Vélocité jean baptiste martin 2015

Page 1

JEAN-BAPTISTE MARTIN Diplôme supérieur d’arts appliqués Mention Design Mode, Textile et Environnement

VÉLOCITÉ MÉMOIRE DE RECHERCHE UE10 2014-2015


VÉLOCITÉ


SOMMAIRE

JEAN-BAPTISTE MARTIN Mémoire de recherche UE 10 Diplôme suppérieur d’arts appliqués Mention Mode, textile et Environnement

Enseignants: Stephanie Fragnon Jean Denand

INTRODUCTION LES VILLES: TERRITOIRES - MOUVEMENTS Mutations & nouvelles morphologies Periphérisation / extensions urbaines Réseaux / infrastructure Le nomade journalier Commuter Migrations pendulaires Modes de transport: hybridation corps/machine

PRATIQUER LA VILLE / CYCLISME URBAIN La place du cycliste dans la ville Praticité Limites au déplacement Cheminements urbains Lire la ville

LA VILLE PERÇUE / CORPS CYCLISTE

Le corps sensible / Éprouver la ville dans l’effort Elements naturels Architecture /qualités topographiques Image de la vile / sensorialité Phénoménologie / poétique urbaines

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE


VÉLOCITÉ

AVANT-PROPOS

Il passe sous terre, s’engouffre dans un tunnel. Aveuglé par la différence d’intensité lumineuse, des éclairages jaunis éblouissent le revêtement fraîchement goudronné. Leurs répétitions tracent une perspective infinie. Il fonce. La route est dégagée, seules quelques autos le doublent violement. Il accélère, change de vitesse, la chaine sursaute, la mécanique tremble. La structure traversée dans sa régularité géométrique l’enivre. Il en devient le prolongement, son corps/machine se développe fluidement dans la translation. Le parallélisme des lignes horizontales et la stroboscopie des néons l’ hypnotisent. Son être fusionne avec 6

Ce rythme épileptique accompagne sa course, une hallucination routière.

7


&-&)./232*-).

4

&-&)./01#(-&).

5


INTRODUCTION

VÉLOCITÉ

C’est l’engagement du corps dans la vitesse. Son déplacement dans l’espace. Le temps d’une expérience physique et sensorielle qui suit l’itinéraire d’une perception de l’environnement, rythmé au km/h.

10

LA VÉLOCITÉ

À partir de la seconde révolution industrielle, l’occident connaît « une accélération technologique ». La modernisation des infrastructures routières et des moyens de transport permettent à l’homme de se déplacer plus vite, et de parcourir de plus longues distances. Une évolution qui redessine les territoires urbains, qui s’étendent, et se développent sans limites. À l’échelle humaine, cette urbanisation généralisée se traduit par une perte de repère dans son propre environnement. Les villes métropolites semblent insaisissables dans leur taille. La fréquence des trajets et les distances parcourues au quotidien augmentent constamment. Elles provoquent une dépendance aux véhicules motorisés et une perte de contact immédiat avec l’environnement, seulement aperçu par un corps passif. La mobilité quotidienne est vécue mécaniquement dans une routine lascive. L’urbain semble être destiné à être traversé avec détachement dans une logique fonctionnelle aliénante. Ce mémoire a pour but de questionner cette relation à la ville par l’approche du cycliste. Ce mode de transport induit un engagement corporel à l’ épreuve de l’environnement ambient. Une perception singulière des aspects de l’urbain, composée dans l’effort et la vitesse, qui affecte la sensibilité de l’être à la ville et la représentation personelle de son environnement. Il s’agira de capter son intensité, son rythme et ses nuances.

