EDIFICE I MILIEU ARCHAIQUE I CONTEMPORAIN GLOBAL I LOCAL Des pratiques architecturales contemporaines qui vont au-delà de ces contradictions héritées de la pensée moderne
I Bruno Jean-Baptitste I Directeurs de mémoire : Bonzani Stéphane et Gangarossa Laurie I I Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand I 28I01I2018 I
REMERCIEMENTS
La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner ma reconnaissance. En premier lieu, je voudrais remercier les enseignants Stéphane Bonzani et Laurie Gangarossa pour leurs éclairages ainsi que l’équipe enseignante de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand pour leur accompagnement durant ces années d’études. Je voudrais également remercier toutes les personnes de l’équipe de la bibliothèque qui ont su se rendre disponible. Enfin je remercie mes amis et ma famille pour leurs avis critiques et leur soutien.
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AVANT PROPOS
Au cours de mes années d’étude à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, mon attention s’est beaucoup portée sur l’architecture contemporaine. Dans différentes conférences auxquelles j’ai assisté ou dans différents ouvrages que j’ai consultés, certaines questions ou problématiques communes semblent se profiler. L’architecture contemporaine, le cadre dans lequel je serai amené à exercer ou à travailler, m’a semblé l’objet de beaucoup de remises en question et de bouleversements. Les architectes se confrontent à la complexité de notre époque et il m’est apparu que cela produit une grande diversité de pratiques et d’architectures. Devant le constat de cette diversité, j’ai eu quelques difficultés à saisir ce que toutes ces architectures pouvaient avoir en commun. Les problématiques énoncées par les architectes semblent pourtant converger vers un même point. Ce point c’est l’adaptation nécessaire de notre pratique au regard des dérèglements planétaires en cours ; climatiques, migratoires et économiques. La plupart des architectes contemporains auxquels je porte un intérêt, mettent l’accent sur ces questions et sur ce point de basculement. Point de basculement autour duquel aujourd’hui nous devons repenser notre pratique. A partir de cette analyse commune, une grande diversité de propositions architecturales est créée et bien que nous puissions identifier quelques récurrences esthétiques dans l’architecture contemporaine, il semble pourtant compliqué de réellement y déceler un style contemporain. Lors du travail préparatoire et de mes recherches pour ce mémoire, je me suis particulièrement intéressé aux paramètres ou aux différentes données qui permettraient d’induire telle ou telle architecture. Qu’est-ce qui permet aux architectes de produire cette diversité de postures et de formes ? Qu’est-ce qui aujourd’hui peut rendre une architecture singulière dans cette diversité ? Au cours de cette exploration, je me suis tourné vers l’ouvrage « Précisions sur un état présent de l’architecture » de Jacques Lucan dans lequel figure une citation de Michel Foucault : « Comment se fait-il qu’à une époque donnée, on puisse dire ceci et que jamais cela n’ait été dit ? »1. Je me suis alors demandé si
1 Lucan, J., 2015. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne, Suisse : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes. p. 10. Repris dans Foucault, M., 1994. Dits et écrits, Tome I (1954-1969). Paris : France. p. 787.
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les réponses architecturales contemporaines, à l’ère de l’anthropocène se devaient d’entretenir une relation particulière avec leur époque et leur histoire. Comment les architectes peuvent-ils s’orienter dans cette incertitude afin d’innover, de renouveler les propositions architecturales ? Doit-on prendre en compte notre héritage ou le désapprendre pour aller de l’avant ? Cette relation particulière entre héritage et contemporain m’a poussé à tenter de définir ce qui pourrait être considéré comme contemporain. Ce travail est donc une sorte d’exploration de ce que pourrait être en partie l’architecture contemporaine. Afin de restreindre le champ de cette exploration et me donner des postulats de départ, j’ai considéré qu’une architecture contemporaine serait une architecture qui irait au-delà des principes établis par le présent, une architecture qui nous amènerait à faire des pas de côté par rapport à la vision que nous avons de notre époque et que c’est à travers ces pas de côté que les architectures peuvent proposer des réorientations possibles de nos pratiques.
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SOMMAIRE INTRODUCTION
1. Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales à l’ère de l’anthropocène
1.1. La fin de la pensée moderne 1.2. Repenser le monde par le lieu 1.3. Des Trans-culturalités 1.4. Des Trans-temporalités 1.5. La biennale d’architecture de Venise : Une opportunité pour observer ces pratiques
p. 11
p. 18 p. 25 p. 29 p. 34 p. 38
2. Au-delà de la contradiction entre Edifice et Milieu
2.1. La construction locale et contemporaine 2.2. S’allier aux initiatives communautaires et associatives 2.3. La construction et l’analyse participatives
p. 44 p. 59 p. 65
3. Au-delà de la contradiction entre Archaïque et Contemporain 3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu 3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances 3.3. Au-delà du traumatisme du lieu, lier l’ancien à de nouvelles possibilités
p. 72 p. 84 p. 97
4. Au-delà de la contradiction entre Local et Global
4.1. Agir au local pour une transition globale 4.2. Les images communes et la multiplicité des références 4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
p. 106 p. 115 p. 123
CONCLUSION
p. 135 9
INTRODUCTION
Au cours de cette année de master, nous avons abordé la notion d’« initialité » lors de travaux dédiés à l’exploration de cette notion et d’une suite de présentations. Ce terme est lié à la notion de commencement ou de recommencement. En architecture, aujourd’hui, cela évoque la « reprise du geste de bâtir dans sa dimension archaïque » 1. Appliquée à l’architecture, il est intéressant de constater que cette notion questionne nos pratiques et la façon dont nous abordons notre discipline par des actions parfois plus simples ou plus fondamentales. Les architectes essaient de renouer avec ces fondamentaux et les milieux dans lesquels ils exercent. L’ère de l’anthropocène semble annoncer le moment d’un renouvellement inévitable. Nous sommes confrontés à des phénomènes complexes notamment climatiques qui rendent floue notre perception de l’avenir. Nous sommes aujourd’hui, pour la plupart, dans l’incapacité de lui donner une forme ou d’en imaginer toutes les possibilités.
1 Bonzani, S., Bonnaud, X., Fraigneau, V., Mantout, R., Szuter, D., 2018. L’archaïque et ses possibles aujourd’hui, colloque international, Cycle Architecture et Philosophie. Gerphau. Cité de l’architecture. Paris, France. https://www. citedelarchitecture.fr/sites/default/ files/documents/2018-05/ programme.pdf
Dans ce travail, il sera question de s’intéresser à certaines pratiques architecturales qui font part de tentatives de réévaluation et de propositions de réorientations de la construction contemporaine. Afin de définir un corpus précis pour ce travail, nous allons aborder les pratiques des architectes participant à la biennale d’architecture de Venise de 2018. Un des objectifs sera d’observer dans l’échantillon le plus marquant de l’architecture contemporaine à cet instant, certaines pratiques architecturales et vérifier si celles-ci font bien part de cette volonté de réévaluation. Ce renouvellement passera par la volonté des architectes d’aller au-delà de leur héritage, d’aller au-delà de la complexité du présent dans lequel ils agissent. Aller au-delà ne signifie pas annihiler ou désapprendre mais marque la volonté de faire avec et surtout de faire évoluer. Dans la première partie, nous allons aborder les termes et le cadre qui pourraient définir cette réévaluation. Le cadre de celle-ci est en partie construit sur un héritage moderne. A l’heure des dérèglements écologiques et climatiques,
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Edifice I Milieu I Archaïque I Contemporain I Local I Global
l’héritage du modernisme met à jour un certain nombre de contradictions qui procèdent de défis à relever : habiter un lieu et s’ouvrir à la mondialisation, construire et préserver, innover et recycler. Ensuite nous nous intéresserons aux différents dualismes que cet héritage moderne nous pousse à redéfinir. Ces dualismes sont exprimés dans le titre de ce mémoire et délimitent le corpus étudié. Dans cette première partie émergent trois contradictions : entre l’édifice et son milieu, entre l’archaïque et le contemporain et enfin entre l’échelle locale et l’échelle globale. Nous nous intéresserons également à certaines références qui permettent de donner des définitions à ces termes et établir le cadre de l’étude. Certaines définitions pourront également varier dans le déroulement de ce mémoire, par exemple la notion de « local » pourra faire référence aux territoires d’étude ou de projet que l’architecte développe et selon les cas cette notion pourra désigner la parcelle, la ville ou la région. La notion de local renverra à l’échantillon d’un territoire étudié par l’architecte. La notion de local fait écho à la notion de milieu. Le milieu est une partie de territoire dans lequel sont observables des pratiques, une culture ou des formes d’établissement spécifiques en lien avec des conditions géographiques, climatiques et économiques données. Le contexte rassemble les données qui permettent de définir l’emprise d’un milieu sur le sol ou dans le temps, il définit également les successions d’évènements qui ont mené les architectes à s’intéresser à telle ou telle situation. Le contexte d’une œuvre rassemble l’ensemble des données qui ont permis la proposition, la construction, la justification et la diffusion de cette œuvre. Dans la fin de la première partie nous verrons comment la biennale d’architecture de Venise peut marquer ou faire émerger certaines pratiques architecturales. Le choix de ce corpus permet de disposer d’un échantillon assez vaste de ce qu’est l’architecture contemporaine aujourd’hui. Puis nous nous attacherons dans les parties suivantes à rendre compte des pratiques observées qui permettraient de dépasser les contradictions auxquelles nous sommes confrontées. Chaque architecte cité dans ce mémoire développe un ou plusieurs outils allant dans ce sens. Chaque grande partie correspond à une de ces contradictions et à l’intérieur de chacune d’elles il sera question d’explorer comment les architectes développent des outils communs ou non afin de faire-avec et de faire évoluer ces contradictions. Toutes ces démarches ouvrent un certain nombre de possibilités que nous nous efforcerons de montrer. 12
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Dans la seconde partie, nous regarderons comment certaines démarches ou méthodes peuvent donner à l’architecte les moyens d’établir des liens plus profonds entre l’édifice et son milieu. Afin d’établir ou de rétablir ces liens nous verrons comment la transmission de ces outils aux populations concernées, dont la culture et les modes de vie sont spécifiques, peut constituer un facteur de développement. A partir du projet d’architecture il est possible d’affirmer ou de confirmer certains types d’établissements et milieux habités, permettant ainsi la construction plus respectueuse de ces milieux. Nos modes de vie sont amenés à changer, la question de l’accompagnement à ce changement à travers le projet d’architecture qui doit prendre en compte nos cultures, nos besoins et nos ressources, se pose avec force. Le corpus étudié révèle trois outils majeurs qui permettent cette mise en œuvre particulière. Le premier est la construction locale et contemporaine. Nous verrons comment les architectes peuvent construire des édifices contemporains en s’inspirant des ressources et des savoir-faire disponibles sur le territoire de projet. Le caractère de ces édifices se trouve à mi-chemin entre vernaculaire et contemporain, l’objectif de ces architectes et de proposer aux populations de ces milieux les possibilités d’habiter ou de s’établir plus convenablement avec les moyens à leur disposition. Le second outil implique et repose sur une mise en retrait de la figure traditionnelle de l’architecte. Il s’agira ici de montrer les alliances que peuvent former les architectes avec les communautés ou les associations présentes sur les lieux qu’ils traitent. En effet il arrive que les populations se mobilisent pour pouvoir faire face aux aléas auxquels sont sujet leur habitat. Nous verrons dans cette partie comment les architectes peuvent se nourrir de ces initiatives ou comment ils peuvent les initier afin que le territoire puisse continuer de se développer après l’achèvement du projet. Ces alliances permettent aux architectes de faire participer les populations ainsi que d’autres acteurs à leurs projets. Le troisième outil est la construction participative qui permet des démarches de projet hybrides entre génie du lieu et expertise externe. Les architectes deviennent alors les médiateurs de cette action qui vise par exemple à mettre en place un développement des territoires fondé sur « l’intelligence interculturelle ». La participation permet également de fournir et de populariser certains outils auprès des différents acteurs. Dans la troisième partie, nous examinerons comment l’architecte peut se constituer des outils en se réappropriant son propre héritage ou l’héritage du lieu qu’il étudie. Ici il sera essentiellement question des relations que les
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architectes entretiennent avec l’histoire de l’architecture, de l’art et des lieux. Les architectes peuvent faire de ces liens des atouts pour leurs projets. Dans les différents travaux exposés à la biennale d’architecture, il est beaucoup question d’histoire et de mémoire, nous allons nous intéresser à trois outils qui en découlent. Le premier peut aider les architectes à faire émerger de l’histoire du lieu des dispositifs et des formes architecturales innovantes. Ces propositions font preuve d’une grande intelligence dans le maniement de l’histoire. Cela permet par exemple de mieux prendre en compte les pratiques du lieu. Maitriser l’histoire du lieu permet d’initier plus facilement de nouvelles pratiques en leur donnant une forme plus juste ou en ajustant ces pratiques au contexte contemporain. Le second pose la question du réemploi qui n’est pas seulement lié aux matériaux. Dans cette biennale d’architecture nous retrouvons beaucoup de références, de renvois à des savoir-faire et des techniques anciennes et plusieurs exemples de réemploi de ces savoir-faire et techniques. Le réemploi permet parfois de construire de façon plus cohérente dans des milieux historiques protégés par exemple ou encore de façon plus écologique. Le dernier outil est une façon de lier l’histoire du lieu à son avenir. Certains dispositifs créés par les architectes permettent d’engager les lieux qu’ils traitent vers une autre direction. Certains de ces lieux ont vécu des traumatismes forts. Les architectes sont amenés à appliquer des dispositifs qui permettent de construire une certaine résilience du lieu. Ils peuvent alors donner les moyens à une population d’aller au-delà de ce traumatisme et d’un héritage parfois lourd. Enfin dans la dernière partie de ce mémoire, nous nous intéresserons à différentes démarches qui permettent aux architectes d’intervenir entre les dimensions locale et globale. Chaque action des architectes même réduite, participe à une vision plus large de ce qu’est l’architecture et engendre fatalement un certain nombre de conséquences qui affecteront un territoire plus vaste. Le premier outil représente cette prise de conscience que nos actions bien qu’elles soient localisées participent à des phénomènes plus vastes. En architecture, l’acte de construire est toujours localisé mais il permet de faire émerger d’autres regards, d’autres initiatives, d’attirer l’attention sur certaines problématiques. L’action localisée permet d’affirmer le statut d’un territoire et d’y valoriser ou d’y implanter des outils de développement culturels, économiques ou paysagers. 14
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Le second outil est celui de la référence et des images communes. La question de la référence permet de connecter les démarches à une échelle plus vaste que celle dans laquelle nous agissons. Multiplier les références c’est aussi se tenir informé sur les différentes postures existantes et trouver le moyen d’innover avec elles. La multiplicité des références passe par les différentes figures et acteurs des projets contemporains. Nous constatons que les architectes et nous-mêmes étudiants, sommes concernés par plusieurs disciplines et que cela nous amène à intégrer à nos projets des valeurs liées à l’art, à la sociologie ou à la philosophie qui sont sans doute plus universelles que les langages architecturaux qui aujourd’hui contrairement au style classique et au style international n’imposent plus de vision universelle. Les références utilisées ne sont pas toutes architecturales. Elles peuvent être constructives ou artistiques. Certaines architectures pour pouvoir aller aux delà des traditions constructives du lieu peuvent accepter des références exogènes. La tradition dans ce cas doit pouvoir s’émanciper ou s’hybrider. Les traditions constructives d’un lieu peuvent présenter des réponses pour la construction d’un édifice dans un autre lieu. Les traditions peuvent être amenées à être réinterprétées, modifiées afin qu’elles puissent rester cohérentes dans un contexte contemporain. Nous clôturerons ce travail en revenant sur la biennale de Venise en nous demandant ce que ce panel d’intentions et de démarches nous montre de l’architecture contemporaine et de la biennale. Nous nous demanderons si la biennale est bien un événement marquant de l’architecture contemporaine incitant les architectes à modifier leurs pratiques.
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1. Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales à l’ère de l’anthropocène
Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
1.1. La fin de la pensée moderne
Dans cette partie nous allons tenter d’illustrer, en utilisant certaines références empruntées à d’autres domaines que celui de l’architecture, comment la pensée moderne entre en contradiction avec les façons dont nous devons aujourd’hui aborder le projet d’architecture. En effet, en architecture le modernisme est encore très présent dans notre éducation et dans les références que nous utilisons. Nous sommes pour la plupart conscients que nous ne faisons que des emprunts dans nos projets afin d’illustrer, d’étayer les dispositifs et les intentions que nous travaillons. La pensée moderne reste encore très présente dans l’élaboration des projets d’architectures, notamment dans les écoles et plus particulièrement dans les projets de première et deuxième année. Le modernisme est une des bases de ce qu’est l’architecture aujourd’hui, c’est un outil que nous manipulons pour ensuite nous en détacher, c’est une façon pour nous d’aborder l’architecture. Il fait débat dans beaucoup d’ouvrages, de conférences et même au sein des ateliers de projet. 60 ans après son avènement, la pensée moderne fait encore débat, pourquoi ? L’existence de ce débat particulier montre que la pensée moderne n’a pas seulement été nourrie par des architectes comme le Corbusier, Rudolph Schindler ou Walter Gropius mais par beaucoup d’autres pratiques et disciplines artistiques, philosophiques, sociales, etc. qui ont instaurées une certaine perception du monde. Cette perception s’appuie sur certains dualismes dont chacune de ces pratiques on fait l’usage. Ces dualismes mettent en avant la domination de l’homme sur son environnement ; l’homme et la machine, l’homme et La nature. Ils mettent également en avant la nécessité de l’homme d’aller au-delà de son origine, d’aller de l’archaïque vers le contemporain, d’aller du local vers le global.
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En raison des perturbations et des aléas climatiques, les pratiques de l’architecture sont sans aucun doute amenées à changer, à être revisitées. Nous sommes tous les jours en tant qu’étudiants confrontés à de nouvelles pratiques, parfois mises en avant dans notre cursus lors de conférences, par les professeurs ou certains ouvrages.
1.1. La fin de la pensée moderne
Le modernisme a eu un rôle important dans l’établissement d’une pensée aménagiste du monde qui aujourd’hui est en contradiction avec les aléas et l’incertitude de notre temps qui deviennent le cadre de notre établissement sur terre, le cadre de nos situations de projet. Le modernisme n’a pas seulement engagé la construction du monde tel que nous le vivons actuellement mais il a aussi contribué à l’installation de certains codes, de certains langages dans la pensée collective. Dans ces codes, on retrouve plusieurs oppositions, la nature et le domestique, l’archaïque et le contemporain, le bricolage et la construction, etc. Pour pouvoir construire et habiter dans un cadre incertain, il faut pouvoir repenser ces oppositions, ces dualismes qui nous cloisonnent dans un schéma de réflexion peu favorable à des propositions hybrides et innovantes. Le modernisme est à la recherche de ce qui est actuel, qui est des derniers temps. Le modernisme se veut une pensée qui mène vers le futur, un mode de pensée qui nous pousse à nous éloigner de l’archaïque, de l’origine et de l’ancien. La mondialisation constitue une circonstance majeure qui permet d’emmener la Terre et sa population vers ce futur. Aujourd’hui, celui-ci n’est plus concevable dans la forme que les élites qui dirigent ce monde, lui ont attribuée. Les événements récents démontrent que certains pays ont déjà commencé à renoncer à un idéal moderne et à leurs plans de modernisation. Des événements comme la COP 21 en 2015 confrontent les différents signataires à la réalité ; la terre n’est pas compatible avec leurs espoirs de développement. Nous sommes comme bloqués devant les conséquences d’une mondialisation qui peine à répartir et à organiser les sols de la Terre afin d’accueillir des millions de personnes en quête d’un territoire habitable. D’autres habitants voient leurs sols menacés, ils entrent en compétition et en conflit pour garder et préserver ce sol. La mondialisation, dans sa visée modernisatrice, rencontre aujourd’hui une frontière à son développement, une frontière délimitée par le manque de place, de ressources et par le dérèglement climatique. Face à cette limite, nous sommes désorientés. La perte de la possibilité d’un idéal commun et moderne qui nous avait été vendu, montré et inoculé ainsi que la perte de la direction qui nous menait vers ce futur, nous confronte à un monde de plus en plus incertain. Nous devons donc nous réinterroger sur la direction à prendre, sur la manière d’occuper notre planète. Si cette planète est l’unique lieu où nous pouvons habiter, il faut alors se poser la question de comment l’habiter dans son état de mutation actuel. Cet état de mutation est décrit dans l’ouvrage « Où atterrir ? » de Bruno Latour, comme une perte d’orientation commune, qui pose la question de comment habiter
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
ce territoire commun : La Terre. Cette perte de repère est sans aucun doute liée aux conditions climatiques et écologiques qui nous font prendre conscience d’un déclin de notre mode de vie tel qu’il est aujourd’hui, Bruno Latour explique également que la remise en question de ce mode de vie nous confronte de manière brutale à cette réalité. 1 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 18.
« Si la nature est devenue le territoire, cela n’a plus guère de sens de parler de « crise écologique », de « problèmes d’environnements », de question de « biosphère » à retrouver, à épargner, à protéger. C’est beaucoup plus vital, existentiel – et aussi beaucoup plus compréhensible parce que c’est beaucoup plus direct. Quand on tire le tapis sous vos pieds, vous comprenez tout de suite qu’il va falloir vous préoccuper du plancher ... » 1.
2 Apers, J. et Belderos, M., 1995. Une nouvelle architecture archaïque. A+ : Architecture in Belgium, n° 133.
Nous devons alors nous préoccuper de questions telles que : comment être à ce territoire ? Comment l’habiter ? L’homme doit s’habituer à ne plus être « l’axe structurant du monde, mais qu’il se laisse à être celui qui l’encombre» 2. Cette dernière citation pointe cette perte de repère et pose la question de comment doit-on remanier notre mode vie, notre façon d’habiter, nos formes d’établissement, quand ceux-là mêmes mettent en péril le devenir de notre monde et de notre territoire.
le littoral comme territoire de projets chaire partenariale d’enseignement et de recherche en architecture
séminaire de lancement 21 novembre 2018 | 9h30-18h00 École d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée
conférencier invité Frits Palmboom responsable scientifique Frédéric Bonnet établissements partenaires École d’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée (Éav&t), Plan urbanisme construction architecture (Puca), Ensa Marseille et Ensa Normandie avec la participation de Pascal Saffache (Université de la Guyane et des Antilles), Bruno Barroca (Université Paris-Est), Nacima Baron (Université Paris-Est / École des Ponts ParisTech, sous réserve) et Emmanuel Garnier (CNRS) partenaire scientifique et économique Artelia
Fig. 1 Séminaire, Le littoral comme territoires de Projets, 2018, Ecole d’architecture de la ville et des territoires à Marne la Vallée
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Les propositions architecturales et les formes d’établissement humain doivent faire avec cette incertitude et cette désorientation. Certaines idées sont déjà apparues. Il semble également que ce ne soit pas anodin, par exemple, que l’on retrouve de plus en plus de sujets de conférences, d’ouvrages, d’études sur comment faire projet sur des territoires incertains ou fluctuants tels que les littoraux Fig. 1. On remarque aussi l’apparition plus courante par exemple du mot résilience emprunté à la psychologie (qui désigne la capacité d’un organisme à s’adapter à un choc, à un traumatisme) appliqué à des principes constructifs. La préparation à cette résilience est une des thématiques qui anime aujourd’hui les pensées architecturales et aménagistes. Face à ce constat brutal s’instaure une résistance vis-à-vis de la construction du territoire. La peur de reproduire les erreurs passées parfois trop homogénéisatrices, trop consommatrices en ressources et en énergies, trop instables ou peu soucieuses des milieux. On peut observer alors un phénomène assez contradictoire entre une volonté de contrer ce même schéma et la fabrication de normes qui rigidifient, instrumentalisent et bloquent le développement du territoire.
1.1. La fin de la pensée moderne
Certaines politiques et réglementations sont la résultante de la peur des populations de ces territoires, mais sont également une forme d’acceptation d’une médiocrité déjà construite dont on connaît les limites en termes de qualité de vie, de porosité et de diversité des milieux. Dans certains cas, les populations expriment leur peur face à l’intervention des architectes au travers de démarches réactionnaires comme la préservation d’un état actuel ou une tentative de retour à un état primitif ou originel qui est depuis longtemps dépassé. Ces attitudes et cette peur sont fondées mais ne parviendront pas à accompagner le territoire dans sa mutation, en effet, on ne peut se contenter d’un retour en arrière ou de l’inaction. Cette épreuve, cette mutation nous plonge dans une profonde incompréhension qui dans certains cas se traduit par ces comportements. Pour accompagner les populations, les politiques et les pays dans cette mutation, l’architecture semble être un des leviers pour trouver des solutions sur comment habiter ce territoire. Selon Jef Apers et Marc Belderos l’architecture permet la « mise en jeu dans le réel » 3, c’est-à-dire de se confronter à cet état de mutation et à ses contradictions. L’architecture doit trouver une manière de projeter avec notre héritage et dans un même temps « de penser et imaginer les conditions soutenables d’une vie sur terre qui menace d’épuisement » 4. Pour ce faire, il revient à chaque architecte d’élaborer une pratique qui lui permette de répondre aux problématiques soulevées par cet état de mutation. Nous sommes confrontés à la nécessité de devoir renouveler notre pratique afin de répondre aux questions écologiques et sociales que des phénomènes comme le dérèglement climatiques ou la migration mettent en avant. Comme l’explique Fréderic Bonnet dans l’« Architecture des milieux » il convient de « Répondre aux questions écologiques et sociales sous un renouvellement de la pensée architecturale et urbaine et des pratiques associées » 5. Dans ce changement de paradigme et afin de retrouver une vision durable, il faut trouver une autre façon d’être au monde et créer de nouvelles façons de l’habiter. Fig. 2 « Puisqu’il n’y a pas de Terre qui soit de taille à contenir son idéal de progrès, d’émancipation et de développement. Par conséquent, ce sont toutes les appartenances qui sont en voie de métamorphose » 6, écrit Bruno Latour, et il faut que l’architecture participe à cette métamorphose. Pour l’initier, dans cette perte de repère, l’architecte doit alors réinventer ses outils, les figures qu’il utilise, convoquer de nouvelles figures, hybrider, emprunter, se nourrir du déjà là et le « réenchanter » 7, comme le précise Frédéric Bonnet dans l’«Architecture des milieux ».
3 Apers, J. et Belderos, M., 1995. Une nouvelle architecture archaïque. A+ : Architecture in Belgium, n° 133. 4 Younès, C. et Goetz, B. « Mille milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, mis en ligne le 25 novembre 2010, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/ leportique/2471
5 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493
6 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 27.
Fig. 2 Colonie sur un Astéroïde, Roy Scarfo, 1965
7 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
Fig. 3 Karl Friedrich Schinkel , Neuer Pavillon, Charlottenburg Palace Gardens, Berlin, Allemagne,1824-1825
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1.1. La fin de la pensée moderne
« La modernité a inventé sa propre histoire en ne partant de rien, créant ses propres contes mythiques au même moment où celle-ci fut inventée. […] Elle devait inventer son propre passé afin de pouvoir établir une trace dans l’histoire » 8. Comme l’explique Eric Lapierre, l’architecture moderne a construit sa propre origine en réinitialisant les pratiques de l’architecture aux travers de nouvelles figures qui elles-mêmes émergeaient de la modernité. Ce changement est dû également à la naissance de la mondialisation dans la révolution industrielle. Eric Lapierre replace cette volonté à partir de 1826 avec l’approche de Karl Friedrich Schinkel Fig. 3, qu’il met en avant dans cette citation : Schinkel « a préféré voir quelques-uns de ces bâtiments apparemment ennuyeux construits sans architecte dans les banlieues de la ville. De ces visites, il a développé une fascination pour les premiers entrepôts et les petites usines de la révolution industrielle naissante » 9.
8 Lapierre, E., 2013. Primordial Building Substance: How modernity invented ordinariness. San Rocco, what’s wrong with the primitive hut?, n° 8. p. 166.
9 Ibidem. p. 167.
Mais aujourd’hui les architectes ne peuvent pas se permettre d’effectuer la même démarche, il n’est plus possible de s’ancrer dans cette même vision. Aucune figure dans le monde actuel n’est réellement représentative de son état de mutation, car celui-ci est incertain. Les figures du modernisme ont atteints leurs limites. Dans l’architecture contemporaine aucune figure ne semble prédominer, les architectes depuis des décennies se tournent alors peu à peu vers de nouvelles sources d’inspiration. Les critiques du modernisme en architecture ont déjà été formulées. La pensée moderne a toujours dirigé sa logique dans les mêmes directions, de l’archaïque vers le futur, du local vers le global. Elle s’est ainsi éloignée du local comme l’explique Bruno Latour, « Ce qu’il fallait abandonner pour se moderniser, c’était le Local » 10 et donc abandonner également un certain héritage, pourtant caractéristique du territoire dans lequel nous habitons et qui fait preuve d’une grande diversité de propositions artistiques, architecturales, techniques, etc. Le contexte dans lequel doit s’inscrire l’architecture contemporaine est celui, comme il est écrit dans l’article « Ville-nature et architectures des milieux », « d’un héritage que la modernité nous a légué, inscrivant l’art d’édifier dans une ignorance des milieux et des rythmes » 11. Les différents auteurs cités précédemment montrent clairement que le modernisme en architecture n’a plus sa place pour penser et aménager notre territoire. L’arrivée de ce questionnement sur l’avenir de notre planète nous pousse à nous confronter à des problématiques jusqu’ici peu explorées ou qui sont explorées depuis très peu de temps. Presque toutes les actions aménagistes étaient alors construites dans l’ignorance ou dans le déni du fait que notre établissement ou notre idéal de développement était limité. Afin de pouvoir continuer à développer nos territoires il faut se pencher sur de nouvelles ressources et de nouveaux savoir-faire. Dans une société de surproduction
10 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 39.
11 Bonnet, F., Bonzani, S. et Younès, C., « Ville-nature et architectures des milieux », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine [En ligne], 26/27 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals.openedition. org/crau/574 ; DOI : 10.4000/ crau.574
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
comme la nôtre, nous avons une multitude de lieux et de ressources d’ores et déjà disponibles dans tout ce qui a déjà été produit, construit et pensé. Ne pourrions-nous pas nous réapproprier tout ce « déjà là » et le réemployer dans la construction du territoire ?
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1.2. Repenser le monde par le lieu
1.2. Repenser le monde par le lieu
Le « déjà là » et le « faire avec » guident aujourd’hui beaucoup de productions architecturales. Cette démarche nécessite une connaissance experte de ce qui est déjà là, donc une connaissance experte du lieu traité. Pour atteindre cette connaissance l’architecte est obligé de resserrer l’échelle à laquelle il intervient. Il est obligé de devenir expert d’un milieu. L’échelle locale délimite cette échelle d’intervention, elle est certainement la limite de la connaissance que l’architecte peut acquérir d’un territoire. Grâce à sa diversité de propositions et afin de ne plus édifier dans l’ignorance des milieux, l’échelle du local pourrait être réintégrée, reprise en compte à l’échelle globale afin d’établir une vision moins homogène mais plus durable du monde. Réorienter notre trajectoire vers ces questions du local, de l’héritage et de l’archaïque permettrait de créer des conditions d’habiter alternatives et hybrides, de réinventer des architectures capables de répondre aux enjeux du présent qui permettraient la « mise en jeu » 12 des populations dans cette ère de l’anthropocène. L’architecture entretient une relation complexe entre sa participation à des phénomènes universels et son attachement à un lieu. Dans cette partie, nous nous intéresserons à cette relation complexe et à différentes initiatives qui permettent de la définir. Cet attrait pour le local n’est pas nouveau et se remarque depuis une quarantaine d’années. Par exemple dans le livre « Critical Regionalism : Architecture and identity in globalized world » de Alexander Tzonis et Liane Levaifre et dans les travaux de Kenneth Frampton. Au travers de ces œuvres, il est déjà possible d’apercevoir un intérêt pour les questions du régionalisme et du traitement spécifique du lieu que l’on retrouve également dans l’idée de « génie du lieu » de laquelle l’architecture moderne et le style international se sont éloignés. « Le régionalisme critique cherche à être la synthèse entre la culture régionale et la civilisation universelle » 13.
12 Apers, J. et Belderos, M., 1995. Une nouvelle architecture archaïque. A+ : Architecture in Belgium, n° 133.
13 Gonzalo, R., 2013. Modélisation de la réponse de l’architecture au climat local. Autre [condmat.other]. Université Sciences et Technologies - Bordeaux I. Français., p. 34
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
14 Ricoeur, R., 1961.Civilisation universelle et cultures nationales. Esprit, 29/10 reproduit dans Histoire et Vérité (deuxième édition ; 1964 ; « Points Essais » n°468,2001
Le philosophe Paul Ricœur met également en avant ce retour à la région dans « civilisations universelles et cultures nationales » publié en 1961 déjà. Il écrit « Tout dépendra en fin de compte de notre capacité à recréer une nouvelle tradition régionale tout en absorbant les influences étrangères au niveau de la culture et de la civilisation » 14. Le lieu sur lequel repose une architecture ne peut pas être totalement occulté. Il énonce des modes de vie, des traditions, des cultures avec lesquelles l’architecture doit établir une relation. Les édifices ont une immobilité foncière dans la plupart des cas. Une partie d’eux-mêmes est donc composée par le milieu qui les accueille. Il devient alors difficile de dissocier le lieu de son architecture. Cette relation particulière permet peut-être aujourd’hui de placer l’architecture comme un des bastions de la résistance contre des logiques de mouvement permanent et de cette même dynamique modernisatrice qui nous pousse à toujours regarder seulement vers le global, vers le même futur.
15 Gonzalo, R., 2013. Modélisation de la réponse de l’architecture au climat local. Autre [condmat.other]. Université Sciences et Technologies - Bordeaux I. Français., p. 34. Repris dans Frampton, K., 2010. L’architecture moderne : Une histoire critique. Paris : Ed. Thames & Hudson, Collection Beaux-livres, 400 p.
