L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (1/ 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 17 juillet 2013
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L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (1/ 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 17 juillet 2013 L’ombre de Sténio Vincent continue de peser lourdement sur les destinées d’Haïti bien qu’il soit disparu de la scène politique officielle haïtienne depuis 1941. Pour certains, il représente un modèle, le prototype du politicien passé maître dans le jeu des luttes de pouvoir. Pour d’autres, c’est un personnage infect qui représente la quintessence du mal haïtien. Durant la décennie qu’il a passée à la présidence (1930-1941) il a déclenché un cycle de péripéties qui, au bout du compte, ont magistralement desservi Haïti. Selon le côté où l’on se situe, on l’apprécie ou on le rejette. En tant que citoyen et homme politique (1874-1959) il a joué un rôle important dans un grand nombre d’événements tragiques. Il a forgé des outils d’analyse et établi des manières de faire pour apporter de fausses réponses aux questions sociopolitiques et économiques qui taraudent la société haïtienne. Pas seulement de son temps mais surtout depuis lors par les mécanismes de transmission qui orientent la marche avant ou arrière d’une civilisation qui encourage le chen manje chen au lieu de la justice, de la solidarité et de l’amour. Son dossier est lourd avec des avancements, mais surtout avec des reculs. Le journal Le Matin du 5 décembre 1951 cernera la perplexité du personnage en ces termes : « Les disciples de Freud situeraient volontiers le cas de Vincent entre le sadisme et le narcissisme. Toutefois l’origine du mal déroute le psychiatre. Souvent les amis de l’ex-Président racontent comment avant 1930 il vivait d’expédients, trainait un peu partout, et tendait la main vers les directeurs de journaux et les marchands de pistaches. » Sténio Vincent commence sa carrière publique en tant que secrétaire-rédacteur au Sénat de la république de 1892 à 1896. Parallèlement, il est enseignant, avocat et journaliste. À 19 ans en 1893, il devient le correspondant en Haïti du journal La Fraternité dirigé par Benito Sylvain à Paris. Expérience première significative car il fondera par la suite deux journaux L’Effort en 1902 suivi de Haiti-Journal en 1930. Sa carrière politique proprement dite commence en 1896 dans les missions diplomatiques d’Haïti en France, en Allemagne et en Hollande. On le retrouve en 1902 en Haïti soutenant dans L’Effort la candidature du général Nord Alexis contre l’illustre Anténor Firmin en diffusant la fausse information que ce dernier aurait donné l’ordre de bombarder la ville de Port-au-Prince. Cette fausse information mit une partie importante de la population de la capitale contre Firmin et contribua à la victoire de Nord Alexis. Vincent ne se fait aucune illusion sur le « suffrage universel » qu’il considère « comme un étrange et authentique commerce de détail de la conscience nationale ». Dans son entendement, les élections sont de vastes farces au cours desquelles on mange, on boit et on fait des transactions de toutes sortes. Il écrit : 2
« Nous mangeons, monsieur, et nous buvons. Nous ne comprenons pas autrement le Progrès. Il n’y a de patriotique que la "bobote" et de national que le tafia. …. C’est notre tour de spéculer. Nous le faisons consciencieusement. Nous appartenons à une curieuse variété d’Haïtiens. Nous sommes obligatoires et déconcertants. On nous appelle électeurs dans les classifications de citoyens. Nous allons à l’urne, gais et contents. Nous nous saoulons à toutes les buvettes et nous votons pour tout le monde [1]. » Sténio Vincent fera toute sa carrière politique dans une continuation de l’ancien, sous prétexte de nouveau. Il devint maire de la capitale en 1908. En août 1916, il est nommé ministre de l’Intérieur et des Travaux Publics. Quelle gymnastique pour un nationaliste de réaliser un atterrissage dans un gouvernement de collabos ! Puis il démissionne en février 1917. En avril 1917, il est élu sénateur, puis président du Sénat. C’est alors qu’en bon démagogue, il dira « merde » à l’officier américain Smedley Butler venu fermer les portes du Sénat. Un propos outrageant, mais non improvisé sur un sujet brûlant dont les causes n’ont été qu’effleurées. C’était un style politique car « sans aucune raison, l’injure coulait de ses lèvres, comme l’eau des fontaines [2] ». Sténio Vincent claque la porte au nez des marines et sa position fait du bruit dans la classe politique. On le retrouve membre de la délégation de l’Union Patriotique avec Perceval Thoby et Pauléus Sannon qui se rendirent à Washington en mai 1921 présenter au Congrès américain le Mémoire dénonçant les crimes perpétrés par les troupes de l’occupation et demandant l’envoi d’une commission d’enquête. La boucle est bouclée Entretemps, Sténio Vincent mène une vie difficile à comprendre. Il contracte des dettes ridicules de marchandes d’acassan (AK100), de marchandes de fritay et d’autres gagne-petit. Lors du procès qu’Émile (Milo) Rigaud intenta contre lui en 1943, « la défense présenta divers témoins dont les déclarations mirent en lumière que Mr. Vincent avait l’habitude de recevoir des prêts et de ne jamais payer. Parmi les témoins, se présenta une femme à qui Vincent refusa de payer une note pour fritures et, enfin, le dernier terme d’une créance en faveur de Seymour Pradel de 20.000 dollars. Parmi les noms des personnes citées auxquelles Mr. Vincent savait emprunter de l’argent, il fut aussi cité, par l’accusé le nom de S. E. l’honorable Président Trujillo [3]. » Vincent est passé maître dans cette pratique consistant à s’endetter avec la volonté de ne pas s’acquitter de ses obligations. Certains de ses créanciers perdirent la vie pour avoir voulu être remboursés. Le cas le plus connu est celui de Louis Callard à qui il devait 30 000 gourdes. Ce dernier fut tout bonnement arrêté et tué sous ses ordres. Ce n’est donc pas nouveau qu’Haïti se fasse escroquer par le banditisme légal. La boucle a été depuis longtemps bouclée. Bien sûr, à l’époque, les dirigeants politiques évoluaient à l’intérieur d’une certaine permissivité et ne montraient pas leurs organes sexuels. Les nationalistes remportent une victoire sans précédent aux élections législatives du 14 octobre 1930 battant les candidats conservateurs du parti national progressiste et du Mayardisme [4]. Aux élections présidentielles de 1930, Sténio Vincent corrompt les parlementaires avec l’argent 3
distribué par le Nonce apostolique et Edmond Estève. Vincent achète ainsi les votes qui conduisent à reporter les élections du lundi 17 novembre 1930 en milieu de séance afin de procéder aux élections frauduleuses du mardi 18 novembre 1930 qui lui donnent la victoire contre le firministe Seymour Pradel. Comme l’écrit Franck Sylvain : « Selon les observateurs et connaisseurs de l’heure, ce renvoi devait tout remettre en question. Si l’élection présidentielle était faite le 17 novembre, le Sénateur Seymour Pradel l’emportait de haute main. Une demi-journée et une nuit devaient suffire pour tout changer [5]. » Aux élections renvoyées du 18 novembre 1930, les votes des 50 membres de l’Assemblée nationale (15 sénateurs et 35 députés) sont ainsi répartis entre les différents candidats. Il a fallu quatre tours de scrutin et des marchandages et achats de vote pour décider de l’élu. Au premier tour de scrutin, les votes sont ainsi répartis : Sténio Vincent (15), Seymour Pradel (12), Jean Price Mars (7), Pauléus Sannon (5), Léon Nau (4), Constantin Mayard (3), Adhémar Auguste (2), David Jeannot (1) et Perceval Thoby (1). Au deuxième tour de scrutin, Sténio Vincent (21), Seymour Pradel (12), Jean Price Mars (11), Pauléus Sannon (4), Léon Nau (2). Au troisième tour de scrutin, Sténio Vincent (25), Seymour Pradel (20), Jean Price Mars (5). Et enfin au quatrième et dernier tour de scrutin, Sténio Vincent (30), Seymour Pradel (19), Jean Price Mars (1). Il fallait obtenir 26 voix pour être élu président. Ces élections sont cruciales car elles donnent une idée de la manière dont les nouvelles forces sociales encouragées par l’occupation américaine sont intégrées dans le marché politique traditionnel. L’apport de la corruption a été significatif pour arriver à l’arithmétique électorale donnant la victoire à Sténio Vincent sur son rival Seymour Pradel qui a refusé de se salir les mains. Une fois au pouvoir, Sténio Vincent mène une campagne discrète mais efficace aboutissant à la dissolution de l’Union Patriotique [6] le 23 novembre 1931. D’abord il nomme Perceval Thoby et Pauléus Sannon ministres pour tenter de les désolidariser du reste des militants. Antoine Rigal, Victor Cauvin, Joseph Jolibois ne démordent pas et annoncent le 11 mars 1931 la planification du second congrès national de l’organisation au Cap-Haitien. Le 16 mai 1931, le Comité central de l’Union Patriotique publie le Communique suivant : « Considérant que le mouvement de restauration nationale est entré dans une phase décisive et plus précise par la présence et l’action de nos chambres législatives. Considérant qu’il a lieu de réaffirmer ces principes Renouvelle à la face du pays son invariable volonté de poursuivre sans trêve ni merci la réalisation des desiderata publiquement indiqués depuis 1920, date de sa fondation, notamment le RETRAIT dans le plus court délai de l’occupation militaire américaine et la réintégration du pays dans ses droits souverains. Invite tous ses membres et tous les Haïtiens à s’unir dans cette même pensée jusqu’au succès final. Assure de son appui tous les pouvoirs publics tant qu’ils continueront à se faire les sincères et loyaux défenseurs des droits imprescriptibles de la nation. 4
Rigal, administrateur délégué ; Victor Cauvin, Secrétaire général ; Joseph Jolibois Fils, Dr. Rampy, Justin Rousseau, L. Brutus, Marc Cauvin, R. Racine, W. Michel, F. Heyne, CH. D. Hyppolite, Emile Cauvin, H. Chancy, D. Jeannot, Stephen Alerte, etc [7]. Le gouvernement Vincent fait voter au parlement le 29 mai 1931 une loi qui élimine l’article 128 de la Constitution de 1918 déterminant les procédures de révision constitutionnelle et renvoie l’organisation de cette dernière à la prochaine session ordinaire du Parlement, c’est-à-dire après les élections législatives de janvier 1932. Le tour est joué. La machine est accélérée après que l’Union Patriotique ait annoncé le 21 octobre 1931 sa participation aux prochaines élections législatives. Alors, des convives sont appelés autour de la table pour faire rendre gorge à l’Union Patriotique. Dès le 23 octobre 1931, l’éditorialiste du journal Le Nouvelliste monte au créneau. Dans un article intitulé « L’Union Patriotique et les prochaines élections », Le Nouvelliste démarre le festin. Dans son entendement, l’Union Patriotique ne doit pas s’occuper de politique intérieure. Suite à un communiqué de l’Union Patriotique en date du 24 octobre 1931, protestant contre la dissolution du Conseil communal de Port-de-Paix et appuyant la candidature d’Alphonse Henriquez aux prochaines élections de janvier 1932, Le Nouvelliste réagit avec un solide coup de fourchette. Dans son numéro du 26 octobre 1931, il écrit : « L’Union Patriotique se doit à sa grandeur de ne pas faire de politique intérieure. Elle se doit de respecter l’article XI de ses statuts qui dispose : " L’Union Patriotique s’interdit toute politique de parti ou de personne". [8] » Cet os à ronger pour la canaille trouve vite preneur pour dire mmmmmh. Coup sur coup, des membres de l’Union Patriotique dont les voix n’étaient pas tellement audibles auparavant dont J. Rampy de Port-au-Prince et Lelio Lissade de Léogane commencent à prendre leur distance vis-à-vis du comité central des Antoine Rigal et Victor Cauvin. Les masques tombent et s’égrène le chapelet de combines. Dans le corps à corps avec les nationalistes, le populisme fasciste de Sténio Vincent triomphe. Lelio Lissade reprend la thèse du Nouvelliste et suggère, d’une main charitable, la dissolution de l’Union Patriotique. Il martèle ses vœux de dépeçage le 29 octobre et le 6 novembre 1931. C’est ainsi qu’Haïti est devenue une maison de passe et un bourbier. Les trafiquants d’idéal, en attendant de devenir des trafiquants de drogue, s’imposent et deviennent des idoles. Et sans plus tarder le 23 novembre 1931, le journal Le Matin annonce : « Le gouvernement a pris la décision de dissoudre l’Union Patriotique, dont les activités, dans l’actuelle campagne électorale, lui ont paru subversives. L’autorisation de se constituer lui a été retirée [9]. » Dans le même temps, le gouvernement de Vincent s’engage dans une « Haitianisation au ralenti » en utilisant la caution nationaliste qu’il avait. L’opinion publique exprimée par le journal Le Matin est ulcérée et se demande justement « comment comprendre, par exemple, que M. Pauléus Sannon qui a volontairement quitté le pouvoir en 1915 pour ne pas signer telle qu’elle était alors, la Convention, accepte quinze ans après le Ministère des Relations Extérieures, sous l’emprise de cette même Convention, et aggravée d’accords et de protocoles ? [10] » Le regard inquisiteur du journal Le Matin a-t-il sonné le tocsin pour les deux poids lourds de l’Union Patriotique au sein du gouvernement ? Tout le laisse croire, car deux mois plus tard, soit 5