11


TERRITOIRES-MOUVEMENTS

VÉLOCITÉ

Thomas Bayrle, Autostrada

LES VILLES: TERRITOIRES-MOUVEMENTS Notre civilisation est celle de l’homme urbain. Aujourd’hui, plus d’un homme sur deux vit en ville. Cette donnée est croissante, les villes grossissent, mutent et s’étendent jusqu’à s’agglomérer. Elles se lient les unes aux autres réseaux créant une urbanité généralisée. La grande ville semble aujourd’hui « unbounded »(1), sans limites définies. Capitale du progrès et de la modernité elle devient notre environnement premier. Elle « justifie son existence par le fait qu’elle organise la proximité ». Elle facilite l’accès aux besoins humains avec la mise à disposition de services spécialisés, organisés par des planifications urbaines complexes qui rationalisent la ville. La circulation des marchandises et des hommes modélisent la cité. 12

Extension urbaine La démocratisation de l’automobile modifie la physionomie des villes, encourageant leurs déploiements et leurs compartimentations: zone d’habitat, de travail, de consommation, de loisir ou de sociabilité sont dissociés et éloignées les unes des autres. La proximité spatiale s’efface et ces nouvelles formes d’urbanisme se répercutent par une augmentation des fréquences, et des distances des déplacements, et par une dépendance aux moyens de transports motorisés. La ville s’étend dans des banlieues, des villes dortoirs, des zones pavillonnaires..., des lieux ou résident une grande partie des citadins . Les centres historiques s’éloignent des périphéries (villes continues), se divisent (villes polycentrées) ou s’annulent entraînant

une dissolution de l’urbain (villes génériques). L’identité de la ville, et son activité se concentrent dans des espaces qui se densifient et qui ne représentent plus qu’en moyenne un cinquième de l’aire urbaine.

Bruce Begout, Suburbia 2011

Jean-Marie Huriot La ville ou la proximité organisée, 1998

Réseaux Autostrada de l’artiste Thomas Bayrles est la maquette d’un circuit automobile. La route est représentée comme un tissage dense, ou seules quelques autos sont noyées à la surface de cet agglomérat de bitume. Une planification urbaine contre utopique ou l’humain est dépersonnalisé, prisonnier d’un immense réseau. La mobilité urbaine se développe avec la création d’infrastructures qui couvrent l’ensemble du territoire et avec une mise en réseau de moyens de transport. Des voies, qui structurent et « La mobilité définit le territoire, le façonne à son desservent la ville dans un sysimage, le dessine dans l’étendu anonyme des tème complexe de réseaux superposés. pleins et des deliés qui font figure de lieu de La ville moderne repousse ses passages. » limites Le «modèle européen» étend Bruce Bégout, Homelessness sa périphérie avec une dilution de l’urbain. Les trajets urbains s’accélèrent et se diversifient avec pour conséquence une densification du trafic. -

13


TERRITOIRES-MOUVEMENTS

-

14

Dans le film de science-fiction «Solaris», un long plan-séquence plonge le spectateur au côté du personnage principal dans la traversée d’une ville futuriste. Construite comme un gigantesque échangeur autoroutier qui enlace d’immenses masses verticales. Le plan commence dans la voiture et s’en éloigne peu à peu jusqu’à ce qu’elle se noie dans un trafic dense et disparate. Une dystopie qui présente dans cette élan de surmodernité une ville inappropriable à l’echelle humaine, où l’individu perd son emprise sur le monde.

15

Andrei Tarkovski, Solaris, 1979


!"!#$%&'&("#$

!"!#$%)*+,"!#$


VÉLOCITÉ

18

TERRITOIRES-MOUVEMENTS

Le trafic est dense, des panneaux de signalisation prévoient plus d’une heure de ralentissement. Une file d’automobiles se suit au pas. Il fait chaud, une odeur étouffante d’essence mêlée au bitume chaud enveloppe la chaussée. La latence du trafic le met dans un état de désillusion, Il se sent étouffé, à l’étroit dans ce siège qui le contraint, une situation inconfortable dans laquelle il se voit passer encore de longues minutes. L’espoir de retrouver la vitesse le maintient en route; D’avaler les segments routiers sans fin, de suivre ses lignes continues de ses rambardes dans leurs longitudes. La petite couronne est son circuit, il vit au rythme de son trafic. Il la parcourt quotidiennement. Il connaît chaque portion, chaque point d’intersection, le kilométrage exact entre sa ville de banlieue et le parking de son entreprise. Matin et soir il se laisse submerger par un flot continu d’autos, et dérive mécaniquement sur un chemin tracé, prévoyant et sans surprise. Isolé dans son véhicule, il avance lentement; avec comme seule idée, d’arriver le plus tôt chez lui. L’attente lui est insupportable, encore plus le temps passé à attendre la reprise du trafic. Isolé dans cette file d’autos, Il agonise d’ennui.