16 Lapierre, E., 2012. Cut up architecture: toward a unity of time and space. San Rocco, FUCK CONCEPTS! CONTEXT !, n° 4, Publistampa Arti Grafiche, Pergine Valsugana, Italy, p.95. Repris dans Beuys, J., 2004, What Is Art? Conversations with Joseph Beuys.
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L’architecture modifie le milieu en y créant des espaces pour répondre à une situation particulière mais ces mêmes espaces peuvent être sujet à des références exogènes et répondre à des phénomènes universels. Frampton met en avant « la capacité à recréer une nouvelle tradition régionale tout en absorbant les influences étrangères au niveau de la culture et de la civilisation. Cela peut se traduire entre autre par l’exploitation appropriée de notre capacité technique actuelle liée à différents paramètres propres à l’architecture locale. Selon Frampton, « la topographie, le contexte, le climat, la lumière, la tectonique, le tactile peuvent s’interposer entre l’impact de la civilisation universelle et les éléments qui décrivent directement les particularités d’un lieu donné ». 15 L’architecture doit composer avec ces situations particulières, elle doit y entretenir une relation qui lui permette à la fois de se confronter à des problématiques globales et de s’allier à ce qui fait la spécificité du lieu. Eric Lapierre dans l’article « cut-up architecture : toward a unity of time and space » propose quelques pistes de réflexions sur cette relation complexe. « Une des caractéristiques de l’art est qu’il ne s’impose pas à vous du tout, mais se confond à son contexte, disparaissant presque dans la nature. Un temple grecque, nous montres que l’olivier qui se trouve à côté est bien plus beau qu’il n’y parait ; et vice et versa, l’olivier montre que le temple est bien plus beau. Ils sont une seule et même chose ; des choses qui s’interpénètrent. Il y a réellement une unité ici qui n’est pas présente dans, comment dirais-je, dans le consumérisme courant, parce que là, l’amour de quelque chose en tant qu’art n’est pas primordial. C’est plus une sorte de routine d’attitude commerciale » 16. Cette citation illustre une certaine évidence que l’architecture doit entretenir avec son environnement. L’architecture peut être induite par son milieu et le
1.2. Repenser le monde par le lieu
renforcer. Cette relation doit rester complexe car le reconditionnement d’archétypes et de formes traditionnelles dans des contextes inadaptés pourrait alors les rendre incohérents. Certains projets montrent que les architectes sont toujours enclins à puiser dans la mémoire, la matière ou l’imaginaire du lieu afin de nourrir le projet, et cela, par le biais de ce renouement avec le local. Cette relation au local ne peut pas être totale au risque de simplement reproduire des situations existantes. Cette action locale doit être consciente de traiter un territoire plus vaste. Comme l’exprime cette citation issue de l’architecture des milieux. « Dans un contexte où il est sans cesse plus difficile de penser la grande dimension » […] « Toute action même réduite engage une vision territoriale plus vaste » 17. La relation qu’entretient l’action de l’architecte avec son territoire doit alors être définie par celui-ci. Son intervention se caractérise à la fois par l’impact qu’elle aura sur l’environnement proche mais également sur sa participation à traiter un territoire plus vaste. Eric Lapierre propose également une définition de cette relation qu’il nomme « profondeur de champs » et qui permettrait d’établir avec plus ou moins d’ampleur l’emprise de l’action de l’architecte. « Le travail de tout architecte pourrait être caractérisé […] par la distance que l’architecte établit avec le contexte dans lequel il travaille, ou parce que l’on pourrait appeler « la profondeur de champs » avec laquelle il définit ce contexte » 18. L’architecte dans cette relation, va alors décider à travers « cette profondeur de champ », la portée de la relation entre l’édifice et le milieu qui l’accueille. Il peut sembler parfois logique de s’intéresser plus précisément à certaines caractéristiques du milieu afin d’en réduire la complexité et de hiérarchiser les éléments sur lesquels il nous semble pertinent d’intervenir. Ceci afin d’établir cette profondeur de champ. « En architecture il apparaît désormais à nouveaux nécessaire de savoir s’ajuster aux contextes, de s’attacher aux situations locales avec leurs spécificités plutôt que de procéder à une tabula rasa ou d’en rester à des modules génériques ou à des recettes préétablies incapables de prendre en compte les conditions d’implantation du projet. » 19. L’architecture moderne n’a pas réussi à établir correctement ces conditions, mais un simple retour aux traditions constructives et à d’anciens archétypes ne pourrait y répondre également. Il faut alors trouver un moyen de s’attacher aux situations locales en y projetant d’autres éléments, d’autres références parfois exogènes, qui permettraient de les traiter sans effectuer de tabula rasa, ni de reconditionner des figures génériques. Ainsi, il s’agit d’intégrer dans un même temps un territoire plus vaste à une action très locale. Les architectes
7 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493
18 Lapierre, E., 2012. Cut up architecture: toward a unity of time and space. San Rocco, FUCK CONCEPTS! CONTEXT !, n° 4, Publistampa Arti Grafiche, Pergine Valsugana, Italy, p.95.
19 Bonnet, F., Bonzani, S. et Younès, C., « Ville-nature et architectures des milieux », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine [En ligne], 26/27 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals.openedition. org/crau/574 ; DOI : 10.4000/ crau.574
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
doivent être capables d’assimiler un certains nombres de connaissances qui leurs permettraient de ne plus bâtir dans l’ignorance. Cette connaissance sera toujours limitée soit par le temps dont dispose l’architecte, soit par l’échelle de projet. Il est donc primordial d’établir cette « profondeur de champs » qui permet de poser les conditions du projet et de poser les conditions de la relation qu’entretiendront l’édifice et son milieu.
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1.3. Des Trans-culturalités
1.3. Des Trans-culturalités
Cette profondeur de champ ne peut pas seulement s’établir sur un territoire réduit ; une région, une ville, une parcelle mais doit pouvoir traiter notre territoire commun : la Terre. Elle doit intégrer des pensées, des visions universelles de durabilité et de générosité. Comme il a été énoncé plus haut, cette « profondeur de champs » doit nourrir une relation complexe entre deux mouvements : l’attachement au lieu et la mondialisation. L’architecte dans ce cas peut proposer des projets qui sont bénéfiques à plusieurs échelles. Dans cette partie nous nous intéresserons aux dispositifs qui permettent de créer des liens entre ces différentes échelles et tenterons de voir comment l’architecte peut avoir l’opportunité de participer à ces deux mouvements. Au-delà de l’édifice lui-même, l’architecture peut se prolonger en accueillant dans sa conception des références à d’autres architectures, d’autres constructions ou même à d’autres disciplines comme l’art. L’architecture est capable d’intégrer et de relater des valeurs culturelles plus vastes, plus universelles. Ces références permettent de créer des associations entre ce projet et un autre, entre cet espace et une peinture, faisant appel à un imaginaire particulier défini par l’architecte. Cet imaginaire nous permet de lier une architecture à une pensée globale ou à des expériences ou valeurs universelles. Nous pouvons émettre l’hypothèse que la vision mono directionnelle du modernisme qui va du local vers le global, peut être remise en question aux travers de cette profondeur de champ. Grâce à celle-ci, le milieu traité peut être en mesure d’accepter la proposition de l’architecte et intégrer des éléments exogènes s’ils sont pertinents dans la résolution des problématiques issues du milieu. Le but est de faire des propositions innovantes. C’est également une des thématiques que nous développons dans le domaine d’étude EVAN (Entre Ville Architecture Nature), lorsque nous abordons des thèmes comme : Ici et Ailleurs. Par exemple, dans un projet d’architecture d’« ici » il s’agirait de trouver, au sein d’une situation existante en architecture, en art etc., un « ailleurs » qui serait le moyen de
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
Fig. 4 Chateau de Matsuyama, Matsuyama, Japon
Fig. 5 Temple de Tambomachay, 1500, Cuzco, Pérou
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1.3. Des Trans-culturalités
résoudre une problématique issue du milieu dans lequel s’insère le projet. En réinterprétant, hybridant les propositions, cet échange peut nourrir le projet d’architecture et consolider le milieu. L’objectif est d’opérer des transversalités qui nous permettent d’aller puiser dans un imaginaire, dans un « ailleurs » qui nous donne une façon nouvelle d’analyser, de résoudre ou de parler d’un problème. Cette idée a également été mise en avant cette année lors de la conférence de Marc Barani à Clermont-Ferrand. Au cours de cette conférence il nous a été montré des murs de pierres de fabrication similaire au Japon et au Pérou Fig. 4-5 dont les joints particuliers permettent de répondre à des besoins structuraux des édifices relatifs aux activités sismiques de ces deux lieux. Une même réponse devient adaptée à plusieurs situations, une réponse qui « transverse » les époques et les lieux. Le local doit pouvoir s’émanciper des traditions et acquérir de nouvelles formes, de nouveaux outils pour pouvoir se métamorphoser. L’imbrication des échelles de projet devient alors plus complexe, révélant ces transversalités au travers de systèmes constructifs comme les murs de pierre cités plus haut ou d’autres dispositifs de projet. Les architectes se tournent vers des héritages parfois nés du vernaculaire, du lieu, de la région ou de l’art pour y puiser de nouvelles réponses. Il faut pouvoir s’attacher au lieu sans adhésion servile pour pouvoir le cultiver en intégrant à la réflexion ce que nous pouvons y recycler. Il faut pouvoir le réinventer en cultivant les savoir-faire déjà présents tout en étant ouvert et informé de ce qui fait monde « ailleurs », produire une sorte de régionalisme cultivé. De ce processus d’émancipation du local pourrait naître une plus grande diversité d’architectures et de pratiques. Grâce à ces transversalités, pourrait apparaître un phénomène relaté dans l’ouvrage de Bruno Latour, « Passer d’un point de vue local à un point de vue global ou mondial, cela devrait signifier qu’on multiplie les points de vues, qu’on enregistre un plus grand nombre de variétés, que l’on prend en compte un plus grand nombre d’êtres, de cultures, de phénomènes, d’organismes et de gens »20. Réintégrer le local dans un processus de mondialisation pourrait répondre à ces attentes. Si penser depuis le local permet de « multiplier les points de vues pour compliquer toute vue « provinciale » ou « close » par de nouvelles variantes » 21, il semblerait que cela soit une piste assez riche pour les architectes qui dans cette multitude de points de vues peuvent concevoir une architecture en lien avec les mutations du présent. L’architecture contemporaine grâce à ces différentes démarches pourrait être édifiée sous les mêmes constats celui d’une réévaluation des échelles local et global en lien avec l’épuisement de la Terre. Cette volonté de réenchanter le monde tel que nous en avons hérité pourrait alors mettre en place une autre
20 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 23.
21 Ibidem.
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
manière d’appréhender la mondialisation, une mondialisation positive qui n’épuise plus, mais qui réemploie et réenchante. 22 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 22.
Fig. 6 Nouvelle attracteur, Figure 4, Latour, B., 2017, Ou atterir ?
23 Ibidem.
24 Ibidem. p.39.
25 Ibidem. p.25.
25 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493
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Pour cela, comme l’explique Bruno Latour Fig. 6, « Il faudrait être capable de réussir deux mouvements complémentaires que l’épreuve de la modernisation avait rendus contradictoires : s’attacher à un sol d’une part ; se mondialiser de l’autre. [...] C’est à cette apparente contradiction que l’histoire présente est peutêtre en train de mettre fin » 22. L’architecture peut permettre de traiter cette contradiction. L’architecture est une des disciplines, un des acteurs, qui organise ce sol commun et qui y créée des attaches, des fondations, des attaches très localisées. Mais c’est également dans ce jeu entre ici et ailleurs qu’elle offre une possibilité de créer des liens plus vastes grâce à des références communes et ainsi participer à une mondialisation positive. D’un côté « l’attachement au sol » par le retour à des traditions constructives par exemple, et de l’autre une culture et des problématiques partagées. Il ne faudrait pas que ces références au local et à la tradition ne servent qu’à édifier « comme l’expression d’une nostalgie pour des positions « archaïques » et obscurantistes » 23 comme l’explique Bruno Latour, mais comme une façon de réinventer notre héritage en architecture. Aussi le local n’a plus rien de sa nature originelle, aujourd’hui il n’est que local par opposition au global, « C’est un local par contraste. Un anti-Global » 24 comme le souligne Bruno Latour. Si le local est aujourd’hui considéré en opposition au global, en fait une sorte de non-considération, cela appuie la nécessité de travailler à une autre imbrication des échelles, de le reconsidérer dans les projets d’architecture et d’aménagement. Dans cette opposition, le local devient une opportunité particulière et un moyen d’intervention sur des problématiques présentes et universelles. En partant du local, on peut se confronter à une réalité à la fois du lieu et du monde, on peut alors l’utiliser ou le transformer comme valeur d’exemple. « L’appel à la mondialisation est si ambigu qu’il rend ambigu par contamination ce qu’on peut attendre du local. » 24. En architecture également cette relation peut être ambiguë. Edifier une architecture purement vernaculaire qui a déjà perdu pied face à la mondialisation actuelle n’aurait aucun sens et serait une démarche purement rétrograde. L’architecte se doit d’intervenir dans une « juste mesure » 25 pour reprendre l’expression de Frédéric Bonnet, dans la manipulation de ces principes. Cette juste mesure ne peut naître que de la connaissance experte des milieux traités (culture, climat, géographie, politique, économie, etc.) et aussi d’une façon d’être présent au monde, de se tenir informé. La figure singulière de l’architecte agissant seul sur son site ne peut perdurer ; l’architecte n’est plus l’édifice. La connaissance des milieux passe également par l’appui d’autres figures que celle de l’architecte, d’autres
1.3. Des Trans-culturalités
disciplines, d’autres pratiques. Les références peuvent alors mettre en résonnance plusieurs projets, plusieurs situations, plusieurs pratiques. Celles-ci sont également liées à leurs contextes originels. Pouvons-nous alors en tant qu’architectes convoquer des références passées afin de construire une architecture contemporaine ?
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
1.4. Des Trans-temporalités
Intégrer de nouvelles pratiques, intégrer le local dans la conduite de projets architecturaux nécessite de repenser la pratique de l’architecture. Il faudrait pouvoir y adjoindre un moyen de traiter ces contradictions, de faire projet avec celles-ci. Nous pourrions nous demander si cette démarche, ce retour à des traditions, ce retour au local ne nous mènerait pas vers une pensée « archaïque » et dépassée. C’est justement là qu’apparaît une autre contradiction celle de l’archaïque et du contemporain en architecture. Certaines figures, formes ou techniques ont été jugées obsolètes par le modernisme. Aujourd’hui à l’heure de sa fin pouvons-nous permettre de re-convoquer ces dispositifs dans la mise en œuvre d’une architecture contemporaine ? Il ne s’agit pas ici d’associer la notion d’archaïque à une vision obscurantiste, comme le fait Bruno Latour dans la citation ci-dessus, mais de puiser dans des potentiels historiques latents des dispositifs capables de résoudre des problématiques présentes dans un projet d’architecture. Il s’agit de comprendre ce que ces dispositifs peuvent apporter à l’architecture contemporaine. Dans cette partie nous nous intéresserons à cette contradiction apparente entre archaïque et contemporain en utilisant notamment les définitions de Giorgio Agamben qui nous aiderons à définir ce que peut être une architecture contemporaine et quelle relation celle-ci peut entretenir avec son origine. Archaïque signifie « proche de l’arkè », arkè signifiant origine. Nous reviendrons sur les définitions apportées par Stéphane Bonzani dans l’introduction au colloque « L’archaïque et ses possibles aujourd’hui » tirées de l’ouvrage « Le philosophe et l’architecte » de Daniel Payot. 26 Bonzani, S., 2018. Colloque annuel Architecture et Philosophie, L’archaïque et ses possibles aujourd’hui. Cité de l’architecture et du patrimoine. Paris : France.
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Dans cet ouvrage il donne trois sens au préfixe arké : origine, principe et commandement. Stéphane Bonzani montre que les sens de l’arkè en tant que principe et commandement sont révolus en architecture. En effet l’architecte n’agit plus sous la force de grands principes modernisateurs (principe) et il n’est plus la figure singulière de l’architecte « qui pouvait se présenter comme un héros » 26 (commandement). Il reste alors l’idée d’origine qui fait sens dans une volonté des architectes de renouer avec le local et aussi de réinitialiser
1.4. Des Trans-temporalités
leurs pratiques au vu des mutations présentes. Pour illustrer et analyser cette relation particulière entre archaïque et contemporain, nous pouvons aller puiser dans la définition qu’en donne Giorgio Agamben dans l’ouvrage « Qu’est-ce que le contemporain ? ». Il explique que finalement le contemporain c’est ce qui est inactuel. Il s’appuie sur une citation de Nietzsche comme un premier élément de réponse : « Le vrai contemporain […] ne coïncide pas parfaitement avec lui (son temps) ni n’adhère à ses prétentions et se définit, en ce sens, comme inactuel » 27 . Le parti-pris de Giorgio Agamben est de mettre en évidence cette inactualité du contemporain en montrant l’écart qui est opéré avec le présent, le contemporain est donc en déphasage perpétuel avec le présent. Giorgio Agamben nous donnes sa vision de la relation entre « un contemporain » et son temps. Les architectes par la nature même de leur activité se doivent d’entretenir une relation particulière avec le présent dans lequel ils agissent afin de rester pertinent et cohérent : « Le contemporain n’est pas seulement celui qui, en percevant l’obscurité du présent, en cerne l’inaccessible lu¬mière ; il est aussi celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de le trans¬former et de le mettre en relation avec d’autres temps, de lire l’histoire d’une manière inédite, de la « citer » en fonction d’une nécessité qui ne doit absolument rien à son arbitraire, mais provient d’une exigence à laquelle il ne peut pas ne pas répondre. C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment » 28. Il est encore question ici d’être présent au monde, de le voir pour ce qu’il est et de pouvoir le mettre en relation avec son héritage (avec d’autres temps) pour y trouver des moyens de le relater et de le traiter dans une juste mesure. En utilisant l’ici et l’ailleurs nous avons pu mettre en avant la volonté de l’architecture contemporaine d’opérer des transversalités, des trans-culturalités conférant ainsi à un certains localisme renaissant et avoué, des correspondances entre les échelles et les milieux afin de ne plus se contenter d’une architecture générique et homogénéisatrice. Cette définition du contemporain peut ouvrir un autre type de transversalité liant l’architecture contemporaine à son héritage et à différentes temporalités, des trans-temporalités. L’architecte peut effectuer un déphasage. Ce déphasage s’opère par « Cette relation particulière au passé [...], la contemporanéité s’inscrit, en fait, dans le présent en le signalant avant tout comme archaïque, et seul celui qui perçoit dans les choses les plus modernes et les plus récentes les indices ou la signature de l’archaïsme peut être contemporain.» 29.
27 Agamben, G.,2008. Qu’est-ce que le contemporain ?. Paris, France : Rivages Poche, Payot & Rivages. p. 7.
28 Ibidem. p. 41-42.
29 Ibidem. p. 37.
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
30 Agamben, G.,2008. Qu’est-ce que le contemporain ?. Paris, France : Rivages Poche, Payot & Rivages. p. 37. 31 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493 32 Walter, B., 2009. Origine du drame baroque allemand. Paris, France : Champs essais - Philosophie. Repris dans. Didi-Huberman, G., 2000. Devant les temps. Paris, France : Les Editions de Minuit. p. 82.
33 Bonnet, F., Bonzani, S. et Younès, C., « Ville-nature et architectures des milieux », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine [En ligne], 26/27 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals.openedition. org/crau/574 ; DOI : 10.4000/ crau.574
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Giorgio Agamben met également en avant le lien que possède l’art avec l’archaïque : « la clé du moderne est cachée dans l’immémorial et le préhistorique. L’avant-garde, qui s’est égarée dans le temps, recherche le primitif et l’archaïsme » 30. C’est également ce que met en avant Frédéric Bonnet, en architecture dans l’article l’architecture des milieux : « Pour inventer il faut savoir hériter » 31. Il s’agirait de s’éloigner de la culture savante de l’architecture et des grands principes qui nourrissent une pensée modernisatrice du monde en redonnant une importance aux gestes initiaux. La contradiction entre les termes archaïque et contemporain marque cette volonté de ré-initialité comme l’illustre cette citation de Walter Benjamin : « L’origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir » 32. Une architecture possèderait donc la capacité de « relater » plusieurs temporalités et plusieurs cultures en même temps. Elle permettrait alors de mettre en forme et de conférer aux milieux une esthétique particulière, c’est également ce qui est exprimé ici dans « Ville-nature et architectures des milieux ». « La négociation entre le geste et la matière confère une dimension esthétique au milieu transformé, le liant dans le même temps à ses conditions historiques, sociales et économiques », cette négociation permet d’« Inscrire l’esthétique architecturale dans l’héritage vernaculaire des techniques » 33. Ce déphasage complexifie la profondeur de champ évoquée par Éric Lapierre. L’idée de trans-temporalité permet d’intégrer à cette profondeur de champ des éléments déjà passés. Elle permet d’y intégrer la mémoire et le déjà vécu, une sorte de hors champ. Les éléments « hors cadre » participent tout autant à l’édification du projet d’architecture que les éléments plus centraux. En convoquant des techniques passées les architectes peuvent trouver des moyens de construire de façon plus juste avec les événements que le lieu dans lequel ils interviennent a subis. Cela permet également de reprendre en considération les éléments naturels sur lesquels se basaient autrefois les constructions. Il devient alors possible de trouver des moyens de construire, d’habiter plus économiques ou plus écologiques. Eric Lapierre nous donne des pistes pour nous confronter à cette complexité qui émane de la relation entre l’édifice et son contexte de création. Selon lui, c’est sans doute cette complexité qui donne à un édifice une cohérence dans son contexte, une complexité qui vise à « créer un objet dans lequel il est impossible de distinguer ce qui est lié à la cohérence interne du projet ou à la forme qui est issue de la réponse au contexte. Dans un même projet, le nouveau bâtiment, au travers de l’unité de ces appareils – matérialité, composition, forme, typologie, espace, ambiance, etc. – concrétise une forme cohérente et exprime une
1.4. Des Trans-temporalités
diversité de relations avec les différents aspects de son contexte » 34. Le contexte du projet d’architecture est à la fois historique, culturel et social. L’histoire des lieux est à prendre en compte dans le projet. L’objectif est encore une fois de pouvoir proposer à ces milieux des outils et une méthodologie adaptés et de poser des conditions à la perpétuation de cette histoire.
34 Lapierre, E., 2012. Cut up architecture: toward a unity of time and space. San Rocco, FUCK CONCEPTS! CONTEXT !, n° 4, Publistampa Arti Grafiche, Pergine Valsugana, Italy. p.98.
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
1.5. La biennale d’architecture de Venise : Une opportunité pour observer ces pratiques
Comment les architectes arrivent-ils à traiter de ces « obscurités du présent » dont nous fait part Giorgio Agamben ? Ou comment se confrontent-ils aux mutations qu’expose Bruno Latour ? Il nous apparaît important de se focaliser sur l’architecture contemporaine, de voir au travers de quels concepts, quelles constructions, quelles idées, certains architectes réinventent leurs pratiques. La biennale d’architecture de Venise permet de disposer d’un témoignage unique au travers d’un échantillon de l’architecture contemporaine. Elle propose une vision large des situations et des lieux traités permettant d’observer ces transversalités. Nous essaierons de montrer les correspondances entre les pratiques de différents architectes et de comprendre comment celles-ci mettent en œuvre la pensée et la construction d’une architecture qui va au-delà des dualismes exprimés ci-dessus en proposant des situations, des techniques et des dispositifs hybrides et innovants. Ces correspondances entre architectes permettent également de mettre en avant des considérations communes. Ces considérations font alors part d’une volonté partagée de proposer une vision et une résolution des problématiques écologiques, économiques et sociales qui font monde aujourd’hui.
35 Agamben, G.,2008. Qu’est-ce que le contemporain ?. Paris, France : Rivages Poche, Payot & Rivages. p. 30-31.
L’événement même de la biennale pourrait être une illustration de cette volonté. Dans l’ouvrage de Giorgio Agamben il y a une réflexion sur le « maintenant » et sur l’événement, il utilise la mode pour l’illustrer et il paraît pertinent de l’appliquer à l’architecture ainsi qu’à l’événement de la biennale, il dit : « Mais si l’on cherche à objectiver et à fixer dans le temps chronologique, on la découvre insai-sissable (la mode). Par-dessus tout, le «maintenant» de la mode, l’instant où elle vient à être, n’est identifiable par aucun chronomètre » 35. Selon cette relation avec le temps, dans la mode, comme dans l’architecture, il n’est pas possible de donner une vision linéaire du contemporain et des temporalités de ces disciplines. Mais la biennale nous permet de figer le moment de l’étude et de la mettre en lien avec la situation présente de l’architecture et du monde.
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1.5. La biennale d’architecture de Venise : Une opportunité pour observer ces pratiques
Cette biennale d’architecture pourrait être un événement marquant dans le sens qu’évoque Jacques Lucan à propos de la première biennale de 1980 Fig. 7 citée dans son ouvrage « Précisions sur un état présent de l’architecture » car elle opère, selon lui, une fracture dans la pensée architecturale en proposant une autre vision, qui place le post-modernisme en retrait des considérations de l’époque. Est-ce qu’aujourd’hui aussi, cette biennale opère une fracture particulière ? En architecture ou en art, l’événement pourrait être le jaillissement du contemporain, le moment ou le contemporain s’exprime afin de bouleverser le présent. Au tout début de son ouvrage Bruno Latour écrit, « Pour résister à cette perte d’orientation commune, il va falloir atterrir quelque part. D’où l’importance de savoir comment s’orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une carte des positions imposées par ce nouveau paysage. » 36. Le but de ce travail n’est pas d’élaborer cette carte de positions « imposées » en architecture mais à partir du manifeste de la biennale (FREESPACE) élaboré par les organisateurs d’entrevoir des positionnements pour traiter ces contradictions. Fig. 8 Dans une certaine mesure, le manifeste de la biennale considère aussi ces contradictions. Il met également en avant une nécessité des architectes à devoir proposer des espaces et des édifices innovants capables de faire preuve d’une grande générosité spatiale, sociale, culturelle et offrant aux populations les ressources nécessaires naturelles comme l’eau et la lumière.
Fig. 7 Strada Novissima, La presenza del passato, Biennale d’architecture de Venise, 1980
36 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 11.
Afin d’exprimer ces considérations, il est intéressant de citer quelques phrases de ce manifeste qui à la fois exprime le désir de proposer cette générosité et de traiter des contradictions entre Édifice et Milieu, entre Archaïque et Contemporain et enfin entre Local et Global. “FREESPACE représente une générosité d’esprit et un sens de l’humanité au cœur des préoccupations de l’architecture, se concentrant sur la qualité de l’espace luimême. » “FREESPACE donne l’opportunité de mettre l’accent sur les cadeaux de la nature, de lumière – lumière de soleil et de la lune, de l’air, de la gravité, des matériaux – des ressources naturelles et artificielles. »
Fig. 8 FREESPACE, Biennale d’architecture de Venise, 2018
“FREESPACE encourage à remettre en question les modes de penser, de nouvelles façon de voir le monde, d’inventer des solutions où l’architecture garantit le bienêtre et la dignité de chaque citoyen de cette fragile planète. » “FREESPACE peut-être un espace d’opportunité, un espace démocratique, non-programmé et libre d’accepter des usages qui ne sont pas encore conçus. Il y a
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Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales
37 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Manifesto : Freespace. Venise, Italie. https://www.labiennale.org/en/architecture/2018/ introduction-yvonne-farrell-and-shelley-mcnamara
Fig. 9 Fundamentals, Biennale d’architecture de Venise, 2014
Fig. 10 Report from the front, Biennale d’architecture de Venise, 2016 38 Biennale de Venise 2016 : Frédéric Bonnet et le collectif Ajap 14 représenteront la France. amc. 2016. https://www.amc-archi. com/article/biennale-de-venise2016-frederic-bonnet-et-le-collectif-ajap14-representeront-lafrance,3687
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un échange qui se produit entre les personnes et les bâtiments, même s’il n’est pas intentionnel ou dessiné, ainsi les bâtiments eux-mêmes, au fil du temps, trouvent le moyen de partager et de dialoguer avec les personnes à travers le temps, bien après que l’architecte ait quitté la scène. L’architecture a une vie active ainsi qu’une vie passive. » “FREESPACE inclut la liberté d’imaginer, l’espace libre du temps et de la mémoire, liant passé, présent et future ensemble, construisant sur des couches de cultures héritées, tissant l’archaïque avec le contemporain. » 37 Il y a 4 ans, Rem Koolhas tentait de revenir aux « fondamentaux » à travers la biennale nommée « fundementals » Fig. 9 en critiquant la surproduction d’icônes faisant ainsi part d’une volonté de réinitialisation de l’architecture. Deux ans plus tard Alejandro Aravena dans la biennale nommée « report from the front » Fig. 10 met l’accent sur la fin de la figure de l’architecte et sur la nécessité de construire de façon plus responsable. Cette année-là, le pavillon français est en partie réalisé par Frédéric Bonnet et le collectif Ajap 14. Le pavillon se nommait « Nouvelles richesses » et présentait des territoires ordinaires qui deviennent des territoires d’expérimentation pour les architectes. Des territoires qui deviennent un moyen de « créer de la richesse au-delà de ce [que l’architecture] produit » 38. Le thème de la biennale de cette année peut sembler une suite logique à ces réflexions. Cet enchaînement logique montre la volonté des architectes de vouloir réinterroger leurs pratiques. Tous les travaux exposés à la biennale d’architecture de Venise ne sont pas présentés dans ce travail. Beaucoup d’autres auraient pu être cités dans ce mémoire, car le manifesto écrit par les curatrices regroupe la plupart des pratiques qui sont très liées à ce travail de mémoire. Les pavillons nationaux n’ont quasiment pas été traités dans ce travail car le manifesto et le thème FREESPACE semblent avoir perdus de leur force une fois passés sous le prisme des administrations des pays. Dans l’exposition des giardinis on retrouve beaucoup plus d’expositions alternatives ou ludiques, même si certains pavillons comme celui du Japon, de la Chine ou même le pavillon français auraient pu, dans une certaine mesure, apparaitre dans ce mémoire. Il m’a semblé qu’il serait plus pertinent de me concentrer sur les participations des architectes invités afin de limiter le corpus. Les différentes contradictions mises en avant dans les parties ci-avant sont explorées par les différents architectes de la biennale. La plupart de leurs pratiques ne sont pas représentatives d’une seule façon de se confronter à ces contradictions. La démarche des architectes constitue un tout qui peut répondre à plusieurs de ces contradictions à la fois. Le temps de la biennale pourrait être également le temps, le marqueur de cette rupture que nous opérons face à un héritage moderne.
2. Au-delĂ de la contradiction entre Edifice et Milieu
Edifice I Milieu
2.1. La construction locale et contemporaine
La question du milieu dans lequel s’inscrit un édifice est devenue incontournable au cours de ces dernières années. Le milieu dans lequel s’insère un édifice est l’ensemble des éléments issus du contexte et du site. Il est défini par plusieurs paramètres ; sociaux, culturels, politiques, écologiques et géographiques, il définit un cadre de vie particulier. La notion de milieu est très liée aux questions écologiques, elle est de plus en plus prise en compte dans les projets d’architecture. Les réflexions liées au changement climatique et à ses aléas ont poussé les architectes à intégrer cette notion dans leurs projets afin de pouvoir concevoir des édifices plus respectueux de l’environnent. La question du milieu permet également à certains architectes de développer des édifices qui ne s’appuient pas seulement sur des principes architectoniques purs. Aujourd’hui l’édifice devient un support pour résoudre des problématiques liées au milieu, des problématiques sociales, économiques ou constructives. Les architectes, dans ce cas, s’appuient sur les spécificités d’une échelle locale définie par un mode de vie spécifique. Certains s’appuient sur les constructions vernaculaires, d’autres s’allient aux forces des communautés avec lesquelles ils travaillent. En devenant des expert des milieux qu’ils traitent, ils développent une architecture dont l’écriture est à mi-chemin entre le contemporain et le vernaculaire. La construction contemporaine s’inspire des grandes idées constructives et aménagistes des lieux. En prenant en compte les modes de vie, les cultures, les religions, l’architecture prend une dimension supplémentaire qui n’est pas seulement constructive ou phénoménologique. L’architecture devient un outil politique permettant aux architectes d’affirmer leurs idées sur le développement des territoires qu’ils traitent. Cet engagement politique donne lieu à des figures, des formes qui affirment généralement les spécificités d’un milieu traité dans un territoire plus vaste. 44
Dans cette partie il sera question de s’intéresser à cette écriture architectu-
2.1. La construction locale et contemporaine
rale issue de ce renouement particulier avec l’échelle locale et de ses façons d’habiter. En étudiant certains projets et certaines démarches des architectes, l’objectif est de mettre en avant en quoi l’attachement au lieu permet aux architectes d’intégrer dans leurs travaux un positionnement sur l’aménagement de celui-ci et avec quel langage architectural. Ces dispositifs seront analysés en s’intéressant à la démarche de l’architecte, à son discours d’une part et à certains projets spécifiques d’autre part. Il est également intéressant de confronter des architectes issus de pays et de cultures différentes afin de mettre en avant les écritures qu’ils développent en fonction des lieux dans lesquels ils interviennent, ou dans lesquels ils sont plus amenés à travailler. L’agence Amateur Architecture Studio, fondée en 1998 par Wang Shu et sa femme Lu Wenyu, fait sans doute partie de ces figures qui mettent en avant les possibilités qu’offre cet attachement aux modes de vie et à la transformation de leur pays. Les organisateurs de la biennale Yvonne Farrell et Shelley McNamara écrivent d’Amateur Architecture Studio qu’ils « Recherchent à donner aux gens le temps de voir une autre façon de progresser » 1. Une façon de progresser dans laquelle l’humanité devient plus importante que l’architecture et le fait-main plus important que la technologie. Amateur Architecture Studio devient aussi une attitude qui essaie de revenir à des choses que Wang Shu juge plus fondamentales que l’architecture comme la maison, l’artisanat ou la culture. Les architectes ont été témoins de la modernisation en Chine qui a parfois fortement impacté les villes et villages dans lesquels ils ont vécu. Depuis l’année dernière plusieurs villes en Chine ont commencé la destruction de « Villages-Urbains » Fig. 1 à grande échelle. Ces villages urbains sont nés d’une urbanisation rapide comme l’explique Amateur Architecture Studio à la biennale de Venise. C’est un milieu hétérogène, dense dont les constructions sont spontanées parfois illégales et qui réunit des travailleurs migrants et des communautés dont les revenus sont parfois très réduits. Les méthodes d’aménagement de ces milieux se tournent aujourd’hui vers des plans d’urbanisation uniforme. Ces plans visent principalement à réintégrer ces milieux particuliers de « Villages-Urbains » à la ville. Cela passe par exemple par le dessin de grands quartiers de tours de logements et de bureaux. Des actions principalement menées par des promoteurs immobiliers qui répètent une même typologie d’édifice à l’intérieur d’un zonage délimité par des voiries raccordant ces quartiers à la ville. Dans le village urbain de Hangzhou où les architectes Wang Shu et Lu Wenyu habitent, ils ont réussi à persuader la gouvernance du district de préserver ce village. Ils ont pu proposer un type d’aménagement ; un plan plus libre et non uniformisé. Au travers de ce plan et de cette situation, l’objectif est de travailler à une échelle réduite afin de trouver un moyen de s’opposer à la destruction et à l’uniformisation de ces villages et ainsi instaurer un type de
1 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Amateur Architecture Studio . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.41.