le 18 mai 1931, les deux autres ministres nationalistes Perceval Thoby (secrétaire d’État des Finances) et Pauléus Sannon (secrétaire d’État des Relations Extérieures) sont révoqués du Cabinet ministériel. On se rappelle qu’ils avaient accompagné Sténio Vincent à Washington pour présenter le réquisitoire des patriotes haïtiens en mai 1921. Ils sont remplacés respectivement par Ernst Douyon et Abel Léger. C’était l’effondrement du projet nationaliste qui commence sous la gouverne de ce redoutable ennemi de la modernité que représente Sténio Vincent. On s’explique donc le mot de Frédéric Burr-Reynaud, député de Léogane, qui déclare à la séance de la Chambre du 29 mai 1931 : « nous sommes partis, les épaules chargées de rêves, vers les cimes de la liberté, et voici que le gouvernement nous inonde d’un crépuscule de boue. » Expert en déshumanisation des esprits, Sténio Vincent avait compris qu’il peut perdre du terrain ici et en regagner ailleurs grâce aux chaises musicales des cabinets ministériels. Il en aura connu treize (13) en dix ans de pouvoir, soit du 22 novembre 1930 au 15 mai 1941. « A-t-on jamais vu un Haïtien refuser un portefeuille ministériel ? », se plaisait-il à répondre à ceux qui doutaient de sa capacité de combler certains postes ministériels. Les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé depuis ! La flèche du journal Le Matin est en effet lancée vers le président Vincent qui était membre de la délégation de l’Union Patriotique envoyée à Washington et qui traînait les pieds en reniant l’essence des objectifs nationalistes de la désoccupation d’Haïti pour lesquels il avait été élu. La Chambre des Députés par un vote unanime prend une résolution en date du 19 juin 1931 demandant que le président Sténio Vincent agisse pour mettre fin à l’occupation « dangereuse et illégale » d’Haïti par les Etats-Unis. La résolution est approuvée également par le Sénat qui exige la désoccupation immédiate. Pauléus Sannon, ignorant alors le retour de manivelle du dispositif diabolique du président Vincent, avait répondu diplomatiquement aux députés nationalistes qu’ils n’ont pas à s’occuper de ces choses-là. Par un recours cynique à la rumeur, le gouvernement fait parvenir aux députés nationalistes un message très clair : « Si la présence américaine vous déplait, prenez vos fusils pour les chasser. » Des esclaves satisfaits À la séance parlementaire du 29 juin 1931, le député Victor Cauvin, membre fondateur de l’Union Patriotique, offre une réponse cinglante au gouvernement de Sténio Vincent. Il déclare : « Cela est stupide, parce qu’impossible, mais nous crierons, nous protesterons, nous ne nous montrerons pas des esclaves satisfaits. Il faut que jusqu’au dernier moment, nous manifestions publiquement au monde entier que nous ne sommes pas satisfaits de la situation qui nous est injustement faite. Il nous faut continuer à crier comme nous l’avons fait depuis 1915. Je me rappelle qu’en 1920, L’Union Patriotique eut à envoyer, en mission aux Etats-Unis, trois délégués. C’est grâce au scandale qu’ils ont provoqué que la Commission Mc Cormick est venue ici. Nous avons obtenu quelques satisfactions ; la loi martiale a été levée [11]. » Le propos de Victor Cauvin est d’une grande résonance aujourd’hui. Pour tous ceux et celles qui ne se croient pas impuissants devant les forces d’occupation de la MINUSTAH. La quête de libération est présente. Permanente. C’est une quête du réel qui refuse tout compromis avec l’embonpoint qu’offre un poste politique dans l’administration de Sténio Vincent. Il convient 6
donc de se demander à qui profite l’idée confuse et dangereuse de présenter le gouvernement Vincent comme un modèle ou une référence. (à suivre) …………….. * Economiste, écrivain [1] Sténio Vincent, Haïti littéraire et sociale, Janvier 1912. Lire aussi Sténio Vincent, En posant les jalons, Haïti, Imprimerie de l’État, 1939, p. 155. [2] « Le complexe de Vincent », Le Matin, 5 décembre 1951. [3] Milo Rigaud, Sténio Vincent révélé par la justice et par l’opinion publique, Haïti, Imprimerie Deschamps, 1957, p. 19-20 [4] Leslie Péan, « Unité et conjoncture politique en Haïti : L’Union Patriotique haïtienne 19201930 », numéro 14, Collectif Paroles, Montréal, octobre-novembre 1981, p. 29. [5] Franck Sylvain, « Dix-Huit Novembre ! – Réflexions de l’ex-président Franck Sylvain », Le Nouveau Monde, 22 novembre 1978. Lire aussi « Séance inaugurale du lundi 17 novembre 1930 », Le Moniteur, numéro 98, 1er décembre 1930. [6] Sur l’histoire de l’Union Patriotique, on lira Georges Sylvain, Dix ans de lutte pour la liberté (1915-1925), P-au-P, Imprimerie Deschamps, 1959. Lire aussi Leslie Péan, Economie politique de la Corruption — Le Saccage, Tome III, Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2006. [7] « Communique du Comité central de l’Union Patriotique », Le Nouvelliste, 19 mai 1931. [8] « Le vrai devoir », Le Nouvelliste, 26 octobre 1931. [9] Le Matin, 23 novembre 1931 [10] « Ce qu’il fallait faire », Le Matin, 4 mars 1931. [11] « La Chambre d’Haïti demande la fin de l’occupation des Etats-Unis », Le Matin, 1er juillet 1931.
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L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (2 / 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 18 juillet 2013 En parlementaire nationaliste, Victor Cauvin refuse de rester indifférent à l’occupation de son pays, surtout à un moment où il constate le décalage entre le discours du président Vincent et le réel de sa pratique du pouvoir. Un décalage qui indique sa complicité directe avec les forces d’occupation. Victor Cauvin propose donc la démarche des rebelles et dit : pas de compromis. Une démarche d’une grande sensibilité et d’une extraordinaire maturité. D’ailleurs, elle s’appuie sur le fait que le Traité du 16 septembre 1915, ratifié le 3 mai 1916, avait été conclu pour une période de dix ans terminée en 1926. L’astuce de sa prolongation concoctée en 1917 avec le président Sudre Dartiguenave n’a aucune base légale, car n’ayant pas été ratifiée par le Parlement. La condamnation de l’occupation par Victor Cauvin est sans appel. Il continue : « Plus tard, nous avons continué à protester, et quand la grève de Damiens éclata, elle a eu l’ampleur que vous savez. Le gouvernement américain a été obligé de s’occuper plus sérieusement de la question haïtienne et a abouti à la Commission Forbes. Si nous répétons avec le secrétaire d’État qu’il n’y a rien à faire, nous aurions montré que toutes nos protestations n’ont été que des farces pour captiver la crédulité politique et arriver à obtenir un siège ici. Nous aurions trompé la confiance de ceux qui nous ont confié la défense de leurs intérêts les plus sacrés [1]. » Avec l’aisance des coquins qui ont plus d’audace que les honnêtes gens dans ce pays, le président Vincent organise la défaite de la révision de la Constitution telle que programmée pour la séance de décembre 1931 à la Chambre des députés. Les députés nationalistes proposent d’amender la charte fondamentale conçue et écrite en 1918 par le futur président Franklin Delanoë Roosevelt, alors assistant secrétaire à la Marine. Les nationalistes haïtiens n’ont pas oublié qu’en 1920, le candidat républicain à la présidence américain Warren Harding avait déclaré que s’il avait été élu président, il n’aurait jamais « donné les pouvoirs à un Assistant Secrétaire à la Marine pour écrire une Constitution pour de pauvres voisins dans l’hémisphère occidental et la faire entrer de force dans leurs gorges à la pointe des baïonnettes des marines américains [2]. » Les parlementaires haïtiens veulent mettre fin immédiatement à l’occupation américaine en rétablissant la séparation et la limitation des pouvoirs tandis que le gouvernement de Sténio Vincent ne l’entend pas ainsi. Il veut s’accrocher à la tradition présidentialiste absolutiste telle qu’appliquée depuis 1804 et renforcée par l’occupation américaine qui avait dissous le parlement haïtien en 1917. C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’action de Joseph Jolibois Fils, président de la Chambre des députés en novembre 1930. Il cultive un amour profond pour la démocratie qu’il manifestera dans les différentes actions menées pour empêcher le président Vincent de faire à sa
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guise. Il dénonce au perchoir le 29 mai 1931 le refus de ce dernier de laisser le Parlement se réunir en Assemblée Constituante pour écrire une nouvelle Constitution. Jolibois voulait revenir à la Constitution de 1889 à laquelle les Américains avaient substitué celle de 1918. C’était un homme qui avait de la personnalité et qui ne pouvait se soumettre à un autre homme, fut-il président de la république. Comme eut à le faire le secrétaire d’État de l’Intérieur Nemours Pierre Louis face à l’irascible président Florvil Hyppolite voulant sortir du palais pour continuer la répression en 1891, il pouvait dire non au président quand il estimait que celui-ci se trompait. Jolibois opposa donc de solides arguments au président Vincent. Primo, il se réfère au fait qu’élu président du sénat en 1917, le même Sténio Vincent avait démarré « les travaux des chambres législatives en Assemblée Nationale Constituante pour doter le pays d’une nouvelle Constitution [3]. » Un monde démoniaque précédant l’émergence de l’être Secondo, Jolibois affirmait que même la Commission Forbes avait recommandé « la réforme de la Constitution par le peuple haïtien en vue de la désoccupation d’Haïti [4] . » Il n’y avait donc rien de subjectif à se situer dans ce registre. Mais Vincent ne l’entendait pas ainsi. Dans le monde démoniaque précédant l’émergence de l’être, il veut le monopole du pouvoir et déclenche une offensive coordonnée contre ses adversaires. Avec cette conception antique, Jolibois était perdu. En effet, le 17 novembre 1931, le juge Élie Lescot l’accuse d’avoir participé à l’assassinat de son collègue Élius Élie, député de Lascahobas. La ficelle est grosse avec une lettre présumée être de l’écriture de Jolibois trouvée dans la poche du mort invitant ce dernier à une rencontre nocturne au carrefour Hinche/Belladères pour lui révéler un complot machiavélique contre lui. Finalement, après un an d’enquête, il est renvoyé hors de cause. Le journal La Presse de Seymour Pradel et René Auguste qui avait alors dix ans d’existence refuse d’avaler le morceau du pouvoir sur Jolibois. Pour La Presse, il est « peu vraisemblable que celui-ci risque sa réputation pour tuer un personnage de nulle importance [5]. » Le président Vincent n’aime pas le ton de cet article qui soutient la position d’un groupe de sénateurs et de députés préoccupés par le traitement infligé à Jolibois. Il convoque René Auguste et lui intime de rectifier en choisissant entre son portefeuille ministériel et son journal [6]. Ce sera le dernier numéro du journal La Presse. Entretemps, le 17 novembre 1931, Jolibois est arrêté pour la quatorzième fois dans sa carrière politique depuis une décennie et mis en prison. Sept jours plus tard, comme on l’a vu antérieurement, le 23 novembre 1931, le gouvernement procède à la dissolution de l’Union Patriotique. Huit jours après l’arrestation de Joseph Jolibois Fils, soit le 24 novembre 1931, les sénateurs Fouchard Martineau, Léon Nau, Seymour Pradel, David Jeannot, Dr. Jean Price-Mars, Antoine Télémaque adressent une lettre à M. Emmanuel Rampy, Ministre de l’Intérieur, pour condamner le mauvais traitement réservé à leur collègue parlementaire. Ces sénateurs refusent de rentrer dans la danse en battant des mains au montage sur roulettes du pouvoir exécutif pour écarter Jolibois de la participation aux élections du 10 janvier 1932. En indiquant comment Jolibois venait d’un monde où la terre qu’on foule et l’esprit qui y règne ne conduisent pas au meurtre, les sénateurs campent ce sémaphore des luttes patriotiques depuis 1915 dans son efflorescence multiple. 9
