la démocratisation de la maison individuelle et de son jardin après la seconde guerre mondiale, il est intéressant d’observer la sociologie jardinière. En effet, le jardin ornemental privé se démocratise et la distinction sociale entre riches propriétaires de jardin d’agréments et populaires jardins alimentaires tend à disparaître. Ces espaces d’ornement, quand ils sont visibles depuis l’espace public, deviennent alors de réels lieux de projection sociale.
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Sylvie Nail, dans son article sur les jardiniers anglais10, propose une étude de ce processus. En effet le jardin anglais est reconnu par les locaux comme par les étrangers comme emblème du pays. A travers des festivals comme le Chealsea Flower Show, c’est la nation qui se donne à voir dans des jardins de composition. Suite à la démocratisation du jardin d’ornement, une tradition aristocratique anglaise persiste. Les propriétaires de belles maisons soignent leur jardin et l’ouvrent au public. Il représente une esthétique à part entière du XXe siècle, on suit consciencieusement les modèles de la presse, de la télévision et des foires aux plantes. Ces jardins se propagent à travers toute l’Angleterre en soulevant une réelle économie. Les visiteurs y passent pour vérifier si le leur est correct, puis vont ouvrir leur parcelle à la visite à leur tour, ce qui va inspirer de nouveaux visiteurs… L’Angleterre compte 4000 jardins privés ouverts au public. Aujourd’hui on peut voir des jardins de banlieue au même titre que des propriétés royales. Cette esthétique traditionnelle victorienne, inspirée du passé, glisse dans les échelles sociales et est assimilée par la classe populaire. Malgré une tendance à l’homogénéisation des styles, les jardins restent le reflet d’une classe sociale. Quand il est grand, il est source de prestige et constitue pour l’élite anglaise un investissement indispensable. Ce principe d’ouverture au public des petits jardins 9 Hervé Brunon + Collectif, Le jardin notre double, sagesse et déraison, Paris, édition autrement, 1999, p.60 10 Ibid, pp. 47-77.
privés sert la codification esthétique et participe à la cohésion sociale. Des concours de jardins fleuris ont lieu dans les quartiers. Ils sont limités aux jardins de devant, exploration de la « façade sociale », et représentent un réel espoir de reconnaissance de la part de la communauté. L’habileté du jardinier à le faire fleurir est plus primée que ses qualités artistiques. On récompense la persévérance. Le locataire ou propriétaire est incité à tirer une fierté de son jardin par le biais de l’appréciation des autres et non simplement par sa satisfaction personnelle. En effet un bon jardin sera celui du respect des règles esthétiques en vigueur, où l’investissement du jardinier est incontestable. Il faut être suffisamment semblable à son voisin pour que se crée une appartenance visuelle, et suffisamment différent pour que l’individualité apparaisse au jardin (quand elle ne l’est pas sur la façade standardisée du logement). Un désir de conformité sociale se lit dans ces jardins de devant. De manière générale, en Angleterre, le regard d’autrui pèse particulièrement sur le jardin de devant en raison de l’absence de clôture dans les lotissements. Ce jardin de devant doit témoigner d’un prestige, d’une dignité par l’espace soigné. On entretient son jardin comme sa réputation, on doit le garder propre, c’est une extension de la maison et de soi-même. On observe alors un certain malaise à la vision d’un jardin négligé. Il symbolisera le refus d’un comportement social jugé comme évident, témoignera d’un comportement asocial voire d’un dysfonctionnement personnel. Le hors norme affiché représente un danger potentiel pour l’ordre social établi. Comme dit Beth, une habitante de pavillonnaire anglais interrogée lors de l’enquête de Sophie Nail, «Une pelouse fraîchement tondue, c’est comme un homme qui sort de chez le coiffeur, ça fait toute la différence »11 . Le jardin de devant c’est la vitrine sociale, on doit s’y comporter irréprochablement, être exemplaire tant dans le comportement que dans l’esthétique du jardin. D’ailleurs la plupart des résidents n’y habitent pas. C’est derrière qu’ils passent le plus clair de leur temps, c’est le lieu de repos pour certains, celui de culture ou de loisirs pour d’autres. Le jardin de derrière constitue un espace intime et souvent restreint. Il est entouré de clôtures et est, en général, invisible de la rue ; tel un refuge contre un monde agressif. En opposition à l’allure trépidante des villes, il devient un havre de la lenteur, au rythme des saisons. Il est perçu comme le lieu où l’on peut s’abandonner loin des tumultes et des jugements du dehors. A l’instar du jardin de devant, avatar du désir d’intégration sociale, le jardin de derrière correspond à un désir d’isolement. On s’y retrouve avec soi11 Ibid, p.60.
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Paragraphe n°1 ou état des lieux d’un jardin de derrière
même en plein air mais à l’abri des interférences extérieures. D’ailleurs, on accepte bien souvent l’intervention d’un professionnel paysagiste pour le jardin de devant mais pas pour celui de derrière. Ce dernier reste l’affaire de l’habitant. Avec les mêmes plantes, les familles arrivent à créer des espaces sans cesse différents. C’est bien là que s’exprime le rapport personnel de l’habitant avec le monde végétal, son envie d’ambiance et son rapport à l’environnement. Le jardin serait ainsi vitrine de la maison (celui que l’on donne à voir dans un but d’intégration sociale, celui où l’on expose sa bienséance, son savoirfaire), et celui de l’arrière, l’espace intime, le lieu d’expression de soi, le refuge, le jardin thérapeutique où l’on espère guérir des tumultes modernes), en quelque sorte, le jardin secret. L’histoire des jardins ou la monographie du jardin de devant
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Qu’en est-il de la part secrète du jardin, celle du refuge intime et personnalisé à travers l’histoire ? Dès l’Antiquité un lien quasi structurel s’installe entre bonheur et jardin. Dans de nombreuses représentations il est un paysage idéalisé, lieu de la profusion et de la plaisance. Ce locus amoenus est une portion de nature «belle et ombragée»12. Ce décor, où l’on entend la brise et les chants d’oiseaux, devient l’image du paradis terrestre. Il semblerait donc que nous ayons principalement retenu les jardins du donner à voir, de la monstration du beau et du correct, ceux du devant. Le jardin taoïste, par exemple, est le lieu de la célébration du mouvement, de l’harmonie entre l’homme et cette nature alternant croissance et déclin. Il favorise un exercice spirituel où l’homme tente d’accorder sa force intérieure avec le cycle des saisons, avec la métamorphose continuelle du monde. En Europe, à la fin du XVIe siècle, la conception des jardins est le reflet d’une autre forme d’harmonie Homme / Nature : la domestication. Les progrès techniques et scientifiques en matière de géométrie, d’optique, d’hydraulique et de topographie permettent des compositions plus complexes. Ces «jardins à la française» sont une représentation de l’élaboration d’un savoir-faire, d’une connaissance de la nature et donc de sa transformation. Au XVIIIe siècle, en Angleterre, les parcs pittoresques engagent un retour à la nature «sauvage», à ses matériaux, aux scènes champêtres. Il ne s’agit plus 12 E. R. Curtius, « Le Paysage idéal », dans La Littérature européenne et le Moyen-âge latin, (traduit de l’allemand par Jean Bréjoux), Paris, Edition PUF, « Agora », 1956, p. 317.
d’une esthétique de la domestication de la nature par la maîtrise des plantes mais par celle des grands paysages ; la forêt, la montagne, ne sont plus symboles de danger. Par la poétique du sublime dompté on affirme alors la belle communion de l’homme avec son environnement. Le XIXe siècle est celui de la science de l’horticulture et des progrès de la biologie végétale mis à l’honneur (introduction et acclimatation de plantes venues de l’étranger, multiplication et hybridation des végétaux). C’est l’apogée des serres et des jardins d’hiver chauffés. La luxuriance des végétaux exotiques ainsi que la profusion colorées des fleurs ne peuvent que rappeler l’image d’Épinal d’un paradis terrestre. Au XXe siècle les parcs et jardins témoignent des progrès technologiques notamment en matière d’écologie. Une nouvelle relation Homme / Nature voit le jour. A travers l’intervention minimum, la gestion différenciée, la notion de jardin en mouvement (Gilles Clément), il s‘agit de mettre en avant une véritable symbiose Homme / Nature, un Eden. On peut remarquer qu’à travers les grands courants retenus par l’histoire, le jardin tend vers ce paysage idéal, une toile de fond heureuse qui parcourt les siècles. Même pour le giardino segreto italien du XVe siècle, il est le joyeux témoin de l’intelligence d’une société et de son rapport à l’environnement. On y met en scène les avancées technologiques, le pouvoir, un savoir-faire, une culture érudite. Qu’il s’agisse d’une sur-maîtrise ou d’une intervention minimum, la représentation de ces jardins reste celle d’un paradis, d’une vitrine de l’harmonie par excellence. Il devient espace de représentation, une façade, «un jardin de devant» en quelque sorte.
La part sombre du jardin
Mon jardin est terrible. Il est hostile dans le rapport esprit/homme/espace.
Mis à part le giarino segreto exprimé plus en amont, le jardin secret, celui que l’on cache, celui de derrière est peu perceptible dans l’histoire. Et si le locus amoenus est tant représenté, qu’en est-il de son sombre alter ego passé sous silence ? Comment parler de la part secrète du jardin sans évoquer sa part sombre si souvent occultée ? Le locus terribilis est l’antithèse du paradis terrestre autrement dit l’enfer. C’est ce lieu d’«effroi, (du) désert de sable et (de la) montagne escarpée»13 ce sont les «lieux horribles de la tradition culturelle, mais aussi ceux qui deviennent hostiles de part la relation que l’Homme construit avec eux»14. Cela explique le 13 Marie-Christine Pioffet, Espaces lointains, espaces rêvés dans la fiction romanesque du grand siècle, Paris, Presse de l’université Paris-Sorbonne, 2007, p.132. 14 María Esperanza (coord.) Bermejo Larrea, Regards sur le locus
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Paragraphe n°3 ou fouilles brachiales
faible intérêt qu’il a pu susciter. En effet on trouve très peu de références au locus terribilis dans l’histoire des jardins. Cependant il y est fait référence tant dans l’histoire de l’art que dans la littérature. On peut alors citer le triptyque de Jérôme Bosch intitulé Le jardin des délices terrestres. Cette peinture de 1510 représente, sur le volet de gauche, une scène au paradis, ce qui pourrait être l’existence humaine si Adam et Eve n’avaient pas péché (sur le panneau central), et l’enfer sur le volet de droite. Les scènes du volet de gauche et du panneau central prennent place dans ce fameux locus amoenus, paysages luxuriants, verdoyants, avec des plans d’eau claire reflétant un ciel bleu. La scène de droite, elle, prend place dans un lieu sombre, le paysage y est peu discernable. Des flammes, des boules de feu et la lueur de quelques lanternes percent la noirceur de la nuit, il n’y a pas de végétaux, le sol chaotique paraît être de terre battue. Le locus terribilis de Bosch semble être un véritable espace apocalyptique. Sa représentation au sein de l’iconographie religieuse incarne, depuis les tréfonds du Moyen-Age, un formidable outil de moralisation.
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Le locus terribilis ne se limite pas à la représentation religieuse. Dès le XVIIIe siècle, le jardin, lieu de dialogue permanent entre l’Homme et la Nature, échappe au vieux stéréotype paradisiaque. La conception du monde en pleine mutation et en reconstruction lors de la révolution ne favorise aucune quête de quiétude. Le jardin a cessé d’être le lieu du repos. L’inquiétude s’y installe de plein droit. Loin de la vision manichéenne enfer / paradis, le locus terribilis et le locus amoenus peuvent cohabiter. C’est à la même période que se développe la notion du sublime ; goût pour la nature sauvage, la foudre, les montagnes escarpées, les tempêtes, les océans déchaînés… Cette esthétique est l’ambassadrice des sentiments de peur et de dépassement des limites humaines, de l’infini et de l’incompréhensible. Comment ne pas y voir une artialisation de ce cher locus terribilis ? On le retrouve aussi dans les écrits d’Octave Mirbeau. Son roman Le jardin des supplices paru en 1899 est «à la fois le bréviaire d’un amateur de curiosités botaniques et un traité de l’art des supplices»15. Ce jardin est imaginé dans un bagne, en Chine. Il fait référence à la tradition du jardinage chinois qui fut controversée par les européens de l’époque. En effet des pratiques très artificielles telles que le bonzaï, les fleurs doubles, sont qualifiées de tortures. Les végétaux cultivés sont comparés à des êtres malsains, faibles, monstrueux. L’hétérotopie au jardin des supplices permet d’exprimer les névroses de cette horribilis. Manifestations littéraires des espaces hostiles, Saragosse, Prensas de la Universidad de Zaragoza, 2012,p.281. 15 Claire Margat, «Ensauvager nos jardins», Les Carnets du paysage n° 9-10 – Jardiner, Edition Actes Sud Nature, juillet 2003, p.37.
fin de siècle. La violence de la société (colonialisme et antisémitisme) est projetée sur celle de la Nature, on y observe une lutte constante pour la beauté, l’acharnement des jardiniers s’apparente à celui des bourreaux. De magnifiques fleurs puisent leurs forces dans les cadavres des suppliciés, alors que d’autres, monstrueuses, s’apparentent à des têtes coupées. Leur parfum estompe l’odeur des charognes en décomposition et leurs couleurs apaisent la vision des scènes de tortures qui s’y déroulent. «C’est le territoire d’expansion d’une violence autorisant le déchaînement des instincts où s’efface la responsabilité du mal.»16 Cette spatialisation de la violence humaine au jardin prend aussi des formes concrètes avec les lieux de mémoire. Quelques espaces commémoratifs des périodes sombres de l’histoire comme le musée de la Shoah et la Topographie des terrors à Berlin, explorent la part sombre des paysages. Le premier a pour vocation de perpétuer la mémoire des juifs exterminés par les nazis. L’architecte américain Peter Eisenman fit édifier 2 711 stèles de béton de 2,42 mètres de long, 0,95 mètre de large, et de 0 à 4,7 mètres de haut, sur 19 073 mètres carrés. Ce maillage produit une impression de malaise et de confusion chez le visiteur. Le parvis de la Topographie des terrors (exposition en plein air sur la politique de persécution et d’extermination du régime national-socialiste) est une immense étendue vide jonchée de galets. Le gris omniprésent, l’aridité de l’espace et le son produit par les cailloux au sol, confèrent un caractère terrible au lieu, le malaise y est tout autant de mise. Dans l’histoire, les mots et les références spatiales manquent pour illustrer ces espaces de la terreur. Hormis le sublime et le mémorial qui s’en emparent quelque peu, l’histoire aurait donc passé sous silence ce pan sombre des paysages. Nous pouvons cependant imaginer ce qu’il pourrait être dans nos jardins … Le soin apporté au jardin au-delà d’un rapport de complicité Homme / Environnement, relève d’une crainte de la nature profonde, indomptée, que nous tentons de rendre servile. Le jardin terrible peut résider dans la part sauvage latente de ces espaces domestiqués. En effet, laissé à l’abandon, le jardin réagirait de manière imprévisible voire incontrôlable. A l’image du film L’Arbre de Julie Bertuccelli, il ferait place nette de toute anthropie et se révèlerait sous un nouveau jour. Il encerclerait la maison, se dilaterait peut-être, en faisant éclater les constructions. Nous redoutons sa vie intrinsèque, autrement dit, son instabilité, sa mouvance. La part sauvage du jardin est particulièrement ressentie de nuit. Le jardin terrible devient alors celui de la perte de repères, du danger camouflé. On y 16 Ibid. p. 43.
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Paragraphe n°4 ou encombrements jugulaires
entend des bruits étranges, un langage oppressant, signe d’une vie inconnue. Le jardin, si familier le jour, devient étranger la nuit, il dévoile sa part inquiétante et anxiogène. Le terrible réside aussi dans les traitements infligés au jardin. Comme Mirbeau, qui fait référence aux tortures des bonzaïs et compare le jardinier au bourreau, comment ne pas filer la métaphore de l’acharnement et de la violence avec la brutalité du travail du sol, des gestes répétés, de la surveillance et de la lutte permanente ? Tus dans l’histoire et jalousement cachés, ces jardins terribles manquent de représentations. Il s’agit alors, pour ce travail sur le jardin secret, de faire émerger un récit et une esthétique de «l’immontrable». Parler de ces jardins façonnés en silence et forgés dans le secret.
Le jardin comme matérialisation de la psyché
Mon jardin est le lieu de l’expression névrotique. L’obstination et l’acharnement sont les composantes de l’acte sublimatoire. Impulsés par le Ça et le Surmoi, ces actes obsessionnels sont issus de l’inconscient. Ainsi l’écriture semble apparaître toute seule, pas de main d’écrivain ; les actes pulsionnels décrits ne dépendent pas d’une volonté,ils sont de l’ordre de l’instinct.
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Le jardin peut donc suivre deux logiques bien distinctes. Il y a celui qu’on donne à voir, celui de devant, le jardin amoenus qui s’oppose au jardin secret, celui de derrière, celui qui peut accueillir le terribilis. Cette dichotomie spatiale ne trouve-t-elle pas un écho dans le domaine de la psyché ? On opposerait alors ce qui est montré à ce qui est caché, ce que l’on contrôle et ce que l’on maîtrise moins, autrement dit le conscient et l’inconscient ou le Surmoi et le Ça. Le Ça, le Surmoi et le Moi sont des notions de psychanalyse Freudienne. Elles permettent d’identifier différentes instances de la personnalité plus ou moins contrôlées par le sujet. Le Ça est le siège de l’inné, des pulsions. Il s’agit de la part la plus inconsciente. On peut le voir comme le site des instincts humains, des désirs refoulés. Ces besoins pulsionnels ont besoin d’être canalisés, notamment via la sublimation c’est-à-dire par la réalisation de manière détournée d’un désir pulsionnel. Le Surmoi, lui, est le siège de notre éducation, du bon sens et de la responsabilité. C’est le site de l’acquis, (des interdits, de la morale, des lois, ...). Il est une intériorisation, en partie inconsciente, des interdits parentaux, une sorte de loi morale qui agit sur le sujet sans qu’il n’en comprenne l’origine. Le Moi est le siège des décisions, il assure les fonctions conscientes. Il garantit la stabilité du sujet
par son rôle de médiateur entre l’extérieur, le Ça et le Surmoi ; il « est soumis à une triple servitude, et de ce fait est menacé par trois sortes de dangers : celui qui vient du monde extérieur, celui de la libido du Ça et celui de la sévérité du Surmoi »17 . Dans le cas d’une névrose, le Moi prend le parti du Surmoi. Les pulsions du Ça sont alors combattues, le sujet s’interdit tout plaisir. Pour se défendre face à l’angoisse occasionnée par ce refoulement extrême des pulsions, le Moi du sujet met en place des mécanismes qui peuvent être de l’ordre du langage, de la reconversion somatique ou de l’adoption de rites obsessionnels. Le jardin névrotique serait donc un jardin où prend place la discorde de la pulsion et de l’ordre, de l’intuitif et du moralement correct. Il ne s’agit plus alors de parler de la cohabitation pacifique du jardin de devant (lieu du Surmoi, de ce qui est «correct») et du jardin de derrière (lieu du Ça, de ce qui est instinctif). Il s’agirait de se pencher sur le lieu où le conflit prend forme, à l’image du Jardin des Supplices de Mirbeau. Bien au-delà du beau tableau, ce jardin est un site d’action, le lieu de la sublimation, celui qui devance l’angoisse en accueillant des rites obsessionnels. Tel le Jardin des tarots, celui de C. en Bourgogne ou le Palais idéal, c’est le lieu du hors norme, de la lutte incessante, du travail acharné. Il s’agirait d’un jardin suffisamment secret pour que ces pratiques puissent prendre toute leur ampleur. Qu’en est-il alors du corps secret, celui de derrière, le corps terrible ? Il serait, comme le jardin terrible, le lieu caché de l’expansion du non maîtrisable, du hors norme, de l’instinctif. Si ce corps est vécu comme un «brouillon», une base qui est transformée au devant pour correspondre à un modèle sociétal, il l’est aussi à l’arrière, de manière moins assumée, par la force obsessionnelle névrotique qui intervient dans ses espaces cachés, secrets. Privations alimentaires, surconsommations, trichotillomanie18 , automutilations, onychophagie19 , dermatillomanie20, sont tout autant de sublimations, de traitements infligés pulsionnellement et secrètement au corps. Ils forment un univers du jardin corporel secret. Finalement quoi de plus parlant que ces jardins suppliciés, ces locus terribilis pour parler du secret de la pulsion névrotique ?
17 Freud, Das ichund das Es, 1923 (Trad. de l’Allemand par le Dr. S. Jankélévitch en 1923) revue par l’auteur, (Document produit en version numérique par Gemma Paquet), p.44. 18 Arrachage de cheveux ou poils compulsif. 19 Rognage d’ongles compulsif. 20 Grattage pathologique.
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(haut) Paragraphe n°2 sillonnements cubitaux (bas) Paragraphe n°5 ou terrassement iliaque
Un jardin, un bout de terrain hérité, un sol, trois fois rien. S’y rendre seul le soir, s’y asseoir longuement, sans rien faire et observer sa métamorphose à l’arrivée de la pénombre. La nuit lisse, cache et isole. Sa profondeur laisse la place au secret. Alors, une tension monte, un énervement, une énergie étrange. Elle s’empare du corps, il se raidit, jusqu’à ce que la tension soit telle qu’il ne tienne plus en place. Il faut agir, évacuer.
Etat des lieux d’un jardin de derrière
Un jardin, un sol. Un substrat, un support. Une base ? Les bras tendus, armés, lacèrent sa surface jugée trop sèche espérant voir émerger des sillons la richesse supposée du sous-sol. La terre y est humide. L’attente n’est pas comblée. Le mouvement se répète, l’acharnement démultiplie les creux. Le sol devient chaotique, la terre semble de plus en plus sèche. Le jardin s’altère. La surface ravine irrémédiablement. Plus rien ne pousse. Effroyable jardin. Le geste vain cesse alors, brutalement. Les stigmates de la quête insatisfaite jonchent le sol comme des garde-fous. Sillonnements cubitaux
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Un jardin, un bout de terrain hérité, comme un non choix. Cet espace qui nous appartient et qui pourtant évolue au grè d’une énigmatique volonté. Un être à part entière, un étranger. Accroupie, les mains fouillent dans le sol à la recherche d’un hypothétique trésor, d’une pépite, d’un crâne ou d’une vieille boîte en métal rouillée qu’un ancêtre aurait scrupuleusement enterré. Elles s’écorchent sur les cailloux, s’abrasent contre la terre mais le secret persiste. Insaisissable jardin. La quête ne s’arrête que lorsque l’épuisement se fait sentir, que le Fouilles brachiales vertige anesthésie l’esprit. Un jardin, trois fois rien. Un espace qui aurait pu être autrement. Un lègue qu’on accepte et qu’on refuse ; que l’on décide de cultiver puis qu’on laisse à l’abandon. Un lieu de toutes les projections, un lieu de tous les pouvoirs. Une opportunité despotique déconcertante. Lorsqu’il est l’espace trop vide, le néant affole. L’esprit s’y égare vertigineusement. Il faut des repères, il faut meubler. La quête du comblement est pressante, inévitable. Il faut courir chercher de quoi habiter, de quoi masquer ce vide béant, angoissant. Y accumuler tout et n’importe quoi. Planter des haies, puis des parterres, des bordures, arroser, entasser à la hâte des chaises à trois pieds, des miroirs brisés, des vieilles lettres. Le corps s’agite, le jardin s’encombre, l’esprit se Encombrements jugulaires calme. Trop. Sans y prêter attention, dans les feux de l’action: trop. Les tas débordent, dégringolent, la terre excessivement arrosée devient instable. Le vertige laisse alors place à la panique, à l’écœurement. Immonde jardin. Il faut nettoyer, il faut faire le vide, ranger. Le corps s’agite, à nouveau il peine. Il se ploie pour extraire ces accumulations qui jonchent le sol et se mélangent à la boue. Laver, expier, faire comme si rien ne s’était passé. Une envie pressante de retour au vide à un espace vierge et serein. Le corps souffre, tient, s’attelle à la tache jusqu’à ce que la fatigue et un vide certain Terrassement iliaque l’apaisent. Ecrit empirique sur le jardin névrotique retranscrit sur le corps
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Jardin secret - un aperçu
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Remerciements
A Héléna le Gal pour son aide réflexive, psychologique et son écriture, Romain Lacoste et Louise Nauthonnier pour leurs photographies, Lucie Valloir pour son appareil photo, Marie-Jeanne Rousseau pour ses relectures. Ce document (images et textes) a été produit par l’auteure et ses comparses, merci de respecter leur propriété intellectuelle.
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24 heures dans mon jardin // Romain Lacoste
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dans mon jardin
Romain Lacoste 24 heures dans mon jardin // Romain Lacoste
24heures
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6*C 10h32
7*C 10h52
8*C 11h22
9*C 11h55
13*C 14h52
14*C 15h22
14*C 15h52
14*C 16h20
10*C 19h22
10*C 20h51
9*C 21h52
5*C 07h52
24 heures dans mon jardin // Romain Lacoste
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10*C 12h21
10*C 12h52
12*C 13h24
12*C 13h50
13*C 14h25
13*C 16h52
12*C 17h28
12*C 17h50
11*C 18h25
11*C 18h52
6*C 08h23
7*C 08h51
7*C 09h22
7*C 09h52
Chronophotographie sur 24h: incidence du soleil sur les façades de ma rue avec prise de photos toutes les 30 minutes et relevÊ des tempÊratures.
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JARDIN [ʒaʀdέ]. nom tondu (du grec « jare » qui signifie le contenant et « din » qui signifie l’unité, d’un seul). I. • 1° L’espace d’une seule personne. Le jardin d’Eden. • 2° Espace généralement fermé dédié au développement sensoriel. Le jardin des fleurs. • 3° Il tend néanmoins vers une pluralité d’utilisations. Le jardin romantique. • 4° Espace extérieur clos, le jardin intérieur, il est à la fois lieu de détente, de méditation, le jardin d’enfant, et d’apparat, le jardin de curé. II. • Le jardin aspire également à des vertus humanistes de partage et s’inspire des principes simples de composition issus de la nature même. Le jardin de Bagatelle, le jardin à la Française. Il n’en demeure pas moins lieu d’émotion et d’une certaine discrétion. III. • 1° Bio. Souvent destiné à l’observation de la nature, de la faune et de la flore, le jardin botanique, il permet aussi d’étudier les comportements humains, le jardin public. • 2° Il se partage aussi à plusieurs, le dernier jardin, le jardin des morts ! IV. • 1° Math. Surface dont les côtés donnent sur des surfaces dont les côtés donnent sur des surfaces dont les côtés donnent sur des surfaces… • 2° Sc. soc. Il est le lieu des rapports humains (de courtoisie). • 3° A travers le monde, il s’adapte aux cultures, le jardin zen (lieu de détente où l’on cultive l’esprit). • 4° A travers le temps, il s’adapte aux besoins, le jardin partagé (lieu où les vieux cultivent leur mal de dos). V. • 1° Géo. Du Luxembourg ou suspendu à Babylon. • 2° On le repère souvent grâce à l’appellation «Jardin remarquable». VI. • Il peut être tout simplement l’espace suffisant à chacun pour se sentir bien. Le jardin secret.
prélude à l ouverture !
Ja rd in
avec vue
le silence
Voir sans etre vu
domine la lumière artificielle intérieure et produit cet effet de tableau, donnant une certaine esthétique. En tant que point de vue sur ce monde extérieur, la fenêtre est belvédère. Lieu d’observation privilégié et privé, elle en devient lieu d’appropriation quand elle se pare d’ornements et de pots de fleurs par exemple. Le géranium tend alors vers l’expression intime mais victorieuse d’un individu sur le monde extérieur qu’il observe, mais dont il cherche constamment à se protéger. Ainsi l’image de la fenêtre qui découpe un cadre apparenté à une toile ouvre la voie à la description «pittoresque» mais aussi parce qu’elle est susceptible de déclencher une dynamique narrative. La principale variante du procédé repose sur l’angle d’approche adopté, selon que le regard est porté de l’intérieur ou de l’extérieur : le regard de celui qui est posté derrière la fenêtre est une vue distanciée, critique ou esthétique ; celui qui vient de l’extérieur est attiré par un cadre pictural. Un des rôles possibles de la fenêtre, hérité de la littérature chevaleresque, est de magnifier le personnage qu’elle enserre et de ce fait, de le constituer en objet d’admiration ou de désir. A l’inverse le sujet extérieur devient source de contemplation, d’interrogation, de description et d’étude.
Se mettre a nu
Simple observation - Etre observé - Imaginer ce qu’ils font !
Dans un caractère anthropomorphique attribué aux maisons, la fenêtre occupe la place de l’œil. Véritable regard sur l’extérieur, elle participe au recueil d’éléments innombrables sur une vie, une vision, de ce qui se passe dehors1. La fenêtre devient alors le siège du paysage en ce sens où elle cadre une image, avec ses horizontales et ses verticales produisant alors une première forme, puis dans un second temps, un effet de contraste. Le paysage extérieur semble plus clair que l’embrasure sombre de la fenêtre. La lumière extérieure naturelle 1 Plus récemment, cette posture du «voir sans être vu», que l’on nomme vision panoptique, fut reprise par Michel de Certeau. Il a mené une réflexion sur l’articulation entre le réel et le discours sur le réel. Cette interrogation sur l’alliance entre l’«écriture et l’histoire» est le thème de son livre L’écriture de l’histoire (1978). Il s’est appliqué à débusquer la création culturelle dans la banalité de la vie quotidienne. Il s’est intéressé aux interstices et aux frontières par lesquels l’individu échappe à ce que l’on attend de lui, détourne les objets, les codes et les usages.
Il m’apparaît évident que la fenêtre forme pour moi depuis presque 10 années un ersatz de jardin. Parfois elle suffit à combler ce besoin de simplement se sentir en dehors de chez soi avec le sentiment certain que ce lieu vous appartient ou tout du moins vous est proche. Cette distinction est apparue au moment où je quittais le domicile familial pour éprouver les carcans de la vie étudiante. Une vie faite de petits espaces, mal équipés, à la lumière faible provenant d’une ou deux fenêtres ; mais suffisantes à produire un contraste évident entre deux mondes qui se regardent, se côtoient, échangent subrepticement ou violemment des sons, des odeurs, de la lumière. De l’extérieur ces fenêtres questionnent, comme un jardin suscite des regards, des instants volés. Qui ne s’est jamais fait surprendre à observer la vue intérieure d’un appartement aux fenêtres ouvertes? L’imaginaire aime ainsi construire des histoires, imaginer des vies, des univers qu’il ne connaît pas. Même avec peu d’informations, un simple regard permet d’édifier de riches pensées. A l’inverse, cette vision dominante, sécuritaire de l’intérieur vers l’extérieur offre du temps. L’observation se fait plus méticuleuse, précise. Elle change les points de vue
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L’envie alors de dépeindre cette vie d’en bas et celle 89 d’en haut se fait ressentir au moment même où l’on me demande de penser mon jardin secret. Pourquoi ? Comment ?
Mon jardin est celui Mon jardin est celui de la ville et du vent, Celui qui brille chaque jour un peu moins, Il est celui qui sombre chaque nuit, froidement, Vers l’hiver prochain qui s’annonce incertain. Mon jardin est celui qui du troisième étage Change sensiblement le spectre de la vie, Il est celui des cimes et des grands paysages, Des hauteurs amies et du sol ennemi. Mon jardin est celui qui m’accorde un instant, Quand mon état un temps devient vacillant. Instant ressourçant, instant répété, D’une ville en mouvement dont j’ai tant rêvée. Mon jardin est celui des prises à partie, Des discours véhéments et des moindres bruits Qui éclatent, rebondissent, s’amplifient aisément, Sur des murs rapporteurs, on ne leur demande pas tant.
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Mon jardin est celui aux parures changeantes, De ceux qui transforment leur âme glorieuse, Aux petits matins des nuits chaleureuses, En image blafarde à l’odeur écœurante. Il est de ceux qui laissent ces traces palpables, Ces décors flamboyants aux détails remarquables, Théâtre d’un soir pour de jeunes comédiens Qui désirent encore boire à s’abîmer les reins. Mon jardin est celui qui sait lire le temps, Des matins brumeux et des soirs de soleil. Il est celui qui reflète parfaitement, Par ses hauts murs miroirs les murmures du ciel. Mon jardin n’est pourtant ni clos ni à clore. Il oscille constamment se meut et s’anime, Sous les gestes francs de ceux qui l’honorent De leurs pratiques intimes, sereines mais simplissimes. Laissez-moi ainsi vous compter mon jardin. Prenez une fenêtre, ouvrez ses battants, Laissez-vous tenter, vous n’y perdrez rien. Mais il se peut alors que nous ayons enfin Un regard (tout à fait) différent, Un avis sur la ville, un avis sur ses gens. Il se peut aussi que si l’on regarde bien, On y voit un peu de ce que l’on sait sien. Il se peut aussi que si l’on ferme les yeux, Un monde apparaisse : c’est la magie du lieu.
Alors, si je devais vous le conter, quels codes devraisje utiliser ? Si l’expression même de ce que je ressens, de ce que je vois en me confrontant à mon jardin doit être ici retranscrite, pourquoi utiliser la convenance de mots bien mis en ordre, d’une politesse picturale habituelle puisqu’elle n’est pas rigueur dans ma tête ? (Devrais-je déployer de l’énergie à trouver un sens dans tout ce corpus ?) Peut-être suffit-il d’apposer successivement des textes, des histoires, des poèmes, sortes de rapporteurs de mes pensées instantanées, couchées ici, sur le papier. Peut-être que de simples clichés suffiront pour vous évoquer la richesse de ce lieu. Sûrement que certains de ces textes seront plus appréciables à entendre si je les lis, car ils sont écrits à mon image comme créés de toutes pièces par mon imaginaire. Cet échange du narrateur au lecteur, propose, il me semble, une toute autre vision de mon jardin. Il faut l’entendre comme une suite (il)logique, d’humeurs, de sensations, d’envies, chacune élaborée à cette fenêtre, avec l’idée que, de leur contenu respectif, émane une certaine fiction. Elle n’est pas là pour enjoliver la réalité, mais bien pour appuyer l’idée que cet ouvrage est une forme d’introspection et qu’il apparaît pour moi, ici dans mon jardin, (im)possible de me mettre à nu !
La fenetre ? Le jardin ?
Elément dessiné, construit, familier aux multiples déclinaisons esthétiques ou fonctionnelles, dont les évolutions épousent les avancées techniques ou culturelles.
Il n’est pas surprenant que ces deux termes participent à l’emploi de mêmes mots pour définir leur état. Bien qu’ils entrent tous deux dans la pratique de l’architecture et du paysage, ils s’associent depuis longtemps dans une dimension de couple propre à de nombreuses disciplines.
La peinture s’empare de ce motif, à l’interface entre l’espace du dehors et du dedans, cherchant à en représenter les interactions. Véritable métaphore à l’œil, la fenêtre propose une vision du monde. A la fois invention ou pure mimétisme, elle participe entre exhibition et dissimulation au tremplin de l’imaginaire. Le jardin propose dans sa conception et depuis toujours cet espace d’entre deux. A savoir : espace presque atemporel redoublant d’ingéniosité pour reformer une nature plus docile, plus propice aux jeux, à l’imaginaire, qui se situerait également hors du dedans, la maison, et hors du dehors, l’espace terrestre naturel. L’espace du jardin est genré, distinguant souvent les plaisirs humains par une déclinaison de lieux, de formes, de techniques dont la pratique, la science est de savoir les agencer entre eux. La fenêtre en peinture est aussi souvent qualifiée d’espace, de frontière entre nombre d’éléments: l’espace extérieur masculin comme lieu de l’aventure, de la guerre et du loisir s’opposant à un univers féminin intérieur aux activités domestiques de ménage, d’éducation et parfois artistiques2. La fenêtre constitue donc un motif de prédilection dans l’imaginaire des artistes : «elle participe indéniablement de la construction d’un espace esthétique, poétique et symbolique ; elle ouvre la 91 voie vers un jeu infini de possibles dialectiques.» L’espace de la fenêtre s’inscrit alors dans le registre du jardin comme lieu multiple, donnant à voir des scènes genrées, propice à l’épanouissement de chacun, par des espaces variés aux usages particuliers. La peinture a souvent pris la fenêtre comme un cadre descriptif, parfois séducteur. «Morceau choisi, elle fournit un appui qui permet d’insérer la scène dépeinte dans un contour et d’instaurer un jeu d’échanges entre l’intérieur et l’extérieur.»
Un tremplin vers l’imaginaire Parce qu’elle joue simultanément ou alternativement sur le caché et le montré, la fenêtre stimule l’activité «imaginante» : comme par défi, elle incite à deviner ou à combler par le recours à la fiction, l’incomplétude de la vision. Voilages, tentures, stores, volets entrouverts, reflets, carreaux translucides ou opaques, clairs-obscurs ou pénombres : autant d’éléments susceptibles de 2 «Au fond, la fenêtre apparaît comme ce motif éminemment plastique qui permet à l’envie de modifier le décor au sein duquel évoluent les personnages et où se déroule l’action. Agissant à la fois sur la hauteur, la largeur et la profondeur, il introduit dans le traitement des lieux une série d’oppositions dynamiques». Jean-René Valette, Les Fenêtres - Architecture et écriture romanesque
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et influe sur les façons d’observer. Tantôt je flâne et y perds mon regard, tantôt j’y invente des vies, refais leurs histoires. Tantôt je note, calcule, recueille précisément voire quotidiennement, tantôt je n’y prends qu’un simple café. Si cette fenêtre est alors un formidable cadre d’éveil, de sensations, d’instants changeants et de générosité, comment puis-je traduire ces moments ? Dois-je prendre le parti pris d’un utilisateur multiple, à la fois scientifique, botaniste, jardinier, bâtisseur, simple propriétaire ou locataire ? Dois-je vous transcrire ce qui se passe, ce que je sens de la plus intime des manières ou peut-être le faire de la manière que je souhaite. Après tout ceci reste mon jardin !
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Mon Jardin est celui-ci !
venir altérer, abuser ou masquer la vue, et donc de laisser place à la fabulation. Haie, claustrât, plan d’eau, perspective, butte, reflet, clairière, lisière sont autant d’éléments de construction, d’architecture paysagère, participant au dessin d’un jardin.
