La voiture autonome véhiculerait-elle quelques dérapages dans la conduite de la ville ?
Mémoire de Master – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville Séminaire Territoires en projet : Architecture, urbanisme et paysage Sous la direction de Frédéric Bertrand et Philippe Simay
09/01/2019
Jean Leclercq
1
1
Image de couverture : Š Electric Super Highway PublicitÊ de Americas Independent Electric Light and Power Companies, 1950 1
http://1950sunlimited.tumblr.com/post/21524963561/electric-super-highway-detail-from-advert-by
2
À mes frères À notre père qui nous a transmis le goût de la liberté motorisée Et à notre mère, qui nous a appris à nous en méfier
Remerciements : Frédéric Bertrand et Philipe Simay pour leurs précieux conseils et leur encadrement, Catherine pour sa relecture attentive, Marine pour son écoute bienveillante, Valentine pour ses encouragements motivants.
3
Sommaire Avant-propos
6
Introduction
7
Contexte : confrontation public privé
7
Deux modèles de villes qui s’affrontent
8
La voiture et les deux modèles de villes
9
L’autonomie, nouvel élan de la voiture en ville
11
L’algorithme, le nouveau mythe moderne
12
Problématique
13
Le rôle de l’architecte
13
Plan
14
Etat des savoirs
15
Première partie : Dans la voiture promesse d’autonomie, ombre de dépendance Chapitre 1 : au nom de la sécurité, sacrifice de la citoyenneté
17 18
La technologie embarquée
18
Conduire, une appropriation spatiale et sociétale
21
Perte de la connaissance et de la sérendipité urbaine
22
Nouvelle d’un futur possible : la fin de la connaissance et de la sérendipité
23
Conclusion chapitre 1
25
Chapitre 2 : A la recherche du temps de cerveau disponible
26
Technologie libératrice
26
Un débat multiséculaire
27
David Foster Wallace et la maitrise de la pensée dans les embouteillages
28
Attention comme bien commun : Matthew B. Crawford
29
Aveuglés au volant
31
Conclusion chapitre 2
33
Chapitre 3 : Du déplacement à la consommation de services de mobilité, un progrès écologique ?
34
Mobility As A Service : les promesses écologiques liées à l’optimisation économique 34 Marché du déplacement : effet rebond possible au détriment de l’écologie
36
Nouvelles d’un futur possible : effet rebond
39
Conclusion chapitre 3
40
Conclusion première partie : de la ville sans voiture à la voiture sans ville 4
41
Deuxième partie : La voiture dans la ville, privatisation et dématérialisation des problématiques urbaines 43 Chapitre 4 : l’algorithme et la privatisation de la gestion de la ville
44
L’algorithme tout puissant
44
L’effet réseau et le risque de monopole des transports
45
L’algorithme n’est pas neutre
45
Conflit public/privé
46
La ville de Lyon et JCDecaux
47
Les données d’intérêt général
48
Dystopie cas de force majeur
49
Conclusion chapitre 4
51
Chapitre 5 accessibilité et inégalités sociales
52
Promesses d’accessibilités
52
Remise en cause du transport en commun
52
Le rôle du transport en commun sur le territoire
53
Inégalités individuelles
54
Libre circulation du web
56
Conclusion chapitre 5
57
Chapitre 6 un nouvel acteur de la gestion territoriale
57
Promesse de densification
57
Nouveau rapport aux infrastructures
59
Risque de nouveau lotissements commerciaux
59
Risque de mercantilisation de l’espace public
61
Augmenter le territoire d’une dimension mercantile
61
Nouvelle d'un futur possible: Waze et Uber dystopie
62
Conclusion chapitre 6
63
Conclusion
65
Sources
65
Bibliographie
67
Publications/Revues
68
Article de presse
69
Internet
70
Documentaires/ émissions/ conférences
71
5
Avant-propos Après un baccalauréat de sciences économique et sociale obtenu en 2011, je m’engage dans des études d’économie à la Sorbonne jusqu’en licence 3, porté par une volonté de comprendre la crise économique qui monopolise les conversations et occupe l’espace médiatique. Je m’y suis intéressé à la macroéconomie, une science qui s’intéresse aux politiques économiques à grande échelle, sur laquelle on se base pour justifier des politiques de relance ou d’austérité, qui promet des effets rebonds et levier ou des trappes à liquidité. Au travers de ces termes un peu barbares j’ai développé un intérêt pour les relations entre le secteur privé et les institutions publiques, les effets subtils ou violents que pouvaient avoir un régulateur sur les acteurs du marché, les cercles vertueux ou vicieux qu’ils pouvaient générer. J’ai intégré l’ENSAPB en 2014 en L1 et j’ai retrouvé en architecture la confrontation entre régulateur et acteurs, des normes en tous genres auxquelles sont confrontés les architectes aux lois d’urbanisme. J’ai été surpris par l’impact que peuvent avoir certaines régulations sur le marché de l’architecture et de l’urbanisme, avec bien souvent, et comme dans beaucoup de domaines une incompréhension voire un dénigrement des acteurs pour la régulation et dans le sens inverse une déconnexion de la régulation avec les problématiques actuelles. J’ai suivi avec intérêt depuis plusieurs années le développement techniques des automobiles et je me suis amusé à imaginer leur développement futur de nombreuses fois, notamment lors d’un concours « imaginez la voiture de demain » lancé en 2012 par Toyota, j’y décrivais des voitures connectées autonomes communicantes se regroupant pour former des trains sur l’autoroute. Le développement de ces technologies et les transformations qu’elles pourraient engendrer sur la ville semble susciter un l‘intérêt limité tant chez le régulateur que chez l’urbaniste ou l’architecte, il m’est apparu important d’essayer d’explorer ce sujet qui, il me semble, concerne les métiers d’architecte, d’urbaniste et bien au-delà, chaque citoyen.
6
Introduction Contexte : confrontation public/privé La ville peut être observée comme une résultante de la rencontre, parfois conflictuelle, entre une puissance publique et des acteurs privés. Ce prisme d’observation permet de discerner dans l’espace urbain d’une part ce qui relève d’une volonté politique, d’une certaine idée de la ville que veulent porter les pouvoirs en place et d’autre part ce qui relève d’une volonté principalement pécuniaire pour enfin comprendre comment la rencontre de ces deux composantes forme la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le Paris Haussmannien2 est le fruit d’une rencontre entre une volonté d’un état fort et la puissance financière des investisseurs privés, la typo morphologie d’Hanoï3 est la résultante de lois fiscales et d’un secteur privé financièrement faible. La gestion et la propriété grandissante de l’espace public de grandes villes européennes par des sociétés privées4 confirme la tendance actuelle de l’Occident qui semble être au transfert de pouvoir du public vers le privé5, au travers de la multiplication des partenariats public/privé, de la délégation de la fabrique de la ville aux aménageurs, ou de la gestion de la ville à des entreprises privées. En effet, nombreux sont les auteurs qui s’inquiètent du rôle grandissant du secteur privé sur la production urbaine contemporaine, David Mangin donnait l’alerte dès 20046 dans « la ville franchisée » décrivant comment l’urbanisme de la banlieue parisienne était dessiné dans des logiques commerciales.