Les sénateurs écrivent que rien ne peut associer M. Jolibois « à l’infamie du meurtre sur la personne du Député Élius Élie. Il est moralement impossible de lui imputer la mort de ce Député. Il est son ami, avait appartenu à l’Union Patriotique, et quelques-uns d’entre nous peuvent témoigner qu’Élius Élie, se décida, sur l’intervention de Jolibois à voter et à faire voter pour plus d’un comme Sénateur. On ne connaît pas au député Jolibois de haine contre les personnes. Les démarches de son esprit vont contre les opinions, les systèmes politiques qu’il a jugés avec d’autres néfastes, incompatibles avec la dignité nationale, mais n’ont jamais révélé ce besoin de nuire qui s’exalte à l’attentat contre les personnes. Depuis neuf jours qu’on s’est empressé de l’arrêter, le bruit court que le coupable s’est livré ou a été appréhendé. Y a-t-il eu une confrontation ? Et en est-il résulté un nouvel indice contre lui ? Personne d’entre nous ne peut le dire. Le silence du pouvoir d’Éxécutif à l’égard tout au moins du président du Sénat ne nous rassure pas. Il n’indique pas que les indices soient pertinents. Il est inadmissible qu’on allègue pour le justifier le secret de l’instruction. Ici, comme ailleurs, les crimes politiques sont dénoncés par la police politique, rattachée directement au département de l’Intérieur. Avant d’être le secret du Juge d’Instruction, les indices recueillis par la police politique appartiennent au Pouvoir Exécutif et l’arrestation s’étant opérée sur un Membre du Corps Législatif, il n’y aurait aucune raison à ne pas informer les bureaux des deux Chambres sur ses causes même à condition d’en garder le secret. On est donc libre de penser que votre Gouvernement ne tient pas à conserver l’harmonie entre les Pouvoirs Publics haïtiens et de croire que la conviction ou le simple sentiment du Juge d’Instruction et du Commissaire du Gouvernement n’a pas assez de fondement pour retenir en prison M. le Député Joseph Jolibois Fils. Ni le procédé mis en usage contre J. Jolibois Fils, ni les motifs qui l’ont déterminé ne sont de nature à mériter l’acquiescement de ceux qui ont le contrôle de la politique et de l’Administration de ce Pays. Aussi bien, les Sénateurs soussignés vous demandent de noter qu’ils protestent contre la détention injustifiée du député J. Jolibois Fils. Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire d’État, l’expression de nos sentiments distinguées [7]. Le langage est clair et direct. Sans camouflage. Le refus de la profonde uniformité que veut le pouvoir exécutif est prononcé. Son obsession démentielle, sa fureur maniaque contre l’opposition sont combattues. Tout est explicite. La destruction de la pluralité C’est à partir de ces élections du 10 janvier 1932 qu’Haïti devient un véritable sac à misères. Les noces avec le diable fasciste plantant son couteau dans les consciences partent de ce moment-là. Malgré la victoire frauduleuse de la bande à Vincent, Jolibois n’est pas relâché et sa descente aux enfers continue. La haine que lui voue le président Vincent ne connaît pas de bornes. La banalité du mal en tant que destruction de la pluralité dont parle Hannah Arendt [8] s’installe avec une douceur révulsive neutralisant plaintes et complaintes. Toutefois, la Commission d’Enquête du 10
Sénat présentera un rapport en décembre 1933 qui réprouve l’internement de Jolibois, condamne la saisie de son journal et la confiscation de sa correspondance. Le rapport désavoue le traitement arbitraire subi par Jolibois et est adopté à l’unanimité. La solidarité avec Jolibois s’est aussi exprimée à travers le Dr. Brun Ricot qui écrit en décembre 1933, « Il a pu résister jusqu’ici héroïquement aux outrages sans nombre dont il est abreuvé sans répit. Sa longue et injuste détention dans la prison de Port-au-Prince à l’occasion de l’affaire Élius Élie ; la torture morale que lui a infligée une accusation sans fondement comme viennent de le démontrer les récents débats des assises criminelles, la déception que lui causa son arrestation en pleine campagne électorale, à un moment où il se croyait assuré du succès, tout cela aurait suffi pour détraquer l’esprit le plus vigoureux. Mais j’affirme comme médecin que M. Jolibois a pu résister avec succès à tant d’épreuves [9]. » Jean Price-Mars également refuse de louvoyer et accompagne avec sa voix résonnante celle du Dr. Brun Ricot. Avec l’intelligence habitant les propos de l’oncle, il écrit : « Eh bien, explique Price Mars, parvenu au faite des grandeurs et voulant se débarrasser de Jolibois Fils, il (Vincent) ne trouva rien d’autre à faire que de l’impliquer dans le sordide assassinat de Elius Elie, Député de Lascahobas, à l’aide de faux fabriqués sous ses ordres. Il le fit déférer devant le Juge d’Instruction, emprisonner dans la plus étroite cellule du pénitencier de Port-au-Prince où il mourut. La voie était libre pour une libre application du népotisme. Sténio Vincent par cet ignoble stratagème, fit élire son propre frère Nemours Vincent, premier Député de Port-auPrince, lui qui n’avait d’autre mérite que d’être le frère du Président de la République. » [10] La double manœuvre du gouvernement Vincent donnera les résultats espérés. D’une part, le très populaire député Joseph Jolibois n’est pas réélu député aux élections législatives du 10 janvier 1932. En effet, il n’a pas pu faire campagne, a été gardé en prison, et n’a été libéré provisoirement par le juge Vilgrain que douze jours après les élections, soit le 22 janvier 1932. D’autre part, la capacité de mobilisation des vrais nationalistes a été éreintée. L’objectif double est atteint car les élections du 10 janvier 1932 constituent une vraie mascarade où tous les députés qui étaient des hommes à abattre l’ont été. 33 sur 36 sièges sont « gagnés » par les partisans de Vincent. Jolibois est foudroyé par la manœuvre de Vincent consistant à le faire arrêter par Élie Lescot et à le garder en prison jusqu’après la diffusion des résultats des élections. Les gens éclairés ont dénoncé la manœuvre à travers des observations qui se sont révélées pertinentes. Mais en bon immolateur, Vincent ne va pas s’arrêter en si bon chemin pour ravaler Jolibois et en finir avec lui. Il continuera avec son entreprise sinistre jusqu’à lui administrer le coup de grâce final. Les élections de 1932 : un coup de force du Gouvernement contre le peuple Pour arriver à ses fins d’éliminer la pluralité, le président Vincent va corrompre le député Dumarsais Estimé pour affaiblir les députés nationalistes. Écoutons le syndicaliste Lydéric Bonaventure raconter comment cette opération de corruption commença avec : « la fameuse séance de la révision constitutionnelle de la Chambre de 1930 par un acte de trahison inqualifiable. Dans une réunion intime, Estimé fit la promesse formelle à ses collègues : Descartes Albert, Bellerive, Jolibois, Rousseau, etc. de voter avec eux pour la révision immédiate de la Constitution de 1930. Appelé dans la nuit de Décembre 1931 par Vincent, 11
Estimé promit à ce dernier de trahir en votant contre la révision immédiate. En effet, Estimé trahit ses honorables collègues, le lendemain il vote contre. Stupéfaction ! surprise ! colère ! indignation ! Les poings sont fermés, les dents sont serrées. Le traitre debout regarde insolemment l’assistance. Vaugues veut l’abattre, mais il est retenu par ses collègues. Sur 17, seul Estimé a trahi ; tous sont encore vivants, excepté Jolibois qui est mort en prison. C’est ce qui vaut à Estimé son retour à la Chambre en 1932. C’est ce qui lui vaut sa fortune actuelle [11]. » Aux élections législatives de 1932, Vincent organise la fraude générale et ainsi arrive à se défaire des députés démocrates tels que Jospeh Jolibois qui est remplacé par Nemours Vincent, le frère du président. Les autres députés qui perdent leur siège sont Edgar Nérée Numa, des Cayes ; Juvigny Vaugues et Descartes Albert, du Cap-Haïtien ; Horace Bellerive, du Trou du Nord ; Lys Latortue, des Gonaives. C’est aussi le cas pour d’autres députés, dont Jean-Baptiste Cinéas, Durville Jean-François, Laurent Saint-Louis, Frédéric Burr-Raynaud, Victor Cauvin, Marc Cauvin, etc. Le président Vincent les remplace par des inconditionnels qui exécutent ses ordres. La manipulation des élections par l’armée est le carrefour des transgressions de toutes les valeurs et des remplacements du bien par le mal. Pour être élu député des Verrettes en 1932, Dumarsais Estimé bénéficie de la fraude organisée par le magistrat communal d’alors contre le candidat Rosando Rivera [12]. Des pratiques qui se renouvellent depuis systématiquement, comme l’a révélé l’ex-colonel Astrel Roland, alors commandant du département militaire de l’Artibonite [13]. Selon le journal Le Peuple, « Les élections législatives et communales du 10 janvier (1932) dernier furent vraiment, sous les yeux de l’occupation qui sévit encore dans le pays, et un peu avec la complicité dissimulée des officiers nord-américains de la Grade, un coup de force du Gouvernement contre le peuple. Un peu partout dans le pays, les électeurs furent maltraités, battus à l’aide de rigoises ou de matraques, pendant toute la période électorale. Des centaines allèrent en prison, sous les prétextes les plus fallacieux. À l’Arcahaie, une femme (Madame Atercie Guériné) fut baïonnettée le jour même des élections. À Port-au-Prince, un député dont le mandat n’avait pas pris fin, Mr Joseph Jolibois Fils, l’ex-président de la Chambre, fut emprisonné despotiquement et gardé au secret plus de 60 jours, parce que le gouvernement avait peur de son immense popularité ; pour les mêmes raisons, Mr. Georges J. Petit, candidat à la magistrature communale, fut arrêté un soir en pleine rue, envoyé en prison, et le lendemain condamné à l’amende par la justice de paix, soi-disant pour bruits et tapages ; Mr. Alphonse Kébreau, candidat du cartel Jolibois à la magistrature communale de l’Arcahaie fut jeté à la prison de la capitale, où il mourut le 2 janvier 1932, ainsi qu’un électeur du nom de Bazile Baptiste [14]. » Il importe de noter que cette corruption électorale est organisée grâce à la Garde d’Haïti appuyée par les militaires américains qui sont leurs compagnons de route et leurs complices. Le journal Le Peuple fait un relevé systématique des fraudes et autres formes de manipulation telles que la falsification des registres, l’inscription en masse d’électeurs fantômes et les fraudes dans le dépouillement des votes. Le relevé systématique est fait dans toutes les villes et localités telles que Cap-Haitien, Grande Rivière du Nord, Fort-Liberté, Ouanaminthe, Gonaives, Port-de-Paix, Mirabalais, Pilate, Plaisance, Port-Salut, Marmelade, Thomazeau, Aux Cayes, Aquin, 12
Pétionville, Gressier, Grand-Goave, Léogane, Petit-Goave, Anse-à-Veau, Jacmel, Jérémie, etc. (à suivre) [1] « La Chambre d’Haïti demande la fin de l’occupation des Etats-Unis », Le Matin, 1er juillet 1931. [2] « empower an Assistant Secretary of the Navy to draft a constitution for helpless Neighbors in the West Indies and jam it in their throats at the point of bayonets borne by U.S. Marines », Lire Hans Schmidt, The United States Occupation of Haiti, 1915-1934, Rutgers University Press, 1971, p. 118. [3] Joseph Jolibois fils, « Lettre à Clément Magloire, directeur du journal Le Matin », Le Matin, 6 juin 1931. [4] Ibid. [5] La Presse, numéro 673, dans Jean Desquiron, Haïti à la Une, Tome VI, 1997, p. 91. [6] Louis Callard, Le Pays, numéro 202, décembre 1931, dans Jean Desquiron, op. cit. , p. 91. [7] Le Nouvelliste, mardi 15 décembre 1931. [8] Hannah Arendt, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial » (1964) dans Hannah Arendt, Penser l’événement, Paris, Belin, 1989. [9] Dr. Brun Ricot, « Lettre au Dr. Rulx Léon, directeur du service d’Hygiène », Le Nouvelliste, 5 décembre 1933. [10] Jean Price Mars, « Le panorama historique qui explique l’avortement du libéralisme » dans Leslie Péan, Comprendre Anténor Firmin – Une inspiration pour le XXIe siècle, P-au-P, Presses de l’Université d’État d’Haïti, 2012, p. 298. [11] Lydéric Bonaventure, « La trahison de la nuit de Décembre 1931 », La Nation, no. 456, 3 Juin 1946. [12] Le pronom Rosando est parfois écrit Rosendo. Lire Rosendo Rivera, « Protestation de Rosendo Rivera », La Nation, 1er mars 1946. [13] Astrel Roland, Le naufrage d’une nation, Québec, 1981, p. 249-253. [14] Joseph Jolibois fils, « Pour l’histoire – Coup d’œil rétrospectif : Les élections du 10 janvier 1932 », dans La doctrine de Monroe, P-au-P, Imprimerie Héraux, 1932.