Jardin de la Renaissance ou renaissance du jardin ? «Le tableau est pour moi comme une fenêtre», écrit Alberti 5 en 1435. Il s’agit alors de comprendre comment cet objet prend son sens à une époque où la fenêtre n’avait en aucun point l’aspect d’un rectangle qu’on lui connaît aujourd’hui. Liée à des vertus de salubrité, créant un rapport intime avec l’air, la lumière, la vue, 3 Charles-Pierre Baudelaire, poète français, (né à Paris le 9 avril 1821 et mort dans la même ville le 31 août 1867), Les Fenêtres, Le Spleen de Paris : à partir d’un spectacle «réel» mais distant, il réinvente le sens qui échappe à la vue. La fenêtre n’est qu’un prétexte à un enrichissement de la réflexion, à une meilleure connaissance de soi. 4 Baudelaire, Paysage, Tableaux parisiens : contemplation d’un vaste paysage urbain du haut de la mansarde du poète, mais la phase de création d’un paysage imaginaire idéal s’effectue cette fois fenêtres fermées et volets clos, l’intériorité étant privilégiée. 5 Leon Battista Alberti (né le 18 février 1404 à Gênes et mort le 20 avril 1472 à Rome) est un écrivain, philosophe, peintre, mathématicien, architecte, théoricien de la peinture et de la sculpture, humaniste italien de la Renaissance.
Voir la fenêtre à demi-ouverte ou à demi-fermée.
préceptes d’architecture bien codifiés, la fenêtre ne tire ses formes et ses concepts actuels que depuis l’époque de la Renaissance : la fenêtre de la peinture, 93 la fenêtre d’Alberti, architecte peintre, entre autres. S’il est utile de citer Alberti, c’est que cet artiste de la Renaissance, apôtre d’une nouvelle forme de bâtir, en opposition avec la pensée du Moyen-Age, va jouer un rôle important dans la conception des jardins, dans la transformation des codes architecturaux et artistiques. Sa position s’oppose clairement au style gothique de l’époque qu’il remet dès lors en question, par l’utilisation de la perspective. Il propose alors les bases de nouvelles techniques architecturales et picturales. En 1452, il publie son ouvrage majeur : De re aedificatoria qui introduit le principe essentiel du jardin de la Renaissance : le jardin et la demeure doivent être traités comme un tout. Le jardin n’est pas seulement un élément constitutif de la demeure, il doit également se nourrir du paysage qui l’environne et s’harmoniser avec lui. La nature sauvage n’est donc plus un ennemi, c’est un facteur de stabilité de l’Homme dans son univers. Au milieu du XVe siècle en Italie, naît la pensée humaniste. Cette philosophie replace l’Homme au centre de l’univers. L’Homme reste soumis à Dieu, mais peut s’améliorer par le savoir. Il peut dès lors appréhender son environnement et le construire afin d’enrichir sa pensée. Au début, les plans des jardins sont des adaptations plus ou moins bien conçues de l’Hortus conclusus du
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Si le jardin est propice à l’évasion, au sublime, transcendant pendant longtemps la nature et permettant à chacun de se construire maintenant un espace d’expression, alors le dispositif de la fenêtre ouverte constitue un tremplin vers l’imaginaire où tous les possibles s’offrent à l’esprit vagabond.3 On pénètre dans un jardin comme on franchit la limite du cadre, de l’embrasure, on accède dans tous les cas à l’autre côté. Aussi la fenêtre favorise-t-elle la création poétique, en ce qu’elle joue sur la gamme des états d’âme et en ce qu’elle invite à métamorphoser le réel. La fenêtre marque une séparation entre deux espaces qui s’opposent par leurs formes, leurs contenus, leur couleur, leur lumière, leur chaleur… Le jardin propose une immersion totale dans un lieu clos, à l’image du cadre de la fenêtre, dans lequel la sensibilité sera soumise aux conditions mêmes que le jardin recrée. Les deux participent également à la construction et par conséquence à l’opposition entre un espace intérieur et extérieur, privé et public4. Les deux sont en relation constante, laissant échapper par-delà les murs, les haies, les rideaux ou les barreaux une forme d’intimité, une somme d’informations qui n’étaient pas forcement destinées à être partagées. L’étanchéité ou la non-étanchéité témoigne ainsi d’une forme de réversibilité de chacun de ces deux espaces.
A travers, devant, derrière. Défenestration délicate vers une terre inconnue Arrivée écarlate en terrain connu Du ciel au sol en passant par toutes les sensations Enfin… je crois. Observation interdite d’un illustre inconnu Produit sur l’esprit un désir d’en (sa)voir plus De l’envie de cette vie partout des frissons Enfin… tu vois.
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Expression végétale quelque peu superflue Travestit une façade ne se sachant nue De la taille et de l’eau pour de belles floraisons Enfin l’émoi. Valse d’étoffes une fois le soir venu Soustrait au regard des intérieurs exigus D’la couleur des motifs évitons l’oraison Enfin chez soi ! Définition subjective similaire à la vue Deux optiques enchâssées dans un cadre bien tenues De la matière et des gonds constamment en action En fin de compte.
D’alberti a Montefeltro A cette époque les tableaux donnaient à voir alors que les fenêtres se paraient de vitraux et étaient placées trop haut pour servir le regard. Le cadre du tableau était tourné vers l’intérieur alors que la fenêtre sculptée, s’ouvrait vers l’extérieur, habillant ainsi la façade6. Il invente ainsi une relation, et non une ressemblance entre la fenêtre et le tableau. Le tableau d’Alberti impose de regarder, change l’orientation du regard, donne quelque chose à voir là où l’on ne voyait rien. La peinture une fois structurée en tableau «donne à voir quelque chose que quelqu’un est convoqué à regarder». Avant, les personnages peints regardaient les humains, les poussant à se regarder eux-mêmes, à entrevoir leurs âmes et leurs pêchés, à questionner leur foi. En somme, cela condensait la puissance d’un regard «omnivoyant», d’un Dieu juge des vivant ? Il est désormais question de renverser cela en proposant à celui qui se trouve à l’intérieur une certaine vision choisie, tel un point particulier qui 6 «Le tableau d’Alberti devient alors une machine à voir» et fait naître la fenêtre que nous connaissons aujourd’hui, celle qui propose une vue.
contraint une perspective et une vue décidée par avance : un point de vue7! Le spectateur peut ainsi voir sans être vu, telle une «machine optique où se combinent regard et vision». L’intime est né. L’homme posté devant sa fenêtre ou devant un tableau est caché à l’Autre (l’omnivoyant ou celui extérieur), sans avoir le besoin de se cacher. «Les fenêtres proposent, imposent même de regarder». Ainsi Alberti fait du tableau le prototype de la fenêtre. Peindre ce serait donc au sens propre ouvrir une fenêtre, non pas sur l’histoire, mais pour l’histoire qui va être dite, montrée grâce au tableau. Le voir sans être vu est une des questions fondamentales. Comment ne pas être soi-même transformé en objet sous le regard de l’Autre ? Un exemple intéressant réside dans l’aménagement du studiolo du Duc de Montefeltro8. Pièce privée du palais d’Urbino, importante par sa fonction mais petite par sa taille, elle fut un lieu de recueil, à l’interface des appartements privés du Duc et des salles officielles. Tel un espace de méditation, le studiolo enferme en son sein, des trompe-l’œil figurant toute sorte de choses, armes, animaux, fruits, livres faits de marquèteries ; ainsi qu’un registre supérieur de 28 tableaux et une fenêtre faite également de marquèterie, produisant un espace perspectif 95 étourdissant de virtuosité. L’accumulation anecdotique flamande s’y conjugue à l’obsession italienne de la pureté géométrique. Y figuraient des personnages profanes et chrétiens, selon une synthèse typiquement humaniste. Le choix de juxtaposer poètes et philosophes, politiciens et hommes d’État, symbolise en outre l’union entre vie contemplative et vie active, éléments sur lesquels se fondait le despotisme éclairé de Federico da Montefeltro. L’illusion recréée par la marqueterie et les trompel’œil qui ne se cachent point sont ici un trait d’esprit stimulant le regard. Les apparences ne cachent pas qu’elles sont des apparences, tout est calculé, voulu, démonstratif. 24 heures dans mon jardin // Romain Lacoste
Moyen-Age : les jardins se situent à côté des villas, constituant des entités séparées et closes. Mais à mesure que l’on avance dans la Renaissance, le jardin, inspiré par celui de la Rome antique, se développe ; il acquiert un nouveau vocabulaire, de nouvelles structures… Le choix du site devient primordial : ce doit être un terrain en pente qui permettra des jeux de perspectives. Il doit aussi autoriser une vue qui s’ouvre sur la campagne environnante. L’air doit y être pur, l’eau de qualité pour que les habitants restent en bonne santé. Le belvédère devient un élément constitutif majeur de l’architecture des villas de la Renaissance : tantôt il relie deux espaces, tantôt il propose une vue sur la campagne environnante, tantôt il sert une perspective donnant sur un escalier. La fenêtre va progressivement acquérir les mêmes préceptes que le jardin pour devenir un objet qui propose une vue mais aussi un objet de salubrité. La fenêtre et le tableau ainsi que le jardin vont, avec la pensée albertienne co-évoluer de manière significative, proposant à la peinture de nouveaux horizons et à la fenêtre de nouvelles vertus. Nombre de ces éléments présents dans la pensée architecturale et paysagère de l’époque vont ainsi se transférer aux disciplines connexes telles la peinture ou la littérature. Il va de ce fait se produire un changement important dans la conception et dans l’idéologie même des ouvrages qui en découlent.
d’alberti a bonaparte Ces trompe-l’œil dissimulent en effet de vrais objets dont l’image même est recréée en façade. La fenêtre 7 «Le tableau devient donc la limite entre impuissance et puissance comme la fenêtre devient la limite entre un intérieur et un extérieur». 8 Frédéric III de Montefeltro, (7 juin 1422 - 10 septembre 1482), duc d’Urbino et comte de Montefeltro de 1444 à sa mort, fut l’un des plus célèbres condottieres de la Renaissance. Homme de grande culture, il fit de l’ancien municipe romain d’Urvinum Mataurense (Urbino, en français Urbin) le centre d’une cour raffinée où il entretint de nombreux artistes.
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Regarder par la fenêtre est comme confronter son propre moi au regard du monde. La fenêtre dessine depuis longtemps en peinture les territoires terrestres et transforme en son sein les récits en images, «les pays en paysages». Alors se projeter et se pencher à cette fenêtre dessine également les limites de notre propre territoire à savoir, qu’elle devient en ce sens le lieu de confrontation entre notre moi et le monde. Monde que je regarde ou monde qui nous regarde ?
dessinée en trompe l’œil est ainsi pensée et cache une véritable fenêtre, ce qui en fait la vérité logique du studiolo9. Cette fenêtre, presque lucarne se situant en façade du palais, dominant la ville, place le Duc comme omnivoyant sur ses sujets. Une position de souverain supérieur dont rien n’échappe au regard. L’anthropomorphisme que l’on attribue aux façades donne au palais le statut d’une tête et fait de la ville un corps. La fenêtre du Duc se place alors comme un œil au regard omniscient. Cette fenêtre devient le lieu du regard caché, du pouvoir du Duc. Elle assoie ce pouvoir et lui confère une force symbolique, directement calquée sur le modèle du palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle10. La fenêtre devient alors objet de pouvoir et de contrôle11. Ce statut de domination, pouvoir suppléé par la position en hauteur, va au XVIIIè siècle, en Angleterre puis en France, faire l’objet d’un impôt sur les fenêtres, parce qu’elles montrent par leur nombre et leur taille, la puissance du propriétaire et sa domination sur le monde.
9 Cela fait penser aux tableaux des fenêtres de Magritte, la condition humaine, donnant sur des paysages dans lesquels s’encadre un tableau figurant ces mêmes paysages. Peintre surréaliste, dont les pensées visent à libérer l’esprit de toutes contraintes pour laisser libre cours à la création sans limite ; Magritte disait de lui-même : «Mon titre n’explique pas mon tableau, comme mon tableau n’explique pas mon titre». Chez le Duc : «Ainsi le tableau et la fenêtre se recouvrent, et sont en vérité la même chose, et plus exactement les deux versant, l’envers et l’avers d’un même objet. Le tableau albertien est ainsi comme le studiolo, il montre ce qu’il cache et montre qu’il cache». 10 «Regard réel, regard caché, le doute s’installe et c’est bien en tant qu’il soit caché qu’il voit tout, tout le temps». Cette pièce domine ainsi physiquement la ville comme le Duc domine ses sujets. Elle constitue, grâce à cette fenêtre une instance de contrôle omnivoyante pour celui-ci. Le Duc se contemple à l’intérieur comme l’idéal de son moi et à l’extérieur, par la fenêtre comme regardant ses sujets. En vérité il les domine et les soumet à son pouvoir. 11 Quand Napoléon Bonaparte en Egypte dit «pensez que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent», il dit en vérité que «du haut de ces pyramides, moi, Bonaparte vous contemple et domine quarante siècles». 12 On peut alors jouir du principe albertien de modération «jouir des choses ici bas sans leur être asservi » et ainsi jouir du paysage. «Seulement la pensé d’Alberti nous prouve que nous ne sommes possesseurs que d’un angle précis de ce monde car guidés par le point de vue précis que la fenêtre propose. Le monde est donc divisé en parcelles de vue, en champs de vision. La fenêtre et son champs de vision produit nous confèrent ainsi l’idée de domination sur un monde, un petit monde, qui nous appartient tant que nous ne sommes pas vus.
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On renverse alors comme Alberti, la pensée. L’homme est désormais par la fenêtre le regardeur du monde et se détache alors de son créateur qui l’avait sous son regard. L’homme devient maître du regard12.
Jardin vers’ 3 étages 60 marches et le sol apparaît Sous mes yeux, apeuré de toucher le pavé. La hauteur ne m’effraie que lorsque je m’ projette Sautant dans mes pensées depuis ma fenêtre Sur une foule passante, quotidienne mais secrète. Sur ce monde dès lors hors de ma portée Je compte bien rebondir, engranger, récolter Dans leurs poches dans leurs cols à moitié refermés Par leur cri leur sourire, des indices des pensées De quoi me nourrir pour mieux les raconter. J’aime à penser ce qu’ils vont devenir J’aime leur donner la chance de réussir. Non pas ce qu’ils projettent mais tenter l’expérience En passant l’coin d’la rue, de r‘plonger en enfance. Devenir les héros d’une nouvelle très brève. Leur offrir les mots pour composer leurs rêves. Comment les guider sans heurt sans pratique ? Suis-je capable de livrer ces histoires homériques ? A ces gens ces passants que je ne connais guère, A mes amis mes enfants, mes comparses mes compères.
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Dois-je sauter, dévoiler, toute l’histoire d’un coup ? Puis-je descendre et prouver que je n’suis pas fou ? Les laisser s’imprégner de c’que j’ai vu là-haut Qu’ils plongent dans mes yeux comme on plonge dans l’eau. C’est à coup sûr, je vous l’dis, une idée saugrenue ! De croire que les gens croiront le premier venu. Alors je m’abstiens, recule me retiens Regarde la rambarde, y repose mes mains Détache de ce sol, mes pensées vagabondes Et redonne au ciel sa force féconde. Celle qui permet à chacun d’y trouver son bonheur De quoi s’enivrer pour des heures et des heures, D’histoires héroïques, de simples projections Suffisantes à chacun pour ne pas tourner en rond. J’avais pourtant le sentiment certain Que chacun de sa fenêtre pouvait aider son prochain. Car ces histoires si farfelues soient-elles Ne semblaient pas simplement comme tombées du ciel. Elles étaient liées par la force des choses A mon corps à mon âme au jardin dont j’dispose. Si un jour on m’enlève, cette vie, ces étages Si un jour je m’efface, déguerpis, déménage Qu’emporterai-je avec moi si ce ne sont des souvenirs ? Trouverai-je non sans émoi un si bel avenir ? Un horizon, une fenêtre aussi belle soit-elle De la vie, d’la lumière pour redécouvrir ce ciel.
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En face d’autres fenetres, d’autres jardins ?
Fenêtre à la Française Qu’est-ce qu’un jardin sinon le fruit d’une envie, L’espace à même d’assouvir l’essence d’une vie. A la fois nourricier, de plaisance, d’apparat, Le mien s’est bâti sur tout ça à la fois. Je l’ai ni pensé, ni construit, ni tondu. Peut-être un instant m’y a-t-on vu nu ! Je m’y prélasse seul, comme on fait une balade, Parfois à plusieurs pour une bonne engueulade.
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Il est de ces jardins qui défient le temps, Qui traversent les orages et résistent aux vents. Nichoir à oiseaux et de toutes sortes de bébêtes, Des pigeons des moineaux… rarement des alouettes ! Il accueille une seule plante, c’est une kalenchoé. Récemment dénichée, elle pousse sans arrêt. Je crois qu’elle s’y plait, je crois bien qu’elle comprend, Ce que je vis perché, ici, chaque moment. Au fond d’mon jardin, on y voit des fourmis. Je n’sais pas si la reine s’y est tout permis. Je n’sais pas non plus si cette reine existe, Mais je sais au moins qu’cette arène m’excite. Pas de combat, pas de fauve, pas non plus d’ mise à mort. Cette rue n’en est pas moins une faiseuse de sort. Sort les poubelles, sors toi d’là, bouge ta caisse mon vieux. Un vrai manque de politesse c’est un peu ça l’esprit du lieu.
A la géométrie parfaite, digne d’une feuille à carreaux, Tout récemment lifté histoire d’être beau. À chaque rayon d’soleil, tu brilles de mille feux, Mais dès la moindre pluie, tu fais glisser les vieux. Ton sol est à l’image d’un terrain peu fertile, Recouvert d’un nappage, je crois qu’c’est de l’huile. Heureusement pour toi, tu as des caniveaux Qui rejettent dans le fleuve toute la crasse de Bordeaux. Tu étais auparavant un jardin tout bosselé, Presque vague je crois, d’aucuns disaient délaisser. Les services de la ville t’ont sorti d’la misère Je crois qu’ils auraient pu y laisser un peu d’terre. A cette allure vive, tu vas finir comment ? Non pas comme tes sœurs d’ la place Camille Julian ! J’aime tes secrets encore inavoués, J’aime ton arbre effeuillé en ton cœur lové. Je remercie enfin mon voisin du premier, Pour son jardin fleuri et ses beaux oliviers. Tu n’es pas le seul, à replanter l’ décor, Même si je prends des gouttes à chaque fois que je sors. Pour tout ça j’aime ma fenêtre, c’est mon jardin à moi. Je n’suis plus cet enfant mais pourtant je vois, En cette fenêtre une cabane comme au temps des indiens Ou le voisin vient maint’nant me proposer un petit joint. Si un jour vous «votez jardin suspendu!» Si un jour vous louez avec fenêtre sur rue N’ayez pas peur, alors, de ne rien y planter Tout est là vous verrez, cela suffit pour l’aimer !
Je suis l’héritier d’une de ces familles fortunées qui habitaient les hauteurs de la ville. Avec le soleil pour guide atemporel, chacun de leurs sens était éveillé, constamment sollicité. De là, ils étaient prêts à surveiller, aptes à contrôler la masse sur laquelle ils déversaient leurs sentiments quotidiens et humeurs passagères. Leurs adresses, les derniers étages. Impossible à manquer. Nombreux s’y sont brisés la nuque à trop les convoiter : épier les riches n’était pas sans conséquences ! Bienvenue au 39 rue de La, nous sommes en 2014. Oubliez vos souvenirs lointains d’une nature d’un vert immaculé. Laissez se faner les images heureuses des jardins familiaux, les forêts d’hier laissent désormais place à la ville. La seule ville. Elle parcourt toute la surface de la Terre ; omniprésente, omnipotente, «Hommenivore». Un horizon identique, semblable en tout lieu, écrivant jour après jour l’oraison funèbre de sa planète. Impensable ? Appelons ça, une façon probable d’entrevoir la vie. Certes, il y eu des tensions, des dissensions au sein du peuple. Cette cité ne s’est pas faite en un jour. Après s’être vaillamment battus contre des armées d’Hommes verts, opposants de tout temps, traversant les siècles depuis que mère nature leur a donné la vie, mes ancêtres ont finalement compris qu’ils pouvaient feinter, adapter, et même copier cette nature afin de palier sa disparition ; conduisant le peuple vers un futur pré-écrit. L’astuce : remplacer le bois par la pierre, les arbres par des immeubles, la forêt par La Ville. Superposer les habitats et les groupes sociaux à l’image de l’ancienne biodiversité terrestre en une communauté verticalement stable et hiérarchisée, à l’image des hôtes d’antan ; les arbres. Ce mimétisme leur assurant alors le contrôle absolu sur la faune et la flore, sur l’agneau et le loup. Ainsi, l’Homme pourrait enfin asseoir son pouvoir incommensurable de conquérant de mère la Terre et se passer, dès lors, de tout brin d’herbe qui se mettrait en travers de son plan. L’Homme, dans un complexe œdipien réinventé et inversé, épouse alors son géniteur, Dieu et tue sa propre mère, la nature, dans ce qui s’appellera
l’urbanisation galopante. On pourrait penser que ces Hommes pêchèrent par excès de confiance. Ont-ils oublié dans feu la nature cette propension ultime à l’autorégulation et à l’interdépendance vitale qui règne entre les espèces et les individus de chaque espèce ? Pas tous et c’est en cela que l’histoire est intéressante ! La physionomie du monde que je vous dépeins est effectivement celle d’une hiérarchie établie, mais à quel prix! Le plan était bien ficelé. Dans le rêve de certains, devenu réalité pour tous, il fut question d’un monde meilleur, d’une cité géante où tout serait possible. Une cité illuminée du soir au matin, fournissant à son prochain travail, divertissement et tout le confort. La nature dans tout ça ? Relayée aux confins de cette ville ! A quoi bon s’en soucier puisque cette dernière, seule, unique, compenserait alors ce que la nature aurait à proposer. Les dispositions de l’Homme envers ses charmes d’antan sont désormais lointaines et consommées. Ne regardant pas ce qui se profilait sur cet horizon bientôt terni d’immeubles, absorbé par cette ville, personne ne se souciait réellement d’une quelconque qualité de vie et des bienfaits moraux et sanitaires auxquels il aurait dû prétendre… puisque tout allait pour le mieux ! Les rues étaient vivantes et la lumière du ciel parcourait leurs tracés, les enseignes fleurissaient telles les plates-bandes d’autrefois, l’économie était en pleine bourre… et chacun se ravissait à l’idée que cette nature si chère à leurs cœurs mais déjà loin de leurs yeux, vivait son acte productif quotidien de la meilleure des façons, en apportant inlassablement à la ville des rations pour estomacs. Victime de son succès cette cité ne pouvait plus s’étendre tellement les gens affluaient, et bientôt toute la population ne formait plus qu’une seule et même poche de vie ininterrompue. L’on pouvait faire le tour de la Terre sans jamais arrêter de saluer des gens. Seulement pour contenir cet afflux massif, il fallut rehausser les maisons, agrandir les habitations par le haut : grattecielliser. Successivement les maisons et immeubles se bousculèrent, se faisant de l’ombre un peu plus chaque mois. Quartier après quartier, la ville se
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Les voleurs de ciel
rehaussait. Progressivement, la surface de la Terre s’en vit modifiée. Les vallées anciennes avaient rejoint l’altitude des hauts plateaux, les ondulations des grandes contrées du sud disparaissaient sous une épaisse couche d’habitations. Les littoraux étaient outils de promotion pour de nouvelles poches d’habitats et les océans allaient bientôt servir d’unités de production, comme seuls espaces restant disponibles afin de produire des vivres. Seuls les plus hauts sommets résistaient à cette colonisation et leurs pics, isolés, tutoyaient intimement les cieux. Mais pour combien de temps ? Cette frénésie urbanistique, bâtissant bâtiments, dirigeait tragiquement cette terre vers un sort incertain. Alors, à cet instant précis, aux portes de l’étouffement, les subtilités de ce plan réconfortèrent l’esprit des plus érudits. « Certes la nature n’est plus et ainsi notre ville est plus grande, plus prospère, mais qu’allonsnous devenir si nos vies ressemblent à des tas, des amas de gens, asphyxiés, affaiblis faute de lumière, amoindris faute d’espace, en un mot : mourants ? »
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Il fallait réagir, assez vite. Insidieusement, les riches, occupèrent les masses à grands coups de travaux de rénovation, habillant la ville de ses plus belles tenues, offrant à l’espace public son heure de gloire. Les gens ne pouvaient qu’être heureux. Ils se sentaient compris, écoutés, pensant même que leurs moindres souhaits pouvaient se réaliser à n’importe quel moment. Cette ville était donc à la hauteur de ses promesses, puisqu’elle anticipait son essor, savait se renouveler en temps et en heure pour le bien-être de ses occupants. Pendant ce temps, il fut facile aux puissants de réserver à leurs foyers, les parties les plus hautes de la ville. Pendant que les masses étaient parquées dans des boites à même ces pavés flambants neufs, ils entassaient sur leurs épaules des palais proches des cieux. Ils leur enlevaient la dernière parcelle de vie qu’il leur restait : le ciel et ces pauvres gens continuaient à les remercier. Car désormais, ce ciel, incommensurable espace de liberté, leur appartenait. Seuls, les « Hautes gens », en jouissaient grâce à ce qu’ils aimaient nommer entre eux : la plus grande escroquerie de ce monde.
Les voleurs de ciel. Je suis un de ces voleurs, digne descendant des Hautes gens, héritier d’une fenêtre et si grande et si claire, qu’elle peut à elle seule contenir l’horizon tout entier. A l’époque, plus l’ouverture était grande et lumineuse et plus elle définissait le rang social de son propriétaire. Ainsi il était facile de comprendre que ces « Basses gens » aux lucarnes à peine dégrossies, aux fenêtres à barreaux, ces même gens des rez-de-chaussée et des premiers niveaux, n’étaient sans intérêt pour nous puisque démunis de toute nature sociale un tant soit peu prestigieuse. Ils avaient, pauvres âmes, suivi l’exode massif du siècle précédent et leur descendance habitait toujours les mêmes étages. Dénués de bon sens et privés de nature, c’est leur substance même qui assurait néanmoins le poids réel de nos vies. Sans ses fondations humaines, jamais le ciel n’aurait été à ce point accessible. La vie dura ainsi des dizaines d’années. Signe du bon déroulement du plan, la population se stabilisa progressivement et on cessa de rehausser. De nouveaux aménagements publics vinrent régulièrement regonfler le moral d’en bas, tandis que le soleil brillait continuellement aux fenêtres d’en haut. Les cieux suffisaient à leurs yeux et leurs esprits. Le genre humain s’en vit modifié. L’adaptation de leurs corps à ces conditions de vie rendit hommage à l’évolution naturelle. Les visages d’en haut rayonnaient, leur teint avait évolué vers un joli brun et naturellement leurs enfants naissaient bronzés. En bas, pour ce qu’ils en savaient, les gens étaient d’une pâleur extrême, mais en bonne santé. C’est ce que certains d’entre eux racontaient lors de grands récits rapportés d’aventures dans les bas-fonds. Il faut savoir que tout contact avait été coupé avec le bas afin d’éviter les jalousies et d’agiter l’esprit des anciens, leur sénilité prenait soin de les décrédibiliser. La physionomie de cette ville privait en effet de lumière et d’air nouveau les bas étages et ce monde des ténèbres restant quasi constamment dans la pénombre, s’animait seulement sous les rayons d’un seul soleil, celui du solstice d’été ! Les toits, quant à eux, irradiés de lumière, subvenaient aux besoins de la Haute et
La cité était ainsi faite ! Deux communautés qui coexistaient, se côtoyaient sans s’observer, dépendantes l’une de l’autre, l’une agissant dans la plus grande impunité, l’autre subissant sans réellement le comprendre. Mais l’Homme qui a tout, c’est bien connu, ne sait s’en satisfaire. Ces récits d’en bas intriguaient de plus en plus. Les Hautes gens étaient désireuses d’exotisme, d’objets insolites. Peut-être s’ennuyaient-ils ? Ils voulaient vérifier de leurs yeux ces histoires. L’on racontait que la vie n’était pas si morose et terne qu’on voulait bien le dire. «Les Basses gens pensent ! Ils rient aussi !» pouvait-on entendre. De ces aventures en profondeurs, remontait de plus en plus un sentiment nouveau. Cette indifférence ancienne laissait place à de l’envie. Certaines Hautes n’étaient même jamais remontées et d’aucunes avaient trouvé l’amour. Impensable ! Alors ils commencèrent à se pencher. Les Basses étaient devenues spectacle et l’indifférence la plus totale qu’ils leurs portaient commençait de plus en plus à intriguer leurs sens. Les regards qui autrefois se portaient vers le ciel, plongeaient maintenant sous l’horizon pour ne plus jamais remonter. Une telle énergie, une telle envie de vivre, habitaient ces bas lieux. En pensant les avilir et détourner leur regard, ils leur avaient donné les moyens de vivre. A croire que les Hommes sont à ce point capables, même privés de tout, de générer assez d’envie pour recréer la vie. Cet engouement eut des répercussions sur l’allure des façades. Plus les gens se penchaient pour regarder et plus ils tombaient. Plus ils s’agglutinaient et plus les fenêtres s’affaissaient ! Ils firent alors poser des balustrades aux balcons pour contenir les foules et le gardecorps s’invita à leurs fenêtres. Ils réduisirent encore un peu plus l’espace qui les séparait du ciel mais il devenait vital pour eux, de les voir constamment. Les escapades en bas se faisaient de plus en plus fréquentes. Il fallait pour chacun d’entre
eux, désireux de devenir un homme, réaliser le «Grand Tour». Il leur était recommandé de parcourir seul cette ville, cette terre dans ses quartiers les plus lointains, les plus sombres et torturés. Un «désir de virages» montait en eux et balayait d’un coup la rectitude des ciels d’en haut. Forts de leurs expériences, nombreux revenaient changés, conquis, presque humains ; et nombreux y replongeaient à tout jamais. Ce mouvement n’eut de cesse de s’amplifier. En descendant, les Hautes se confrontaient aux Basses, qui ne comprenaient pas d’où venaient ces gens. Ils étaient soudainement passionnés par ces vies qu’ils avaient longuement méprisées. Ce mélange des genres eut l’effet d’une petite révolution dans l’espace de la cité. Les comportements changèrent radicalement. Les Hauts bronzés puissants et riches se mêlaient aux Bas blancs serviles et pauvres. L’espace public s’en trouva rempli de couleurs ! Malheureusement, certaines Hautes voulaient leurs vies mais pas leurs basses présences ? Le Bas blesse ! Difficile à penser, puisque certains d’entre eux expulsèrent les mêmes Basses gens qu’ils s’étaient pourtant forcés à contenir dans les tréfonds. Nombre de Basses durent fuir vers de plus lointains quartiers quand d’autres prirent les places vacantes… d’en haut. Dorénavant, les anciennes Hautes supportaient les nouvelles Basses d’en haut, quand les plus «basses Basses» se retrouvaient aux confins de la cité. Ciel, quelle mixité ! Pourquoi ne suis-je jamais descendu ? Peut-être parce que j’aime encore regarder depuis ma fenêtre ces Basses et ces Hautes se mêler, se bousculer, perdre leurs couleurs, rire et vivre ensemble. Peut-être que je n’arrive toujours pas à choisir entre ce ciel et ce sol. Ils sont pour moi la combinaison intime de cette rue. J’aime toujours y promener mon esprit et y reposer mes yeux. Les fenêtres sont ces rectangles ouverts sur l’Histoire; elles sont comme des bibliothèques: elles supportent récits et voyages, contes et légendes, détiennent une part de vérité et beaucoup de rêverie. Gustave Flaubert disait de la fenêtre, qu’elle remplace en province théâtres et promenades; j’ajouterai qu’elle donne à la ville des airs de jardins.
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servaient tantôt de potager personnel, tantôt de jardin d’enfants. A la fois espace de vie et de développement social, ils superposaient à la ville basse une grille nouvelle, unique et privée, support aux prélats des plus aisés.
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Jard’ 1
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Jard’ 1 pour 2 ou 3 ?
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Jard’ 1 pour tous
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Jard’ 1 pour moi !
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L’heure bleue // Alice Le Berre
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L’heure bleue
Alice Le Berre
Le studiolo comme lieu d’inspiration
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A la Renaissance, le jardin secret s’apparente au cabinet de curiosités appelé studiolo. Celui-ci, attenant à la maison, permett aux propriétaires de s’y retirer pour méditer et d’entreposer de manière théâtrale des objets collectionnés, souvent hétéroclites et hors du commun en créant un lieu d’émerveillement, de contemplation. Ces cabinets reflètent les affinités, l’univers et la personnalité du propriétaire. Ils offrent, en effet, la possibilité d’«embrasser d’un seul coup d’œil ce condensé du monde»1. Les studioli sont en quelque sorte les fondements des cabinets de curiosité qui se développent plus tard. En tant que future paysagiste, je construis tous les jours un peu plus mon cabinet de curiosités. A ma manière, je suis aussi une collectionneuse de plantes, d’objets, de peintures et de dessins qui évoquent les moments singuliers de mon existence. Les plantes jouent un rôle plus particulier au cœur de cette collection, car elles sont vivantes. Leurs formes, leurs modes de croissance, leur plasticité m’interrogent quotidiennement. Leur présence agit comme un trésor dans un coin de la pièce et me permet de mieux comprendre le temps qui passe : la croissance, le cycle, la notion de lutte, de guérison, de questionnement sur l’exposition, l’humidité, la lumière. La déception fait aussi partie de mon apprentissage : la tentative de les préserver échoue parfois, au risque de les voir mourir. Lorsqu’il a s’est agit de manifester un jardin secret, la peinture s’est imposée comme l’expression possible de ce cabinet personnel. Peindre chez soi, entouré d’un univers qui nous inspire, qu’on a constitué peu à peu, permet à l’esprit de s’évader et de s’inspirer de ces curiosités qui nous sont propres ; ce petit bout de monde que nous avons créé progressivement, en collectionnant, accumulant, assemblant. Ainsi, les plantes, les livres, les tableaux, les photographies, orientent inconsciemment notre acte de création.
Paysages imaginaires Le paysage diffère de la Nature en ce sens qu’il est un produit de l’art : il résulte d’un processus d’artialisation et renvoie à une approche différente 1 Gaëtane Lamarche-Vadel, Jardins secrets de la Renaissance : des astres, des simples et des prodiges, Paris, Édition L’harmat,1997, p.148.
selon la culture, la philosophie, le mode de vie, l’époque. Les jardins sont donc eux aussi liés à une représentation picturale qui en génère elle-même la conception et la forme. Pour ainsi dire, «le paysage en tant que tel n’existe que dans l’oeil du spectateur»2. Le jardin contemporain connaît aujourd’hui des spatialités et des types de plus en plus variés. L’évolution des perceptions du paysage et des jardins offre aujourd’hui un riche héritage de possibilités, ainsi que de multiples matérialisations contemporaines. Mon «Jardin Secret évoque un lieu, un imaginaire très personnel, inaccessible, soigneusement dissimulé aux regards. Les premières notions qui me sont apparues sont les suivantes : capharnaüm, cocon/nid, expérimentation, couleurs, multiplicité, labyrinthe, inventivité, infinité, créativité, hors-temps. Je me suis ensuite questionnée quant à la vision iconographique de ce qu’il pouvait être et me suis aperçue qu’il s’agissait de références liées au domaine du rêve, du fantastique et de l’enfance. Pour moi, le jardin secret s’apparente à un jardin rêvé. Il s’agissait donc de «donner forme» aux curiosités que j’avais en tête, amassées çà et là au fil du temps. Impalpable, appartenant au domaine de l’imaginaire, on y trouve une florescence de connaissances, enfouies depuis l’enfance : on effectue un ravitaillement incessant de ce jardin secret (ressources, enseignements, expériences personnelles, vécu, histoire …). Mon jardin secret/ rêvé est donc un domaine réservé aux sentiments et aux pensées intimes. Son espace n’a pas de limite, tout y est infini. La peinture rendra donc visible l’invisible de ce jardin secret3. En ouvrant ma malle, une large palette de bleu est disponible : bleu primaire, bleu de céruléum, bleu nuit, bleu de cobalt, bleu outremer foncé, bleu phthalocyanine, cyan primaire, violet pourpre clair, ainsi qu’une petite gamme allant du rouge de cadmium foncé au jaune de cadmium moyen en passant par des teintes orangées. Lorsque je commence la peinture, je ressens une atmosphère particulière, qui me transporte ailleurs. «Quand je suis dans ma peinture, je ne me rends plus compte de ce que je suis en train de faire … La peinture a une vie en soi, et c’est cette vie que je cherche à faire ressortir»4. Il y est question de rythme, de processus dans lequel je me fais discrète
2 Frédéric Schlegel, Le projet comme dispositif de vision du paysage ; Intervention à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, 2008. 3 Paul Klee, «Credo du créateur» (1920), dans Théorie de l’art moderne, Paris, Édition P.-H. Gonthier, Gallimard, 1964, p.34.. 4 Jackson Pollock, « My painting », Possibilities, New-York, n°1,194748, hiver, p.22
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Protocole Selon les tableaux, j’ai rencontré diverses résistances, provenant soit de l’image trop floue dans ma tête soit d’une difficulté à la projeter sur la toile, ou encore d’un souci de couleurs. Je me suis aperçue à plusieurs reprises que je maîtrisais davantage les nuances de bleu et que le résultat ne me convenait pas lorsque j’essayais de varier ces couleurs. J’ai rencontré également la difficulté de donner une texture aux éléments composant la toile, de les rendre palpables, de donner l’envie aux spectateurs de s’immerger dans cet univers, de pouvoir le ressentir, d’avoir envie de le parcourir, de le découvrir. Les accidents de surface m’ont souvent permis de débloquer l’acte de création, car ils sont survenus à des moments où je stagnais, où je semblais ne pas savoir comment poursuivre la toile, perdue, insatisfaite, ou dans l’incapacité de matérialiser l’image au fond de moi. Ces accidents ont permis de libérer d’autres paysages enfouis, qui ne m’étaient pas venus à l’esprit en premier lieu et de composer un nouveau paysage. Il s’agit d’un processus qui se négocie constamment : entre la volonté d’une image, les accidents, la matière déposée, etc... La toile se termine lorsque l’image s’apparente à l’esprit, l’ambiance, l’atmosphère que j’avais au commencement. Même si le travail final n’est jamais parfaitement fidèle à l’image initiale, la cohérence 5 Patrizia Ingallina, «Le projet urbain», Collection : Que saisje, Éditeur : P.U.F , 2008, [ en ligne ] : http://urbanisme.u-pec. fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1259766104448.
entre les couleurs, les formes, l’ambiance et les négociations sont l’expression la plus juste de ce jardin secret, dont la principale qualité est d’être vivant.
premières impressions Les trois peintures qui suivent (pp.119-123) représentent une atmosphère nocturne ou floue, comme du brouillard. La nuit signifie pour moi un moment calme, avec peu d’activités humaines, où l’on ressent plus intensément ce qui nous entoure. Le fait que l’on perçoive les étoiles témoigne d’une pureté, et du soleil du lendemain. L’élaboration de ces peintures m’a permis de me questionner sur ce qu’était mon jardin secret: comment s’était-il développé en moi et comment pouvait-il prendre forme, se matérialiser ou tout du moins être partiellement visualisable. L’acte de création permet de dévoiler tous les paysages, même ceux qui paraissent les plus anodins comme le montre « La grande touffe d’herbe »6, qui témoigne encore aujourd’hui d’une curiosité et d’une virtuosité d’ordre mondial. Cet aspect du paysage et du quotidien fut davantage développé par les impressionnistes. Par la suite, afin d’expliciter le processus de réalisation, j’ai utilisé la photographie de manière à illustrer les étapes des différentes peintures qui ont suivi (ajout d’un élément clé, changements de couleurs, de 113 l’ambiance…). Cette chronophotographie (p.124, 126, 127, 130, 131) témoigne des étapes majeures de la peinture. « C’est considérer l’œuvre non pas seulement comme résultat mais comme ensemble des opérations qui y ont abouti »7.