Fig. 1 Tim Franco, Metamorpolis, Farming in the city, Seoul, Shangai, 2009
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Edifice I Milieu
Fig. 2 Maçonnerie en pierres, Amateur Architecture Studio, Hangzhou, Chine, 2004
Fig. 3 Campus de l’Académie d’art, Amateur Architecture Studio, Hangzhou, Chine, 2004
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2.1. La construction locale et contemporaine
résistance dans une proposition alternative à celle des promoteurs. Le village de Hangzhou est une expérimentation pour les architectes, soucieux de trouver des solutions adaptées aux développements de ces milieux de « village-urbain » sans pour autant les détruire. Les architectes ont développé plusieurs projets dans leur village comme l’académie d’art et son campus en 2004. Dans ce projet les architectes ont travaillé sur le réemploi de matériaux, de pierres et différents éléments de maçonnerie Fig. 2. La tradition dans ce projet se retrouve à plusieurs niveaux, dans la construction mais aussi dans l’aménagement de jardins par exemple. L’utilisation de ces éléments de maçonnerie dans le projet fait également référence aux champs de thés présents dans les environs de Hangzhou. Cette méthode d’empilement de pierres est encore utilisée aujourd’hui pour organiser les champs de thés les bâtiments agricoles. Cette proposition ancre d’une certaine façon l’édifice dans son milieu, dans la continuité d’une tradition constructive et dans l’histoire du lieu. La structure des différents édifices est similaire mais chaque partie est différenciée par la relation particulière qu’elle entretient avec son site proche. Les variations admises par ces différents édifices sont souvent spontanées et se produisent au moment de construire. La proposition d’aménagement d’Amateur Architecture Studio est une sorte de plateforme dans laquelle les architectes et artistes sont invités à participer dans l’acte de construire Fig. 3. Ces constructions initiées par l’agence présentent un langage particulier entre liberté d’écriture architecturale et respect des traditions constructives. On y trouve une grande diversité de propositions qui ont pour point commun la philosophie instaurée par l’agence dans ce site. La spontanéité de la construction est un attrait particulier pour l’agence. En 2017 ils lancent également un workshop avec de jeunes architectes et étudiants diplômés afin de stimuler la diversité et la spontanéité des méthodes de construction dans ces villages urbains. C’est une partie de ces travaux qui sont exposés à la biennale de Venise. L’étude est menée dans le village de Guashan dans lequel Amateur Architecture Studio recherche l’opportunité de développer des prototypes afin de donner à la population une autre façon et une chance d’habiter ce milieu plus facilement et convenablement. Il est écrit à la biennale de Venise « pour garantir aux migrants et aux salariés aux revenus modeste, une invention (une manière d’habiter alternative à celles des promoteurs) et une certaine dignité » 2. L’exposition présente une maquette (échelle 1:2) Fig. 4 qui est un échantillon d’un des prototypes. La maquette de bambou met en avant la capacité de cette structure à pouvoir s’adapter et s’immiscer dans les dents creuses de ce milieu très dense. Le matériau utilisé est local et ne nécessite pas une technique d’assemblage compliquée ce qui permet aux habitants de pouvoir également s’approprier cette méthode de construction. On y retrouve aussi
2 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Amateur Architecture Studio . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.41.
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Edifice I Milieu
Fig. 4 Photographie de la maquette Êchelle 1:2, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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2.1. La construction locale et contemporaine
plusieurs documents, images, dessins, plans et maquettes qui présentent les différents prototypes de cette expérimentation. On peut y voir la capacité de cette même structure à s’adapter à plusieurs situations Fig. 5. Dans cet exemple les architectes créent un langage contemporain particulier qui emprunte au savoir-faire de leur pays. Ils s’inspirent de techniques traditionnelles, de l’architecture vernaculaire, ils recyclent, réutilisent, afin de proposer des solutions à la fois respectueuses du milieu et en adéquation avec les moyens et les besoins de ses habitants. C’est une approche résolument critique qui passe à la fois par l’acceptation d’une réalité, la réalité de l’existence de ces milieux complexes de villages-urbains et aussi par la remise en question de la modernité qui détruit ces milieux. Les propositions qu’ils mettent en avant passent aussi par leur volonté de repenser l’architecture et le rôle de l’architecte. Ils travaillent à la fois sur la mutation de leur pratique et sur la mutation des modes de vie, des manières d’habiter. Le nom même de l’agence marque la volonté de se démarquer du sens traditionnel de la profession d’architecte, ici amateur au sens traditionnel chinois, évoque les notions d’érudit ou de lettré. La démarche de l’agence est assez notable et elle montre la volonté de lutter contre un système en place qui en architecture et en Chine, selon Wang Shu, propose toujours les mêmes systèmes, les mêmes plans et mène vers un formatage des logements. Dans une interview pour AA, l’architecte Wang Shu mets en avant ceci : « Savez-vous que ces vingt dernières années, dans la province de Zeijiang, la plupart des villages anciens ont été démolis ? Je vous parle de 90% des édifices qui constituaient la grande civilisation chinoise. En seulement 20 ans... C’est un événement étrange que de voir disparaître un grand pan de la mémoire de notre société. D’un côté, nous démolissons à l’extrême. De l’autre, nous bâtissons à outrance et reconstruisons de fausses villes anciennes pour le tourisme » 3.
Fig. 5 Détail d’assemblage de la maquette échelle 1:2, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
3 Wang, Shu, 2010. A la loupe: Wang Shu, entretien avec Rafaël Magou. L’architecture d’aujourd’hui, n° 375. p.57.
Pour Wang Shu la situation est assez alarmante, selon lui la Chine doit se préoccuper de ses traditions constructives et architecturales qui ont déjà été malmenées ces 10 dernières années pendant une période de croissance et de transformation sans précédent pour la Chine. Il dit ensuite « Si nous ne conservons pas nos traditions vivantes, nous n’avons aucun futur » 4. Cette démarche de conservation il la met en avant dans la plupart des projets d’Amateur Architecture Studio, en recyclant et réutilisant des matériaux ou en utilisant des techniques traditionnelles ou populaires. Par exemple, Wang Shu, dans la même interview, fait une comparaison entre les constructions traditionnelles chinoises et la construction moderne. Historiquement très peu de bâtiments chinois comportent des soubassements ou des socles, les bâtiments reposaient à même le sol. Contrairement à
4 Ibidem.
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Fig. 7 Presse Terstaram, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi
Fig. 8 Bibliothèque de Muyinga, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi
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2.1. La construction locale et contemporaine
aujourd’hui, en cas de démolition ou d’effondrement, les emprises aux sols de ces bâtiments pouvaient être réutilisées, on pouvait y intégrer de nouveaux usages comme l’agriculture. Cela permet entre autre d’assurer la mutabilité des territoires ou de repenser leurs constructions en prenant en compte ces démolitions ou effondrements. Contrairement aux bâtiments modernes, cette tradition, peut permettre de réduire la consommation de béton et limiter les fondations entièrement bétonnées qui parfois impactent l’écosystème des milieux traités. Les architectes attachent beaucoup d’importance au fait de mêler les milieux qu’ils traitent à une écriture contemporaine et à un respect de la tradition et des formes. Dans le village de Guashan, l’objectif est de densifier justement, dans des milieux hétéroclites avec des bâtiments de différentes époques et de différentes tailles. Ils expérimentent afin de densifier ce milieu dans une juste mesure, sans raser les bâtiments ou élargir les chaussées à outrance. Le but est de conserver un mode de vie particulier en proposant des outils pour une construction plus juste de ce mode d’habiter. Cet engagement particulier dans l’acte de construire est très présent dans les différentes expositions de la biennale. L’agence Belge, BC Architects & Studies en fait même le titre de son exposition « The Act of Building ». L’agence BC Architects & Studies est composée de deux entités créées en 2012. La première BC Architects qui est l’agence d’architecture et la seconde BC Studies qui est une association à but non lucratif avec laquelle ils organisent des workshops ou d’autres événements. Elle est composée aujourd’hui de quatre partenaires et de quatre employés. Ils multiplient les lieux d’intervention, principalement situés en Europe et en Afrique. Dans leur exposition « The Act of Building » Fig. 6, ils exposent différents outils et matériaux qu’ils ont mis en œuvre dans leurs projets. Chacun faisant références à un projet particulier au cours duquel ils ont développé une technique de construction. Les matériaux et les techniques de construction innovants font les spécificités de cette agence. En effet une grande partie de leur analyse sur chaque projet consiste à développer, à réfléchir à l’utilisation des matériaux locaux parfois issus d’un cycle de recyclage de pièces industrielles ou parfois de matériaux naturels comme la terre. Dans cette exposition on retrouve un élément particulier « The Press » Fig. 7 qui fait référence à leur projet de bibliothèque et d’école à Muyinga au Burundi Fig. 8. Cette presse est l’outil principal avec lequel ils ont pu mener à bien ce chantier. Cette presse leur a permis de construire ce projet en blocs de terre compressés. Le chantier a débuté en 2011, la forme du bâtiment, ses ouvertures, sa matérialité sont issues des contraintes climatiques et économiques du milieu, le tout réuni dans un style particulier mêlant tradition et écriture contemporaine.
Fig. 6 Exposition The act of building, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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Fig. 9 Blocs de terres, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi
Fig. 10 Coupe longitudinale, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi 4 Fauve, C., 2014. L’architecture est contextuelle. Exemples de constructions vernaculaires contemporaines, Entente durable : bibliothèque à Muyinga. EK / EcologiK. n° 41. p. 58-97.
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Le bâtiment est construit de blocs de terre. Les blocs sont constitués de sable, d’argile et de terre rouge locale qui donne cette teinte particulière à l’édifice. Nicolas Coeckelberghs a effectué une formation spéciale post-master dans le laboratoire CRAterre à Grenoble, cette formation lui a permis, entre autre, d’effectuer des test de ductilité et de résistance sur ces blocs, permettant ainsi leur mise en œuvre et garantissant à tous les acteurs du projet la résistance du matériau. L’édifice est érigé principalement à la main, à la pelle et au tamis, les seuls engins autorisés sont la presse et ceux qui acheminent la terre d’un site voisin. Les ouvriers ont été formés sur place à l’utilisation de cette presse. L’acheminement des matériaux a permis la réactivation de deux routes de campagne qui avaient été délaissées, facilitant ainsi la connexion entre le village et le site d’extraction de la terre. Les éléments de charpente et le mobilier sont en eucalyptus issus également d’une production locale à Muramba à 20 km du village. Les ouvertures régulières suivent le rythme des briques et sont nécessaire à la ventilation de l’édifice. Tout l’édifice est modulé sur le calepinage de ces blocs de terre Fig. 9-10. La presse utilisée est une presse de modèle Terstaram qui n’est plus utilisée depuis les années 1980 mais qui était déjà présente sur place dans une ville des alentours, oubliée dans un entrepôt détenu par le client. Ce travail avec le déjà là confère à l’édifice une qualité particulière. Une qualité qui se situe entre le vernaculaire et le contemporain. Il est écrit dans le magazine EK n°41 « Le vernaculaire contemporain, ce n’est pas un style, mais la résultante d’un contexte, d’une dynamique, de besoins et de désirs partagés » 4. La découverte de la presse a poussé les architectes à sortir des méthodes conventionnelles de construction afin de pouvoir répondre aux désirs du client mais aussi des besoins spécifiques du milieu. L’agence s’est beaucoup inspirée de certains de ses aînées. Elle se situe dans une continuité des travaux de Francis Kéré et Ana Heringer par exemple. Ces figures les ont beaucoup inspirés dans leur démarche qu’ils inscrivent dans « une continuité constructive », ils ont, en quelque sorte, hérité de ces architectes et à leur tour essaient de mettre au point de nouvelles techniques de construction qu’ils promeuvent énormément en constituant un réseau de constructeurs à travers le monde. Le cadre de la biennale leur permet de montrer leurs techniques de construction. Pour avoir un contrôle complet sur cette construction ils instaurent également dans chacun de leurs projets une « chaine de production ». La chaine de production consiste, dans un premier temps, à élaborer un relevé des matériaux disponibles localement et qui entrent dans le budget du projet. Ces matériaux sont ensuite transformés, testés et étudiés afin d’en faire des matériaux de construction (colonnes, murs, poutres, menuiseries). Ils organisent dans un deuxième temps les
2.1. La construction locale et contemporaine
moyens, les machines et les personnes leur permettant d’assurer cette chaîne de production dans leur projet. Ils utilisent des schémas, des axonométries etc. pour expliquer et concevoir cette chaîne de production. Le dessin du projet prend alors une autre dimension, il intègre aussi le dessin des forces nécessaires de mise en œuvre de sa propre construction. L’idée d’un vernaculaire contemporain, mêlant traditions constructives et écriture contemporaine naît certainement de la nécessité de faire avec le déjà-présent. Dans cette pensée les architectes développent souvent de nouvelles techniques leurs permettant de construire une architecture spécifique au lieu d’intervention mais ces techniques sont également des outils que les architectes proposent aux populations de ces milieux afin qu’ils puissent se les approprier. L’appropriation de ces techniques permet aux populations de construire plus facilement leurs habitats et participe parfois à l’élaboration d’un langage particulier qui devient une des spécificités d’un territoire. Dans leur pratique, certains architectes comme Peter Rich mettent en avant ce langage spécifique. Il le voit comme une opportunité pour les populations de réaffirmer leur culture et de se réapproprier les milieux dans lesquels ils habitent. Peter Rich vise notamment l’émergence d’une architecture Sud-Africaine contemporaine. Dans l’exposition intitulée « Landscape Architecture » Fig. 11 de la biennale de Venise, le dessin à la main est privilégié. Yvonne Farrell et Shelley McNamara disent que Peter Rich « semble penser et voir avec ses mains » 5. Ces dessins sont d’une grande précision et ont un aspect vibrant, les plus petits détails y sont représentés. Ils montrent, par leur précision, une compréhension et une connaissance pointues du milieu qu’il dessine. L’inspiration de Peter Rich semble très tournée vers le vernaculaire et les techniques de construction primitives, des assemblages de pierres sèches par exemple. On ne peut s’empêcher de faire une comparaison entre les dessins présentés à la biennale du Mapungubwe Interpretation Centre et les trullis des Pouilles au sud de l’Italie. Le dessin permet à l’architecte de s’approprier de façon précise les milieux qu’il traite. La connaissance qu’il acquiert du milieu passe essentiellement par le re-dessin de celui-ci. Il dit lui-même « lorsque que l’on commence à dessiner nous allons dans des lieux dans lesquels nous ne sommes jamais allés » 6. Pour mieux comprendre sa démarche, il est intéressant d’étudier le déroulement de sa carrière et l’histoire chargée de son pays. Peter Rich est né à Johannesburg en 1945. Au cours de sa carrière il s’est toujours attaché à comprendre plus en profondeur la culture sud-africaine. Encore aujourd’hui il participe à trouver un langage particulier et approprié à l’architecture africaine contemporaine. Le projet du centre Fig. 12 en 2009 a été choisi comme « World Building » au World Architectural Festival de Barcelone. Il cherche également à promouvoir une certaine culture de son pays à travers le monde
Fig. 11 Photographie de Landscape architecture, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
5 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Peter Rich architects . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.130.
6 Rich, P., 2018. Landscape architecture. Biennale d’architecture de Venise. Venise, Italie
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Fig. 12 Mapungubwe Interpretation Cntre, Rich, P., Mapungubwe, Afrique du Sud, 2009
Fig. 13 Interpretation Centre d’Alexandra, Rich, P., Alexandra, Afrique du Sud, 2010
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2.1. La construction locale et contemporaine
grâce au tourisme culturel notamment. Les grandes villes d’Afrique sont aujourd’hui pour la plupart en expansion, dans ses projets les plus récents, Peter Rich essaie de trouver des solutions à l’établissement de nouvelles communautés urbaines dans ces villes. Son architecture est dessinée par la « main pensante » dans la lignée du concept de la « thinking hand » de Pallasmaa. Ce concept le pousse à se réapproprier par ses gestes, par le dessin les milieux qu’il traite. L’exposition et sa conférence intitulées « Learnt in Translation » décrit cette méthode de travail. Méthode avec laquelle il réapprend par le dessin, la nature et la culture qui l’entoure. Ce savoir il le réintègre ensuite dans son architecture. On peut également rapprocher les formes qu’il produit et son architecture à d’autres pratiques comme celles de Fagan and Eaton, Laurie Baker, Felix Candela ou Eladio Dieste qui se dressent aussi contre une image globalisante de l’architecture comme le précise Paul Kotze dans « Notes on the lecture and exhibition ». L’architecture devient alors un levier pour contredire cette image globalisante en s’inspirant de la réalité, des contradictions des lieux, et le manque de ressources. Dans les années 1970, à la suite de la destruction de certains établissements indigènes pendant l’apartheid, l’architecte s’est beaucoup intéressé à la question du vernaculaire en Afrique du Sud. Il a produit un travail de recherche et de re-dessin des établissements traditionnels et ruraux de la région du Ndebele, travaillant sur les organisations spatiales et domestiques qui reflètent la hiérarchie familiale et les valeurs culturelles des habitants. Son architecture s’inspire beaucoup de cette étude ainsi que de certaines influences modernes qui lui ont été transmises sans doute pendant sa formation comme Adolf Loos ou Rudolph Schindler. Le projet de l’Interpretation Centre d’Alexandra Fig. 13 a été initié en 2000 par le gouvernement. La complexité de cet édifice réside dans la contradiction entre son organisation spatiale très poussée et le langage esthétique qu’il déploie. Il est constitué d’une structure métallique remplie par différents éléments de couleurs, textures et transparences différentes, représentant assez bien l’ambiance du quartier (briques de terre, métal, polycarbonate coloré). L’idée d’une sorte de collage des matériaux à disposition donne au bâtiment une atmosphère particulière et en même temps donne l’impression qu’il fait partie intégrante de la ville. Le remplissage crée un effet que les populations locales appellent « jazz architecture », une architecture d’improvisation, on recouvre une organisation spatiale avec des éléments déjà présents récoltés sur place. Cette idée de procurer à un territoire une écriture particulière ressort à la biennale de Venise. Cette écriture particulière issue à la fois d’un langage
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Fig. 15 Maquettes de constructions Vernaculaires IndonÊsiennes, Andramatin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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2.1. La construction locale et contemporaine
contemporain, de traditions constructives et de principes architecturaux régis par les conditions climatiques, est une des pistes explorées par certains architectes. L’objectif n’est pas d’homogénéiser l’architecture d’un pays mais de trouver dans chaque opportunité de projet une façon d’explorer ces concepts. Cela permet, entre autre, de donner des outils à des habitants de territoires ayant subis des traumatismes forts dus aux aléas naturels ou à des évènements politiques, les moyens d’habiter d’une façon plus décente dans laquelle leur culture est mise au service de propositions architecturales contemporaines. C’est aussi dans ce cadre-là que l’architecte Indonésien Isandra Matin Ahmad a développé sa pratique. L’architecture traditionnelle en Indonésie permet depuis des années de répondre à certaines problématiques du milieu comme le climat, les croyances particulières, les normes sociales et les matériaux disponibles. Dans l’exposition intitulée « ELEVATION » Fig. 14 à la biennale de Venise l’architecte Isandra Matin Ahmad expose dans un pavillon sa recherche sur les langages architectoniques des zones tropicales. L’organisation spatiale de ces constructions est très particulière car elle répond souvent à une certaine cosmogonie et doit entretenir des rapports particuliers avec le sol et le ciel. Le travail de l’architecte vise à intégrer ces savoir-faire techniques et inventifs dans une architecture contemporaine. Le pavillon lui-même mêle également des techniques traditionnelles de tissage et un assemblage plus contemporain. Il est constitué d’un escalier de bois de jabon et d’un tissage en rotin. On peut découvrir dans cette espace plusieurs maquettes de constructions vernaculaires nous donnant une vision des possibles dans cette hybridation entre tradition et contemporanéité. Il a également reçu une récompense pour cette intervention, une mention spéciale décernée par les organisateurs de la biennale pour « une installation sensible qui donne un cadre pour penser au matériau et à la forme des structures vernaculaires traditionnelles » 7. Ces structures vernaculaires traditionnelles sont assez diversifiées en Indonésie car l’archipel s’étend sur plus 5 000 km et comprend 17 500 îles. La géographie est aussi très variable allant du niveau de la mer à 4 800 mètres d’altitude. Cette situation géographique fait part également d’une grande diversité de cultures et de modes de vies. Les populations se sont appropriées des codes vernaculaires qui répondent tous au besoin commun de devoir survivre en climat tropical. Le titre de l’exposition met aussi en avant les variations des élévations des différentes régions. Certaines de ces constructions reposent à même le sol et d’autres sont sur pilotis pour des raisons spirituelles ou pour anticiper certaines menaces environnementales comme les animaux ou les inondations. L’objectif de cette exposition est de permettre à ceux qui ne les habitent pas d’avoir une expérience particulière de cette architecture vernaculaire Fig. 15. La diversité de ces propositions montre comment chaque population, communauté s’approprie son milieu, son environnement. Les
Fig. 14 Photographie de Elevation, Andramatin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
7 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale d’architecture de Venise 2018 . Venise, Italie : La biennale di Venezia.
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Edifice I Milieu
8 Matin Ahmad, A., et Arditya, A., 2014. Andra Matin: Contrasting Harmony. The Jakarta Post. https://www.thejakartapost.com/news/2014/07/08/ andra-matin-contrasting-harmony.html
Fig. 16 Construction traditionnel de Tenganan, Bali, Indonésie
Fig. 17 Katama, Andramatin, Kabupaten Badung, Bali, Indonésie, 2015
Fig. 18 AS House , Andramatin, Yogyakarta, Indonésie, 2013
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différentes élévations deviennent des éléments capables d’exprimer cette liberté et cette diversité d’appropriation, reflétant ainsi un aspect du FREESPACE de la biennale. Isandra Matin Ahmad a développé aussi au cours de sa pratique une certaine fascination pour les contrastes et les dualismes. Ces dualismes qu’il traite encore aujourd’hui dans ses architectures. L’architecte dit dans une interview pour The Jakarta Post : « J’aime l’équilibre. Il devrait y avoir un équilibre entre les structures faites par l’homme et celles créées par dieu » 8. L’ombre et la lumière, l’intérieur et l’extérieur, la nature et la manufacture, la forme et la fonction sont devenus des termes qui fonctionnent en duo et dont l’architecte joue. Il essaie de brouiller les échelles sans donner de prédominance à un des termes de ces duos. Ils deviennent alors complémentaires dans ses œuvres. Les édifices comme Katamama Fig. 16, par exemple, sont une sorte d’hommage aux temples hindous et à l’artisanat ancien. Il a été inspiré notamment par une visite du village de Tenganan près de Bali Fig. 17 dans lequel les habitants utilisaient des ressources naturelles afin de construire des façades de bâtiments avec des briques apparentes. Dans son architecture une grande importance est réservée au traitement du climat. Elle est guidée par des réponses à apporter au climat tropical et propose de subjuguer ses bienfaits ou ses conséquences. Par exemple, les pluies abondantes deviennent un moment de poésie qu’il essaie de mettre en avant de certaines de ses constructions. Le dessin de l’orphelinat de Bogor est inspiré de ces problématiques liées au climat. C’est une série de 15 boîtes en structure bois recouvertes de brise-vents. Cette construction particulière est issue du besoin d’ombre et d’une ventilation constante, dans toutes les directions. L’alternance dans la disposition de ces brise-vents Fig. 18, suffit à permettre le passage de l’air suffisant à la ventilation du bâtiment mais participe également à un effet d’optique particulier, donnant ainsi une texture à l’édifice. Sur le même principe il a également réalisé une villa, il met en avant que de travailler avec un seul matériau lui permet d’expérimenter celui-ci et de pousser ses possibilités dans la conception des espaces. La question de la construction est largement mise en lumière à la biennale de Venise. Pour des raisons d’impact écologique, les manières de construire sont revisitées et permettent aux architectes d’innover en s’inspirant principalement de ce qui est déjà présent. Les architectes que nous avons évoqués dans cette partie ne se contentent pas de la reprise de gestes constructifs mais en font des manières d’innover en construction. Ces innovations permettent de donner à certains territoires la capacité de pouvoir se construire dans le respect des moyens économiques et techniques présents.
2.2. S’allier aux initiatives communautaires et associatives
2.2. S’allier aux initiatives communautaires et associatives
Dans cette partie nous nous intéresserons aux liens qui peuvent être créés entre les communautés et l’architecte. Dans ces propositions d’architectures locales il a été nécessaire de s’allier aux communautés afin de leur donner certains outils avec lesquels développer leurs territoires. Dans la partie précédente, l’architecte Peter Rich évoque la pensée d’une architecture Sud-Africaine. Dans quasiment chacun de ses projets il est question de s’allier aux initiatives gouvernementales et communautaires. Les architectes de la Biennale de Venise se servent également de ces initiatives comme d’une force et d’une opportunité pour y développer leurs pratiques. Parfois les initiatives communautaires ou associatives deviennent un réel appui pour la construction des projets de ces architectes. L’objectif est parfois de s’allier à ces initiatives ou de les renforcer. La participation des communautés locales est quelque chose que Peter Rich a beaucoup développé dans ses projets comme par exemple dans celui du Interpretation Centre à Alexandra. Au cours du projet une partie de la population, au départ sans emploi, a été formée pour la construction de l’édifice. Certaines de ces personnes ont été également formées pour le bon fonctionnement de l’édifice, du musée et des commerces ainsi qu’à l’accueil des touristes. En créant des partenariats avec les écoles locales, les écoles de commerce par exemple, l’objectif a été de veiller au bon fonctionnement de l’établissement et que ce fonctionnement soit assuré par la population locale. Ces objectifs ont été proposés dans une initiative du gouvernement visant à promouvoir le tourisme culturel en Afrique du Sud. La construction de l’édifice apparait comme une opportunité qui permet de former une partie de la population à la construction, au tourisme, au commerce, de dynamiser les entreprises locales et mettre en avant l’art et la culture de la ville d’Alexandra. Une partie des habitants a été formée à développer les thèmes qui ont émergé lors des discussions et à partir des histoires rapportées par les habitants les plus anciens de la communauté. Ils ont participé à l’écriture d’un livre avec l’université sur l’histoire de la ville. Le projet se situe sur un lieu culturellement ancré dans la vie de la ville et de ses habitants, le Mandela’s Yard, proche
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Edifice I Milieu
Fig. 19 Plan du Centre communautaire, Bopitekelo, RĂŠserve de Modikwe
Fig. 20 Coupes du Centre communautaire, Bopitekelo, RĂŠserve de Modikwe
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2.2. S’allier aux initiatives communautaires et associatives
d’un lieu ou Nelson Mandela a résidé en 1942. L’édifice aujourd’hui est devenu un lieu de réunion pour la communauté. Le lien particulier entre l’édifice, l’histoire du pays et une de ses principales figure, Nelson Mandela, fait de ce lieu une sorte de hub culturel et communautaire dans lequel les populations se sentent investies dans tout ce qui s’y passe. Le projet a eu un développement un peu anarchique, entre le manque de fond et des financements irréguliers. La construction a dû être stoppée et recommencée à plusieurs reprises, ce qui a peut-être participé également à l’aspect improvisé ou bricolage de l’édifice. Le projet d’architecture réside alors aussi bien dans le processus de construction communautaire que dans la conception de la forme. L’architecte s’est également engagé auprès de plusieurs communautés pour lesquelles il a dessiné plusieurs projets. Notamment le projet de centre commercial d’Elim qui était une des premières entreprises lancées par un homme noir pendant l’apartheid dans cette communauté. En 1994, après les changements politiques en Afrique du Sud, les projets de Peter Rich ont pu se multiplier. Il a produit une série de projets initiés par le nouveau gouvernement afin de promouvoir certaines initiatives autour du tourisme culturel. En plus de sa pratique d’architecte Peter Rich est devenu également un intervenant et un consultant sur la question du développement rural. Par exemple près de Midwake dans la région du Tswana, la consultation de l’architecte a permis la construction de plusieurs projets d’intérêt communautaire, notamment celui de Bopitekelo Fig. 19-20. C’est un bâtiment aux usages multiples. C’est un endroit de discussion et de rencontre. Un endroit pour remettre en avant l’histoire et la culture de ces communautés qui ont été bouleversées par le régime colonial et par l’apartheid. Ce lieu vise aussi à établir un dialogue entre les visiteurs et les communautés locales, c’est un endroit de réconciliation. En 1997, Peter Rich a été consultant sur un projet de développement d’une communauté rurale à Makuleke. Les habitants de ce village avaient été contraints de le quitter, ils ont pu y retourner après l’apartheid. Le village est proche d’une zone touristique et se trouve dans un milieu particulier où on peut observer une grande richesse naturelle et sauvage. Peter Rich y a construit un centre d’artisanat et un projet d’hébergement pour les voyageurs, donnant ainsi des bases à la communauté pour lui permettre de développer une certaine économie. Ces édifices ont été réalisés avec un langage vernaculaire particulier et des matériaux locaux ; des briques de terre, des pierres, de la chaux pour le toit et une structure en bois de caoutchoutier. Lorsque les initiatives ne sont pas portées par le gouvernement ou par les
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Fig. 22 Axonométrie, Rénnovation d’une maison, Cairns Street, Liverpool, UK, 2013
Fig. 23 Axonométrie, Granby Winter Garden,Granby Four Streets Liverpool, UK, 2013
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2.2. S’allier aux initiatives communautaires et associatives
administrations, les architectes tentent parfois de prendre les devants, c’est le cas d’Amateur Architecture Studio. Leurs propositions aux administrations est ce qui initie généralement leurs projets. Dans d’autre cas ce sont les populations des territoires qui initient ces mouvements dans une sorte de résistance face aux actions ou à l’inaction des administrations. Les architectes peuvent alors s’allier à ces initiatives souvent regroupées sous forme d’association. C’est le cas par exemple du collectif Assemble et de leur projet « Granby Four Streets » Fig. 21 à Liverpool. Assemble est un collectif basé à Londres qui a été créé en 2010. Le collectif est composé de 18 membres permanents anciennement étudiants à l’université de Cambridge. Ils possèdent tous un « background » différent, des pratiques différentes. Certains ont des formations liées au design, d’autres au théâtre, à la philosophie, à la construction et bien sûr à l’architecture. C’est un collectif multidisciplinaire dont les travaux mêlent art, design et architecture dans une démarche de travail démocratique et coopérative. Granby est un quartier périphérique de Liverpool qui depuis 30 ans est à l’abandon. Les habitants ont cependant continué de l’entretenir et d’essayer de l’améliorer. Le collectif Assemble y voit alors l’opportunité d’accompagner les habitants dans la transformation du quartier en réhabilitant des logements, en construisant des espaces publics et en créant un artisanat spécifique dans la manufacture de céramique du Granby Workshop. Les anciennes maisons victoriennes du quartier ont été détruites au fur et à mesure des rénovations urbaines, « laissant un tissu urbain décousu autour de quatre rues peu peuplées » 9. En 2011 le collectif rejoint la Granby Four Streets Community Land Trust qui est une organisation gérée par des volontaires qui vise à rendre des logements ou des biens communs inoccupés accessibles à l’achat à des prix abordables. Le but est d’installer une dynamique pérenne avec la rénovation des bâtiments et des espaces publics mais aussi de créer des emplois et des opportunités pour de nouvelles entreprises. Le collectif s’est concentré sur trois parties de projet. La première est la rénovation de dix maisons abandonnées à Cairns Street Fig. 22. Pour rénover les maisons le collectif s’est inspiré des travaux qu’avaient déjà effectués les habitants dans d’autres parties du quartier leur permettant ainsi de travailler avec un budget limité et avec une facilité de mise en œuvre. Ils intègrent également dans ces maisons des éléments faits mains « détails architecturaux qui réaffirment le caractère typique de ces modestes maisons » 10. La seconde est le Granby Winter Garden Fig. 23, le jardin d’hiver est construit dans deux maisons. Il comprend un jardin clos, une salle commune, un atelier d’artiste qui sont tous gérés par la communauté. Le programme artistique est accompagné par le Community Land Trust en partenariat avec des agences artistiques locales. La troisième partie est le Granby Workshop. La manufac-
Fig. 21 Granby Four Streets, Liverpool, UK
9 Lussault, M., Fort, F., Jacques, M., Brugère, F., le Blanc, G., 2017. constellation.s : habiter le monde. Bordeaux, France : arc en rêve centre d’architecture & actes sud. p. 155.
10 Ibidem. p. 156.
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Edifice I Milieu
ture est en service depuis 2016 et les bénéfices des ventes aident à financer un programme pour l’insertion professionnelle des jeunes.