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L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (3 / 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 19 juillet 2013 Les pratiques électorales frauduleuses et dictatoriales du gouvernement de Vincent en pleine occupation américaine s’expliquent par sa soif de pouvoir. Une hantise qui lui fera faire les pires entorses et atrocités donnant ainsi des prétextes aux partisans de la discrimination raciale pour pointer du doigt Haïti afin de tenter de légitimer les pratiques racistes de toutes sortes contre les Noirs. Pourtant, Emmanuel Edouard, mort à 33 ans en 1891, avait agité la sonnette d’alarme pour demander aux Haïtiens de bien assimiler leur mission historique et de se ressaisir. Il écrivait : « Oh ! Il faut bien l’avouer, malgré l’inconsolable tristesse que nous en éprouvons, Haïti a fourni des armes aux adversaires de la race noire. Elle a misérablement failli à ses destinées. Et les millions de Nègres du Nouveau Monde ont le droit de l’accuser hautement devant l’histoire et de lui demander un compte sévère. Car, ils seraient encore esclaves aujourd’hui, si, pour les émanciper, on avait attendu qu’Haïti se fut montré capable de comprendre la civilisation. ……. Haïti a dépensé son activité en efforts stériles, a offert au monde le pitoyable tableau d’une démagogie sans idée nette, sans sentiment et sans principe, presque sans âme et sans volonté, se laissant constamment asservir par des ambitieux trop faibles d’intelligence pour avoir aucune conception politique sensée, ne sortant brusquement de son sommeil léthargique que pour jouer d’épouvantables tragédies et pour se porter à elle –même des coups terribles. ….. Haïti doit quelque chose à la race noire. Il est temps qu’Haïti paie [1]. » La répression délirante contre la presse indépendante Le 16 août 1932, le gouvernement de Vincent déclare l’état de siège dans le Département de l’Ouest. Le lendemain 17 août 1932, il procède à la suspension des journaux Le Courrier haïtien, Le Pays, La Bataille, Le Peuple, La Libre Tribune et arrête certains des directeurs de ces publications dont Louis Callard, Joseph Jolibois, etc. C’est la quinzième arrestation de Jolibois. Il importe de remarquer que le gouvernement évoque une loi du 13 avril 1880 référant aux effets de l’état de siège. L’article 5, 4e alinéa de cette dite loi prise sous le gouvernement dictatorial de Salomon déclare « Dans les milieux soumis à l’état de siège, l’autorité militaire a le droit — d’interdire les publications et les réunions qu’elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre [2]. » La perspective dégagée par la philosophe arbitraire des san manman reste attachante et fait partie de la continuité de l’État. C’est la mécanique qui fixe les règles du jeu. Qui donne parfaitement le ton. Les méchancetés et sottises de l’État marron sont présentées comme des bienveillances et des finesses. Les traditions despotiques sont devenues un socle immuable à partir duquel la société haïtienne légitime son attachement aux maléfices. Dans les sillons du malheur sont formulées les lois de la précarité. L’empreinte d’un long règne
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d’arbitraire fait les lois au profit de « la classe de pouvoir d’État » et maintient le pays dans la course de la tragédie. Les méthodes et les traditions politiciennes se reproduisent.
Jolibois ne mesure pas la cruauté du système à son endroit. On ne lui pardonne pas la reconnaissance internationale qu’il a donnée à l’occupation américaine d’Haïti en Amérique latine, dans la Caraïbe et aux Etats-Unis. Il dérange d’autant plus qu’il n’est pas communiste. Chaque fois que la propagande des puissants du jour veut le peindre en imposteur, il rebondit en ouvrant les yeux du peuple des ouvriers et des paysans. Ce que Jacques Roumain avait compris dès son plus jeune âge quand il écrivit de Zurich le 15 janvier 1925 à 18 ans à Joseph Jolibois, directeur du journal Le Courrier Haitien pour lui dire « J’ai appris au hasard de quelques journaux d’ici les poursuites et les persécutions avec lesquelles on récompense votre dévouement…Permettez-moi Monsieur le Directeur, de vous dire toute l’admiration que j’éprouve pour vous. » Saturnin François, président de la Ligue des Sans Travail est libéré le 29 novembre 1932. Il avait été incarcéré pour avoir distribué un tract jugé séditieux par le gouvernement car excitant le peuple et l’appelant à la révolte. Dans le même temps, le gouvernement procède à la suppression du journal Le Centre de Max Hudicourt sous prétexte, pour certains de la critique du discours du président Vincent présenté aux Cayes, pour d’autres de l’état de siège et de la nécessité de combattre le communisme. Sous cette même rubrique sont interdites la « Société économique des ouvriers et des paysans » et la « Société pour la Propagation des Langues Étrangères ». Également Max Hudicourt directeur du journal suspendu Le Centre est arrêté le 28 décembre. À l’occasion du nouvel an 1933, les journaux dominicains La Opinion, Diario del Comercio, Listin Diario, La Tribuna, La Informacion, etc. demandent la libération de Jolibois. Ce dernier est gardé en prison en dépit du fait que les coupables de l’assassinat du député Élius Élie ont été condamnés et que Jolibois a été mis hors de cause depuis le 23 novembre 1932. La cohérence exemplaire du système d’oppression dans son absurdité est délirante. Il faut être particulièrement borné pour garder un an en prison une personne qui n’est pas coupable et continuer à se réjouir en le maintenant en prison pour combattre sa pseudo-subversion même après que les assassins du crime ont été condamnés. Qu’un tel système aussi immonde ne fasse pas vomir toute la population, y compris les grincheux et les médiocres de tout acabit, est du domaine de la sorcellerie. C’est borné, horrible et puant. Difficile d’avoir de la sympathie pour la beauté féroce d’un tel enfer. Le 5 mars 1933, les cinq enfants de Joseph Jolibois (Gérard, Karl, Ivan, Corine et Sylvan) agés entre quatorze et sept ans écrivent à Enrique Lumen, directeur du journal mexicain El Universal Grafico. Ils lui demandant d’intercéder auprès de la jeunesse mexicaine afin que cette dernière alerte le président américain Roosevelt pour demander son intervention afin d’obtenir la libération de leur père injustement emprisonné [3]. Cette initiative est suivie d’autres dans les autres pays d’Amérique latine où Joseph Jolibois était connu pour sa participation à diverses organisations militantes telles que la « Ligne Anti-Impérialiste de Mexico ». Finalement, le 16 août 1933, Jolibois est mis en liberté. On prétend qu’il aurait purgé sa peine de prison d’un an pour « délit de presse ». 15
L’Accord du 7 août 1933 Deux jours plus tard, soit le 18 août, Jolibois remet personnellement au journal Le Nouvelliste un article critique intitulé « L’Accord du 7 août 1933 – La désoccupation militaire quand même avec ou sans accord » que Le Nouvelliste décide de ne pas publier. Il écrit deux lettres au Président Roosevelt [4] et au Secrétaire d’État Corden Hull en date des 1er septembre 1933 et 7 octobre 1933 pour protester contre la fermeture de onze journaux et contre le Traité du 3 septembre 1932. Plusieurs raisons expliquent le comportement de rejet des douze Sénateurs. D’abord, pour la forme, les Sénateurs ne prirent connaissance du projet de Traité que le jour même du vote. Puis, pour le fond, les conditions proposées pour la désoccupation militaire et surtout pour la continuation du contrôle financier américain n’étaient pas acceptables. On ne saurait passer sous silence la répression menée par le gouvernement de Sténio Vincent contre les ouvriers haïtiens luttant contre l’exploitation éhontée des compagnies américaines installées en Haïti. C’est l’époque de l’essor du mouvement ouvrier avec des grèves des coupeurs de bois, des ouvriers agricoles, des débardeurs, des employés des Travaux Publics, des chauffeurs de taxis, etc. Au cours d’une des grèves des ouvriers du wharf, qui eut lieu au CapHaitien le 25 décembre 1930 selon un reportage du journal La Citadelle, les marines américains interviennent et, au cours de l’échauffourée, le capitaine Shaker tue l’ouvrier Charles Rock. Les ouvriers manifestaient pour exiger que leur salaire horaire soit augmenté à une gourde au lieu de 40 centimes. En solidarité, d’autres grèves éclatent à la compagnie d’ananas MONS. Les revendications de la classe ouvrière font tâche d’huile. À la capitale alors, ce sera la grève des boulangers, puis celle de la HASCO, suivie par celle des ouvriers de la Compagnie d’Éclairage électrique et celle des petits vendeurs de gazoline. Face à la répression du gouvernement de Vincent, les ouvriers haïtiens réclament leurs droits. On le voit au cours de ces protestations qui éclatent avec la grève des coupeurs de canne à Momance près de Léogane ou encore celle déclenchée par 300 chauffeurs de taxi à la capitale le 10 août 1931. Ce serait de l’ignorance absolue que d’avaler la propagande présentant Vincent comme l’idéaltype des nationalistes haïtiens qui ont libéré Haïti de l’occupation américaine en 1934. C’est tout à fait le contraire. Le gouvernement de Vincent avait négocié avec les forces d’occupation américaine un accord traitant de « l’Haïtianisation de la Garde, de la désoccupation militaire et surtout du contrôle financier américain. De ces négociations, il est sorti le Traité du 3 Septembre 1932 dont le principe même a été rejeté par l’Assemblée Nationale [5]. » Les députés et sénateurs nationalistes n’étaient pas d’accord avec les conditions présentées par les Américains. En plus de la tutelle financière qu’ils réclamaient jusqu’en 1952, les Américains disaient que les marines ne partiraient pas d’Haïti s’il y avait des troubles politiques sérieux dans le pays avant le 31 Décembre 1934. Ce sont des députés tels que Lorrain Dehoux, des écrivains tels que Georges Séjourné [6] qui ont appelé au rejet par les députés et sénateurs de l’Accord du 7 août 1933. Comme l’écrit Georges Séjourné, « Pour une très forte majorité du pays, cet Accord est monstrueux. Je me rallie sans hésiter aux Patriotes haïtiens qui ont publié de si beaux volumes sur ce sujet et j’apprécie hautement leur Science et leur Conscience [7]. »