Impressions globales L’ensemble de ces peintures pourrait être divisé en deux séries : la première avec un aspect plus pictural (pointillisme, cloisonisme), et la seconde par couleurs appliquées en petites touches, juxtaposées ou fondues entre elles : à la manière des impressionnistes. Les couleurs ne sont pas mélangées mais posées sur la toile en tant que telles : la fragmentation des teintes permet de mieux restituer les vibrations de la lumière. Toutes ces peintures sont dessinées par et avec la couleur. La sensibilité est retranscrite au niveau de la trace et essaye de privilégier le sentiment pour accéder 6 Albrecht Dûrer, « La grande touffe d’herbe » 1503, Aquarelle et gouache, 41 X 31,5 cm, Musée Albertina, Vienne. 7 Catherine Rudent, L’album de chansons: entre processus social et oeuvre musicale : Juliette Greco, Mademoiselle K, Bruno Joubrel, Volume 42 de Musique, musicologie, Paris, Honore Champion Editeur, 2011, p.64.
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et je laisse la place à l’expression de mes curiosités, que parfois je découvre au fur et à mesure. «La peinture est un monument par ce qu’elle témoigne symboliquement du récit esthétique que l’artiste a construit et reconstruit. L’œuvre dans le paysage fait donc aussi du paysage un monument, une fenêtre ouverte vers notre intériorité»5. La peinture permet donc au regard d’exister, elle permet au jardin secret de devenir regardable et éprouvable. J’ai la plupart du temps une idée plus ou moins exacte de ce que je veux représenter ou essayer de faire ressentir mais celle-ci évolue selon mon avancement dans le processus de peinture : le résultat final n’est jamais l’image ou l’ambiance exacte de ce que j’avais en tête au départ. Lorsque les idées s’évanouissent ou sont confuses, je parcours une banque d’images récoltées depuis plusieurs années. Elles ont une place privilégiée dans mon cabinet de curiosités. J’ai donc commencé une série de trois peintures ayant une dimension spatiale afin de poser les jalons de ce qui allait suivre. Toutes seraient plus tard peintes à l’acrylique sur des formats relativement grands me permettant des gestes plus amples et plus intérieurs.
au sublime. La visibilité du processus témoigne du geste : les touches remplissent la forme avec des cernes visibles, et traduisent la transcription directe d’émotions, de subjectivité. «Le sentiment de l’artiste lui tient lieu de règle»8. Les contours sont définis par la couleur ; il n’y a pas de contours nets, ceux-ci sont parfois flous et permettent de dématérialiser la forme. Le spectateur doit contempler l’œuvre passivement et essayer de recevoir ce qu’elle a à offrir. Celle-ci a pour rôle de restituer une émotion : les sensations visuelles entraînent des émotions visuelles qui génèrent à leur tour des émotions mentales, et font alors sens. Comme Kandinsky l’évoquait, il s’agit ici d’une volonté de traduire une dimension mystique et une dimension lyrique de la couleur mais également de traduire de façon expressive l’émotion que peut susciter la vision d’un paysage : «Il s’agit de traduire un sentiment intérieur»9.
L’acte de création
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L’acte de création se définit selon plusieurs actions négociant conscience, inconscience et intention. L’esthétique de l’intention se définit par le fait que tout ce qui est sur le tableau a été intentionnellement voulu, préparé, pensé par l’artiste puis réalisé. S’opposant à cette manière de créer, on relève le «partir du faire» qui est l’action du peintre. Celui-ci par «du faire», c’est à dire de l’action de peindre, puis découvre ce qu’il veut faire en le faisant et non pas en l’ayant préalablement pensé ; il s’agit donc ici d’effectuer un travail de décryptage des gestes, des repentirs, des luttes et résistances. Edouard Manet procédait par exemple à la réalisation de ses tableaux en découvrant ce qu’il peignait progressivement. Il utilisait divers procédés permettant de modifier l’aspect et la finalité de sa toile témoignant de son processus de travail (découpage, collage, recadrage, répétition de certains motifs sur différentes toiles, surpression d’éléments…). Il s’agit d’un procédé instinctif, sincère n’obligeant pas de processus intellectuel : l’impressionnisme permet de regarder la réalité matérielle avec des yeux surnaturels, de transfigurer un paysage, un quotidien en scène de rêve. La vision de l’artiste sur le monde évolue tout au long de sa vie : sa peinture est en évolution continuelle. 8 Serge BRIFFAUD, Naissance d’un paysage. la montagne pyrénéenne à la croisée des regards, XVIe-XIXe siècles, (Citation de Caspar David Friedrich (1774-1840)), Tarbes/Toulouse, Archives de Hautes-Pyrénées / Université de Toulouse, 1994, 622 p. 230. 9 Nathalie Arcand, Évolution parallèle et convergence : le langage esthétique de l’abstraction dans les aveugles de M. Maeterlinck et dans du spirituel dans l’art de Wassily Kandinsky, (citation de Wassily Kandinsky), 2009, [en ligne] : http://brock.scholarsportal.info/journals/voixplurielles/article/viewFile/456/429
Par exemple, Matisse, dont la peinture était déjà initialement inspirée de l’Orient, a vu, lors d’un de ses voyages à Tanger en 1912, une confirmation de ses intuitions, à la fois projection de ses désirs et de ses influences, en une véritable appropriation d’une lumière nouvelle, de formes et de couleurs inédites dans leur organisation. Parallèlement, d’autres artistes commencent à exprimer des sensations, des vibrations et des formes par le mouvement. Paul Klee pose comme principe de base l’acte de peindre qui implique le mouvement physique de l’artiste. Dans cette importance du geste, du lien avec le corps et de cette temporalité, on peut également citer le travail de Yves Klein, et principalement «L’anthropométrie de l’époque bleue» qui dévoile le rôle dans lequel la peinture joue un rôle de stabilisation du temps et de la matière picturale. Ses performance s’attachent à plusieurs domaines des arts en les associant les uns aux autres de telle sorte qu’ils commémorent la fragilité d’un «état-moment» (Terme de Pierre Restany, critique d’art français ; 1930-2003) pour nommer ce que Yves Klein désignait comme «la technique des pinceaux vivants») en immortalisant l’empreinte du corps sur la toile. L’instant présent est privilégié : musique, emprunte, public, films afin d’immortaliser l’acte en lui même d’une valeur immatérielle de l’instant vécu dont il ne restera que des preuves formelles. «L’œil artistique n’est pas un œil passif mais un œil constructif qui rehausse la beauté des choses»10. La tentative du bleu, l’impossibilité de ciels orange, une série de peintures entamée pour donner une forme à mon jardin secret mais que je ne parviens pas à clôturer, sont les signes insoupçonnés d’une obsession latente. Avoir permis de «former» ce jardin secret ouvre aujourd’hui des futurs possibles : continuer à l’entretenir, ne pas stopper l’accumulation, laisser croître les paysages et prendre le temps, parfois, lorsque j’en aurai besoin, de les figurer.
10 Raffaele Milani, Gilles Tiberghien, «Eshétiques et paysages», Actes Sud Nature, Hors-collection, janvier 2005.
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RÉFÉRENCES ICONOGRAPHIQUES
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INVERSION
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La première représentation (l’arbre en patchwork), se voulait être un arbre portant des nuances colorées sortant d’une représentation conforme au vécu : je voulais que les couleurs soient vives et que cet arbre ne puisse pas se trouver dans notre univers réel. J’ai peint dans un premier temps, la forme globale de l’arbre : la superficie occupée par les branchages est égale à la superficie occupée par le système racinaire. J’ai donc peint la totalité de la surface avec des couleurs vives et diluées afin de créer également des coulures aléatoires et non contrôlées permettant de donner une forme plus dynamique à l’ensemble de l’arbre. Comme on peut le voir sur le résultat final, ces coulures sont aujourd’hui de bas en haut : j’ai retourné le format car la forme me plaisait mieux dans un sens inversé (le haut et le bas n’étaient pas définis initialement). Cependant, le mélange des nuances colorées ne correspondait pas à l’image que j’avais en tête initialement : je voulais quelque chose de dynamique et de coloré. J’ai donc eu l’idée de peindre les branches à la manière d’un patchwork rappelant les oeuvres de Yarn Bombing et de Suzanne Tidwell, en cernant les contours des nuances colorées pour qu’elles aient davantage d’impact visuel. Face à ce remplissage massif de la forme, le fond semblait délaissé. J’ai donc réalisé un remplissage à la bombe, passant également devant le tronc afin de créer une brume bleue, emplissant ce lieu imaginaire de mystère.
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PARADOXE ET MATIÈRE
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Cette représentation était sans doute la peinture que j’ai fini le plus rapidement. Initialement, l’idée était d’avoir un arbre isolé avec une prégnance visuelle importante, situé dans une prairie, à proximité d’un chemin. Le résultat final de la peinture n’a pas énormément varié de l’idée que j’avais en tête hormis le chemin qui s’est progressivement transformé en ruisseau : je n’arrivais pas à donner une texture et une perspective qui permettaient de comprendre qu’il s’agissait d’un chemin. J’ai ensuite flouté l’horizon afin de maintenir un mystère au delà de la prairie vallonnée et de donner au spectateur l’envie de découvrir et d’imaginer ce qui se cache au delà.
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FRONTALITE PERSPECTIVISTE
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Cette peinture m’a été inspirée par le lumineux travail artistique de Nabana No Sato. Représentant des collines bleues masquant un possible paysage en arrière plan. Leur relief est souligné par des amas de points bleus qui vont en se raréfiant plus l’on s’éloigne de la ligne de crête. Tout comme les deux premières peintures, l’horizon n’est pas visible et permet d’imaginer ce qu’il se passe derrière ces collines illuminées. La première difficulté rencontrée fut la profusion des points bleus à allier avec l’illusion de profondeur : sur les «lignes de crêtes», les points se devaient d’être agglomérés et de petites tailles ; plus l’on s’éloignait de cette ligne de crête, plus les points devaient êtres larges et espacés. J’avais l’intention de tout faire au pinceau fin et d’élargir mon mouvement au fur et à mesure. La deuxième difficulté rencontrée était le traitement du ciel. N’ayant réalisé que des ciels bleus, je voulais tenter d’en réaliser un dans les nuances orangé/ rouge. Cependant, la première couche que j’avais réalisée à la gouache afin d’éviter les reflets sur les collines s’est avérée non-compatible avec les nombreuses couches d’acrylique que j’ai pu par la suite décoller comme du film étirable. J’ai donc ensuite procédé à l’application d’une seule couche d’acrylique bleu nuit la plus fine possible afin qu’elle se fonde avec celle de la gouache noire.
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SOUVENIR FLOU Image initiale : bribe de souvenir du film « Le magicien d’Oz » de Victor Fleming sorti en 1939. Dessin du chemin jaune, fil conducteur du film, fil directeur de la peinture.
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Première étape : donner une texture au chemin : créer un équilibre entre la texture de la prairie et celle du chemin. En fait non, le chemin prend une prégnance visuelle trop importante et semble «posé» ou «collé» sur le fond. Je mets de côté cet aspect du chemin, pour l’instant, ce qui me perturbe c’est cet horizon trop central
Comment créer davantage de profondeur?
Créer un point d’appel à l’horizon, un point plus clair. Je veux que l’on ressente la continuité du chemin allant au delà des collines, que l’on ressente une profondeur dans la peinture. L’ajout d’un ciel étoilé permettra d’illuminer l’ensemble de la peinture ... ... sauf que la lune semble posée sur le fond. Aucun halo de lumière n’émane de la lune. « J’efface les étoiles » afin de créer un dégradé produisant ce halo. Je dois maintenant donner une texture au chemin, qui donne envie de l’arpenter, de pénétrer à l’intérieur du tableau ... ... puis, je redessine un ciel étoilé. Afin de faire dialoguer davantage le paysage et le chemin, j’ajoute des nuances de bleu sur le jaune, ajoutant ainsi du relief au chemin.
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ACCIDENT ET ADAPTATION
Image initiale : désert de sel avec un arbre mort au tronc remarquable et noueux et à l’horizon non perceptible. Première impression : le désert de sel est difficilement matérialisable ! Il s’agit aussi de ma première tentative de fond dans les tons orangés. Je trouve cependant le contraste trop fort entre le ciel et la terre.
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Je tente donc, dans un premier temps, d’atténuer la limite trop franche entre le ciel et la terre. Je me demande comment je vais réussir à matérialiser ce désert de sel ... Ne sachant comment donner forme au désert, je commence à peindre les premières branches de l’arbre, le support tombe du chevalet. Voulant le retenir hâtivement, je le bloque avec mon poing, créant une traînée de peinture vers le bas du support. La trace et la branche de l’arbre m’évoque un arbre dans un marécage sur lequel se développe des mousses et des plantes épiphytes. Cet accident de surface me débloque, tout compte fait. La vocation initiale de la représentation a donc changé totalement de manière paradoxale. Je me dois maintenant d’atténuer la prégnance du ciel pour plus de cohérence avec l’ambiance de l’idée initiale.
L’ensemble de la peinture manque d’éléments signifiant la profondeur.
J’ajoute un deuxième élément qui invite à continuer de suggérer les vestiges d’une forêt, à davantage montrer l’ambiance de ce marais.
Je peins ensuite les reflets dans l’eau, pour donner l’illusion d’une eau stagnante.
Les reflets des vestiges d’arbres étant trop perceptibles et brouillant la compréhension de l’image, je les atténue afin de permettre une meilleure lisibilité de l’image.
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La peinture semble maintenant déséquilibrée, je dessine donc différents éléments permettant d’établir une profondeur, puis floute les contours et les limites afin de préserver la notion de mystère et d’infini.
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INACTION ET TEMPORALITÉ Image initiale : une forêt aux troncs noueux. J’avais en tête l’image de la forêt des Kodamas (Sylvains en Français ou encore Esprits de la forêts). Il faudrait que j’ajoute des arbres afin d’exprimer une densité, une forêt impénétrable.
Je dessine encore davantage d’arbres en fond...
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... qui, en fait brouillent davantage la lisibilité de l’image.
Je décide donc de «flouter» le fond en posant une couche de «gomme réserve» sur le premier plan, puis bombe l’arrière plan. Mais ce procédé révèle en fait d’autant plus le dernier plan
Il est difficile de trouver un équilibre entre les différents plans (savoir ce que je dois davantage révéler, davantage cacher entre les arbres du premier plan et du second plan et le ciel).
Je décide donc de bomber l’ensemble de l’arrière plan, afin de lui donner une homogénéité révélant toutefois les arbres du dernier plan.
Il m’est impossible de trouver de quelle manière communiquer l’aspect vaporeux, les éléments volatiles que je voulais exprimer initialement.
Je voulais dès le départ inclure des éléments volatiles signifiant des choses dynamiques et vivantes mais je ne savais pas comment l’exprimer. Après plusieurs jours de réflexion j’ai eu l’idée de courants de pollens (évoquant la vie, la nature) tourbillonnant autour des troncs et des branches.
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Voulant des arbres tortueux, et n’étant équipée que de bleus, la forêt que je voulais pleine de vie s’est au final vue devenir une forêt aux troncs tortueux évoquant une forêt morte.
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ILLUSTRATIONS DES ACTIONS QUOTIDIENNES
promenade, déambulation et flânerie
retour social
rêverie
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inspiration livresque
inspiration idiote
vider sa tête, remplir son ventre
se vider la tête
rencontres et échanges
PARALLÈLES AU PROCESSUS DE CRÉATION
inspiration cinéphile
inspiration sur la toile / retranscription de la pensée
échanger
rêvasser, songer
se reprendre en main
capharnaüm, fin de la peinture
carnage peinturluresque
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Statue cherche jardin // Helena Le Gal
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Statue cherche jardin // Helena Le Gal
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Statue cherche jardin
Helena Le Gal
CI DESSUS : cadavre exquis #05, «Le souffle gémit». PAGE DE DROITE : motif #05, «Le Loup».
Statue cherche jardin // Helena Le Gal
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BACKSTAGE #05 «Si Helena, faut que je te peigne toutes les oreilles !» «Ca y est Super Statue, t’as mis ton costume ? Héhé.» «Aaah, t’as grave les dents jaunes !» «Mais c’est pas des habits pour faire des trucs sexuels ça normalement ?»
des membres de l’équipe du séminaire lors d’une après-midi passée à faire les photographies de groupe à la Caserne Niel avant de partir faire celles d’Helena Migonitis au Jardin Botanique de Bordeaux
Statue cherche jardin // Helena Le Gal
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Avant-propos
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A priori je n’ai pas de jardin. Chercher à raconter celui qui m’est secret revient donc à le chercher tout court. Je suppose qu’il a à voir avec des lieux et des moments, avec ce qui me construit discrètement, comme un arrière plan confidentiel de mon existence quotidienne. En presque cinq ans d’études dans le domaine du paysage, je n’ai pu faire l’expérience du projet de jardin qu’en dehors des murs de l’école, pendant un stage. Il s’est agi de produire plusieurs esquisses pour différents commanditaires privés. Une fois son courage pris à deux mains face à cette angoisse de la première fois, et les premiers coups de crayons posés sur le calque, la composition des lieux vient de manière plutôt facile. On s’amuse à s’accrocher aux bâtis de la maison, à travailler les circulations, les expositions et les ombres, les espaces d’agrément, à spatialiser les collections végétales, jouant avec les odeurs, couleurs, masses, les recouvrements, les vertus nourricières ou médicinales… Bref, autant de potentialités à travailler, entre l’art de l’esthétique, de l’écologie, de l’ambiance et du fonctionnalisme. Mais, non satisfaite de mes quelques productions, je restais frustrée par ma démarche et ses accomplissements et convaincue qu’il manquait une pièce à mes puzzles. Je crois que l’art du jardin nécessite une autre approche, qui se trouve dure à employer pour un projet destiné à quelqu’un d’autre qu’à soi-même: une approche psychologique, voire autoréflexive. Le jardin est historiquement affaire de mimétique. D’abord objet du fantasme paradisiaque religieux, le jardin ou locus amoenus, est l’incarnation terrestre de la nature divine, parfaite, et idéale. Ensuite motif fondamental de l’histoire de l’art, le jardin apparaît comme une nature inspirée de la mimesis, œuvre représentant une imitation du monde qui obéit à certaines conventions créatrices. Enfin terrain d’émerveillement scientifique et sensitif constant, le jardin est le lieu de l’exploration des arcanes de la nature et d’expression de sa prodigiosité (transcrite par l’inventivité humaine). Ces trois natures de jardin, qui miment des relations idéales entre la Nature et l’Homme, ne semblent pas permettre l’expression d’une situation plus intime, et surtout non codée, centrée sur un homme avec petit h. Le jardin est lourd de sens, d’histoires, d’enjeux et de représentations. Il est difficile de se détacher de tout cet héritage pour re-faire jardin, d’une manière contemporaine, profonde et en réelle adéquation entre un humain,
un espace, et les intimités existantes entre les deux. Il faudrait pour bien faire que le jardin, au-delà d’un lieu de mime, soit un lieu de confidence et d’expression de ces confidences. Il faudrait pour bien faire, que le paysagiste soit aussi psychologue. Dans ce contexte, la première solution est, comme ce séminaire nous le propose, de faire soi-même son propre jardin, en tant que paysagiste mais aussi en tant que simple mortel. Merveilleux cumul de mandats, qui permet la formulation d’une équation mobilisant ses propres secrets (son autointrospection / auto-psychanalyse) et ses propres réponses de concepteur.
entre avant, après et maintenant, où prennent formes des femmes de marbre qui ont le même visage, le mien, mais pas le même nom, ni la même forme, ni la même place, ni la même taille, ni la même posture…
«Nous avons écrit l’Anti-Œdipe à deux. Comme chacun de nous était plusieurs, ça faisait déjà beaucoup de monde.» G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2 (Mille plateaux, Editions de Minuit, 1980).
Préambule
En octobre, je tombe amoureuse. Mon corps, ma pensée, mon affect sont tous en émoi, dynamités par ce tout nouveau sentiment qui m’était encore obscure jusqu’ici. Je me découvre émotionnelle, érotique et charnelle. Mon jardin secret apparaît alors dans mon bas-ventre, comme celui d’un espace de plaisirs, joli, d’expressions libertines, de célébrations du corps, de corps, libres, libidineux, genrés. Pendant plusieurs mois, il se compose de tout ce que ma boulimie affective a le temps de se mettre sous la dent. En décembre, je suis à plat. Mes émotions se transforment, s’effritent, je doute. Mon jardin explose dans ma tête et devient une sorte de tableau de Dali, un horizon désertique où planent dans l’air quelques hésitations molles, soutenues ou non par des béquilles fragiles. En janvier, je suis alitée. Mon corps m’immobilise de force parmi toutes ces questions suspendues qui appellent sans cesse de nouvelles questions suspendues. Mon jardin est tout flou. Son indicibilité pèse douloureusement, jusqu’à bouleverser mon équilibre en un point stratégique situé au bas de ma colonne, bien planté entre mon sacrum et mon coccyx. Tout se mélange, le sol, le sous-sol, le ciel, l’horizon, de sorte à devenir un espace des plus chaotiques, anxiogènes, pénibles. Pour m’échapper de cette prise en otage, je dois remettre mon jardin en ordre. Je prends mon courage à deux mains. J’attrape chacun des éléments en flottaison, le dissèque et le sculpte pour lui donner un nom, une forme, une place, une taille, une posture. Au fil des jours et de l’avancement de mon travail, je vois se dessiner des sortes de statues. Mon jardin est une matrice blanche, où le temps est lâche et divague
Ce jardin est celui du «Qui suis-je ?» et celui du «Je suis plusieurs». Nous nous cherchons.
Une statue et un jardin, c’est toujours un peu secret. Que ce soit en public ou en privé, la relation entre les deux est pleine de mystère. Trouvant des échos dans diverses formes de représentation, comme la peinture, le dessin, la littérature ou le théâtre, la sculpture a la qualité de décliner les figures allégoriques de manière à les faire exister réellement dans l’espace, en trois dimensions, à échelle humaine. En se promenant au jardin, on peut alors croiser Vénus, lui parler, la toucher. Il faudrait lui demander ce qu’elle fait là. Cherche-telle son époux, Vulcain ? Ou le frère de ce dernier, Mars, qui se trouve être son amant ? Nous appellet-elle tout simplement à l’amour en général, chose à 141 laquelle sa divinité rend hommage ? À l’amour dans ce lieu précis ? Nous interroge-t-elle sur l’idée de beauté, sur le pourquoi de la séduction ? Ou est-elle là pour faire joli ? Pour signifier la puissance de son propriétaire ? Pour sacraliser le lieu ? Pour le flâneur, autant de questions sans réponse, autant de réponses secrètes. Et finalement, aujourd’hui, autant de mythes sur Vénus, que de flâneurs dans ce jardin. Afin d’éclairer en parallèle cette grande question mystérieuse et ma propre démarche (intuitive), plusieurs causes sont à expliciter : celle de la statue au jardin à travers un retour historique, celle du jardin, celui-ci même qui fait appel à la statuaire pour se définir comme tel, celle du jardinier, avec ses outils et ses aspirations, celle de la femme, mystifiée, statufiée, ainsi que celle de l’autoportraitiste, qui (se) cherche. Statue cherche jardin // Helena Le Gal
Courte rétrospective
Va pour ce nouveau jardin, qui je le comprends calmement, est l’ébauche d’un jardin sans fin, celui de la simple, ésotérique et éternelle introspection.
CI DESSUS : cadavre exquis #03, «L’été à l’étang». PAGE DE DROITE : motif #03, «Les Framboises».
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BACKSTAGE #03 « Ah, c’est pour ton machin secret ?»
la voisine, croisée dans ma cage d’escalier lors de la photographie d’Helena Trutinae
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La statue qui était au jardin La statuaire de l’Antiquité est bien sûr celle de la mythologie religieuse, mais aussi celle du culte des divinités familiales (figures des ancêtres). Là où jardiner est un métier d’esclave, sculpter est un métier d’artiste. Aux villas, les statues sont donc des œuvres d’art, ornant les atriums et surtout les jardins, qu’elles investissent comme un musée à ciel ouvert. Bien sûr, le choix d’exposer telle divinité plutôt que telle autre dénote des valeurs, portées par les propriétaires, qui préfèreront Bacchus à Phébus par exemple. Mais cette collection d’art sert avant tout aux propriétaires à signer leur urbanité et leur classe sociale. Elle n’est que très rarement, dans les milieux plus modestes, le support de réelles représentations de protection ou de preuve d’allégeance à la religion. La statue et le jardin, avec ce phénomène de jardinmusée, et les mythes qu’ils supportent, sont donc des espaces culturels à enjeux sociopolitiques.
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Après l’absence des statues au jardin caractérisant le Moyen-Age, ce sont les jardins des Temps Modernes qui, par hommage aux temps antiques, réintègrent quantitativement la statuaire dans leur composition. Dans le processus de conception, elle apparaît même comme un élément fondamental du jardin : c’est un élément symbolique et structurant, presque architectural, venant marquer les points forts comme les entrées, venant sublimer le cœur d’une perspective ou d’une symétrique, ou venant orner un croisement, une fabrique ou un point de vue important. L’architecture, le parc et la statuaire forment alors un triptyque où l’un est toujours agencé en fonction des autres. Les paysagistes peuvent donc faire jardin autour d’une statue déjà réalisée, comme programmer une statue en fonction d’un jardin imaginé ou en cours de fabrication. Tantôt c’est la composition et le symbolisme du lieu qui réclament la présence de la sculpture, tantôt c’est la sculpture qui impose un dessin au jardin. Pour ce qui est de la charge narrative, du jardinrenaissance à l’italienne au jardin à la française et à l’anglaise, en passant par les jardins maniéristes, symboliques, toscans, anglo-chinois, baroques et classiques, on peut voir revenir le cortège des célébrités mythologiques, qu’on devine présent pour flatter les propriétaires et assujettir ses visiteurs à différents cultes (plus ou moins sages). L’ensemble de Versailles par exemple, illustre un programme iconographique qui renvoie partout au mythe d’Apollon et au soleil, emblème du dieu usurpé par le roi. Le programme sculpté des jardins peut, en plus de faire référence au passé, inclure des figures du présent. Ainsi, dans le jardin de Pratolino par exemple, à Florence, la villa prend place entre deux parcs : au nord, le parc des Anciens, avec des représentations
de Jupiter, Cupidon, Pan, et du colosse de l’Apennin, et au sud en contrebas, celui des Modernes, doté de sculptures d’un paysan versant de l’eau, d’un petit garçon hilare, et d’une modeste lavandière. La statuaire supporte donc un discours sur la beauté de l’ordre naturel, sur la sagesse des Anciens, mais aussi un hommage au pittoresque; elle doit émerveiller son spectateur. Elle participe au parc comme célébration de l’inventivité humaine : les jets d’eau stupéfient, les volées d’escaliers impressionnent, les tailles végétales divertissent, les statues/automates étonnent, émotionnent et commandent les représentations idéales de l’homme. Que ce soit dans l’enceinte onirique et confidentielle du jardin humaniste à l’italienne, ou dans le faste ostentatoire du jardin des merveilles (jardin classique français et jardin baroque italien), la statuaire de la Renaissance concoure au théâtre de l’artifice et de la mise en scène. Après ces jardins domaniaux, destinés aux plaisirs des seuls propriétaires ou à ceux de foules invitées dans des contextes festifs, on voit au XIXè émerger de nouveaux jardins modernes : les parcs urbains. C’est la conjoncture d’une dynamique de transformation urbanistique qui induit cette naissance du parc-jardin, lieu résolvant des soucis de composition urbaine et de contrôle sociopolitique. Qu’ils soient néoclassiques (mimant les manières académiques grecques ou italiennes de l’Antiquité ou de la Renaissance), ou romantiques (mimant les caractères plus sauvage et pittoresque du style anglais), ces lieux continuent à présenter le même registre de statuaires, mythologiques, pittoresques et animalières. C’est la plastique romantique qui bouleversera le plus les styles des périodes précédentes, par sa sculpture plus réaliste, ses nouveaux thèmes plus lyriques et émotionnels ainsi que son goût pour le mouvement et les masses animées (qui s’oppose au modelé lisse traditionnel). Les parcs deviennent aussi le support, via les sculptures, d’un récit commémoratif incarné par des figures célèbres, politiques et militaires, mais aussi artistiques et scientifiques. Le Jardin Public de Bordeaux1 par exemple, se compose d’une quantité assez remarquable de statues, majoritairement réalisées au début du XXè siècle. On y trouve entre autres quelques allégories mythologiques, comme Vénus, Junon, Calliope et Diane, La Peinture et la Sculpture ou encore Jeunesse et Chimère de Pierre Granet; un Berger jouant de la flûte, comme trace du goût pour le champêtre; et des hommages à certains personnages illustres du territoire comme les écrivains François Mauriac (par Ossip Zadkine), et Fernand Lafargue (par J. Rispal), le peintre lithographe Carles Vernet, la peintre 1 Parc commandé par l’intendant Tourny en 1746 et dessiné par J. A. Gabriel, puis réaménagé en 1856 par L. B. Fischer sous mission du conseil municipal.
animalière Rosa Bonheur (par Gaston Leroux), le poète Léon Valade, le fondateur de l’oenologie bordelaise Ulysse Gayon, l’inventeur de la bouillie bordelaise Alexis Millardet, ou encore le sculpteur Domenico Maggesi, oeuvre inaugurée en 2006. Ces parcs ont effectivement la caractéristique de témoigner des styles de plusieurs époques, puisqu’ils évoluent en parallèle de la ville alentours; ils collectionnent donc à l’heure d’aujourd’hui des statues datant de la Révolution Française jusqu’à des créations très contemporaines. Le vocabulaire du jardin devient celui du parc de ville, et ses statues, à l’intérieur comme à l’extérieur des grilles, deviennent des repères urbains, des choses publiques.
autre forme de statuaire au jardin privé, qu’est celle de l’épouvantail, objet présent en milieux rural depuis des siècles.
Au-delà de la démocratisation des lieux, le XIXè a permis celle d’une réelle culture du jardin, via l’émergence d’expositions et de publications de revues et magazines sur ce thème. Les secrets techniques ainsi que les progrès de l’innovation et de la conception ont donc dépassé l’espace des propriétés de riches et l’échelle de la ville pour venir gagner celui du jardin privé, celui du tout un chacun. Même si le jardin privé est alors bien plus petit que le jardin d’autrefois (celui des villas ou domaines), il se voit influencé de l’éclectisme de l’époque et utilise un grand nombre des principes de conception venant d’autres temps dans le domaine des vues, de la circulation, des couleurs, de la forme, etc. Les hôtels particuliers modestes se mettent à réarborer une allée surélevée en guise de terrasse, décorée d’urnes et de statues. Ces ornements souvent trop imposants et plus ou moins à la mode, font alors l’objet de nombreux débats pour tenter de définir ce qui est ou non de bon goût. Peu d’ouvrages renseignent sur la nature des jardins privés modestes. Si apparemment certains hôtels renfermaient quelques statues, il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse de leurs forme et place au jardin. Les jardins ouvriers2, ces lopins de terres prêtés à des paysans reconvertis (suite aux exodes ruraux et à l’industrialisation), permettent de lutter contre la misère pour que les pères de familles puissent améliorer leurs ressources alimentaires et se détournent par la même occasion de la fréquentation des bistrots (où sévissent alcoolisme et climat contestataire). Si le jardinage concernant ces terrains est alors d’ordre vivrier, il est aussi, pour la partie devant la maison, d’ordre horticole, ce qui laisse supposer la présence d’ornements construits tels que peut-être quelques statues. Puisque le champ gagne alors l’espace du jardin (le jardinier étant un paysan déchu), on peut aussi présumer de la présence d’une
La production industrielle de nains de jardin3 en céramique par exemple est apparue en Allemagne et en Suisse au XVIIIè siècle. Elle s’est vue développer dans les pays anglo-saxons dès 1847 par Sir Charles Isham, date à laquelle celui-ci rapporte 21 personnages en terre cuite d’un voyage en Allemagne, et les dispose comme ornement dans le jardin de sa maison. Les plus anciens véridiques nains de jardin, conçus par J. B. Fischer von Erlach sont en fait des statuettes en marbre datées de 1690. La statuaire et le jardin sont donc au cœur de dynamiques de démocratisation, voire de vulgarisation.
2 Parallèlement aux américains, les hommes d’église européens, notamment l’abbé Lemire à Hazebrouk qui fonde la Ligue du coin de terre et du foyer en 1896, ainsi que les gouvernants politiques, sont à l’origine de la naissance des jardins ouvriers.
Le XIXè voit également se développer une nouvelle culture qu’est celle du kitsch. Le concept apparaît en Bavière, sous le maniérisme de Louis II. Il est intimement lié à l’idée de l’inauthentique, de la surcharge et du mauvais goût. Désignant au départ une production artistique et industrielle d’objets bon marché, le concept est aujourd’hui indissociable de l’industrie de consommation de masse. Il désigne des objets quelque peu ingrats, agrémentés de décorations superflues, qui copient le plus souvent des œuvres reconnues comme des classiques.
3 Le concept de nain de jardin est apparu à la Renaissance : il viendrait de la figure légendaire de pygmées travaillant dans les mines de métaux de Cappadoce au XVe siècle ; les exploitants des mines auraient créé des statuettes en bois à leur effigie, avec bonnets rouges emplis de paille pour les protéger des éboulis, et vêtements de couleur vive pour être repérables sous terre, jouant un rôle protecteur contre les forces nuisibles du monde du dessous.
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Ces trois jardins, celui des grands domaines, celui des villes et celui des petits privés, perdurent depuis le XXè avec une révolution notable concernant la statuaire. Celle-ci existe encore sous sa forme classique et baroque dans les jardins, animalière et pittoresque également, commémorative aussi. Mais il faut noter des apparitions intéressantes, comme celle de figures abstraites, découlant des mouvements artistiques tels que le Bauhaus, DeStijl, l’expressionnisme ou le cubisme etc. Ces styles ont permis de revisiter les motifs ancestraux de la statuaire (personnages mythologiques, allégories, animaux) et de les traduire d’une manière contemporaine, de les détourner au profit d’un nouveau discours sur le réel et sur l’esthétisation des corps. Le corps statufié des femmes par exemple, s’il peut toujours faire référence à des Vénus ou autres idéaux de la féminité, sort des canons qui le codaient jusqu’alors pour parfois devenir exubérant, coloré, filiforme ou volumineux, déformé, festif, comme dans les œuvres de Niki de Saint Phalle. Les représentations ont aussi été bouleversées par
CI DESSUS : cadavre exquis #04, «Noyade perdue». PAGE DE DROITE : motif #04, «Les Méandres».
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BACKSTAGE #04 «Bonjour!» «Mais non c’est une dame j’te dis!» «Eh, on t’a roulée dans la farine ?» «Salut!» «C’est pas mal comme ça tout en blanc mademoiselle, ça te va bien hein!» «T’es malade mademoiselle ? T’es toute pâle!» «Eh c’est quoi là, c’est la nouvelle mode pour cet été là ? Tout en blanc même les cheveux ?» «Bonsoir.» «Eh salut Blanche Neige !» «Eh, tu poses pour des photos ? Eh ! Tu poses pour des photos là ?» «Allez, faut aller prendre une douche maintenant hein !» des hommes inconnus, croisés lors de la réalisation d’Helena Furens, dans les rues entre St Michel et les Capucins
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l’utilisation de nouveaux motifs, tirées de la nature et de la géométrie, de l’univers des objets, de celui onirique et fantasmagorique du surréalisme ou encore de celui de la machinerie. On peut donc voir éclore dans les parcs et les jardins des sculptures cubiques, des pots de fleur gigantesques, des volumes futuristes, ou encore des personnages fictifs. L’industrialisation a insufflé, surtout chez les privés, un phénomène de «décoration» du jardin par des objets sériels, comme les nains de jardins ou autres petits personnages fantastiques, et aussi comme des imitations de statues anciennes de style classique ou baroque (nymphes, angelots etc). Les échelles des créations sculpturales se sont vues décuplées, en lien avec l’évolution des matériaux notamment : parfois monumentales, dans l’espace public généralement, parfois miniaturisé, dans les jardins privés notamment. Et dans le cas des statues autres que néo-néoclassiques ou néo-néo-baroques, dans les œuvres très contemporaines, on peut assister à une disparition du socle4, élément de la statuaire historiquement constant. Les personnages gagnent ainsi un nouveau statut, qui se détache de l’objet exposé pour tendre vers l’œuvre in situ, qui dialogue avec son environnement et fait naître une véritable situation, entre les corps, l’espace et le temps. La statue apprait donc historiquement comme le sopport du récit de son époque, en cela qu’elle synthétise des lois : lois issues des cultes sacrés comme profanes, ou encore du culte du corps et de son esthétisation ; lois de l’espace, sur la hierarchie et la sémantqiue les lieux, et sur les rapports sociaux (entre voisins ou citoyens) et les classes sociales ; et enfin lois sur le rapport au réel, où l’effigie fabrique une confusion entre mythe et commémoration.
Le jardin qui cherchait une statue En se promenant au jardin, on peut alors croiser Vénus ou des nains de jardin, leur parler, les toucher. Mais a priori, ni Vénus ni les nains ne sont venus là tout seuls. En cherchant ainsi la présence d’allégories, le jardin appelle historiquement l’expression de mythes. Il cherche ainsi à faire sens par la présence de l’objet, porteur de récits épais, à insuffler dans l’espace une dimension narrative, venant donner du corps à la réalité. Il exprime alors des idéaux, des ambitions de prestiges, des émotions atemporelles… La statue est donc pour le jardin le passeur de ces fantasmes. 4 Cette absence du socle apparaît comme un des éléments de définition du Land Art selon Gilles Tiberghien, dans son ouvrage Land Art, Paris, Carré, 1995. Elle sera évoquée dans le contenu pictural de ce travail.