19


VÉLOCITÉ

53+164)F3++>) ;,//"0+$45(

9555

LE NOMADE JOURNALIER Ces mutations territoriales génèrent de nouveaux modes de vie. L’homme sédentarisé devient un «nomade journalier», la mobilité est son quotidien. Elle n’est plus un choix, mais une nécessité de par l’ancrage géographique de son domicile. Il habite les communes périphériques pour leurs loyers plus faibles et pour un cadre de vie qu’il considère parfois meilleur.

20

TERRITOIRES-MOUVEMENTS

Commuter En anglais, les «commuters» sont les populations qui investissent quotidiennement les couronnes péri-urbaines pour migrer vers leurs lieux de travail. Soumis aux variables de la circulation, ils se donnent à la route dans un cheminement routinier qui marque le temps de passage entre leurs vies professionnelles et «L’homme est une machine à produire et à consommer dans le transit.» personnelles. Une mécanique journalière, fonctionnelle autour de laquelle se déveRem Koolhaas, S,M,L,XL loppe tout un style de vie, de l’habillement à la manière de se nourrir... Les «commuters» s’entourent d’objets compacts et légers, auxformes transformables, modulables et pliables. Ils recherchent le confort et l’accessibilité, et organisent une proximité autour d’eux. Materielle ou virtuelle, celle-ci se basesur la performance et la rapidité d’execution.

Migrations pendulaires La majeure partie de ces déplacements domicile-travail se concentrent sur des plages horaires fixes. Des afflux de travailleurs se déplacent dans un mouvement cyclique de va et viens continuelles ; du lundi au vendredi, matins et soirs, sur une plage horaire de 7h45 en moyenne. Dans les villes développées, ces emplois se concentrent majoritairement dans le centre ou en périphérie dans des pôles économiques développés. Des zones souvent bien desservies, et adaptés à de multiples modes de transports (grands axes routiers avec couronnes périphériques, des lignes de trains/tramway ou métros parkings..). Des réseaux empruntés quotidiennement par des milliers de travailleurs aux heures de pointe. Un phénomène qui engendre l’encombrement des voies routières, et induit un conduite agressive (stress et énervement) ou lymphatique (somnolence et isolement). D’autre part, le taux élevé de fréquentation des transports en commun montre des situations anxiogènes ou les corps sont soumis à la suffocation et à l’étouffement. La série « Japanese Commuters» de Martin Parr présente des corps endormis, innactifs, conduits automatiquement par le métro. Des trajets routiniers et individuels dans lesquels se développent une monotonie. Un corps las et contraint qui tente desespérement de combler l’ennui et l’attente.