11 Dall, A. repris dans Peluso, S., 2017. Assemble. Architecture can change (and improve) humans. Domus. https://www.domusweb.it/en/ architecture/2017/11/25/assemble-use-design-to-make-theday-to-day-more-joyfull.html
Le collectif au-delà de l’aspect un peu « bricolage » de certaines de leurs réalisations qui peut leur être reproché, réussit à se confronter à plusieurs aspects des milieux qu’ils traitent en s’impliquant parfois bénévolement dans des initiatives locales. Leurs actions font preuve d’une certaine humilité et de juste mesure dans ce qu’ils construisent et dans l’image qu’ils renvoient. « Le but est de développer leur capacité à initier un changement à partir de leur réalité quotidienne » 11.Cette citation Amica Dall dans un article de Domus, résume assez bien la pratique d’Assemble qui fait preuve à la fois d’inventivité et de pragmatisme face au réel Fig. 24-25. Leur architecture agit comme un catalyseur des initiatives citoyennes permettant une « ré-initialisation » de la réalité quotidienne des habitants. Cette « mise en jeu dans le réel » peut passer par des réajustements, des transformations très précises comme des points d’acupuncture qui stimuleraient ensuite des dynamiques citoyennes plus vastes. La force de ce collectif réside dans sa capacité à bien choisir ces points d’actions grâce à la connaissance du milieu traité et grâce à la diversité des individus et donc des pratiques qui composent le collectif lui-même.
Fig. 24 Maison Abandonnée, Cairns Street, Liverpool, UK, 2018
Le collectif crée alors une dynamique spécifique qui fait sens dans chaque milieu qu’ils traitent mais aussi dans un territoire plus vaste, celui des anciens quartiers industriels d’Angleterre. Ces exemples mettent en avant que la position de l’architecte doit être parfois assez humble pour accepter que le travail effectué ne soit pas seulement issu de son propre raisonnement ou de sa propre initiative. Afin d’accompagner au mieux les populations dans les transformations de leurs territoires, il apparaît pertinent de savoir travailler au contact de celles-ci. Il faut pouvoir s’allier à différentes initiatives lorsque celles-ci nous semblent pertinentes et porteuses de propositions architecturales innovantes.
Fig. 25 Maison Rénnovée, Cairns Street, Liverpool, UK, 2018
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2.3. La construction et l’analyse participatives
2.3. La construction et l’analyse participatives
Dès lors les populations peuvent apparaître comme une force d’expertise et d’analyse du territoire pour les architectes. On retrouve cette idée dans le concept de « génie du lieu ». Celui qui pratique quotidiennement un territoire est certainement celui qui sera également le plus expert pour en donner une lecture de sa pratique. Les architectes s’allient parfois à des populations pour avoir accès à des savoir-faire afin d’y puiser les connaissances nécessaires à la construction du projet. Les populations peuvent être organisées comme force de construction. Dans des contextes économiques difficiles, les populations locales constituent souvent la seule main d’œuvre avec laquelle l’architecte puisse travailler. Dans d’autres cas la participation de la population à la construction permet de la former à certaines techniques et de la rendre plus apte à intervenir elle-même par la suite sur son territoire. En mettant à sa disposition des outils spécifiques, la population peut acquérir les moyens de construire plus efficacement son habitat. Dans cette partie il conviendra de mettre en avant certaines de ces pratiques et comment les architectes peuvent en tirer parti. L’agence Amateur Architecture Studio par exemple dont la plupart des interventions est nourrie par une longue étude. 6 mois pour le projet de la rue de Zongshan , période pendant laquelle, avec l’aide de professeurs et d’étudiants, ils ont effectué un relevé un relevé sociologique et architectural des éléments essentiels du site auprès des habitants. De cette étude est né un ouvrage que Wang Shu définit comme une suite de recommandations sur comment « faire de l’architecture sur la ville existante » 12. Il précise que c’est un travail qu’il incombe aux municipalités et aux nouveaux architectes de poursuivre. Cette étude a permis par exemple de conserver certaines caractéristiques de la rue. Certains édifices ont été conservés alors qu’ils devaient être rasés pour élargir la rue. L’analyse a mis en avant les modes de vie des habitants dans ce milieu très dense autour de la rue. Les constructions sont hétéroclites, parfois illégales. L’élargissement de la rue aurait pu détruire un grand nombre d’habitats et un mode de vie, certes précaire dans certains cas, mais qui peut être amélioré sans pour autant détruire ce qui est déjà édifié. Les conditions
3 Wang, Shu, 2010. A la loupe: Wang Shu, entretien avec Rafaël Magou. L’architecture d’aujourd’hui, n° 375. p.58.
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d’habitation ne sont pas idéales mais une intervention urbaine aussi lourde que celle prévue en premier lieu aurait favorisé la construction de grands ensembles de logements dans lesquels une partie de la population ne peut habiter. L’analyse ici s’appuyant sur les témoignages des habitants a permis de prendre en compte ces manières d’habiter peu conventionnelles mais qui sont aujourd’hui une réalité avec laquelle les prochains architectes chinois devront construire. La construction dans de tels milieux répond à des codes particuliers qui se nourrissent des éléments glanés et des ressources naturelles locales. Les constructions sont spontanées et font parfois preuve d’une grande force d’inventivité dans leur mise en œuvre. Dans cette étape de la construction certains architectes accompagnent la population. C’est le cas par exemple de l’agence BC Architects & Studies dont l’équipe prend part à la construction dans chacun de leurs projets.
13 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, BC architects & studies . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.94.
14 BC Architects & Studies, 2018. Présentation de conférence. The Act of Building. Ecole National Supérieur d’Architecture de Saint-Etienne.Saint-Etienne, France. https://www.st-etienne. archi.fr/2018/09/05/conference-bc-architects-studies/
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La plupart de leurs projets repose sur des techniques de construction qu’ils développent généralement avec les habitants ou les futurs usagers dont ils encouragent également la participation à la construction. Yvonne Farrell et Shelley McNamara ont écrit de leur pratique qu’elle consistait à « Rechercher un moyen de construire qui implique la participation, qui encourage la population à se sentir en capacité de planifier et d’imaginer quelque chose de nouveau et de le construire » 13. Leur méthode d’analyse repose sur l’idée d’une mise en œuvre innovante et la recherche de techniques de construction simple, construction à laquelle les habitants peuvent participer. Dans cette dynamique d’analyse et d’innovation, l’objectif est également de créer une sorte de laboratoire social. La participation et le sentiment du public d’avoir participé à une innovation architecturale et constructive est ce qui lie profondément leurs projets au milieu dans lequel il s’inscrit. La pratique du projet et du lieu par les habitants est initiée dès la phase d’analyse. Les lieux peuvent être redécouverts par les habitants, la création collective participe, il me semble, à une dynamique sociale qui donnera le sentiment à cette collectivité de se sentir capable de construire par la suite. BC Architects & Studies se définit comme « un groupe s’attachant à concevoir, créer, pratiquer l’architecture et l’urbanisme comme de réels leviers pour changer les équilibres mondiaux » 14. Pour illustrer cette démarche, nous pouvons ré-évoquer le projet de la bibliothèque de Muyinga. Dans ce projet l’agence a sollicité la participation des habitants mais également celle d’étudiants étrangers. L’architecture de ce projet est fondée sur une « intelligence interculturelle » entre génie du lieu
2.3. La construction et l’analyse participatives
et expertise externe. La bibliothèque est la première phase d’un programme prévoyant également la création d’une école pour les malentendants. L’organisation diocésaine pour l’entraide et le développement intégral de Muyinga leur confie le projet de cette école. Les architectes passent deux mois à arpenter le territoire afin d’établir une stratégie et un inventaire des matériaux et techniques de construction. Grâce à un workshop ils font collaborer sur le même chantier des étudiants, les habitants ainsi que les futurs enseignants de l’école afin d’initier ceux-ci à la pratique du lieu et ainsi contribuer à l’intégration de ces enfants malentendants à la communauté. Dans les projets de Peter Rich nous retrouvons aussi cette volonté de faire participer la population à la construction afin qu’elle puisse éventuellement continuer de construire par elle-même si besoin. En travaillant avec le MIT et l’Université de Johannesburg par exemple, Peter Rich à Mapungubwe Fig. , pour l’Interpretation Center, a développé une technique particulière qui permet la construction des arches de toitures. Le sol n’était pas de très bonne qualité, il a donc fallu trouver une technique afin de réaliser les tuiles de terres qui constituent aujourd’hui les toitures. Ces tuiles ont été réalisées par les habitants grâce aux outils disponibles comme des presses manuelles. L’architecte a élaboré une sorte de guide écrit afin que les populations locales même sans savoir-faire particuliers dans la construction puissent participer au processus de construction de ces formes complexes et développer des savoir-faire. L’aspect final du bâtiment est très marqué par sa géométrie complexe mais également par sa texture particulière qui provient des matériaux utilisés et de leurs imperfections. A l’intérieur les éléments sont apparents et magnifient dans une ambiance caverneuse les vibrations du naturel et du fait main.
Fig. 26 Arches du Mapungubwe Interpretation Cntre, Rich, P., Mapungubwe, Afrique du Sud
Nous pourrions également citer le projet d’Assemble à Liverpool, dans ce cas ce sont les membres du collectif qui ont rallié un effort citoyen de construction et s’en sont inspirés pour la suite de leur projet. Dans ces différentes pratiques nous pouvons constater la volonté des architectes de proposer des solutions architecturales en adéquation avec les caractéristiques du milieu. L’architecture dans ces différents cas se donne la capacité de mettre à la disposition des habitants des outils avec lesquels ils peuvent mieux lutter contre les aléas que subissent leurs territoires. Pour ces architectes la connaissance des milieux traités semble être un préalable incontournable. Pour acquérir cette connaissance et pour pouvoir construire dans ces milieux ils font appel aux savoir-faire, aux populations et aux communautés. Cette attention portée par les architectes à ce qui fait la particularité de ces milieux participe semble-t-il à l’inscription de leurs interventions dans la mémoire collective. Cette mémoire collective est sans doute également un moyen qui permet aux populations de faire perdurer ces interventions en continuant à
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Edifice I Milieu
les alimenter et à les pratiquer. Les architectes, en s’attachant à ces méthodes de construction particulières, permettent d’insérer les édifices qu’ils dessinent dans des cycles et des modes de vie qu’ils traitent et n’imposent pas une vision ou une organisation spatiale inappropriées. Cette construction locale permet également de limiter les impacts écologiques des constructions en travaillant avec des circuits courts ou en réutilisant des matériaux.
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3. Au-delĂ de la contradiction entre ArchaĂŻque et Contemporain
Archaïque I Contemporain
3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
Nous avons vu plus haut comment les architectes peuvent puiser dans les traditions constructives locales afin d’inventer de nouvelles formes et d’élaborer de nouvelles techniques de construction. La tradition et l’histoire des lieux sont une source d’inspiration pour les architectes leur permettant de traiter de manière plus juste les milieux dans lesquels ils projettent. Ces lieux sont chargés de mémoire et présentent des pratiques et des formes qui sont propres à leur histoire. Les architectes se nourrissent des événements que le lieu a traversés afin de mettre à jour des pistes pour le futur projet. Dans cette démarche le projet d’architecture intervient comme une autre narration du lieu relatant les épreuves qu’il a traversées et le prépare aux prochaines épreuves qu’il pourrait traverser. Prolonger l’histoire du lieu ou prendre en considération ce qu’il a vécu permet aussi d’impliquer le projet dans la mémoire collective des habitants de ce même lieu. Certaines parties de la population ont peut-être une histoire spécifique avec le lieu qu’il convient de reconnaitre et de respecter afin que leurs pratiques en lien avec ce lieu perdurent ou soit renouvelées convenablement. Cette démarche ne consiste pas à concevoir une écriture historiciste des projets d’architecture mais à pouvoir trouver dans l’histoire et dans d’anciennes formes et pratiques du lieu une manière d’inscrire le projet dans son milieu et au sein d’un contexte contemporain.
Fig. 1 Photographie de l’expostion, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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La mémoire et l’histoire sont également mises en avant à la biennale d’architecture de Venise, le manifeste écrit par les organisateurs fait part de cette considération. L’histoire nous permet d’aller puiser dans ce qui a déjà été construit et de le réutiliser dans un contexte contemporain. Les projets que présentent les architectes s’inscrivent parfois sur des sites historiques classés. Il convient alors d’opérer une démarche particulière vis-à-vis de cette histoire. C’est le cas par exemple du projet de l’hôpital psychiatrique de Melle en Belgique présenté dans l’exposition Fig. 1 de l’agence Architecten De Vylder Vinck Tailleu. Depuis 2010 l’agence belge est composée de trois architectes : Jan de Vylder, Inge Vinck et Jo Tailleu. Selon les organisateurs de la biennale Yvonne Farrell
3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
et Shelley McNamara, deux des parties du manifeste entrent en résonance avec les projets et la pratique de ces architectes, le fait que « FREESPACE encourage à remettre en question les modes de penser, de nouvelles façons de voir le monde, d’inventer des solutions où l’architecture garantit le bien-être et la dignité de chaque citoyen de cette fragile planète. » 1 et la seconde « FREESPACE peut être un espace d’opportunité, un espace démocratique, non-programmé et libre d’accepter des usages qui ne sont pas encore conçus » 2. Le projet que les architectes ont décidé de mettre en avant à la biennale est celui de CARITAS une intervention dans un ancien hôpital psychiatrique à Melle en Belgique. Le processus de démolition du bâtiment a été interrompu et les architectes sont intervenus pour y développer un projet assez inattendu. Ces architectes convoquent l’histoire dans leur pratique non comme une sorte de dogme ou de légitimation du geste architectural mais comme un autre élément de contexte. Une couche supplémentaire du milieu traité qu’il convient d’utiliser. Pour la biennale d’architecture de Chicago de 2017 « Make new History » plusieurs des architectes étudiés dans ce travail ont été conviés à participer à la biennale dont De Vylder Vinck Tailleu. Dans un document de cette biennale y est présentée la notion de « New Primitivism » 3 ou « Nouveau Primitif », définition à laquelle sont associés les travaux de l’agence : « aller au-delà de l’histoire des bâtiments, trouver quelque chose de plus primitif de plus archaïque comme source de travail » 4. L’ancienne clinique de l’hôpital psychiatrique de Melle est composée de plusieurs bâtiments séparés ; des villas du XIXème siècle attribuées à chaque département de l’hôpital. Un parc ouvert et une architecture similaire lient ces différentes villas. Au fur et à mesure des années et des besoins certaines villas sont rénovées ou remplacées donnant aujourd’hui un assemblage assez hétéroclite. Une campagne de démolition de deux des villas est lancée en 2015. Un nouveau directeur bloque cette démolition et lance un concours d’architecture. Au moment du concours une des deux villas est déjà détruite et l’autre l’est partiellement. Le but a été de trouver une utilité à ce bâtiment partiellement détruit qui ne pouvait plus accueillir d’usages ou de programmes trop normés comme des salles de soins. Le toit était déjà retiré, le sol de béton est devenu du gravier et les étages ont été perforés pour laisser s’écouler la pluie. Le bâtiment a été complétement ouvert au parc. Les changements survenus dans le monde de la médecine psychiatrique au même moment mènent vers d’autres réflexions et les architectes se sont saisis de cette opportunité pour faire une proposition extrêmement libre. C’est une succession de pièces vides, libres d’usage aujourd’hui et qui offre de futures possibilités. Les interventions sont assez légères permettant ainsi d’être remaniées en fonction des besoins futurs de la clinique. Les pièces sont articulées par des structures métalliques venant s’insérer dans l’ancienne
1 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Manifesto : Freespace. Venise, Italie. https://www.labiennale.org/en/architecture/2018/ introduction-yvonne-farrell-and-shelley-mcnamara 2 Ibidem.
3 Johnston, S. et Lee, M., 2018. Make New History in the expanded Field - Selected projects in the view point of « Make New History ». a+u : Architecture and Urbanism, Make New History - After the second chicago architecture biennal, n° 570. p.72. 4 Ibidem.
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ArchaĂŻque I Contemporain
Fig. 2 Facade de Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016
Fig. 5 Ville de Matera, Italie Fig. 6 Enoteca dai Tosi, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Matera, Italie, 2017
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3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
ossature. C’est une invitation à penser autrement la thérapie, la médecine et les soins. C’est un espace essentiellement ouvert et libre qui permet à la fois de contempler les vestiges du bâtiment et de pouvoir déambuler à l’abri. Il peut devenir un amphithéâtre, un jardin d’hiver, une pièce de travail et d’atelier. Un endroit où la thérapie peut prendre une autre forme. L’intervention des architectes permet de remettre en lumière les qualités d’une architecture ancienne simplement en l’alliant à de nouvelles possibilités d’usage. Aujourd’hui le parc et cette villa sont les seuls éléments qui lient les différents bâtiments hétéroclites de chaque département de la clinique. La villa est un des seuls lieux de rencontre entre les différentes personnes au sein de l’hôpital Fig. 2. Elle sert aujourd’hui aussi bien aux patients qu’aux employés de la clinique. Cette agence d’architecture porte beaucoup d’importance à la narration du projet. Le projet d’architecture devient un arc narratif du lieu. Afin d’exprimer au mieux leurs projets, les architectes développent un langage spécifique pour chacun d’entre eux. Ce langage passe notamment par le dessin, ils créent pour chaque projet une manière de dessiner qui lui est propre. On retrouve des dessins Fig. 3 - 4 particuliers dans chaque projet, comme dans le projet de la « Enoteca dai Tosi » à Matera en Italie. La ville de Matera a une histoire et une forme particulières, la ville regorge d’anciens habitats troglodytes, de caves qu’on appelle « sassi ». La ville Fig. 5 sur sa colline est articulée par de nombreux escaliers. Le but était de mêler un élément existant et culturellement fort à un langage contemporain, faire une sorte de synthèse culturelle de ce que la ville a été et de ce qu’elle est en train de devenir. La « Enoteca dai Tosi » Fig. 6 est une sorte d’hommage à la ville. C’est une cave à vin sur trois étages. Les matériaux utilisés, principalement de la pierre beige locale, les éléments de terre cuite, les escaliers, le bois peint en vert des menuiseries nous montrent une succession d’éléments qui font référence à la construction de la ville. Jan De Vylder écrit que « La pierre sera une pierre de Matera. Mais une pierre qui embrassera – comme l’a fait le raisin autre fois les formes anciennes mais aussi de nouvelles formes. Historique mais d’aujourd’hui » 5. Le but est de redonner à ce lieu une force tirée de la forte relation entre la pierre, le vin et l’histoire. La culture du vin est également importante dans cette région d’Italie, les architectes se sont saisis de cette opportunité pour édifier cet hommage. La ville de Matera a connu énormément de changements notamment dans les années 50 où une politique a été menée pour sortir les habitants des « sassi » et de reconstruire d’autres habitats car les conditions de vie y étaient encore très précaires. En 1993 le centre ancien de la ville est enregistré comme patrimoine mondial de l’UNESCO et aujourd’hui elle est pressentie pour devenir la capitale européenne de la culture en 2019.
Fig. 3 Dessin pour Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016
Fig. 4 Dessin pour Enoteca dai Tosi, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Matera, Italie, 2017 5 De Vylder, J., 2018. Enoteca dai tosi, architecture and dilemma. a+u : Architecture and Urbanism, architecten de vylder vinck tailleu. n° 561. p.73.
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Archaïque I Contemporain
Le projet de la cave à vin repose principalement sur l’articulation des pièces par une multitude d’escaliers qui parfois organisent des assises, des endroits de stockage ou d’exposition des bouteilles dans ces mêmes pièces.
6 De Vylder, J., 2018. Enoteca dai tosi, architecture and dilemma. a+u : Architecture and Urbanism, architecten de vylder vinck tailleu. n° 561. p.73.
7 Kuan, P. et Pang, A., 2018. Genius of the north. a+u : Architecture and Urbanism, architecten de vylder vinck tailleu. n° 561. p.160.
L’idée des architectes pour cet escalier est de créer une sorte de matrice articulant la forme du projet tout en établissant un parcours particulier dans lequel nous pouvons aujourd’hui contempler l’histoire revisitée de la ville. Jan De Vylder écrit de ces escaliers qu’ils sont « Un mouvement ininterrompu. Un mouvement à plusieurs échelles. Des hauts et des bas. Mais jamais interrompu. Entre les pièces, l’escalier les sépare. Dans les pièces, l’escalier grimpe aux murs » […] « Pas seulement pour aller à l’intérieur ou à l’extérieur de ce monde. Mais pour s’attarder, se reposer, pour faire une pause. Pour exposer ou pour stocker. Pour célébrer » […] « Un escalier entre l’homme et le vin » 6. Dans tous les projets, l’architecture de Jan Vylder, Inge Vinck et Jo Tailleu repose sur une série de contradictions, de dualismes « Drôle et sérieux, subversif et respectueux, inattendu mais chorégraphié, accidenté mais planifié, sans lien mais connecté » 7 qui leur donnent une valeur quasi chorégraphique articulant les différents arcs narratifs du lieu, mêlant son passé, une nouvelle image et de nouvelles pratiques. Une autre agence parmi les participants à la biennale s’est fait remarquer au cours de ces dernières années pour avoir construit dans des milieux à l’histoire chargée. L’agence Londonienne 6a architects est connue notamment pour être intervenue sur des lieux historiques classés en Angleterre.
Fig. 7 Plan du Churchill College, Sheppard Robson, Cambridge, UK, 1960
Fig. 8 Photo des logements étudiants, Churchill college, Sheppard Robson, Cambridge, UK, 1960
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L’agence 6a architects a été fondée en 2001 à Londres par Tom Emerson et Stéphanie Macdonald. Au cours de leurs pratiques, les deux architectes ont réussi à accumuler plusieurs récompenses dont de nombreux RIBA, plusieurs Mies Van de Rohe Awards ainsi que le Conrad Ferdinand Meyer Preis en 2018. Tom Emerson est seulement le deuxième à gagner ce prix depuis sa création en 1938. A la Biennale de Venise en collaboration avec John Ross et Owen Watson, ils ont présenté un film retraçant les travaux qu’ils ont réalisés pour la résidence étudiante de Cowan Court au Churchill College pour l’Université de Cambridge. Les anciennes résidences universitaires étaient classées, ce sont des édifices dessinés par Sheppard Robson en 1960. Ils sont carrés et possèdent une cour intérieure. Ces résidences de briques et de béton sont devenues des références du « mouvement brutaliste » Fig. 7-8 anglais. Dans ce projet les architectes ont choisi de construire la résidence en bois dont la couverture est en pièces de chêne récupérées. Ils ont également inversé le plan des résidences précédentes ainsi les chambres possèdent toutes une vue sur le parc ce qui permet de créer une cour intérieure commune et appropriable.
3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
Les nouvelles façades de chêne rappellent la teinte du béton des anciens bâtiments en partie haute des bâtiments. Chaque façade est courbe. La forme de l’édifice rappelle les colonnes classiques et permet également de réguler l’illumination et de protéger la façade des pluies. La circulation n’est pas concentrée dans les cages d’escalier comme dans les anciens bâtiments mais est répartie sur les coursives donnant sur l’espace extérieur du centre. Le lieu de circulation devient un espace social. La matérialité du projet fait partie d’une stratégie environnementale permettant de réduire la consommation en énergie du bâtiment dans sa construction et son utilisation. Fig. 9 - 10 Le film retraçant cette construction a été réalisé en collaboration avec l’artiste Ben Rivers. C’est un film de 14 minutes tourné en 16 mm qui retrace l’histoire du lieu entre l’ancien dessin et sa transformation, il confronte l’ancien et le nouveau, la faune du site et les étudiants qui partagent ce lieu. La construction de cet édifice met en relation deux langages qui ne s’opposent pas malgré les années qui les séparent. L’intervention des architectes permet de porter un autre regard sur ce qui était déjà présent. La construction du nouvel édifice est une sorte d’hommage aux précédents édifices, mais revisité avec une écriture contemporaine et des matériaux contemporains. Le projet des architectes est né des potentiels offerts par les anciens édifices. Dans une conférence à l’ETH de Zurich, Tom Emerson met en avant les façons de « ruser avec les occasions » 8, il parle notamment du réemploi et du bricolage, le réemploi de matériaux, de bâtiments et de savoir-faire. Selon lui le modernisme a séparé Culture et Nature depuis les premières inventions de l’homme. Les problématiques écologiques et économiques de cette ère contemporaine, l’anthropocène, mettent fin à cette distinction. Lors de sa conférence il s’appuie sur les travaux et réflexions de Bruno Latour.
8 Emerson, T., 2012. Conférence, We were never modern. ETH, école polytechnique fédérale de Zürich. Zürich, Suisse.
Ruser avec les occasions pourrait aussi signifier pouvoir identifier dans l’histoire d’un lieu les potentialités de construction de quelque chose de nouveau. Pour atteindre cet objectif la connaissance du contexte est ici encore une fois primordial. Cet attrait pour le contexte est aussi ce qui nourrit par exemple une partie des projets d’une autre agence Londonienne celle de Caruso StJohn. Caruso St-John est une agence créée en 1990 par Adam Caruso et Peter St-John et regroupe 25 personnes. L’architecture de l’agence Caruso St-John s’appuie beaucoup sur l’histoire, la culture et le contexte de projet. Dans son architecture l’agence célèbre l’ordinaire et le quotidien en le mêlant aux canons de l’architecture. Dans la présentation de l’agence sur leur site internet, il est écrit : « Le contexte est le point de départ de la forme plutôt que de permettre au programme de s’imposer à l’architecture » 9.
9 Caruso, A. et St-John, P., https://www.carusostjohn.com/ overview/
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Archaïque I Contemporain
Fig. 9 Photo des logements étudiants, Churchill college, Cowan Court, Cambridge, UK, 2016
Fig. 10 Axonométrie du Cowan Court Churchill college, Cambridge, UK, 2016
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3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
Le lieu et le déjà là sont les deux points de départ de l’architecture de Caruso St-John. Yvonne Farrell et Shelley McNamara disent de leurs projets que « la mémoire et la familiarité sont transformées en beauté et en élégance contemporaine » 10. Il s’efforce également de garder une grande diversité de types d’intervention afin de résister à la tendance de l’architecture contemporaine et à la spécialisation.
10 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Caruso St-John . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.47.
Dans cette biennale de 2018, nous pouvons retrouver le travail des architectes à deux reprises. Ils ont réalisé une exposition dans le cadre du thème FREESPACE en tant qu’invités et ont été choisis pour le projet du pavillon britannique dans les « giardinis » de la biennale. Dans la première exposition Fig. 11, les architectes se sont concentrés sur les façades en essayant de révéler les richesses historiques et « le potentiel de générosité sociale » 11 que les façades offrent. Ils ont exposé plusieurs de leurs travaux ainsi que d’autres édifices qui les ont influencés. Le visiteur peut ainsi se plonger « plus profondément dans la construction de ces façades et dans la mystérieuse relation entre image urbaine et la réalité matérielle » 12. Les architectes, en réponse aux thèmes FREESPACE, disent qu’il importe peu que le bâtiment soit public ou privé, peu importe son usage, ses façades doivent être une contribution positive à l’espace public et impacter les gens émotionnellement même si ceux-ci n’ont aucune relation particulière avec l’édifice. Selon les architectes les maisons georgiennes ou les entrepôts victoriens, par leurs images et leurs présences, sont à l’origine de la formation et de l’image des grandes villes anglaises. Cette exposition présente des images de projet et des photographies de Philip Heckausen montrant les bâtiments dans leurs environnements. Pour l’exposition « island » Fig. 12 des giardinis les architectes ont construit un nouvel espace public sur le toit du pavillon britannique qui lui est resté vide. Les deux espaces accueillent des événements. Le pavillon a été réalisé en collaboration avec l’artiste Marcus Taylor. La nouvelle plateforme au-dessus de l’édifice est soutenue par des échafaudages et est constituée de tuiles de bois coloré. L’installation peut alors retranscrire beaucoup d’intentions différentes dans la relation qu’entretiennent les deux parties ; le toit et le pavillon. Le toit peut être vu comme un refuge à la submersion. Cette relation affirmée par la présence forte de l’échafaudage donne à voir un effet de panique, d’abandon, de reconstruction. Les deux parties peuvent être vues comme des refuges ou des sanctuaires. Ils peuvent renvoyer à une multitude de références telles que le Brexit, l’isolation, le colonialisme et le changement climatique. Les architectes à travers leurs constructions s’inscrivent souvent contre cer-
11 Ibisem. 12 Caruso, A. et St-John, P., 2018 Repris dans Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Caruso St-John . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.47.
Fig. 11 The facade is the window to the soul of architecture, Caruso St John, Biennale d’architecture de Venise 2018, Venise, Italie, 2018
Fig. 12 Pavillon anglais, Island, Caruso St John, Biennale d’architecture de Venise 2018, Venise, Italie, 2018
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Archaïque I Contemporain
Fig. 13 Centre d’Art Contemporain de Nottingham, Caruso St John, Nottingham, UK, 2009
Fig. 15 Detail de la dentelle de la société Richard Brikin, 1847, Nottingham, UK Fig. 16 Détail de façade du Centre d’Art Contemporain de Nottingham, Caruso St John, Nottingham, UK, 2009
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3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
tains standards du modernisme. Pour eux le mur est un élément majeur, il est ce qu’il sépare l’extérieur de l’intérieur et permet un dialogue plus contrôlé entre les deux. Le contrôle minutieux de ce dialogue permet de favoriser les émotions dans les espaces produits plutôt que de renvoyer à la raison de leur construction. Pour exprimer cette volonté, dans Précisions sur un état présent de l’architecture, Jacques Lucan cite les paroles de Adam Caruso « Nous nous sommes intéressés à faire une architecture qui ne se sert pas du langage. Une architecture dont la présence physique a un effet émotionnel direct. Nous pensons que la construction a un effet direct sur le caractère émotionnel des espaces » 13.
13 Lucan, J., 2015. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne, Suisse : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes. p. 141. Repris dans Caruso, A., 1999. The feelings of things. A+T ediciones, n°13. Vitoria Gasteiz, Espagne.
Cette idée de la façade comme bien public et de la générosité dont elle doit faire part, mène les architectes à réfléchir à l’ornementation. Si la façade est dissociée de l’espace qu’elle accueille, elle doit alors développer son propre langage avec l’espace public, mettant en place une relation particulière entre l’édifice et son contexte. Les espaces intérieurs peuvent développer leurs propres ambiances, leurs propres textures, produisant certaines émotions alors que la façade est intimement liée au contexte de l’édifice et à son histoire, c’est le cas, par exemple, du projet de Centre d’ Art Contemporain de Nottingham. Le Centre d’Art Contemporain de Nottingham Fig. 13 est l’un des plus gros programme de ce type en Angleterre. Il comprend quatre galeries d’exposition et une salle multifonctionnelle. Caruso St-John propose un projet s’inspirant des manufactures du XIXème siècle afin « d’établir un lien avec les immeubles industriels » 14. Les architectes convoquent plusieurs références, le Konsthall de Malmö de Klas Anshelm qui est un édifice inspiré des hangars d’autobus de l’époque et aussi du Guaranty Building de Louis Henry Sullivan Fig. 14 pour l’ornementation Le principe de la façade qui repose sur une structure métallique, comme pour un hangar, montre une certaine dichotomie entre l’expression même de la façade et la liberté de plan à l’intérieur de l’édifice. Les architectes vont penser l’édifice en tant qu’hybridation entre la répétition d’une architecture industrielle et la mise en place d’une ornementation d’un caractère « précieux » du décor. Lors du projet les architectes découvrent avec l’aide d’historiens, un livret daté de 1847 qui contient plusieurs exemples de dentelles réalisées dans des fabriques industrielles voisines. Fig. 15-16 La dentelle est un élément représentatif de la production et de l’activité industrielle du quartier à la même époque. Un échantillon de dentelle est numérisé et ce modèle 3D servira à la fabrication de contre-moules en médium pour la réalisation de moules finaux en latex rigide. A partir de ces moules, les architectes construiront des éléments en béton imprimés avec ce motif. Leurs formes ondulantes rappellent les cannelures monumentales et produisent un effet de drapé avec ses jeux d’ombre. L’enveloppe « textile » selon les auteurs Laurent Koetz et Estelle Thibault rappelle
14 Koetz, L. et Thibault, E., 2016. Caruso St-John : l’ornement comme vecteur d’une continuité culturelle ?. marnes, document s d’architecture, n°4. Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée : Editions Parenthèses. p 365.
Fig. 14 Guaranty Building, Louis Henry Sullivan, Buffalo, New York, Etats-Unis, 1896
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Archaïque I Contemporain
Fig. 19 5 Karl Bötticher, La Tectonique des Hellènes. Potsdam, Ferdinand Riegel, 1852, Atlas, pl. I. https://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=GRADH/ GRADH_025/ GRADH_025_0050/ GRADH_025_0050_img-5.jpg
Fig. 20 Façade de la tombe de Midas, planche tirée de G. Semper, Der Stil, Munich, 1860
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3.1. Les potentialités de projet dans l’histoire du lieu
certains édifices viennois du début du XXème siècle, celui de la maison Zacherl de Joze Plecnik Fig. 17 par exemple. Dans ces deux projets l’ornement renvoie à la fois aux thématiques de Bötticher Fig. 18 et de Gottfried Semper Fig. 19. Les architectes articulent « de manière inédite la réalité et l’illusion » 15. L’ornement associé aux moyens techniques d’aujourd’hui est capable de représenter la recherche d’une continuité avec l’histoire. Cette continuité avec l’histoire, dans ce cas, est directement issue du passé du lieu. Cette emploi de l’ornement donne une autre dimension sociale et culturelle à l’édifice, « au-delà de la mémoire, des références locales ou plus générales, il met en jeu un dialogue avec un héritage théorique particulièrement riche » 16.
15 Koetz, L. et Thibault, E., 2016. Caruso St-John : l’ornement comme vecteur d’une continuité culturelle ?. marnes, document s d’architecture, n°4. Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée : Editions Parenthèses. p 372. 16 Ibidem. p. 369
L’histoire du lieu est ici une opportunité pour les architectes de ré expérimenter une architecture mise de côté par le modernisme. L’ornementation aujourd’hui redevient une question centrale dans le contexte contemporain, car de plus en plus de bâtiment sont pensés en fonction de normes climatiques spécifiques qui mènent parfois à l’autonomisation de la façade. Au travers de cette prise en considération particulière des murs et de la façade par Caruso St-John transparaît la volonté de proposer une expérience émotionnelle spécifique. Cette expérience naît de la construction et du matériau utilisé. Adam Caruso s’inspire aussi des constructions vernaculaires dans l’usage qu’il fait des matériaux locaux ou dans les manières de façonner la matière. Cette matière permet de donner au bâtiment une « aura » et permet d’avoir une expérience directe du bâtiment au travers de sa matière et de sa construction.