Or, il existe des statues sans jardin et des jardins sans statue. Et là où la statue appelle à la légende, le jardin peut lui aussi, sans elle, faire mythe. Les jardins des grands domaines ont de tout temps cherché à évoquer des lieux mythologiques autrement que par la seule statuaire. Ils deviennent comme des musées-miniatures, mais cette fois-ci en collectionnant des espaces et des édifices. La Villa Hadriana5 près de Rome en est un exemple fastueux : elle évoque sur 200 hectares les ouvrages et les sites qu’Hadrien a vus lors de ses nombreux voyages dans l’Empire romain, tels que l’Académie, le Prytanée, Canope, le Pécile etc. Finalement le voyageur, comme dans l’histoire des nains de jardins, apparaît comme l’émissaire du mythe des lieux. Dans la littérature aussi, le voyageur nourrit l’expression des espaces comme de légendes. Le roman d’Italo Calvino, Les Villes Invisibles6, raconte ainsi cinquante-cinq villes, à travers les descriptions de Marco Polo faites à l’empereur Kublai Khan, à travers des thèmes comme les villes et le désir, les villes effilées, les villes cachées, les villes et les morts, les villes continues … Chaque ville y est personnifiée en une femme et nommée d’un prénom féminin. Sous l’œil du poète et du flâneur, celui de Poe ou de Baudelaire7 par exemple, les affinités aux lieux participent elles aussi à la construction d’une mythologie, personnelle et ordinaire cette fois-ci. Ces lieux que l’on fait familiers, avec lesquels l’on noue une relation romantique, apparaissent nécessaires à la construction d’un récit nous mettant en scène. En effet la mythologie n’est pas réductible aux seuls univers antiques grec et romain. Dans son œuvre Mythologies8, Roland Barthes fait les récits par fragments de mythes contemporains nationaux, dont un des plus éloquents peut être celui du steak frites. Il raconte aussi celui du match de catch, ou l’espace du ring devient un réel lieu mythique. Les situationnistes encore, à travers leurs dérives et cartographies psycho-géographiques9, discourent sur ce phénomène de l’espace vécu, qui mène à l’émergence de nouvelles et singulières représentations spatiales en fonction des affects ressentis par le déambulateur. Les situations traversées font naître une mythologie autour de la 5 La Villa Hadriana est une villa antique bâtie par l’empereur Hadrien au IIe siècle près de Rome. Ses 120 hectares figurent parmi les ensembles monumentaux les plus riches de cette époque. Elle est classée patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999. 6 Italo Calvino, Les Villes Invisibles (Le Città Invisibili, 1993, trad. par Jean Thibaudeau), Paris, Gallimard, 2013. 7 Edgar Allan Poe, « L’Homme des Foules », dans Nouvelles Histoires extraordinaires, Paris, Louis Conard, 1933. Charles Baudelaire, « Le Peintre de la Vie Moderne », Œuvres complètes II, Paris, Gallimard Pléiade, 1976. Charles Baudelaire, « Les Foules », Petits Poèmes en prose (Le Spleen de Paris), Paris, Gallimard, 1973. 8 Recueil de textes publiés dans les revues Esprit, France-Observateur et Lettres nouvelles entre 1954 et 1956. Roland Barthes, «Mythologies», Paris, Ed. du Seuil, 2007. 9 Guy Debord (directeur), Revue Internationnale Situationniste, 12 numéros, Paris, entre 1958 et 1969, [en ligne sur : www. labibliothequefantastique.net].
Leur rencontre n’est donc pas anodine, et fait sens. Malgré tout, il existe nombre de Vénus dans nombre de jardins, ce qui minore en quelque sorte la magie de leur rencontre. Et au delà de la nature de la statue (sa charge mythologique et socioculturelle), il faut se questionner sur son pourquoi là en tant qu’objet spatialisant, et sur son rôle dans les enjeux de la composition et de la définition du jardin. Si le jardin est compris aujourd’hui comme l’objet d’une privatisation, d’une clôture, il est aussi le lieu qui permet de «sortir de chez soi», de donner à voir les paysages environnants. Il est comme un sas entre la maison et le reste du monde, et finalement il semble parfois se fondre dans la «nature» et voler les paysages de l’horizon pour mentir sur ses dimensions. Il n’a d’ailleurs même pas toujours été clos. Dans des paysages ruraux notamment, et de plus en plus anciens, les limites du jardin sont floues, et donnent ainsi à le rendre infini. Machiavélique mise en scène, qui vient gonfler l’ego du propriétaire et lui attribue un véritable royaume comme patrimoine... Ou, au choix, douce mise en scène, qui vient effacer le dur contraste entre la nature jardinée et la «nature sauvage» -et donc nier l’impact anthropique. Dans tous les cas, le jardin s’agrandit et disparaît. Comment le resignifier ? C’est bien là que la statuaire devient le marqueur de la présence humaine, et donc l’émissaire du «jardin» à proprement parler : elle est, somme toute, une forme de limite, en cela qu’elle renvoie à une surface aménagée, un espace habité. Elle dégage un périmètre amène, privé, construit. Prenons la représentation d’un espace extérieur lambda, un morceau d’espace public par exemple, de friche, de forêt ou de champ. Sur la même représentation, ajoutons une statue, peu importe laquelle. D’un coup, le morceau choisi devient jardin. La statue apparaît donc bien comme l’ambassadrice
de ce dernier. Jardin sans âge cherche statue pour partager mythe. Aime rêver d’ailleurs et repousser ses limites. Romantique, fou-fou, soigné. Besoin d’être canalisé. Profil souhaité : spirituel, cultivé, résistant aux intempéries. Promet confidences et intimité.
Le jardinier qui voulait être sculpteur Au delà de la statue, il faudrait ouvrir la réflexion à la sculpture pour réellement englober l’histoire qui lie l’acte de jardiner et l’acte de sculpter. Les deux sont liés par un premier phénomène tout évident : le végétal sculpté. Au delà du caractère architecturé des jardins historiques (orientaux comme occidentaux), la Rome Antique est venue développer l’art topiaire, autrement dit la sculpture du végétal, principalement le buis. La discipline a traversé les âges, et a ainsi donné corps à toutes formes de sculptures, dont entre autres, des statues. Ne permettant pas la même précision, dans les traits, les textures ou le mouvement, ce savoir-faire ne remplace pas la statuaire traditionnelle. Il se prête surtout à de larges formes, surtout géométriques, ainsi qu’à la réalisation de «motifs», prenant place dans l’espace par la taille de haies volumineuses. Il est néanmoins amusant en cela qu’il permet de 149 parler du jardin sculpté. Et dans le même coup, de ce lieu et ce moment où le jardinier est sculpteur. L’étymologie du nom «art topiaire», éclaire quelque peu sur les enjeux d’un tel syncrétisme. En latin, topia désigne le «paysage à fresque, le jardin de fantaisie»; topiarius, «ce qui tient du jardinier». L’art topiaire désigne donc «l’art du paysage» ou «art du jardinier», et lègue finalement au paysagiste un savoir-faire issu des beaux-arts, donc un statut d’artiste. Si dans l’Antiquité le jardinier est un esclave, à la Renaissance, et donc à l’apogée de l’art topiaire, il devient reconnu, parfois internationalement. André Le Nôtre, au hasard, paysagiste de Versailles, au milieu de ses parterres, de ses statues, de ses fontaines, n’était-il pas un sculpteur de jardin? Les relations étroites entre les arts et le jardin s’établissent ainsi dans différentes situations. L’œuvre du peintre Claude Monet est autant celle de ses tableaux que celle de son jardin (aujourd’hui devenu Giverny). De même pour Camille Pissarro. L’écrivain de renom, critique d’art et journaliste, Octave Mirbeau, auteur du Jardin des supplices ou encore du Concombre fugitif, lui aussi, jardinier. Leonard De Vinci, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, musicien, poète, philosophe, écrivain, botaniste, lui aussi, jardinier. Bernard Lassus, coloriste, paysagiste. Kathryn Gustafson, styliste, paysagiste. Énième Statue cherche jardin // Helena Le Gal
dérive. Une Odyssée d’Ulysse contemporaine ? D’après tous ces exemples, il apparaît que l’homme construit son identité en relation avec l’espace, visible et invisible, qu’il habite et qui l’habite. La géographie de cette identité est à l’échelle des territoires, des villes, et in fine, du jardin. Ce dernier permet d’articuler les choses du visibles, le réel, et celles de l’invisible, les mythes, à travers un langage mixte teinté de ceux de l’imaginaire, de la mémoire, et de la représentation. Finalement du Mont Olympe, au paradis et à l’enfer, en passant par un ring de boxe, ou l’île de l’Atlantide, nul besoin d’épiloguer pour comprendre que le lieu fait mythe autant que le personnage, dans l’extraordinaire comme dans l’ordinaire. Le jardin, en tant que miniature du monde et des visions sociétales, exprime cette mythologie, sans -mais d’autant plus avec la statuaire. Statue et jardin font indépendamment et dépendamment fiction, l’une et l’un appelant l’autre.
CI DESSUS : cadavre exquis #01, «Ma Gestation». PAGE DE DROITE : motif #01, «L’Oeuf».
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BACKSTAGE #01 «Oyé, oyé ! Y’a Helen a qui va patauger dans la pelouse de l’atelier en combi sexy pour faire des photos dans un quart d’heure ! Moi j’dis ça ...» «C’est marrant : si j’y réfléchi je me dis que ça pourrait être choquant... Mais enfait là c’est pas du tout étonnant. C’est fou, à l’école on peut faire des trucs trop bizarres sans que ça choque personne, enfin tu vois c’est comme si c’était normal que tu sois là comme ça.» «C’est confortable ton truc ?» «Met toi sur le radiateur Helena. T’imagines une statue enrhumée ? C’est la loose.» «Bonjour Mademoiselle Le Gal. Vous allez bien ?» des ensapien(ne)s dans l’enceinte de l’école d’architecture de Bordeaux lors de la réalisation de photographies pour Helena Angoris
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exemple, celui-ci plus généraliste : le jardin taoïste. Il s’agit d’un très bon exemple de cette union des disciplines : entre poésie, calligraphie, peinture, paysage et jardinage, il est l’espace du mouvement, du temps, d’une nature entre essors et décours, de la sympathie et empathie entre l’homme et cette nature. L’expression de ces émerveillements ouvre l’art du jardin aux arts fondamentaux, d’entre lesquels il occupe une place intime d’art-pivot. Il devient le miroir d’une introspection méditative et d’une créativité polymorphe. Concernant ces diverses formes d’expression que nécessite et entraîne la création d’un jardin, il est intéressant de se pencher sur ce que le paysagiste ne montre pas de sa production. On peut avoir en tête quelques croquis d’ébauche, réalisés dans le but de traduire une ambiance recherchée, de montrer un cadrage et un point de vue, d’expliciter certaines fonctions, les circulations, etc. Mais voit-on, au delà de ces croquis explicatifs, de réelles recherches, de réelles inspirations intimes ? Idem dans la statuaire. On trouve en général peu d’études préalables à une statue, cherchant sa position dans l’espace par exemple. Les dessins de sculpteurs, au même titre que ceux de peintres ou de paysagistes, sont bien cantonnés dans la plupart des cas, au corps seul du sujet. Les travaux préalables à de telles créations sont donc ceux d’atelier et non ceux de terrain. Au-delà de sa relation au jardin, la statue questionne donc sur les processus invisibles qui la précèdent. Ceux-ci sont bien secrets et pas du tout lisibles dans l’objet final exposé. Prenons Rodin et les œuvres qu’on lui connaît. Se rappelle-t-on de ses crayonnés vifs captant d’infimes mouvements, de ses milliers de croquis retravaillés, accidentés, de ses aquarelles en taches, de ses nus féminins enfin, sexuels, triviaux, voire indécents ? Quelle histoire se cache derrière son Iris, messagère des Dieux (1895), œuvre marquante par son érotisme particulier ? Quel modèle ? Quelle relation ? Quelles inspirations ? Quelles expériences ? Quels dessins, peintures, estampes, secrets ? Et prenons Klimt. Au-delà des tableaux fleuris, dorés, doux et vaporeux, lui connaîton son œuvre d’étude, plus secrète, débordante de nus rapides croqués dans son intimité, où le corps féminin apparaît véritable, cru, voire dans ses détails génitaux ? Sait-on que derrière un Baiser, une Danaé ou une Judith se cachent des instants croqués de masturbations, de jeux homosexuels, de pénétration? Bref, que se cache-t-il derrière l’œuvre ? Quels procédés et quelles histoires garde-t-elle secrets? La statuaire a ceci de spécifique qu’elle offre à la fois un univers pictural, celui des croquis d’étude, un univers fictif, celui des mythes associés (mythe lié au sujet même, mythe lié au lien entre l’œuvre et l’artiste, mythe lié au couple œuvre/contexte d’exposition), et un univers spatial, celui de l’objet en 3D mis dans l’espace. Autant d’étapes de conception
que d’indices dissimulés dans les confidences du processus. Il est donc intéressant, quand on cherche à faire jardin avec des statues, et réciproquement statues avec jardin(s), de se pencher sur de nouvelles préoccupations, comme celles des procédés et déclencheurs préalables, de l’ordre des sentiments, des techniques d’expression, de l’érotisme (entendu au sens d’investissement amoureux entre créateur et création10). Qu’y a-t-il avant la statue et avant le jardin ? Ces questions mènent à une réponse : faire sculpture ne signifie pas seulement «tailler une matière», et faire jardin pas seulement «aménager un espace». Sculpter et jardiner, c’est aussi dessiner, écrire, peindre, réfléchir, dehors et dedans, par phases et simultanément, c’est faire émerger une plastique, des motifs, des volumes, des mots, des situations. Si l’un et l’autre font mythe(s), d’autres choses les accompagnent. Faut-il les garder cachées? Nota bene : Adonis, bot : famille des renonculacées ; myth : fils de l’union incestueuse entre Myrrha et son propre père et prince de Chypre. Campanule, bot : famille des campanulacées, centre brillant ; ‘Miroir de Vénus’, myth : Vénus se servait du campanule comme d’un miroir pour s’assurer de l’éclat de sa beauté lorsqu’elle allait retrouver Adonis. Violette, bot : famille des violacées, élégamment odorante ; myth : Vulcain, époux laid de Vénus, est attristé par la frivolité de sa femme et la reconquiert en se couronnant de violettes qui embaument et la séduisent. Iris, bot : famille des iridacées, nombreuses nuances de couleurs ; myth : messagère des dieux, favorite de Junon, qui la récompensa de sa fidélité en lui permettant de déployer l’arc-en-ciel dans les airs, céleste annonciateur du beau temps. Nénuphar, bot : famille des nymphéacées ; myth : la nymphe qui se passionna pour Hercule, morte prématurément à cause de son amour, est transformée en plante, la nymphéa, par le héros qui veut la rendre éternelle dans sa mémoire. …
La femme, le mythe et la statue «La mort avait taillé une déesse en pierre bleue dans une belle jeune femme, qui avait été apparemment opulente et laiteuse, à en juger par son extraordinaire chevelure.» J. Giono, Le Hussard sur le toit. 10 Roland Barthes, «Le Plaisir du texte», émission Le Fond et la Forme, [en ligne sur : www.ina.fr].
Cette même fascination a pu s’exprimer, au jardin notamment, en formes symboliques et ornementales, à travers la plastique de la faune et de la flore, les caractères ronds et fluides, les motifs délicats, sans l’image directe de la femme en sa figure et son corps. On se rappellera des créations antiques d’ordre ionique, accompagnant les cariatides, ou des jardins du Moyen-Age qui viennent allégoriser la Vierge Marie, ou encore des travaux de l’Art Nouveau à travers leur esthétique des formes courbes et gracieuses. Plutôt que de la désigner réellement, on l’exprime avec des fleurs, des fruits, des hirondelles, des biches ou des serpents, avec les vénustés de l’eau et des arabesques. On la transforme en fontaine, en nature, en villes… On la dit avec un langage élégant, de la pudeur et de la grâce. Le Moyen-Age par exemple, en signant la disparition de la statue au jardin, illustre de tels procédés métaphoriques, au sein du «jardin secret». Son nom latin, Hortus conclusus, porte à confusion, car il désigne à la fois le jardin clos du cloître, espace donc sacré, et le jardin clos d’agrément/d’amour, espace plutôt profane. Celui du cloître concrétise les aspirations de la vie monastique (se retirer du monde, échapper à ses péchés et à ses déceptions). Lieu de méditation, de prières, ce jardin est la métaphore du jardin d’Eden. Très souvent, au centre se trouve un puits ou une fontaine : l’eau jaillissante et pure s’opposant aux eaux dormantes du péché et renvoyant à l’image de la Vierge. Celui d’agrément est aussi une vision du paradis céleste : dans les
enluminures, l’image du jardin d’amour est un jardin clos, agrémenté de fleurs et d’arbres, où les amants cachent leur amour. La fontaine, là encore centrale, apporte de l’eau pratique (arrosage et fraîcheur) mais également de l’eau symbolique (naissance de Vénus, promesse d’amour, eau de vie, fontaine de jouvence). Entre ces deux Hortus conclusus, mystique et courtois, sacré et profane, l’homme peut choisir et vivre pieusement dans un jardin religieux (Le Jardin de vertueuse consolation) ou vivre amoureusement dans un jardin du plaisir (Le Jardin de Déduit) finalement balancé entre le culte de Marie ou celui de Vénus. Là où la figure de la Vierge apparaît en lien au jardin dans les représentations picturales (Vierge à la Roseraie de Botticelli par exemple), elle semble absente de la matérialité du jardin : la fontaine centrale des deux Hortus conclusus reste une sculpture non figurative, et le jardin médiéval entier, dédié au soin du corps, semble ne jamais exhiber ce dernier. Curieusement, ce jardin semble avoir effacé la présence de statues en son sein. La figure des idéaux féminins y reste toutefois suggérée, mais pourquoi cette absence du corps, alors qu’il intervient, et de manière monumentale, dans l’espace des cathédrales et des églises, en incarnant les figures chrétiennes ? La statue est finalement plus l’oeuvre du théologien que du sculpteur. Pour qu’on la censure ainsi au jardin, serait-elle trop charnelle, 153 trop érotique ? En moins érotique alors, la femme peut aussi dans un troisième registre, signer la décence, le langage officiel et vertueux, celui de la dignité et de l’hommage. Avec la statuaire des dieux, des rois et des institutions, et l’imagerie chrétienne par excellence, elle est l’objet édifié du culte de l’immaculé et du martyre. Dans ce cas-là, la dimension sexuelle est amortie, voire interdite. La femme est plaisante, mais naturellement désexuée. Sa beauté est sévère et honorable. Même si la poitrine de Marianne ou de Liberté, ces figures de «noble vertu», est mise à nu, elle reste d’une sexualité la plus neutre possible. Souvent ces femmes sont efféminées voire masculines, ni jeunes ni vieilles; ce sont des mères, des vierges, des veuves, des modèles de combattantes, d’héroïsme, ou rendant un honneur vaniteux à telle Reine ou Duchesse, telle patronne ou bienfaitrice. Demeure toutefois le potentiel détournement de statues de culte public en statuettes de plaisir privé. La rumeur dit que les Romains tiraient plaisir de copies miniatures de la Vénus de Cnide11. Reste aussi l’ambivalence de la statuaire voulue vertueuse (car à l’image de la mythologie ou de la religion) alors qu’elle offre ses tentations de charmes, sa nudité. Statue cherche jardin // Helena Le Gal
La statuaire représente majoritairement le sujet féminin. Là où l’homme apparaît comme un penseur, un dirigeant ou un guerrier, la femme semble incarner plutôt des personnages doux, des muses, des belles, des séductrices ou des mères. Bien sûr elle peut être guerrière, comme Liberté, ou comme Athena, et révoltée, comme Judith. Mais son corps renvoie toujours à des idéaux de beauté. Quelles sont ces femmes, pourquoi fleurissent-elles autant dans nos villes et nos jardins ? Si l’on se repenche sur les toutes premières sculptures féminines, les statuettes venues du fond des âges, perpétuées et développées par la taille d’outils de plus en plus efficaces, la femme est rendue comme l’être désiré, sexué, au corps canonisé, aux attraits érotiques, et cela de préférence aux rendus sculptés d’hommes, d’animaux ou autres. Autant d’expressions atemporelles d’une vision du genre et du monde laissées aux mains des sculpteurs (communauté majoritairement masculine). Vénus est femme, Vénus est beauté, Vénus est séduction, et Vénus est fécondité. Cet idéal est-il un gage de vie, un espoir d’éternel et une promesse d’amour ? Ou est-il un faux-semblant réduisant la femme à un objet de plaisir et de fantasme confusionnel de la «mèrepute» ?
11 L’Aphrodite ou Vénus de Cnide est attribuée au sculpteur Praxitèle, représentant la déesse debout, nue, portant la main droite devant son sexe et tenant de la main gauche un vêtement. Elle est la première représentation connue de la nudité féminine complète dans la statuaire grecque.
CI DESSUS : cadavre exquis #02, «Laisser couler et tout rendre». PAGE DE DROITE : motif #02, «L’Eponge ».
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BACKSTAGE #02 «Ah, un excès de Nivea.»
un homme inconnu croisé en traversant un passage piéton du quartier St Pierre en revenant de la prise de photographie d’Helena Sppongea
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Ces paradoxes sont aussi appréciables dans les différents noms qu’on a pu donner aux mêmes déesses, suivant les vertus qu’on a voulu leur attribuer. Ainsi Vénus s’est vue orner d’un nombre d’épiclèses phénoménal, la transformant en déesse de l’amour céleste (Venus Ourania), déesse amenant la victoire (Venus Victrix), protégeant les marins (Venus Euplea), sortant des eaux (Vénus anadyomène), transgenre (Venus Amathusia), défenseuse de la chasteté (Venus Verticordia), vulgaire (Venus Pandemos), et bien d’autres encore12. La femme statufiée est donc tantôt secrétisée car soit trop sacrée, soit trop charmeuse et impure, tantôt donnée à voir comme une source de plaisir et de reproduction de l’espèce, tantôt comme une figure continente de mère, de respect et de dévotion. Ces étalons du sujet féminin dans la statuaire, semblent partagés et sans cesse réactualisés par tous les domaines de la représentation. Ils apparaissent comme les fondements de notre société, et comme une vision culturelle confisquant les consciences collectives. Dans le réel ils semblent exister également, notamment lisibles dans l’espace du dehors, l’espace public. De nombreuses études13 s’emploient à disséquer ce rapport entre la femme et le territoire. Souvent il en ressort que la ville est un espace masculin où la femme est «exclue» : ici elle a peur car le quartier est «mal famé», là elle s’ennuie car les fonctions sont trop sportives, ailleurs elle est gênée, car les rues sont marquées par les traces et les odeurs de déjections masculines ou impraticables par leurs pavés inadaptés à leurs tenues ; partout elle est exposée à des représentations de son sexe, publicitaires, marchandes ou simplement décoratives, sans cesse comparée à ce qu’elle devrait être (et que donc elle n’est pas). Elle est à la fois une cible, une monnaie et un idéal. Si ce corps nu ne choque plus personne sur les murs –parce qu’il est représenté, sa présence dans l’espace réel fait encore naître des rapports de force entre les individus, des pratiques spécifiques suivant le genre de chacun et la propre expérience de son corps dans l’espace. En effet la monstration des jambes ou de la gorge féminines par exemple reste un acte ambigu, qui peut dénoter une certaine liberté de la femme, tout comme son assujettissement au regard de l’homme. Potentiellement elle est belle, désirée, et pas simplement séduisante, mais bien séductrice. Ainsi le territoire devient genré, et pour certain(e)s un terrain ludique, pour d’autres un terrain anxiogène, faisant apparaître des jeux de domination, d’évitement, de censure du genre ou du sexe, 12 François Sabbathier, Dictionnaire pour l’intelligence des auteurs classiques grecs et latins tant sacrés que profanes, en 8 tomes, Chalon-sur-Marne, Seneuze, 1766. 13 entre-autres études de la Communauté Urbaine de Bordeaux : Cécile Rasselet, (chef de projet : Marie-Christine Bernard-Hohm, avec la collaboration d’Yves Raibaud -ADES), L’usage de la Ville par le Genre, a’urba, juin 2011.
d’apostrophe ou de mutisme... Bref, les complexités du statut social de la femme se lisent dans le dehors, dans l’espace public, à travers l’esthétisation de son corps et la vulnérabilisation de sa condition dans les rapports hommes/femmes. Et au-delà des canons de mode, des images publicitaires, des films etc, la statuaire et l’aménagement de l’espace public participent de cet ancrage subliminal et de cette banalisation-idéalisation-objectification du corps féminin sur le territoire. Comment alors faire statue sans tomber innocemment dans les travers de cette culture ? Il apparaît essentiel de renouveler le discours de la statuaire féminine dans l’espace public et de laisser libre court à d’autres expressions que celles de la femme fantasmée, d’autres paysages que ceux de la femme chassée. Alors quels personnages lui offrir, quels récits, quelles postures dans l’espace sociétal ?
Se chercher (un jardin) Les statues qui occupent cette matrice blanche dans mon esprit, ces femmes, sont comme les incarnations de mythes, participant à la mythologie d’Helena. Le jardin qu’elles forment et qu’elles recherchent, celui de l’introspection, du «Qui suis-je ?» est donc une tentative d’autoportrait. Or dans l’art du jardin encore plus que dans celui de la statuaire, cette forme de représentation est peu (voire pas) établie. C’est surtout dans les arts picturaux, littéraires ou dans la performance que l’exercice s’est développé. Il existe quand même quelques exceptions, en sculpture depuis la Renaissance, puis au XXè siècle surtout, et dans le domaine du paysage à travers le Land Art depuis quelques décennies. Suivant les époques, les motivations d’une telle démarche ne sont pas identiques. Au Moyen-Age, se représenter soi-même dans un tableau ou une enluminure s’apparente à un procédé de signature. Durant la Renaissance il s’agira plus pour les artistes d’un réel jeu de représentation (car la technique devient permise par le développement du miroir), et d’un enjeu de reconnaissance, là où faire son autoportrait revient à affirmer son statut d’artiste qui est financé pour le faire, qui est donc important, voire international. On retiendra Dürer, De Vinci, Van Eyck, Michel-Ange … L’autoportrait de l’artiste moderne sera plus porté vers l’introspection psychologique, voire le misérabilisme, comme ceux de Van Gogh, Schiele, ou Kahlo. Le contemporain, lui, en ruse pour jouer avec les ambiguïtés du genre (Warhol), les ironies de l’autodérision (Dali), l’expression plus ou moins thérapeutique d’un mal-être (Niki de Saint Phalle) ou encore les question environnementales (Penone).
Le sculpteur cherche une statue, le peintre un tableau, l’écrivain un récit. Le paysagiste un jardin ?
Des mots, des motifs, des situations Mesurant la teneur introspective de l’exercice de ce séminaire -mesure paralysante- j’ai procédé au commencement par des auto sondages, dadas, hasardeux. Il s’est agi de définir des thèmes de pensée (les différentes Helena), puis de les exprimer par des listes de mots, chaque mot occupant l’espace d’un morceau de papier. Chacune des listes a ainsi pu donner lieu à la fabrique d’un cadavre exquis, composé par le tirage des mots un à un, laissés dans l’ordre dicté par le hasard. Les textes produits sont donc teintés d’absurde. Ils n’en sont pas moins révélateurs d’univers «réalistes». Ces récits ont fait émerger l’envie d’images, et plus particulièrement de motifs (image répétitive, obsessionnelle). Des symboles, des objets se démarquent et viennent synthétiser l’univers de chaque texte. Ils deviennent les accessoires des différentes allégories dépeintes. Chaque Helena acquiert alors son motif, son tatouage, son habit. Le corps devient comme un jardin sculpté. Ainsi mises en mots et en images, les effigies réclament une posture/un corps, et un lieu/un jardin au sens entendu du terme. C’est dans l’histoire de l’art que j’ai puisé les allégories correspondant le mieux aux personnages décrits par les cadavres exquis : avec la Toilette de Vénus de Rodin par exemple, la 14 Film réalisé par Fernando Trueba, «L’Artiste et son Modèle», 2012.
Femme à la tête de rose de Dali, ou encore les Judith décapitant Holopherne, d’Artemisia Gentileschi ou de Klimt… autant de références que de positions emblématiques aidant à nourrir la mythologie des statues imaginées. Les titres de chaque polyptique (cadavre exquis+motif+performance in situ) sont inspirés des épiclèses données aux figures mythologiques. La plupart n’existent pas dans la toponymie historique, et ont été inventés pour l’occasion. De là, entre les lignes des textes, les motifs, les codes de l’histoire de l’art, et mes simples intuitions, les jardins ont pu apparaître autour des statues. Helena Migonitis par exemple, inspirée de Vénus anadyomène, nécessite un paysage d’eau pour faire sa toilette ; le cadavre exquis qui lui est associé parle, comme Vénus, d’amour, mais également de batifolages -les miens (d’où l’épiclèse Migonitis) ; la statue qui lui fera référence prendra donc place dans un lieu tout propice à ces différentes contraintes (en l’occurence le Jardin botanique de Bordeaux). Les lieux incarnent cependant à eux-mêmes une mythologie et un jardin spécifique. Helena Angoris est ainsi mon jardin de l’angoisse, faisant référence à mon avenir de paysagiste et au contexte «école». Helena Spongea est celui de l’imprégnation, jardin d’hiver, de flux, où je suis une sorte d’éponge (notamment émotionnelle), où coule une Garonne qui déborde puis qui se rétracte. Helena Trutinae est le jardin de la balance et du balancement, celui d’une enfant qui 157 cherche le point d’équilibre, le rayonnement idéal, dans une fraterie, un «plusieurs», comme le long d’une volée d’escaliers. Helena Furens est mon jardin de la colère, et de toutes ces hantises héritées tant au nom de mon éthique professionnelle qu’au nom de la condition du genre ; il est la conflence des fureurs de la paysagiste et de la femme ; son épicentre se trouve sur la place Saint Michel. Enfin, Helena Migonitis est mon jardin du plaisir libidineux, celui de la célébration des corps et des sexes, de mes batifolages, ancrés dans le dehors, au bord de l’eau, dans un paysageécrin. Après les travaux préalables qui m’ont permis de faire jardin dans ma tête et sur le papier, il s’est donc agi de faire jardin avec les lieux, dans l’espace réel, à travers l’acte de performance. Ce média a été dicté par la nécessité d’éprouver et la statue et le jardin, tant dans leur existence matérielle (le rapport corps/ milieu) que dans leur existence immatérielle (les représentations combinées). Pour fabriquer les représentations qui apparaissent dans les pages suivantes, il a donc été question de scénographier (comment aménager des lieux pour qu’ils accueillent une statue, comment faire socle, comment placer mon corps dans l’espace notamment public ?), et de photographier une scène (quel point de vue adopter, comment cadrer et composer l’image finale ?), les deux actes étant itératifs. Statue cherche jardin // Helena Le Gal
Au delà d’un complexe de Narcisse, l’autoportrait montre une personne s’interrogeant sur ellemême, sur sa vie, ses pratiques. Chez les artistes, il ne se matérialise pas par un monologue entre la personne et elle-même, mais par un dialogue avec le spectateur, chose rendue possible par la simple condition de l’artiste, dont la capacité à s’interroger passe avant tout par son acte de création. On remarque que l’autoportrait appelle souvent l’histoire de l’art en toile de fond, par codes, dissimulée dans des allégories, des symboles, des clins d’œil à d’autres œuvres etc… Comme si l’artiste voulait brouiller les limites entre sa réalité et celle de son œuvre, comme s’il voulait s’inclure à la fiction qu’il fabrique. Le film de Fernando Trueba, L’artiste et son modèle14, raconte une de ces histoires, celle d’un sculpteur en l’occurrence, qui cherche désespérément à travers son art «une» statue. Dans ce scénario, il finit par la trouver, dans son nouveau modèle, une jeune femme rencontrée à la fin de sa vie…
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CI-CONTRE : BACKSTAGE, différentes situations rencontrées lors des prises de photographies des diverses Helena. PAGES SUIVANTES : #01 : Helena Angoris, statue de La Pelouse de l’Atelier 1, à l’ensapBx. #02 : Helena Spongea, statue des Berges de la Garonne et du Peugue, à Bordeaux. #03 : Helena Trutinae, statue de la Maison de la rue Ferbos, à Bordeaux. #04 : Helena Furens, statue de la Place Saint Michel, à Bordeaux. #05 : Helena Migonitis statue du Jardin Botanique, rive droite, à Bordeaux.
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Helena et le temps des larmes retenues extrait de la nouvelle «Helena et le Temps des Larmes Retenues», par Aurélien Ramos.
« Combinées à ces forts coefficients de marée, des pluies torrentielles s’abattaient sur la région depuis des jours. Le ciel se déversait en flots continus. Les nuages sombres se gonflaient sur l’océan et apparaissaient alors à l’horizon pour venir se percer au dessus de la ville. On les voyait rouler au loin à l’ouest, puis en un clin d’œil, obèses, ils étaient éventrés au dessus des toits. Tout ruisselait constamment. Entre les averses, la rumeur des gouttes de pluie persistait, dégoulinant et grondant dans les gouttières. Tout s’écoulait vers les caniveaux et les fossés. Les ruisseaux souterrains étaient saturés disait-on. Ils étaient noyés. Et on craignait le pire.
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La Garonne était alors sortie de son lit. Les quais en ville étaient surveillés de près depuis plusieurs jours par les Services Techniques qui attendaient avec anxiété l’arrivée de la marée montante comme une promesse de catastrophe imminente. Les flux et reflux du fleuve rythmaient plus que jamais la vie de la ville. Et en pleine nuit, vers 4h du matin, la Garonne avait soudain envahi les quais, les bouches d’évacuations explosaient, les canalisations dégorgeaient où elles pouvaient. On avait interdit l’accès aux berges aux voitures et aux promeneurs. La Garonne charriait des troncs entiers dans ses flots, comme les corps immenses de tous les noyés de la région. Toute l’eau boueuse du fleuve rencontrait soudain la ville. Avec brutalité, elle se confrontait aux quais maçonnés. Elle s’étalait sur ces grandes surfaces planes et lisses. La Garonne envahissait les rues. Elle introduisait dans l’espace urbain la notion de topographie. Lorsqu’elle pénétrait en ville, elle se calmait un peu, c’était son ultime effort. Elle stagnait par endroit. La campagne autour était sous l’eau et depuis l’autoroute, c’était une série discontinue de lacs aux contours flous qui défilaient derrière les vitres embuées. Et la pluie continuait à tomber. Chacun restait cloitré à l’intérieur, comme si ça avait été une soudaine nécessité dont personne ne pouvait s’affranchir. Au moment des rares accalmies, les gens se ruaient dans les magasins et dans les bars, puis y restaient jusqu’à ce que l’averse s’interrompe à nouveau. Les gens se réfugiaient aussi sans cesse les uns chez les autres le temps de laisser passer le déluge. Des heures entières, ils étaient contraints d’être ensemble et la notion d’hospitalité disparaissait au profit d’une solidarité climatique de fait. Chacun était durant la journée alternativement et en fonction de ses trajectoires, réfugié et hôte. C’était le temps où il fallait bannir la solitude et comme les intempéries poussaient l’ensemble des populations vulnérables de la ville à se regrouper tant bien que mal, tout le monde y trouvait finalement son compte. Dans cette période d’intempéries, Helena était un point fixe. Par nécessité et malgré elle. Helena était immobilisée. Autour d’elle la tempête. Non pas qu’elle l’ait évité ou qu’elle en fut exclue car, peut-être plus que quiconque, elle prenait le déluge de plein fouet, simplement, elle ne pouvait pas bouger. Son corps la contraignait à rester fixe. C’était une sorte de retraite en elle-même qui lui avait été imposée. Elle se tenait assise, le plus souvent sur ses genoux et quelques coussins empilés, face à la table basse du salon. C’est là qu’on la trouvait alors que le déluge frappait à la fenêtre et que tous les éléments se déchaînaient au dehors. Elle prenait son mal en patience, elle vivait au ralentit. Ses déplacements, plus rares, étaient aussi devenus plus lents. Tout ce qu’elle entreprenait lui prenait du temps. Elle faisait elle-même durer en longueur chacun de ses gestes afin d’occuper l’espace d’immobilité nécessaire. La seule manière qu’elle ait trouvée pour avoir le sentiment d’avoir une prise sur cette situation subie était d’occuper au maximum ce temps de latence en donnant toute l’amplitude possible à ses rares mouvements. Elle fumait des roulées à genoux devant la table du salon et ça lui prenait des heures. Son thé fumait lui aussi doucement sur la table. Les fumées se mélangeaient dans la lumière déclinante du soir. Le temps changeait sans cesse à l’extérieur, dix, quinze fois par jour, les tempêtes succédaient à des éclaircies apocalyptiques puis suivaient de nouvelles précipitations qui replongeaient la ville dans l’ombre. La fumée s’élevait lentement, emplissait la pièce quelques minutes puis s’évaporait, la lumière changeait brutalement, les nuages passaient, Helena restait. Elle se trouvait à la fois dans une situation de grande vulnérabilité et de puissance inouïe. Comme tout corps immobile face au vent, c’est le premier à être mis en danger. Elle ne pliait pas, elle ne courbait pas le dos, elle affrontait sans mot dire. Son immobilité était également une force, moins pour elle que pour les autres, ceux qui au dehors se débattaient. »
Remerciements A Marie Bretaud pour son aide constante de réflexion et de production, pour ses talents de maquilleuse et ses photographies. A Romain Lacoste, Louise Nauthonnier et Ariane Destanque pour leur accompagnement et leurs photographies. A Lucie Valloir pour son appareil photo. A Aurélien Ramos pour son suivi psychologique et ses talents d’écrivain. A Danielle Le Gal pour exister.
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Nota bene Les images et les textes de ce document ont tous été réalisés à l’occasion de cet ouvrage par les soins de l’auteure et de ses acolytes, et ne sont pour aucun tirés d’une source extérieure. Merci de respecter leurs droits et propriétés.
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CECI CECI N'EST N'EST PAS PAS UN UN JARDIN ! JARDIN !
l'union des deux engendre une troisième nature (terza natura)
QUEL EST réellement le territoire?
que reste-t-il de secret?
Jardins existentiels, Territoires secrets // Paul Leurent
mémoire cachée mémoire experience imaginaire illusion rêve
une forme d’amnésie collective
JARDINs EXISTENtIELS EXISTENtIELS JARDINs
TERRITOIRES TERRITOIRES SECRETS SECRETS Paul Leurent
Du jardin au territoire Tout en cherchant à questionner les fondements de notre relation au territoire, cette démarche vise à étendre la définition du jardin au territoire. Nous proposons ainsi de faire émerger à travers un cheminement expérimental la dimension singulière et secrète de notre relation aux territoires.