21


TERRITOIRES-MOUVEMENTS

VÉLOCITÉ

Saul Leiter, 1948

MODES DE TRANSPORTS

Martin Parr, From A to B, tales of modern motoring, 1994

En facilitant et en augmentant la mobilité, le corps devient de plus en plus statique et perd contact avec l’environnement parcouru. Il s’isole du monde environnant, développant un microclimat, régulé par une multitude de technologies « Désormais, la trame urbaine est réservée aux (options automobiles, climatidéplacements indispensables, c’est-à-dire essensation, parfum...) Le véhicule tiellement à la voiture. Les autoroutes, occupent devient un espace clos, ou le de plus en plus d’espace. Leur dessin, qui vise conducteur installe son apparemment à lefficacité automobilz, est en confort personnel. «il habite l’habitacle». fait étonnamment sensuel: le prétexte utilitaire Ce phénomène est amplifié entre dans le monde de la fluidité. Dans ce dopar la prédominance de «l’aumaine public locomoteur, la nouveauté est qu’il tomobile particulière», estimé ne peut se mesurer en termes de distances. Un à 43% des parts de la mobilité même trajet - mettons quinze kilomètres - enen ville. Son acroissement massif dans gendre une multitude d’expériences radicaleles années 70 avec la constment différentes: il durera cinq minutes ou quaruction de la «ville adaptée rante, il s’effectuera seul ou en compagnie de pour l’automobile», qui peutoute la population, il procurera le plaisir absolu plent la route d’un trafic ou se de la vitesse pure ou l’ horreur claustrophobique croisent et s’ignorent des miliers d’itinéraires individuels. des bouchons.» Paul Viriglio décrit l’humanité urbaine comme «l’humanité Koolhaas, La ville generique assise». Ou le le corps déploie son effort dans les quelques pas qui relie son domicile à sa voiture. La dépense physique 2. Georges Pompidou, 1971 est presque nulle, l’espace n’étant plus une action consommatrice d’énergie physique, mais de carburant, d’énergie fossiles polluantes. 1. Forum Vies Mobiles

L’espace urbain est éprouvé par l’intermédiaire d’un mode de transport, il est perçu derrière la vitre d’un train, du pare-brise de son auto, sur le siège de son scooter... Autant de véhicules qui servent comme extension du corps dans la mobilité, avec le développement mécanique d’une force motrice ; humaine (vélo, trottinette...) ou motorisé (train, automobile,tramway...).

22

Les machines attèlent l’homme à un réseau de transport. Celui-ci le conditionne à un parcours, à une infrastructure (gares, stations de métro, routes, parkings, chemins...) et à une relation avec le paysage traversé (contact direct avec l’environnement, confiné sous terre, dans les airs...) Cette hybridation corps/machine se developpe dans l’espace, suivant une vitesse (puissance/rendement/vélocité), et un rythme (trajet continu, arrêts, changements...) qui induit des comportements et des attitudes corporelles, des positionnements, des ergonomies et des attentions particulières à la route et au paysage. Ainsi, l’homme développe une conscience de l’espace singulière selon son mode de transport. Ce rapport homme/machine s’établit pour des enjeux de praticité, selon le temps de parcours et les changements de rythme, mais également selon le confort personnel et la relation affective avec la machine.


VÉLOCITÉ

26

PRATIQUER LA VILLE

Il prend une ruelle puis traverse un parking, un raccourci qui le mène à un carrefour où une file d’automobiles stationne à l’arrêt. Il double prudemment sur le bas côté, puis s’engage sur un axe routier, une double voie au trafic plus important. Il accélère sur cette portion plate, ou le revêtement a été fraichement goudronné. L’infrastructure le mène dans un univers bétonné de signalétiques, de pelouses artificielles et de lampadaires, parsemé de zones industrielles et commerciales, de stations essence et d’aires de loisirs. Deux kilomètres turbulents, au son des bruits de moteurs et de klaxons qu’il quitte lorsqu’il prend un chemin sur la bordure d’une rivière. Une terre battue, au rendement plus faible, mais plus tranquille. Il arrive, quelques centaines de mètres plus tard dans le centre-ville, des surfaces pavées pierres puis bouillonnement de signes, de sons; le bourdonnement d’une rue passante, le parfum 27 épicé de la quatrième rue... Autant d’éléments qui défilent sur son passage, qu’il perçoit dans une lecture cinétique, qui rythme et donne vie à sa trajectoire.