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Le président Vincent a violé l’article 42 de la Constitution de 1932, qui prévoit que tous les Traités, Conventions et Accords doivent être ratifiés par le Parlement. Il s’est plié aux conditions de l’occupant et a accepté que l’Accord du 7 août 1933 soit signé par Albert Blanchet, Secrétaire d’État des Relations Extérieures d’Haïti, et Norman Armour, Ministre Plénipotentiaire des EtatsUnis d’Amérique accrédité en Haïti. Il a pu agir ainsi du fait que le principe longtemps observé à savoir « lorsque la Constitution est violée, l’insurrection devient le plus saint des devoirs » ne l’était plus. Il a laissé aux Américains faire ce que bon leur semblait, non seulement dans la gestion financière d’Haïti, mais aussi sur le plan des investissements qui ont réduit le périmètre des cultures vivrières dans le secteur de l’agriculture. Et c’est justement parce qu’il a joué le jeu des Américains avec ferveur que ces derniers lui ont laissé commettre nombre de crimes sans se soucier le moindrement du monde. Le président Sténio Vincent était bien pour les Américains parce qu’il était mauvais pour Haïti. Comme l’écrit Saint Juste Zamor dans le Chicago Defender du 20 novembre 1937, « Dès que Vincent prit le pouvoir, il maintint le régime par ses crimes [8]. » L’entreprise de conditionnement de l’opinion Jolibois reprend donc ses activités comme à l’accoutumée sans se préoccuper de la haute surveillance dont il est l’objet des autorités haïtiennes, américaines, anglaises, etc. Il déconcerte les agences d’espionnage et de surveillance qui pensaient, à juste titre, qu’il allait diminuer sinon arrêter ses activités pour se remettre de la longue incarcération qu’il venait de subir. Peine perdue. Sa subjectivité militante s’accommode de la souffrance qu’il endure. Il comprend aussi bien les aspects individuels que la raison sociale de ses multiples emprisonnements. Avec une psychologie individuelle en acier, il continue son engagement sans broncher. La seule variance est qu’il change le nom de son journal Courrier haïtien pour La Justice Divine, pensant ainsi échapper à la censure dans sa lutte contre la politique dictatoriale du président Vincent. Jolibois est arrêté pour la seizième fois sans mandat, sur la décision expresse d’Élie Lescot, ministre de l’Intérieur, le 25 novembre 1933. Selon Norman Armour, ministre plénipotentiaire américain accrédité en Haïti, Jolibois avait annoncé l’organisation d’une manifestation de milliers d’ouvriers et de paysans devant l’Assemblée nationale pour protester contre le projet de figues-bananes de la société Standard Fruit dont le directeur était l’américain Thomas S. Brignac [9]. Il était donc devenu dangereux pour les intérêts de ceux qui considèrent que le seul but de l’existence humaine est de faire de l’argent. Sa pensée fit tâche d’huile car les Sénateurs rejetèrent le contrat Brignac par un vote de dix contre 9. Les dix qui ont voté contre étaient Latortue, Mars, Pradel, Hudicourt, Pasquet, Télémaque, Loubeau, Paultre, Jeannot, Martineau. Les neuf qui ont voté pour étaient Fombrun, Zéphyrin, Nau, Noël, Leconte, Laurent, St. Aude, Elysée, William. C’est à cette occasion que Le Nouvelliste demande « que la jeune Haiti, d’accord avec les ainés sensés et tous ceux qui réclament du Travail honnête, pense aux idées fascistes ou nazistes, c’est-à-dire la mise au rancart du " vieux jeu " » [10]. Nombre de jeunes dont Jacques Roumain, Etienne Charlier, Max Hudicourt, Jean Brière répondront énergiquement qu’il n’est pas question de se laisser prendre à ce piège en acceptant ce que Jean Brière nomme « cette forme d’exploitation de nos terres et de nos paysans » [11]. Il ajoute « le peuple haïtien a trop souffert du capital étranger venu sous la protection du monopole pour que nous recommencions de sitôt la même douloureuse expérience. » (à suivre) 17
…………….. *Economiste, écrivain [1] Emmanuel Edouard, « Haïti et la race noire », La Fraternité, Paris, 28 septembre 1895. [2] Louis Borno, « Loi du 13 avril 1880 sur l’état de siège », Code civil d’Haïti annoté, Haïti et Paris, Chez L’Auteur/Giard et Brière, 1892, p. 512. [3] Department of State, Foreign relations : J. Jolibois Jr, Haitian, Division of Mexican Affairs, April 3, 1933. [4] Confédération Nationaliste des Ouvriers et Paysans d’Haiti, Lettre au président Roosevelt signée de Jospeh Jolibois Fils, 1er septembre 1933, 838.00/3165, Department of State, Washington, D.C. Voir aussi « La Justice Divine », Telegram 838.00/3178, Department of State, Washington, D.C., October 12, 1933. [5] Sténio Vincent, « Proclamation donnée au palais national le 16 septembre 1932 », Bulletin des Lois et Actes, Département de la Justice, Édition officielle, 1932. [6] Georges Séjourné, La Constitution d’Haïti en face de la convocation à l’extraordinaire des Chambres législatives et de l’Accord américano-haïtien du 7 août 1933, P-au-P, Imprimerie nouvelle, 1933. Lire aussi Pour l’histoire : Action du Sénat pour la libération du territoire national et documents officiels concernant le Traité du 3 septembre 1932, l’Accord du 7 août 1933 et l’Acte additionnel du 28 mars 1927 prolongeant la Convention du 16 septembre expiré le 2 mai 1926, P-au-P, Imprimerie Haitienne, 1934. [7] Georges Séjourné, La Constitution d’Haïti en face de la convocation, op. cit., p. 8. [8] Saint Juste Zamor, « Inside story of Haitian massacre – Natives are victims of fascist plot, presidents of two Republics blamed for the slaughter of 5,000 », Chicago Defender, novembre 20, 1937. [9] Norman Armour to Secretary of State, Telegram 838.00/3180, Department of State, Washington, D.C., November 28, 1933. [10] « Autour de la Séance d’Hier », Le Nouvelliste, 31 janvier 1934. [11] Jean Brière, Dictature ?, Le Matin, 24 février 1934.
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L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (4 / 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 20 juillet 2013
La jeunesse veut une autre éthique qui ne se résume pas uniquement à la recherche de l’argent facile. On n’était pas déjà au temps de la décomposition généralisée charriée par le narcotrafic. Des jeunes comme Jolibois plaidaient pour une éthique sociale. On se rappelle comment Jolibois, au cours d’une tournée de conférences au Mexique, en Argentine, au Venezuela, en Équateur et dans d’autres pays d’Amérique latine et centrale, avait donné le ton en affirmant d’autres valeurs. Par exemple, Jolibois avait insisté en Colombie, entre autres, pour que ses conférences soient gratuites. Il disait alors : « Si je fais payer pour avoir le droit d’être admis à la salle de conférence, on dira que je suis un homme d’affaires et ma propagande perdra de son effet. Par ailleurs, je ne suis pas venu dans l’Amérique espagnole pour battre monnaie, mais bien pour faire entendre le cri angoissé d’un peuple qu’on étrangle [1]. » Cette fois, le gouvernement de Vincent le déclare un malade mental et le fait incarcérer à l’asile des fous au Pont Beudet. Jolibois reste calme et ne fait aucune protestation afin de ne pas donner des arguments additionnels à ses geôliers pour l’agresser. Il demande au journaliste du Nouvelliste qui lui rend visite le lundi 27 novembre de lui procurer des ouvrages de Gandhi. Le gouvernement fait intervenir les quatre médecins Pierre-Noël, Moise, Dominique et Séjourné pour dire, après consultation de Jolibois, que ce dernier doit être mis « en observation pendant un certain temps pour lui faire subir des examens complets dans les meilleures conditions possibles [2]. » Quant à Jolibois, il demande qu’on le fasse examiner par quatre autres médecins tels que Ricot, Hudicourt, Mathurin, et Buteau. Cette demande de Jolibois est très importante car le gouvernement du président Vincent s’est engagé dans une entreprise de conditionnement de l’opinion afin de rationaliser la répression qu’il fait subir à Jolibois. En effet, le quotidien HaitiJournal, porte-voix du président Vincent dont il est le fondateur, a publié le rapport de la Commission des médecins sur l’état mental de Jolibois. Le 4 décembre 1933, le Dr. Brun Ricot proteste contre cet état de choses, contre la séquestration de Jolibois depuis dix jours et contre le refus de l’administration de le laisser voir son patient malgré sa demande présentée et réitérée depuis huit jours. Les forces du statu quo du pouvoir appellent la psychiatrie à leur secours. Toute une propagande est orchestrée même dans certains milieux diplomatiques pour véhiculer la thèse que Jolibois est instable mentalement [3]. Le gouvernement Vincent utilise la vieille technique du KGB contre les dissidents russes. Jolibois est déclaré un malade mental et est placé dans l’hôpital 19
psychiatrique. Son journal Le Courrier Haitien est interdit. Il en sort un autre qu’il nomme La Justice divine [4]. Il pense imposer le respect en adoptant une attitude mystique. Au contraire, cela ne le protège pas de la sottise de ses ennemis. La propagande sur sa folie redouble. Certains disent qu’il doit être vraiment fou pour penser pouvoir faire différemment et s’attaquer à un système d’exploitation et d’oppression aussi coriace surtout quand on se bat avec les mains nues. La propagande des forces conservatrices consiste à dire que la lucidité recommande de faire comme tout le monde et de ne pas ruer dans les brancards. Le gouvernement utilise toutes sortes d’arguments pour faire pression afin d’aboutir à la capitulation des forces populaires. À défaut d’unanimité mimétique, la parenthèse d’aliénation absolue présentée comme insurmontable est le culturalisme des Griots. Suite à des protestations d’un groupe de députés et de sénateurs auprès du président Vincent le 29 novembre 1933, Jolibois est libéré le 5 décembre 1933 et regagne sa famille. Mais il est arrêté à nouveau le 25 août 1934 (dix-septième fois) avec Georges J. Petit, Alphonse Henriquez, Saturnin François, Jean Brierre, Max Hudicourt, Louis Callard, Demosthènes Massanté et Max Chalmers, tous accusés d’avoir signé et distribué un texte paru dans un journal intitulé Le Cri des nègres dénonçant le président Vincent. La dernière rencontre de Jacques Roumain et de Joseph Jolibois Fils Dans une situation d’état de siège, les personnes arrêtées sont déférées par devant un tribunal militaire. Il s’agissait encore une fois d’un montage du gouvernement pour se débarrasser de neuf journalistes et opposants les plus conséquents. Questionné par la cour militaire, Joseph Jolibois Fils devait répondre ainsi : « Il était midi, j’étais à table. Tandis que je dinais, s’amena le lieutenant Modé. Il me montra une plaque qu’il portait à l’intérieur de son veston et me dit " Vous êtes arrêté " Je lui répondis « Ne voyez-vous pas que j’ai des effets en main ? » Là étant, je lui posai la question suivante : « Où est votre mandat ? », « Non, je n’en ai pas ; me répondit-il. Je vous arrête au nom du Ministère de l’Intérieur. » Je pris une Constitution dans l’un des tiroirs de mon bureau et lui fis prendre lecture de l’article 8 de la Constitution. Immédiatement, comme le lieutenant insistait, je demandai à mon fils ainé croyant que j’allais être victime d’un enlèvement comme en novembre dernier —, de se rendre près du Chef de la garde et de lui apprendre le fait. Peu de temps après arrivaient le Juge de Paix, le lieutenant Modé, un agent civil et un autre lieutenant. « Avez-vous un mandat, demandai-je ? — « Non, il y a l’État de siège. » Je ne dis plus rien et ne pouvant résister à la force, j’acceptai à suivre l’autorité. Arrivé au Bureau de la Police, je fus acheminé à la prison. Le 27 août dans l’après-midi, grand fut mon étonnement de lire dans "Haiti-Journal" l’interview du Ministre de l’Intérieur et l’extrait de l’article paru dans "Le cri des Nègres". D’ordre du Chef de la Prison, tous les journaux me furent enlevés dans la suite. Le vendredi 21, voyant que ma séquestration continuait, je demandai permission pour déposer une plainte conformément à la Constitution et au Code Pénal. 20