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Dépasser la notion de nature qui est généralement attribuée au jardin et qui définit encore aujourd’hui son cadre culturel semble difficile à imaginer. Il m’a paru essentiel de reconsidérer le jardin et ses héritages et le rôle que nous lui attribuons dans la société contemporaine. Comme un croisement entre la perception de l’environnement et son interprétation au rang de l’art. A travers cette quête d’une parcelle, d’un espace, d’un univers secret, j’ai eu envie de croire que le jardin pouvait proposer une tentative de reconnexion à l’environnement et au territoire en élevant le jardin à une dimension subjective. Ainsi, l’expérience contemporaine des territoires et la dimension personnelle qui peut lui être conférée amène à une toute autre lecture du territoire, une immersion progressive, dans la quête de territoires secrets, d’une affinité quelconque avec des lieux. Ainsi, cette approche consiste d’abord à chercher et proposer ce qui dans l’expérience du territoire peut constituer un champ d’expression du jardin. Cette démarche tente de redonner un caractère exploratoire et subjectif à un territoire qui dans un contexte où la rationalité gestionnaire des espaces tend à occulter les contradictions entre la diversité, l’appartenance, le décalage entre les représentations collectives et personnelles. En utilisant le jardin comme médium, on s’attache ici à faire émerger un rapport autre au territoire, à représenter les transactions qui s’établissent entre l’individu et son territoire. La démarche illustrée invite à se projeter sur nos territoires de vie, les lieux de parcours et de visite, les lieux d’expériences et la relation perceptivo-sensorielle qui s’en dégage. Transgresser les frontières, au delà de la vision stéréotypale des espaces par une approche singulière et subjective du territoire peut paraître un peu déroutant. Mais, en considérant le jardin comme un médium de la connaissance ou de la reconnaissance du territoire on peut désormais mieux qualifier et définir les
affinités environnementales que nous portons. Gage d’un apprentissage de soi et de son territoire, cette approche est non exhaustive et tente de mettre en exergue les principes fondamentaux qui nous lient aux espaces, mémoire, expérience, imaginaire, illusion et rêve et la manière dont ils peuvent être mobilisés pour donner corps à ces «espaces autres». Offrir de nouvelles perspectives à l’appréhension du territoire au delà des aspects fondamentaux que nous lui attribuons communément, juridiques, géographiques, administratifs, économiques... Nous tentons ici d’apporter une clé de compréhension s’articulant sur des principes empruntés au métier d’architecte paysagiste, terra incognita, terra preciosa, migratio, creatio ex materia, sont ces espaces secrets qui permettent ainsi d’appréhender notre rapport au territoire pour offrir un nouveau champ d’expression du jardin. Mais également, la démarche a vocation de suggérer que notre lien existentiel au monde s’exprimant dans la relation homme/nature reste encore à faire et à redécouvrir.
avec les lieux. Est ce que le jardin suppose un ancrage géographique précis ? Je me suis donc constamment posé la question pour tenter d’évaluer le sens que je donnais au jardin. On évolue ainsi dans ce parcours de lieux à différents niveaux de représentation, passant de lieux concrets à des lieux de plus en plus imaginaires. Un décalage s’opère par le regard entre réalité et abstraction. Il permet ainsi à ces souvenirs de devenir de nouvelles spatialités. Reflet caché de notre rapport au monde.
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J’ai cherché à manipuler les concepts, à définir le jardin secret comme un univers offrant de multiples champs de représentations basées sur nos expériences du paysage. Par la reconnaissance et l’approfondissement, j’ai ainsi abordé ce jardin comme un parcours et une introspection sur mon expérience des paysages et des territoires accumulée au fil de mes années d’études et, plus tôt, les paysages et les lieux où j’ai grandi, ceux de mon enfance. La démarche consista d’abord à fouiller dans ma mémoire. Rassembler des fragments de territoires pour interroger des moments précis de ma vie par le biais des lieux, des événements et tenter de faire ressurgir les moindres détails. J’ai ensuite utilisé le dessin, en procédant par aller-retour entre le souvenir, et la matérialité des lieux, (gribouillis, croquis, empreintes, qui ne sont pas présents dans l’ouvrage). Un inventaire de ces territoires m’a permis de faire une première sélection apparaissant dans Terra cognita. Le recours à la mémoire est un cheminement constant dans la quête et la représentation de mon jardin. Progressivement mon parcours m’a amené à mobiliser ces lieux d’autres manières, Terra curiosa, migratio, Creatio ex materia. Selon les lieux, des choix et sélections se sont opérés, alors que des thèmes spécifiques apparaissent au fil de mon travail. Ces livres ne recensent donc pas des lieux à proprement dit mais sont plutôt des manières de regarder mon jardin, et de réveler ce que pourrait être un jardin s’appuyant sur l’expérience du territoire et des paysages. Ce parcours offre ainsi à la fois une lecture linéaire et progressive mais on peut également considérer chacun de ces livres comme tel, sans connivence avec les autres. On s’immisce progressivement dans une intimité où les lieux et les espaces se bousculent. Si l’on considère Terra incognita, terra preciosa, migratio, creatio ex materia comme des espaces, ils sont avant tout des espaces de la pensée et volontairement très différents comme pourraient l’être différents recoins ou parcelles d’un jardin. Par ce travail non exhaustif, j’ai ainsi imaginé constituer une bibliothèque que j’accomplirais au fil d’une introspection de mes territoires d’expériences. Ces livres constituent une recherche, un matériau que je cherche à accumuler, une sorte de recette de paysage. Ce n’est donc pas un recensement banal de lieux, pour chacun j’ai tenté de faire ressurgir une idée bien précise issue du regard, de mon interprétation du paysage incarnant un flux créatif en rapport étroit
Une bibliothèque de lieux rattachée à l’expérience du paysage
Mon travail repose également au cours de cette introspection personnelle sur des interrogations, quel est le lien entre jardin et paysage et que possède t-on de secret dans notre rapport au paysage. Comment se construit notre jardin? Quelle forme peut-on lui donner s’il n’est pas ancré dans une géographie? Comment s’entremêlent les rapports à la nature et au jardin? Ces quelques questions m’ont amené à présenter un point de vue personnel sur différents sujets, supports de nombreux écrits théoriques, rattachés au jardin et à son évolution. Ces écrits sont les fondements théoriques de ma démarche et constituent une réflexion parallèle nourrissant ma pratique de paysagiste. Loin de représenter des affirmations, ils correspondent davantage à exprimer certains points de vue et obsessions, alors que mes années d’expérience dans la profession restent encore minimes. Les sujets abordés sont divers : la notion de nature, la subjectivité du rapport à la nature, la notion d’espace et de jardin dans la société contemporaine, «les espaces autres» que suggèrent les jardins, le rôle de la mémoire de l’expérience et de l’imaginaire dans la fabrication des spatialités du jardin, la place des paysagistes, leur démarche leur vision des territoires.
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Les trois natures : de l’histoire des jardins à l’héritage des représentations de la nature Depuis l’Antiquité, le jardin se noue et s’enrichit de représentations symboliques et imagées de la nature, lesquelles ont inspiré et fondé les grands courants de l’art des jardins à la Renaissance. En cela, il se forge dans le jardin un terrain d’expression privilégié de la relation entre l’homme et son environnement. Il offre ainsi un cadre pour cristalliser les valeurs, perceptivosensorielles, sociales et culturelles, symboliques et mythologiques attribuées à l’espace et au milieu, point de rencontre entre l’individu et le topos (le lieu). Selon la théorie de John Dixon Hunt, il réside ainsi dans le jardin l’expression de trois natures différentes, un principe inscrit dans l’art des jardins de la Renaissance. Cette idée que les jardins étaient une représentation symbolique de la nature a été mise de côté par les théoriciens au XVIIIe siècle. L’histoire du jardin fut alors conçue sous la forme d’une progression «naturelle», d’un récit théâtral cherchant à inviter le visiteur au parcours, à se perdre, se cacher. Les effets que cherche à rendre le jardin à cette période, consistent en une forme d’art où l’on associe jardin et peinture, peinture et nature. La symbolique du jardin s’efface derrière un outil de représentation supposé reproduire les conditions réelles de la nature.
Cependant, John Dixon Hunt montre que le jardin des trois natures offre toutefois la possibilité de comprendre les conditions de représentation de la nature et de la culture d’un milieu qu’expriment les concepteurs de jardins par leurs œuvres à toute époque. Par ce principe, la première nature serait donc la nature à l’état brut, régie par des phénomènes naturels, préservée de toute intervention humaine : les montagnes, les fleuves, les mers, les déserts, les glaciers. L’apparition de la référence à la deuxième nature se retrouve dans un ouvrage de Cicéron, intitulé De nature deorum, dans lequel il fait allusion au paysage agricole pour parler de la seconde nature, qu’il nomme alteram naturam : «Nous semons du blé, plantons des arbres, fertilisons le sol par irrigation, maîtrisons les fleuves et redressons ou détournons leurs cours. En résumé, par le travail de nos mains, nous essayons, pour ainsi dire, de créer une seconde nature au sein du monde naturel»1. Il s’agit de la nature altérée par l’humain, et qui comprend des lieux tels que les champs, les barrages et les canaux. Ainsi, la troisième nature vient de l’expression una terza natura, inventée en 1541 par Jacopo Bonfadio, poète et historien. Reprise plus tard par Bartolomeo Taegio, elle signifie que l’hortus, le jardin, est une nature jardinée, améliorée par le moyen de l’art. Bonfadio dit ceci : «La nature, quand elle s’intègre à l’art, est élevée au rang de créatrice qui devient l’égale de l’art et [...] l’union des deux engendre une troisième nature (terza natura), que je ne sais comment nommer.» (Cité par Hunt, 1996, p. 26.)2 Comment le jardin devient-il une représentation sophistiquée de la nature dans un contexte où la nature deviendrait complètement maîtrisée, transformée? De quelle nature peut-on parler à travers l’approche contemporaine des jardins, comment ces principes ont-ils perduré au travers de la culture des jardins. De quelle culture et de quel milieu s’agit-il ? Comment étendre notre réflexion sur cette troisième nature à l’échelle du territoire? Quelles sont les approches possibles pour y introduire la notion de jardin? Si le jardin, en tant que nature réorganisée, s’est notamment construit à l’origine comme une médiation par rapport à une nature sauvage menaçante, le renversement du rapport de force nous pousse aujourd’hui à faire face à une situation qui nécessite un changement de perspective, un changement de regard, de paradigme afin d’appréhender de nouvelles formes de représentation de cette nature, comme médium de représentation et langage de l’individu. 1 John Dixon Hunt, L’Art du jardin et son histoire, Paris, O. Jacob, 1996, p. 28 2 Ibid, p.26
L’héritage des trois natures, toujours au cœur des principes contemporains de l’art des jardins parait d’un côté témoigner d’une grande naïveté ou d’une profonde hypocrisie vis-à-vis du paradigme de la relation qui s’établit aujourd’hui entre civilisation et nature, car il produirait un décalage entre représentation héritée et réalité. Mais d’un autre côté, s’il cherche à coller à la réalité contemporaine, ce principe des trois natures manifeste un champ d’expression propice à une critique et à un médium inédit du couple homme/environnement. En effet, les perspectives sur ce qui semble rester de nature sauvage nous renvoient à l’ombre de la menace indirecte planant sur l’humanité, raisonnant comme une intrusion au développement effréné d’une civilisation qui semblerait participer à sa propre extinction. Malgré cela la crainte reste ponctuelle et les événements catastrophiques sont ramenés à quelques désagréments économiques, du statut de menace, la nature sauvage est passée au statut de menacée. Dans le meilleur des cas, on la met sous cloche et la protège des intrusions comme on le fait des mauvaises herbes pour un jardin d’apparat. Les principes de nature première ou nature sauvage viennent désormais nourrir un discours public conservateur faisant valeur de philosophie du bien dans les plus hautes sphères politiques. Autrefois inaccessible et mystérieuse, cette nature sauvage désormais sanctuarisée, se trouve physiquement plus proche que jamais auparavant. Elle constitue un slogan publicitaire imparable pour un tourisme de masse hautement lucratif. Mise en exergue, immaculée de vert par un cortège médiatique, véhiculée par un corps d’experts scientifiques et politiques, la nature sauvage est désormais à la portée de la plupart des foyers. La distance spatiale est abolie par la virtualisation, à travers de nombreux documentaires où l’on nous plonge concrètement dans l’univers des insectes, des oiseaux et des dinosaures faisant des bonds d’échelle dans le temps et l’espace. Alors qu’elle apparaît de plus en plus proche de notre quotidien, surmédiatisée, instrumentalisée, exploitée, ou protégée, cette première nature ne serait devenue qu’une image floue. Figure énigmatique d’un temps révolu, icône d’un paradis promis mais perdu manipulant inlassablement nos consciences et nous détournant volontairement de la réelle nature que nous engendrons, cette nature altérée. Il en va ainsi de même pour cette seconde nature,
nature altérée, transformée. Celle qui au départ véhiculait l’ambition de manipuler la terre pour la rendre plus fertile, plus docile. Depuis le fond de l’Antiquité romaine, celle qui consistait à transformer le saltus : terre sauvage ou impropre, en l’ager : champ fertile, est devenue une notion écartant considérablement la réalité des territoires aujourd’hui altérés par l’homme. Et dès lors, si l’on associe souvent à la campagne des représentations bucoliques empruntes de l’héritage antique de la pastorale, les valeurs symboliques que nous associons à la seconde nature apparaissent comme une illusion dictée, un leitmotiv reposant sur la vieille culture artistique et élitiste du regard qui masque les mutations conduisant à la déterritorialisation des hommes, à la sophistication du territoire et l’altération des ressources. «La campagne ou seconde nature est en réalité de plus en plus dans les faits une aire de production industrielle soumise aux diktats fluctuants et déterritorialisés découlant de la globalisation des marchés. L’ambition antique de transformer en «pays-jardin» «l’affreux pays» entourant les murs de la cité se serait matérialisée, mais pas nécessairement pour le meilleur, si on en juge notamment par l’appauvrissement biologique d’un milieu agricole risquant dans un proche avenir de pousser la monoculture à l’échelle de l’uniformité génétiquement contrôlée»3. La considération de ce processus conduisant à une nature soi-disant 177 meilleure amène à des conclusions sinistres. Si le jardin au cours des dernières décennies a su rester fidèle au mythe de sa troisième nature, ce n’est pas sans causer de nombreux dérèglements sur la seconde. C’est sous le signe du mythe arcadien qu’on a vu proliférer ces dernières années les banlieues autour des villes, les urbains cherchant à assouvir leur besoin de nature. Un fossé se crée alors entre la nature que l’on engendre et celle que l’on est venu chercher à l’origine, ce modèle idéologique incarné par la symbolique séduisante du jardin. La sophistication des espaces, la multiplication des réseaux de transports compensatoires, le découpage du territoire et la privatisation pour fournir à tout un chacun la maison et son lopin de terre un temps rêvés, viennent contredire la notion d’équilibre recherchée à travers l’art des jardins. La nature originelle que l’art des jardins chercherait à reproduire par mimesis serait alors un leurre. Aussi ce modèle de nature magnifiée par l’art trouve ses limites dans le déni des conséquences qu’il produit sur la nature initiale du territoire. Pour autant, faut-il nier ce décalage que produit l’idée d’une tierce nature magnifiée par le média de l’art avec la réalité engendrée sur la nature altérée. On pourrait dès lors considérer cette tension Jardins existentiels, Territoires secrets // Paul Leurent
«Les trois natures» entre héritage et stéréotypes : paradigme du couple homme/environnement.
3 Luc Lévesque, « Sauvagerie urbaine et jardins; quelques hypothèses », in Art et jardins. Nature / Culture, Actes du colloque Art et Jardins, Musée d’art contemporain de Montréal, Montréal, 2000, p.129-140. Extrait disponible sur : http://www.amarrages.com/ textes_sauvagerie.html
entre illusion de nature et nature réelle comme un point de départ dans le champ d’expression du jardin secret.
Le jardin secret comme l’expression d’une nature subjective ou «nature autre»
Jardins existentiels, Territoires secrets // Paul Leurent
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Comment rebondir sur ces quelques cyniques observations, sur le sens que paraissent prendre aujourd’hui la première, la seconde nature et celle du jardin ? Quelles formes prendraient alors cette troisième nature, ce jardin secret, si l’on cherche à le confronter à la dangereuse et effroyable réalité du monde et des territoires ? Si le mythe originel du jardin comme troisième nature serait pour une part la cause de la transformation radicale des espaces ces dernières décennies. Il pourrait dans les circonstances participer à l’effacement du lien entre individu et milieu, à l’affiliation bien que plutôt banale de l’art des jardins à la rationalité gestionnaire du territoire. Mais que reste-t-il de secret quand la plupart des aménageurs et des acteurs du territoire instaurent un ordre bien particulier voué à la métamorphose celuici ? Ne peut-on pas dès lors chercher à renverser le regard à user du jardin comme l’expression d’un nouveau paradigme du couple homme et territoire. Et si le jardin à travers l’art engendrait l’idée d’une troisième nature en décalage de la réalité qu’incarne le territoire, on pourrait dès lors être amené à considérer le jardin secret comme une idée abstraite du territoire, un espace de prolongement burlesque de celui-ci, la manifestation volontaire d’un désir illusoire en rupture avec la réalité, d’une sensation perdue afin de retrouver ce qu’est réellement le territoire. Il vient nécessairement le besoin de considérer l’art des jardins non pas comme la représentation d’une nature perdue mais plutôt comme l’expression d’une nature revisitée subjective et nouvelle émergeant d’une représentation autre, personnelle et unique. Au delà des héritages culturels et archétypaux surmédiatisés, les valeurs plus personnelles associées au jardin pourraient alors ouvrir des horizons plus larges pour véhiculer une autre idée de cette troisième nature ou cette nature autre que symbolise le jardin. C’est la complexité même de l’idée de nature qui est à l’origine d’une approche réductrice et simpliste du jardin. En effet, «il est très difficile de saisir ce qu’on entend par «nature», et donc de définir précisément le désir en la matière. La nature est souvent vue comme un tout, comme une réalité concrète, une chose unique pour les personnes»4. Même si les 4 Lise Bourdeau-Lepage, Métropolitiques, le 21/02/2013. Nature(s) en ville. Disponible sur: http://www.metropolitiques.eu/Nature-s-enville.html
représentations du monde qu’il recèle possèdent un caractère confus, voir contradictoire, appréhender la nature par son «jardin secret» semblerait être en résonance avec le sentiment profond d’appartenir à la nature et plus généralement de faire corps avec son temps et son territoire. Le jardin se présenterait ici comme champ d’expression de notre rapport à l’environnement et au territoire manipulant des représentations, l’expérience, et les perceptions. Il constituerait alors une voie pour explorer un territoire existentiel, le rapport de la subjectivité avec son extériorité, qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique, présente, passée ou futur.
De nouveaux fondements pour le jardin contemporain : mémoire, expérience, imaginaire, illusion et rêve La démarche ici est donc d’aborder le jardin secret comme un territoire existentiel pour tenter de mettre en exergue cette troisième nature. Sous la manifestation du jardin, nous cherchons à donner corps à nos représentations du monde, nos lieux de mémoire, nos souvenirs, nos sensations enfouies. Il prendrait la forme d’un parcours, d’une introspection intégrant certains fondements de la démarche paysagiste. Ce parcours consiste d’abord à s’interroger sur la nature (selon les principes de J.D. Hunt) que l’on cherche à questionner, à créer ou reproduire en tant qu’individu. On peut ensuite tenter d’appliquer ce principe en parcourant les territoires de l’existence. En revisitant les lieux pour tenter de comprendre leur diversité, pour ensuite chercher à les détourner et enfin exprimer la substance même de ces lieux. Ce parcours consiste à puiser au fil des territoires ce qui a pu et ce qui peut influencer l’expression même du jardin contemporain. Si la conception de paysages et de territoires repose sur une fascinante sensation qui préexiste et qui perdure dans l’expérience du territoire et des paysages, le rapport d’affectivité aux lieux qu’elle renvoie est une puissante source pour matérialiser la nature de ce jardin. De nature contradictoire, abstraite ou illusoire, il convient de cheminer à travers les parcelles de ce jardin comme dans des micro mondes, où ce qui semblait avoir été perdu, oublié, insoupçonné, semble refaire surface et prendre racine. Car ce jardin, c’est celui qui nous met à distance du monde pour mieux le comprendre. Comment s’en saisir ? Quelles formes et quelles tournures prend-il ? Comment la notion de territoire rentre-t-elle en jeu ? Comment aborder les aspects complexes de ce cheminement de pensée ? Doit-on se fier à sa mémoire ou à ce qui s’y cache, à son expérience ou à ses rêves et illusions ? Ce jardin renvoie t-il réellement à notre ou à une amnésie volontaire et inconsciente de notre réelle nature ?
Claude Lévi-Strauss a montré dans son livre La Pensée sauvage que les êtres humains ont observé attentivement la nature et testé des hypothèses à l’infini pendant près de dix mille ans. A l’écoute des plantes et centrés sur la médiation entre les êtres humains et les esprits de la nature, certains chamans d’Amérique du Sud ont décelé certains secrets de la nature en trouvant des combinaisons médicinales inédites parmi les milliers d’espèces de plantes situées dans la forêt amazonienne. Une connexion à la nature sans pareil véhiculée à travers les âges par la mémoire des hommes, déjouant la science et la médecine occidentale. C’est ainsi que les animaux et les plantes ont été domestiqués. C’est également par l’observation fine de son environnement, de ses formes, de ses logiques et composantes, ses éléments, et cycles naturels que l’homme a édifié des villes et villages en parfaite harmonie avec le paysage naturel, comme en témoigne les édifices troglodytiques amérindiens «anasazis». La civilisation repose sur une science du contexte paysager millénaire. Au XXIème siècle alors que l’empreinte humaine exerce une pression sans précédent sur les écosystèmes, elle risque chaque jour de briser davantage l’harmonie entre l’espace urbain et son environnement, phénomènes naturels inclus. La civilisation est en chemin vers la construction d’une seconde nature qui tend à voir la précédente complètement perturbée, transformée. Nous parvenons à l’ultime phase de notre amnésie écologique. Et la nature n’est plus aussi présente dans notre conscience et notre mémoire5 qu’autrefois. La conscience et la maîtrise du processus d’anthropisation de la surface du globe à l’œuvre semblent nous échapper. «Voir tout court, au plus près au plus vif»6, afin de ménager par le regard et la pensée la surface de la terre malmenée. Que nous reste-t-il donc à faire quand la trajectoire naturelle des mécaniques terrestres a été complètement modifiée par l’activité humaine ? A notre époque plane le sentiment d’incertitude d’avoir commis l’irréparable, alors doit-on avancer ou reculer ? Faire d’elle une seconde peau voire une troisième si ce n’est davantage, quand il faut redessiner le monde à l’image d’une nature définitivement perdue. Redéfinir les frontières, redonner de l’épaisseur au sol, libérer des espaces pour les rivières sortant de 5 Etude de la Royal Society for the protection of birds (RSPB) Public demands ‘Every Child Outdoors’ Lorsqu’on demande aux 15-34 ans de raconter des souvenirs d’enfance liés à la campagne, moins de douze moments leur reviennent en mémoire. De leur côté, les plus de 55 ans se souviennent très bien d’avoir joué avec des châtaignes, d’avoir grimpé aux arbres et même d’avoir collectionné des fossiles trouvés dans la nature ou d’avoir nagé dans un étang. 6 Jean Démelier poème pour l’exposition du peintre Daniel Mohen «En suspension», février mars 2010, galerie Actuart, Nice
leur lit, une délicate entreprise alors que les océans et le climat grondent sur nos territoires, entropie spectaculaire courtisant les conquêtes de l’homme où il pensait croître sans limite. Humaniser davantage les espaces habités, renégocier avec la présence de la nature dans les espaces sous-jacents et mettre ces deux éléments en tension afin qu’ils ne fassent qu’un. Et alors je cherche dans la mémoire des lieux ici et là-bas, parfois sous forme d’indices, de traces, de signes ; faire ainsi de la sorte pour que la première peau de la terre se révèle à nos yeux. Mais le travail ne consiste ni à la réactivation de la domination humaine sur le vivant ni à la contemplation d’une nature maîtrisée soumise à nos désirs narcissiques. Il ne s’agit pas non plus de nous complaire dans une démarche conforme à notre vieille culture élitiste du regard porteuse de normes rassurantes. En tant que paysagiste, je semble faire partie de ceux qui, dans la compréhension des phénomènes naturels et de l’environnement, cherchent à établir un consensus avec les lieux qu’ils habitent. Chercher à mettre en place une zone de négociation afin qu’à chaque lieu une nouvelle connexion se mette en place. Tenter de comprendre l’essentiel d’un lieu. Relier les parcelles pour faire du monde notre jardin. Cette notion d’équilibre qui pour moi doit être véhiculée trouve son sens profond à travers le concept de paysage. Le paysage qui s’exprime dans la confrontation/ négociation entre nature et culture. Qui plus est, ce paysage est une façon de regarder le monde comme 179 un jardin, comme un tout harmonieux. Une attitude qui je l’avoue relève dans les circonstances actuelles plutôt de la schizophrénie. Tel est ainsi le rôle du paysagiste, extraire la substance du paysage puis s’exprimer avec dans les lieux où la dualité nature/ culture s’efface. Écrire sur la surface du monde avec le langage de la terre, celui qui rassemble les hommes pour créer une troisième nature, celle du jardin. Mais quelles sont les forces en présence qui agissent pour nous pousser à retisser un lien existentiel avec cette nature devenant plus civilisée que jamais? Sur quels fondements contemporains repose alors cette nature ? Quelles transactions s’établissent entre nous et elle ? Cette énergie créatrice repose t-elle sur les lieux ou sur notre expérience de ceux-ci ? Cette expérience créatrice que je nomme parfois à défaut de justification «inspiration» n’est-elle pas nourrie ellemême par la somme des lieux que nous traversons au cours de notre vie? Cet ensemble de lieux pourrait-il alors constituer une forme de bibliothèque contenant nos expériences, nos réactions, suspicions, peurs, fantasmes, émotions et sensations, nous reliant au monde ? Cette bibliothèque pourrait-elle constituer les fondements d’une forme nouvelle et inédite du jardin contemporain au delà des modèles actuels ?
Jardins existentiels, Territoires secrets // Paul Leurent
Inquisitoire d’un paysagiste : le territoire est-il notre jardin ?
Jardins existentiels, Territoires secrets // Paul Leurent
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S’affranchir des modèles à la recherche de nouveaux fondements
La connaissance de soi par le jardin et le territoire
Aujourd’hui les médias bombardent et brouillent nos représentations, photographie, filmographie produisent un flux homogène rendant l’information immédiate écartant les doutes et toute subjectivité. Cette surabondance banalise la géographie, l’expérience, les représentations mentales et comportementales ainsi que les sensations des lieux que je cherche à relier à la représentation du jardin. Ce paradigme déguisé par de médisantes et soi-disant civilités nous dépossède d‘une nature instinctive et nous finissons par nous mentir à nous-mêmes. La mémoire et l’expérience seraient la condition sine qua none de notre délivrance de la libération de nos idées et de notre conscience territoriale. Le souvenir en négatif pourrait dissimuler une autre expérience du monde, un autre paradigme. La mémoire collective tout comme la mémoire subjective semble inhibée par les stéréotypes véhiculés, noyée dans un délire postindustriel, égocentrique et mercantile. L’épanouissement personnel devient une culture de masse centrée sur la capitalisation et nous finissons par ressembler à tout le monde. Il nous reste cependant des traces de notre nature primitive nous rattachant de manière singulière au monde mais que nous sommes encore incapables de faire émerger. Conséquence qui nous amène à dénoncer ici une forme d’amnésie collective. Cette mémoire cachée, ces représentations enfouies des lieux deviennent ici le leitmotiv de la recherche d’un nouveau paradigme, de nouveaux fondements pour le jardin.
Ainsi, soyons Candide, cultivons notre jardin, nous en avons tous un, parcelle de nous-mêmes, de notre individualité que l’on dissimule. Faisant fi de notre conscience et de notre position géographique actuelle, il est écrit, crypté, brouillé à l’intérieur de nous-même. Portion de notre humanité, fruit de notre expérience. Nous le dessinons sans même nous en apercevoir au fil de l’âge. Mœurs, goûts, connaissance, culture, âge, histoire, religion, imaginaire, relations sociales, représentations du monde, ce jardin contient un ensemble de représentations furtives, inhérentes aux lieux que nous parcourons. Ce jardin pourrait même être le fondement d’une nouvelle culture des paysages et la conscience de notre environnement. Cette face cachée : une forme d’écosophie à la frontière entre représentations du réel et imaginaire, entre souvenir et désir. Mais pour cela il nous faudra parfois renier nos représentations actuelles, nos stéréotypes. Amnésie morale ou volontaire. «Parce que, dès qu’on est dans la négation complète de quelque chose, on est dans la reterritorialisation au moins imaginaire dessus»8. Or nous sommes à l’avènement d’une nouvelle ère écologique et tout reste à faire, à imaginer.
En outre, le souvenir introspectif contient davantage d’informations. Et si l’existence et la récupération du souvenir semblent difficiles à mobiliser, le souvenir ne possède pas une durée déterminée et il est potentiellement infini. En effet, en y réfléchissant, on peut constater que le contexte spatial et temporel est indissociable du souvenir. L’information contenue dans le souvenir permet également de faire ressurgir de multiples détails perceptivo-sensoriels et phénoménologiques, comme l’état émotionnel associé à des lieux. La mémoire nourrit ainsi la pensée et l’idée. On peut considérer alors que les souvenirs que l’on rapporte à la mémoire épisodique7 constituent une sorte de jardin aux parcelles et aux recoins indénombrables. 7 Endel Tulving, 1972. La mémoire épisodique est la mémoire de l’expérience, des événements qui surviennent dans notre vie, une sorte de mémoire biographique. Quand on se rappelle le passé, quand on réactive un souvenir, on fait une expérience mentale particulière: on se voit acteur des événements, on est conscient de son identité. Tout se passe comme si on revoyait le film en «caméra subjective». Un certain état de conscience est associé à la mémoire épisodique. On a besoin d’être attentif – ce n’est pas le même état de conscience que lorsque l’on regarde ce qu’il y a autour de soi ou que l’on entend les bruits alentours.
A la recherche d’espaces autres Avant d’être le fruit d’une création matérielle, le jardin est une représentation du monde rattachée à une géographie. En cela il est une partie infinitésimale du monde: «Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. Le jardin, c’est, depuis le fond de l’Antiquité, une sorte d’hétérotopie heureuse et universalisante»9. En s’appuyant sur la citation de Michel Foucault, on constate que le jardin est avant tout un «espace autre». Il serait ainsi celui par lequel nous chercherons à définir ce rapport intime au monde, cette troisième nature. A partir de ce jardin, nous serons donc capables de déformer la réalité en détournant les 8 Le philosophe et psychanalyste français Félix Guattari développe la notion d’«écosophie» dans son ouvrage Les trois écologies (Paris, Éditions Galilée, 1989. 9 Par Geneviève Sicotte publié le 18/01/2011 sur Projet de Paysage www.projetsdepaysage.fr Pour Foucault, les hétérotopies sont des «sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut retrouver à l’intérieur de la culture, sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux.» Le jardin alors considéré comme hétérotopie est un espace dont les règles ne sont pas celles du monde quotidien. La nature choisie, civilisée et idéalisée qui compose le jardin, ainsi que sa clôture qui le met à l’abri du monde, le font proposer au cours de l’histoire littéraire comme image, métaphore ou symbole de l’intimité et de la subjectivité.
lieux de notre mémoire et de notre quotidien pour les faire devenir autres. Créer des espaces entre perceptions et fictions, entre réalité augmentée et souvenir, entre mémoire et idéal, entre concepts, expériences et affects. On pourra dès lors considérer que nous possédons dans notre mémoire cette bibliothèque spatiale et perceptivo-sensorielle constituant de facto le potentiel biotope de notre jardin, une mémoire territoriale, le terreau de notre troisième nature. Si celle-ci apparaît sous forme de traces, indices, empreintes, signes, émotions, peurs, fantasmes et registres sensoriels, on pourra facilement les détourner pour les faire devenir cette hétérotopie heureuse parfois effrayante, universalisante et inventer ce jardin secret. L’ensemble de cette réflexion représente donc l’amorce du processus créatif de mon jardin secret. Le travail ci-après tente de rester fidèle à ces concepts même si ce parcours créatif montre souvent des aspects subjectifs et personnels qui pourraient s’éloigner de ces principes théoriques.
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Jardin I : Terra (in) cognita Terra (in)cognita, cette inscription figurait sur les cartes géographiques, notamment les mappemondes, pour désigner les terres situées au-delà des zones connues par les Européens. Continent méconnu et inquiétant, la Terra Incognita est une terre mythique où se projettent fantasmes (El Dorado) et fantômes (Hic sunt dracones) d’une société. De nos jours, on prétend qu’il n’existe plus de territoire réellement jamais exploré par les hommes, hormis de nombreux territoires souterrains et fonds marins, mais au yeux de qui ? Dès lors le terme est utilisé de manière plus figurée. Temps partagé [con-tempus], «relation singulière avec son temps», «rendez-vous secret entre l’archaïque et le moderne» (Agamben). La Terra (In)Cognita met en exergue le caractère exploratoire et subjectif, dans un contexte où la rationalité gestionnaire des espaces tend à occulter la diversité, les contradictions et les incertitudes du territoire contemporain.
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Mis côte à côte les territoires associés à notre parcours de vie paraissent peu en accord les uns aux autres, nous les habitons seulement qu’un moment et les traces qu’ils laissent dans notre conscience sont fugitives. Pourtant, c’est toute l’histoire associée à la construction de notre individualité qui s’y tisse. Mais nous ne devons plus les regarder comme un simple point sur la carte ni comme des erreurs de parcours. Nous ne devons pas interpréter ces trajectoires comme conquête d’un soi-disant «j’y suis allé» en passant naïvement de l’un à l’autre comme un vulgaire pigeon voyageur. Et plutôt que de considérer la notion de propriété comme condition de l’existence de notre jardin, il faudrait examiner ces lieux que nous nous approprions librement dans notre vie ou que nous aimerions faire nôtres. Et cette appropriation passe par la connaissance, la compréhension, l’exploration. Une clé de nos représentations qui dépasse souvent les archétypes associés à ces lieux. Accepter de prendre des chemins différents pour regarder le même espace et le même territoire est la voie de la singularité. Se confronter à l’extérieur, questionner l’étrange, considérer les anecdotes et appréhender ces territoires connus comme inconnus permet de renouveler notre regard. Et c’est par ce regard que ce territoire devient jardin. Il dévoile ainsi ses dimensions singulières et parfois secrètes. J’ai ainsi d’abord cherché à interroger l’ensemble des
territoires parcourus pour les mettre en exergue de manière plutôt rationnelle. L’aspect ordonné que révèlent les cartes de fragments de territoires, et l’aspect stéréotypal des paysages et territoires de mon existence, m’ont permis de rapidement chercher à transcender les représentations et le regard que je porte sur ces territoires afin de rapidement chercher le sens profond de mes expériences du paysage.
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LES PAYSAGES ET TERRITOIRES DE MON EXISTENCE: [1] [2] [3] [4] [5] [7] [8] [9]
LILLE, ROUBAIX, TOURCOING (5)9) BORDEAUX ET SA PERIPHERIE (33)) CAP FERRET ARCACHON, BISCAROSSE ( 33) STAPLES (59) ESPELETTE CAMBO LES BAINS LA RHUNE (64)) VENTEROL, NYONS, MONT VENTOUX (26) LACANAU, CARCANS, HOURTIN, SOULAC ( 33) BAYONNNE (64), CAPBRETON, HOSSEGOR (40) [10] TERRE OUBLIEE... [11] PALOMBAGGIA PORTO VECCHIO (2A) [12] BONIFACCIO (2B) [13] MARBOURG (HESSE, 35001 DEUTSCHLAND) [14] FRANCKFURT (HESSE, 60311 DEUTSCHLAND) [15] BRUGES (FLANDRE OCCIDENTALE 8000) [17] WORHTING, LANCING, BRIGHTON (SUSSEX, UK) [18] PIC D’OSSAU, GAVARNIE, ST LARY, (65) [19] BERGERAC, MONBAZILLAC (24) [20] DONOSTIA, IRUN, HENDAYE, ST JEAN DE LUZ (64)
[21] [22] [23] [25] [26] [27] [28] [29] [30] [31] [32] [33] [34] [35] [36] [37] [38] [39] [40] [41] [42]
ANGERS (49) LEEUWARDEN (, FRISE 8900 HOLLAND) AURAY (56) ANTIBES, VILLENEUVE LOUBET NICE (06) GRASSE(06) MARSEILLE (13) CAHORS (46) MIMIZAN ( 40) KOBENHAVN (HOVESTADEN, DANEMARK) VILNIUS ,(DZUKIJA, LIETUVA) NANCY (54) PORTO LACQ, PAU (65) TARBES, SAROUILLES, LANSAC (64) VENEZIA (ITALIA) VICENZA (ITALIA) TOULON (83) MORAIRA (ALICANTE,ESPANA) GUADALEST (ALICANTE,ESPANA) VALENCI A ( ESPANA) PIC D’ORHY LARRAU, STE ENGRACE, PIC D’ANIE (64)
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[ordre chronologique de parcours] VILLES (Département, pays)
FRAGMENTS DE TERRITOIRES
[8] LACANAU, CARCANS, HOURTIN, SOULAC ( 33)
[16] ILE D’ OLERON (17)
[23] AURAY (56)
[4] STAPLES (59)
[21] ANGERS (49)
[1] LILLE, ROUBAIX, TOURCOING (59)
[17] WORHTING, LANCING, BRIGHTON (SUSSEX, UK)
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[19] BERGERAC, MONBAZILLAC (24)
[32] NANCY (54)
[15] BRUGES (FLANDRE OCCIDENTALE 8000)
[22] LEEUWARDEN (, FRISE 8900 HOLLAND)
184 [28] CAHORS (46)
[13] MARBOURG (HESSE, 35001 DEUTSCHLAND)
[7] VENTEROL, NYONS, MONT VENTOUX (26)
[14] FRANCKFURT (HESSE 60311 DEUTSCHLAND)
[31] VILNIUS ,(DZUKIJA, LIETUVA)
[30] KOBENHAVN (HOVES TADEN, DANEMARK)
[33]
PORTO
[20] DONOSTIA, IRUN, HENDAYE, ST JEAN DE LUZ
[9] BAYONNNE (64) , CAPBRETON, HOSSEGOR (40)
[3] CAP FERRET ARCACHON, BISCAROSSE ( 33)
ESPELETTE CAMBO LES BAINS LA RHUNE (64)
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[18] PIC D’OSSAU, GAVARNIE, ST LARY, (65)
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GRASSE(06)
VALENCI A ( ESPANA)
[11]
[10] L ILE ROUSSE (2B)
HYERES LES ILES
MANDELIEU, CANNES,ANTIBES, VILLE NEUVE LOUBET NICE (06)
[39] MORAIRA (ALICANTE,ESPANA)
[36] VENEZIA (ITALIA)
[37] VICENZA (ITALIA)
PALOMBAGGIA PORTO VECCHIO (2A)
[24]
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[12] BONIFACCIO (2B)
ST MANDRIER (83)
[38] TOULON (83)
[26]
[27] MARSEILLE (13)
[6]
[40] GUADALEST (ALICANTE,ESPANA)
[35] TARBES, SAROUILLES, LANSAC (64)
[2] BORDEAUX ET SA PERIPHERIE (33)
[42] PIC D’ORHY LARRAU, STE ENGRACE, PIC D’ANIE (64)
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[34] LACQ, PAU (65)
[29] MIMIZAN ( 40)
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Livre II : TERRA PRECIOSA
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En renouvelant ce regard, on peut ainsi apercevoir des zones d’ombre sur la carte de notre territoire, tout comme nous pouvons mettre en lumière certains lieux qui nous paraissent familiers et proches. Ces espaces ne sont pas notre jardin, à proprement dit, et parfois d’un point de vue du droit privé, nous en forçant l’entrée bravant les interdits, rendant le rapport entre individu et espace plus palpitant, faisant ressurgir peurs et fantasmes. Pourtant ce sont nos terres précieuses, ce sont les lieux de l’existence que nous affectionnons particulièrement. Ces lieux visités sont ancrés dans notre mémoire. Suscitant affection, amour, curiosité pour le monde, pour les gens et les choses. Ils nous intriguent, nous canalisent, nous apaisent. Ils nous habitent tout comme nous les avons habités, nous nous y sentons bien. Maintenant il s’agit de nous y projeter, de revisiter ces lieux. Chacun de leurs détails peut agir de manière bénéfique sur nous à présent si nous cherchons à les mobiliser, et nous nous surprenons de voir comment chaque chose ou élément peut se métamorphoser au fil du temps et prendre davantage de sens. Les éléments et la manière dont ces lieux se composent peuvent être source d’inspiration et de représentation abstraite quand on cherche à les mobiliser. Leur matérialité, des forces pures au delà du regard, circulent même si physiquement nous ne pouvons pas faire corps avec. Nous pouvons leur donner corps, les extraire et les doter d’autres spatialités. Ces terres précieuses deviennent des espaces autres, dissimulés dans notre mémoire. Ces lieux font partie de nous, de notre subconscient. La façon dont nous pouvons dépeindre ce jardin à travers ces lieux marquants de notre existence nous montre comment le territoire à plus grande échelle est régi par ces règles communes, cette dimension autre et subjective. Même si ce rapport reste subjectif et critiquable selon l’angle d’approche, il n’en reste pas moins une manifestation de notre rapport au territoire. Les images mentales qui en découlent confèrent un degré de connexion à ce jardin. A nous de mobiliser ce langage pour questionner d’autres espaces qui pourront, qui sait, devenir à leur tour notre jardin.