PRATIQUER LA VILLE

VÉLOCITÉ

Ferdinando Scianna

LA PLACE DU CYCLISTE DANS LA VILLE

28

La pratique du cyclisme séduit pour son efficacité en milieu urbain. Dans un cheminement presque continu, elle permet de prendre des libertés avec le trafic routier, et d’exploiter pleinement le tissu urbain, du chemin aux grands axes routiers. Jusqu’à 8 km parcourus, le vélo est le mode de transport le plus rapide en ville. Sa vitesse lui permet de couvrir plus de distance qu’un piéton tout en restant modéré, limité par les capacités physiques du corps humain. Peu encombrant, il se combine avec le «Le vélo est le stylo de l’asphalte» train pour parcourir des distances plus Guy Demaysonce conséquentes et se stationne facilement, presque n’importe ou. Le cyclisme est une alternative viable à l’automobile sur de courtes distances (moins de 10km), limitant ces effets néfastes, gagner de la place et de limiter la pollution athmosphérique. Des enjeux compris par de grandes villes européennes qui encouragent cette pratique dans leurs plans d’urbanisme avec l’instalation de réseaux de vélo en libre-service, comme le velib parisien ou le velov’ lyonnais. Des villes comme Copenhage organisent la mobilité et strcturent la ville autour de cette pratique avec de grands axes cyclables tentant d’instaurer une ville compacte. Mais aujourd’hui, même si certaines villes engagent leur politique sur son developpement, elle demeure une pratique marginale. Le vélo ne représente, qu’une part minime des déplacements, moins de 5% des déplacements en France selon une étude de l’ADME en 2004. Des routes mal partagés avec de faibles portions cyclables sur

Des réseaux routiers, optimisés pour les transports motorisés. Sur le bas coté, le cycliste est en contact direct avec l’air pollué des autres véhicules, soumis au dangers de la route (même si les risques d’accident sont moindre qu’en voiture, et on les m^mes dommages corporels que le pieton). Mais cette pratique reste limité par l’idée que le vélo est un objet de loisir, qui necessite une grande condition sportive et qui ne convient pas à une mobilité quotidienne, avec la peur d’arriver en sueur au travail et de devoir porter un equipement hypertechnique peu esthétique. Des enjeux pris en compte par les fabricant de cycles et les équipementiers, qui tentent de lui donner une autre image plus contemporaine, avec l’apparition de vélos pliables ou à assistance électrique et l’arrivé de gammes de vêtements urbains plus sobres. 29


VÉLOCITÉ

Julie Mehretu, Renegade delirium, 2002

PRATIQUER LA VILLE Les déplacements quotidiens définissent l’être à la ville. Ces itinéraires établissent le sentiment d’appartenance à un environnement local auquel chaque individu aspire ; ils l’ancrent dans un cheminement régulier dans lequel il fait partie du paysage. Des habitudes spatio-temporelles qui fixent des repères dans l’immensité de l’aire urbaine et qui alimentent sa représentation de la ville.

30

Cheminements Pour le «commuter», la ville est perçue dans un itinéraire connu sur lequel s’installe ses habitudes. «La routine, l’ordinaire, l’ennui, l’attente, Il construit ses repères dans ce paysage. le quotidien contiennent Dans «l’image de la cité», Kevin leurs part d’irréalité voir de surréalité.» Lynch définit cette relation par le concept d’immagibilité. La capacité Thierry Paquot, Des corps urbains d’un environnement à produire des images, et par concequent de - l’individu à s’approprier le milieu urbain. La lisibilité de celui-ci facilite l’orientation grâce aux indications sensorielles et aux souvenirs, mais surtout permet de constituer une signification émotive et affective basée sur l’identité de la ville. Cheminer c’est faire «exister des lieux», c’est se mouvoir suivant une trajectoire qui lie un ensemble de situations. C’est une espace énonciatifdans lequel se forment des recits.