Xavier Bezançon, Partenariat public-privé et développement territorial : Une approche historique du partenariat public-privé, Revue d'économie financière (Hors-série), 1995., p43-46 comment le pari haussmannien résulte de la rencontre de l’investissement privé et du législateur. 2
3
La taxe foncière d’Hanoï est calculée en fonction du linéaire de la façade sur rue, afin d’alléger la charge fiscale des bâtiments, ces derniers sont très étroits, profonds et haut. 4
Claire Laborey, mainmise sur les villes, Chamaerops Productions, Arte France, 2015
5
Voir partie deux chapitre 4 : conflit public privé
David Mangin, La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Paris, les éditions de la villette, 2004, 400 pages 6
7
Deux modèles de villes qui s’affrontent Jean Haentjens, Economiste et urbaniste, dans « comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes » 7 propose de définir deux visions de la ville : l’une, prônée par les libéraux, la « ville service » des géants du numériques et autres acteurs privés où la ville serait support à un marché de concurrence pure et parfaite, et l’autre, la « cité politique » qui serait au service d’intérêts n’ayant pas la rentabilité économique comme seul objectif. Cet affrontement entre deux visions de la ville est le même qui anime les sociétés capitalistes depuis leur apparition, opposant d’une part les libéraux prônant une dérégulation du marché , s’appuyant sur la théorie de la main invisible d’Adam Smith selon laquelle la rencontre des intérêts économique individuels provoquerait un équilibre permettant l’intérêt général, et d’autre part les partisans de la régulation, s’efforçant de démontrer que le marché dérégulé n’est pas la solution optimale pour servir l’intérêt général. Afin de mieux comparer ces deux visions de la ville, Jean Haentjens, dresse une liste de sept objectifs que s’efforcent de servir les métropoles modernes occidentales. Il appuie la définition de ces finalités sur le socle de la triade de Leon Battista Alberti8 (1404-472) qu’il augmente d’une synthèse des « documents stratégiques produits par les principales villes occidentales ». Il en ressort sept niveaux d’objectif : « Les deux premiers [niveaux] […] qu’Alberti appelait la Necessitas et la Commoditas correspondent à l’assouvissement de besoins primaires de survie, sécurité et de confort » « Un troisième, qu’Alberti appelait Voluptas, correspond à tout ce qui a trait au plaisir urbain, à l’esthétique […] l’animation, l’ambiance. » « Un quatrième niveau concerne la demande, fondamentale, de lien social. » « Un cinquième niveau concerne le désir de reconnaissance et de représentation […] à la fois individuelle […] et collective […]. »
Jean Haëntjens, Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes, Paris, Rue de l’échiquier, 2018, p 45-47 : ville service ou cité politique. 7
8
Leon Battista Alberti, L’art d’édifier, Seuil, 2005 [1452]
8
« Un sixième niveau concerne la capacité qu’offre une ville à ses habitants à s’épanouir » « Le dernier niveau concerne les finalités éthiques, la vision de l’intérêt général, les valeurs. » Ces objectifs nous aideront à mieux comprendre tout au long de ce travail les enjeux de cette confrontation. Ils nous éclaireront sur les conséquences que pourraient avoir la volonté de renforcer une certaine qualité de la ville au détriment de l’autre et à discerner ce qui relève de la vitrine et de l’objectif réel des acteurs.
La voiture et les deux modèles de villes Le terrain de cette confrontation que nous allons explorer est celui des transports, plus particulièrement celui de l’automobile. La mobilité a depuis la naissance des villes été un élément crucial dans le choix de leurs implantations, de leur développement ou de leur gestion9, l’un impactant l’autre puis le développant au gré de déséquilibres successifs10, transformant la ville et la manière de la percevoir, de la vivre.
Roland Barthes (1915-1980), dans Mythologie11 parlait en ces termes de la nouvelle Citroën en 1957 : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »
9
Tim Lambert, aux origines des civilisation, 1/4 la naissance des villes, Arte, 2018
Francis Rambert, la mobilité accélératrice d’urbanité, Ouvrage collectif sous la direction de JeanMarie Duthilleul circuler, quand nos mouvements façonnent nos villes, cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, 2012 p17-18 10
11
Roland Barthes, « Mythologies », extrait des Œuvres complètes I, Editions du Seuil, Paris, 1957
9
1213
12
13
Couverture des Mythologies de Barthes, édition Points, Paris, 1970 Illustration de l’idéologie sociale de la bagnole d’André Gorz, parue dans la revue le sauvage en
1973
10
C’est dire combien la voiture a servi la cité politique et l’industrie quand elle s’est démocratisée, répondant par le mythe moderne qu’elle suscite au troisième niveau d’objectif définit par Alberti, voluptas, du plaisir urbain, de l’expérience et de l’ambiance. Le quatrième niveau du lien social est également satisfait dans les espoirs que suscitent la voiture quant à « l’accès aux marchés, aux équipements sanitaires, scolaires, sociaux »14. Le cinquième niveau, de représentation collectif et individuel est assuré respectivement par les infrastructures fascinantes de modernité qui sillonnent le territoire et affirment sa modernité et l’accès au pavillon individuel que la voiture permet. Enfin,
le
sixième
niveau,
l’épanouissement
personnel
correspond
à
la
démocratisation de la voiture comme instrument du « […] loisir familial, […] et aussi des usages de travail »15, lorsqu’elle représentait un symbole d’émancipation, un rite de passage à l’âge adulte, permettant d’échapper à la cellule familiale. Le dernier niveau, concernant l’intérêt général est, comme les autres, remis en cause aujourd’hui, par la congestion urbaine, la hausse de la pollution, les accidents et l’étalement urbain qu’elle a provoqué.
L’autonomie, nouvel élan de la voiture en ville La voiture que nous avons connue jusque-là permettait à des individus disposant d’un permis de conduire et d’un véhicule de se déplacer dans l’espace public en obéissant à un code de la route et payant des barrières douanières, la voiture était un moyen de transport privé individuel et aucune puissance privée ne contrôlait massivement l’usage des véhicules en circulation sur l’espace public. La voiture autonome, par les promesses que sa technologie pourrait permettre, serait en passe de devenir un moyen de transport collectif, d’initiative et de gestion privées,
14
Gabriel Dupuy, L’auto et la ville, Flammarion, Paris, 1995, p16
15
Ibid
11
utilisant intensivement un bien commun, le sol de l’espace public16, modifiant à son tour la ville, sa gestion, son usage et l’expérience de ceux qui la vivent. Disruption : « stratégie pour prendre de vitesses ses compétiteurs […] et éviter la régulation, provoquer le Far-West technologique »17 La disruption décrite par Bernard Stiegler ci-dessus, que pourrait entrainer l’arrivée de la voiture autonome dans la ville, interviendrait dans l’intervalle de temps nécessaire au régulateur, aux théoriciens et aux acteurs de la cité politique pour intégrer les nouvelles technologies et permettrait aux développeurs de la voiture autonome d’imposer leur vision de la ville-service.