Fig. 18 Maison Zacherl, Joze Plecnik, Vienne, Autriche, 1903-1905
Dans les exemples exposés ci-dessus, nous avons vu comment l’histoire du lieu permet parfois de proposer des projets innovants. Certains lieux dans leurs spécificités ont le pouvoir de nous guider dans une démarche de projet. Il convient de mêler cette même démarche à notre propre vision en tant qu’architecte. Le lieu peut nous offrir la possibilité d’étayer notre vision. Les projets qui en ressortent paraissent intéressants dans leurs façons de lier une opportunité, une histoire à une vision ou à une pratique architecturale. Cela permet de donner une certaine cohérence à l’intervention de l’architecte et à l’inscription de l’édifice dans son milieu.
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Archaïque I Contemporain
3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
Dans ce travail il a déjà été mis en évidence que les architectes empruntent parfois à un langage vernaculaire pour édifier leurs propres architectures. Dans cette partie, il sera question de l’héritage et de comment les architectes peuvent affirmer par le réemploi leurs gestes et leurs pratiques. Le réemploi n’est pas uniquement le fait de réutiliser les matériaux. Comme c’est le cas pour Caruso St-John et l’ornementation il est ici question de pouvoir puiser dans un héritage architectural ou artistique dans la création d’un projet d’architecture. Fig. 21 Charles Jencks, Le langage de l’architecture post-moderne, 1984
Revenons en premier lieu sur l’architecture de Caruso St-John et de l’intérêt porté à la façade. Comme il a été énoncé précédemment la façade pour Caruso-St John est un élément d’architecture important dans sa relation avec l’espace public. Cette relation doit pouvoir proposer un dialogue particulier. L’ornementation semble être alors une piste intéressante pour développer ce dialogue. La question de l’ornement a été un peu oubliée depuis le passage de l’architecture moderne. Au travers d’une vision plus contemporaine de l’ornement, nous pouvons faire l’hypothèse que l’agence Caruso St-John essaie peut-être d’effectuer un renouement particulier avec cet héritage, en y insufflant une nouvelle image « nourrie de références artistiques contemporaines » 17.
Fig. 22 Michael Graves, office building, Los Angeles,1988 17 Koetz, L. et Thibault, E., 2016. Caruso St-John : l’ornement comme vecteur d’une continuité culturelle ?. marnes, document s d’architecture, n°4. Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée : Editions Parenthèses. p 351. 18 Ibidem.
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Cette démarche trouve son origine dans les travaux de Robert Venturi, Charles Jencks ou Michael Graves Fig. 21-22, elle tente de s’approprier des figures de la culture populaire et du « vernaculaire commercial » 18. La charge symbolique de l’ornement est alors remise au goût du jour. L’utiliser comme objet de communication semble un moyen pour Caruso St-John d’inscrire leur bâtiment dans un langage du quotidien en lien avec les espaces publics. Laurent Koetz & Estelle Thibault expliquent également que l’ornement au-delà de sa « charge symbolique » est aussi un moyen d’autonomiser les façades externes des édifices pour des raisons de performances constructives et thermiques. L’attrait pour ces questions de l’ornement est alors revenu dans les réflexions contemporaines afin de répondre aux mutations présentes.
3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
La question induite que l’on pourrait se poser est : comment « conférer une vitalité artistique à la raison constructive » 19 ?
19 Ibidem.
Les relations entre mémoire et ornement sont mises en avant dans l’ouvrage Der Stil de Gottfried Semper. En analysant les techniques primitives de construction comme dans la karaibische hutte Fig. 23, il remarque que ces techniques d’assemblage ont une valeur rituelle. Les motifs de construction, les figures, les assemblages traversent les âges et constituent une valeur culturelle sur certains territoires. L’ornement agit dans les travaux de Caruso St-John comme révélateur de « l’effet sensible de la matière et la référence à des images inscrites dans la mémoire collective » 20 . L’image et la représentation deviennent alors déterminantes dans l’œuvre des architectes. Dans ce travail sur l’image et sur la « vitalité artistique », ils s’inspirent par exemple des travaux d’art contemporain de Katharina Fritsch. Ce qui intéresse Adam Caruso et Peter St-John est la « possibilité de susciter des images mémorielles » 21, de provoquer une expérience complexe. « Pourquoi tout cela devrait-il revenir aux concepts ? Etre perturbé visuellement, expérimenter l’ambivalence – pourquoi cela devrait-il aller directement dans la cage du langage ? » 22. Dans le même article de A+T, cité précédemment, Adam Caruso parle d’artistes comme Katharina Fritsch Fig. 24 qui l’ont inspiré, il dit « il y avait un groupe d’artistes contemporains dont les travaux développaient la tentative de Beuys de donner la priorité à des formes intuitives d’intelligence » 23. Afin d’illustrer leur intérêt pour l’ornement, nous pouvons nous intéresser au projet du Victoria and Albert Museum of Childhood.
Fig. 23 Karibische Hütte, Gottfried Semper, Der Stil, 1860 20 Ibidem. p 357. 21 Lucan, J., 2015. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne, Suisse : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes. p. 153. 22 Fritsch, K. citée par Caruso, A., 1999. The feelings of things. A+T ediciones, n°13. Vitoria Gasteiz, Espagne. 23 Caruso, A., 1999. The feelings of things. A+T ediciones, n°13. Vitoria Gasteiz, Espagne.
Cet édifice a une histoire particulière. La halle métallique qui est la partie la plus ancienne du bâtiment provient du South Kensington Museum qui a accueilli certains événements de l’exposition universelle de Londres en 1851 ainsi que le Departement of Practical Art dirigé par Henry Cole. En 1867-1868 la halle est déplacée sur un autre site Bethnal Green, pour servir à l’installation d’un musée destiné à l’éducation populaire. La halle est alors recouverte de pierres et de briques sur ces façades pour accueillir son nouveau programme. Les nouvelles élévations d’inspiration romano-byzantine ne pourront pas être réalisées faute de moyens financiers. En 1922 le musée s’oriente vers l’enfance.
Fig. 24 Katharina Fritsch ,Tischgesellschaft, 1988
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Fig. 25 Extension du Victoria and, Caruso St John, Albert Museum of Childhood, Londres, UK, 2007
Fig. 26 Chapelle Colleoni, Giovanni Antonio Amadeo, Bergame, env. 1470
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3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
La nouvelle façade de Caruso St-John est composée de motifs hexagonaux créant une impression de relief sur certaines parties de la façade. Ce décor est inspiré de la Renaissance Italienne selon Laurent Koetz & Estelle Thibault et notamment de la chapelle Colleoni à Bergame Fig. 25-26. La façade ne présente aucun relief, volonté renforcée par certains choix comme la position des vitrages en nu extérieur du mur, maintenant la continuité de la paroi. Contrairement à la façade de la chapelle, les motifs hexagonaux du musée composé de carrés, sont éclairés de façon plus aléatoire, la trame n’est pas systématique. La façade du musée « joue avec ambivalence de ces références : d’un côté le décor hexagonal évoque de toute évidence la tradition renaissante, de l’autre la planéité s’apparente aux pratiques picturales avant-gardistes » 24. Dans ce jeu de plan et relief les architectes confrontent deux mondes ; la négation de la profondeur, « la reconnaissance bidimensionnelle du tableau » 25 et l’illusionnisme hérité de la renaissance. La forme hexagonale des motifs est également issue de la technique de remplissage de ces parois. Les parois de béton sont recouvertes de panneaux en aluminium en nid d’abeilles sur lesquelles sont fixés les carreaux de pierre. Bötticher avait mis en avant que « la « forme œuvrée » […] oriente la « forme artistique » » 26. Les auteurs y voient également une autre référence à la renaissance, une référence à l’art d’édifier « De re Aedificatoria ».
24 Koetz, L. et Thibault, E., 2016. Caruso St-John : l’ornement comme vecteur d’une continuité culturelle ?. marnes, document s d’architecture, n°4. Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée : Editions Parenthèses. p 359.
25 Ibidem.
26 Ibidem. p. 361.
A l’entrée, les architectes ont construit un portique particulier, sans épaisseur. Pour un portique nous pourrions nous attendre à voir une lecture de la structure, ici les architectes ont décidé de continuer de travailler avec des voiles de bétons. Les piles sont alors dessinées dans le motif de façade, elles sont sans solives marquant alors l’idée de la falsification. La nature fictive du décor est complétement assumée. Les architectes contemporains peuvent donc utiliser des traditions constructives ou des références afin d’affirmer leurs pratiques. Dans ce projet de Caruso St-John nous comprenons que le réemploi des techniques et des connaissances de l’ornementation permet de les replacer dans des réflexions techniques contemporaines sur l’autonomisation des façades mais aussi comme vecteur d’une continuité culturelle. Dans l’interview de AA, Wang Shu fait un parallèle avec la peinture chinoise traditionnelle. Pour peindre des paysages Fig. 27, le peintre part 2 à 3 mois dans la nature, il observe, imprime dans sa mémoire et ensuite à son retour il se met à peindre. C’est une façon de faire du faux à partir du vrai, la mémoire devient une réalité. Il me semble que les travaux d’Amateur Architecture Studio sont développés d’une façon assez similaire ; après l’immersion dans le milieu et après un travail de relevés long et précis, les architectes entament le dessin. Depuis leur propre mémoire ils réinventent la mémoire du lieu.
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Fig. 28 Technique Traditionnelle, Wa pan
Fig. 29 Façade du musée Ningbo, Amateur Architecture Studio, Ningbo, Zhejiang, Chine, 2008
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3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
Le réemploi dans l’architecture permet de mettre en lien des traditions avec l’architecture contemporaine. C’est l’architecte qui assure la connexion entre ces savoir-faire et la construction contemporaine. L’échange et la méthode de travail deviennent alors essentiels, Wang Shu met un point d’honneur à assister à la construction de ses édifices, le rapport à la matière et au chantier doit selon lui être permanent. Aux travers du recyclage et en alliant traditions et contemporanéité, l’agence Amateur Architecture Studio essaie de contribuer à donner une autre façon de voir l’économie qui irait à l’encontre des phénomènes de constructions des centres villes en Chine (Pression foncière, augmentation des prix, bétonnage à outrance). Le Wa Pan Fig. 28, une technique traditionnelle de construction chinoise, permet d’illustrer cette tentative des architectes. Le Wa Pan est une technique de maçonnerie qui permet de lier plusieurs types d’éléments de maçonnerie (pierres, brique, tuiles). Cette technique a été utilisée dans beaucoup d’édifices différents au cours de l’histoire de la Chine ; de la maison populaire aux grands édifices administratifs de la dynastie Qing. Cette technique les architectes l’ont utilisée dans plusieurs de leurs projets notamment pour le musée Ningbo Fig. 29. Elle nécessite un travail de calepinage assez conséquent ainsi qu’un accompagnement des artisans dans cette mise en œuvre assez compliquée et surtout pour un bâtiment de cette taille. Il fallait réussir à adapter cette technique à la proportion des façades et des espaces de l’édifice. Ces différents éléments de maçonnerie sont issus des décombres de la destruction de certains des villages urbains autour de la ville.
Fig. 27 Fan Kuan, «Voyageurs parmi les torrents et les montagnes», Kaifeng, Luoyang, Montagnes de Zhongnan, env. 1000
En plus de cette technique les architectes ont également réutilisé des panneaux de coffrages en bambou pour certaines parties du bâtiment. Le fait d’utiliser des matériaux recyclés permet aux architectes de réduire le coût du projet par rapport à un parement en pierres neuves. L’argent étant une clé du marché, cela permet aux architectes d’accéder à ce type de projet en étant les plus compétitifs. De cette manière Amateur Architecte Studio peut peut-être contribuer à modifier une vision de l’économie qu’ils critiquent abondamment en participant d’une autre manière à son jeu. Le réemploi dans ce cas possède plusieurs dimensions : il participe à contribuer à faire perdurer certaines traditions constructives en réutilisant des techniques anciennes et permet de recycler les éléments de maçonnerie. Ce double réemploi permet à l’agence de se démarquer et d’accéder à des projets importants. Nous pouvons observer quelque chose de similaire dans la démarche de 6a architects notamment dans la vision que nous livre Tom Emerson dans sa
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27 Emerson, T., 2012. Conférence, We were never modern. ETH, école polytechnique fédérale de Zürich. Zürich, Suisse.
28 Lévi-Strauss, C., 1966. Savage Mind, chapter 1, Londres, Angleterre : Weidenfeld and Nicolson Ltd.
29 Scalbert, I., 2013. Never Modern. Zurich, Suisse : Parks Books.
30 Scalbert, I. cité par Emerson, T., 2012. Conférence, We were never modern. ETH, école polytechnique fédérale de Zürich. Zürich, Suisse.
31 Emerson, T., 2012. Conférence, We were never modern. ETH, école polytechnique fédérale de Zürich. Zürich, Suisse.
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conférence à l’ETH « We were never modern » ainsi que dans de nombreux projets de l’agence comme le Cowan Court ou encore le centre d’art contemporain et d’exposition de Raven Row à Londres qui sera détaillé ci-dessous. Il met en avant les différentes possibilités que nous offre cette question du réemploi ; il permet entre autre de pouvoir créer des potentiels nouveaux pour les projets d’architecture. Il parle également de « bricolage » qui est la façon de travailler avec ce que nous avons sous la main. Dans cette vision contemporaine, l’histoire et le progrès ne font qu’un. Il définit alors sa pratique du « bricolage » de la façon suivante : « Nous utilisons ou réutilisons l’histoire de manière négligente, comme un bricoleur utilise ce qu’il a sous la main. Je ne suis pas un historien mais un architecte et dans ce cas l’histoire n’est pas un type de vérification ou de légitimation. C’est un paysage de potentiels où les traces des récits où tous les fragments du quotidien des affaires humaines peuvent être liés à un futur » 27. Il s’appuie notamment sur les écrits de Claude Lévi-Strauss 28, sur sa vision du bricoleur. Cette conférence fait écho également à une autre œuvre basée sur les travaux des architectes ; le livre « Never Modern » 29 d’Irénée Scalbert qui dit dans une conférence antérieur à l’ETH de Zurich : « La caractéristique fondamentale du bricolage c’est que son inventaire est fait de plein de choses différentes. Et même lorsque l’inventaire est large, il reste limité. Le bricoleur utilise ce qu’il a sous la main parce que c’est tout ce qu’il possède. Les matériaux utilisés n’ont aucun lien avec la tâche qui lui est donnée parce qu’ils sont eux-mêmes les résultats de constructions précédentes » 30. Le bricoleur et les architectes de 6a essayent de trouver de nouvelles possibilités à ce qui a été le résultat de projet précédents. Le déjà là, l’ancien, deviennent alors des moyens de faire projet. « Le bricoleur recréé son inventaire en utilisant les débris d’événements passés ou les débris de l’histoire » 31. L’agence Sergison Bates porte également une grande a attention à la composition des façades qui les a menés à réinterpréter certaines écritures classiques. L’agence Sergison Bates a été fondée en 1996. Les architectes possèdent deux cabinets à Londres et Zurich. Leur architecture est souvent associée à une écriture matérielle forte et contemporaine est très soucieuse du contexte dans lequel elle s’insère. Ils sont très impliqués dans l’écriture et l’éducation. Dans leur exposition à la biennale, ils présentent dans une vidé leurs pratiques en agence et leurs pratiques de professeurs. Le film s’appelle « TEACHING/ PRACTICE » et l’idée du FREESPACE y est représentée par le libre-échange des idées et la collaboration entre praticiens, collaborateurs et étudiants.
3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
Dans une interview pour a+u, Stephen Bates dit que le thème « Make New History » de la biennale de Chicago de 2017 à laquelle ils ont participé « résonnait avec notre intérêt dans la continuité de l’architecture, la simultanéité du passé et du présent, et la reconnaissance du fait que les architectes doivent, pour être modernes, se situer dans le cadre de l’histoire » 32. Cette vision fait écho à la vision du contemporain abordé dans ce mémoire par les définitions de Giorgio Agamben. La simultanéité est la lecture inédite de l’histoire qui nous permet d’y puiser les éléments nécessaires pour faire avancer le présent. Dans le numéro 570 de a+u qui présente cette biennale, le projet du Office and Welcome Centre de Shangai Fig. 30 a été classé dans ce que le magazine a appelé « Typological Transfer ». Ce qui est défini par « la continuation ou la transposition d’un type (d’une typologie) historique comme un principe d’organisation ou une base pour l’innovation » 33. C’est quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans les projets de Sergison Bates. Les typologies anciennes sont parfois le prétexte de développement d’un plan innovant qui mêle alors une typologie ancienne à un langage contemporain. Le bâtiment est inspiré de l’ancienne architecture coloniale, mais utilise également des techniques de construction ancienne, des matériaux à base d’argile qui sont inspirés de la construction locale. L’organisation intérieure a été inspirée par celle des maisons de campagne anglaise comme l’Hardwick Hall Fig. 31. Le bâtiment inspiré par plusieurs antécédents historique organise plusieurs espaces différents qui permettent d’accueillir toutes les activités nécessaires au fonctionnement du campus et de l’entreprise. La façade est composée de trois ordres séparés horizontalement par des linteaux et organisés verticalement par des piliers. La dimension des piliers diminue au fur et à mesure que la façade s’élève, ils sont alternés selon leurs épaisseurs. Ces éléments sont revêtus de pièces de terracota inspirées des édifices publics du XIXème et XXème siècles. Sergison Bates revisite certains concepts du plan établi par le modernisme. Comme le fait d’une autre manière Caruso St-John. Les architectes pensent que les relations entre intérieur et extérieur ont été rendu floues par le prolongement du plan à l’extérieur, principe hérité du modernisme. Les architectes essayent donc de mettre en avant une certaine intériorité du plan qui permet de mieux articuler les différentes pièces et atmosphères. Les architectes affirment que c’est sans doute dans le plan de logements du projet de la Fitzjohn’s Avneue à Hamstead, qu’ils ont le plus poussé cette idée. D’après eux ce plan serait né de leurs années d’expérimentation sur la question et s’inspire des travaux de Luigi Caccia Dominioni et de Andrea Palladio Fig. 32-33-34 grâce auxquels ils sont arrivés à ce résultat. Le plan apparaît comme une constellation de pièces dont chacune possède un caractère particulier. Les deux bâtiments de logements connectés font également référence aux manoirs et villas de la ville. Les deux bâtiments n’apparaissent pas comme des copies de ces manoirs mais affirment leurs dessins et combinent à la fois un
32 Bates, S., 2018. What does « make new history » mean to you ?. a+u : Architecture and Urbanism, Make New History After the second chicago architecture biennal, n° 570. p.100. 33 Johnston, S. et Lee, M., 2018. Make New History in the expanded Field - Selected projects in the view point of « Make New History ». a+u : Architecture and Urbanism, Make New History - After the second chicago architecture biennal, n° 570. p.72.
Fig. 32 Plan des logements, Sergison Bates architects,Hampstead, Londres, UK, 2017
Fig. 33 Plan da la Casa Caccia Dominioni, Luigi Caccia Dominioni, Milan, Italie, 1949 - 1953
Fig. 34 Plan d’Andrea Palladio, I quattro libri dell’architettura, Venise, Italie, 1570
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ArchaĂŻque I Contemporain
Fig. 30 Welcome centre and offices, Sergison Bates, Shanghai, Chine, 2016
Fig. 31 Hardwick Hall, Robert Smythson, Chesterfield, UK, 1597
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3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
langage contemporain et une forme forte à certains principes de composition empruntés à plusieurs références historiques. Selon les architectes, durant les années 80 l’architecture avait perdu un peu de confiance et les propositions devenaient un peu timides dans les intentions. Les plans étaient selon eux trop à l’image du contexte de l’édifice. Ils ont voulu s’inscrire en rupture avec cette pensée en appuyant le fait que leurs interventions devaient contribuer à la transformation de ce contexte. Ils ont appris de leurs expériences qu’il était plus intéressant d’anticiper et d’engager les transformations de ces lieux. Ils pensent aujourd’hui que l’édifice doit affirmer une expression architecturale forte qui est liée au lieu. Dans l’écriture de leur ouvrage « Paper 2 », les architectes se sont penchés sur une étude précise des travaux de Gottfried Semper. Ils y ont notamment trouvé un intérêt dans l’écriture des façades. Cet intérêt porté à la façade a été également nourri par les travaux de Hans Kollhoff Fig. 35. Dans cette exploration il s’agissait de trouver une écriture tectonique contemporaine qui leur permettrait sans doute d’affirmer un style contemporain travaillé en ordres ou en empilement. On remarque que leurs édifices sont marqués par cette idée et que chaque élément n’est pas autonome. Cette forme permet d’assumer un rapport avec l’espace public : faire face à la ville. Stephen Bates déclare dans une interview pour El Croquis « c’était normal pour la façade d’être séparée de la manière dont on peut agencer une pièce. Comment faire face à la ville est presque une autre discipline » 34. Il met également en avant un sens de l’imperfection qui selon lui donne à l’architecture quelque chose d’accessible. L’imperfection contribue à une « expression architecturale accessible qui est amenée par une pensée abstraite » 35. Cette imperfection, on la retrouve aussi dans les projets de rénovation, ou toutes les interventions sont des négociations entre l’existant et le projet. Pour les architectes de Sergison Bates les traces des usages passés sont quelque chose d’essentiel dans leurs travaux de rénovation. Ils portent également beaucoup d’importance à la culture de l’architecture et à leur héritage, selon eux leurs contributions à cet héritage est plus important que l’objet de leur conception. Dans la même idée que l’utilisation des ordres qu’ils font dans le projet de Shangai. On peut remarquer dans plusieurs projets de Sergison Bates certains emprunts faits au langage classique. Cette attention particulière est mise en avant dans la conférence de Jonathan Sergsion, « Trouble with classicists » dans laquelle il met en avant ces emprunts faits au classique, c’est également ce qui avait été mis en avant dans le numéro de a+u dans l’article « Typological Transfer ». Le titre de la conférence est tiré d’une chanson du même nom : « Trouble with classicists » de John Cale et Lou Reed qui commence comme ceci :
Fig. 35 Oranienburger Tor Housing and Commercial Building, Hans Kollhoff, Berlin, Allemagne, 1999 34 Bates, S., 2016, interview avec Pimlott, M., 2016. interview with Stephen Bates, Jonathan Sergison and Mark Tuff. El Croquis, 2004 20016 Sergison bates : tolerencia y precision, n° 187. Madrid, Espagne. p. 35. 35 Sergison, J., 2017. Cycle de conférences FORM. Trouble With Classicists. Archizoom-EPFL, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Lausanne, Suisse.
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Fig. 36 Le palais Rucellai, Leon Battista Alberti, Florence, Italie, 1451
Fig. 37 Terraced Houses, Colvestone Crescent, Hackney, Londres, UK
Fig. 38 Urban housing, Sergison Bates, Hackney, London, UK, 1998
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3.2. Le Réemploi des savoir-faire, des techniques et des connaissances
« L’ennui avec un classique c’est qu’il regarde un arbre. Il ne voit que ça, il peint un arbre. L’ennui avec un classique c’est qu’il regarde le ciel. Il ne se demande pas pourquoi, il peint le ciel » .33 Dans la démarche de Sergison Bates, l’intention de départ n’est pas de faire des emprunts. Parfois c’est un constat qu’ils font après le projet. Lorsque les emprunts sont assumés, ils font une interprétation intentionnellement abstraite de ces motifs et éléments classiques afin d’orienter certaines parties du projet.
33 Cale, J. et Reed, L., 1990. Trouble with clacissts. Songs for Drella: A Tribute to Andy Warhol. Brooklyn, New York, Etats-Unis : Nerve (6).
La notion d’ordres se retrouve dans plusieurs de leurs projets, l’idée de les réinterpréter leur est venue lors de l’un de leurs premiers travaux. Ce projet se situe à Londres dans le quartier d’Hackney Fig. 36-37-38 datant des 18-19 ème siècles. Les maisons de ce quartier sont de style georgien et ont une typologie particulière que l’on retrouve beaucoup en Angleterre les « terraced houses ». Les « terraced houses » sont issues d’un modèle hollandais. Les architectes ont remarqué que ces maisons, bien que d’un style plutôt sobre, répondaient tout de même à une organisation de façade en trois ordres. L’intérêt de ces maisons est que malgré leur organisation classique, elles ont pu absorber beaucoup de changements issus des évolutions de la société. Ils ont commencé par faire un tri entre des éléments qui semblaient intéressants de garder en termes de besoins contemporain et les problèmes techniques dus à l’ancienneté de la maison, comme la mauvaise isolation phonique et thermique. Ils ont nourri depuis un certain attrait pour certaines typologies d’architectures de villes européennes qui ont su s’adapter aux différentes époques. Dans deux de leurs autres projets ils ont travaillé sur la figure du temple grec. Cette manipulation de l’écriture classique est une recherche d’organisation spatiale sur laquelle ils ont essayé de retravailler les proportions, les relations entre éléments verticaux et horizontaux, une certaine harmonie entre les éléments et le vide qui les sépare comme dans le projet du PCultural pavillon qui a débuté en 2012 au Chili. Ils ont été invités à participer à la construction d’un réseau de centres sociaux et culturels le long de la cote chilienne. Ces projets visent à reconstruire une partie de cette côte qui a été dévastée par un tremblement de terre en 2010 et à augmenter les infrastructures culturelles du pays. Le pavillon est une structure béton accueillant un programme très flexible. Il possède une certaine force et une épaisseur qui visent à dialoguer avec les rochers et les dispositifs côtiers. La disposition des colonnes oriente les vues vers la mer. Le second projet issu de cette même exploration est construit dans un grand parc d’une propriété de campagne. C’est une extension pour
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Archaïque I Contemporain
Fig. 40 Garden building, Sergison Bates, Mereworth, Kent, UK, 2010
Fig. 41 Ten houses, Sergison Bates, Montemor-o-Novo, Alentejo, Portugal, 2018
Fig. 42 Urban housing and studios, Sergsion Bates, Nordbahnhof, Vienne, Autriche, 2013
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accueillir une piscine, une salle de sport et quelques salles pour des rassemblements Fig. 40. Les colonnes rappellent le style classique des 18 et 19 ème siècles. Le bâtiment évoque une forme plus moderne des abris et est une référence à l’architecture scandinave du 20 ème siècle. L’abri repose sur des colonnes de 4,5 m. de haut. La disposition des colonnes est calculée pour répondre au rythme de la façade du bâtiment existant modulé par le travail des briques et des architraves de fenêtres. Dans le projet non construit des « Ten houses » Fig. 41 au Portugal, ils ont exploré la typologie de la maison romaine. Les maisons s’organisent autour d’un espace central commun comprenant plusieurs piscines. Les maisons ont une forme organique qui a été creusée pour y enfermer les différents espaces et notamment un patio central que l’on retrouve sur toutes les maisons. Ce patio central fait office d’entrée dans chaque maison et articule tous les espaces. Il est également en relation avec l’extérieur. Il permet d’avoir des espaces abrités et ombrés et de ventiler la maison. Ils se sont aussi inspirés de la typologie du Palazzo pour leur projet de logements sociaux à Vienne Fig. 42. L’idée était de travailler sur une typologie qui permettrait d’accueillir un grand nombre de logements en espace urbain. La parcelle comprend trois bâtiments réalisés par plusieurs architectes dont von Balmoos Krucker and Werner Neuwirth. Le but était que chaque bâtiment soit le résultat d’une exploration spécifique à chaque agence. Les appartements du bâtiment de Sergison Bates sont organisés autour d’un escalier central commun. Chaque appartement possède une loggia connectée à la cuisine et aux espaces de vies. Il ne s’agit pas dans ces explorations de remettre au goût du jour le style classique, mais de retravailler certains éléments de composition qui permettent de résoudre certaines problématiques du projet en donnant un sens de générosité formel et spatial au bâtiment. L’harmonie et la composition de leurs édifices sont les prolongations des recherches classiques, ils se situent dans la continuité d’un certain héritage architectural. Le réemploi des techniques, des savoir-faire et des connaissances vise à redonner un sens contemporain aux évènements passés, à redonner au lieu la possibilité d’interagir avec son temps. Dans certains cas cette idée permet de se réapproprier des lieux oubliés ou qui ne sont plus inscrits dans la vie contemporaine de la ville ou dont les pratiques, les usages et les formes appartiennent au passé. L’intervention des architectes dans ce cas est de lier l’ancien au contemporain.
3.3. Au-delà du traumatisme du lieu, lier l’ancien à de nouvelles possibilités
3.3. Au-delà du traumatisme du lieu, lier l’ancien à de nouvelles possibilités
Certains lieux de la ville connaissent des transformations brutales, d’autres sont parfois oubliés. Les architectes dans leurs propositions peuvent réactiver ces lieux en leur donnant une nouvelle forme, de nouveaux usages et de nouvelles pratiques. Les événements passés deviennent une possibilité pour les architectes de narrer le passé du lieu, d’établir un récit ou de réaffirmer une nouvelle position du lieu dans la vie ou la mémoire collective. Revenons au projet du musée historique de Ningbo Fig. 43. Par sa taille et sa forme, le bâtiment ne laisse pas indifférent. Malgré le contexte proche marqué par des construc¬tions très diverses et de tailles imposantes comme des tours et des bâtiments administratifs de la ville, le bâtiment du musée impose sa massivité, sa présence au contexte. La zone dans laquelle il se trouve est une partie de la ville en réhabilitation. Une grande partie de ce qui existait ici a été détruit pour laisser place aux tours et au quartier tel qu’il est aujourd’hui. Nous pourrions peut-être penser que les architectes ont décidé de traiter le contexte en y imposant une nouvelle forme, une nouvelle image. Mais ce n’est pas totalement le cas, les architectes ont décidé de réutiliser les vestiges, les pierres de ce qui a été détruit dans certaines zones de la ville afin de créer ce projet (réinvestissement de la matière première). Ce faisant ils lient ainsi le passé au présent.
Fig. 43 Musée Ningbo, Amateur Architecture Studio, Ningbo, Zhejiang, Chine, 2008
La démarche pourrait être purement écologique et s’inscrire uniquement dans une pensée globale mais elle offre également une dimension symbolique et nouvelle au projet. Elle incarne le renouvellement du lieu. Cette architecture apparaît comme ultra localisée : ne pouvant pas prendre place ni faire de sens ailleurs, créant un ensemble entre le projet et son contexte local et historique. Le bâtiment n’est pas issu d’un pur mimétisme du passé, il instaure une nouvelle vision du quartier par son programme et sa forme. Il est fortement lié au passé par son aspect monolithique ou de forteresse et par son matériau de construction. Il est l’illustration du renouveau proposant une vision nouvelle du contexte au travers de ce qu’il a été et de ce qu’il peut devenir. 97
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Fig. 44 Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016
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3.3. Au-delà du traumatisme du lieu, lier l’ancien à de nouvelles possibilités
Ici les architectes ont imposé une nouvelle image au quartier en y réintroduisant une figure ancienne. Aller au-delà du traumatisme du lieu peut aussi être relié à la démarche de De Vylder Vinck Tailleu Architecten dans leur projet Carritas à Melle. Dans ce projet le but n’est pas d’imposer une nouvelle forme au lieu mais d’assurer la transition entre son passé, ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il pourrait être amené à devenir. Ce projet avait également pour objectif de construire un endroit appropriable par les différents groupes de personnes fréquentant la clinique aussi bien les médecins, les patients que l’ensemble de l’équipe travaillant à la clinique. Il s’agissait de construire un bâtiment sans fonction spécifique pouvant varier d’usage et sublimer un certain héritage. Le résultat final prend la forme d’une succession d’espaces organisés dans le bâtiment par des boites de verres Fig. 44 . Les changements de la pratique médicale avaient déjà marqué les changements de forme du campus. Dans cette perspective de changement les architectes ont décidés d’opter pour cette solution qui permettait d’initier ou de donner une opportunité à ce changement. Le projet dans un article d’Arch Daily a été défini comme « Inattendu, mais simple. Sans technologie. Sans confort. Mais offrant des possibilités. En ayant une lecture différente du contexte et en donnant un contexte différent comme finalité. C’est peut être juste ça, peut-être juste assez. D’une lecture simple à une future possibilité de ce que pourrait devenir les soins, une fois encore dans une idée différente et inattendue. » . 34 Jacques Lucan met en avant dans « Précisions sur un état présent de l’architecture » que Jan Vylder, Inge Vinck et Jo Tailleu « dans plusieurs de leurs réalisations démontrent une capacité à métamorphoser une construction ancienne sans chercher à en effacer l’identité première » 35. Les assemblages parfois bruts de matériaux participent à cette lecture de la métamorphose qui a été opérée. L’acte de construire devient la métamorphose. Dans l’article « Genius of the North » Seng Kuan et Angela Pang écrivent de l’architecture de Jan Vylder, Inge Vinck et Jo Tailleu, qu’elle est « conditionnée par une dialectique unique […] entre un engagement fervent à l’avant-garde et le respect de la tradition artisanale et le contexte urbain » 36. En observant la grande diversité des dessins développés dans l’agence, nous nous rendons compte que chaque projet est étudié et réalisé selon un langage à usage unique que les architectes établissent en fonction du projet et qui devient celui du milieu traité. Les éléments dessinés font aussi part de cette narration du lieu et de sa métamorphose.
34 «PC CARITAS / architecten de vylder vinck taillieu» 12 May 2017. ArchDaily. Accessed 15 Dec 2018. <https://www. archdaily.com/871034/ pc-caritas-architecten-de-vylder-vinck-taillieu/> ISSN 0719-8884
35 Lucan, J., 2015. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne, Suisse : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes. p. 150.
36 Kuan, P. et Pang, A., 2018. Genius of the north. a+u : Architecture and Urbanism, architecten de vylder vinck tailleu. n° 561. p.160.