PRATIQUER LA VILLE

Guy Debord, The naked city

Franz Ackerman peint ses expériences urbaines sous la forme de cartes mentales. Il représente des souvenirs d’architectures, de matières et de mouvements que côtoie son imaginaire. La ville est fragmentée par une multitude d’élements, comme un ensemble d’ambiances colorés, liées les unes aux autres dans un ensemble amalgamé, bouillonnant de vivacité. Une représentation personnelle influencé pas ses sensations et ses émotions. En 1956, Guy Debord introduit la psychogéographie, qui « proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les emotions et le comportement des individus.» Il propose ainsi l’experience de la dérive. « Comme un morceau d’architecture, la ville est Plutôt que de demeurer emprisonnés dans leur routine quotidienne et de une construction dans l’espace, mais sur une faire chaque jour le même trajet sans vaste échelle et il faut de longues périodes de prêter la moindre attention à leur temps pour la percevoir. La composition urbaine environnement vital, la dérive pousse est donc un art utilisant le temps, mais il est rare les citadins à suivre leurs émotions qu’on puisse y employer les séquences contrôlées pour regarder les situations urbaines sous un angle nouveau. et limitées d’autres arts fondées sur le temps, Un mode de cheminement intuitif, telle la musique. » guidé par l’impression et l’effet subjectif des lieux, pour « amener les citadins à reconsidérer la Kevin Lynch, l’image de la cité manière dont ils vivent l’espace urbain.

31


VÉLOCITÉ

LA VILLE PERCUE

FACTEUR VITESSE

32

Le temps passé à parcourir l’espace, définis également une variable à cette relation entre l’homme et son environnement. Dans une tentative d’épuisement d’un lieu parisien, George Perrec choisi la fixité, une terrasse de la place Sainte Suplice, pour percevoir son monde environnant. Une observation et une description d’ «actions simultanées», une suite de microévénements dont chacun implique «des postures, des actes moteurs, des dépenses d’énergie spécifiques qui produisent une ambiance singulière. Il l’analyse et la digère. Une approche phénoménologique du lieu qui dans l’immobilité, contemple les mouvements d’un espace fixe. A l’inverse, une ville est traversée dans une mobilité permanente qui n’appellerait pas à la contemplation. L’individu perd prise avec le lieu en le parcourant, il accelère son apréhension, développant une perception itinérante; un double déplacement du passager, et des lieux traversés composés de paysages fuyants aux repères confus, dans lesquels une masse d’informations se noies. Négligant la compréhension de l’environnement. La vitesse influence notre perception, déformé par le cinétisme de l’action. L’expérience sensorielle du lieu est réduite à un aperçu et develloppe une autre expérience prenant en compte le facteur vitesse.

En photographie, les paysages véhiculaires définissent un effet de flou par le défilement du paysage. Des clichés pris à l’intérieur/sur un véhicule. La perspective dynamique d’un lieu. Des visions qui fascinent les futuristes Italien du début du XXéme siècle. Ils étudient cette relation corps/véhicule/espace. La dynamique d’un corps itinérant, son impacte, sa vibration et son aspiration à être au paysage par le mouvement. A la recherche d’une energie plastique ou le mouvement prédomine sur la forme, ils exploitent une multitude de techniques allant de la peinture à la musique.

33


VÉLOCITÉ

LA VILLE PERCUE

Il traverse l’avenue, une longue et large ligne droite, segmentée par des blocs d’immeubles entre lesquels s’engouffre un vent puissant. Il lutte contre la masse d’air frais qui englobe son corps. Sa position aérodynamique le lie dans une relation fusionnelle avec sa machine, et prolonge ses membres inférieurs dans le mouvement cyclique de son pédalage. Son visage est crispé. La puissance qui se développe de ses mollets le transporte progressivement. Ses respirations rythment l’espace parcouru, en de courtes séquences répétitives. Dans l’effort physique, son corps et les élements du paysage s’entrelacent harmonieusement. Un sentiment d’unicité l’envahit

34

35


LA VILLE PERCUE

VÉLOCITÉ

S+6-9)73+1:344>) 955,

D3/9,)D36

LA VILLE PERÇUE / LE CORPS CYCLISTE

perçus comme des utilisateurs de la chaussé, de potentiels dangers. C’est faire corps avec la ville avec les spécifités de cette environnement.

L’espace urbain est un bouillonnement de signes, un monde en mouvement, vibrant de sonorité, de couleurs et de textures dans lequel le corps est immergé.