L’algorithme, le nouveau mythe moderne L’autonomie de la voiture s’appuie sur des technologies numériques algorithmiques. Les constructeurs automobiles se rendent compte que la voiture ne représente plus le symbole d’émancipation18 et de liberté qu’elle a été. Elle aurait été détronée par le smartphone et la DS de Roland Barthes en tant que mythe moderne serait, selon Claire Richard en train de se faire remplacer :« les algorithmes sont en passe de devenir des mythes modernes, des entités à la fois insaisissables et toutespuissantes »19. Un grand nombre d’auteurs nous avertissent du potentiel néfaste de l’automatisation portée par les algorithmes sur notre rapport à notre environnement. Pour l’instant l’autonomie n’en est qu’à son deuxième stade sur l’échelle de l’autonomie fixée par la société des ingénieurs de l’automobile en 2014. Selon une étude ces stades d’autonomie devraient être gravi petit à petit jusqu’à une autonomie
Maxime Huré, les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, Chapitre 5 p107 : Une nouvelle privatisation de la ville ? 16
Bernard Stiegler, à propos de la disruption, https://vimeo.com/183850750 1min05 [consulté le 03/04/2017] 17
18
interview
de
Culture
Mobile
Pascale Kremer, cette jeunesse qui ne veut plus rouler, Paris, Le monde, 18/09/2015
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2015/09/18/cette-jeunesse-qui-ne-veut-plusrouler_4761923_4497916.html [consulté le 18/05/2018] Claire Richard, dans la boite noire des algorithmes, Paris, Revue du crieur, Médiapart-la découverte, numéro 11, 2018, p70 19
12
totale en 2030 pour les plus optimistes. L’étude précise qu’il suffit de 30ans pour que l’apparition d’une technologie se généralise à hauteur de 80 % du marché20. Ce travail propose d’étudier les conséquences à long terme que pourrait avoir la généralisation d’une telle technologie sur nos villes, afin de mieux comprendre les enjeux et les dérives possibles de ces évolutions.
Problématique Au vu des changements qui pourraient être induits d’une part par la gestion privée d’un système de transport collectif et d’autre part par une automatisation de la conduite, nous nous appliquerons à essayer de comprendre quels effets pourraient avoir l’apparition de ces changements sur notre perception et l’organisation de la ville. Pour cela nous essayerons d’anticiper les externalités négatives et positives susceptibles d’être générées par ces technologies. Externalité21 : (Economie) L'externalité caractérise le fait qu'un agent économique crée, par son activité, un effet externe en procurant à autrui, sans contrepartie monétaire, une utilité ou un avantage de façon gratuite, ou au contraire une nuisance, un dommage sans compensation.
Le rôle de l’architecte Il pourrait être du rôle de l’architecte, par sa faculté à se projeter dans le futur et à produire des images, d’alerter sur les conséquences de ces transformations. Selon Buckminster Fuller « nous sommes appelés à être les architectes du futur et non ses victimes ». Il ne s’agirait pas de faire une démonstration manichéenne en choisissant un modèle de ville ou en menant un combat de Don Quichotte contre une technologie mais
20 Jean Louis Missika et Pierre Musseau: des robots dans la ville, Paris, Tallandier, 2018, p 78 prospection sur le développement de la technologie d’autonomie 21
Définition Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Externalité [consulté le 10/10/2018]
13
d’apporter au débat un éclairage sur ce que provoquerait l’émergence des nouvelles technologies sur l'évolution de la ville. Cette vision de l’architecte pouvant faire valoir sa formation pluridisciplinaire, sa capacité à se projeter dans un avenir potentiel et à produire des images permettant de rendre compte d’un état des choses non encore existant au profit d’enjeux dépassant le simple dessin de l’espace est portée entre autres par Armand Nouvet : « Le métier d’architecte n’est peut-être pas qu’un métier de maîtrise d’œuvre, il y a beaucoup d’autre façons de faire valoir cette formation d’architecte et de l’exercer professionnellement »22 Si l’architecte et l’urbaniste ne s’occupent pas de ces questions, elles risquent d’être abandonnées à d’autres professions, dont la préoccupation majeure ne serait pas la qualité spatiale et l’amélioration du cadre de vie mais des préoccupations financières ou électoralistes. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» disait Rabelais, l’architecte pourrait avoir le rôle d’objecteur de conscience, permettant d’apporter au débat son expertise au côté d’acteurs n’ayant pas les mêmes préoccupations.
Plan Dans une première partie, nous questionnerons les promesses des partisans de la voiture autonome en relevant les effets que cette technologie pourrait produire sur notre façon d’appréhender la ville dans la voiture. Ce travail s’appuiera sur l’analyse des arguments des développeurs de la voiture autonome en matière de sécurité, de gain de temps et de progrès écologique. Nous mettrons ces arguments en perspective avec les conséquences urbaines et autres effets que ces technologies pourraient avoir sur notre cadre de vie. Dans la seconde partie nous nous emploierons à mesurer les potentiels redoutables et espérables que ces technologies pourraient avoir sur la gestion des transports en ville au vu du risque de privatisation de cette gestion. Ce travail
22
Armand Nouvet, conférence à l’ENSA Nantes, 2014, 4min00
https://www.dailymotion.com/video/x2qo2t7 [consulté le 17/04/2018]
14
s’appuiera sur l’analyse des technologies algorithmiques, la façon dont elles ont déjà commencé à modifier la gestion de la ville et la manière avec laquelle elles pourraient être utilisées. Tout au long de ce travail j’ai imaginé des « nouvelles d’un futur possible » proposant de nous projeter dans un état des choses rendu possible par les démonstrations faites au préalable.
Etat des savoirs Comme nous l’avons vu, nous nous appuierons sur l’essai de Jean Haetjens, comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes (Paris, Rue de l’échiquier, 2018) pour ce qui concerne les conséquences des jeux de pouvoir entre les différentes parties à l’œuvre. La littérature prospective autour de la voiture autonome relève souvent de la fascination, peu d’alerte des architectes sur les dangers de ces changements. En revanche, des auteurs nous avertissent quant aux conséquences néfastes que peuvent avoir l’automatisation de la société et la privatisation de la gestion de la ville. Les ouvrages nous permettant de relever les arguments de développeurs de la voitures autonomes sont : -Dominique Rouillard et Alain Guiheux, Door to Door (Paris, Archibooks, 2015) -Jean Louis Missika et Pierre Musseau, des robots dans la ville, comment les voitures autonomes vont changer nos vies (Paris, Tallandier, 2018) -Des études, articles de revues et campagnes de communication portant sur les prouesses technologiques de la voiture autonome. Les ouvrages nous permettant de nuancer en première partie les promesses de la voiture autonome au regard de la révolution numérique sont : - Bernard Stiegler, la société automatique, 1 l’avenir du travail, Paris, Fayard, 2015 - Matthew B Crawford, Contact, pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver, Paris, La Découverte, 2016, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, sortie EU 2010 15
-D’autres écrits de François Asher, David Foster Wallace ou Luc Le vaillant. Les ouvrages nous conviant à redouter l’implication grandissante du secteur privé dans le domaine des transports sont : -Maxime Huré, les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017 - Claire Laborey, mainmise sur les villes, Chamaerops Productions, Arte France, 2015 -D’autres ouvrages rendant compte et analysant les comportements des entreprises privées déjà à l’œuvre dans le secteur du transport. Nous nous appuierons sur les ouvrages des lanceurs d’alertes tel que Matthew Crawford et maxime Hure, pour traiter des problématiques de la place grandissante du numérique dans la cité et de la tendance à la privatisation des villes pour nuancer les promesses de la voiture autonome, en y apportant un récit alternatif d’un futur possible.