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Fig. 45 Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London. Photo by David Grandorge
Fig. 46 Photo prise après les incendies, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London Fig. 47 Rénnovation par 6a architects, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009
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3.3. Au-delà du traumatisme du lieu, lier l’ancien à de nouvelles possibilités
Cette idée de la narration est aussi très présente dans la démarche de 6a architects, « le bricoleur utilise ce qu’il a sous la main » 37. Ce qu’il a sous la main est un lieu présentant plusieurs histoires, plusieurs événements. Dans certains cas les événements peuvent paraitre anecdotiques mais permettent parfois aux architectes de trouver des intentions de projet intéressantes. C’est aussi peut-être également ce que Frédéric Bonnet met en avant dans cette citation « N’est-ce pas plus souvent la réunion de circonstances par ailleurs assez banales qui détachent chaque situation de sa voisine » 38. En se réappropriant un ou des évènements nous pouvons nous placer en tant qu’architecte dans la continuité historique du lieu et le traiter d’une façon spécifique qui le différenciera d’une situation voisine.
37 Scalbert, I., 2013. Never Modern. Zurich, Suisse : Parks Books. p. 108.
38 Bonnet, F., « Architecture des milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, document 12, mis en ligne le 25 novembre 2012, consulté le 06 décembre 2018. URL : http://journals. openedition.org/leportique/2493
Le projet de Raven Row de 6a architects illustre bien cette démarche. Les deux bâtiments ont été construits en 1690 Fig. 45. Ils se trouvent dans un quartier d’habitation de style georgien, une ancienne mercerie de soie. Ils ont donc subi pendant 300 ans plusieurs étapes de transformation ; style rococo, crises financières et industrielles, abandon, guerre, etc. ainsi que de nombreux incendies (notamment entre 1950 et 1970). Le bâtiment a muté de façon considérable. Au fil des époques s’est créé un lieu très caractéristique de l’histoire londonienne. Une succession d’écritures et de traces qui en 2005 font l’objet d’un projet de reconversion en centre d’art contemporain avec des galeries d’exposition, des bureaux et des appartements pour les résidences d’artistes. Ce quartier s’est initialement développé au 18ème siècle. Il était alors situé hors des enceintes de la ville et principalement peuplé de huguenots français immigrés travaillant dans la soie. Au 19ème siècle cette population est remplacée par une population principalement juive venant de l’est. Le quartier dans cette transformation devient important pour l’histoire de la ville car c’est ici qu’apparaisse par exemple les premières écoles gratuites juives. Les bâtiments sont classés en « grade 1 » qui est une classification anglaise des bâtiments historiques, qui impose des conditions de construction très normées et contrôlées. Au cours du projet les architectes ont mis la main sur une série de photos des lieux allant de 1903 à 1975. Une photo attire particulièrement l’attention Fig. 46 des architectes, elle a été prise après un incendie. Elle représente une partie du bâtiment brûlé. On peut y voir une porte et une partie du mur sur lesquelles les motifs rococo carbonisés ont réussi à résister à l’incendie. La pièce où se trouve actuellement la galerie avait été entièrement brûlée, les architectes ont vu ici une sorte de résistance de l’architecture initiale. Malgré l’incendie dévastateur, il est apparu évident aux architectes de perpétuer
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Archaïque I Contemporain
cette résistance, de remettre en avant l’architecture du lieu dans le nouveau projet. Depuis, les architectes ont recouvert les galeries de blanc qui dans la rencontre avec les éléments décoratifs restés intacts, donne aux bâtiments une autre atmosphère où l’ambiance rococo est atténuée et harmonisée par ce même blanc qui recouvre les pièces Fig. 47.
Fig. 48 Bois Brûlé, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009
De cette photo a émergé une autre idée, liée au matériau, le bois brûlé Fig. 48 . En Angleterre il a été souvent utilisé comme matériau de parement, car il est très résistant au vieillissement et au feu. Les architectes ont alors décidé de travailler cette matérialité avec un de leur collaborateur qui en partant au japon a appris des techniques spécifiques pour créer ces éléments. Une image historique, devient alors une opportunité pour construire un édifice dans l’entrelacement des histoires et des cultures. Depuis la pièce qui avait pris feu on peut aujourd’hui apercevoir les éléments de bois brûlés à l’extérieur qui constituent les toits d’autres pièces du projet à l’étage inférieur. Un rappel qui par sa matérialité, produit une sorte de récit de l’histoire du bâtiment et du projet. Le projet des architectes ne met pas réellement en confrontation l’ancien et le nouveau mais essaie plutôt dans une juste mesure de lier, d’ajuster les différents événements qui constituent la vie du bâtiment. L’attention est portée aux détails et au style ; les escaliers, le mobilier, les poignées de porte de style georgien ont été utilisés en tant que références pour ce projet Fig. 49-50.
Fig. 49 Poignée de porte, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009
Fig. 50 Escalier de la Galerie, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009
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Une multitude d’anecdotes et d’événements font la particularité d’un lieu. Ces événements et anecdotes ont formé la vision que les habitants ont de ce lieu. L’exploration de ces événements et leurs réinterprétations permettent de résoudre certains problèmes dans la construction ou nourrir certaine intentions de projets. La vision collective du lieu peut être affirmée ou requalifiée. L’appropriation des lieux passe aussi par la pérennisation de cette vision ou mémoire collective. Participer à cette vision collective du lieu peut permettre aux architectes de confirmer certaines pratiques où d’en implanter de nouvelles.
4. Au-delĂ de la contradiction entre Local et Global
Global I Local
4.1. Agir au local pour une transition globale
Nous avons vu comment les architectes en s’intéressant aux différentes caractéristiques des lieux peuvent trouver des propositions à intégrer dans leurs projets. Les actions que les architectes mènent à cette échelle peuvent contribuer à une transition à une échelle plus grande, à une transition globale. Agir au local leur permet par exemple d’affirmer leur vision sur un territoire. Ces actions au local participent à la construction d’une architecture contemporaine qui ne se contente pas de reproduire exactement la même démarche dans chaque projet mais qui, au cas par cas, s’adapte aux milieux traités. Cette attention portée aux milieux est un des éléments qui réunit les architectes cités dans ce mémoire.
1 Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique. Paris, France : La Découverte. p. 23.
Cette attention apporte une grande diversité de propositions, comme le souligne cette citation de Bruno Latour qu’il est intéressant de reconvoquer ici : « Passer d’un point de vue local à un point de vue global ou mondial, cela devrait signifier qu’on multiplie les points de vues, qu’on enregistre un plus grand nombre de variétés, que l’on prend en compte un plus grand nombre d’êtres, de cultures, de phénomènes, d’organismes et de gens » 1. Cette grande diversité démontre qu’une construction plus juste écologiquement, culturellement et socialement passe par un intérêt porté au local et participe à une manière de construire et de penser l’architecture à l’échelle mondiale. Il apparaît que les architectes de la biennale de Venise ont pu largement rendre compte de cette diversité et de ces préoccupations ainsi que de leur volonté de résoudre des problématiques globales par une action locale.
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En 2007 les architectes d’Amateur Architecture Studio ont été sélectionnés pour le Global Awards for Sustainable Architecture. Dans la même interview (cf. interview citée plus haut) Wang Shu explique que selon lui le développement durable concerne plusieurs autres domaines que l’écologie. Ces domaines doivent alors intervenir pour modifier ou ajuster nos modes vies afin de les rendre cohérents avec les mutations climatiques. Par exemple pour les architectes il conviendrait de trouver des systèmes afin de ventiler naturel-
4.1. Agir au local pour une transition globale
lement les habitats pour éviter toute les consommations liées aux techniques de ventilations mécaniques qui sont aujourd’hui très ancrées dans les modes de vies et les façons d’habiter. Les traditions participent au développement de techniques et de dispositifs naturels qui permettent de traiter ces questions de développement durable. Il faut alors savamment lier ces dispositifs naturels et d’autres artificiels afin de trouver des modes de construction plus respectueux de l’environnement. L’utilisation de matériaux issus de l’artisanat et de circuits courts devient également primordiale et permet par exemple de réduire l’empreinte carbone des chantiers. Cette vision d’Amateur Architecture Studio est assez caractéristique des démarches adoptées ces dernières années pour penser l’architecture. L’agence accepte aussi un certain rôle au travers de ces interventions comme celui de médiateur. Ce rôle vise à mettre en avant ces techniques grâce à la visibilité et à la pratique de leurs projets. Le but est d’habituer peu à peu les populations à habiter autrement, à habiter de façon adaptée aux divers bouleversements de l’ère dans laquelle nous vivons. L’agence BC Architects & Studies est également parfaitement consciente du rôle qu’elle doit jouer afin de promouvoir leurs démarches et ce qu’elles peuvent apporter. Ils organisent par exemple des workshops pour montrer les utilisations de la terre dans la création des éléments de construction Fig. 1. C’est également le thème de leur exposition à la biennale d’architecture de Venise. L’ensemble des éléments exposés est lié à des artefacts utilisés dans des projets récents à partir desquels ils montrent comment ils réinventent leurs pratiques en fonction des opportunités constructives. Leur contribution à cet état de transition du monde passe alors principalement par l’innovation constructive et par un retour à une économie de la construction plus locale ; « réduire la chaine des échanges marchands pour dynamiser l’économie locale » 2. Dans le livre « The act of Building » Fig. 2 ils présentent ces artefacts. Ils mettent en scène ces outils dans des histoires qui nous racontent le rôle des acteurs du projet ainsi que les différents processus utilisés créant ainsi une sorte d’image de leur pratique. Cette pratique est rendue possible par la création d’un réseau social spécifique qui facilite la création de liens avec des ingénieurs spécialisés, des artisans, des fabricants et des ouvriers qui par leur savoir-faire, leurs expertises de la construction peuvent appuyer la démarche des architectes. Le livre de Pauline Lefebvre, sur BC Architects & Studies, est axé sur le renouveau d’une démarche politique en architecture. Elle a côtoyé les architectes pendant quatre mois et elle a écrit ce livre qui sera ensuite un complément à l’exposition de la biennale de Venise.
Fig. 1 Blocs de Terre, Projet et Workshop pour une Maison de chasse, BC architects & studies, International Rammed Earth workshop, Belgique, 2012
Fig. 2 The act of building, Lefebvre, P. et BC architects & Studies, 2018
2 Fauve, C., 2014. L’architecture est contextuelle. Exemples de constructions vernaculaires contemporaines, Entente durable : bibliothèque à Muyinga. EK / EcologiK. n° 41. p. 76-77.
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Global I Local
3 Lefebvre, P., 2018. BC ARCHITECTS & STUDIES - THE ACT OF BUILDING. Antwerpen, Belgique : Flanders Architecture Institute. p. 133.
Fig. 3 Bio-climatic Preschool,BC architects + MAMOTH, Aknaibich, Morocco, 2014
Fig. 4 Bioklas fortv Edegem, Bc architects, Edegem, Belgique, 2015
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« En tant qu’agence Hybride, BC Architects & Studies pense que pour avoir un impact positif sur la société grâce à l’architecture, nous ne devons pas seulement nous concentrer sur la conception de son infrastructure, mais également repenser le processus de génération de celle-ci. Nous devons expérimenter le rôle que chaque membre d’une communauté joue dans l’acte de construire. Pour nous, une définition limitée d’un architecte professionnel ne suffit plus ; nous nous aventurons dans la production matérielle, la sous-traitance, la narration, le transfert de connaissances, l’organisation de communautés – et tout cela influence notre conception » 3. L’impact positif sur les milieux qu’ils traitent au travers de l’architecture, ne réside pas seulement sur la proposition d’une infrastructure pour la société mais dans le processus même de son élaboration. BC Architects & Studies porte un intérêt particulier à la terre en tant que matériel de construction car c’est une ressource qui est souvent disponible. L’excavation pour la construction d’un projet devient également le moyen de produire des éléments constructifs pour la suite de celui-ci. Cette proposition et cette recherche leur permettent de réduire l’empreinte CO2 des constructions mais également de transmettre un savoir-faire aux habitants du site afin que ceux-ci puisse continuer de construire. Chaque projet devient une opportunité pour développer de nouvelles façons de construire en s’inspirant des artisans et des matériaux locaux Fig. 3-4. Malgré la législation belge qui sépare les rôles et les interventions des architectes et des constructeurs, l’agence insiste pour prendre part à la construction de leurs projets. De cela résulte souvent des édifices simples dont les principes structuraux reposent principalement sur l’empilement de ces blocs de terre, qui ont aussi un impact sur les proportions du bâtiment en fonction du module utilisé. Afin de transmettre leurs techniques, ils organisent des workshops et donnent la possibilité à d’autres personne d’intervenir dans la mise en œuvre de ces techniques dans des projets concrets. Afin de pouvoir continuer à exercer ils diversifient leurs interventions en tant que consultants, constructeurs ou organisateurs de workshops. L’acte de construire devient une façon d’encourager une architecture plus durable. Leurs expérimentations sur les matériaux leur permettent également de se développer au point de vue économique, le modèle de l’agence est devenu plus hybride qu’une agence conventionnelle. L’objectif à long terme pour l’agence serait d’ouvrir grâce à leurs études une autre antenne nommée « BC materials ». Cette antenne permettrait d’utiliser les terres excavées pour les différentes constructions dans Bruxelles et ensuite être transformées en matériaux de construction, conditionnées, vendues et utilisées dans d’autres projets de la ville. Ce qui pourrait aider à populariser la démarche et à rendre les matériaux plus abordables.
4.1. Agir au local pour une transition globale
D’autres architectes se sont concentrés sur l’élaboration de techniques simples, s’inspirant de procédés de constructions vernaculaires qui pourraient être réutilisés dans d’autres projets. Le but est de trouver et fournir les moyens d’une construction plus efficace pour les milieux mais également plus juste vis-à-vis des conditions écologiques et climatiques mondiales. C’est le cas par exemple de Peter Rich dans le projet du du Mapungubwe Interpretation Centre. La technologie particulière utilisée pour ses arches a été développée dans l’idée de pouvoir être utilisée dans d’autres pays. C’est une technique peu coûteuse et efficace qui pourrait servir dans plusieurs contextes de pays en voie de développement par exemple. La construction ne nécessite pas de savoir-faire particuliers ou de constructeurs aguerris. Dans ce projet la construction est basée sur les matériaux locaux et la population locale. Durant toute sa carrière Peter Rich s’est engagé auprès des communautés de son pays et il est convaincu que l’architecte doit aller au-delà de son rôle de constructeur et doit adopter une posture militante dans l’aide au développement des communautés. Cette façon de penser l’architecture nous éloigne de la pensée moderne qui visait à démontrer une certaine domination de l’homme sur son environnement. Cette mise à distance du modernisme ne se concrétise pas seulement dans les milieux les plus démunis. Certains architectes, et ce depuis quelques décennies déjà, se positionnent contre une vision trop moderne du monde et de l’architecture, cette opposition a toujours cours aujourd’hui. Même dans des contextes où les ressources et les moyens pour faire projet sont plus accessibles, les architectes s’opposent à certains principes de la modernité. C’est le cas par exemple de Caruso St-John dont la renommée mondiale aujourd’hui, pose certains principes pour accompagner les architectes à aller au-delà d’une pensée moderne vers des pratiques qui s’appuient plus fortement sur les contextes des projets et aussi sur une forme plus intuitive. L’attrait de Caruso St-John pour la figure du mur et de la façade dans leurs travaux les éloigne de la recherche d’une vérité constructive. Ils se tournent plus vers l’expérience de l’édifice, mettant parfois en avant le caractère « phénoménologique » de leur architecture. Ces architectes ont fait leurs études dans les années 70 et 80, une période pendant laquelle on pouvait remarquer la réapparition de certains archétypes ou d’écritures classiques voir historicistes sous l’influence d’architectes comme Aldo Rossi et Michael Graves Fig. 5-6 par exemple. C’est peut-être à partir de cet héritage que les architectes ont décidé de développer un intérêt pour la figure du mur et pour la composition des façades. Adam Caruso dans El croquis n°166 dit : « il y a une autre raison pour laquelle nous utilisons l’histoire – et je dirais que l’idée d’une architecture monumentale vient de l’histoire de l’architecture – cette raison est que c’est un territoire totalement ouvert, il y a peu de personnes qui explore ou exploite ou développe ce territoire » 4.
Fig. 5 Casa Aurora, Aldo Rossi, Turin, Italie,1987
Fig. 6 Beatley Central Library, Michael Graves, Pierce Goodwin Alexander & Linville, Alexandria, Etats-Unis, 2000 4 Caruso, A. et St John, P. interview par Vittorio Aureli, P., 2013. Forma y Resistencia : Una conversacion con Caruso St John. El croquis, Caruso St John : Forma y resistencia, n°166. Madrid, Espagne. p. 15
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Les architectes trouvent étrange que ce champ des possibles ne soit pas plus exploité parce que c’est précisément cela qui, par exemple, confère aux villes européennes un caractère si particulier que les populations apprécient. Les architectes défendent l’idée que le plan d’un édifice est toujours le résultat de quelque chose, que ce n’est pas le « générateur » de l’architecture, en ce sens il peut être la résultante d’un contexte précis et non d’un diagramme. Ils ont toujours nourri l’idée que l’architecture devait être très intimement liée au lieu dans laquelle elle s’insère contrairement aux propositions de l’architecture moderne qui présentent parfois un caractère trop diagrammatique. Ils se sont beaucoup inspirés des mouvements artistiques des années soixante et soixante-dix comme le mouvement pop et neopop afin de créer une architecture plus libre, sans concept. Les architectes pointent le fait que l’architecture est toujours un discours autonome mais que cela ne veut pas dire que les édifices doivent être génériques ou abstraits. Inscrire l’édifice dans la spécificité du milieu permet aux architectes de contredire cette abstraction. Si l’édifice n’est plus abstrait il se doit alors d’établir une communication, un langage avec le milieu dans lequel il s’insère ainsi qu’avec sa culture. La responsabilité de l’architecture par rapport à l’art réside dans le fait que la peinture ne devient jamais une forme de réalité vécue. L’édifice doit pouvoir proposer une façon de remplir sa fonction correctement mais il doit en plus proposer une expérience spécifique qui le lie à certaines couches culturelles ou historiques. L’architecture de Caruso St-John va totalement à l’encontre de l’idée de la maison domino, le mur n’étant pas seulement une partition de l’espace. L’ornement dans l’architecture de Caruso St-John Fig. 7 n’est pas rajouté aux murs mais fait partie intégrante de celui-ci, le mur et la façade ne sont plus seulement des surfaces fonctionnelles. Chaque projet de l’agence montre un attrait particulier pour cette question mais on retrouve aussi dans leurs différents projets des approches différentes qui à chaque fois rendent compte de la singularité de chaque milieu traité. Fig. 7 Façade de la Bremer Landesbank, Caruso St John, Bremen, Allemagne, 2016
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Cette démarche permet d’appuyer les réflexions qui visent à se défaire de certains codes ou langages utilisés par les modernes. Les intentions de Caruso St-John permettent entre autre de pouvoir repenser les projets sous d’autres angles, modifiant ou alimentant ainsi les réflexions que nous pouvons avoir quant à l’utilisation de l’art en architecture ou dans la manipulation des éléments fondamentaux comme le mur, le pilier, la poutre etc. D’autres réflexions concernent plus le traitement des milieux habités que les figures. Affirmer la spécificité des milieux traités est quelque chose que l’on peut retrouver dans plusieurs travaux. Cela participe à l’affirmation de
4.1. Agir au local pour une transition globale
l’identité des territoires et parfois leurs permettent de se développer. Cette démarche nous la retrouvons dans les travaux de Gion A. Caminada. Gion A. Caminada est un architecte suisse originaire de Vrin au départ formé comme charpentier. Depuis 30 ans, il construit dans son village. Dans l’exposition qu’il a faite à la biennale d’architecture de Venise, il met en avant ce travail effectué sur ce village Fig. 8. Dans les années 1980 naît l’association Pro Vrin qui vise à améliorer les infrastructures du village pour contrer la perte de population. Les organisateurs de la biennale écrivent que la visite du village est le moment d’expérimenter « un tissage de contemporain et d’ancien, où les motifs existants sont réinterprétés, animés et transformés » 5. Le travail que l’architecte a effectué à Vrin établit une démarche spécifique. Il utilise le terme « cosmopolitanism » ou « cosmopolitisme » qui diffère de « globalism ». Ce terme définit sa pratique qui est de se concentrer sur un lieu tout en étant informé du fonctionnement du monde, « contrairement à la pensée mondialiste, le cosmopolitisme se concentre sur le singulier, sans perdre de vue le cosmos » 6. Il écrit dans son exposition à la biennale « l’architecture ne provient pas d’une autonomie limitée à elle-même, mais d’une riche autonomie qui provient du lieu - une autonomie qui est déterminée par le contexte local et ses caractéristiques, ainsi que par des influences extérieures » 7. Cette idée est totalement différente de celle de Valerio Olgiati par exemple, qui lui met en avant une certaine autonomie de l’architecture, une autonomie des espaces. Cette idée de l’architecture de Gion A. Caminada met en avant plusieurs points de vue développés dans mon mémoire. Le mouvement complémentaire dont parle Bruno Latour « s’attacher au lieu » et se « mondialiser » est très semblable au « cosmopolitisme » de la démarche de Gion A. Caminada.
Fig. 8 Photographie de Veser Vrin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
5 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Gion A. Caminada . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.109. 6 Caminada Gion, A., 2012. Conférence. Swiss Cultural Center. Css Paris. https://www. youtube.com/watch?v=mk9XziQVZEY
7 Caminada Gion, A., 2018 Veser Vrin. Biennale d’architecture de Venise. Venise, Italie
L’architecte cherche à démontrer que la tradition ne suffit plus à établir des conditions de vie suffisantes pour ce type de milieux, pour ces villages de montagnes. Il convient alors aux architectes comme de trouver des dispositifs afin de faire perdurer ces milieux et leur donner la possibilité de se développer. Le village de Vrin est situé à 4000 m d’altitude. Son économie est principalement basée sur l’agriculture et le tourisme. Entre 1950 et 1990, le village est passé de 500 à 260 habitants. L’économie et la vie sociale du village sont alors fortement menacées. Dans les années 80 l’architecte décide de s’installer dans le village pour y exercer et s’engage auprès de l’association Pro Vrin, pour « mettre en place une réflexion holistique sur la survie des villages de montagne » 8 . L’association obtient des fonds pour la rénovation de certains édifices du
8 Contal, M.H. et Redevin, J., 2017. Gion A. Caminada, Vrin, Suisse. Sustainable Design, Vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, n°5. Paris, France : Editions Alternatives. p. 18.
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Fig. 9 Abattoir et bâtiments agricoles, Mazlaria Caminada Gion, A., Vrin, Suisse, 1998
Fig. 10 Maison FunĂŠraire, Stiva da morts, Caminada Gion, A., Vrin, Suisse, 2002
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4.1. Agir au local pour une transition globale
village et lance également un soutien aux initiatives privées. Parmi ces initiatives, on retrouve le projet d’abattoir et de boucherie coopératifs en 1999. Cet abattoir constitue un atout majeur pour l’économie du village. L’idée est de fixer les agriculteurs dans le village par la réduction des intermédiaires et des distances qu’ils devaient effectuer pour transformer leurs produits. Le village a du accueillir de larges équipements destinés aux agriculteurs. L’abattoir est accompagné de deux bâtiments agricoles. La construction est simple, elle s’inspire des édifices du village sans mimétisme. Le socle de la boucherie est en béton revêtu de pierres locales, la structure du bâtiment en partie haute est en bois revêtue de panneaux OSB Fig. 9. Il a également conçu d’autres projets pour le village comme des maisons, la salle polyvalente, la maison funéraire, un arrêt de bus ou une cabine téléphonique. Gion A. Caminada a travaillé pendant sept ans sur le projet de la maison funéraire du village Fig. 10. Il a réfléchi avec les habitants sur une autre manière de faire son deuil dans la société contemporaine. Selon l’architecte, l’édifice est « pour ceux qui reste » 9 il doit alors évoquer la vie et le quotidien. L’édifice accueil aujourd’hui de nouvelles formes de rituels. La maison funéraire reprend une technique de construction couramment utilisée dans le village, du bois massif empilé. Cette masse de bois est sculptée à l’intérieur comme à l’extérieur afin d’articuler plusieurs espaces et différents degrés d’intimité. La masse est recouverte de peinture blanche rappelant l’église du village.
9 Schaub, C. 1996. Lieu, Fonction et Forme. L’architecture de Gion A. Caminada et Peter Zumthor. Television Rumantscha.
Il multiplie les interventions illustrant l’aspect holistique de sa démarche. Il intervient également en tant que consultant sur les problèmes économiques en mettant au point des systèmes pour développer l’économie sans figer le paysage. 40 % des habitants de Vrin sont des agriculteurs, on y retrouve de petites exploitations familiales, mais depuis quelques apparaissent des exploitations plus grandes. Le village s’est adapté à ces nouvelles formes avec l’aide de l’architecte, avec un programme de remembrent des parcelles, de construction de bâtiments agricoles et de routes afin de les desservir. Il est écrit dans le livre Sustainable design n°5 que « les édifices qu’il dessine tissent indissociablement les dimensions spatiales avec les enjeux symbolique, culturels et politiques » 10. Face à cette transition radicale à laquelle nous sommes confrontés, agir localement permet de créer pour chaque situation un outil spécifique adapté au contextes local et global. Dans les milieux les plus démunis l’architecte aujourd’hui se doit de concevoir des outils qui viseront à améliorer la qualité d’habitat des populations mais également de travailler dans le respect de l’environnement. Cette transition en architecture nous pousse également à revisiter notre héritage moderne. Celui-ci est très ancré dans nos méthodes
10 Contal, M.H. et Redevin, J., 2017. Gion A. Caminada, Vrin, Suisse. Sustainable Design, Vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, n°5. Paris, France : Editions Alternatives. p. 21.
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et nos fonctionnements mais il faut pouvoir aller au-delà et proposer des initiatives qui permettent d’affirmer les spécificités de chaque projet. La démarche de Caruso St-John est représentative et caractéristique d’une mise à distance du modernisme. Cette transition est l’occasion de nous interroger sur les préceptes modernes. En ce sens les propositions comme celles de Gion A. Caminada pourraient peut-être nous permettre de réussir à nous attacher au lieu et à nous mondialiser dans le même mouvement.
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4.2. Les images communes et la multiplicité des références
4.2. Les images communes et la multiplicité des références
Dans les parties précédentes il a beaucoup été question d’assumer par plusieurs moyens une certaine localité dans le projet d’architecture. Au travers d’un langage vernaculaire, de traditions et de l’histoire du lieu il est possible pour les architectes d’affirmer la situation du projet comme valeur d’exemple pour une transition globale de la pensée architecturale. La démarche de projet vise alors à créer des liens entre une intention particulière propre à l’architecte avec une autre dimension constructive, culturelle, historique, artistique intéressante pour le contexte du projet. Nous remarquons que certaines propositions se recoupent. Elles se recoupent soit de par une intention commune à plusieurs architectes, soit par l’utilisation d’une même technique, soit par l’utilisation de références communes. En architecture les références sont partagées et chaque pratique d’architecte peut se définir par certains intérêts portés à d’autres architectures, à l’art ou à d’autres formes de références. Ces références sont accessibles à tous et peuvent être communes à plusieurs architectes. L’utilisation de références en architecture permet aux projets d’intégrer un autre niveau de lecture, celui-ci peut alors rendre compte à la fois de sa spécificité et d’un héritage culturel plus vaste. Dans le projet de Raven Row de 6a architects nous remarquons que les architectes travaillent beaucoup à partir de références. Des références aux évènements du lieu ou au style georgien pour le mobilier. Néanmoins cette démarche ne les empêche pas d’utiliser des traditions japonaises de construction pour pouvoir mener à bien leur projet. Les références utilisées deviennent alors des références faisant appel à un imaginaire plus vaste. Cet imaginaire est parfois très spécifique comme la technique de bois brûlé utilisé dans le projet de Raven Row. Parfois aussi les références peuvent être bien plus larges et convoquer des images communes comme des archétypes. Dans sa démarche 6a architects reste connecté à un « monde d’idées ». Ils sont en quelque sorte les représen-
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tants en Angleterre d’une certaine liberté et d’une subversion intellectuelle qui leur permet de faire des projets possédant plusieurs couches de références et d’associations. Une façon de faire jusqu’alors très peu affirmée par leurs prédécesseurs en Angleterre. 11 Emerson, T. et McDonald, S. cité dans Donnely, B., 2017. 6A ARCHITECTS. The Last Magazine. https://thelast-magazine.com/6a-architects/
12 Emerson, T. et McDonald, S. cité dans Weaver, T., 2017. A conversation with Stephanie Mcdonald and Tom Emerson. El croquis, 6a architects, adecuaciones, n° 192. Madrid, Espagne. p. 13.
Dans l’ouvrage d’Irénée Scalbert « Never Modern », leur pratique est décrite comme hautement intellectuelle. Elle extrait de l’histoire les significations et pas seulement la matière. Leur approche devient narrative et dans chaque projet on peut y voir une sorte de récit qui essaie de lier les différents moments du lieu et du contexte. Leurs projets visent à « maintenir une continuité de la vie » 11 au travers de ces récits il devient en effet possible de redécouvrir et de transmettre. Tom Emerson dit de sa pratique qu’« établir des liens avec le passé par le biais de documents ou consigner l’avenir dans celui-ci n’est pas nécessairement une responsabilité mais un outil intéressant pour engager les gens » […] « Nous avons principalement parlé de l’histoire mais notre travail concerne fondamentalement l’avenir et doit permettre à la vie d’être utile, productive et agréable pour tous. Il est également bon de rappeler que nos projets ne seront pas nouveaux pour très longtemps. Avant même que nous en ayons conscience, ils appartiennent à la ville ou au paysage » 12. Dans la démarche de 6a architects, il ne s’agit pas de s’affirmer contemporain, ni de renier un héritage architectural. Il n’y a pas réellement de signature ou de style dans leurs œuvres mais nous pouvons y retrouver une façon subtile d’hybrider à la fois les histoires, les opportunités et les savoir-faire. Au travers de cette attitude de réemploi et d’hybridation chaque projet devient une opportunité spécifique au lieu dans la forme et la programmation. Ce qui pourrait laisser penser qu’il ne peut pas exister de déclin formel ou un style unique d’architecture tant les opportunités peuvent être variées. Le but n’est pas de reconditionner le passé ou les styles mais de se donner les outils nécessaires pour imaginer le futur. Le réemploi en plus des qualités écologiques qu’il représente prend une autre dimension qui est de l’ordre de la narration de multiples références et des différentes temporalités qui ont animé et qui animeront le lieu. Rester connecté à un monde d’idées implique que l’architecte doit en permanence pouvoir intégrer à sa pratique des références extérieures. La complexité du projet s’en trouve démultipliée. C’est peut-être la complexité de la pratique contemporaine qui fait émerger aujourd’hui beaucoup de collectifs.
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C’est le cas d’Assemble par exemple, leur pratique est assez spécifique. Lewis Jones, un des membres de ce collectif, livre dans une interview : « Je crois qu’il y a beaucoup de similitudes entre notre manière de travailler et une pratique
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artistique socialement engagée » 13, comme une approche « holistique » de l’architecture. Cet engagement social leur permet de ramener leurs interventions parfois très locales, très spécifiques, comme la manufacture, à une échelle plus grande, de ramener le traitement du particulier à celui de l’ensemble, vers le tout dans lequel il s’inscrit. La manufacture de Granby par exemple permet de créer des emplois et de stimuler une économie. « Nous nous intéressons collectivement à la possibilité d’utiliser le design pour enrichir le quotidien, le rendre plus joyeux et plus varié, pour permettre à la ville de répondre à une plus grande diversité de besoins et de modes de vie, d’être plus malléable et de soutenir différentes approches, besoins et significations » 14. Dans l’article de Domus « Assemble. Architecture can change (and improve) humans » publié le 25 novembre 2017 par Salvatore Peluso, il définit la pratique de Assemble en trois mots : « Responsability », « Interdisciplinarity » et « Pragmatism » 15. Au travers de ces trois orientations et des travaux qu’ils effectuent, il est possible de rapprocher leur démarche d’une tentative de conscientisation à la fois des architectes et des populations. En tant que collectif multidisciplinaire ils permettent la remise en question de la figure de l’agence « traditionnelle » d’architecture ainsi que celle de la place de l’architecte dans la conception et la construction.
13 Jones, L., cité dans Ferreira, E.,2015. Le Turner Prize se met à l’architecture DiY collaborative. Makery. http:// www.makery.info/2015/11/02/ le-turner-prize-se-met-a-larchitecture-diy-collaborative/
14 Dall, A. interview de Peluso, S., 2017. Assemble. Architecture can change (and improve) humans. Domus. https://www. domusweb.it/en/architecture/2017/11/25/assemble-usedesign-to-make-the-day-to-daymore-joyfull.html 15 Ibidem.
Au travers de ces trois orientations apparaissent plusieurs notions qui nourrissent leur démarche. La responsabilité exprime le rôle nouveau de l’architecte dans la société contemporaine. Ce nouveau rôle selon eux est de nourrir la réflexion sur la question du comment habiter la ville aujourd’hui. Cela passe par exemple selon l’article de Domus par une nouvelle manière de penser le principe « Man-Tool-Society » par lequel « chacun de nous est défini par la relation qu’il a avec les autres et avec l’environnement et par la structure de base des outils qu’il utilise » 16. Cette responsabilité qu’ils s’imposent les amène à travailler dans des contextes en marge, des morceaux de villes aujourd’hui abandonnés par toute planification urbaine. Ils s’associent à des communautés, à des institutions locales et à des associations afin de tenter de « recoudre les déchirures dans le tissus urbain » 17. L’interdisciplinarité est un des moyens de pouvoir mettre en œuvre correctement cette responsabilité qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Au travers des pratiques et des connaissances de chacun de ses membres, le collectif peut traiter un milieu de façon plus experte et certainement plus juste. Selon Amica Dall, membre du collectif, l’architecte est quelqu’un qui « ne pense pas qu’à la forme mais qui crée également les conditions qui permettent au projet d’être
16 Illich, I., 1974. Tools for Conviviality, Harper & Row, New York. Repris dans Ibidem.
17 Lussault, M., Fort, F., Jacques, M., Brugère, F., le Blanc, G., 2017. constellation.s : habiter le monde. Bordeaux, France : arc en rêve centre d’architecture & actes sud. p. 155.