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ST MANDRIER (83)
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«La main du vieillard, creusée par le temps et le travail répétitif malaxant cette chose, le pain des hommes. Celui qui alimente aussi les poissons. Cette main rappelle ce lieu où il se trouvait là tous les jours de l'année, à toute époque et toute saison passant le temps en quête de subsistance. Le pêcheur, la main malaxant son appât, est devenu la figure énigmatique de ce lieu, symbole du temps qui passe, de la patience, la sagesse et la persévérance».
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[2] BORDEAUX ET SA PERIPHERIE (33)
«Au calme des eaux d’un marécage dont les profondeurs aquatiques renvoient jadis à l’effondrement de galeries souterraines, fascinations enfouies. Entrecroisements de lignes submergées par les eaux, désormais le gîte où viennent pulluler dans les roseaux étoffés hérons, canards et carpes. Terrain de jeu pour les funambules. Sanctuaire où se côtoient bois vivants et morts.»
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[3] CAP FERRET ARCACHON, BISCAROSSE ( 33)
«Ici, l’ombre et la lumière ne se rencontrent que deux fois par jour, à l’intervalle d'une journée. Les rythmes, les mouvements s’accomplissent et les élements s’agitent. L’océan sculpte d’ondes incessantes les plis ridés par le vent des rivages sableux et mouvants.»
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[9] BAYONNNE (64) , CAPBRETON, HOSSEGOR (40)
«La vision et la sensation de l’eau agissant comme une onde dans le sommeil, bercent et parcourent le corps comme l’écho d’un cri se dispersant dans la montagne, image mentale retraçant les bienfaits d’une longue journée à jouer dans les vagues.»
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[2] BORDEAUX ET SA PERIPHERIE (33)
«La modénature intrigante d’une falaise, où la géométrie accidentée de ses lignes entrecroisées, les plantes et les mousses qui viennent se fixer dans les failles vous invitent à imaginer les cycles d’érosions, les transformations et les métamorphoses de la roche.»
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Livre III : Migratio
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Partir et revenir... Fuir pour se ressourcer... S’éloigner puis se retrouver... Mouvements chroniques et incessants, qui a dit peuple sédentaire ? En venir au fait qu’on est mieux chez nous qu’ailleurs... Délicieuse sensation, celle du déplacement géographique. Le mouvement engageant le corps est un événement qui marque également de manière exceptionnelle la conscience et la mémoire pourtant on passe de ces lieux à d’autres sans prêter attention à cette trace, à ce qu’on laisse derrière nous. N’avez-vous jamais eu le sentiment de réaliser un trajet dans les transports de manière tellement récurrente que celui-ci ne marque plus votre attention ni votre mémoire ? Et pourtant il est très facile de se rappeler le motif du trajet et son parcours «géo» graphique, mais l’expérience nous échappe. Le sentiment de répétition dans l’expérience du déplacement est difficile à définir comme aveuglante et provoquant parfois chez l’individu une forme d’ataraxie, de jouissance, de sommeil éveillé. La raison de notre déplacement entraîne sur la conscience une forme émotionnelle particulière, excitation, impatience, une forme d’aliénation rendant le territoire et le paysage flous, presque inexistants. Les hormones opèrent, la conscience retrouve un peu d’animalité... Agissant alors de manière quasi instinctive le trajet n’a plus d’importance, seule la destination compte. Mais alors la trace de ces multiples trajectoires subsiste, errant dans notre mémoire, devenant sensation. Ces cheminements uniques et singuliers nous amènent à redéfinir l’écriture géographique de ce parcours. Attardons-nous sur la trajectoire elle-même et nos parcours successifs sur le territoire. Ces fluctuations dans le temps et dans l’espace deviennent synesthésie, un croisement de perceptions entre le parcours et sa répétition dans le temps. Ils forment une onde circulatoire, écriture physiologique de l’individu au sein de son environnement. Le vitalisme prend place, la force de vie qui se déploie à travers ces trajectoires échappe ainsi à l’ordre programmatique et linéaire des réseaux de transport. Se répétant aux grès des pratiques, se modelant destination après destination, cette écriture se métamorphose, se faisant l’écho des mécaniques naturelles terrestres, du parcours nomade des animaux. Ce parcours devient migration, inscription d’une corporalité fractale de l’individu sur
son environnement, sur son territoire. Trajectoires biomimétiques comparables à celles des être vivants qui génèrent leur propre tissu organique. Ces va-etvient issus de nos déplacements forment alors une chorégraphie unique supplantant n’importe quelles formes préexistantes du territoire. Or, dans la tradition classique des jardins, le parcours est au cœur des fondements de la structure même du jardin en reliant des espaces énigmatiques. Sur le territoire nos parcours relient ces lieux précieux. Si nous sommes capables d’interroger nos parcours de territoires à la fois par la forme qu’ils prennent et le sens qu’ils ont, nous sommes capables de déceler le jardin secret qu’il est susceptible de faire émerger. Ce parcours que j’ai cherché à retranscrire, c’est celui rattaché à ma pratique du surf, sur le littoral aquitain. La spatialité créée dans ce jardin secret auquel ces trajectoires font référence est le fruit d’une interprétation à la fois géographique et subjective. J’ai cherché une connivence entre les parcours, la perception géographique engendrée par ces parcours et mes représentations engendrées par cette pratique, la quête de la vague parfaite, l’observation et le suivi des aléas et des conditions climatiques ainsi que le rapport au corps que cette pratique induit. Ainsi, ce jardin secret dans son approche formelle tente de faire la synthèse de mes visions en insistant sur la notion de trajectoire et les parcours engendrés au fil des années.
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La spatialitĂŠ et le rapport au corps engendrĂŠs par la vague
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Vision de la vague parfaite.
Formation des ondes de houles sur l’océan condition associée à la pratique.
AN IZ
CAP FERRET
LAGUNE PETIT NICE LA SALIE
MOLIETS
CAPBRETON LABENNE
ANGLET BIDART LE
SSE RO CA SALIE GUNE - PETIT NICE S I B LA LA CAP FEGRERLEATCA NAU LA POR
GRAND CROHOT
MOLIETS
HOSSEGOR
BID AR T AN GL ET LA BE CA NN HO PBR E S SE ETO GO N R
LE PORGE
MO LIE TS
LACANAU
26 25 ANS A 24 A NS 23 A NS 22 A NS N 21 A S NS 20 A NS 19 AN S 18 AN S 17 ANS 16 ANS 15 ANS 14 ANS 13 ANS 12 ANS 11 ANS 10 ANS 9 ANS 8 ANS 7 ANS 6 ANS 5 ANS 4 ANS S 3 AN NS
MIMIZAN
M IM
202
L E S PEC CIE R
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C ULA SO
SOULAC
6 5 ANS 4 ANS S 3 AN S N A 2 A 1 N
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Livre IV : cREATIO EX MATERIA
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Mon jardin secret, c’est également un lieu imaginaire, des terres éloignées qui ne ressemblent pas à ce que le monde connaît. Ici, l’illusion se confond avec la réalité, cette illusion, c’est celle d’être capable de créer à partir de signes, traces empreintes, sensations, au contact des éléments, d’être capable de transformer ce que nous percevons de la réalité. Un parcours entre expérience et subjectivité cherchant à rendre matériel et tangible ce qui est à la base des sensations. Un croisement entre ce que contient la matérialité, la matière du monde physique, et la multitude des affects qui nous y relie. Le corps devient ainsi un livre de connaissances permettant de réinventer et redécouvrir ces lieux et éléments physiques. Assemblées et ré-assemblées pour donner naissance à une forme, un objet, une architecture, un micro-monde. Cette illusion permet de déjouer les éléments, la matière qui façonne notre monde réel. Dans la Genèse il est dit que l’eau et l’obscurité existaient avant Dieu. Dieu créa la lumière, le paradis puis la Terre. L’homme n’a pu être créé qu’ensuite. Il est dit également que Dieu a créé l’homme à son image. Sans la présence des éléments associés au macrocosme l’homme ne pouvait s’identifier comme un microcosme appartenant à un système plus large. L’homme n’aurait pas pu apprendre à se connaître lui-même et élever sa conscience sans s’identifier au préalable à la nature qui l’entourait. Il se réalisa à travers les êtres et la matière que pourvoit son environnement en poursuivant la quête d’un paradis perdu. Cette histoire, tout comme il est dit dans la Genèse, c’est aussi par analogie celle du nourrisson, individu dont la conscience fut d’abord bercée par l’eau et l’obscurité. Les premiers balbutiements de la vie, les premières sensations, l’apparition de la conscience sont donc liés à cet élément primitif. Elle est à la fois ce qui nous sépare et nous relie au corps de la mère. Elle est à tout moment un équilibre entre les éléments et les particules structures autorisant son passage et celles concernées par sa réabsorption. Elle est un flux circulatoire respiratoire entre les tissus vivants. En grandissant cette eau est toujours le matériau de base de vie de cet individu, constitutif du corps
Retranscription de la sensation de l’eau
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Mise en espace du dessin issu de la sensation aquatique
humain à plus de 70 %. Tout au long de l’existence, l’eau nous habite, respectant avec humilité la nature des corps, elle emprunte toujours le même parcours. Le corps devient vecteur de la matérialité de l’eau. L’eau est «courtoisie» elle prend la forme du corps qu’elle occupe et le corps à son tour la libère et la restitue sous sa forme originelle. Il s’établit ainsi une forme de politesse entre le vivant et l’eau. Cette représentation nous amène à l’évidence que l’eau possède une infinité de combinaisons architecturales et fractales qui dépassent notre manière de concevoir les choses. Certains astrophysiciens, à travers plusieurs théories quantiques affirment que le corps humain absorbe des champs énergétiques. Il en va ainsi pour n’importe quelle particule de matière capable d’absorber et de restituer des rayonnements électromagnétiques. Ces phénomènes sont liés aux photons, particules permettant la circulation des ondes électromagnétiques passant par le vide et la lumière visible, la matière n’en serait que le négatif. Il s’élaborerait ainsi un langage entre les êtres et la matière, l’eau, la terre et nous.
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L’eau est mémoire. La matérialité de l’eau tout comme celle de la matière est vibratoire. Ainsi, en parcourant notre histoire sensorielle, nos visions, ce qui ne semblait qu’illusion que fiction, deviendrait réalité. Et lorsque l’on cherche à retranscrire les sensations que procurent les lieux, on ne peut se contenter seulement de dire que l’on imiterait la nature. Nous sommes en réalité son prolongement. Le corps et la matière apparaissent comme deux forces en perpétuelle interaction et synergie, la conscience est alors à la croisée. Le langage qui permettrait de retranscrire la sensation d’être parcouru par l’eau deviendrait conscience de la matière. Son architecture, sa mise en espace sur le territoire deviendrait un jeu de politesse et de courtoisie bénéfique pour l’un comme pour l’autre.
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Recherche de nouvelles spatialitĂŠs
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Le corps, la matière en négatif est le reflet du parcours de l’eau
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Une mÊtaphore de la sensation que l’eau procure au corps
En profondeur
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En surface
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Une force créatrice face au monde
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C’est autour d’une force créatrice insoupçonnée que le jardin dans ses multiples dimensions semble évoluer et se métamorphoser à chaque époque. Le jardin s’évertue à déployer un langage spécifique de notre rapport au monde. Même si la démarche semble prendre plutôt l’allure d’un exercice de style, elle se veut cependant ouvrir un champ expérimental dans l’association entre l’imaginaire, la mémoire, l’expérience subjective dans l’interprétation de notre territoire, terrain d’expérience quotidienne. Le jardin s’exprime comme une tension entre le territoire des hommes et leur perception, leurs représentations. Et c’est la dimension subjective, cette troisième nature élevée au rang de l’art qui lui confère cette dimension secrète. Enrichir son langage permet d’outrepasser les affinités avec le cadre culturel et historique de l’art des jardins. La sémantique recherchée et mise à l’épreuve à travers cet exercice se retrouve rapidement à questionner ce qui fonde l’approche des jardins. Elle parvient même à lui échapper en bousculant les images, les repères et les représentations, pour s’éloigner de la traduction concrète du jardin. Cela nous permet d’apercevoir que l’idée même de jardin revêt des dimensions complexes. Cela ne va pas sans dire quelques mots sur la démarche car l’idée de jardin repose avant tout sur une posture bien précise, le regard qui va sans cesse questionner et tenter d’enjoliver les choses. Et, le work in progress semble prendre bien plus d’importance que le résultat attendu. Car le jardin représente bien plus qu’un exercice de style, une première étape de la démarche passant par la réflexion théorique, la recherche voire même l’abstraction. Peu à peu, ces entrées subjectives et très spécifiques, que j’ai appelées livres ont à chaque fois libéré mon regard, ce qui m’a permis de faire émerger un jardin secret pour chaque lieu. Cette approche m’a donc permis de renverser la notion de territoire en l’amenant vers des aspects engageant davantage la sensibilité des individus. Cette posture introspective sur l’individu résulte d’un équilibre dans le choix des éléments sélectionnés du territoire, leur capacité narrative qu’ils exercent sur le regard, ainsi que leur potentialité de mise en espace. Cet expérience m’a également permis en retour de mettre en tension la mémoire comme expérience créative. Ici, le jardin semble une métaphore
appropriée pour exprimer ce lien affectif qui me rattache à chacun des lieux que j’ai pu parcourir et qui me semblent toucher profondément mon âme de paysagiste. «La tradition du jardin d’agrément le présente à la fois comme espace privilégié de la scholè (du loisir d’étude ou de la méditation), et comme le territoire par excellence du parcours, de la promenade qui articulerait et associerait les lieux. Cette seule conjugaison permettrait de supposer que l’art de la mémoire a dû trouver dans le jardin un terrain d’expression approprié au fil des époques.»10
10. Sebastien Marot, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010, cit p.30.
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Photographie Adrien Moréni
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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Le silence de l’eau
Adrien Moréni
Les hommes et le jardin Qu’est-ce qu’un jardin? Il semblerait que les premiers jardins aient été entrepris grâce à un changement majeur des modes de vie des êtres humains : la sédentarisation. Au départ, ce jardin doit répondre à un besoin primaire, nourrir les Hommes. Le jardin vivrier et nourricier, est ici source et ressource du développement des sociétés humaines. Il ne faut donc pas oublier les valeurs primaires qui lient les hommes au jardin. Mais avec le temps et les âges, le jardin va acquérir de nombreuses significations, symboliques et réalités indexées à sa fonction première nourricière. Le mot le plus ancien qui traduit l’esprit du jardin est le mot Paradeisos (vieux perse). C’est un terme grec qui veut dire paradis, mais aussi jardin et enclos.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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Dans l’Antiquité et les temps anciens, les Paradeisos étaient des jardins extraordinaires réalisés pour l’agrément des princes et des rois. Le jardin premier, jardin d’Eden, est donc un verger dont les fruits sont parés de la vertu très particulière de donner l’immortalité. Le Paradeisos était un symbole d’abondance et de prospérité dans lequel la Nature offrait à l’homme tout ce dont il avait besoin. Il faut certainement voir dans le jardin paradisiaque la métaphore du questionnement de l’homme qui doit mourir face à une végétation immortelle qui se régénère infiniment. Il ne s’agit donc plus simplement de se nourrir mais d’incorporer la qualité régénératrice du fruit et donc de la nature. Le jardin est un espace imaginaire, un espace propice à la réflexion, à la méditation, à la confrontation passive entre l’humain mortel et la nature éternellement renaissante, «espace d’utopie localisée», «hétérotopie» comme le décrivait Foucault. Dans le jardin, l’homme interroge la nature sur la raison de sa mortalité. Fruit d’une domestication de la nature, il suppose la notion d’un dessin de culture au sein d’un espace sous contrôle, détaché du milieu naturel par une barrière physique qui va engendrer un enclos («Garten» en Allemand signifie littéralement «enclos») et qui est pourtant lié au monde extérieur grâce aux symboles véhiculés, à la relation aux mythes et tout simplement parce qu’il fait partie du milieu ambiant. Donc le jardin tient à la fois de la nature et de
l’artifice. Dualité fondamentale qui implique, entre autres, que cette forme très spécifique de création mobilise aussi bien un ensemble de connaissances sur l’environnement et le vivant qu’une série d’opérations concrètes. L’art des jardins va évoluer en fonction des contextes culturels tout comme les relations entre le monde, les Hommes et le jardin. Le jardin apparaît donc comme un espace de plaisirs, de connaissances et de pratiques ainsi qu’un espace à déchiffrer, transcendantal et cosmogonique. Il invite à la méditation sur le monde et à la formation d’expériences matérielles, sensorielles et techniques inédites. Il appelle la connexion au monde par ses spatialités multiples : liberté, rencontre, dialogue entre nature et culture, lieu d’expériences et de réflexions… Il peut être un espace sous contrôle et mis en scène véhiculant de fortes symboliques (le jardin de Versailles et le pouvoir) ou encore un espace librement métissé et dynamique qui répond aux lois du milieu ambiant planétaire vivant (le jardin planétaire de Gilles Clément). Plus généralement, on peut attacher la notion de jardin à trois dimensions : - Le jardin «représentation» : symbolique, cosmogonique, ressource, mythologie, sphère de vie…. - Le jardin en tant que «réalité objective» qui répond à l’expression contextuelle de la nature, à un climat, des températures, une bonne gestion de l’eau, un milieu spécifique… - Le jardin comme «expérience», sensorielle, artistique, biologique ou encore cosmologique. Le jardin implique donc une multitude de notions toutes imbriquées entre elles qui ont évolué avec le temps et les contextes culturels des époques, passant d’un simple espace vivrier à un espace esthétique, d’enquête sur la nature ou encore pittoresque qui aujourd’hui, on le sait, est planétaire, connecté et en perpétuelle évolution. Mais aujourd’hui, que signifie un jardin pour nos sociétés contemporaines dématérialisées? Qu’attendent les Hommes de la Nature?
Philosophie Il s’agit ici de faire appréhender aux lecteurs l’éthique de la démarche exposée ultérieurement et son inscription dans l’histoire et l’art des jardins. La vision du jardin qui se rapproche le plus de l’expérience de mon jardin secret est celle du jardin japonais, plus particulièrement ici, le jardin de contemplation, qui relève d’une œuvre d’art destinée à la méditation. L’époque des KOFUNS (350 à 552) voit l’apparition
Religion polythéiste, le concept majeur du shintoïsme est le caractère sacré de la nature. Le profond respect en découlant définit la place de l’homme dans l’univers : être un élément du grand tout. Le shintoïsme a été fortement influencé par le bouddhisme plus tard dans l’histoire. Issus de l’Unité cosmique, les flux fondant la vie s’incarnent en une multitude de kamis (esprits sacrés). Le polythéisme qui s’en dégage est infini, dans le sens où chaque parcelle de vie est sacrée. L’origine de l’Homme dans ce contexte cosmogonique n’est pas clairement établie. Cet état de conscience sera différent pour chaque individu au sein de son espace de vie. Le shintoïsme permet de retrouver en soi l’harmonie en rendant un culte aux divinités
de la nature. Le shintoïsme divinise le quotidien, afin de retrouver la pureté et l’harmonie importantes au commencement d’un cycle temporel ou d’une entreprise pour écarter les obstacles et s’attirer les grâces des esprits divins de la Nature. Dans mon jardin, l’eau constitue une métaphore de l’éternité; indispensable à la vie, elle fait corps avec le jardin, signifie le temps qui s’écoule sans fin et joue un rôle purificateur... Cet espace se rapproche, au niveau des représentations, du concept de «Paysages empruntés» utilisé dans l’art des jardins japonais ou Shakkei-zukuri sauf qu’ici, ce paysage emprunté ou jardin existe réellement même sans action de l’homme sur son espace. Personne n’est propriétaire d’un paysage, nul ne peut en reconstituer l’essence, pour un temps, dans son environnement immédiat. Il apparaît sans limites... Le jardin japonais convoque donc la nature ou, plus précisément, l’esprit de la nature, celui que la tradition divinise sous diverses entités, kami, esprits de la nature ou encore empreinte d’un lieu. Le Shakkei-zukuri apporte l’impression d’un jardin aux dimensions infinies, perdu dans le paysage en arrière-plan. Cette technique s’apparente à une capture vivante du paysage en tant que composition inhérente au jardin. Ainsi, les éléments situés au-delà du jardin semblent 217 lui appartenir, et on pense pouvoir s’y rendre par les multiples chemins qui se perdent derrière les rochers Le silence de l’eau // Adrien Moréni
des prémices des jardins japonais engendrés par l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigrants venus de Corée. C’est aussi à cette époque qu’émerge un culte à l’égard de la nature, le shintoïsme, qui définira les fondements de l’art des jardins japonais. Par cette religion propre au Japon, les japonais vénèreront la nature et toutes ses forces. Ainsi les montagnes, les rivières, le tonnerre et tout autre phénomène seront considérés comme des manifestations divines. Certaines pierres ou arbres, en raison de leur forme particulière, deviendront des objets sacrés, demeures des esprits divins. Mais le shintoïsme n’est pas seulement une religion, il est aussi et surtout un mode de vie élaborant un code de bonne conduite entre l’Homme et la Nature.
Représentation schématique des éléments du jardins
ou dans le cas de mon jardin, qui se perdent dans les quatre dimensions et l’infini du bleu... Le jardin présenté ici est donc d’aspiration métaphorique et contemplative. Il appelle à l’imaginaire et aux représentations pour entrer en méditation spirituelle dans un lieu réel. Le jardinier se transforme alors en philosophe et s’intègre au jardin grâce à sa dimension cosmologique, et donc pas forcément par interventions ou maîtrise de l’espace. «Qu’est-ce que contempler, si ce n’est pas percevoir? Contempler, explique Bergson dans Le Rire, c’est revenir à un regard innocent sur la Nature, c’est pouvoir se détacher de l’action et ne pas aller au-delà de l’affection sensible. Le détachement esthétique est une distance délicate, sensible et attentive, capable d’apprécier, d’observer et de goûter l’harmonie des formes. C’est un moment où se trouve mis en parenthèses l’attachement habituel de la perception. Contempler, c’est cesser de s’efforcer de se propulser dans le temps. Or, c’est bien l’errance dans le temps qui provoque la souffrance de la vie humaine.»1 Les esprits de contemplation et de non-intervention sont donc deux piliers qui représentent mon jardin d’eau intime, inspiré de la philosophie orientale, il reste un cheminement de pensée sur le monde.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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La contemplation est une étape éthique et n’est pas antagoniste avec la pratique de l’action sur site... L’expression «jardin» utilisée ici prend sons sens dans la démarche présentée par la suite, qui engage un processus de domestication d’un espace méconnu. Cette domestication permettra une appropriation progressive d’un monde invisible, qui se révélera dans l’expression de la notion de paysage affectif. 1 - http://www.lacauselitteraire.fr/je-me-suis-beaucoup-promenemichel-deon
Encre
Choix d’armes créatives
Sur les chemins de la création, il n’y a pas de limite. Les lieux qui s’y prêtent se rencontrent dans l’imaginaire comme dans l’expérience du paysage. Le jardin, lieu privilégié de création du paysagiste, avec, comme on l’a évoqué précédemment, ses nombreuses symboliques et réalités, est une source inépuisable d’expressions et d’expériences. Il représente autant les petites réalités contextuelles d’un site que le reflet du monde et de ses paysages. Il se dit qu’il est clos mais la méditation qu’il permet n’a pourtant aucune limite. En cela, et au travers de la vision du paysagiste, on peut découvrir autant de lieux de création que de jardins, intimes ou planétaires, qui vont inspirer l’utilisation de nombreuses techniques et pratiques qui formeront l’expérience vécue de chacun. En cela, que représente le jardin secret d’un concepteur, artiste, architecte, jardinier ou paysagiste? En puisant dans l’intime, le jardin secret transcende la force créatrice du concepteur. Cette force créatrice croît en fonction de l’attachement affectif et culturel de l’artiste. Ce jardin secret peut donc prendre toutes les formes possibles, il peut s’attacher à des lieux imaginaires ou à un lieu physique, il peut révéler une couleur ou des formes, il peut être visible dans le paysage ou caché par la matière. Dans ce cas, la recherche d’un jardin secret ou d’une force créatrice commence par la volonté de se mettre en retrait du monde qui nous entoure, afin justement, par méditation et par expérience, d’en chercher l’essence même, dans sa matérialité et son expression. Ce retrait du monde peut donc être physique (abris, refuge, ermitage) ou intellectuel (pensée révolutionnaire, innovation) et amènera à un chemin de pensée individuel et original.
Photographie Adrien Moréni
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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L’introspection dans le silence précède l’acte créatif
Le paysagiste, même ouvert sur le monde et sujet aux influences culturelles des époques, se doit d’être capable, par introspection et connexion avec les lieux, de trouver l’alchimie parfaite, ou harmonie, entre son être intérieur et les influences extérieures, afin de créer des propositions cohérentes et pertinentes. La création découle donc d’un long processus dans lequel la transmission de savoir-faire et d’expérience est primordiale. Transmettre c’est partager, des techniques, des envies, des connections avec le monde. La transmission inter-générationnelle permet de générer un héritage durable et des gestes éthiques à l’épreuve du temps. En cela, mon expérience a été fortement nourrie par l’influence de mon père en ce qui concerne l’art de l’empreinte et les techniques de connexion à mon jardin secret, qui est d’ailleurs largement en partage avec mes parents et mes proches....
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Photographie Google
L’expérience Mon jardin secret représente pour ma part à la fois un petit paradis et un lieu réel, théâtre de pratiques spécifiques à son espace et de découverte permanente sur le monde. L’esprit d’aventure et de divertissement est à mon sens indispensable à l’expression de l’espace de son jardin. Découvrir le monde, mais lequel? Notre planète appelée «Terre» ne porte peut être pas bien son nom. En effet, étant constituée à plus de 70% d’eau, peut-être devrait-on l’appeler «notre planète Eau»... Indispensable à la vie de tous les êtres vivants, l’eau est présente sous trois formes (solide, liquide, gaz) et se retrouve partout. Mère de tous les écosystèmes, elle circule entre les différents espaces planétaires grâce à ce que l’on nomme le cycle de l’eau et fait partie d’un système fini, la planète. Elle joue un rôle primordial dans les cycles de l’oxygène, du carbone et du climat. On peut facilement s’en emparer mais déchaînée elle est inarrêtable, on croit la connaître mais elle recèle de nombreux secrets. Notre corps est composé à 65% d’eau pour un adulte, à 75% chez les nourrissons et à 94% chez les embryons de trois jours ! Les animaux eux, sont composés à 60% d’eau et les végétaux à 75%. On retrouve des extrêmes dans la nature comme la méduse (98%) contre la graine (10%). Mon jardin secret, en tant que matérialité, voit sa composition se rapprocher de celle de la méduse ou d’un embryon… Je suis un enfant de la Méditerranée. J’y ai grandi m’imprégnant de son climat et de ses divertissements. Enfant, la mer a toujours été l’attraction la plus forte. Vivant sur le littoral, espace de transition entre montagnes et mer, j’ai toujours, enfant, été aspiré par la pente des reliefs qui amène inévitablement au contact de l’eau. Mais aujourd’hui quelles relations entretenons-nous avec l’enfant qui est en nous? Serait-ce cette relation, ces interactions qui vont mettre en évidence le jardin secret de chacun? Olivier le Naire demande à Pierre Rabhi: «Quelles relations le Pierre Rabhi de soixante-quinze ans entretient-il aujourd’hui avec le Pierre petit garçon? Pierre Rahbi de répondre: «L’enfant est toujours là. Et je dois dire que j’éprouve parfois la nostalgie de ce temps révolu. Je me revois très bien la morve au nez, en chemise crasseuse, courant dans les rues obscures de mon village, et allant chaparder des dattes avec les copains. Cette liberté me grisait de manière absolument incroyable, et ce sentiment est toujours là, en moi, profondément ancré dans mon cœur. Alors la question se pose: tout cela, est-ce
Il ne cessera de m’apprendre à discerner un monde en perpétuelle évolution, car dans chaque jardin, certains indicateurs permettent de constater l’évolution du site (un coquillage comme la grande nacre, nichée dans un herbier de posidonies, va révéler une qualité de l’eau irréprochable; les mimosas en fleur un mois à l’avance nous parlent du dérèglement climatique; les morceaux de plastiques de moins d’un centimètre présents sur toutes les plages du monde reflètent le jardin secret planétaire). Il est admis que le jardin est un espace entre domestication de l’homme et expression seule de la Nature. Sur le chemin du jardin, mon approche amène sur le cheminement d’une certaine domestication d’un espace pourtant incontrôlable, clos par sa
2 - O. Le Naire, P. Rabhi, Pierre Rabhi Semeur d’espoirs, Arles, Actes Sud, 2013, pp. 24-25
propre matière et inspirant à la fois de l’attraction et de la peur. La surface et la profondeur vont entraîner des actions et des expériences complètement différentes. L’inversion des forces transforme l’expression du corps. Le manque d’air rappelle l’être fini que nous sommes et force l’amateur éclairé à affiner sa vue et ses contemplations secrètes... C’est une petite crique du littoral rocheux méditerranéen, proche de la ville de Toulon et pourtant encore bien isolée. Une crique pourrait se comparer à un iceberg qui ne laisse entrevoir que 10% de sa masse cachée sous la surface. Je considère cette crique comme un jardin ayant plusieurs strates d’enclos et qui possède ses propres écosystèmes réagissant avec les influences externes des Hommes ou encore du climat. Elle ou il se métamorphose chaque saison et ne dévoile jamais tous ses secrets. Elle ou il est habité(e) par le vivant. C’est une vraie dentelle qui procure coins et recoins, abris et grottes. Sa géologie ferrugineuse si particulière de la Provence cristalline s’extériorise sur la côte de multiples façons : falaises abruptes, plages de sables, roches rouges striantes, galets roulés - et entraîne de ce fait des accessibilités naturelles variées et des fonds marins littoraux extrêmement riches en biodiversité et en micro-paysages. Dans ce jardin, on n’entre pas par une porte ou une barrière, il faut trouver le chemin, se positionner 221 en aventurier ou en explorateur afin d’accepter de changer littéralement de monde. C’est la première évidence d’un jardin secret : s’engager dans un retrait du monde qui nous entoure par un cheminement difficile à dénicher, un chemin à décrypter. Ce cheminement engage la déconnexion avec les influences externes de notre monde perverti afin d’apercevoir le langage et la plasticité d’un monde au rythme d’une nature paisible. Le premier sentier créé dans ce paysage avait des vocations très précises qui étaient loin de servir des objectifs d’accès et de fréquentation. En effet, l’origine du sentier des gabelous, aujourd’hui sentier des douaniers, est ancienne. Le sentier du douanier est créé sous la Révolution par l’administration des douanes pour surveiller les côtes. Son rôle s’est accru sous le premier Empire avec l’établissement de l’impôt sur le sel et le blocus continental. Le silence de l’eau // Adrien Moréni
simplement du passé ou est-ce toujours du présent, puisque ce souvenir, cette sensation m’habite encore aujourd’hui? J’ai finalement compris que ces expériences existent toujours bel et bien dans ma vie présente. Il y a le Pierre Rabhi sérieux - parce que l’on traite d’enjeux écologiques importants, il faut être très rigoureux - et puis le Pierre Rabhi qui continue à lire Bibi Fricotin, l’illustré préféré de ma préadolescence, et qui se délecte des contes extraordinaires de son enfance.» Olivier le Naire: «Ce n’est pas un crime de se divertir, si?» Pierre Rahbi: «Non, et puis j’ai besoin de me lâcher parfois, de retrouver un peu de légèreté, presque de l’innocence. Il ne s’agit pas d’innocence artificielle, car elle est toujours en moi, elle m’accompagne, elle m’est salvatrice dans un contexte social convulsé par la violence et les turpitudes. Mais je n’ignore pas non plus que de belles choses chaque jour fleurissent.»2 Mon jardin représente ce lien que j’ai toujours avec l’enfant que j’ai été. Cet espace commun au passé et au présent. Ce lieu qui m’a permis de connaître l’expression de liberté tangible du corps dans un nouvel espace, la mer. Ce lieu qui a aiguisé ma curiosité sur le monde, qui m’a fait devenir enfant-aventurier, à la recherche de limites terrestres (escalade, crapahutage dans les rochers) et sous-marines (grottes, cavités, exploration en général…) mais avant tout à la recherche de mes propres limites, à vaincre la peur de se jeter dans le vide ou d’aller plus profond en apnée… Ce jardin, cette lisière entre deux mondes qu’est le littoral, a permis à l’enfant que j’étais de connaître la joie, le partage de savoirs, l’aventure mais aussi la peur, l’appréhension et le mal. Il était, est et restera une vraie école de liberté et de connaissances sur notre rapport au monde et à notre place sur notre planète Eau. Et il est de toute façon en perpétuelle évolution, entre régénération naturelle hivernale et turbulences estivales.
Certains ont existé bien avant, et celui de Toulon a été ouvert en 1681 sur ordre de Colbert pour les gabelous qui traquaient les faux-sauniers, trafiquants de sel qui se servaient de la morphologie de «cachette» des criques toulonnaises afin de décharger tranquillement leurs cargaisons illégales dans les petits villages de pécheurs abrités. Ce sentier est aujourd’hui un des seuls moyens de
découvrir l’ensemble du littoral méditerranéen et a perdu sa vocation première et son tracé originel avec le temps. Il permet toujours d’engager une déconnexion progressive avec le milieu urbain en l’empruntant aujourd’hui. Ses pentes, qui amènent sur le littoral, accélèrent le rythme de cette déconnexion pour aller chercher un autre univers à découvrir... La pente et son attraction gravitationnelle nous transportent vers ce jardin secret.
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Faux-saunier en pause / Sébastien Paturel
1000 m 0
N
Anse Magaud
TOULON
Carte de l’état major (1820 - 1866 ) Les rades toulonnaises et le littoral 20 ans avant d’être surveillées
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Habitats La mer Méditerranée est caractérisée par un équilibre hydrique déficient, avec des pertes dues à l’évaporation qui dépassent l’apport d’eau venant des cours d’eau et des précipitations. Ce qui explique également sa forte salinité, caractéristique essentielle de sa différence avec l’Atlantique.
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Le linéaire côtier méditerranéen est d’environ 46.000 kilomètres. Bien que nombreux, les grands fleuves de la Méditerranée (l’Ebre, le Rhône, le Pô, le Vardar, le Ceyhan et le Nil) injectent d’importants volumes de sédiments dans le système. En Méditerranée, les plaines alluviales et côtières sont rares et peu étendues, mais la plupart ont une importance démographique et économique. À cause de leur fragilité écologique, due à la transition terre-mer et leur importance économique, ces plaines côtières sont les plus vulnérables aux changements climatiques affectant le réseau hydrologique, l’écosystème et l’élévation du niveau de la mer.3 Cinq types d’écosystèmes marins existent en méditerranée : les herbiers de posidonie, les concrétions de coralligènes, les fonds rocheux à algues photophiles4, les fonds à substrats meubles et la pleine eau. Chacun de ces écosystèmes se caractérise par une biodiversité et une surface occupée spécifique. La biodiversité marine connue se concentre essentiellement dans les zones de faibles fonds alors même qu’ils ne représentent qu’environ 20 % de la surface de la Méditerranée. La mer Méditerranée ne représente que 0,3 % du volume et 0,8 % de la surface de l’océan du monde mais sa position de liaison entre trois continents, son caractère de mer semi-fermée et sa saisonnalité climatique marquée en font un berceau de biodiversité. Près de 7 % de la faune et la flore connue des océans y est présente. Cette riche biodiversité est également marquée par un fort taux d’endémisme. La méditerranée représente à l’échelle planétaire un jardin semi-fermé, particulièrement luxuriant dans les eaux peu profondes qui embrassent les littoraux. La crique choisie apparaît comme un fragment de jardin méditerranéen...
Réalités physiques Les peuplements animaux et végétaux sont organisés en zones selon la profondeur et la nature du fond, inverse de l’étagement en montagne. 3 - www.unepmap.org et planbleu.org 4 - Algues se développant grâce à la lumière en faible profondeur
On distingue : - Une province néritique peu profonde qui recouvre le plateau continental, jusqu’à une profondeur de 200 mètres, où les peuplements sont riches et variés et, - Une province océanique au large où les eaux sont assez pauvres. Chacune comprenant: - Un domaine pélagique où vivent des organismes vivant librement dans les eaux, soit passivement entraînés par les vagues et les courants (plancton), soit capables de se déplacer indépendamment des courants (necton), soit flottant à la surface des eaux (neston). - Un domaine benthique où vivent des organismes fixés sur le fond (sessiles), près du fond (sédentaires) ou encore enfouis dans les sédiments (fouisseurs). Les découvertes et les expériences réalisées ici se situent dans le domaine benthique, dans ses divisions peu profondes (-15 mètres), précisément jusqu’à la limite inférieure de l’étage Infralittoral entre -30 et - 40 mètres de profondeur, qui correspond à l’étage compatible avec la vie des algues pluricellulaires photophiles et des herbiers de posidonie. On retrouve donc différents biotopes dans les étages supérieurs du domaine benthique: - Le continent émergé; - L’étage Supralittoral (mouillé par les embruns et les vagues déferlantes) : vases, sables, cailloux et galets, fonds durs et roches; - L’étage Médiolittoral (immergé pendant les hautes eaux) : vases sableuses, sables, banquettes détritiques, fonds durs et grottes; - L’étage Infralittoral (toujours immergé - limite inférieure 30-40 mètres): vases sableuses, sables, graviers et roches en milieu euryhalin (grandes variations de salinité de l’eau) et eurytherme (grandes variations de température de l’eau), sables fins, sables grossiers, fonds durs et roches; - L’étage Circalittoral (toujours immergé - limite profonde 70-120 mètres // limite algues photophiles et posidonies) : vases, sables, fonds durs et roches.