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Première partie : Dans la voiture promesse d’autonomie, ombre de dÊpendance
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Chapitre 1 : au nom de la sécurité, sacrifice de la citoyenneté La technologie embarquée
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L’argument majeur des développeurs de la voiture autonome est la sécurité, tant pour les passagers présents dans l’habitacle que pour les piétons et cyclistes sur la chaussée. Une combinaison de technologies embarquées sur le véhicule, des caméras, des radars et des capteurs appelés LIDAR permettent aux algorithmes présents dans l’ordinateur de bord du véhicule de reconstituer en temps réel son environnement en 3 dimensions et de s’y déplacer. Cette représentation numérique serait bien plus efficace que le cerveau humain, permettant d’avoir une vision à 360 degrés de l’environnement, des capteurs plus précis que l’œil humain et un système de calcul et de décision plus rapide, ne connaissant pas de chute d’attention ou de fatigue.
23
© DR Image provenant du site usinenouvelle.com détaillant les technologies de la voiture autonome
https://www.usinenouvelle.com/article/les-voitures-autonomes-en-10-questions.N442012
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Malgré les accidents ayant impliqués des voitures autonomes, leurs développeurs restent convaincus que cette technologie est plus sûre que le comportement humain. Ainsi Elon Musk, patron de Tesla, réagira au rapport d’enquête sur l’accident impliquant une Tesla ayant entrainé la mort du passager/conducteur par un tweet où il se félicite que « les données montrent que les accidents impliquant les véhicules Tesla ont diminué de près de 40% après l’installation du système d’autopilotage »24. Cette certitude de l’amélioration sécuritaire qu’apporterait l’arrivée de la voiture autonome s’appuie donc sur une comparaison avec les voitures non autonomes qui causent chaque année 1,3 million de morts dans le monde25. Cette avancée technologique viendrait servir les fantasmes urbains de la voiture sans problème, pouvant évoluer dans des rues où se côtoient différents modes de transport. Ces promesses sont nombreuses dans la production d’images architecturales. En 2009 Richard Rogers, dans le cadre de la consultation pour le Grand Paris, imaginait déjà des véhicules électriques autonomes permettant de cohabiter avec des pistes cyclables, des terrasses de café et des transports en communs. Plus récemment, Dominique Rouillard va plus loin en imaginant de vastes espaces publics sans affectations déterminées des modes de transport au sol, où les véhicules autonomes pourraient se mouvoir dans un « grand espace commun » au milieu des autres modes de déplacements, inscrivant la voiture autonome dans la continuité des grandes utopies nées avec le « Crystal palace, le grand palais à Paris […] entre Learning center et centre culturel. Le « grand espace commun » donne la générosité des espaces »26 . A première vue, cette avancée technologique proposée par le secteur privé servirait les objectifs communs à la cité politique et à la ville service, améliorant la sécurité des usagers et agissant donc dans l’intérêt général. Il convient cependant de rappeler ce que la conduite humaine peut avoir de bon pour la ville, de comprendre ce qui disparaitrait pour mieux saisir les enjeux réels de la disparition de la conduite active au profit de la passivité de « l’autonomie ».
24 Elon Musk sur Twitter le 19/01/2017 « « report highlight : » the data show that the Tesla vehicules crash rate dropped by almost 40 percent after Autosteer instalation » 25 Mortalité - Morts d'accidents de la route dans le Monde, planetoscope https://www.planetoscope.com/mortalite/1270-mortalite---morts-d-accidents-de-la-route-dans-lemonde.html [consulté le 16/11/2018] 26 Dominique Rouillard et Alain Guiheux, Door to Door, Paris, Archibooks, 2015, p146
19
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Projet de l'équipe Rogers consultation du grand Paris 2007 © Equipe Rogers © Architecture Action, Illustration de Door to Door, Paris, Archibooks, 2015 p147-148
20
Conduire, une appropriation spatiale et sociétale Conduire peut être perçu comme une aventure urbaine. Luc Le Vaillant, dans un article intitulé « bagnole blues »29 , nous parle avec une nostalgie précoce de la fin des joies de l’automobile et de l’appropriation du territoire par ceux qui les conduisait : […] Pour le paltoquet flambard dans son cabriolet décapoté comme pour la sardine compactée dans un break familial aux allures de bétaillère, la bagnole a beaucoup servi a découvrir le monde, à aller à l’aventure, à individualiser les loisirs. Au creux des tournées des VRP ou depuis la route des vacances, la carte de France prenait des couleurs, des saveurs et des odeurs. On éprouvait la beauté de la réalité qui défilait devant le pare-brise […] Dès les portières ouvertes, flottait, dans l’air vif qui saisissait les embarqués, ce sentiment d’appropriation légère, de possession sporadique, de prédation gourmande très autorisée […] Cette appropriation spatiale est induite par le fait de conduire, de comprendre le territoire au volant avec une attention particulière portée au fait de conduire et non en tant que passager (le passager lui-même pouvant participer en lisant une carte par exemple). Cette désappropriation a déjà commencé avec la généralisation des services de GPS qui délèguent à la machine la faculté du cerveau humain à se créer un itinéraire ; cette concentration sur la carte et les réflexions qu’elle induit en amont d’un trajet ont été déléguées à la machine et la prochaine étape serait de confier à la machine la concentration humaine de la conduite. Plus loin Luc Le Vaillant évoque les aspects aventureux de la conduite : […] l’auto était à la fois un refuge et un subterfuge, un vaisseau spatial et un sousmarin, une salle à manger et un vestiaire, un auditorium et un salon de conversation. C’était le vase clos d’un nomadisme qui avait de la buée aux vitres et de la boue au tapis de sol. C’était la carapace du bohémien quand internet est la navette du sédentaire.30