Dans la plainte, je protestai catégoriquement contre l’article du "Cri des Nègres" dont la paternité était donné à mes co-accusés et à moi. Entre le 10 et le 12 août, j’avais reçu la visite de mon ami Jacques Roumain. Il était venu me demander de ne pas écrire de tracts à l’occasion du 12 Août, date du départ de l’Américain. Je lui répondis que l’idée ne m’était jamais venue de lancer des tracts à cette occasion. Alors il m’apprit que l’un de ses amis dont il n’a pas le droit de citer le nom, lui avait appris que des tracts allaient circuler en mon nom. Je lui objectai que c’était impossible Il ajouta : " Mon cher, tenez-vous sur vos gardes. Celui qui m’a fait cette confidence est un Agent du Gouvernement. " [5]. » Le 19 septembre 1934, Louis Callard et Max Chalmers sont acquittés. Le lendemain 20 septembre Jean Brierre, Max Hudicourt, Demosthènes Massanté, et Alphonse Henriquez sont condamnés à deux ans de prison et 3 500 gourdes d’amende. Puis Georges J. Petit, Saturnin François, et Joseph Jolibois Fils sont condamnés à trois ans de prison et 5 000 gourdes d’amende. Comme nous le verrons plus loin, le jugement de Jacques Roumain débutera le 15 octobre 1934 par la même cour militaire. Le ressentiment du président Vincent poursuivra Jolibois jusqu’au bout en le faisant assassiner dans son cachot le 12 mai 1936. Ses funérailles seront l’occasion de grandes manifestations qui ne furent pas rapportées dans la presse muselée par Papa Vincent. Ertha Pascal Trouillot et Ernest Trouillot soulignent que « Trois mois après sa mort, on continua à garnir sa tombe des plus belles fleurs de la saison. Par crainte des manifestations populaires, le sépulcre fut gardé par des factionnaires de caserne [6]. » Joseph Jolibois est un écorché vif de l’énorme blessure de l’occupation américaine qui l’a empêché de dormir tranquillement en le conduisant 17 fois en prison, deux fois en République Dominicaine et une fois à Cuba. Mais malgré son assassinat en mai 1936 dans sa cellule de prison, le pesant remords qu’il suscite dans les esprits des puissants conduit ces derniers à l’assassiner publiquement [7] même en 2010. Sans mettre de gants. Sa lame de fond leur enlève le sommeil et leur procure une inquiétude. Ils veulent surtout s’assurer que les nouvelles générations ne s’accrochent pas à cette référence. Son action met à nu tous les faux semblants de la respectabilité des élites collaboratrices avec l’occupation. Le sommeil de la raison La manœuvre du président Vincent consiste à prendre un Arrêté présidentiel en date du 14 janvier 1935. Cet Arrêté convoque le peuple à une consultation populaire le 10 février 1935 afin que ce dernier réponde par OUI ou NON s’il est d’accord avec la politique prônée par le président Vincent. En plongeant dans le puits de l’arbitraire politique pour en ramener la vérité nue, il convient de remonter au gouvernement de Sudre Dartiguenave en 1918 sous l’occupation américaine pour trouver l’origine du référendum qui fut utilisé pour la première fois en Haïti afin de faire accepter la Constitution américaine de 1918. Ce procédé est devenu attractif et sera utilisé par le gouvernement de Vincent pour se perpétuer au pouvoir. Le référendum de 1935
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aide Vincent à se retrouver, à trouver son âme, sa personnalité, à légitimer sa position psychologique, bref à faire une démonstration de sa popularité. Pour Vincent, le référendum lui offre les moyens pour se resacraliser, tout comme il avait permis en 1918 aux forces d’occupation américaine sous le gouvernement de Dartiguenave de trouver une réponse pertinente au problème de l’occupation d’Haïti. Les résultats donnent 454 357 OUI contre 1 172 NON à la question posée. Se basant sur cette apparence de légitimité, le président Sténio Vincent révoque, le 18 février 1935, les onze sénateurs nationalistes indépendants : Seymour Pradel, Dr. Jean Price-Mars, Léon Nau, David Jeannot, Pierre Hudicourt, Antoine Télémaque, Dr. Justin Latortue, Fouchard Martineau, Dr. Hector Paultre, Valencourt Pasquet et Rameau Loubeau qui protestaient contre un décret dans lequel le président s’octroyait les pleins pouvoirs. L’onde de la « consultation populaire » va épouser immédiatement la cause de la compagnie de bananes Standard Fruit. Coup sur coup, le contrat de cette compagnie qui avait été rejeté par les sénateurs est signé le 25 février 1935 pour une durée de dix ans renouvelable. Puis, il est approuvé par le Parlement le 14 mars 1935 et par le président de la république le 22 mars 1935. Dans cette mouvante réalité, il n’y a pas que les histoires d’argent marquées par d’autres scandales dont ceux de la banque ou du renouvellement du contrat de la Compagnie électrique [8]. Ce ne sont en fait que des expressions carnavalesques et grimaçantes d’un désir caché mais authentique qui est le pouvoir absolu. C’est ce qui transparait avec la Constitution du 12 juin 1935 dans laquelle le président Vincent confisque tous les pouvoirs et se donne la possibilité d’avoir un second mandat. Parallèlement à ces pratiques dictatoriales, le gouvernement de Vincent favorise l’émergence sur le plan théorique d’une pensée fasciste avec Mallebranche Fourcand, Félix Viard, René Piquion, dans les journaux tels que L’Action Nationale, La Relève, L’Assaut, etc. Pour enrober la pilule d’un semblant théorique, il déclare que le régime de séparation des pouvoirs élaboré par Montesquieu et dont Alexis de Tocqueville a fait l’éloge dans De la démocratie en Amérique, ne convient pas vraiment à Haïti. Aussi préconise-t-il un régime de collaboration des pouvoirs inspiré du modèle britannique où les ministres viennent du Parlement et où le Législatif et l’Éxécutif marchent la main dans la main. En réalité, il n’y a rien de bon enfant ni de moderne à l’appui donné par Vincent au courant de pensée empoisonné constituant le moteur secret de la défaillance haïtienne. L’approche est brouillonne, mais non innocente. En novembre 1935, au Palais National, suite à une réunion des jeunes du journal La Relève qui avaient créé le journal L’Assaut, le président Vincent pousse la corruption des consciences jusqu’à la perfection en déclarant : « Messieurs, je suis satisfait de votre mouvement. Sachez que j’appartiens à votre génération, que je sympathise avec elle. Vous trouverez en moi le défenseur de vos idées [9]. » Suite à la déclaration élogieuse de Vincent à l’endroit des jeunes du journal La Relève, les réticences disparaissent. Toute une philosophie politique d’identification au fascisme se développe. L’effet est majeur. L’effervescence se propage avec un certain retentissement. Le président Vincent est l’objet de toutes les incantations. Mallebranche Fourcand, président du Club des amis du Président Vincent, écrira le 25 mai 1936 « Propageons, instaurons le 22
Vincentisme afin que, à l’instar du fascisme en Italie et de l’hitlérisme en Allemagne, il devienne pour nous autres, Haïtiens, une école de civisme et de loyalisme. » C’est aussi le cas pour Félix Viard qui déclare : « Et n’est-on pas tenté, en présence de toutes les belles réalisations obtenues, de regretter – comme beaucoup d’entre nous ont eu cette pensée à l’égard de cet autre grand haïtien que fut le Général Nord Alexis --- que Monsieur Sténio Vincent ne fut venu plus tôt à la Présidence de la République ? [10] » La messe est dite ! Quant à René Piquion, il ne met pas des gants pour indiquer ses options. À la question « Etesvous raciste ? », il répond « Oui, je le suis et c’est peut-être une des raisons expliquant pourquoi je ne suis pas communiste. Quiconque est raciste n’est pas communiste [11]. » Un enthousiasme anti-populaire agressif et joyeux est brandi contre tous les hommes de pensée. La répression de Vincent avec sa machine infernale va balayer dans ses fondements mêmes l’alliance de Jean Price Mars et de Jacques Roumain. Alliance scellée dans La montagne ensorcelée de 1931 préfacée par Price Mars à un moment où un certain François Duvalier, commentant cet ouvrage, écrit dans le journal Le Temps du 1er septembre 1931 « Pourquoi nous servir un morceau de si peu d’importance », car dans son entendement tordu le drame de la paysannerie haïtienne n’était pas un sujet littéraire valable. Alliance Price Mars/Roumain qui se désintègre avec la nuit de l’exil, malgré sa métamorphose en 1941 avec les institutions ethnologiques créées par ces deux géants de la pensée haïtienne [12]. Alliance lumineuse contre ce que Goya nomme « le sommeil de la raison (qui) engendre les monstres » de notre quotidien. La pensée caverneuse traverse les frontières et se donne aussi à voir à Paris où « Ludovic Lacombe défend la dictature haïtienne de Sténio Vincent au nom des valeurs africaines ancestrales étrangères aux notions de démocratie et de parlementarisme [13]. » Fumisterie qui sera propagée par la bande des Griots de François Duvalier et Lorimer Denis. L’article 14 de cette Constitution de 1935 déclare qu’il n’existe que le Pouvoir exécutif assisté du Corps législatif et du Corps judiciaire. La porte est largement ouverte à toutes les corruptions, en commençant par celle de « la traite des nègres d’un nouveau genre », c’est-à-dire la vente des travailleurs haïtiens en République Dominicaine ainsi que celle du détournement par les autorités des compensations payées par le gouvernement de Trujillo pour le massacre des Haïtiens en 1937. D’une part, on sait que Résia Vincent, « la sœur du président Vincent et un certain Luders étaient les manitous de ce commerce [14] ». D’autre part, les parents des travailleurs haïtiens tués en République Dominicaine ne verront pratiquement rien de la compensation des US$ 750 000 dollars proposés, à l’occasion du massacre, par Trujillo. Le dictateur dominicain avait pris les devants pour ne pas aller au tribunal international où il risquait de payer au moins le triple. Selon Astrel Roland, « on dépensa cet argent dans les conditions qu’il serait douloureux de rappeler ici : elles sont tellement honteuses. De la balance, chacun tira sa petite part. Estimé, ancien président de la Chambre des Députés, toucha, en cette première occasion la somme de dix-sept mille six cents dollars. Ce fut une affaire magnifique pour les politiciens de l’heure, constamment assoiffés d’or [15]. » Ces périodes terribles pour le peuple étaient les meilleures pour les satrapes qui profitaient pour s’enrichir dans un climat où le dépouillement du peuple était le mot d’ordre.