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18 Dall, A. interview de Peluso, S., 2017. Assemble. Architecture can change (and improve) humans. Domus. https://www. domusweb.it/en/architecture/2017/11/25/assemble-usedesign-to-make-the-day-to-daymore-joyfull.html
réalisé, travaille avec les communautés locales et les encourage à se concentrer sur les problèmes et prendre des décisions, recherche des financements, développe des concepts et des plans de financements. En général l’architecte est capable de fournir un large spectre de service 18». Ce large spectre, le collectif peut le proposer en intégrant en son sein plusieurs pratiques et en les mettant sur un pied d’égalité. Le pragmatisme c’est la volonté de mener le projet jusqu’à son terme. Le collectif met l’accent sur comment conférer à toutes leurs constructions une esthétique particulière. Cette esthétique est la marque de leur intervention. Ils ont une vision pragmatique du processus collaboratif. L’architecte est responsable de la qualité de la mise en œuvre du projet.
19 Ibidem.
Selon Amica Dall : « Engager délibérément une collaboration est également assez autoritaire, mais vous ne pouvez faire cela sans une idée de la façon dont cela pourrait se produire. […] En outre, la collaboration n’est pas la négociation de quoi et de comment concevoir, mais bien de définir les problèmes ensemble et de passer du temps dans le contexte dans lequel vous pratiquez et avec la communauté, cela consiste à vous immerger dans cette réalité précise » 19. Leurs projets permettent de requestionner la place des habitants dans le processus de projet. Les habitants peuvent intervenir dans la conception, la construction et ont le pouvoir de continuer cet engagement au-delà de l’intervention du collectif. Dans le cas du projet de Granby Four Streets par exemple, les habitants ont eux-mêmes contribué à établir les références utilisées dans le projet Fig. 11. Cette vision de la collaboration et du collectif devient alors un outil, un outil qui permet d’observer et de s’immerger dans la réalité d’un milieu. Dans le cas de Assemble ces références extérieures sont amenées par leur définition spéciale de la pratique de l’architecte et par les différentes figures qui composent l’agence. Les communautés permettent aux architectes d’intégrer des références extérieures à leurs projets.
Fig. 11 Maisons de Granby Four Streets Liverpool, UK
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Multiplier les figures, les points de vue et les références est sans doute un des moyens de se confronter à la complexité des milieux que l’on traite. Intégrer ces réflexions extérieures permet de mettre en avant la capacité des lieux à se métamorphoser, ces propositions visent également à enrichir le quotidien du milieu. Le traitement du milieu n’est pas seulement issu des réponses des architectes à son contexte mais devient également une opportunité pour établir des liens culturels plus vastes permettant de renouveler les propositions. Le traitement du milieu dans ce cas n’est jamais la reproduction d’une situation existante. La diversité des propositions naît des spécificités du milieu d’une part et des références et de la vision de l’architecte d’autre part. Pour illustrer
4.2. Les images communes et la multiplicité des références
cette démarche nous pouvons analyser la pratique de Valerio Olgiati. Parfois extrêmes, ses œuvres tendent à définir un objet purement architectonique, mais intéressantes par le regard qu’il porte sur la référence en architecture. Valerio Olgiati est un architecte suisse qui exerce dans son agence depuis 1996 et avec son épouse depuis 2008. Il est également professeur et a exercé dans plusieurs écoles et universités notamment à Londres, New York, Cambridge et aujourd’hui en Italie. A la biennale de Venise, Valerio Olgiati recrée un espace dans l’espace en organisant dans la salle de la corderie une série de colonnes blanches Fig. 12 au travers desquelles il y a juste assez d’espace pour déambuler. Le but est de sensibiliser les visiteurs aux qualités de l’espace de la corderie en les confrontant à un contraste, à une nouvelle image créée par ces colonnes éphémères qui viennent compléter celles existantes. Les organisateurs de la biennale mettent en avant le fait que cette exposition est assez représentative de la pratique de Valerio Olgiati dont chaque projet peut être perçu comme un exercice précis sur un élément spécifique d’architecture (espace, atmosphère, matériau, structure). Dans le texte rédigé par les organisateurs de la biennale pour présenter le travail de Valerio Olgiati on retrouve ces mots : « Croyant à l’universalité des idées et des concepts comme point de départ et à la capacité de l’architecture à apporter une nouvelle conscience aux conditions existantes, l’étranger informe le familier » 20. A partir de la pratique d’Olgiati nous pouvons postuler que la référence devient un élément primordial du projet, une référence qui peut prendre des formes très diverses. L’architecte ne se cache pas de cette démarche et la prolonge dans beaucoup de ses écrits et travaux comme dans son Autobiographie Iconographique par exemple ou dans « The images of architects ». L’image est ici considérée à travers sa capacité à pouvoir relater plusieurs faits. L’architecture de Valerio Olgiati n’est pas aussi contextualisée que dans d’autres pratiques comme celles de Amateur Architecture Studio ou de Caruso St-John qui voient une opportunité de projet d’architecture dans des contextes spécifiques et qui les traitent en prenant le contexte comme point de départ. Ici, l’opportunité émane de l’espace créé, de l’objet architectonique, de l’expérience proposée. Le contexte devient prétexte à accueillir une nouvelle expérience. Nous pouvons néanmoins retrouver des similitudes avec l’approche de 6a architects dans l’idée de liberté de convocation et d’appropriation de références et dans l’attrait pour l’image en tant que référence de projet. Il dit de son travail à la biennale de Venise que c’est une intensification de l’expérience spatiale qui de loin se voit comme un objet d’architecture et dont la pratique le transforme en un espace qui nous plonge dans une nouvelle lecture, à la fois émotionnelle et intellectuelle. Au
Fig. 12 Photographie de Experience of Space, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 20 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Valerio Olgiati . Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.145.
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Fig. 14 Autobiographie Iconographique, Olgiati, V.
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4.2. Les images communes et la multiplicité des références
milieu des colonnes nous pouvons regarder projeté sur le sol, le film « The construction of Villa Além » de Ana Resende, Miguel Tavares,Tiago Costa et Rui Manuel Vieira, réalisé en 2017. Le film retrace la construction de la Villa Além Fig. 13, dans le sud-ouest du Portugal, que l’architecte et sa femme ont imaginée pour y vivre une partie de l’année. Ce film n’est pas réellement destiné à expliquer la construction de la maison mais plutôt à montrer les singularités des espaces créés et une opportunité d’expérimenter un travail spécifique. Les moyens d’expression sont réduits ; pas de voix et pas d’explications pour nous guider. La vidéo agit comme une référence libre d’interprétation et de retranscription comme les différentes images de l’autobiographie de l’architecte Fig. 14.
Fig. 13 Villa Além, Olgiati, V., Portugal, 2014
On serait en droit de craindre cette idée de la convocation de la référence parce qu’elle pourrait nous amener à ne regarder que les mêmes choses et recopier, reconditionner sans cesse. En regardant l’autobiographie de Valerio Olgiati, nous remarquons que les références sont extrêmement diverses, à un tel point qu’on se demande comment il est possible de les convoquer dans un même contexte tellement elles peuvent être éloignées. Il semble que ce soit tout l’intérêt d’un tel travail. Indépendamment chaque référence peut faire sens en tant qu’image, c’est l’association ou la hiérarchisation de quelquesunes d’entre-elles qui nous donne des clés de lecture pour comprendre les espaces produits par l’architecte. Dans tel ou tel cas, chaque référence ne semble pas avoir eu le même impact néanmoins le tout qu’elle constitue, l’autobiographie, est la formulation la plus précise que l’on pourrait faire des intentions et des idées de l’architecte. L’architecte souhaite aller au-delà de cette démarche et idéalement tendre vers une architecture non référentielle tout en étant conscient que cet objectif n’est peut-être pas atteignable. Contrairement à la démarche de 6a arhitects, la référence chez Olgiati n’agit pas comme un élément narratif ou comme un élément à incorporer au projet mais comme un objet qui permet la discussion sur une idée de projet. Les références sont là pour organiser une idée de projet qui n’est pas prédéfinie mais issue d’un schème mental. Les références sont là pour la discussion et l’élaboration de cette idée. La transposition des références dans le projet n’est pas directe, elles sont une matière de réflexion à la conception d’un « non-design ». L’approche est peut-être inspirée par l’Atlas Mnemosyne de Aby Warburg Fig. 15 qui à l’époque a renouvelé l’utilisation et les conditions de lecture des images. L’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman dans l’article « L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg » évoque cet atlas. Il y explique comment l’image peut être considérée comme un processus heuristique, processus inspiré de la notion de
Fig. 15 Atlas Mnemosyne , Aby Warburg, Allemagne, 1921-1929
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lisibilité de Walter Benjamin.
21 Walter Benjamin repris dans Alloa, E. et Pic, M., 2012, « Lisibilité/Lesbarkeit », Trivium [En ligne], 10 | 2012, mis en ligne le 30 mars 2012, consulté le 04 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/ trivium/4230
Muriel Pic et Emmanuel Alloa reprennent ces deux thématiques et cite « Le livre des passages » de Walter Benjamin : « L’écriture, qui avait trouvé un asile dans le livre imprimé, où elle menait sa vie indépendante, est impitoyablement trainée dans la rue par les publicités et soumise aux hétéronomies brutales du chaos économique ». Et précise à partir de cette citation : « Désormais, il n’y a plus d’espaces ou de temples qui indiquent les textes fondateurs qu’il faut apprendre à lire : il faut apprendre à tout lire, indifféremment, mais en exerçant un esprit critique, en s’armant d’un regard oblique » 21. En architecture il convient de considérer les références selon ces mêmes critères, « en exerçant un esprit critique ». C’est cet esprit critique qui nous conduit à renouveler nos propositions et à établir les conditions dans lesquelles il nous semble pertinent d’agir. En multipliant les références, les figures avec lesquelles nous exerçons, nous pouvons constamment remettre en question notre vision du projet, créer des discussions qui nous confrontent à la réalité du milieu et de son quotidien. La proposition qui découlera de ces discussions sera certainement plus riche, plus juste dans la métamorphose qu’elle opère. Cette capacité de l’architecture à pouvoir lier spécificités et universalité en fait également un outil de transmission des savoirs, des cultures et des techniques. Les approches comme celle de Assemble constitue une dynamique en Angleterre qu’il semble pertinente d’amplifier et qui propose à travers leurs projets des exemples pour d’autres architectes ou d’autres initiatives. Les démarches de Peter Rich ou BC architects visent également à promouvoir ce savoir-faire. Les approches par la référence nous permettent de cultiver les traditions locales et les savoir-faire en nous donnant la possibilité d’y incorporer une autre dimension qui engagera le lieu dans sa métamorphose.
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4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
Dans plusieurs des pratiques énoncées dans ce travail, nous remarquons que les architectes puisent dans d’autres disciplines, se nourrissent de différentes références, de différentes initiatives politiques ou communautaires. Ces associations entre l’architecture et le contexte culturel, social et politique dans lequel elle est construite permettent de proposer de nouveaux dialogues entre édifice et milieux entre archaïque et contemporain mais aussi entre global et local. Ce qui ancre l’édifice dans son milieu, qui lui confère sa localité, devient un prétexte pour se confronter à des problématiques plus larges comme celle de l’écologie. Le projet d’architecture peut devenir la façon pour le milieu de s’émanciper et de participer à des dynamiques de construction territoriales plus larges. « S’attacher au lieu » et se « mondialiser » participent à la métamorphose des milieux, à l’émancipation des traditions locales qui dans leurs répétitions ne pourraient pas à elles seules fabriquer des propositions innovantes. Les pratiques des architectes doivent aussi pouvoir s’émanciper de la continuité historique dans laquelle elles s’inscrivent. Réinitialiser les pratiques en architecture peut passer par un certain recul par rapport à notre éducation, à notre culture et aux méthodes qui nous ont été transmises. Stéphanie Macdonald et Tom Emerson de 6a architects ont des parcours assez riches et différents. Du parcours de Stéphanie Macdonald nous pouvons principalement retenir qu’elle a toujours voulu lier art et architecture de façon intime et aujourd’hui encore elle y accorde beaucoup d’importance. Tom Emerson dans une interview effectuée par El Croquis rapporte qu’au moment de ses études dans les années 1990, il se trouvait dans une période charnière pour l’architecture contemporaine. Dans ses études la plupart des travaux étaient orientés vers une architecture plutôt « high tech » ou orientés vers les théories du déconstructivisme des USA (Morphosis, Libeskind, Eisenman) Fig. 16-17. Pour lui le moment révélateur de cette transition a été une conférence de Herzog & de Meuron alors peu connus qui lui a ouvert
Fig. 16 Greater Columbus Convention Center, eisenman architetcs, Columbus, Etats-Unis, 1993
Fig. 17 Salick Healthcare Administrative Headquarters, morphosis, West Hollywood, Etats-Unis, 1991
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Fig. 18 Making do and getting by, Wentworth, R.
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4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
une porte sur une autre façon de voir l’architecture, une expression selon lui plus sobre dont la force est tirée principalement du matériau qui instaure un langage particulier à l’édifice. Les deux architectes ce sont rencontrés à la fin de leurs parcours quand ils décidèrent de rejoindre la Royal College of Art. Cette école leur a permis d’approfondir d’autres pratiques grâce aux workshops et aussi aux rencontres qu’ils ont pu y faire. Ils ont tous les deux choisi cette école car ils y voyaient une opportunité de se former sans le « bagage idéologique » que possède d’autre départements d’architecture dans l’université Anglaise. « … the architect, the writer and the artist. These three people become our bearings » 22. Pendant les années passées à la RCA ils ont rencontré l’artiste Richard Wentworth. Ils se sont familiarisés avec les écrits de Georges Perec par l’intermédiaire d’un ami. Ils ont appris énormément de leur professeur Tony Fetton, cela leur a permis entre autre d’établir leur pratique de l’architecture. Malgré la déception qu’ils affichent pour leur éducation, les architectes affirment que ces études leur ont bien plus apporté socialement qu’académiquement. Selon eux l’enseignement de l’école ne se portait pas assez sur le collectif et la culture. Ils se sont alors émancipés de cette éducation initiale pour suivre une éducation qu’ils se sont faites eux-mêmes en s’ouvrant à toutes sortes de références ; littéraires, cinématographiques ainsi qu’en se familiarisant avec les références des architectes dont les pratiques leur semblaient pertinentes comme celle d’Alvaro Siza par exemple.
22 Emerson, T. et McDonald, S. cité dans Weaver, T., 2017. A conversation with Stephanie Mcdonald and Tom Emerson. El croquis, 6a architects, adecuaciones, n° 192. Madrid, Espagne. p. 9.
Les travaux de Richard Wentworth ont beaucoup inspiré les architectes et notamment le travail photographique « Making Do and getting by » Fig. 18 que les architectes cite à plusieurs reprises, notamment Tom Emerson dans sa conférence donnée à l’ETH de Zurich intitulé « We were never modern ». Ce travail photographique a été initié dans les années 70. Richard Wentworth arpente des villes et leurs périphéries afin d’y photographier les interstices de la ville, les espaces vides, abandonnés. Ces espaces rendent compte des fluctuations de la ville et de sa vie, de ses déformations sur plusieurs temporalités. Le classement de ces photos constitue une base de données assez importante et nous pouvons y voir aussi un outil sur lequel historiens de la ville, architectes etc. peuvent s’appuyer. Ce recueil devient quelque chose de didactique pour engager des études ou des conversations. Ces anecdotes de la ville retracent sa mémoire et la mémoire du parcours du photographe « comme les blessures ou les cicatrices d’un corps, ce sont des marques précises qui rappellent des situations émotionnelles » 23.
23 Wentworth, R. cité dans Soyez-Petithomme, C., 2001. Making Do and Getting By. Multitudes, Majeure 46. Une gauche économique crédible ?, Icônes 46. http://www. multitudes.net/making-do-andgetting-by/
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Fig. 19 Granby Worshop, Assemble, Granby Four Streets Liverpool, UK, 2015
Fig. 20 Fabrication des carreaux de cĂŠramiques pour la Sala Chini, Granby Worshop, Assemble, Granby Four Streets Liverpool, UK, 2015
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4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
L’artiste est le passeur de ces « tactiques des usagers qui rusent avec les « occasions» et qui, par ces événements-pièges, lapsus de la visibilité, réintroduisent partout les opacités de l’histoire. » Il transmet ce façonnage de l’espace et nous offre à rebours les traces de la résistance contre « la substitution d’un non-temps, ou d’un temps synchronique » instauré par le concept de ville » 24. Cette démarche est liée à la vision qu’exprime Tom Emerson de l’architecture dans sa conférence, il faut pouvoir ruser avec les opportunités. Ces pratiques de la ville photographiées par Richard Wentworth sont aussi liées à l’idée de bricolage. Les pratiques, la forme et la transformation du lieu sont initiées par ce que nous avons sous la main, par ce que le lieu nous propose. Comme je l’ai déjà exprimé dans la partie précédente, à l’époque ces architectes étaient parmi les premiers en Angleterre à alimenter leurs travaux par des références extérieures à leur discipline. Ils se sont émancipés eux-mêmes de l’éducation plus traditionnelle qui leur était proposée. Cette émancipation participe au renouvellement des pratiques en agence, aux cours des dernières années sont apparus beaucoup de collectifs, c’est le cas par exemple d’Assemble. Les différents projets qu’ils traitent visent à faire, à construire des objets et à faire en sorte que d’autres choses se produisent au travers de la dynamique qu’ils instaurent « both making things and making things happen » 25. L’objectif est certainement de trouver dans chaque opportunité une manière de construire des projets qui induiront d’autres actions bénéfiques pour le milieu traité. Le projet n’est pas seulement un édifice mais un cycle, une succession d’actions et d’événements. Cette démarche vise aussi à briser une distance entre les habitants, les populations et la fabrication des lieux qu’ils habitent. Le public est intégré au processus de projet et peut-être que cela permet de le conscientiser sur l’état du lieu et sur les possibilités de transformation et d’améliorations qu’il contient.
24 Wentworth, R. cité dans Soyez-Petithomme, C., 2001. Making Do and Getting By. Multitudes, Majeure 46. Une gauche économique crédible ?, Icônes 46. http://www. multitudes.net/making-do-andgetting-by/
25 Dall, A. interview de Peluso, S., 2017. Assemble. Architecture can change (and improve) humans. Domus. https://www. domusweb.it/en/architecture/2017/11/25/assemble-usedesign-to-make-the-day-to-daymore-joyfull.html
Les identités de chacun sont mises de côtés, ils agissent toujours en tant que collectif. Ils ont présenté à la biennale leur exposition « The Factory Floor » dans la Sala Chini Le sol de la salle est recouvert de 8000 carreaux de céramiques créés par le Granby Workshop Fig. 19-20 de Liverpool, chaque carreau est unique. La matérialité, seule, vient alors créer un nouveau territoire au sein de la biennale. L’objectif était aussi de réinventer une technique traditionnelle de fabrication de carreaux de céramiques et de conférer à la manufacture un savoir-faire qui devient alors spécifique. Le retravail sur une technique traditionnelle participe à la fois à la promotion et à l’émancipation de cette même technique. Les carreaux sont fabriqués avec différents morceaux d’argiles colorés moulés et compressés à haute pression. « Chacun de ces carreaux capture un moment de chance dans l’acte de fabrication et ils sont tous différents » 26.
26 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Biennale architettura 2018 : Short Guide, Assemble. Venise, Italie : La biennale di Venezia. p.43.
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Pour répondre au manifeste « FREESPACE » la démarche a été de mettre en avant un savoir-faire spécifique et une générosité matérielle issus à la fois d’une méthode expérimentale et d’une tradition, en découle un processus qui peut être agréable et qui surtout constitue un défi technique. Ce sol de céramique est aussi une référence assumée aux sols des églises et aux bâtiments institutionnels de l’époque victorienne très décoratifs et qui ont été à l’origine d’une industrie de la céramique en Angleterre Fig. 21-22-23. Fig. 21 St-George’s Hall, Harvey Lonsdale Elmes et Sir Charles Cockerell, Liverpool, UK, 1854
Fig. 22 Sala Chini, The factory floor, assemble, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
Fig. 23 Carreaux de céramiques, The factory floor, assemble, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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La manufacture de céramique Ganby Workshop a été créée en 2015 par le collectif lui-même. Elle fait partie du projet Granby Four streets pour lequel le collectif a gagné le Turner Prize la même année. La manufacture de Liverpool participe à la vie de la zone de Granby en créant quelques emplois et participe également à la reconstruction du quartier. Cette proposition peut paraître anecdotique mais constitue pourtant un exemple qui permet de mettre en avant une tradition, un lieu et une innovation. C’est également ce que tente de faire l’agence BC architects & studies dans la promotion de leurs techniques de construction. Paradoxalement cette émancipation de la culture locale participe à la promotion de cette même culture. C’est encore une fois ce mouvement complémentaire entre local et global qui donne la capacité à certains territoires de pouvoir participer à la mondialisation. Dans le cas ci-dessus l’intervention du collectif participe à la promotion d’une technique particulière. A la biennale d’architecture de Venise nous retrouvons plusieurs fois la même démarche mais sous des formes différentes, c’est le cas de l’exposition de l’agence Andramatin qui vise à mettre en avant une architecture tropicale par exemple. La pratique de l’architecte Isandra Matin Ahmad a énormément œuvré à la fabrication d’une nouvelle image de l’architecture indonésienne. Entre constructions vernaculaires, influences modernes et contemporaines, l’architecte aujourd’hui est un des représentants du renouveau de l’architecture traditionnelle de son pays. L’architecture indonésienne est très spécifique. Avant 1998 le président indonésien avait le contrôle total sur les projets architecturaux et les constructions du pays. Les architectes ne pouvaient s’exprimer librement. Le président décidait lui-même de certaines constructions et très peu d’architectes ont osé dépasser les limites qu’il imposait. Il a favorisé durant toute ces années la construction d’un style international ou à l’inverse très régionaliste, autant dans les ouvrages publics que privés. Les architectes contemporains en Indonésie ont reçu un héritage très moderne et certains essaient aujourd’hui de redonner une nouvelle image à cette architecture. Une image exprimant mieux leur culture, leur climat et surtout moins restrictive.
4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
Les styles international et traditionnel javanais sont très représentés dans le pays Fig. 24. Andra Matin Ahmad, malgré le régime politique, décide de fonder un groupe d’architecte le Arsitek Muda Indonesia (AMI) : Young Indonesian Architects afin de tenter de changer l’image de l’architecture indonésienne qui perdure depuis des années. La démarche n’est pas de mettre fin aux traditions constructives javanaises mais de développer un autre style d’architecture qui permettrait aux étudiants et architectes de pouvoir s’exprimer plus librement en s’émancipant un peu des styles régionaux et internationaux. Avant 1998 il faut savoir que l’archipel indonésien ne comptait qu’une vingtaine de grandes agences d’architecture réunissant des milliers d’employés, cela permettait au président en place d’avoir un contrôle plus précis des constructions. Après la fondation du groupe AMI, l’architecture et les agences se sont alors diversifiées, la création de ce groupe a eu un effet sur les générations suivantes qui aujourd’hui encore participent à la diversification des pratiques de l’architecture en Indonésie.
Fig. 24 Maison traditionelle Javanaise, Bawu, Indonésie, 1910-1940
Andra Matin Ahmad est un des premiers architectes à créer une agence et à avoir une pratique indépendante à la fin du régime de Suharto en 1998. L’architecte au cours de ces années a réussi à construire un grand nombre de projets dans son pays et un grand nombre de programmes différents : logements, musée, mosquée, parcs, restaurants etc. Il dit dans une interview pour le Jakarta Post : « Comme nos collègues dans l’art contemporain et dans la mode l’ont fait, je veux que l’architecture indonésienne ne regarde plus dans le passé ni dans le présent mais vers le futur » 27. Dans sa pratique Andra Matin Ahmad a toujours voulu modifier ou mettre en avant une nouvelle image de l’architecture indonésienne avec le collectif AMI notamment. Il est aujourd’hui un des mentors d’une nouvelle génération d’architectes indonésiens. Il se réfère beaucoup au Japon et a une grande admiration pour les architectes japonais qui selon lui n’ont pas peur d’assumer leur différence. Il cite par exemple Kazuyo Sejima qui a travaillé longtemps pou Toyo Ito et qui a su se démarquer par son caractère et son architecture. Il pense que si chacun des jeunes architectes d’aujourd’hui peut développer sa pratique spécifique cela ne pourra qu’enrichir l’architecture indonésienne qui a répété et stagné durant trop d’années. Sa participation à une nouvelle architecture tropicale est encore un peu intimiste et malgré des qualités reconnues par plusieurs grandes figures dans le monde comme Rem Koolhas, l’architecte espère continuer sa pratique dans une certaine intimité et il dit lui-même qu’il a toujours considéré l’architecture comme un hobby plus que comme un métier. La posture d’Andra Matin Ahmad a permis d’initier une émancipation de l’architecture indonésienne à tous les niveaux ; de la conception au modèle de l’agence d’architecture.
27 Matin Ahmad, A., et Arditya, A., 2014. Andra Matin: Contrasting Harmony. The Jakarta Post. https://www.thejakartapost.com/news/2014/07/08/ andra-matin-contrasting-harmony.html
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Le double mouvement que la modernisation avait rendu contradictoire selon Bruno Latour : « s’attacher au lieu » et se « mondialiser » se remarque entre localité affirmée et la volonté des architectes à vouloir instaurer ou participer à des dynamiques plus grandes. Entre le global et le local ou entre l’ici et l’ailleurs il est possible de trouver des projets innovants dont on peut s’inspirer soit dans leurs formes, leurs constructions soit dans la démarche. Dans certaines pratiques ce mouvement entre ici et ailleurs est constant. Dans le cas de Valerio Olgiati cet ailleurs lui permet de prendre position par l’image ou de remettre en cause sa propre production par ses références iconographiques. Considérer l’image en tant qu’outil de prise de position et de remise en question permet de pouvoir créer des liens culturels entre les projets. Ces images sont une nouvelle clé de lecture des projets. La tradition crée des références. Les références chez Valerio Olgiati sont tellement remaniées qu’elles participent plus à la conception d’un outil de réflexion plutôt qu’à la conception de l’édifice lui-même. Ici la tradition n’est pas reproduite ou recopiée mais intégrée à un processus complexe de création. Chaque projet est pour Valerio Olgiati une opportunité de remettre en question sa pratique de l’architecture.
28 Olgiati, V. cité dans Breitschmid, M., 2011. El inventario conceptual de Valerio Olgiati . El croquis, Valerio Olgiati, afinadas discordiancias, n° 156. Madrid, Espagne. p. 19.
Dans une interview effectuée par le magazine El croquis, Valerio Olgiati explique que selon lui le rôle d’un architecte envers la société est d’être son instrument pas au sens de servant de cette société, mais que l’architecte se doit de donner une expression radicale de cette société. L’architecture doit en proposer une vision précise et aiguë. L’architecture doit offrir à celui qui la contemple une façon de se l’approprier, de s’en soucier, de prendre conscience des idées, des principes qui la soustendent. Selon Valerio Olgiati son architecture n’est pas provocatrice, elle vise à être le « support de notre société à entrer dans sa prochaine étape » 28. Sa pratique le mène à penser que la société a besoin de réévaluer constamment ses valeurs et que rien n’est jamais « gravé dans le marbre ».
Fig. 25 Entrée du parlement du canton des Grisons, Olgiati, V., Chur, Switzerland, 2010
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Selon lui la réaction du public est sensiblement la même lorsque celui-ci est confronté à un édifice particulier mais sa façon de réagir diffèrera selon la relation qu’entretient ce même édifice avec son milieu. On peut prendre comme exemple le projet de l’entrée du parlement du canton des Grisons Fig. 25 . Ce projet par sa forme a induit une réaction forte du publique, l’architecte confie que c’est justement cette réaction qui lui a plu et qu’il trouvait pertinent que le public se pose la question de ce signifie ce projet. Cela favorise la capacité du public à gérer le nouveau en le rendant plus « agile » plus critique envers le renouveau de leur quotidien et de leur société.
4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
Dans cette même interview, l’architecte dit que selon lui le renouveau de l’architecture doit venir que de la discipline elle-même et qu’il ne porte que peu d’intérêt aux autres disciplines (philosophie, art, sociologie, mathématiques, etc.). Selon lui seule l’architecture peut établir les relations entre les espaces, les objets et les atmosphères. La dimension phénoménologique de l’architecture, par exemple, existe mais il ne serait pas indispensable de baser un projet sur cette dimension. L’élaboration des projets d’Olgiati est alors purement architectonique, la plupart de ses références iconographiques sont fortement liées à l’architecture. Dans l’interview retranscrite dans El croquis reprise par Jacques Lucan dans Précisions sur un état présent de l’architecture, Valerio Olgiati fait un parallèle avec l’approche phénoménologique de l’architecture et l’art minimaliste, il dit : L’art minimal « était si focalisé sur le fait d’essayer de ne rien représenter que sa tentative de ne rien représenter devenait son seul critère » 29 Jacques Lucan ajoute à cela une citation de Mikel Dufrenne « J’ai souvent suggéré – dit-il – que l’expérience esthétique la plus authentique était une expérience sauvage qui, pour se vouer à l’objet, pour se laisser surprendre et fasciner par lui, comme par l’insolite, pour jouir de lui, devait se libérer des habitudes, des préjugés et des normes que lui impose la culture. Donc, se déculturer ? Oui, mais peut-être n’est-ce pas si aisé : n’est pas naïf qui veut ; cette spontanéité, cette fraîcheur du regard ou de l’audition, il faut la conquérir, et peut-être à force de culture : il faut beaucoup de culture pour se délivrer de la culture, et peut-être ne peut-on s’en délivrer un moment qu’après en avoir exploité les ressources » 30. Dans la première partie, a été abordée la notion de Trans-culturalité, qui me semble ici appropriée pour parler de l’architecture de Valerio Olgiati et il semble que cela rejoint les propos de Dufrenne dans cette citation. Sa volonté de créer une architecture non-référentielle ou non référencée, un objet purement architectonique, est assez contradictoire car tout objet semble agir par rapport à un référent, le référent peut être le cadre, les objets qui l’entoure, le contexte de la découverte de l’objet. Il est sans doute impossible de s’affranchir totalement d’une matrice culturelle quelconque qui oriente notre expérience.
29 Olgiati, V. cité dans Breitschmid, M., 2011. El inventario conceptual de Valerio Olgiati . El croquis, Valerio Olgiati, afinadas discordiancias, n° 156. Madrid, Espagne. p. 32.
30 Dufrenne, M., 1981. L’inventaire des a priori, Recherche de l’originaire. Paris. p.296-297. Repris dans Lucan, J., 2015. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne, Suisse : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes. p. 150.
L’image comme processus heuristique est ici une façon de prendre en compte les propos de Dufrenne. L’autobiographie iconographique de Valerio Olgiati est sans doute le moyen pour lui de se « délivrer de la culture » par la culture. L’approche très architectonique d’Olgiati permet d’apporter une nouvelle image à un milieu. Sur certains territoires accueillir une proposition architecturale forte mais juste, peut agir comme le déclencheur d’un nouveau développement et d’une nouvelle richesse. 131
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31 Contal, M.H. et Redevin, J., 2017. Gion A. Caminada, Vrin, Suisse. Sustainable Design, Vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, n°5. Paris, France : Editions Alternatives. p. 23.
Affirmer l’identité et la transition du territoire peut passer par d’autres méthodes. L’architecture de Gion A. Caminada semble allier à la fois tradition et démarche visant à inscrire les territoires dans leur contexte contemporain. Il est écrit dans Sutainable Design N°5 : « Si les architectures de Gion A. Caminada se nourrissent des matériaux et des imaginaires locaux, elles convoquent tout autant des archétypes, des formes architecturales, des émotions et des sensations qui résonnent en chacun bien au-delà des frontières des Grisons. En cela, l’architecte défend une vision cosmopolite de l’architecture comme de l’existence » 31. L’architecte propose neuf thèses pouvant permettre aux territoires excentrés, comme celui de Vrin, de se développer de manière autonome. Ces neuf thèses visent à lutter contre deux types d’aliénations qui menaceraient ces territoires. La première aliénation est la sacralisation et la muséification des territoires. La seconde est la soumission aux normes et aux techniques industrialisées qui les homogénéisent.
31 Caminada Gion, A., interview dans Possibility of the architecture - Area activation and pormotion of diversity: Architecture and Urbanism,Gion A. Caminada, n° 541. p. 10
32 Caminada Gion, A., interview dans Possibility of the architecture - Area activation and pormotion of diversity: Architecture and Urbanism,Gion A. Caminada, n° 541. p. 10 33 Ibidem. p.8.
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Selon lui, l’architecture doit être basée sur le climat, la topographie, les matériaux et les savoir-faire propres aux lieux ainsi que sur les modes de vie. Ce type d’architecture pourrait contribuer à renforcer l’identité et dynamiser l’économie locale. Consolider l’identité des lieux, c’est rendre les habitants capables de dialoguer avec les autres territoires. Gion A. Caminada s’appuie sur ces constats pour l’ensemble de son travail d’architecte et d’enseignant à l’ETH de Zurich. Dans le cadre de son enseignement, il dirige des recherches qui abordent les questions énergétiques des édifices par la compréhension des propriétés architecturales et par l’attention à leurs effets physiologiques et sensibles. Selon l’architecte, la qualité d’une architecture influence la manière dont les individus et les communautés s’épanouissent. L’architecture est là pour fabriquer la responsabilité culturelle, écologique, politique et économique des individus et des collectifs. L’architecte dit : « Je suis convaincu qu’aujourd’hui, il existe une architecture unique pour chaque lieu » 32 Et « Je vois l’architecture comme l’outil parfait pour enrichir la qualité de vie dans un lieu. Cependant, de mon point de vue, cela ne peut se produire qu’en s’attachant aux réalités sociales locales. Pour moi, il est important d’expérimenter et de comprendre les motifs de ces actualités. Expérimenter ne veut pas forcément dire accepter. Ces réalités peuvent aussi être endurées, ce qui n’est pas toujours facile » 33.