29 Luc Le Vaillant, Bagnole blues, Paris, Libération, mardi 20 novembre 2018, p23 30 Luc Le Vaillant, op. cit.
21
Conduire, c’est avoir des préférences, pour un trajet particulier, cela sert la connaissance du territoire et quelque part sert le sentiment d’appartenance à un territoire, en tout cas cela permet d’avoir un rapport à l’espace d’appropriation, de découverte, de s’en faire une carte mentale… La conduite peut également être perçue, en plus d’être un facteur d’appropriation spatial, comme un moyen d’appartenance à la société, par le rapport à la règle que cela induit et le rapport aux autres usagers au travers de celle-ci. Cette confrontation au rapport à la règle permet dès 18 ans à l’occasion du permis de conduire de comprendre les limites de notre propre liberté au profit de celles des autres, d’avoir le sens de la courtoisie, le choix du respect de la loi, d’intérioriser un ensemble de règles et de loi. Cette confrontation du citoyen à la règle et aux autres peut aussi être considérée comme un exutoire nécessaire, la voiture pouvant être support d’un défoulement, rare espace urbain, avec les stades, où il est permis de crier, contre les autres, ou contre la règle. André Bellaïche, ancien braqueur, ayant appartenu au gang des postiches aujourd’hui repenti, raconte très bien comment ce rapport au code de la route, est un support exutoire à son rapport à la loi. « Il m'a fallu tout réapprendre, comme rentrer dans une banque sans arrière-pensée. Il me manque l'adrénaline. Et parfois, sur mon scooter, je prends un sens interdit juste pour voir. »31 Cette perte de l’appropriation spatiale et du sentiment d’appartenance à un ensemble de lois se ferait au profit des promesses de sécurité du secteur privé et viendrait desservir la cité politique au profit de la ville service, par la perte du sentiment d’appartenance active à un modèle commun.
Perte de la connaissance et de la sérendipité urbaine Au nom de la sécurité, le conducteur passerait donc de l’actif au passif et risquerait de ne plus se concentrer sur la route au profit de l’écran, comme nous allons le voir dans la partie B, et perdrait donc petit à petit la connaissance urbaine. La première conséquence, qui a déjà commencé avec l'apparition des GPS serait la perte de la connaissance urbaine.
31 Portrait d’André Bellaïche par Patricia Tourancheau, La vérité si je mens, Paris, Liberation, 18 octobre 2007, quatrième de couverture
22
Cela est déjà le cas lorsque les chauffeurs de VTC ne connaissent plus le nom des rues, la composition de la ville, son organisation mais sont rivés sur leurs GPS. Nous externaliserions donc notre « faculté d’entendement », comme l’appelait Kant32, en le laissant à la machine. Chaque arrivée d’une technologie, analyse t il entraine une perte
pour
l’humain,
de
même
que
l’écriture
a
permis
paradoxalement
l’emmagasinement de savoir sur le papier, il en a détruit sur le cerveau humain. Cette perte de connaissance pourrait s’appliquer à notre rapport à la ville. Cette technologie aurait la capacité, en plus de détériorer la connaissance spatiale, de menacer une qualité essentielle de la ville, la sérendipité. La sérendipité, c’est le fait de trouver ce que l’on ne cherchait pas à la base ; à propos de la ville elle est décrite par François Ascher33 en ces termes : La ville a toujours été un espace de rencontres. Le hasard de la rencontre est créateur de croissance et de richesse, et la science progresse grâce à ce qu’on appelle la « sérendipité », la découverte faite par un chercheur d’un objet qu’il ne cherchait pas. Les formes des villes peuvent favoriser les rencontres aléatoires, dans les limites imposées par le temps et les moyens financiers des habitants. En effet, le passage du mode de déplacement de l’actif au passif pourrait mettre fin à la capacité qu’a la personne transportée de s’arrêter subitement ou de changer d’itinéraire au gré de ses envies et des surprises rencontrées sur la route.
Nouvelle d’un futur possible : la fin de la connaissance et de la sérendipité Afin de mettre en perspective les images d’un futur désirable produites par les acteurs et les promoteurs de la voiture autonome et de les nuancer par un autre imaginaire inspiré des réflexions sur les effets négatifs que pourraient avoir l’apparition de cette technologie, de courtes nouvelles d’un autre futur possible, rédigées par l’auteur de ce mémoire, viennent compléter cette exploration :
32 Kant, critique de la raison pure, Paris, Flammarion, 2006 [1787] 33 François Ascher, Les nouvelles dynamiques urbaines dans le contexte d’une économie de la connaissance et de l’environnement, Paris, Réalités Industrielles, février 2008, p75
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Henry avait l’habitude, les jours de bouchons, de réciter le nom des boulevards qu’il allait traverser, de s’imaginer des itinéraires alternatifs, lorsque qu’il entendait à la radio qu’une manifestation partait de bastille pour arriver à Nation, de Denfert à place d’Italie, il connaissant les boulevards qui reliaient les places, et avait une petite idée de l’histoire de l’expansion urbaine parisienne, des enceintes successives formant des boulevards, d'autres boulevards tracés par Haussmann. Il s’imaginait comment les hommes à cheval avaient connu le Paris de leur époque... ils ne savaient pas que leurs remparts allaient devenir boulevards, que leur ville intègrerait les faubourgs, c’est quand même bien foutu Paris, se disait-il. Le fils d’Henry commande sa voiture, elle prend des chemins différents selon l’heure et la date, il ne comprend pas trop pourquoi. Il aime voir le paysage défiler à la fenêtre, comment ont-ils pu faire dans ce labyrinthe durant tant de temps pour se retrouver et se tracer un chemin, pour lui un trajet c’est un temps donné et un prix, pour son père c’était des enceintes successives, un système radioconcentrique lui rappelant l’histoire de Paris, des tissus urbains superposés. Henry aimait durant ses trajets quotidiens brusquement décider de tourner le volant, de changer de chemin, peut être voulait-il se perdre, ressentir un peu de peur et d’inconfort en se confrontant à l’inconnu, et s’il ne le faisait pas souvent il aimait en tout cas savoir qu’il lui était possible de le faire. Il lui arrivait de faire des découvertes, même à quelques centaines de mètre de chez lui de lieux dont il ignorait l’existence, dans lesquels il ne serait jamais allé s’il n’avait pas quitté son itinéraire. C’est comme cela qu’il avait rencontré la mère de ses enfants d’ailleurs, en s’arrêtant le long d’une route où il avait aperçu une manifestation pour la sauvegarde d’une terre humide ou je ne sais quoi. Il avait voulu couper par le bois et le voilà évitant des chicanes de fortune, par curiosité il était descendu et avait sympathisé avec cette joyeuse bande. Son fils n’a aucune idée de ce qu’il se passe autour de chez lui au-delà du rayon du piéton, il n’a aucune raison d’aller la bas, il utilise les trajets comme des services que l’on paye à l’avance, impossible de changer l’itinéraire en cours de route, cela dérèglerait les programmations de la voiture, elle est déjà promise à un trajet il faut qu’elle se dépêche, modifier sa trajectoire ou lui demander de s’arrêter coûte plus cher et de toute manière le temps qu’il ordonne à la machine d’aller à ce qu’il voit , ce qu’il voit est déjà passé. Sur son
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téléphone il consulte les sites de rencontres, lui aussi trouvera l’amour au hasard d’un trajet algorithmique.34
Conclusion chapitre 1 Ce conflit entre l’amélioration de la sécurité et la perte de citoyenneté rappelle les débats qui ont suivi la mise en place de l’état d’urgence en France après les attentats de Charlie hebdo en 201535. Il s’agissait de restreindre des libertés par le renforcement de l’autoritarisme institutionnel permettant à l’exécutif d’interdire des manifestations, d’effectuer des perquisitions sans l’accord d’un juge ou de procéder à des contrôles plus poussés et moins justifiés au profit d’une sécurité accrue pour la population face aux risques d’attentat. De la même manière que des juristes se sont employés à avertir du risque d’une banalisation de l’état d’urgence et à proposer des alternatives, l’architecte et l’urbaniste se doivent de prendre la parole sur ces questions et de proposer des alternatives permettant d’améliorer la qualité de l’usage de l’espace. Il est du rôle de l’architecte et de l’urbaniste d’avertir sur les changements de façon d’appréhender l’espace et la disparition de certaines qualités du mode de transport actif qu’entraineront ces technologies afin de mieux saisir les enjeux du débat. Des solutions pourraient être envisagées pour limiter la perte de repères spatiaux de compréhension du territoire dans la manière de présenter et de choisir l’itinéraire. La conduite active pourrait être sauvegardée en proposant à l’usager de conduire le véhicule, la technologie ne servirait qu’en cas de nécessité de correction de la conduite de l’homme.