Plonger au fond de soi-même Plonger c’est glisser vers une autre temporalité. Le temps de l’eau et son silence. Les corps deviennent légers et ondulent gracieusement dans le fluide. Pour un amoureux du grand bleu, cette disparition vers les profondeurs régénère et remplit de joie. L’apnée permet de vaincre les peurs de l’inconnu jusqu’à se sentir en confiance dans un monde où la seule limite est la matière. Elle permet un voyage dans les profondeurs de soi, une échappée dans un autre monde comme le jardin
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81%
eau
2,5 M de km
Pleine
Fonds m
eubles
9% 4%
GRANDE BIODIVERSITÉ
4%
Site d’étude
heux
Massif roc
s Posid
Herbier 1%
N
onie
Source: Plan Bleu
Laboratoire ECO ME R
Les écosystèmes en Méditerrannée
Design graphique par Adrien Moréni
225 Le silence de l’eau // Adrien Moréni
Massif c
orallien
Topographie méditerranéenne Grandes divisions du littoral Source: Emmanuel Gonzales
Canyon Cône de déjection
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PC PC
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- 80 m à - 200 m
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- 1500 m à - 200O m
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- 4000 m
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Le plateau continental et ses différents étages
Prairie de Posidonie
Spot de pêche
Station d’algues
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Détritique côtier
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Détritique du large Talus continental
5
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Zonation verticale du domaine benthique
N
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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SP
SA
Système PHYTAL Présence de lumière et de végétaux chlorophylliens Système APHYTAL Absence de lumière et de végétaux chlorophylliens
PC TC PA
Plateau continental Etroit; Pente faible Talus continental Pente 9 % Plaine abyssale Boues calcaires et Argiles rouges
1 2 3
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5
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Continent émergé Etage Supralittoral; Vagues et embruns Etage Médiolittoral; Immergé par les hautes eaux Etage Infralittoral; Limite inférieure -30 -40 mètres (seuil végétaux photophiles) Etage Circalittoral; Limite inférieure de -70 à -120 mètres (seuil végétaux sciaphiles) Etage Bathyal; Talus continental Etage Abyssal; Peulements de plaine profonde
Design graphique par Adrien Moréni
La première inspiration est une libération. Surgissant du monde du silence, de l’obscurité, de la solitude, on fait irruption dans un monde en lumière, baigné par l’air et la chaleur. C’est une forme de naissance ou de renaissance. Une régénération naturelle et mentale. Pour certain, de l’extrême pour d’autres, une quête mystique... C’est une aventure incroyable à vivre. Mais attention n’oublions pas que l’apnée peut être très délicate à gérer, la pression, le froid, le manque d’oxygène sont autant de facteurs qui peuvent être très déstabilisants. Le rêve peut se transformer en souffrance. L’apnée permet donc l’évasion de l’esprit et une prise de conscience de son être au sein de notre monde, tout comme le jardin.
Le jardin réalité objective Utilisant la curiosité d’un naturaliste et grâce à un objet technique permettant de récolter des traces photographiques sous-marines, ma démarche 227 s’inscrit donc dans une volonté de partage de ces sentiers cachés, d’abord par une visite imagée afin de créer un contact entre un littoral sous-marin méconnu et les représentations associées à cet espace, sorte de familiarisation, prémices de domestication de
Photographie Adrien Moréni
Enfin, elle est totalement dans l’esprit du nouveau millénaire, car elle concilie l’aspect technique, l’approche philosophique, et l’harmonie avec le milieu naturel qui sont essentiels à la réussite du développement durable de nos sociétés. Pratiquer l’apnée c’est donc comprendre une certaine éthique de l’action afin d’enrichir son jardin secret et protéger le jardin de son prochain... L’esprit de découverte et la curiosité pousse l’individu à dépasser ses limites et celles de l’espace lui-même. La déambulation marine d’un corps reste libre et en explorateur éveillé, la finesse et la précision du regard amènent à choisir des lieux à déchiffrer. Le regard et, de fait, le prisme de la représentation
et de l’imagination, entraînent l’action. Ici les motivations sont avant tout «naturalistes», à la recherche des individualités qui composent le jardin. Les naturalistes, sous le prisme de la science et motivés par leur curiosité, rassemblent, classent et mettent à disposition du public des données physiques d’un espace naturel. Il faut distinguer trois points importants inhérents à l’éthique de la démarche «naturaliste». La volonté de connaissance des milieux, c’est à dire engager un processus de domestication de l’espace afin d’en être moins distancé. C’est une sorte d’envie d’inscription progressive de l’homme dans l’espace naturel grâce à sa découverte. Cette connaissance est associée à un échantillonnage de l’espace naturel. Les échantillons individualisés et extraits du site sont ensuite re-contextualisés par des descriptions, du milieu extrait et des espèces ellesmêmes. Enfin, l’éthique de transmission et de partage de connaissances; soit grâce aux traces récoltées dans le milieux, ses représentations ou encore par transmission vocale entre les individus in-situ.
Mysticisme silencieux, entre expérience, réalité immergée et représentations
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
pourrait permettre l’évasion de l’esprit. Les yeux arpentent un monde trouble à déchiffrer. Le corps embrasse le fluide qui glisse sur la chair.
Entrer dans un nouveau rapport de forces. La poussée d’Archimède tire les corps vers la surface; résistance, appel de l’air ou aide vitale, l’immersion permet la compréhension de l’inclusion du corps dans un nouvel espace...
Crème
Photographie: Aqua-Flying, rapport de forces, Pictogrammes: Savoir choisir ses outils pour se mettre en immersion...
Photographie Adrien Moréni
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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S’approprier les espaces par l’imaginaire. On pourra alors voir de nombreux micro-paysages. Au bord, des micro-dunes s’animent avec le ressac des vagues échouées. On peut alors, si on fait abstraction des échelles, imaginer des lisières terrestres: entre un cordon dunaire atlantique et la forêt des Landes par exemple. (fig. 2) Les fonds sont jonchés de roches de toutes tailles, et de toutes formes, elles-mêmes tapissées par de nombreuses algues photophiles qui leurs confèrent des nuances du vert au rouge ocre selon la lumière (fig.4). Sur le chemin, on retrouve des formations de végétaux en «station». Ici les herbiers de posidonies, véritables plantes à fleurs sous-marines qui possèdent des racines et qui se reproduisent grâce aux fruits qu’elles produisent (fig. 5 à 8). Avec l’imagination et selon la position du regard, on peut y voir des prairies au vent, une forêt ou encore des parterres...
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Extraction impossible. L’image et les descriptions permettent alors la transmission. En cela, l’outil photographique, même s’il est censé mettre à distance l’espace de l’individu qui le regarde, est ici employé avec l’ambition inverse de rapprocher le spectateur d’un espace méconnu. Sachant qu’ici, l’espace existe même si il ne peut être vu, il s’agit d’en affiner les représentations. Découvrir progressivement les écosystèmes immergés grâce à un cheminement aléatoire, instinctif.
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4 Photographie Adrien Moréni
l’espace. Pourquoi la photographie sous-marine? Découvrir et conserver des traces, oui, mais ce jardin est un espace hyper-sensible, où l’extraction d’espèces n’est pas envisageable. Une découverte raisonnée donc, où l’homme est censé rester à sa place, même infiltré dans cet autre monde. Effleurer sans dénaturer, sur ces sentiers c’est avant tout la vue qui dirige les découvertes. Le prisme du regard fait glisser ce jardin secret vers la notion de paysage, sauf qu’ici, l’inclusion du corps humain est à mon sens supérieure dans ce fluide maternel qu’est l’eau.
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Ce jardin peut être influencé par des usages raisonnés, traditionnels, et des coutumes durables dans le respect du milieu : préférer le déplacement à la voile plutôt qu’un 300 chevaux, éviter le mouillage trop près des côtes dans les herbiers de posidonies afin de ne pas tout arracher... Il peut être nettoyé, en luttant contre une pollution invisible mais universelle: les plastiques (fig. 18). On peut récolter les fruits du jardin, mais encore de façon raisonnable : la pêche à la ligne par exemple (fig.19), qui promet des quantités de poissons restreintes qui n’auront pas d’impact sur les peuplements de poissons littoraux. On peut enfin comme dans tout jardin simplement contempler l’évolution de la lumière sur les matières et observer le temps (fig. 20).
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Se dépasser. Souvent effrayante, il faut pourtant chercher dans l’ombre, se faufiler sous les roches et explorer leurs recoins dérobés, observer les peuplements d’algues et les nombreux poissons de roche nichés. Ce qu’il reste : ces ambiances brumeuses si particulières, signes de rencontre de courants au températures différentes (thermoclines). Mystiques et troubles, ces fonds invitent à la rêverie... Des outils, des techniques et des pratiques. Comme dans tout jardin, on trouve des utilisations de l’espace spécifiques : l’espace plan de la surface de l’eau, les avancées rocheuses tombant dans la méditerranée... Sauf que ce jardin ne peut être contrôlé par des actions directes, il est libre. La navigation à la voile (fig. 17) est héritée de nos ancêtres pêcheurs et leurs découvertes du bassin méditerranéen, au fil des rivages, avant de tendre vers le large et des contrées lointaines.
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16 Photographies Adrien Moréni
En bas, au fond des choses, le ventre posé sur le sable les couleurs ont changé (fig. 10). L’horizon est troublé par un voile aquatique, sorte de brume glacée qui floute les formes et les couleurs. En bas, il fait bien plus froid et il y a moins de lumière. L’eau glacée remet à sa place, il faut rester serein, aiguiser son regard pour dénicher les traces. Les espaces ensablés constituent des repères, ils reflètent la lumière et attirent de fait l’œil (fig. 12). Les ondulations sableuses rappellent le mouvement des barkhanes terrestres ou les vagues frappant sur le rivage... Dans l’ombre, de nombreux rocs immergés et recouverts de cortège d’algues photophiles et sciaphiles se déchirent en canyons, trous et autres grottes (fig. 9, 13, 14).
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La fertilité du ce jardin n’est pas seulement représentée par les peuplements de poissons mais par de nombreux coquillages et animaux sous-marins. En tête, on retrouve l’oursin. Très apprécié par les méditerranéens, les recettes sont peu nombreuses car ce met est à déguster brut à la petite cuillère ou avec un peu de pain et de beurre. C’est le corail interne qui est consommé (organe reproducteur), et souvent directement sur les rochers pour les plus gourmands! (fig. 21) Une bonne oursinade... Mais attention, cette récolte n’est autorisée que du 1er novembre au 15 avril en P.A.C.A. afin de respecter la régénération naturelle de cet échinoderme. Pendant cette période, on peut en revanche aussi faire profiter les animaux du jardin en cassant la coquille de quelques-uns sous l’eau. Le fluide du corail va très vite attirer de nombreux poissons à contempler autour d’un festin qu’ils n’attendaient pas...(fig. 22) Si l’on considère le jardin comme une boîte à merveilles, on peut engager une vraie quête au trésor, à la recherche des nombreux coquillages et autres surprises qui jonchent les fonds marins... (fig. 23) Offrir un peu de connaissance afin que le regard s’arrête lors de l’expérience de l’espace. Toujours avec les mêmes contraintes de ces milieux fragiles, la trace photographique permet la familiarisation avec des écosystèmes difficiles à cerner.
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Pour aller plus loin
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Photographies Adrien Moréni
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PLANTE À FLEURS 24 Herbier de posidonie
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MOLLUSQUES
25 Grande nacre 28 Vers plat noir 27 Patelle bleue 37 Poulpe
ANNÉLIDES
29 Spirographe EPONGES
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26 Blennie 35 Sar commun 36 Serran chèvre 41 Murène
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ALGUES ROUGES
30 Sphérocoque ALGUES VERTES
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CNIDAIRES
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39 Anémone verte
40 Dictyote 43 Padine
33 Codium en boule 34 Udotée 42 Laitue de mer ECHINODERMES 31 Etoile de mer rouge 38 Oursin noir 44 Oursin pierre violet
La Grande Nacre de Méditerranée (Pinna Nobilis) est un des plus grands mollusques bivalves existant dans le monde (longueur jusqu’à 80 centimètres). Endémique de la Méditerranée, souvent décrite dans l’infralittoral entre 0.5 et 50 mètres, cette espèce a la forme d’un triangle. Elle vit enfoncée dans le sédiment sur environ le tiers de sa longueur. Inféodée à l’herbier de posidonies, elle peut vivre également dans la pelouse de cymodocées. La Pinna Nobilis produit des touffes de filaments, lesquels, grâce à de méticuleux traitements- cardage, lavage et filage - peuvent former un tissu luxurieux, soyeux au toucher, d’un aspect remarquablement brillant et, enfin, ignifuge. Les anciens, en pêchant de grandes quantités du mollusque, pouvaient obtenir suffisamment de fil pour tisser ou broder des vêtements voués aux personnes des plus hauts rangs religieux ou politiques... Longtemps exploitée par les romains qui tissaient des
vêtements à l’aide de son byssus et fabriquaient des boutons avec sa nacre, elle est aujourd’hui menacée par la régression des herbiers de phanérogames marines, par les ancres des bateaux qui brisent sa coquille ou lorsqu’elle est prélevée par les plongeurs amateurs. La Pinna nobilis se reproduit grâce à la collaboration avec une algue spongieuse, la Padina Pavonia (Padine), qui loge à l’intérieur de la grande coquille et qui, en guise de loyer, assure au mois de mai la collecte et la prolifération des gamètes, qu’elle n’abandonne au flux marin qu’au moment le plus favorable. Elle filtre sa nourriture : particules vivantes (plancton) ou mortes (matière organique) et les jeunes individus ont la capacité de se camoufler à l’abri de l’herbier de posidonies : on appelle cela l’écomorphose. La pollution, due aux rejets d’eaux usées, tue les larves et limite le renouvellement annuel des jeunes. Quelques spécimens résistent cependant sur les côtes provençales, et l’anse Magaud en protège quelques-unes. «La réimplantation de Pinna Nobilis dans les réserves littorales et dans les secteurs occupés par un herbier permet d’envisager une recolonisation du littoral par l’espèce, qui peut être considérée comme un excellent indicateur biologique de la santé du littoral méditerranéen au même titre que Posidonia Oceanica qui constitue son biotope de prédilection.»5
Cultiver les traces, le jardin de l’expérience Déambuler dans son jardin en se laissant baigner par les ambiances. Imprégné par le site et, équipé, d’un pinceau, d’encre de chine et de feuilles de papier japonais, laisser l’instinct et le regard orienter le choix et dicter l’arrêt. L’action contextuelle permet ces actes instinctifs. L’empreinte par répétition transforme alors l’instinct en mémoire écrite et symbolique. L’action créatrice découle alors directement de la plasticité du site... Comment s’interroger sur la notion de trace, ou plutôt comment interroger la notion elle-même ? «La trace se caractérise par son caractère d’appartenance, au sens où la trace est toujours trace de quelque chose ; elle ne se définit pas par ellemême, elle n’a pas d’existence propre, autonome, au plan ontologique du moins, elle n’existe que par rapport à autre chose (un événement, un être, un phénomène quelconque), elle est de l’ordre du double, voire de la représentation et ne prend son 5 - http://pinnanobilis.free.fr/htm/protecti.htm
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La posidonie (Posidonia Oceanica) est une plante à fleurs (phanérogame) qui vit en eau de mer. Elle possède des feuilles rubanées longues de 20 à 80 centimètres selon les saisons et d’une largeur d’environ 1 centimètre. Les feuilles sont organisées en faisceaux, eux-mêmes attachés à des tiges rampantes ou dressées (les rhizomes). Ils poussent très lentement : 1 à 5 centimètres par an. La posidonie forme de vastes herbiers qui offrent aux poissons des abris divers, des frayères… Toute l’année, les posidonies perdent leurs anciennes feuilles brunies ; et c’est en automne, après les premières tempêtes, que cette perte est la plus importante et la plus visible. Les débris des feuilles sont rejetés sur les plages où ils forment des banquettes qui protègent les plages de sable de l’érosion. On trouve également sur les plages des petites pelotes de fibres (aegagropiles) venant de la base des feuilles des posidonies qui est imputrescible ; roulées par les courants, elles s’agglomèrent entre elles. Les peuplements sont un mélange d’espèces vivant sur des substrats durs et des substrats meubles ; c’est ce qui fait leur originalité et leur diversité. On peut donc comparer ces herbiers à des forêts. Leurs habitants sont discrets : ils se camouflent, s’enfouissent ou sont de petite taille. Dans le temps, les espèces se succèdent, 1 mètre carré d’herbier offre une surface foliaire de 20 à 50 mètres carrés. C’est un écosystème très riche : il produit 2 fois plus d’oxygène que la forêt vierge. La posidonie est endémique à la Méditerranée, ce qui rend les fonds uniques. Elle s’étend des premiers mètres sous la surface jusqu’à 20 à 40 mètres de profondeur ; après, elle manque de lumière. Enfin, c’est une espèce protégée car elle est le poumon de la Méditerranée.
Pos idonia Oceanica L. Posidionaceae
Plante à fleur monocotylédone sous marine
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2 Couche intermédiaire de calcaire
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Pinna Nobil is L. Pinnidae 6
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sens que sous le regard qui la déchiffrera. La trace se tient à cheval entre la réalité sensible, matérielle, et la réalité symbolique.»6
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Pinus Pinaster
Tout comme la trace ou l’empreinte, le jardin et le paysage n’existent pas par eux-mêmes. Ce ne sont pas des notions autonomes mais au croisement d’une réalité objective, de représentations et de l’expérience de l’action. Il s’agit donc ici de tenter de garder la mémoire d’une action portée sur le site et du site lui-même. Le jardin devient alors l’empreinte de l’action, une sorte d’écriture sensible sur le monde. Traces des tempêtes passées, des vents et des marées, la plage bouge et se déforme, accueille et recueille de nombreux débris posés là, inertes. Il s’agit ici d’empreintes végétales. Révélant le milieu terrestre, même sans vie elles font partie intégrante du «jardin». De la même façon que les bois morts dans les sous-bois, ces restes encore à la dérive ou arrivés sur les côtes constituent de véritables oasis pour les micro-organismes, planctons ou insectes.
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Lorsque l’on croise un tronc de Pin Maritime (fig. 1) sur la plage, on se rend compte de la puissance des courants marins. Lorsque l’on tombe sur des écorces de Palmier Ananas (fig. 2), c’est la force du Mistral qui a défiguré le phare de la méditerranée... Composantes structurelles de notre croûte terrestre, la géologie, avec ses nombreux minéraux, s’extériorise de mille et une façons. Matière brute, architectonique ou amas, il s’agit là d’appréhender la relation au toucher que l’on trouve dans le contexte. Qu’il soit foulé avec la plante d’un pied nu ou caressé par le bout des doigts, chaque centimètre de pierre présente des porosités différentes et uniques. Au contact de l’eau et des vents, chaque plasticité minérale réagit spécifiquement. Ainsi, l’érosion du temps et des forces entraîne des morphologies uniques : formes rondes et tendres des galets roulés (en fond), crevasses et crêtes saillantes, micro-porosités ou encore formes géométriques qui se répètent. Ces traces représentent des quantités infimes du jardin «réalité objective» extraites de l’unité du socle géologique du site.
6- Alexandre SERRES, Quelle(s) problematique(s) de la trace?, Texte d‘une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR(actuellementCERSIC), le 13 décembre 2002
2 Phoenix Canariensis
Adrien Moréni Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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Empreintes à l’encre de chine
Il est partout. Le plastique, dérivé chimique des transformations du pétrole, se retrouve sur toute la planète. Jetés par dessus bord, amenés par le vent et les courants, déposés par l’Homme, les composés plastiques se retrouvent sous toutes les formes possibles et toutes les tailles. Ils sont le reflet du mode de consommation consumériste des Hommes : gaspillage, utilisation d’emballage excessif, sur-production de déchets...Le plastique fait donc partie de mon jardin, malgré lui... Que ce soit sous forme de polystyrène (à droite) ou transformé en fil de pêche qui amassé devient véritable perruque (p.241), l’omniprésence du plastique révèle les dérives de l’anthropie sur les espaces naturels et son caractère «universel» rappelle que chaque écosystème fait partie d’un jardin fini : la planète.
Le Gyotaku
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LE GYOTAKU (GYO: poisson; TAKU: empreinte, trace) est un art japonais original qui consiste à reproduire l’image d’un poisson par empreinte sur papier ou sur soie selon deux méthodes distinctes. La volonté de fixer la mémoire humaine ainsi que la représentation de ce qui nous entoure par impression sur des supports aussi légers que maniables est une tradition fort ancienne en Asie. La Chine, berceau de grandes découvertes, n’a cessé de surprendre l’Occident, notamment lorsque l’on découvrit, au début de ce siècle, à TOUEN-HOUANG (Turkestan), le Sutra du diamant. Ancêtre de tous nos livres imprimés -il remonte à l’an 868- ce document long de 4,8 m se présente sous la forme d’un rouleau. La méthode consistant à répandre l’encre sur une pierre gravée, puis à appliquer un papier sur son relief, serait la méthode la plus archaïque d’un relevé en impression inversée ; il s’agit généralement d’un relevé d’empreinte de stèle. Elle est en tout cas très antérieure au célèbre Sutra du diamant conservé au British Museum. Aïeule d’une longue tradition, cette technique a abouti à la première forme du GYOTAKU, qui permet d’obtenir le spectre authentique et fragile d’un modèle. Actuellement, il semble difficile de déterminer l’époque des premiers soubresauts de cet art développé au Japon. Les deux exemplaires les plus anciens que l’on connaisse ne remontent qu’à l’époque EDO et datent de 1862. L’un reproduit une daurade royale, l’autre une daurade grise, poissons nobles symbolisant le bonheur. Ces exemplaires ont été créés par un
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«Pain» de Polystyrène
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«Perruque» de fil de pêche
Adrien Moréni
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Empreintes à l’encre de chine
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samouraï guerrier (BUSHI) du nom de NAOTSUNA UJIIE, et sont conservés au musée HONMA de la ville de SAKATA, préfecture de YAMAGATA (Japon). Deux méthodes permettent de réaliser un GYOTAKU, dont les résultats sont aussi opposés que complémentaires: La première, à l’encre de chine, a pour support un papier japonais ( WASHI ) sur lequel on obtient un motif inversé. Dès l’origine, ce procédé servait à préserver le souvenir d’une prise exceptionnelle, et s’accompagnait d’un texte relatant le lieu de pêche, le nom du poisson, la date et le poids, et était éventuellement embelli d’un poème. Sous cette forme, le GYOTAKU est parfois affiché dans les poissonneries, consacrant ainsi le trophée et l’orgueil du pêcheur. Le poisson est d’abord nettoyé, soit avec du sel soit avec du vinaigre selon la provenance, eau douce ou océan. L’encre doit obligatoirement être appliquée dans le sens des écailles. Ensuite, on applique le papier sur le modèle et on le frotte à la main, toujours dans le même sens tête / queue. Enfin, on décolle le papier inscrit d’une empreinte. L’artiste n’a plus qu’à peindre délicatement l’œil au pinceau. La seconde apparaît en 1948 sous la main de KOYOO INADA. Ce furent les débuts de l’interprétation artistique sur le support noble qu’est la soie. De plus, la couleur apporta un relief et une vie nouvelle à cet art encore expérimental. La fibre de soie se révéla idéale grâce à sa facilité d’emploi et de manipulation. L’application des couleurs est indirecte, c’est à dire qu’elles sont appliquées sur le tissu par transparence avant d’être tamponnées en fonction de l’aspect désiré. Cette méthode exige une maîtrise bien plus élaborée, chaque œuvre bénéficiant d’un secret transmis du maître à l’élève et traduisant le style de son auteur. La composition est accompagnée d’un texte destiné à transmettre toute sa dimension poétique. Le GYOTAKU reste un art marginal pratiqué en petit comité et ne connaît qu’une diffusion restreinte. Le symbole du poisson, qui se rencontre dans de nombreuses formes de religions traditionnelles, y compris le christianisme, est très complexe et présente de multiples aspects. «Le poisson est un animal de grande signification symbolique. Lié à l’eau, il l’est également à tout ce qui crée la vie et les images. Son symbolisme l’attache plutôt à l’élément féminin, mais pas exclusivement. Chez les Grecs, le poisson est étroitement lié à Aphrodite, en tant que symbole de fécondité et d’amour. (...) Le signe du Poisson clôture la ronde zodiacale. C’est le passage symbolique de la vie physique à celle de l’esprit, qui retourne à la source unique. Le symbole des deux poissons reliés témoigne de la dualité au sein de l’unité: gauche et droite, masculin et féminin, positif et négatif, distributif
et réceptif, lumière et obscurité, connaissance et ignorance et ainsi de suite.»7 «Symbole des eaux, monture de Varuna, le poisson est associé à la naissance ou à la restauration cyclique. Il est à la fois sauveur et instrument de Révélation (…). Or si le Christ est souvent représenté comme pêcheur, les Chrétiens le sont comme poissons, l’eau du baptême étant leur élément naturel.»8 Dans mon approche, le poisson permet l’expression du fruit de ce jardin secret présenté, il est l’objet de transmission de savoir et de technique initiée par mes parents pendant mon enfance. M’en servir pour cette expérience du jardin représente un acte fort de répétition des traditions.
L’expérience des traces L’ichtyogramme est donc un mode d’expression employé ici dans le but de connaissance et de domestication des fonds méditerranéens, sur le chemin de l’appropriation d’un écosystème méconnu, des profondeurs à la surface, d’un monde tri-dimensionnel à l’espace plan intemporel de la feuille de papier. Du paysage au jardin, du jardin à la feuille de riz... Il est important de noter que dans cette démarche exposée ci-avant, toutes les étapes relèvent de la même importance, il n’y a pas de hiérarchie entre le temps de la découverte, le temps du regard, le temps de l’action, le temps de l’expérience et le temps de la transmission. L’objectif étant de mettre en évidence un chemin de pensée qui tente de construire sa propre subjectivité autour du concept de jardin, loin des dogmes esthétiques et des codes élitistes hérités de l’histoire des jardins depuis l’Antiquité. Cette subjectivité personnelle relève du jardin secret et est indispensable pour le développement d’une pensée réflexive identitaire, loin des subjectivités de masse générées par nos sociétés globalisantes qui standardisent les individus et stigmatisent l’originalité pour prôner la suprématie de subjectivités de masse aliénantes, d’un marché mondial ou encore de systèmes sociaux introvertis et éclatés...
7- http://www.centrostudilaruna.it/symbolisme-et-signification-despoissons-dans-les-mythologies-indo-europeennes.html 8- J. Chevalier, Dictionnaire des symboles: mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Paris, R. Laffont, 1969
Comment forger alors une subjectivité réflexive identitaire et collective? Le regard est un champ de découverte à part, qui relève à la fois de l’expression et du langage des lignes de force d’un espace, de l’expérience de l’«habitant» de cet espace et de sa subjectivité. Le regard croise donc réel et imaginaire, et cette subjectivité amène vers une nouvelle forme de compréhension de notre rapport au monde. Il faut encore être en capacité de comprendre ce rapport au monde, en se détachant de ses influences les plus collantes…L’acte artistique permet ce détachement éthique et appelle à la technique, révélatrice du geste instinctif et primitif de création. Ce rapport au monde est ici exprimé selon une éthique shintoïste, qui engage un rapport synergique respectueux entre l’homme et la Nature. Cette relation entre l’homme et son milieu ambiant est expérimentée au travers de la notion d’empreinte. Quel est le pouvoir des images? Comment chaque jardin peut-il influencer son jardinier? Comment le jardinier emprunte-t-il son jardin? L’expression jardinier désigne ici l’Homme qui habite son jardin, qui l’expérimente par son regard, ses pratiques et son éthique. 243 Le silence de l’eau // Adrien Moréni
L’important ici se trouve donc dans le rapport de traces générées ou subies entre le site et l’individu qui le pratique. L’image est donc utilisée comme mémoire, l’immersion corporelle et l’action artistique se transforment en langage subjectif, écritures spatiales qui vont à la fois révéler la réalité physique du site tout en transmettant son récit.
«Loin d’être un artefact préhistorique, une façon désuète et dépassée de produire des images, l’empreinte, en laquelle Georges Didi-Huberman voit autant un objet qu’un processus, est encore aujourd’hui au cœur d’une pratique artistique. Georges Didi-Huberman entend modifier nos façons habituelles de comprendre chaque œuvre d’art dans son historicité. (...) L’histoire de l’art est trop dépendante d’un modèle déductif qui suppose un mouvement de «progrès» du modernisme au postmodernisme, et qu’une «évolution» dans l’art est possible : elle tendrait vers une épuration des formes et des concepts jusqu’à aboutir à un art totalement dématérialisé, ne s’intéressant plus du tout à la forme et à ses contraintes.»9
9- Georges Didi-Huberman, La ressemblance par contact, Paris, les Éd. de Minuit, 2008
Photographie Adrien Moréni
Georges Didi-Huberman permet une compréhension théorique à la fois du geste et de l’objet :
Le processus de l’empreinte, simple en apparence, est en fait porteur d’une pensée technique de la «procédure» et de l’ajustement, d’une temporalité particulière dans laquelle l’extrême présence et l’absence peuvent cohabiter. (...) L’empreinte offre à la notion d’image en général un modèle constitutif, un paradigme, qui n’a pas encore été reconnu dans toute l’étendue de sa signification historique, philosophique et anthropologique.»10 Cet outil amène donc à conserver en mémoire le contact entre un acte et l’espace, de façon quasi magique. Il n’est pas question d’imitation esthétique de la réalité mais plutôt d’une révélation par l’action de générer une trace, d’emprunter un peu de mémoire du lieu. Les traces de l’expérience de mon jardin secret mettent à la fois l’individu à distance (photographie) même si l’objectif est inverse, et incluent le site et l’homme par l’action artistique (Gyotaku). Même si l’on trouve des divergences théoriques entre ces deux pratiques, elles sont ici employées afin de révéler la présence d’une chose absente (l’eikõn de Platon) dans le temps présent. La trace comme mémoire donc, comme soubresauts histoire…
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En effet la trace est un des premiers concepts étudiés pour la connaissance historique chez Marc Bloch ou chez Paul Veyne par exemple, elle sert l’apprentissage de nos sociétés héritées, des actions de nos ancêtres. Les empreintes laissées dans le temps permettent alors la compréhension de nos mémoires et de nos oublis… Les empreintes offrent la possibilité de mesurer nos actes, d’en comprendre les sens et de visualiser les impacts de l’action de l’homme dans son «oekoumène»11 . Dans une photographie, il y a des empreintes lumineuses, cadrées, qui se partagent entre vérité des formes nettes et abstraction des flous. Dans le Gyotaku, l’empreinte révèle, par contact et par répétition, l’architecture du vivant à partir d’un élément infime et intime du lieu. Dans les deux cas, ces empreintes n’existent pas par elles-mêmes, elles extraient des fragments du site, du contexte, du milieu, pour créer un espace de négociation entre le réel et le spirituel, entre l’inscription et l’extériorisation… On retrouve ici une dualité exprimée par Robert Smithson : Le site, espace extérieur, illimité et dispersé, et le «non-site», ici le Gyotaku, qui constitue une mise en forme fermée, délimitée et déconnectée du site. Selon Smithson, il faut accepter que le site, naturel et illimité, n’est pas 10- Susana Gàllego Cuesta, «Esthétique de l’empreinte», la vie des idées.fr, [en ligne]: http://www.laviedesidees.fr/Esthetique-de-l-empreinte.html11 Augustin Berque le désigne comme la relation de l’humain à son milieu
lisible. Pour lui, l’expression du «non-site» permet de gagner en lisibilité par contrôle de fragments de site. L’expression artistique offre ici un langage de lecture et de compréhension du monde. Cette démarche introspective et cosmogonique permet donc à la fois une réflexion sur le «moi», sur sa place au sein de son écosystème planétaire, mais est révélatrice par ailleurs de l’impact de l’action sur notre monde. L’expérience dirige donc vers une réflexivité multiscalaire qui propose un cheminement personnel à la recherche de vérités universelles. Mais quelles vérités ? Quels sont les jardins secrets planétaires ? Quelle éthique adopter ? Quels avenirs pour l’espace du jardin, intime ou collectif ?
Les traces des secrets Bien que cette démarche soit constituée d’une introspection personnelle associée à la question de la place des jardins pour l’Homme, la dimension cosmologique de cet espace est primordiale. Le cheminement de pensée et d’action présenté m’a donc permis de réaliser un travail sur moi, en tant que créateur d’espaces réels ou imaginaires, mais aussi en tant que philosophe car le travail de rapprochement avec un espace qui m’est intime depuis l’enfance m’a permis de comprendre intérieurement l’éthique et les responsabilités que j’engage dans mes actions de découverte, d’immersion ou de création... Quels en sont les apprentissages? Ils sont nombreux... Car si l’on replace cette expérience dans un contexte planétaire, cette démarche semble complètement anachronique... Dans un monde où l’espace-temps est toujours plus distendu, contracté, déformé, que signifie aujourd’hui prendre le temps de faire? à mon sens, aujourd’hui le jardin est l’école qui apprend à regarder le temps, à l’honorer. Peu importe sa spatialité, ses formes et ses couleurs, l’important devient l’acceptation de notre finitude humaine et le développement d’une humilité respectueuse et compréhensive sur nos rapports à l’écosystème planétaire. Sur ce chemin, on rentre alors dans un espace-temps inédit, espace de négociation entre l’intime et le cosmologique, entre l’éthique et l’action, entre sens et vérités... Les temps de la nature, de la connexion... La mise en place d’un protocole de pratiques raisonnables permet de mettre en lumière certaines aberrations humanitaires. Pratiquer la simplicité et éviter l’exubérance deviennent de réels éclairages...
Prendre le temps de regarder, de contempler semble déjà un comportement exogène dans ce monde égocentrique et précipité. Lorsque je dis «contempler» j’entends là «se construire une subjectivité personnelle par médiation libre hors des dogmes contemporains de masse de contrôle et d’aliénation». Cette expérience poétique est avant tout une célébration de la mer et de l’eau, cet élément maternel que la mondialisation ne cesse de dénigrer. C’est avec Erik Orsenna et son livre sur l’eau L’avenir de l’eau12 qui fait partie de sa série Petit précis sur la mondialisation13 que j’ai pu appréhender et mesurer à la fois les dimensions géopolitiques considérables associées à cette ressource mais surtout les nombreux impacts néfastes que nos systèmes massifs de développement imposent à cet élément... La géographie et la climatologie m’ont éveillé au cycle de l’eau, à son fonctionnement à toutes les échelles dans notre écosystème planétaire fini. Il apparaît alors que les interactions entre le local, le territoire et la planète soient intimement liées... La mer méditerranée, ce jardin silencieux, me permet donc, par sa pratique, de faire émerger ma propre éthique, ma position politique de futur professionnel. La pêche traditionnelle, qu’elle soit vivrière ou de loisirs, me permet d’évoquer une des dérives les plus frappantes de notre système de consommation irrespectueux mondialisé : la pêche industrielle, ou sur-pêche.. On pourrait faire largement l’analogie avec les dérives de l’agriculture terrestre ou de l’élevage intensif... Mais la pêche industrielle est bien plus ravageuse, et comme elle touche un monde sous-marin invisible, qui ne dévoile pas tous ses secrets, cette pratique passe presque inaperçue. Et pourtant... «Nous sommes presque 7 milliards d’êtres humains qui vivons sur 30% de la surface du globe, les 70% restants représentant les océans, indispensables à notre vie. L’océan est la source de nourriture la plus importante au monde, le poisson constitue le principal apport en protéine pour 1,2 milliards d’habitants... Certains scientifiques affirment que depuis une soixantaine d’années, les stocks de gros poissons ont baissé de près de 90%... avertissement d’un déclin programmé de toutes les espèces pêchées dans moins de 50 ans. La cause 12 Susana Gàllego Cuesta, «Esthétique de l’empreinte», la vie des idées.fr, [en ligne]: http://www.laviedesidees.fr/Esthetique-de-l-empreinte.html 13 Erik Orsenna, Petit précis de mondialisation III, Paris, Librairie générale française, 2013
principale étant la sur-pêche...» «Les palangriers déploient 1,4 millions d’hameçons par an, chaque appât étant garni de morceaux de poissons... Certains chalutiers jettent des filets pouvant atteindre une superficie de près de 23000 mètres carrés, la taille de 4 terrains de football, assez pour contenir 13 Boeing 747, soient plus de 500 tonnes de poissons...»
245 Le silence de l’eau // Adrien Moréni
Il semble alors apparaître que l’éthique de l’action et la raison soient des outils indispensables au bon fonctionnement dans le temps de toutes entreprises modernes et de tout développement personnel cohérent...
Impacts de filets de chalutier - Arte
Ces 500 tonnes de poisson comprennent de nombreuses prises accessoires, souvent en grande quantité. L’exemple des chalutiers à crevettes est significatif : généralement, un chalutier à crevettes rejette à l’eau entre 80 et 90% de ces animaux «accessoires». Ce qui signifie que pour 1 kilogramme de crevettes, on capture et gaspille jusqu’à 9 kilogrammes d’organismes marins. Solution curative
pour soulager la pression exercée sur les poissons sauvages, 47% de notre consommation provient aujourd’hui de l’élevage... Mais l’aquaculture marine est d’avantage une menace qu’une solution : beaucoup de poissons d’aquaculture sont carnivores, c’est à dire qu’ils mangent d’autres petits poissons. Il faut par exemple, 5 kilogrammes de poissons sauvages pour produire 1 kilogramme de saumon d’élevage... L’aquaculture ne fait que transformer de petits poissons à faible valeur commerciale en espèces plus lucratives, ce qui ne génère aucune création de poissons supplémentaires. La majorité des stocks européens de poissons sont surexploités. Traditionnellement, les ministres européens fixent des quotas de pêche supérieurs aux recommandations scientifiques. En 2008, ils en avaient déterminé pour la pêche très prisée du thon rouge. Les scientifiques avaient déterminés des quotas de 10000 tonnes par an afin d’assurer la régénération naturelle de l’espèce. Pourtant, l’Union Européenne et d’autres nations pêcheuses ont fixé des quotas de 29500 tonnes par an... Soit trois fois la limite suggérée. Des milliards d’euros de subventions publiques alimentent cette sur-pêche. Si cela continue, il n’y aura bientôt plus de poissons... (Source greenpeace)
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
246
Le principal polluant de notre planète est le plastique. Les matières plastiques couvrent une gamme très étendue de matériaux polymères synthétiques ou artificiels. Ces matériaux, dérivés de notre cher pétrole, sont aujourd’hui omniprésents dans notre vie quotidienne et sur notre planète. Ils contribuent malheureusement à la pollution de la Terre (et donc des végétaux et de l’eau et atteignent de nombreuses espèces animales -oiseaux, tortues, phoques...). En effet, la principale caractéristique du plastique est qu’il est très résistant au temps et aux éléments... Les matières plastiques sont tellement omniprésentes que par les forces conjuguées de l’action de l’homme et de la nature, il existe aujourd’hui des véritables «îles» de déchets qui viennent «modifier» la géographie de notre planète : on les appelle «les îles de déchets» ou «continent de plastique» même si on ne peut pas définir de frontières fixes et donc pas de réel territoire à ce phénomène. Comment? Les océans sont animés par des courants marins relevant de plusieurs phénomènes : - La rencontre entre les vents chauds des tropiques et les vents froids venant des pôles; - L’alternance des zones climatiques qui crée des différences de température de l’eau; - Le degré de salinité de l’eau ; - La rotation de la Terre.