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L’ivresse du pouvoir conduit le président Vincent à négocier la réduction des compensations dues aux familles des travailleurs haïtiens tués. Après le premier paiement de US$ 250 000 dollars en 1938 et la promesse de payer le solde en cinq paiements de US$100 000 dollars chacun, le président Vincent décidera de se montrer un bon valet en réduisant le solde de 45%, soit un deuxième versement de US$ 275 000 dollars. Ainsi, les compensations globales payées par la République Dominicaine pour les 17 500 Haïtiens tués s’élèvent à US$ 525 000 dollars, soit par tête US$ 30 dollars, ce qui était moins que le prix d’un cochon alors. Le nombre des Haïtiens tués au cours du massacre dans ce calcul est conservateur. « Selon les études menées par l’historien dominicain Bernardo Vega, Trujillo y Haïti (1937-1938), , vol. II, Fundación Cultural Dominicana, Santo Domingo, 1995, p. 351-352, les estimations sont les suivantes : Bernard Diederich (20 000), Patrick Bellegarde-Smith (30 000), Lil Despradel (35 000), et Maurice Lemoine (40 000). La moyenne se situerait donc entre 20 000 et 40 000. Anselme Paulino, chef de la police secrète de Trujillo, vint en Haïti à l’occasion avec une valise chargée de billets de US$ 10 et US$ 20 dollars [16] pour emmurer les vivants sinon mettre une sourdine à leurs paroles. Dans ce dispositif de distribution, selon Astrel Roland, « Estimé a reçu trente mille dollars de cette nouvelle affaire et chacun des autres eut son petit lot [17]. » Les familles des victimes ne reçurent que 2 centimes par tête de cette somme [18]. Dans ce tunnel du dégoût, les pratiques rétrogrades ont cadenassé Haïti et créé une impuissance produisant des ruines sur lesquelles le dévergondage actuel fleurit. Un héritage dont la clé du déblocage est encore à trouver. (à suivre) [1] Joseph Jolibois, La doctrine de Monroe, P-au-P, Imprimerie Héraux, 1932, p. III. [2] « Ce que dit la commission médicale sur le cas de Jolibois », Le Nouvelliste, 2 décembre 1933. [3] Michel Hector, « Solidarités et luttes politiques en Haïti : l’action internationale de Joseph Jolibois Fils 1927-1936 », Revue de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, no. 176, P-au-P, Henri Deschamps, 1993. [4] « La Justice Divine », Telegram 838.00/3178, Department of State, Washington, D.C., October 12, 1933. [5] « La Cour prévôtale supérieure », Le Nouvelliste, vendredi 14 septembre 1934, p. 6. [6] Ertha Pascal Trouillot et Ernest Trouillot, Encyclopédie Biographique d’Haïti, Tome II, Québec, 2009, p. 187. [7] Alan McPherson, « Joseph Jolibois Fils and the Flaws of Haitian Resistance to U.S. Occupation », Journal of Haitian Studies, Vol. 16, No. 2, Fall 2010. [8] Leslie Péan, Haïti – Économie politique de la Corruption, Tome III, Le Saccage (1915-1956), Paris, Maisonneuve et Larose, 2006, p. 210-213. [9] L’Assaut, Numéro Spécial, 1936, p. 1. Intitulé « La voix de la génération de l’occupation », le numéro spécial contient des articles de 35 écrivains haïtiens dont Maurice Dartigue, Julio Jean 24
Pierre Audain, Jean Fouchard, Love Léger, Jacques Antoine, Carl Brouard, René Piquion, René J. Rosemond, Marc Séide, Antoine Lubin, etc. [10] Félix Viard, « Le secret de la force du gouvernement – La manière de M. Vincent », La Relève, op. cit., p. 340. [11] L’Assaut, 11 septembre 1935. [12] Rachelle Charlier-Doucet, « Anthropologie, politique et engagement social »,Paris, Gradhiva, 2005, numéro 1. [13] Philippe Dewitte « Le Rouge et le Nègre », Revue Hommes et migrations. Article issu du N°1257, septembre-octobre 2005 : “Trajectoire d’un intellectuel engagé. Hommage à Philippe Dewitte”, p. 39. [14] Julio Jean Pierre Audain, op. cit., p. 125. [15] Astrel Roland, Le naufrage d’une nation, op. cit. p. 156. [16] Heinl and Heinl, Written in Blood – The story of the Haitian people, 1492-1971, Boston, Houghton Mifflin Company, 1978, p. 529. Lire aussi Richard Lee Turits, Foundations of Despotism. Peasants, the Trujillo Regime and Modernity in Dominican History, Stanford University Press, 2003, p. 161-180. [17] Astrel Roland, op. cit. p. 157. [18] Madison Smartt Bell, « A Hidden Haitian World », New York Review of Books, Volume 55, No. 12, July 17th, 2008, p. 41.
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L’OCCUPATION AMÉRICAINE D’HAITI ET LE VRAI VISAGE DE STÉNIO VINCENT (5 / 5) Par Leslie Péan* Soumis à AlterPresse le 21 juillet 2013 Dans la vente des travailleurs haïtiens, Vincent gagnait de l’argent, en plus des sommes reçues comme espion de Trujillo. Un prêt de 25 000 dollars reçu de Trujillo était consigné dans la lettre écrite par Vincent à Lescot, laquelle lettre Edmond (Eddy) Sylvain avait eu le temps de faire une copie [1], alors que ce dernier était encore secrétaire de la Légation d’Haïti dans la capitale dominicaine. De nombreux auteurs parlent d’un président haïtien minable accroché aux espèces sonnantes de Trujillo [2]. Mais celui qui dépeint la mauvaise foi, les fausses valeurs, bref la pourriture du président Vincent est l’écrivain Bernardo Vega [3]. En effet, cet auteur dominicain nous fait partager la misère d’un individu dépendant des 30 deniers que lui jette Trujillo pour se maintenir au pouvoir. D’ailleurs, ce sont les preuves compromettantes de l’inféodation complète de Vincent à Trujillo que détenait Élie Lescot, dans une copie de la correspondance échangée entre les deux, qui ont fait craquer le rêve de Vincent de se faire réélire pour un troisième mandat en 1941 [4]. Lescot avait menacé Vincent de tout dévoiler à la presse s’il ne le nommait pas sénateur afin qu’il puisse être « élu » président de la République en 1941. De son poste d’ambassadeur à Washington, il avait écrit à son ami Trujillo, « Je me maintiens ferme ici jusqu’à ce que Vincent fasse un geste pour garder le pouvoir à l’aide d’un coup d’Etat quelconque. En ce cas, je donnerai ma démission avec beaucoup d’éclat et je ferai savoir au public, à l’aide de la presse et de la radio, toutes les actions sans vergogne de cet homme, grâce à la correspondance compromettante que j’ai avec lui. » [5] Vincent ne prit pas de risques, mit fin à sa poigne de fer en endossant et en exécutant à la lettre le plan soumis par Lescot qui devint ainsi président de la république le 15 mai 1941. Pourriture et trafic de cocaïne en 1940 Les hauts idéaux sont jetés aux orties et le gouvernement de Sténio Vincent contraint la classe politique à évoluer avec un ou deux pieds dans la pègre. Le scandale de la cocaïne en 1940 illustre la tendance. En effet, un scandale de rétro-corruption de cocaïne eut lieu en Haïti en 1940. Dans la 12e lettre écrite par Antoine Bervin, secrétaire privé d’Elie Lescot, à Julio JeanPierre Audain, il explique comment les magouilleurs du sérail avaient déjà déniché le créneau de la drogue comme moyen pour s’enrichir vite. « Depuis longtemps déjà, écrit Bervin, le Département du Trésor [américain] a l’œil ouvert sur le Service d’Hygiène d’Haïti qui recevait en quantité exagérée de la cocaïne. Par l’intermédiaire d’un nommé Vorenguer, époux d’une des filles de Léon Déjean, on faisait rentrer la même cocaïne via Miami et (elle est) revendue aux Etats-Unis. Des observations ont été produites et on n’en a pas tenu compte. Déjean, du Service d’Hygiène, était à la tête de cette opération scandaleuse. Mais l’affaire vient de prendre les proportions d’un scandale formidable et on a procédé aux arrestations suivantes : Daniel 26
Heurtelou, Franck Wilson, Ciano, un italien vendeur de tissus, Ernest Luders …On cite bon nombre de personnages trop près du gouvernement pour être encore arrêtés. Le montant de la contrebande s’élève, parait-il à environ 500.000 Dls. On cite "en bas en bas" les noms de Léon et Alfred. » [6] La force du fascisme de Vincent est de dépasser le vrai en étant sans nuances dans ses positions. C’est ce que révèle l’Accord du 7 août 1933 signé par le président Vincent avec les Américains prolongeant la mainmise financière des Etats-Unis. La meilleure manière d’assurer leur reproduction, c’est d’oublier ces choses-là. Alors, la porte est ouverte, surtout aux présidents aux égos démesurés et n’ayant pas froid aux yeux. Une espèce qui fleurit particulièrement sur la terre d’Haïti. Cette arme de choix consistant à gouverner par décret et à faire signer par le président des accords et conventions engageant la nation quand le parlement n’est pas en session, sera utilisée plus tard par tous nos satrapes. C’est ainsi que la terreur s’installe au nom du respect présidentiel. Que ce dernier ait un vernis de culture, comme c’est le cas pour Vincent, ou soit un abruti. Pourvu qu’il soit un gardien du statu quo, même s’il en fait des critiques subtils. À son sens, la raison essentielle des luttes de la bourgeoisie haïtienne contre l’occupation américaine réside dans le fait que les Américains leur ont fait payer l’impôt. Il écrit : « L’Occupation américaine avait bien réussi à faire payer l’impôt à cette " Élite ", à cette classe dirigeante qui, jusque-là, n’avait jamais rien payé, puisque ses privilèges exorbitants la mettaient au-dessus des lois [7]. » Sténio Vincent se fait un point d’honneur de jouer double jeu et de présenter sa façon de faire à la jeunesse comme la voie de la salvation. Organisant une réception au palais national, il insistait pour que des Noirs soient invités. Et quand son chef du Protocole lui présentait la liste des personnalités invitées aux galas de la Présidence, avec les noms comme ceux de Jean Price Mars, Emile-Saint Lot, Antonio Vieux, Léon Alfred, Timoléon Brutus, il perdait son souffle. Pour lui, ces derniers n’étaient pas des Noirs authentiques et il réclamait de vrais Noirs qu’on devait aller chercher au Bel-Air. Il n’aime pas le maquillage et les allures théâtrales des grands tribuns. On voit donc comment Sténio Vincent est le maitre à penser de tous les bandits de grand chemin qui se retrouvent aujourd’hui encore au timon des affaires publiques. Il faut à Vincent des Noirs avérés, des repris de justice aux mines patibulaires capables de faire perdre le sommeil ! C’est ce style précis et efficace qu’il a légué à la postérité. Hystérie ignorante en plus. Comme l’écrit Jacques Barros, ancien directeur de l’Institut français en Haïti, Sténio Vincent était un « nihiliste, démagogue, sceptique, il ne croyait à rien et disait : " Haïtien ce caca" [8] ». Irritant, offensant, monstrueux, mais traduisant les 100%, 200% et 400% KK, tout un pan du zeitgeist actuel, cet esprit du temps qui chemine fort dans la culture politique décadente triomphante. François Duvalier l’avait bien compris. Une fois élu frauduleusement en 1957, il s’empresse de rendre visite à Sténio Vincent à Pétion-Ville qui lui recommande, outre les fameux bouillons Vincent, de nommer Frédéric Duvigneaud au Ministère de l’intérieur pour mettre l’opposition au pas de 1957 à 1959. Rappelons que ce dernier a été président de la Commission communale (maire) de Port-au-Prince avant d’être ministre de l’Intérieur et des Travaux Publics sous le gouvernement du président Vincent à partir de 1932. Des salauds qui se vendent à des prix dérisoires 27