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Texte de Jean Leclercq pour ce mémoire
35 Guillaume Erner, il y a-t-il état d’urgence sur nos libertés ? Paris, France culture, 06/06/2017 https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/y-t-il-etat-durgence-sur-nos-libertes
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Chapitre 2 : A la recherche du temps de cerveau disponible Technologie libératrice Le rêve de se faire conduire n’est pas nouveau, en pleine apogée de la voiture, dans l’Amérique des années 60, Kevin Lynch36 décrit la voiture comme un perte de temps, complètement à contre-courant de la glorification de ses contemporains. Il imagine déjà un système de pilotage automatique qui nous libèrerait de la contrainte de conduire : De ce point de vue, nous passons trop de temps dans la voiture. Il serait préférable d’organiser les villes de sorte que chacun puisse se rendre au travail à pied, ou de laisser les automates prendre le volant, afin que nous puissions baisser les stores et regarder la télévision. Cette libération du temps par la machine est un autre argument majeur des constructeurs, après la sécurité. En additionnant le temps que passent en moyenne les conducteurs dans leur voiture (1h par jour en France en 2017), et le temps utilisé à rechercher une place de stationnement (15% des trajets en ville), on constate que cela pourrait libérer une quantité de temps considérable pour le cerveau humain. La voiture autonome s’inscrirait donc dans un long processus de libération de l’homme par la machine, débuté avec la révolution industrielle qui promet, par l’innovation et la hausse de productivité, de produire plus de biens en utilisant moins de temps ; travailler moins pour libérer du temps. Ainsi, la conduite professionnelle, celle des chauffeurs routiers, des taxis et livreurs de bien pourrait être sortie du secteur de l’emploi comme ce fut le cas dans de nombreux domaines avec l’automatisation. La disparition de la conduite machinale d’un chauffeur routier n’est pas regrettable dans l’absolu, elle permettrait à long
36 Kevin Lynch, The view from the road, Cambridge, M.I.T., 1964, p3 « From this point of view, we spend too much of our lives in the car. It would be better to arrange cities so that every one could walk to work, or to let automatic devices take the wheel, so that we coul put the shades and watch TV. »
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terme d’éviter à l’homme un travail rébarbatif et aliénant37 et de consacrer son temps à des activités plus gratifiantes. Le sujet auquel nous allons nous intéresser est la conduite individuelle non professionnelle, celle qui permet à l’homme de se déplacer sur le territoire. La voiture rejoindrait donc les innovations libératrices de temps libre, comme le fut le l’aspirateur ou le lave-linge. Un exemple comparable serait celui des ménagères qui, au début des trente glorieuses découvrirent le lave-linge automatique38, la tâche qu’elles accomplissaient autrefois prenant beaucoup moins de temps et d’énergie, elles considéraient ce temps comme gagné et s’asseyaient près de la machine qui travaillait à leur place pour profiter pleinement du temps gagné, pour vaquer à d’autre occupations plus plaisantes comme la lecture. Mais cette libération du temps a également fait disparaitre la sociabilité des lavoirs municipaux où tout le village se retrouvait, renforçant l’isolement des ménagères dans leurs « intérieurs ». Cette libération horaire, serait donc à priori, comme l’est l’amélioration de la sécurité, au service de la cité politique, des deux premiers niveaux d’Alberti39 de confort et de sécurité mais également au sixième niveau défini par Jean Haëntjens qui « concerne la capacité qu’offre une ville à ses habitants de s’épanouir » par la libération horaire.
Un débat multiséculaire Le débat qui anime l’arrivée de chaque automatisation est encore plus vieux que l’utopie de la machine travaillant pour l’homme décrite par Kevin Lynch. Walter J. Ong, dans « oralités et écriture » compare les critiques faites aujourd’hui des nouvelles technologies numériques avec ce que Platon reprochait à l’écriture : La plupart des gens sont surpris, et beaucoup déroutés, d’apprendre que les arguments souvent avancés aujourd’hui contre les ordinateurs sont essentiellement les mêmes que ceux avancés par Platon dans le Phèdre (274-277) et dans la lettre 37 Paul Aries, économiste et théoricien de la décroissance, décrit les avancées technologiques comme un moyen pour l’homme de s’élever, de ne plus survivre mais de s’adonner à d’autres activité artistiques ou philosophique qui le différencient de l’animal. Sur le travail et la décroissance, 2017 https://www.youtube.com/watch?v=PEW3GxVh5mo [consulté le 08/10/2018] 38 Conversation avec les grands parents de l’auteur, décembre 2017 39 Leon Battista Alberti, L’art d’édifier, Seuil, 2005 [1452]
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VII contre l’écriture. Comme Platon le fait dire à Socrate dans le Phèdre, l’écriture est inhumaine, elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit.40 Kant
décrira
ensuite
le
phénomène
d’externalisation
de
notre
« faculté
d’entendement »41 en le laissant à la machine. Chaque arrivée d’une technologie, analyse-t-il entraine une perte pour l’humain, de même que l’écriture a permis paradoxalement l’emmagasinement de savoir sur le papier, il en a détruit dans le cerveau humain. Bernard Stiegler, dans « la société automatique, l’avenir du travail » nous décrit les nouvelles technologies algorithmiques telle que celles embarquées dans la voiture autonome comme conçues pour « réduire le temps de décision, éliminer le temps superflu de la réflexion et de la contemplation »42
David Foster Wallace et la maitrise de la pensée dans les embouteillages David Foster Wallace est un écrivain américain qui dans un discours intitulé « c’est de l’eau », prononcé à l’occasion d’une remise de diplôme dans une université, invite les diplômés à saisir les moments à priori ennuyeux de la vie, comme les embouteillages, pour transformer ce temps, souvent considéré comme perdu et en tirer un réel bénéfice intellectuel : Il est extrêmement difficile de rester éveillé et attentif, au lieu de se laisser faire hypnotiser par le monologue qui se déroule dans votre propre tête […] “apprendre à penser,” ça veut vraiment dire apprendre à exercer un certain contrôle sur ce à quoi, et comment, vous pensez. Ça veut dire être suffisamment conscient et éveillé pour choisir ce à quoi vous faites attention et pour choisir votre manière de donner un sens à vos expériences. […] Parce que les embouteillages et les rayons blindés et
40 Walter J. Ong, Oralité et écriture, Paris, Broché, 2014 [original non daté] 41
Kant, critique de la raison pure, Paris, Flammarion, 2006 [1787]
42 Bernard Stiegler, la société automatique, 1 l’avenir du travail, Paris, Fayard, 2015, p52
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les queues à n’en plus finir me donnent pleins de temps pour penser, et si je ne choisis pas consciemment comment je pense et ce à quoi je fais attention, je serai en rogne et malheureux à chaque fois qu’il faut que j’aille faire les courses. 43 Cette invitation à prendre le contrôle de notre pensée et à la maitrise de notre attention amène à considérer le temps passé dans la voiture comme une occasion d’élever notre esprit, de sortir de ce qu’il appelle « mode naturel par défaut » de notre pensée pour s’adonner à des réflexions personnelles enrichissantes. Ce temps passé au volant ou dans une file d’attente de supermarché a la particularité de faire partie de ces rares moments où l’on ne peut y substituer une activité, par l’impératif d’attention sur la route qu’il exige. Le temps passé dans une voiture autonome n’aura pas le même statut puisque d’autres activités pourront y être effectuées. Cette ode du temps inutile, cet éloge de l’ennuie, support de rêverie et de réflexions pourrait nous faire reconsidérer le gain de temps comme une perte.