Ces courants marins régulent les déséquilibres thermiques de la planète entre les tropiques et les pôles. La combinaison de ces courants produit des phénomènes appelés «gyres océaniques». Ils sont assez peu fréquentés par les marins et restent encore méconnus et mystérieux. En 1997, le navigateur et marin américain Charles Moore lance l’alerte à la suite de la traversée du gyre nord pacifique sur ce qu’il présente comme un nouveau continent marin rempli de plastique (environ 5 kilogrammes de plastique par mètre carré). Ce vortex de plastique représente un problème écologique majeur. Il correspond en fait à deux zones de convergence des courants entre les côtes japonaises et californiennes. Sur les 260 millions de tonnes de plastiques produites chaque année, on estime qu’environ 10% finissent dans les océans. Le plastique constitue 89% de tous les déchets solides qui polluent les eaux de la planète. Le Pacifique nord n’est pas le seul océan dans ce cas, l’Atlantique nord présente lui aussi des concentrations de plastiques similaires. La plupart de ces déchets se situe entre 5 et 30 mètres de profondeur et la majorité est de taille microscopique, presque invisible à l’œil nu...14 Les animaux marins sont alors soit piégés par les plus gros débris ou alors les ingèrent jusqu’à intoxication. Selon le programme des Nations Unies pour l’Environnement, les déchets plastiques océaniques tuent plus de 1 million d’oiseaux par an et presque 100 000 animaux marins... Seconde conséquence néfaste de ces amas colossaux: les plastiques sont de véritables éponges à polluants organiques persistants, comme le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane, un pesticide) et les PCB (polychlorobiphényles), ainsi qu’à phtalates ou à métaux lourds. «En se dégradant, les morceaux de plastique relâchent ces éléments, qui s’avèrent toxiques pour l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les concentrations sont suffisamment élevées pour provoquer des dommages», assure Chris Bowler, chercheur au CNRS au département de biologie de l’école normale supérieure. Et la «piscine» méditerranéenne n’est pas épargnée... Si aucun gyre permanent n’y existe, des tourbillons ponctuels et les importants rejets des Etats côtiers entraînent aussi une accumulation de détritus. En 2010, l’expédition M.E.D. (Méditerranée en danger) évalue à une moyenne de 115 000 particules par kilomètre carré les déchets qui contaminent la mer.
14- Source: Les dessous des cartes - Arte
Les gyres océaniques (Source: Le Monde)
Oiseaux morts à cause de plastiques
Que faire contre ces poubelles flottantes? Si des opérations de nettoyage des gyres ont déjà été entreprises ou sont à l’étude, comme le projet américain Kaisei, la tâche paraît titanesque étant donnée l’ampleur des zones contaminées et le nombre de micro-fragments. D’autant que ces déchets se trouvant essentiellement hors des eaux nationales et des Zones économiques exclusives, aucun Etat ne veut en assumer la responsabilité ni le coût. «Le plus accessible serait de se concentrer sur le nettoyage des canaux et rivières qui débouchent dans les océans, ainsi que les plages, afin de prévenir une accumulation de déchets plus au large et en profondeur, explique Marieta Francis, directrice exécutive de l’Algalita Marine Research Foundation. Mais l’essentiel est surtout de réduire la quantité de déchets produite, en limitant la consommation d’emballages, en les recyclant et les réutilisant au maximum et en recherchant d’autres alternatives, comme des plastiques biodégradables ou compostables, du papier ou de l’aluminium.»15 J’ai fait le choix d’évoquer les risques écologiques majeurs du XXIè siècle à l’échelle planétaire car il est important d’utiliser des exemples chocs pour transmettre des idées et comme je l’ai dit précédemment, nous sommes tous citoyens du monde, il incombe à chacun la responsabilité de ses actes et de son 247 avenir. L’expérience du jardin planétaire permet d’appréhender cette fuite de responsabilité des hommes à l’échelle globale et la notion d’empreinte écologique permet, elle, d’en mesurer les conséquences, encore méconnues aujourd’hui et qui sont restées secrètes ces dernières 50 années. «L’empreinte écologique d’une population humaine correspond à la surface écologique productive nécessaire au maintien durable de la population à son niveau de vie actuel, c’est-à-dire : pour fournir l’énergie et les matières premières consommées par la population; pour éliminer tous les déchets de la population avec sa technologie. La surface écologique productive est constituée de forêts, de terres cultivées, et de pâturages. Elle comprend également l’eau potable et les ressources des océans. Quand je mange une orange ou un œuf, quand je me déplace en véhicule, quand je prends une douche, je consomme des ressources naturelles. Chacun de ces actes s’accompagne d’une consommation de ressources que la planète doit me fournir et d’une production de déchets qu’elle doit absorber, en
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15- Audrey Garric, «Le 7e continent de plastique», Le Monde.fr [en ligne]: http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/09/ le-7e-continent-de-plastique-ces-tourbillons-de-dechets-dans-lesoceans_1696072_3244.html
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
«Là encore, le poids total de ces plastiques est moins impressionnant : 600 tonnes, à raison d’une moyenne de 1,8 mg par déchet. Mais le risque, c’est de voir ces quantités augmenter considérablement avec le temps, la Méditerranée étant quasi-fermée», explique François Galgani, océanographe et biologiste français.
conséquence de leur production et leur usage. A l’origine de cette ressource, il y a une partie de la Terre, ou des océans, une portion de la planète, une surface vivante...» 16 Quelle serait la surface de campagne, de lac ou d’océan, nécessaire pour fournir durablement les ressources nécessaires au train de vie actuel de nos sociétés? à l’échelle de la planète, l’empreinte écologique moyenne par personne est de 2,9 hectares alors que la surface écologique productive disponible sur notre planète n’est que de 2,2 hectares par personne environ! Cela signifie que pour durer comme ça, il faudrait une planète et demi pour subvenir aux besoins de l’humanité!
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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«Depuis l’ère industrielle, la civilisation occidentale épuise tant les ressources fossiles (pétrole, charbon...) que les forces vivantes qui ont mis des milliers voire des millions d’années à se former... Les forces vivantes, c’est par exemple la couche d’humus : elle a mis des millions d’années pour former l’incroyable richesse de l’équilibre actuel, qui supporte notre agriculture et toute forme de vie sur Terre, par exemple les grandes forêts qui nous offrent leur bois et qui recyclent nos surplus de gaz carbonique. Les océans regorgent aussi de poissons mais à force de consommer ces réserves, il ne restera plus rien pour les générations futures…»17 Mais nous rendons-nous compte des traces que nous allons laisser? Certains choisissent un comportement fataliste et fuient leurs responsabilités, d’autres cherchent des solutions en permanence, du proche au territoire, il reste très difficile de prendre position... Il s’opère aujourd’hui une élévation de forces positives qui tentent de contrer les bases solides de nos sociétés capitalistes (l’agro-écologie par exemple ou l’éco-construction, l’habitat collectif en milieu rural...). Ces formes de résistances et de ré-adaptations s’incarnent dans une éthique grandissante qui est la résilience, des populations, des villes et des territoires, capacité d’un organisme vivant à se remettre d’un choc et à s’adapter durablement. Aujourd’hui, l’humanité fait face à de nombreux chocs culturels et naturels (dérèglement climatique, hausse des prix des denrées alimentaires, croissance des organismes génétiquement modifiés, hausse des prix de l’énergie...) et se doit de réagir. 16 - William Rees et Mathis Wackernagel, Notre empreinte écologique, Montréal, Éd. Écosociété, 1999. 17 - «L’empreinte écologique», La Passerelle Eco, n°10, [en ligne]: http://www.passerelleco.info/IMG/pdf/Test_Empreinte_Ecologique. pdf
Et les réactions existent. On voit apparaître aujourd’hui une nouvelle éthique résiliente appelée «Mouvement de Transition». Le mouvement de transition pousse les Hommes à réfléchir ensemble et mobilise la créativité de chacun. Elle permet aux populations, aux villes et aux territoires de résister aux chocs économiques et culturels contemporains. La transition engage des principes synergiques entre valorisation personnelle et territoriale. Elle se base sur la montée du prix des énergies indispensables pour envisager des scénarios où le «proche» prend le dessus sur le global. En effet, le jour où le prix des énergies sera très élevé Et j’espère vivre ces temps là! Les Hommes n’auront d’autre choix que de tisser des liens de proximités et de diminuer l’influence des réseaux externes aux bassins de vie primaires. Le site et le contexte seront les professeurs de vie et peut-être reviendra-t-on à des comportements élémentaires comme le fait de produire soi-même sa nourriture et son énergie par exemple. En cela, j’aime penser que l’avenir de l’image du jardin moderne sortira des critères esthétiques futiles hérités pour tendre vers une productivité saine et vivrière. Il apparaît évident que le jardin n’est pas un modèle dépassé, loin de là, il reste un des outils les plus efficaces pour comprendre notre rapport au monde. En fait, le jardin devient le miroir de notre comportement sociétal, de notre rapport au temps de la nature. On pourra soit ne pas lui accorder de temps et le traverser sans attention ou alors s’attacher à décrypter les traces, aider sa régénération, prendre le temps de le comprendre, de l’enrichir... Mais aujourd’hui le temps manque aux individus toujours plus pressés et stressés par le système et nous avons perdu presque tout rapport au travail de la terre et au respect de l’eau... Le jardin est censé nous faire comprendre notre place et notre rapport au monde et il n’est en aucun cas coercitif. Il faudrait donc trouver, dans cet espace de négociation, des compromis entre un espace à contempler et un espace d’actions durables pour enrichir notre rapport à la nature et construire une réelle éthique de vie. Il me semble enfin que l’avenir du jardin sera «florissant», je l’espère. Si on le considère comme école de vie et non pas comme «services» ou «objet lucratif», il continuera à accompagner nos sociétés car de toute façon les villes auront toujours besoin de se nourrir par n’importe quels moyens... Alors restons optimistes et réactifs au langage de notre terre, cultivons notre jardin, écrivons des histoires durables, diluons les dogmes progressivement pour créer des subjectivités identitaires et personnelles. Grâce à cette expérience, qui tente d’articuler
différentes approches théoriques et spatiales, j’espère avoir transmis, au travers de ma sensibilité, un regard contemporain transversal. Cette transversalité de pensée permet à mon sens de s’engager sur un cheminement éthique cohérent concernant nos rapports avec la Nature. Toutes les échelles d’études sont importantes pour une entreprise incluente et résiliente, et l’échelle du jardin en fait partie autant que l’échelle d’un bassin de vie ou d’un territoire. L’important étant, selon moi, de ne pas oublier que tous les systèmes vivants sont liés et en interactions perpétuelles. J’ai donc choisi de vous exposer ma vision de mon rapport à la Nature, à mon jardin secret, entre contemplation et pratiques raisonnées et saisonnières, entre méditation et action, entre jardin et paysage, entre profondeur et surface. Le jardin a été, il est et il sera un espace de dualité, entre réalité et imaginaire. J’aime me dire que c’est un lieu de résistance éthique et de création du temps. Ce sera peut-être un des outils majeurs pour de nouveaux modèles de vie durables, modèles hybrides qui honoreraient le temps et la Nature. Jardiner c’est écrire des histoires sur la terre, après chacun possède son éthique et son écriture... L’important est d’écrire et de transmettre.
249 Le silence de l’eau // Adrien Moréni
Cette expérience montre que ce qui devient le plus important dans notre rapport au monde est la compréhension de sa matérialité intrinsèque alors que notre modèle de développement tend vers la dématérialisation des intelligences et l’uniformisation par modèles. Territorialiser les consciences et s’épanouir par action synergique avec le site devient primordial, afin d’engager un chemin de négociations plastiques entre le corps et la matière. Nous dépassons alors les représentations culturelles de masse et les faisons évoluer vers d’autres possibles...
Protocole: 1
Connexion
Aller sur le chemin de l’enfance, dans des lieux de transmission du plaisir et des savoirs intergénérationnels. Avec son père, ses frères, ses amis et le site, une démarche de partage de l’expérience est engagée dans le plaisir et le respect.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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2 Tension Armé de patience et des outils du pêcheur, la persévérance et la méditation sont très utiles pour cette récolte imprévisible. C’est le moment de tensions entre les mondes terrestre et sous-marin...La pratique de la pêche impose technique et dextérité. 3
Déconnexion
Une fois arraché de son écosystème, le poisson, malgré tout le respect qu’on lui porte, est tué et nettoyé à l’eau douce ou au vinaigre blanc. Il est alors prêt pour être empreinté et devenir un objet d’art... 4
Expérimentation
équipé de papier japonais, d’encre de Chine ou de seiche, d’un pinceau et bien sûr de poissons, il s’agit à présent d’expérimenter cet art japonais hérité de l’aire Edo et d’honorer les fruits du jardin...
5
Technique
Mettre le poisson sur la tranche et appliquer l’encre dans le sens des écailles. Poser le papier japonais et frotter avec les mains toujours de la tête vers la queue de l’animal délicatement. Décoller la feuille. (Dessiner l’œil du poisson après l’empreinte permet de lui redonner une vie éternelle. L’empreinte «vivante» honore la mer et l’animal.) 6 Dématérialisation
Pour une publication, il est nécessaire de numériser les œuvres, soit par la photographie ou par scanner. Cette étape démultiplie la distance entre le contexte et la production et lui fait perdre son charme et son odeur... 7 Sublimation
251
Ce format à manipuler permet aux œuvres de garder une certaine mobilité dans l’espace, sorte de vie intemporelle…
8 Partage/Transmission
La démarche se termine par l’action symbolique de donner, d’offrir ces empreintes ou ces actes créateurs. Il s’agit ici de partager la mémoire d’un lieu, d’un animal et d’une expérience artistique et matérielle...
Photographies et illustrations Adrien Moréni
Ce choix me permet de concrétiser ma maîtrise sur le fruit du jardin, le poisson. Mais, ces cadrages n’ont pas de fond et mettent en valeur la texture du papier et l’architecture de l’empreinte. Ils invitent à la manipulation des poissons, attisent la curiosité et engagent une mise en lumière, à la manière des diapositives photographiques.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
Pour une exposition ou de simples visualisations des œuvres, j’ai fait le choix d’encadrer certaines empreintes.
Serranus cabrilla Serran chèvre ou Sarran
Le serran mène une vie solitaire dans les zones littorales rocheuses sur des fonds vaseux ou sableux. Il fréquente parfois les prairies de posidonie. On le rencontre généralement à faible profondeur.
Il porte une robe très colorée, allant du brun-rouge au jaune.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
Sarran ou saran, Serran chèvre, Serran chevrette, Serran petite chèvre, Serran cabrille.
Sa longueur habituelle est de 12 à 25 cm mais peut atteindre plus de 40 cm.
Noms vernaculaires
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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En prédateur, le serran commun défend un territoire temporaire et chasse à l’affût autour de son refuge. Ce carnassier se nourrit de petits crustacés et de petits poissons, sur lesquels il fond par surprise. Glouton, il est facilement pêchable à la canne depuis un littoral rocheux.
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Serranidae Genre Serranus
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
253
14*4 cm
Serranus cabrilla
Sarpa salpa Saupe La saupe est une espèce appartenant à la famille des sparidés, commune en Méditerranée. C’est la seule espèce du genre Sarpa. Les saupes vivent en bancs près du bord où elles affectionnent les herbiers de posidonie et les fonds rocheux. Leur activité est essentiellement diurne et leur régime principalement végétarien : algues vertes et brunes se développant sur les fonds rocheux peu profonds, ainsi que les posidonies qu’elles broutent à la manière des herbivores terrestres.
Hermaphrodites, curieuse particularité des sparidés, les saupes changent de sexe avec l’âge et se reproduisent au printemps et à l’automne. L’adulte mesure en moyenne 35 cm et peut atteindre 50 cm. Il a des reflets argentés et est strié de 10 à 12 lignes longitudinales jaune vif qui vont de la tête, assez courte, jusqu’à la nageoire caudale.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
La saupe peut provoquer chez celui qui la consomme des hallucinations. Ces propriétés hallucinogènes sont utilisées dans l’Océan Pacifique par les mélanésiens et polynésiens lors de rites religieux.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
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De ce fait, la saupe ne possède pas de qualité gustative extraordinaire et ne peut s’attraper à la canne. Il faut donc plonger pour la dénicher dans les herbiers.
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Sparidae Genre Sarpa
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
255
21*6 cm
SARPA SALPA
Diplodus sargus Sar commun ou Sargue Le sar commun est un poisson de mer ou d’eau saumâtre de la famille des sparidés. On trouve le sar commun sur l’ensemble du plateau continental à des profondeurs comprises entre 1 et 30 mètres sur les fonds rocheux et les herbiers. Il s’acclimate aussi en eau saumâtre en été quand les eaux ne sont pas trop froides. Il se déplace souvent en bancs de quelques individus. En période d’inactivité, ou en cas d’alerte, le sar se camoufle et s’abrite dans les failles rocheuses ou les cavités sous les roches.
Malgré ce menu très varié, il marque une préférence pour les moules, ce qui amène régulièrement des bancs d’individus à se rassembler autour des gisements de moules.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
Sargue, Mouré punchu, Sargou, Saragou, Mouchon, Asparaillou, Barade.
Il se nourrit de tout ce qu’il peut trouver dans son jardin: les juvéniles sont omnivores et les adultes carnivores. Ils se nourrissent de vers, crustacés, mollusques, leurs robustes molaires leur permettant de briser coquilles et carapaces. Le sar commun peut aussi se nourrir de petits poissons.
Noms vernaculaires
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
256
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Sparidae Genre Diplodus
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
257
14*6 cm
DIPLODUS SARGUS
Liza saliens Mullet sauteur
Les mullets sont des poissons de la famille des Mugilidae, mais aussi des familles Cyprinidae, Lebiasinidae ou Polynemidae. Le Mullet sauteur (Liza saliens) est une espèce qui est présente surtout dans les eaux saumâtres de la Méditerranée. Il y a de nombreuses espèces du genre Liza mais on en dénombre cinq espèces en France communes sur nos littoraux. La taille à laquelle 100 % des mullets se reproduisent est de 25 cm à 34 cm. Ces tailles minimum légales pour le pêcher varient de la mer du Nord à la Méditerranée.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
Mulles, Meuille.
Muges
ou
Dans le langage culturel populaire de Marseille, on appelle «Muge» l’organe sexuel reproducteur de l’homme.
Noms vernaculaires
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
258
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Mugilidae Genre Liza
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
259
19*4 cm
LIZA SALIENS
Spicara maena Mendole La Mendole occupe toute la Méditerranée, où elle est une espèce très commune, bien que plus densément dans la zone occidentale, l’Adriatique et la mer Egée. Elle vit en général en petits bancs formés d’individus de même taille, parfois mélangés avec d’autres poissons (bogues, castagnoles,…), près des côtes et entre deux eaux. Elle apprécie les fonds rocheux riches en algues, sableux, vaseux ou d’herbiers, la plupart du temps entre 5 et 30 m, mais parfois jusqu’à 200 m de profondeur en hiver. Elle est beaucoup plus littorale en été.
D’une taille moyenne entre 12 et 20 cm, certains mâles peuvent atteindre 25 cm et les plus grands individus ont une bosse sur la nuque. Les femelles sont toujours plus petites.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
En Atlantique, on l’appelle Picarel, Spicara smaris. La mendole peut-être confondu avec le gerle, Spicara flexuosa.
De corps oblong, un peu comprimé, la Mendole est caractérisée en général par un dos de couleur bleue ou verte, intense et argentée, soulignée de traits dorés.
Nom vernaculaire
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
260
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
Ordre Perciformes Famille Centracanthidae Genre Spicara
261
18*5 cm
SPICARA MAENA
Labrus merula Labre merle Les Labridae, ou communément nommés les Labres, représentent une vaste famille de poissons avec plus de 500 espèces distinctes. Ils constituent la deuxième plus grande famille des poissons marins et la troisième plus importante famille de l’ordre des Perciformes. Labrus merula, le merle ou le labre merle se rencontre en Méditerranée dans les eaux peu profondes, près des fonds rocheux et des herbiers de posidonie où il se nourrit de petits mollusques, vers et crustacés.
Il est assez fréquent de rencontrer un labre merle en compagnie de crénilabres nettoyeurs, Symphodus melanocercus. Il mesure à son stade adulte entre 30 et 40 cm.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
La reproduction a lieu de février à mai en Méditerranée occidentale.
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
262
Le labre merle a un corps massif dont la coloration est variable de brun, vert olive à bleu vert. Son museau est pointu et ses lèvres sont charnues. Les bordures bleues de ses nageoires sont caractéristiques et permettent de l’identifier facilement.
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Labridae Genre Labrus
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
263
15*4 cm
labrus merula
Coris julis Girelle Le terme girelle est le nom vernaculaire donné à certains poissons osseux de petite taille de la famille des Labridae. De forme élégante, aux couleurs vives et brillantes, ils sont abondants dans les mers chaudes, communs en Méditerranée et entrent notamment dans la préparation de la bouillabaisse et de soupe de poisson. La girelle est un poisson hermaphrodite séquentiel, qui passe de femelle à mâle à un stade particulier de sa vie, et le demeure jusqu’à la fin. Elle vit sur les côtes Méditerranéennes, où elle est très commune, à l’est de l’Atlantique, au Gabon, ou au nord de l’Écosse.
Les individus juvéniles affectionnent les herbiers de posidonie et la proximité des parois rocheuses. Les individus adultes vivent légèrement plus profond, notamment sur les fonds rocheux couverts d’algues. Le mâle, très dominant, possède un harem de femelles, et lorsque le mâle meurt, la femelle la plus vieille du groupe le remplace en devenant mâle à son tour.
Source: DORIS FFESSM: Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatique
Le nom de girelle royale s’applique aux individus mâles, et le nom de girelle commune aux femelles.
La girelle est carnivore, elle se nourrit de petits crustacés, mollusques, oursins, vers, qu’elle capture grâce à ses dents proéminentes.
Noms vernaculaires
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
264
Photographie Adrien Moréni
Taille non réelle
Ordre Perciformes Famille Labridae Genre Coris
Le silence de l’eau // Adrien Moréni
265
12*2 cm
Coris julis
SĂŠminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
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SĂŠminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
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photographie de Paul Leurent
SĂŠminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
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Libération percevant l’alphabétiquement poétique. Libération fabriquant l’accouchement partageable. Découvrir la vase en des circonstances excitables, jardinièrement vôtre. Le long poumon comprimé est sculpté, morcelé, bleu d’émotions retenues. L’expression plastique du pliage lessive l’enfance, l’esprit qui patrouille à l’horizon est rhizomatique. Il éveille la dimension subjective et éthique, il fatigue, obsessionnel, partout. C’est l’objet, l’identité des jours de l’enfance, qui gémit. La temporelle peinture surréaliste partage la couleur de l’immersion des paysages désertiques. L’introspection et la monstration sont des performances en tête-à-tête avec des jeux. La liberté de création apprend à retrouver au loin une musique, sous la pluie mécanique. Elle essaie de gindre, transmettre et ratiboiser l’autonomie transparente. Se défouler, se déshabiller permet de s’éloigner à l’étrange vitesse d’un escargot. Goulûment hivernale, notre introspection, ascenseur émotionnel, est la méditation d’une psychanalyse psychologique péniblement constructible par des cerveaux gelés. Le souffle remue. Je méditais me laissant aller, esseulé(e), à l’exquis stimulus intellectuel. Sans relâche, cette introspective scapinade me rince et m’amuse. Cette sémantique du corps est la thérapie-miroir qui regarde se pétrir la pâte en une substance fraîchement étendue. Ruisselante, elle casse les codes de l’enfance. Se voir «voir» c’est tenter, toujours en pyjama, de digérer le fasciste partage de chaque fibre de son être ; graines d’un délire romantique, damnation réflexive évidemment. Comprendre cela comme un approfondissement subjectif, imprimé en fraude. Et en rire sans limite. Ma pensée gémit ? Cette visible rétine dilatée de plaisir transmet les primitives impulsions du corps humain. Y participer c’est infiniment épuisant. Il s’agit d’écriture, de spatialisation, d’enfreindre, de batailler avec les souvenirs personnels pour valider l’inspiration et la fin. Dans l’écoumène, cette coopération chimérique exorcise librement l’enfance, la critique et mémorise ses perceptions d’ouverture. Violemment elle gamberge sur le cheminement imperceptible, toute nue. Le
Ecouter dénudé ce retour aux sources, découvrir cette prise de recul, ensemble, imaginer les fantômes de demain. Compulsivement, un essai de ciel régénère le regard dispersé. Ouvert il transforme et expérimente le «voir sans être vu», sorte de compilation de Gaspard, Melchior et Balthazar, accouchant, précieux. Evaporer, aimer enfin ! Cet aspect creuse indéfiniment un trop plein d’introspection, écumant, changeant, et se moque de continuer à germer à l’infini. L’hétérotopie se change brutalement en texte. C’est mieux. L’heure fondamentale du Moi créer une procession pour s’envoler de son corps. L’œil d’Individualité et de Liberté, sans jugement, voyage patiemment. Il écrit dans la terre le martèlement bleu d’un minuit lugubre. Ces subtilités de la grammaire française paralysent. Elles disposent, au jour le jour, d’un partage opérant, d’un unique échange germant telle une porte ouverte d’où renaît l’écoute. 269 Séminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
Le mot des étudiants Cadavre exquis à 70 doigts
tourbillon déborde, si commun, lentement. La pensée, absurde parfois, dispose au départ d’une peau fripée. Ce nouveau modèle de jardin s’attache au plaisir de la langue française et à l’affreuse harmonie de l’écho de mes coups, tombé en silence dans l’Histoire.
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Abécédaire Livres: - Épicure, Sentences vaticanes, dans Lettres, maximes, sentences, trad. Jean-François Balaudé Paris, Le Livre de Poche, 1994, Sentence 58 - Épicure, Lettre à Hérodote, dans Lettres, maximes, sentences, trad. Jean-François Balaudé, Paris, Le Livre de Poche, 1994. - Hannah Arendt, De l’humanité dans de « sombres temps », dans Vies politiques, trad. Barbara Cassin et Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1974. - Diana Balmori et Margaret Morton, Transitory Gardens, Uproted Lives, New Haven, Yale University Press, 1993. - Robert Harrison, Jardin, réflexion sur la condition humaine, trad. Florence Naugrette, Paris Éditions le Pommier, 2007. - Pietro Laureano, Jardin de pierre. Les Sassi de Matera et la civilisation méditerranéenne, trad. Sidonie Joannés, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, « Temps et espaces », 2005. - T.S Eliot, « Burnt Norton » Meurtre dans la cathédrale. Quatre quatuors, trad. Pierre Leyris, Paris, Guilde des Bibliophiles, Presses du Compagnonnage, 1963. - Gaîtane Lamarche-Vadel, Jardins secrets de la Renaissance, des astres, des simples et des prodiges, Paris, l’Harmattan, 1997. - Michel Foucault, Le corps utopique suivi de Les hétérotopies, Paris, Nouvelles Èditions lignes, 2009 - Hegel, Esthétique (1835 post.), tome premier, trad. Charles Benard, Paris, Librairie Germer-Baillëre, 1875. - Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 2008. - Descartes, Discours de la méthode, Paris, Flammarion, 2000. Films: - Film réalisé par Pierre-André Boutang en 1988, L’abécédaire de Gilles Deleuze, avec Gilles Deleuze et Claire Parnet, Éditions Montparnasse, 2004 - Film réalisé par Vittorio De Sica, « Le jardin des Finzi-Conti », 1970, d’après le roman éponyme de Giorgio Bassani, 1962. Jardin névrotique Essais : - Mélanie Gourarier et Laurent Condominas, Niki de
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heures dans mon jardin
Livres: - Certeau Michel de, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard,1990-1994. - Giraud, Yves, Le paysage à la renaissance, Fribourg, Ed. Universitaire, 1988. - Blanc, Nathalie, Les nouvelles esthétiques urbaines, Paris, A. Colin, 2012. - Balzac, Honoré de, La Maison du chat-qui-pelote, Paris, Garnier-Flammarion, 1985. - Balzac, Honoré de, Le Curé de village, Paris, Gallimard, La Pléiade, IX, 1978. - Balzac, Honoré de, Une Double famille, Paris, Garnier-Flammarion, 1984. - Chrétien de Troyes, Lancelot ou Le Chevalier de la charrette, Le Livre de poche, 1996. - Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Le Livre de poche, 1983. - Gautier, Théophile, La Toison d’or (1879), in Contes et récits fantastiques, Le Livre de poche, 1990. - Rousseau, Jean-Jacques, Les Confessions, in Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1959. - Zola, Émile, Pot-Bouille, Paris, Garnier-Flammarion, 1979. Analyses cinématographiques: - Loiselleux, Jacques et Petat, Jacques, Le Cadre au cinéma, CNDP, 1991.
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Médiagraphie
Saint Phalle, le jardin des Tarots, Arles, édition Actes Sud, 2010. - Gilles Clément, Une brève Histoire du Jardin, Paris, édition JC Bréhar, 2011. - Hervé Brunon + Collectif, Le jardin notre double, sagesse et déraison, Paris, édition autrement, 1999. - Ecole nationale supérieure du paysage (Versailles), Les Carnets du paysage n° 9-10 Jardiner, Arles, édition Actes Sud Nature, Versailles, Coédition Ecole nationale supérieure de paysage, Juillet 2003 . - Michel Thévoz, Le Corps peint, Genève, édition A. Skira, 1984. - Corinne Cathaud, Le corps humain questionné, Sarrebruck, Allemagne, éditions universitaires européennes cop. 2011. Romans : - Michel Quint, effroyables jardins, Paris, édition Gallimard 2004. - Jean-Marc Aubert, Aménagements successifs d‘un jardin, à C., en Bourgogne, Talence, édition de L’arbre vengeur, 2005. Articles : - Robert Rakocevic, «L’espace et le récit aux temps classiques», Acta fabula, vol. 8, n° 3, Mai-Juin 2007, URL : http://www.fabula.org/revue/document3188. php Sites : - http://www.jejardine.org - http://www.lemonde.fr
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- Montcoffe, Francis, Fenêtre sur cour, « Synopsis », Paris, Nathan, 1995. Etudes critiques: - Starobinski, Jean, « Fenêtres (de Rousseau à Baudelaire) », L’Idée de la ville, Actes du colloque international de Lyon, Champvallon, Seyssel, 1984. - Valette, Jean-René, « Les Fenêtres – Architecture et écriture romanesque », in Lancelot ou le Chevalier de la charrette, L’École des Lettres, mars 1997, n°10. Poésie: - Baudelaire, Charles, Les Fleurs du Mal, Paris, Garnier-Flammarion, 1964. - Baudelaire, Charles, Le Spleen de Paris, Le Livre de poche, 1972. - Brel, Jacques, Œuvre intégrale, Paris, Robert Laffont, 1982. - Hugo, Victor, Les Orientales, Le Livre de poche, 2000. - Nerval, Gérard de, Sylvie, suivi de Les Chimères et Odelettes, « Librio », Paris, J’ai lu, 2001. - Verlaine, Paul, Sagesse, Paris, Gallimard, 1970. - Vian, Boris, Poésies in Poètes d’aujourd’hui, n° 150, Paris, Seghers. Théâtre: - Molière, L’École des femmes, Classiques Larousse, 1990. - Rostand, Edmond, Cyrano de Bergerac, Classiques Larousse, 1985. - Shakespeare, Roméo et Juliette, Folio, Paris, Gallimard, 2001. Films: - Hitchcock, Alfred, Fenêtre sur cour (1954). - Renoir, Jean, Partie de campagne (1936). - Tati, Jacques, Playtime (1967). Peinture: - Jan van der Meer, dit Vermeer, son œuvre en général, XVII siècle. - Bonafoux, Pascal, Vermeer, Paris, Éditions du Chêne, Profils de l’art, 1992. - Aragon, Louis, Henri Matisse, roman, Paris, NRF Gallimard, 1971. - René François Ghislain Magritte, La condition humaine, Huile sur toile 100 x 81 cm, The National Gallery of Art, Washington, DC, USA, 1933. L’heure bleue Livres: - Henri Loyrette, Sébastien Allard, Laurence Des Cars, L’art français, le XIXe siècle 1819-1905, Paris, éditions Flamamarion, 2006. - Catherine Legrand, Jean-François Méjanès, Emmanuel Starcky, Le paysage en Erope, du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, éditions de la Réunion des musées nationaux, 1990. - Marc Desportes, Paysages en mouvement, transports et perception de l’espace XVIIIe-XXe siècle, Evreux, éditions Gallimard, 2005.
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- Film réalisé par Paul McGuigan, «Slevin», 2006. - Film réalisé par Tim Burton, «Edward aux mains d’argent», 1990. - Film réalisé par Robert Stevenson, «Marry Poppins», 1964, d’après le roman de Pamela Lyndon, «Marry Poppins». - Film réalisé par Tim Burton, «Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête», 2000, d’après la nouvelle de Washington Irving, «La Légende de Sleepy Hollow». - Film réalisé par John Sayles, «Le secret de Roan Inish», 1994, d’après le roman de Rosalie K. Fry, «The Secret of Ron Mor Skerry». - Film réalisé par Francis Lawrence, «De l’eau pour les éléphants», 2011, d’après le roman de Sara Gruen, «De l’eau pour les éléphants». - Dessin animé réalisé par les Studios Disney, «Alice au Pays des Merveilles», 1951, d’après le roman de Lewis Carroll, «Les Aventures d’Alice au pays des merveilles». - Manga réalisé par Keiichi Hara, «Colorful», 2010. - Dessin animé réalisé par les Studios Disney, «Merlin l’enchanteur», 1963, d’après le roman de Terence Hanbury White, «L’Épée dans la pierre». - Manga réalisé par Hayao Miyazaki, «Le château ambulant», 2004, d’après le roman de Diana Wynne Jones, «Le Château de Hurle». - Film réalisé par Victor Fleming, «Le Magicien d’Oz», 1939, d’après le roman de L. Frank Baum, «The 273 Wonderful Wizard of Oz». - Film réalisé par Tod Browning, «Freaks, la monstrueuse parade», 1932. - Film réalisé par Tim Burton, «Big Fish», 2003, d’après le roman de Daniel Wallace, «Big Fish: A Novel of Mythic Proportions». - Film réalisé par Mel Brooks, «Frankenstein Junior», 1974. - Film réalisé par Tim Burton, «Beetle Juice», 1988. - Film réalisé par Guillermo Del Toro, «Le labyrinthe de Pan», 2006. - Film réalisé par Henry Levin, «Voyage au centre de la terre», 1959, d’après le roman de Jules Verne, «Voyage au centre de la terre». - Manga réalisé par Hayao Miyazaki, «Princesse Mononoké», 1997. - Manga réalisé par Hayao Miyazaki, «Le château dans le ciel», 1986. Musique: - Jonnhy Blue, « Vitamine sea », 2013. - Grouch, «Live in new caledonia», 2010. - Ace Ventura & Zen Mechanics, «Digital Beings (Symbolic Remix)», 2012. - Shpongle, «Tales of the Inexpressable», 2012. - Beats Antique, «Full Performance (Live on KEXP)», 2013. - Egorythmia, «Live Boom festival», 2012. - Entheogenic, «Spontaneous Illumination», 2013. Séminaire jardin(s) secret(s) // ensapBx 2014
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JARDINs EXISTENtIELS, TERRITOIRES SECRETS Livres: - L’Art du jardin et son histoire, John Dixon Hunt, 1996. - Félix Guattari, Les trois écologies, Paris, Éditions Galilée, 1989. - Sebastien Marot, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, éditions de la Villette, Paris, 2010 Poésie: - Jean Démelier, poème pour l’exposition du peintre Daniel Mohen, «En suspension», février mars 2010, galerie Actuart, Nice. Articles numériques: - Lise Bourdeau-Lepage, Métropolitiques, le 21/02/2013. Nature(s) en ville. Disponible sur: http://www.metropolitiques.eu/Nature-s-en-ville. html - Luc Lévesque, « Sauvagerie urbaine et jardins; quelques hypothèses », in Art et jardins. Nature / Culture, Actes du colloque Art et Jardins, Musée d’art contemporain de Montréal, Montréal, 2000. Extrait disponible sur : http://www.amarrages.com/ textes_sauvagerie.html Le silence de l’eau Articles numériques : - Serge Carfantan, docteur agrégé de philosophie, «La contemplation esthétique», (en ligne) : Sergecar. perso.neuf.fr. - Paul Mifsud, «Ecosystème et gouvernance environnementale», Medondes, numéro 57, (en ligne) : www.unepmap.org. - Mathis Wackernagel et William Rees, «Notre empreinte écologique», Éditions Écosociété, P. 207, 1999, (en ligne) : http://vertigo.revues.org/5230. - Alexandre Serre, «Quelle(s) problématiques de la trace?», Texte d’une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR (actuellement CERSIC), le 13 décembre 2002, (en ligne) : http://hal. archivesouvertes.fr/docs/00/06/26/00/PDF/ sic_00001397.pdf. - Sylvie Tribut, «La constellation des poissons», (en ligne) : http://lungtazen.canalblog.com/ archives/2009/03/10/12909155.html. - Nardo VICENTE, «Premier séminaire international sur la Grande Nacre méditerranéenne : Pinna nobilis», (en ligne): http://www.institut-paul-ricard. org/IMG/pdf/SEMINAIRE-PINNA-2.pdf. - Marieta Francis, «Peut-on nettoyer les océans des déchets plastiques.», 2013, (en ligne) :
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- www.ina.fr - www.labibliothequefantastique.net - www.larevuedesressources.org - www.nain-de-jardin.fr - cmsfr.eghn.org
Direction de la publication Hélène Soulier, Collectif TçPç. Photographie de couverture et conception graphique des articles Caroline Benito, Marie Bretaud, Alice Le Berre, Romain Lacoste, Helena Le Gal, Paul Leurent, Adrien Moréni, Hélène Soulier.
Editions ensapBx ISBN : 978-2-9542849-5-8 EAN : 9782954284958
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