Exception faite de Jean-Pierre Boyer, le président Sténio Vincent a peu d’équivalents dans l’histoire de l’arbitraire politique en Haïti. À côté de son népotisme triomphant avec Résia Vincent, sa sœur et Nemours Vincent, son frère, en première ligne dans la gestion des affaires publiques, le président Vincent s’était arrogé le droit de changer la Constitution d’abord en 1932 qui spécifiait que le Président était élu pour six (6) ans et n’était pas immédiatement rééligible (article 76), et de se donner un nouveau mandat avec la Constitution de 1935 (article 34) déclarant que « son mandat n’est renouvelable que pour une nouvelle durée de cinq ans ». Puis il modifie à nouveau la Constitution en 1939 et se donne le droit dans son article 20 de renvoyer les chambres et de gouverner par décret. L’appréciation des contemporains de Sténio Vincent sur sa politique ne laisse pas de contrastes. Rien d’attrayant même pour certains qui ont bénéficié de ses faveurs. C’est le cas avec Julio Jean Pierre Audain [9] qui en dresse un portrait vraiment affligeant, révélant, dans un souci admirable de respect de la vérité, les dessous hideux de la politique de l’homme. Des échos similaires à ceux d’Audain se trouvent dans l’ouvrage du commandant militaire Astrel Roland [10]. Pour le reste, il n’y a aucun attendrissement à son endroit. Qu’il s’agisse d’Edgar Nérée Numa, de Berthoumieux Danache, de Rossini Pierre-Louis, de Roland Chassagne, de Rodolphe Charmant, d’Ernest Chauvet, du Dr. François Dalencour, de Georges J. Petit. C’est surtout le cas pour ceux qui ont subi sa malveillance. Et ils sont nombreux. Cela va de Jacques Roumain, qu’il fit arrêter et emprisonner pendant deux ans, d’Alphonse Henriquez, de Max Hudicourt, d’Anthony Lespès, de Maxime Vieux, etc. À ce chapitre, la palme revient à Milo Rigaud qui recense systématiquement les appréciations de toutes ces personnalités citées antérieurement sur le personnage Sténio Vincent qu’on voudrait encore présenter à la jeunesse comme un phare. Ayant voulu être remboursé du président Vincent pour une dette commerciale de 5 500 dollars contractée le 15 mai 1940, Milo Rigaud fut emprisonné pendant plus de sept (7) ans pour avoir assigné en justice l’ex-Président Vincent. On comprend donc qu’il fournisse dans les moindres détails le combustible pour la machine permettant de faire la lumière sur les combines de ces idoles qui méritent d’être brûlés. Des salauds qui se vendent à des prix dérisoires. Des salopris comme le dit le créole haïtien. Dans un pays où le pôle d’attraction demeure le Palais national, on ne saurait en vouloir à l’attirance que la forme de primitivisme consistant à idolâtrer les présidents de la république exerce sur les consciences. Il importe toutefois de présenter ces présidents sous leur vrai visage. Sinon, les espérances sont condamnées à rester des illusions tant que nous persistons dans le trafic de la vérité. Le mauvais sort fait par Vincent aux militants de la cause des ouvriers mérite qu’on s’y arrête. Le cas de Jacques Roumain et de ses camarades est particulièrement révélateur. Vincent fait arrêter Jacques Roumain d’abord en Janvier 1933 sous l’accusation de complot contre la sureté de l’État [11] et l’incarcère pour un mois. Puis en août 1934, il est à nouveau arrêté et emprisonné pour trois ans. Le gouvernement Vincent l’accuse d’avoir eu un échange de correspondances avec Saint-Juste Zamor qui vivait à New-York dans lequel Roumain mentionne avoir envoyé une « commission » et reçu du « matériel ». Il est accusé de complot contre la sureté de l’État et déféré devant une cour militaire [12] composée des colonels Clermont, Laraque, des majors Armand et Oriol, du capitaine Belliott et du major Léon F. Holly, accusateur militaire [13]. Ce dernier déclare avoir reçu des informations de la police de New-York selon 28
lesquelles l’expression « matériel » signifie des bombes et des explosifs. Jacques Roumain protesta contre cette interprétation et expliqua que les mots « commission » et « matériel » référaient à une bouteille de rhum qui lui avait été demandée par un ami et à des journaux et pamphlets [14]. Par la même occasion, la police de Vincent procéda à l’arrestation de Leonina Millien, la soeur d’Auguste Zamor, car cette dernière avait reçu des lettres de son frère adressées à Jacques Roumain et les lui avait remises. La vraie plaisanterie macabre La nuit du néant dans laquelle Haïti est plongée n’est pas le fruit d’une déveine historique ou d’un contrat avec le diable négocié par Boukman, comme certains le font croire. Sténio Vincent est loin d’être un idiot ou un analphabète. C’est un petit génie en son genre, un vrai génie du mal qui, à 19 ans d’âge, faisait montre d’une grande lucidité dans ses analyses minutieuses des questions sociopolitiques et économiques haïtiennes. Il affiche alors une hauteur de vues sans pareil sur nombre de questions dont les rapports haitiano-dominicains, le développement de l’agriculture, et surtout le carcan du système financier haïtien de la fin du 19 e siècle. Sur ce dernier point, Vincent analyse la gestion financière d’Haïti à travers les rapports entre Frédéric Marcelin, secrétaire d’État des Finances, et M. Louis Hartmann, directeur de la Banque Nationale d’Haïti. Le contentieux concerne les commissions perçues par la Banque sur les avances de fonds extrastatutaires et extraconventionnelles faites à l’État. Marcelin demande à Hartmann d’annuler ces commissions et ce dernier lui répond candidement « le vrai moyen de les éviter se trouve entre vos propres mains et qu’il consiste à subordonner les dépenses du Gouvernement aux recettes effectives de l’État. » Vincent ne va pas par quatre chemins pour qualifier les échanges de correspondance entre Marcelin et Hartmann de « plaisanterie macabre » [15]. Avec son ironie mordante, Vincent parle de l’institution financière comme « une fameuse banque franco-prussoautrichienne — où, sauf notre argent, il ne rentre absolument rien d’Haïtien – bien qu’on se plaise à la bombarder ridiculement du titre de Banque Nationale d’Haïti [16]. » Mais en fait Vincent va plus loin pour indiquer comment le système financier en vigueur en Haïti est la vraie plaisanterie macabre. En effet, il relève l’escroquerie et la corruption dans la gestion de la Banque mais aussi dans celle de l’État, expliquant l’impertinence de Louis Hartmann envers Frédéric Marcelin, son supérieur hiérarchique. Il écrit :« Le Ministre des Finances informe le Directeur de la Banque que MM. Alfred William et MacGuffie, de Port-de-Paix, et MM. Roberts Dutton et Cie des Cayes, sont débiteurs de l’État pour droits d’exportation, et que ces créances ne remontent pas à moins de deux exercices. » Marcelin voulait ainsi indiquer à Hartmann que le manque de disponibilités financières de l’État est dû au comportement de ces débiteurs précis qui sont en même temps les directeurs des succursales de la Banque dans les villes de Port-de-Paix et des Cayes. Marcelin met à nu le pot aux roses sans le vouloir car les droits d’exportation se payent toujours d’avance et les denrées ne sont pas embarquées sans la présentation d’un récépissé indiquant que les droits ont été acquittés. Or si ces droits n’ont pas été versés au trésor public, il faudrait plutôt y voir la corruption en douane. C’est justement ce que Hartmann suggère quand il répond : « Vouloir dire que ces agents se sont délivré des récépissés pour des sommes dont le 29
Gouvernement n’a pas été crédité nous donne le droit de vous demander de nous en fournir la preuve, et jusqu’à ce que cette preuve soit faite, nous contesterons absolument que le fait que vous avancez ait eu lieu. » Non seulement la preuve demandée par la Banque n’a jamais été fournie, mais de plus, c’est le ministre Frédéric Marcelin qui sera remplacé l’an prochain par Callisthène Fouchard. Mais auparavant, Vincent en paie le prix pour son analyse cinglante car il est révoqué de son poste de secrétaire de l’inspection scolaire par Frédéric Marcelin. Il est donc clair que ce n’est pas par ignorance ou légèreté que Vincent agit en dictateur une fois au pouvoir mais par cynisme. Il l’a d’ailleurs montré en clair quand il disait des femmes : « Sans contester l’égalité d’intelligence chez les deux sexes, nous pensons, que l’intrusion des femmes dans le gouvernement serait un puissant dissolvant social et déséquilibrerait la marche des sociétés. La place de la femme est au foyer. Les qualités et les vertus domestiques font toute sa valeur [17]. » C’est ce dard venimeux qu’il a légué à Haïti et qui ne cesse de servir de fondement à la classe politique qui en répercute les échos. Un héritage maudit qui garde sa vitalité dans une génération qui croit que penser est une banalité et qui s’en inspire, sans le savoir, pour multiplier l’insignifiance en disant « Vive Papa Vincent » à la bonté et la générosité infinies ! Le mal haïtien Sténio Vincent a compris très tôt les eaux dormantes des torpeurs haïtiennes. À l’âge de dix-neuf ans, dans le discours qu’il prononça sur la tombe de l’illustre Edmond Paul le 8 juillet 1893, il eut à faire les aveux suivants : « Ils deviennent de plus en plus rares chez nous, ceux qui, au milieu de cet engourdissement général des courages, de cette déchéance complète des caractères, et même de la dangereuse débâcle des mœurs publiques, résistent, avec toute la vigueur de leur audacieux patriotisme, à cette puissante corruption née des terribles commotions, des tourments effroyables que nous subissons depuis près d’un demi-siècle [18]. » Sténio Vincent était donc conscient du mal haïtien. Pourtant une fois au pouvoir, il ne fit pas mieux que d’arrêter, d’exiler et d’assassiner tous ceux qui faisaient surgir les bouillonnements des conflits masqués par la singulière aisance de notre société à simuler l’harmonie. En prétendant révéler le mal qui nous étreint, Sténio Vincent l’a dissimulé en lui donnant d’autres sens qui lui permettent de ressurgir, au gré de ses variations. Les gouvernements qui lui ont succédé ont été semblables au sien avec les mêmes ambigüités dans l’alternance, la même fugacité devant la vérité, la même subtilité pour masquer le crime, les mêmes somptuosités, incantations et musicalités pour se faire voir. Hier, c’était les tontons macoutes avec leur Himalaya de cadavres et leur constant abaissement des valeurs. Aujourd’hui, c’est l’obstination têtue d’une surenchère maladive qui dissout toutes les valeurs. Et qui prône de ne pas ouvrir les yeux pour s’efforcer de ne rien tirer au clair. Avec tout ce que cela comporte de mystères et de dédales secrets, de la disparition du journaliste Choiseul Henriquez en novembre 2011 à celle du juge Jean Serge Joseph en juillet 2013. Des victimes de ces vagues successives de tâtonnements et de retrouvailles de malheur qui font éclater l’errance haïtienne dans l’infini. Des sentiers où coule le sang des innocents, pleins d’égarements fallacieux pour justement tromper tous ceux et celles qui se fient aux apparences. *Économiste, écrivain
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… [1] Julio Jean Pierre Audain, Les Ombres d’une Politique Néfaste, op. cit. p. 123-126. [2] En comptant le classique de Julio Jean Pierre Audain, Les Ombres d’une Politique Néfaste, Mexico, 1976, les auteurs en question sont Robert Crasweller, La tragica aventura del poder personal, Editora Central del Libro, Santo Domingo, 1996, Heinl et Heinl, Written in Blood, Harvey C. Gardiner, La Politica de Inmigracion del dictador Trujillo, UNPHU, 1979, et Brian Weinstein et Aaron Segal, Haiti : Political failures, Cultural Success, Praeger, 1984. [3] Bernardo Vega, Trujillo et Haiti, Fundacion Cultural Dominicana, Santo Domingo, Republica Dominicana, 1995, tome II, p. 128. [4] Julio Jean-Pierre Audain, Les ombres d’une politique néfaste, op. cit. p. 143-189. [5] Ibid, p. 419. Lire également La Nation, numéro 583, P-a-P, Haïti, 29 novembre 1946. [6] Lydéric Bonaventure, op. cit., p. 182-183. Antoine Bervin fait référence à Rulx Léon et Léon Alfred qui furent respectivement Secrétaire d’Etat de l’Intérieur chargé du Service d’Hygiène et Secrétaire d’Etat de la Justice. [7] Sténio Vincent, En posant les jalons, op. cit., p. 356. [8] Jacques Barros, Haïti de 1804 à nos jours, Tome II, Paris, L’harmattan, 1984, p. 549. [9] Julio Jean Pierre Audain, Les ombres d’une politique néfaste, Mexico, 1976. [10] Astrel Roland, Le naufrage d’une nation, op. cit. [11] Lire L’Action nationale sous le titre « Un mouvement communiste en Haïti étouffé dans l’œuf par le Gouvernement », L’Action nationale, 29, 30, 31 décembre 1932, et 5, 6 janvier 1933. [12] « Le jugement de Jacques Roumain », Le Nouvelliste, 12 octobre 1934. [13] « Le jugement de Jacques Roumain », Le Nouvelliste, 15 octobre 1934. [14] Ibid., Lire aussi Haiti-Journal, 16 et 18 octobre 1934. [15] Sténio Vincent, « Lettre de Port-au-Prince du », La Fraternité, numéro 24, 24 mai 1893. [16] Ibid. [17] Sténio Vincent, « Lettre de Port-au-Prince du 30 mai 1893 », La Fraternité, 29 juin 1893. [18] Sténio Vincent, Choses et autres, Paris, Dunod & Vicq, 1895, p. 109. 31