«Chaque individu vit la ville sur et dans son propre corps. C’est par son corps qu’il découvre le monde dans lequel il vit.»

Le corps sensible Vivre la ville est un engagement corporel, c’est s’exposer à l’environnement Thierry Paquot , Des corps urbains ambient pour le percevoir. Le corps est une plateforme sensible qui reçoit des signes visuels, sonores, tactiles, olfactifs... qui deviennent sensations; le contact de l’air sur sa peau, du son, des couleurs, de la luminosité... De cette relation se développe l’être à la ville. 36

Eprouver la ville L’ approche cycliste modélise une expérience de l’environnement dans l’effort. Elle développe une sensibilité forte: -aux éléments naturels et à leurs rythmes, notamment les conditions climatiques,la température (effet winchild, climat corporel dans l’effort...), le vent, l’humidité, ou encore la luminosité. -à l’espace, ou iI est soumis aux qualités de la route pratiqué, à sa forme (direction, rythme), son relief (côtes, descentes), ses revêtements de sol, mais aussi aux constructions architecturales qui l’entourent. -à son orientation, avec une attention particulière à la signalisation et à ses repères personnels qui alimentent son cheminement. -aux mouvements, aux autres utilisateurs, qui sont d’abord

Phénoménologie de l’urbain Experimenter la ville c’est se plonger dans son atmosphère, être dans une relation directe à ses mouvements; Aux ballets luminescents des phares des voitures, au souffle Nathalie Blanc, Vers une esthétique environnementale du vent entre les immeubles, au contact de l’air pollué de l’auto route commes aux parfums. C’est saisir sa musicalité, ses nuances et ses variations dans un spectre d’ambiances qui reflete son identité. 37 La ville est un monde qui éclos en nous poétiquement et qui nous affecte émotionnellement. Les dessins de Julie Merhetu définissent cette relation sensible au monde ambient dans la mobilité. Des compositions dynamique, ou des tracés architecturaux s’étraignent à des surfaces colorés modélisant une experience subjective personelle. Une nouvelle forme de poésie urbaine, à l’image des «peintres de la vie moderne».

«l’ambiance articule sensorialité, affectivité, mobilité et sociabilité. L’ambiance, sa richesse sensorielle, perceptuelle donne le sentiment d’une perte de repères, d’une immersion dans l’environnement, qui ajoute à l’intensité vécue.»

-


VÉLOCITÉ

CONCLUSION

-

Plus qu’un simple déplacement, la mobilité quotidienne c’est une manière de vivre la ville, lui donner un sens personnel. C’est s’approprier son corps, ses mouvements, embrasser ses qualités et reconnaître ses contradictions. Une relation qui demande de l’attention, de la contemplation, mais aussi une certaine vitesse. Le cyclisme donne un rythme mesuré, il accélere ce rapport tout en étant limité par l’effort humain. La vélocité amplifie l’intensité physique et émotionnelle de l’être à la ville.

38

39


ANNEXE

VÉLOCITÉ

INDEX BIBLIOGRAPHIE

Suburbia, Bruce Bégout, editions inkulte, 2009

Esthétique de la disparition, Paul Virilio, Galilé, 1989

L’ Image de la cité, Kevin Lynch, éditions Dunod, 1976

La ville générque, Rem Koolhaas, 1994

Des corps urbains : sensibilités entre béton et bitume, Thierry Paquot, éditions Autrement, 1970

Vers une esthétique environnementale, Nathalie Blanc, editions Quae

Corps urbains, mouvements et mise en scène, Sylvie Miaux, geographie et culture, 2009

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Georges Perrec,

Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Marc Augé, Seuil, 1992

40

FILMOGRAPHIE

Solaris, AndreÏ Tarkovsi, Mosfilm, 1972

Tokyo GA, Wim Wenders, 1985

Lost in translation, Sofia Cop- The limits of Control, Jim Jarmush, 2009 pola, 2013 Traffic, Jacques Tati, 1971 WEBOGRAPHIE

Forum Vies Mobiles

41




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.