4.3. Emancipation de la culture locale et de la tradition
La mise en commun des références devient le moyen de convoquer une idée, un système constructif en plusieurs lieux, en s’affranchissant du cadre culturel originel dans lequel il a été élaboré. La justesse de cette attitude réside dans l’édification d’un tout cohérent où l’emprunt, la reformulation est possible seulement si cela sert à la cohérence de l’édifice et à la cohérence du nouveau langage qu’il établit.
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CONCLUSION
L’objectif de ce travail a été principalement, par l’exploration de pratiques particulières, de montrer qu’elles sont des démarches et des propositions acceptables pour permettre de construire une architecture en cohérence avec les « obscurités du présent ». Certains principes du modernisme ont encore leur place dans nos réflexions, il en a été fait mention dans ce mémoire au travers des constructions de Peter Rich par exemple. La prise de recul par rapport au modernisme évoquée dans ce mémoire se situe plutôt sur un mode de pensée que sur des questions purement architecturales, même si c’est le cas parfois dans certaines constructions, celles de Caruso St-John par exemple. Le modernisme n’a pas seulement orienté la forme de nos constructions, il a également orienté notre façon de penser, de construire et de pratiquer les édifices. Ces modalités ou manières de percevoir l’acte de construire ne sont plus aujourd’hui cohérentes avec les ressources disponibles, les aléas climatiques et les mouvements de population. J’ai souhaité montrer que les architectes renouent avec d’autres principes que nous avons pu découvrir et explorer dans les différentes parties de ce mémoire. Les différents outils au service d’autres manières de construire exposés et commentés dans ce travail montrent une certaine volonté des architectes d’affirmer l’identité des lieux qu’ils traitent. Dans les conditions actuelles où beaucoup de paramètres restent et resteront incertains et complexes, il me semble que le lieu est devenu le dernier point d’appui de la sauvegarde et de la valorisation des cultures locales et universelles. Le lieu devient le seul support de l’imbrication des considérations autour du local et du global, des modes de vie et des questions liées à l’écologie et à la politique. Cela laisse à penser qu’il faut pouvoir accepter une diversité de formes pour chaque lieu. Chacun d’entre eux dans la façon dont il est traité, participe à l’accomplissement des engagements politiques, culturels et sociétaux des architectes et des populations. Le lieu est peut-être le seul moyen par lequel
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Edifice I Milieu I Archaïque I Contemporain I Local I Global
il nous serait possible de comprendre pleinement des problématiques plus globales et d’y concrétiser des réponses. Car dans un environnement où les possibilités et les complexités ne sont pas pleinement assimilables, il ne reste que le lieu pour nous permettre de les aborder de manière différenciée et adaptée. 1 Mallarmé, S., 1897. Un coup de dés jamais n’abolira le hasard
« Rien n’aura eu lieu que le lieu » 1 - Un coup de dé - Stéphane Mallarmé Il ne s’agit pas de créer une architecture purement contextuelle et politique ni de muséifier le lieu mais bien de trouver une juste mesure entre les engagements sociétaux et les ressources disponibles. La participation à la valorisation des lieux, dans le respect d’une continuité historique et de l’écologie, donnent l’opportunité aux communautés et aux architectes de devenir des acteurs de l’amélioration des conditions de vie du lieu tout en répondant à des problématiques plus globales.
2 Farrell, Y., et McNamara, S., 2018. Manifesto : Freespace. Venise, Italie. https://www.labiennale.org/en/architecture/2018/ introduction-yvonne-farrell-and-shelley-mcnamara
3 Bonnet, F., 2018 interview dans Van der Poel, C., Santos, Y. et Ortalli, G.,2018. Being in a Biennale - interview #12: Frédéric Bonnet. Espazium. https://www.espazium.ch/ being-in-a-biennale-interview12-frdric-bonnet 4 Ibidem.
Dans le manifesto de la biennale, les curatrices abordent la question de l’éthique. Nous retrouvons par exemple les termes « générosité spirituelle », « sens de l’humain » et « humanisme architectural » 2 qui ont guidé les choix des organisateurs et des participants. Ce n’est certainement pas un hasard si Kenneth Frampton a été récompensé du lion d’or en 2018 pour l’ensemble de sa carrière. C’est peut-être, entre autres, des écrits de Kenneth Frampton, que sont nées ces questions d’éthique en architecture. Par exemple dans l’essai « Towards a Critical Regionalism : Six Points for an Architecture of Resistance » dans les années 1980, il met en avant le sens des responsabilités de l’architecte envers la culture des lieux. Frédéric Bonnet dans une interview pour Espazium dit : « L’engagement, c’est bien, mais on pourrait aussi échapper à l’architecture » 3. Bien que l’accent soit mis sur l’éthique et sur l’engagement, la biennale de l’architecture est bien une manifestation dédiée à la construction. L’engagement est ici à la fois sociétal et disciplinaire. Les architectes exposés nous montrent que la conception, la construction et le design sont présents dans cette biennale et que c’est justement cette implication dans la discipline qui leur permet d’intégrer dans leurs démarches les sujets politiques, culturels et sociétaux. Frederic Bonnet précise dans son interview : « Il y a une position manifeste, sur la force, sur la puissance de l’architecture et le grand sujet de cette biennale en parle bien, la précédente aussi, c’est d’arriver à concilier en fait la question de l’engagement et la question de l’architecture d’un point de vue disciplinaire et d’un point de vue sociétal » 4.
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Conclusion
Cette biennale se situe dans la lignée de la précédente organisée par Alejandro Aravena qui avait mis en avant une architecture au service de tous basée sur des matériaux traditionnels. Dans un article pour Bilan, le journaliste Etienne Dumont écrit de cette biennale : « Surtout pas de spectacle ! Sa biennale (celle de 2016) était un véritable coup de pied au cul de messieurs Nouvel ou Gehry. Yvonne et Shelley peuvent aujourd’hui s’attaquer à la fesse épargnée il y a deux ans. Il n’y a pas besoin de centaines de millions pour bien bâtir. Chacun devrait bénéficier de la même attention » 5.
5 Dumont, E., 2018. VENISE/ La Biennale d’architecture s’attaque aux espaces publics. «Freespace». Une réussite. Bilan. https://www.bilan.ch/opinions/ venise_la_biennale_d_architecture_s_attaque_aux_espaces_ publics_freespace_une_reussite
Les deux curatrices de Studio Grafton Yvonne Farell et Shelley McNamara sont connues pour leurs engagements écologiques et sociaux. La question de l’engagement résonne dans la plupart de travaux présentés dans cette biennale. Les projets exposés portent une attention particulière aux ressources naturelles et locales, aux questions relatives au quotidien, à l’habitat et aux modes de vie. C’est notamment ce qu’a remarqué Jacques Lucan qui nous livre son sentiment dans une interview pour Espazium : « On ressent un intérêt pour la question pas tant des objets architecturaux individuels, remarquables, exceptionnels que des éléments ou des lieux architecturaux qui touchent plus à la question du logement, de l’habitat. […] Je sens cette espèce de retour ou plutôt d’attention à des questions d’architecture, mais qui sont des questions d’architecture plus proche, plus relative à des problèmes que les architectes ont un peu oublié, c’est-àdire des problèmes relatifs à l’habitat » 6. Cette biennale d’architecture met l’accent sur la question du proche et du local. Ces notions qui opposent le local et le global, la mondialisation et l’attachement au lieu résonnent à la fois dans les expositions des participants mais aussi dans les discours de Kenneth Frampton. Nous serions en droit de nous demander ce qui a réellement évolué depuis le moment où il déclarait ceci en 1980 : « Le propos fondamental du régionalisme critique est d’amortir l’impact de la civilisation universelle au moyen d’éléments empruntés indirectement aux particularités propres à chaque lieu » 7. La biennale assume la présentation de projets très contrastés, cette diversité est bénéfique pour l’architecture contemporaine. Les différentes propositions exposées apportent de la « nuances dans l’interprétation très globalisante des questions » 8 que nous posent l’acte de construire. Elles témoignent de la complexité de notre environnement et du fait que la résolution de certaines problématiques ne peut passer par une seule et même approche. Cette Biennale « a permis de cristalliser des réflexions qui sont diffuses, c’est un lieu où l’on cristallise des questions communes et après, des manières de les décliner » 9 déclare Frédéric Bonnet.
6 Lucan, J., 2018 interview dans Van der Poel, C., Santos, Y. et Ortalli, G.,2018. Being in a Biennale - interview #13: Jacques Lucan. Espazium. https://www. espazium.ch/being-in-a-biennale-interview-12-frdric-bonnet
7 Frampton, K. Repris dans Gonzalo, R., 2013. Modélisation de la réponse de l’architecture au climat local. Autre [cond-mat. other]. Université Sciences et Technologies - Bordeaux I. Français., p. 34. 8 Bonnet, F., 2018 interview dans Van der Poel, C.,Santos Giacomo Ortalli, Y.,2018. Being in a Biennale - interview #12: Frédéric Bonnet. Espazium. https://www.espazium.ch/ being-in-a-biennale-interview12-frdric-bonnet 9 Ibidem.
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Nous pouvons comparer l’approche de cette biennale aux démarches « holistiques » de plusieurs architectes cités dans ce travail et au « cosmopolitisme » décrit par Gion A. Caminada. L’acceptation des différences participe à la construction et au renforcement de l’identité des territoires. Cela peut leur permettre tout en affirmant leurs valeurs économique, culturelle ou paysagère d’entamer des échanges entre eux et de participer à des dynamiques plus vastes. Cette valeur ajoutée ou renforcée du territoire passe par l’action de l’architecte. Il doit, dans son engagement sociétal, mais aussi dans son engagement dans la production spatiale, donner des outils au territoire pour entamer ces dialogues globaux sur l’écologie et la migration des populations. 9 Lucan, J., 2018. Biennale de Venise 2018: L’éclectisme de l’incertitude. L’Architetto, Rome. disponible sur https:// www.darchitectures.com/ biennale-de-venise-2018-leclectisme-de-lincertitude-a4105. html
L’attention portée aux matériaux ordinaires et à leurs usages, au réemploi et au « bricolage », est une pensée que l’on retrouve dans les pratiques d’un certain nombre d’architectes participants. Jacques Lucan pointe dans cette biennale une philosophie du proche, il explique : « La philosophie du proche met nécessairement en avant les dimensions tactiles des réalités appréhendées, réalités que nous aimerions encore plus approcher » 9. Cet attrait pour le proche a pour effet indirect que les « archistars » et les productions iconiques ou visuellement fortes sont très peu représentées. Le « star system » avait déjà été mis de côté dans les deux biennales précédentes. Dans la première partie du mémoire, il a été question de la figure de l’architecte. Cette figure avait déjà été remise en question, les différents travaux et l’ambiance générale de cette biennale nous montrent que cette figure est encore en évolution. On remarque l’apparition de beaucoup de collectifs plutôt que d’agences, on remarque également un certain recul des gestes architecturaux. C’est peut être un des moyens d’assurer la durabilité des espaces produits. Le recul de la figure de l’architecte permet certainement une plus grande implication des populations dans la construction, dans l’analyse ou dans les propositions, favorisant ainsi des pratiques diverses des projets d’architecture. La réalité des lieux et de leurs pratiques est effectivement bien représentée et si la question écologique semble être traitée par quasiment tous ces travaux on remarque tout de même que certaines questions contemporaines restent peu abordées. La question de la migration des populations par exemple et les questions urbaines sont un peu mises de côté. Il ne faudrait pas que la « dimension tactile » évoquée plus haut par Jacques Lucan, certes très attirante, ne prenne le dessus sur ces problématiques.
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Certains dispositifs expliqués dans ce travail de mémoire pourraient devenir des phénomènes de mode. Ces démarches constructives par leurs « dimensions tactiles », par leur rugosité, par leur caractère minimaliste et par l’image brute qu’elles renvoient en font des objets tout trouvés pour lancer ces phénomènes. Cela serait dommageable pour les projets car si la question
Conclusion
du vernaculaire et de la construction avec des ressources naturelles est parfois très adaptée dans certaines situations, ce n’est pas toujours le cas pour tous les milieux. Ainsi chaque milieu doit être traité avec les moyens les plus adaptés à son contexte. Pour des raisons de coût et de facilité de mise en œuvre il me semble qu’il est important de favoriser les solutions architectoniques liées à la forme et à la matière plutôt que de se tourner vers des technologies couteuses, ceci afin de construire plus durablement. Pour réussir à construire des projets durables il faut s’ouvrir à des références aussi bien historiques que contemporaines afin d’emprunter quelques intentions ou solutions de construction en résonnance juste avec notre époque. L’effort doit prendre une dimension collective. Chaque architecture dans l’innovation qu’elle propose doit être considérée comme un bien commun appropriable par d’autres. La transmission et la communication sont incontournables à une réussite collective. Il me semble que les architectes doivent accepter d’être accompagnés dans leurs travaux par d’autres figures. La figure traditionnelle de l’agence d’architecture devrait être amenée à changer dans les années à venir. Il me semble que les architectes devraient pouvoir se laisser accompagner dès les prémices du projet. Certains milieux sont très complexes et je pense que cette complexité ne peut pas être uniquement appréhendée avec les outils de l’architecte. Le risque est que la complexité du lieu ne transparaisse dans les propositions de projets rendant parfois encore plus complexe l’appropriation de l’édifice par les usagers. Au cours de notre voyage d’étude de cette année dans la ville de Pampelune, nous avons visité la « casa del condestable » Fig. 1 rénové par Tabuenca & Leache. Les architectes nous ont confié, que même sans en avoir l’air, ce bâtiment est le plus complexe qu’ils ont réalisé à ce jour. Cette complexité est issue des diverses modifications qu’a subi le bâtiment au cours du temps et des problèmes structuraux et techniques à résoudre. Ce qui m’a étonné c’est qu’à aucun moment cette complexité n’est apparente, cela reflète le caractère humble des architectes d’une part et le fait que la simplicité de leur écriture et de leur proposition ont favorisé la création d’une atmosphère particulière d’autre part. Même si certains éléments mis en œuvre relèvent d’un défi technique, c’est l’expression simple des textures et des matériaux qui rendent le tout cohérent. L’architecture contemporaine évoluera sans doute dans sa capacité à pouvoir hybrider plusieurs principes ; la question de la figure et de l’archétype, la mise en œuvre des matières premières dans des principes constructifs innovants,
Fig. 1 La casa del condestable, Tabuenca & Leache, Pampelune, Espagne, 2008
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la simplicité des méthodes de construction, le recyclage de ce qui est déjà construit, la consolidation des milieux habités et la proposition d’expériences culturelles et sensorielles singulières.
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TABLE DES FIGURES 1. Réévaluations et transversalités des pratiques architecturales à l’ère de l’anthropocène Fig. 1 - Séminaire, Le littoral comme territoires de Projets, 2018, Ecole d’architecture de la ville et des territoires à Marne la Vallée http://www.marnelavallee.archi.fr/agenda/le-littoral-comme-territoire-de-projets Fig. 2 - Colonie sur un Astéroïde, Roy Scarfo, 1965 http://thefutureinspace.com/blog/index.cfm?section=blog&fuse=singlepost&&author=1&id=12 Fig. 3 - Karl Friedrich Schinkel ,Neuer Pavillon,Charlottenburg Palace Gardens, Berlin, Allemagne,1824-1825 «New Pavilion». Hidden Architecture : http://hiddenarchitecture.blogspot.com.es Fig. 4 - Chateau de Matsuyama, Matsuyama, Japon http://www.ta3mam.com/matsuyama-son-chateau-dogo-onsen/ Fig. 5 - Temple de Tambomachay, 1500, Cuzco, Pérou Fig. 6 - Nouvelle attracteur, Figure 4, Latour, B., 2017, Ou atterir ? Latour, B., 2017. Où Atterir ? : Comment s’orienter en politique.Paris, Paris : La Découverte. p. 155. Fig. 7 - Strada Novissima, La presenza del passato, Biennale d’architecture de Venise, 1980 https://www.pinterest.fr/ Fig. 8 - FREESPACE, Biennale d’architecture de Venise, 2018 Fig. 9 - Fundamentals, Biennale d’architecture de Venise, 2014 https://www.gibert.com/rem-koolhaas-fundamentals-biennale-de-venise-2014-9653799.html Fig. 10 - Report from the front, Biennale d’architecture de Venise, 2016 https://www.amc-archi.com/article/biennale-de-venise-2016-reporting-from-the-front,5193
2. Au-delà de la contradiction entre Edifice et Milieu Fig. 1 - Tim Franco, Metamorpolis, Farming in the city, Seoul, Shangai, 2009 http://www.timfranco.com/photographer/photojournalism/documentary/chongqing/china/vertical-communism/ Fig. 2 - Maçonnerie en pierres, Amateur Architecture Studio, Hangzhou, Chine, 2004 https://www.archdaily.com/20523/new-academy-of-art-in-hangzhou-wang-shu-amateur-architecture-studio/500de84928ba0d6625001a7dnew-academy-of-art-in-hangzhou-wang-shu-amateur-architecture-studio-image Fig. 3 - Campus de l’Académie d’art, Amateur Architecture Studio, Hangzhou, Chine, 2004 https://www.archdaily.com/20523/new-academy-of-art-in-hangzhou-wang-shu-amateur-architecture-studio/500de84928ba0d6625001a7dnew-academy-of-art-in-hangzhou-wang-shu-amateur-architecture-studio-image
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Fig. 4 - Photographie de la maquette échelle 1:2, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 5 - Détail d’assemblage de la maquette échelle 1:2, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 6 - Exposition The act of building, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 7 - Presse Terstaram, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi http://studies.bc-as.org/ Fig. 8 - Bibliothèque de Muyinga, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi http://architects.bc-as.org/ Fig. 9 - Blocs de terres, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi http://studies.bc-as.org/ Fig. 10 - Coupe longitudinale, BC architects & Studies, Muyinga, Burundi http://architects.bc-as.org/ Fig. 11 - Photographie de Landscape architecture, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 12 - Mapungubwe Interpretation Cntre, Rich, P., Mapungubwe, Afrique du Sud, 2009 https://www.archdaily.com/57106/mapungubwe-interpretation-centre-peter-rich-architects/5008ea6828ba0d27a7000c47-mapungubwe-interpretation-centre-peter-rich-architects-photo Fig. 13 - Interpretation Centre d’Alexandra, Rich, P., Alexandra, Afrique du Sud, 2010 https://www.archdaily.com/58495/alexandra-interpretation-centre-peter-rich-architects/5008fa1428ba0d27a7001056-alexandra-interpretation-centre-peter-rich-architects-photo Fig. 14 - Photographie de Elevation, Andramatin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 15 - Maquettes de constructions Vernaculaires Indonésiennes, Andramatin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 16 - Construction traditionnel de Tenganan, Bali, Indonésie http://nowbali.co.id/tenganan-pegringsingan/ Fig. 17 - Katama, Andramatin, Kabupaten Badung, Bali, Indonésie, 2015 https://www.archdaily.com/791287/katamama-andra-matin Fig. 18 - AS House , Andramatin, Yogyakarta, Indonésie, 2013 http://www.andramatin.com/p/as-house/ Fig. 19 - Plan du Centre communautaire, Bopitekelo, Réserve de Modikwe https://www.peterricharchitects.com/baputikelo-one Fig. 20 - Coupes du Centre communautaire, Bopitekelo, Réserve de Modikwe https://www.peterricharchitects.com/baputikelo-one Fig. 21 - Granby Four Streets, Liverpool, UK https://assemblestudio.co.uk/projects/granby-four-streets-2 Fig. 22 - Axonométrie, Rénnovation d’une maison, Cairns Street, Liverpool, UK, 2013 https://assemblestudio.co.uk/projects/10-houses Fig. 23 - Axonométrie, Granby Winter Garden,Granby Four Streets Liverpool, UK, 2013 https://assemblestudio.co.uk/projects/granby-winter-gardens Fig. 24 - Maison Abandonnée, Cairns Street, UK, 2018 https://assemblestudio.co.uk/projects/10-houses
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Fig. 25 - Maison Rénnovée, Cairns Street, Liverpool, UK, 2018 https://assemblestudio.co.uk/projects/10-houses Fig. 26 - Arches du Mapungubwe Interpretation Cntre, Rich, P., Mapungubwe, Afrique du Sud, 2009 https://www.peterricharchitects.com/mapungubwe-interpretation-centre
3. Au-delà de la contradiction entre Archaïque et Contemporain Fig. 1 - Photographie de l’expostion, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 2 - Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016 https://www.archdaily.com/871034/pc-caritas-architecten-de-vylder-vinck-taillieu Fig. 3 - Dessin pour Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016 https://www.archdaily.com/871034/pc-caritas-architecten-de-vylder-vinck-taillieu Fig. 4 - Dessin pour Enoteca dai Tosi, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Matera, Italie, 2017 https://afasiaarchzine.com/2017/01/de-vylder-vinck-taillieu-8/ Fig. 5 - Ville de Matera, Italie http://www.journal-du-design.fr/architecture/cave-vin-enoteca-dai-tosi-en-italie-par-architecten-de-vylder-vinck-taillieu-95674/ Fig. 6 - Enoteca dai Tosi, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Matera, Italie, 2017 http://www.journal-du-design.fr/architecture/cave-vin-enoteca-dai-tosi-en-italie-par-architecten-de-vylder-vinck-taillieu-95674/ Fig. 7 - Plan du Churchill College, Sheppard Robson, Cambridge, UK, 1960 https://www.archdaily.com/521417/london-calling-british-modernism-s-watershed-moment-the-churchill-college-competition/53adc084c07a80eb1c000008-london-calling-british-modernism-s-watershed-moment-the-churchill-college-competition-image Fig. 8 - Photo des logements étudiants, Churchill college, Sheppard Robson, Cambridge, UK, 1960 https://www.ajbuildingslibrary.co.uk/architects?architectID=235 Fig. 9 - Photo des logements étudiants, Churchill college, Cowan Court, Cambridge, UK, 2016 https://amallective.com/portfolio/cowan-court-6a-architects/ Fig. 10 - Axonométrie du Cowan Court Churchill college, Cambridge, UK 2016 https://www.architectsjournal.co.uk/buildings/is-6a-architects-cowan-court-really-timber-brutalism/10016711.article Fig. 11 - The facade is the window to the soul of architecture, Caruso St John, Biennale d’architecture de Venise 2018, Venise, Italie, 2018 Fig. 12 - Pavillon anglais, Island, Caruso St John, Biennale d’architecture de Venise 2018, Venise, Italie, 2018 https://www.archdaily.com/895692/island-the-british-pavilion-at-the-2018-venice-biennale/5b145c35f197cc588d0000d0-island-the-britishpavilion-at-the-2018-venice-biennale-photo Fig. 13 - Centre d’Art Contemporain de Nottingham, Caruso St John, Nottingham, UK, 2009 https://www.carusostjohn.com/projects/nottingham-contemporary/ Fig. 14 - Guaranty Building, Louis Henry Sullivan, Buffalo, New York, Etats-Unis, 1896 https://www.pinterest.fr/pin/484559241150305727/?lp=true Fig. 15 - Detail de la dentelle de la société Richard Brikin, 1847, Nottingham, UK https://www.researchgate.net/figure/Detail-of-the-1847-Richard-Brikin-machine-made-Valenciennes-lace-which-was-used-on-the_ fig6_316575015 Fig. 16 - Détail de façade du Centre d’Art Contemporain de Nottingham, Caruso St John, Nottingham, UK, 2009 https://atelierkuzemensky.blogspot.com/2011/10/caruso-stjohn-ornament-neni-zlocin.html Fig. 18 - Maison Zacherl, Joze Plecnik, Vienne, Autriche, 1903-1905 https://www.pinterest.fr/pin/524387950334147815/?lp=true
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Fig. 19 - 5 Karl Bötticher, La Tectonique des Hellènes. Potsdam, Ferdinand Riegel, 1852, Atlas, pl. I. https://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=GRADH/GRADH_025/GRADH_025_0050/GRADH_025_0050_img-5.jpg Fig. 20 - Façade de la tombe de Midas, planche tirée de G. Semper, Der Stil, Munich, 1860 https://journals.openedition.org/imagesrevues/2181 Fig. 21 - Charles Jencks, Le langage de l’architecture post-moderne, 1984 https://planlibre.com/histoire/3592-charles-jencks-le-langage-de-l-architecture-post-moderne.html Fig. 22 - Michael Graves, office building, Los Angeles,1988 https://www.pinterest.fr/carbonghadius/michael-graves-drawings-and-paintings/?lp=true Fig. 23 - Karibische Hütte, Gottfried Semper, Der Stil, 1860 https://www.pinterest.de/Biiirdiiia/141week56/ Fig. 24 - Katharina Fritsch ,Tischgesellschaft, 1988 https://www.yelp.com/biz_photos/mmk-2-frankfurt-am-main?select=WU9ZHZbflziEkK1pDUJDWg Fig. 25 - Extension du Victoria and, Caruso St John, Albert Museum of Childhood, Londres, UK, 2007 https://www.carusostjohn.com/projects/victoria-and-albert-museum-childhood/ Fig. 26 - Chapelle Colleoni, Giovanni Antonio Amadeo, Bergame, env. 1470 https://www.flickr.com/photos/50879678@N03/8159179980 Fig. 27 - Fan Kuan, «Voyageurs parmi les torrents et les montagnes», Kaifeng, Luoyang, Montagnes de Zhongnan, env. 1000 https://fr.wikipedia.org/wiki/Fan_Kuan Fig. 28 - Technique Traditionnelle, Wa pan https://www.pinterest.co.uk/pin/10836855332766568/?lp=true Fig. 29 - Façade du musée Ningbo, Amateur Architecture Studio, Ningbo, Zhejiang, Chine, 2008 https://www.archdaily.com/14623/ningbo-historic-museum-wang-shu-architect Fig. 30 - Welcome centre and offices, Pudong, Sergison Bates, Shanghai, Chine, 2016 http://sergisonbates.com/en/projects/welcome-building-pudong Fig. 31 - Hardwick Hall, Robert Smythson, Chesterfield, UK, 1597 https://wearederbyshire.co.uk/the-new-we-are-bess-exhibition-at-hardwick-hall-looks-fantastic/ Fig. 32 - Plan des logements, Sergison Bates architects,Hampstead, Londres, UK, 2017 http://kj-architect.tumblr.com/post/159860171981/sergison-bates-architects-housing-for-older Fig. 33 - Plan da la Casa Caccia Dominioni, Luigi Caccia Dominioni, Milan, Italie, 1949 - 1953 http://www.ordinearchitetti.mi.it/en/mappe/itinerari/edificio/322-casa-caccia-dominioni-/45-luigi-caccia-dominioni Fig. 34 - Plan d’Andrea Palladio, I quattro libri dell’architettura, Venise, Italie, 1570 https://en.wikipedia.org/wiki/Palazzo_Thiene Fig. 35 - Oranienburger Tor Housing and Commercial Building, Hans Kollhoff, Berlin, Allemagne, 1999 http://www.kollhoff.de/de/PROJEKTE/Bauten/85/Oranienburger-Tor.html Fig. 36 - Le palais Rucellai, Leon Battista Alberti, Florence, Italie, 1451 http://passerelles.bnf.fr/grand/pas_139.htm Fig. 37 - Terraced Houses, Colvestone Crescent, Hackney, Londres, UK https://www.onthemarket.com/details/6108789/ Fig. 38 - Urban housing, Sergison Bates, Hackney, London, UK, 1998 http://sergisonbates.com/en/projects/housing-islington
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Fig. 40 - Garden building, Sergison Bates, Mereworth, Kent, UK, 2010 http://sergisonbates.com/en/projects/garden-building-mereworth Fig. 41 - Ten houses, Sergison Bates, Montemor-o-Novo, Alentejo, Portugal, 2018 http://sergisonbates.com/en/projects/ten-houses-alentejo Fig. 42 - Urban housing and studios, Sergsion Bates, Nordbahnhof, Vienne, Autriche, 2013 http://sergisonbates.com/en/projects/housing-vienna Fig. 43 - Musée Ningbo, Amateur Architecture Studio, Ningbo, Zhejiang, Chine, 2008 https://www.archdaily.com/14623/ningbo-historic-museum-wang-shu-architect/500f331f28ba0d0cc7002076-ningbo-historic-museum-wang-shu-architect-image Fig. 44 - Pc Caritas, Architecten De Vylder Vinck Tailleu, Melle, Belgique, 2016 https://www.archdaily.com/871034/pc-caritas-architecten-de-vylder-vinck-taillieu Fig. 45 - Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London. Photo by David Grandorge http://www.6a.co.uk/projects/more/raven-row Fig. 46 - Photo prise après les incendies, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London https://www.maniera.be/creators/5/6a-architects Fig. 47 - Rénnovation par 6a architects, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009 http://www.6a.co.uk/projects/more/raven-row Fig. 48 - Bois Brûlé, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009 https://www.dezeen.com/2009/03/06/raven-row-by-6a-architects/ Fig. 49 - Poignée de porte, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009 https://www.pinterest.co.uk/pin/27654985185920497/?lp=true Fig. 50 - Escalier de la Galerie, Raven Row, 56 Artillery Lane, Spitalfields, London, 2009 http://atelierwoodward.blogspot.com/2010/06/6a-ravon-row.html
4. Au-delà de la contradiction entre Local et Global Fig. 1 - Blocs de Terre, Projet et Workshop pour une Maison de chasse, BC architects & studies, International Rammed Earth workshop, Belgique, 2012 http://studies.bc-as.org/Rammed-Earth-Workshop-Aalst Fig. 2 - The act of building, Lefebvre, P. et BC architects & Studies, 2018 https://www.vai.be/en/publication/the-act-of-building-bc-architects-studies-biennale-architettura-2018 Fig. 3 - Bio-climatic Preschool,BC architects + MAMOTH, Aknaibich, Morocco, 2014 http://architects.bc-as.org/Preschool-of-Aknaibich Fig. 4 - Bioklas fortv Edegem, Bc architects, Edegem, Belgique, 2015 http://architects.bc-as.org/Regional-House-Edeghem Fig. 5 - Casa Aurora, Aldo Rossi, Turin, Italie,1987 https://www.bluffton.edu/homepages/facstaff/sullivanm/italy/turin/aurora/rossi.html Fig. 6 - Beatley Central Library, Michael Graves, Pierce Goodwin Alexander & Linville, Alexandria, Etats-Unis, 2000 https://thezebra.org/2015/03/14/beatley-central-library-architect-dies/ Fig. 7 - Façade de la Bremer Landesbank, Caruso St John, Bremen, Allemagne, 2016 https://www.carusostjohn.com/projects/bremer-landesbank/ Fig. 8 - Photographie de Veser Vrin, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018
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Fig. 9 - Abattoir et bâtiments agricoles, Mazlaria Caminada Gion, A., Vrin, Suisse, 1998 http://constructionculture.blogspot.com/2009/07/vrin-and-gion-caminada.html Fig. 10 - Maison Funéraire, Stiva da morts, Caminada Gion, A., Vrin, Suisse, 2002 https://archicree.com/actualites/global-award-56/ Fig. 11 - Maisons de Granby Four Streets Liverpool, UK https://assemblestudio.co.uk/projects/granby-four-streets-2 Fig. 12 - Photographie de Experience of Space, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 Fig. 13 - Villa Além, Olgiati, V., Portugal, 2014 https://www.archdaily.com/615171/villa-alem-valerio-olgiati Fig. 14 - Autobiographie Iconographique, Olgiati, V. http://ndlr.eu/autobiography-iconography/ Fig. 15 - Atlas Mnemosyne , Aby Warburg, Allemagne, 1921-1929 http://ndlr.eu/atlas-mnemosyne/ Fig. 16 - Greater Columbus Convention Center, eisenman architetcs, Columbus, Etats-Unis, 1993 https://eisenmanarchitects.com/Greater-Columbus-Convention-Center-1993 Fig. 17 - Salick Healthcare Administrative Headquarters, morphosis, West Hollywood, Etats-Unis, 1991 https://www.morphosis.com/architecture/27/ Fig. 18 - Making do and getting by, Wentworth, R. http://www.multitudes.net/making-do-and-getting-by/nb-south-west-france-_opt2/ Fig. 19 - Granby Worshop, Assemble, Granby Four Streets Liverpool, UK, 2015 https://assemblestudio.co.uk/projects/granby-workshop Fig. 20 - Fabrication des carreaux de céramiques pour la Sala Chini, Granby Worshop, Assemble, Granby Four Streets Liverpool, UK, 2015 https://assemblestudio.co.uk/projects/the-factory-floor Fig. 21 - St-George’s Hall, Harvey Lonsdale Elmes et Sir Charles Cockerell, Liverpool, UK, 1854 https://en.wikipedia.org/wiki/St_George%27s_Hall,_Liverpool Fig. 22 - Sala Chini, The factory floor, assemble, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 https://assemblestudio.co.uk/projects/the-factory-floor Fig. 23 - Carreaux de céramiques, The factory floor, assemble, Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie, 2018 https://assemblestudio.co.uk/projects/the-factory-floor Fig. 24 - Maison traditionelle Javanaise, Bawu, Indonésie, 1910-1940 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:COLLECTIE_TROPENMUSEUM_Het_huis_van_het_dorpshoofd_van_Bawoe_ TMnr_10017364.jpg Fig. 25 - Entrée du parlement du canton des Grisons, Olgiati, V., Chur, Switzerland, 2010 https://afasiaarchzine.com/2017/04/valerio-olgiati-32/valerio-olgiati-parliaments-entrance-canton-grisons-chur-3/
CONCLUSION Fig. 1 - La casa del condestable, Tabuenca & Leache, Pampelune, Espagne, 2008 https://www.archdaily.com/413286/the-condestable-s-house-tabuenca-and-leache-arquitectos
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I EDIFICE I MILIEU I ARCHAIQUE I CONTEMPORAIN I GLOBAL I LOCAL I I Bruno Jean-Baptitste I Directeurs de mémoire : Bonzani Stéphane et Gangarossa Laurie I I Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand I 28I01I2018 I