Attention comme bien commun : Matthew B. Crawford Matthew Crawford est un universitaire Américain, docteur en économie, ancien directeur exécutif du think tank George C. Marshall Institute, ayant décidé de quitter ses fonctions après avoir découvert les liens de son institut avec des lobbys pétrolier pour ouvrir un garage de réparation de moto dans une démarche de reconnexion avec les métiers manuels. Il raconte la perte de rapport au réel qui a déjà eu lieu dans le secteur automobile. Dans son premier ouvrage, « éloge du carburateur »44 qui est un questionnement sur le sens et la valeur du travail. Il y décrit la volonté délibérée des constructeurs de déposséder les conducteurs des moyens techniques de compréhension du véhicule. Les nouvelles Mercedes n’ont pas de possibilité pour leur propriétaire d’ouvrir le capot moteur, le niveau d’huile doit être effectué dans un garage agréé habilité à ouvrir le capot et à s’occuper du moteur.
43 David Foster Wallace, c’est de l’eau, Vauvert, au diable Vauvert, 2010 [discours prononcé en 2005] 44 Matthew B Crawford, Eloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail, traduit de l'anglais par Marc Saint Upéry, éditions la découverte, Paris, 2010
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De la même manière, de plus en plus de technologies ont déjà commencé à faire déconnecter le conducteur, non seulement de la connaissance technique du fonctionnement de son environnement, mais également des sensations spatiales. Dans son dernier ouvrage « Contact, pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver » Matthew Crawford nous explique comment toutes les technologies de correction de trajectoires, de suspensions hyper performante, d’assistance en tout genre, fabriquent un filtre entre l’environnement et le conducteur. Il y décrit la perte des sensations de vitesse, des déconnexions avec la matérialité du sol et finalement une déconnexion avec le réel : La façon dont les objets matériels sont conçus et fabriqués peut soit augmenter la puissance de notre agir incarné soit nous enfoncer un peu plus dans la passivité et la dépendance.45 La voiture autonome s’inscrirait donc dans cette continuité de volonté de déconnexion de l’homme avec la réalité physique des territoires, ajoutant ainsi une autre dimension à la perte de connaissance urbaine qu’induirait la passivité du déplacement. Matthew Crawford va plus loin dans la critique des nouvelles technologies, il dépeint notre environnement comme un territoire de chasse pour l’industrie markéting dans le but de capter la concentration humaine. Tout y est étudié pour que l’homme n’ait à accomplir que des taches simples et que son cerveau soit entièrement disponible à la publicité qui pourrait s’insérer dans tous les espaces. L’attention humaine devrait, selon lui, être considérée comme un bien commun à sauvegarder. Cette attention, décrite comme la pièce défaillante de la voiture, pourrait finalement s’avérer être un bien précieux à préserver dans nos sociétés ultra connectées où elle est sollicitée par des vagues d’informations permanentes.
45 Matthew B Crawford, Contact, pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver, Paris, La Découverte, 2016 p111
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La dernière grande découverte du capitalisme, c’est que plus, que dans une économie de l’information, nous vivons dans une véritable économie de l’attention, du moins si l’on applique le therme d’économie à toute ressource rare et donc précieuse.46 Ce temps de la réflexion proposé par David Foster Wallace ou de l’appropriation d’un territoire et de l’intériorisation de règles de vivre ensemble pourraient donc se transformer en « temps de cerveau disponible »47.
Aveuglés au volant Les entreprises développant la voiture autonome ont toutes une vision lucrative de cet investissement. Le groupe Pernod Ricard a lancé son pôle de recherche et développement dans ce domaine car ils y voient une belle opportunité de vendre de l’alcool aux conducteurs48. Google avait pour ambition de développer un système de mobilité gratuit, uniquement financé par la publicité, d’autre imaginent la méthode commerciale brevetée par Amazon, conditionnant la baisse du prix d’un produit au visionnage de vidéos publicitaire appliqué aux trajets en voiture autonome49. Les premières images de la voiture autonome parlent d’elle-même, des habitacles où le paysage virtuel occupe la majeure partie de l’espace, des écrans dans les mains des passagers, à la place des fenêtres et un tableau de bord toujours plus grand. La campagne de communication de Google pour le lancement de la google car illustre bien cette ambition d’occulter la ville dans la voiture : une personne non voyante au volant d’une voiture. Si ces mobilités permettaient l’accès au volant aux 46
Matthew B. Crawford, op. cit
47 Patrick Lelay, directeur de tf1 employait cette expression en 2004 : « ce que nous vendons à Cocacola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Elle apparue pour la première fois dans l’ouvrage des « associés de l’EIM » Les dirigeants face au changement, Paris, Éditions du Huitième jour, 2004 48 Les alcooliers misent sur la voiture autonome, article original du Washington post, traduit par courrier international et publié le 14/03/2018 https://www.courrierinternational.com/article/les-alcooliers-misent-sur-la-voiture-autonome [consulté le 27/11/2018] 49 Fabien Soyez, Voitures autonomes : du temps de cerveau disponible pour les publicitaires https://www.cnetfrance.fr/news/voitures-autonomes-du-temps-de-cerveau-disponible-pour-lespublicitaires-39862746.htm [consulté le 15/11/2018]
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personnes non voyantes, elles pourraient également amener les personnes qui jusqu’alors observaient la ville à ne plus la voir, faisant du transport une marchandise, des distances un coût et un temps, et du temps un produit très convoité par les publicitaires.
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En haut, la photo du premier trajet d’une google car « conduite » par un aveugle https://www.caminteresse.fr/economie-societe/google-car-voiture-autonome-roule-toute-seule1133509/ 50
En bas à gauche, l’intérieur des voitures autonomes Catia développées par Dassault Systèmes, capture écran de la vidéo de présentation https://www.caminteresse.fr/economie-societe/google-car-voiture-autonome-roule-toute-seule1133509/ En bas à droite, la voiture autonome Citroën au salon de l’automobile https://www.auto-moto.com/nouveautes/scoop/nouveautes-2018-144870.html#item=1
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Conclusion chapitre 2 La production architecturale est régie par un ensemble de règles déterminant les dimensions minimums des espaces, le nombre de fenêtres et leur dimensionnement. De la même manière des règles existent dans l’espace public physique et virtuel pour limiter la présence de la publicité ou l’interdire complètement sur certains supports, qu’il s’agisse de l’espace public audiovisuel ou de l’affichage publicitaire dans l’espace urbain. Il serait légitime que les architectes prennent part aux débats sur la construction de la voiture du futur, au côté du législateur, en tant que professionnel de l’espace, pour fixer des limites à la déconnexion du passager avec le réel, des règles s’imposent quant à la proportion d’écran et de vitrage dans la voiture et à l’encadrement de la publicité dans l’espace public physique ou virtuel.
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Chapitre 3 : Du déplacement à la consommation de services de mobilité, un progrès écologique ? Mobility As A Service : les promesses écologiques liées à l’optimisation économique Un autre argument avancé par les promoteurs de la voitures autonome est la cause écologique, Jean Louis Missika et Pierre Musseau décrivent le désastre écologique
du
véhicule
individuel
thermique
grâce
à
des
démonstrations
économiques, « l’automobile ne paie pas ses vrais coûts »51, ils évaluent ainsi les externalités négatives de l’automobile en quantifiant économiquement les nuisances (accidents, pollution, bruits..) qu’elle provoque. La voiture autonome promet de faire baisser ces externalités négatives au travers d’une conception nouvelle de la mobilité. Venu d’Europe du nord, le concept de « MAAS » Mobility As A Service52, est une nouvelle façon d’envisager les transports, se basant sur une étude démontrant que 80% des trajets en villes sont devenus trop compliqués pour le cerveau humain53 à cause de la multiplication des offres de mobilités. Il s’agirait de regrouper sur une plateforme numérique toutes les possibilités de transport publics et privés de tous les modes de transports différents, avec les données en temps réel, d’embouteillages et de tarifications. Ce rapport nouveau avec la mobilité confirme les inquiétudes de Kant, Wallace et Crawford sur l’automatisation et l’externalisation de notre faculté d’entendement à la machine, rendant l’homme un peu plus impuissant et dépendant de la machine. La MAAS concernerait donc des trajets porte à porte en temps réel sur un smartphone. Grâce aux promesses de baisse de coûts à venir des trajets en 51 Jean Louis Missika et Pierre Musseau: des robots dans la ville, Paris, Tallandier, 2018, p116 52 Jean Coldefy, Revue TEC, mobilité intelligente, MAAS : mobility as https://www.revuetec.com/revue/maas-mobility-as-a-service/ [consulté le 11/12/2018]
a
service
53 Riccardo Galloti, Mason Porter, and Marc Barthelemy, Lost in transportation: Information measures and cognitive limits in multilayer navigation, New-York, science advances, vol 2, 19/02/2016
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véhicules robots dus au non emploi d’un chauffeur, à la baisse des coûts liés à la fabrication et à l'entretien (moins de véhicules) et compte tenu du confort que ce type de trajets propose, la voiture autonome a de grande chance de rafler toutes les parts de marché sur ces plateformes pour des raisons économiques tout en permettant de servir des progrès écologiques. Tout d’abord, la voiture autonome n’aurait pas besoin d’être de propriété individuelle, se déplaçant toute seule sans conducteur, elle pourrait être partagée facilement au grès des demandes des utilisateurs et optimiser la production de véhicules qui sont aujourd’hui utilisés seulement 95% du temps
54.
D’autre part, la centralisation de leurs données pourrait permettre d’optimiser leur utilisation, en mutualisant des trajets et en mettant fin à la recherche de stationnement, les voitures étant aujourd’hui remplies en moyenne par 1,3 personne et la recherche de stationnement représentant 15% des trajets en ville55. L’autonomie de déplacement des véhicules pourrait permettre non seulement d’optimiser les ressources naturelles et le temps de travail utilisé pour construire des véhicules sous exploités mais également d’utiliser autrement la masse d’argent immobilisée dans les voitures trop souvent stationnées et peu remplie, cette perte pour l’économie française étant estimé à 200 milliards d’euros par an 56. Enfin, le véhicule autonome a de grandes chances d’être électrique, comme Jean Louis Missika nous en fait la démonstration57, la désolidarisation de l’industrie automobile de l’industrie pétrolière serait déjà en marche. Le véhicule autonome permettrait l’essor du véhicule électrique grâce à son autonomie de déplacement et au partage des véhicules qui augmenterait sa capacité à aller recharger ses batteries tout seul sans que cela entraine un quelconque inconvénient pour l’utilisateur. Cette nouvelle façon de voir la mobilité comme un service, géré non plus par les individus mais par des entreprises, s’appuie sur des arguments économiques d’optimisation et permet dans un second temps d’avancer des arguments
54 Sylvie Setier, Renaud Lefebvre, Les mobilités du futur, Paris, Broché, p93 55 Guy Beauché, Véronique Préault, êtes-vous prêts à lâcher le volant ? Paris, France 2, 05/11/2018 56 Sylvie Setier, Renaud Lefebvre, Les mobilités du futur, Paris, Broché, 2016, p93 57 Jean Louis Missika et Pierre Musseau: des robots dans la ville, Paris, Tallandier, 2018, p60
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écologiques, principalement liés à une optimisation économique, il est important de rappeler que la principale finalité de ces innovations est d’ordre économique pour mieux comprendre que l’autonomie n’est pas bonne en soit pour l’écologie, comme nous allons le voir avec l’effet rebond.
Marché du déplacement : effet rebond possible au détriment de l’écologie De la même manière que les partisans de la voiture autonome se servent d’un raisonnement économique pour avancer des arguments écologiques, un mécanisme économique pourrait contredire ces promesses d’amélioration écologique. Tout d’abord, le nouveau statut de la mobilité comme service, un bien de consommation comme un autre, pourrait amener les acteurs de cette mobilité à essayer d’en vendre le plus possible, faisant du transport urbain le nouveau terrain de jeux du capitalisme consumériste, comme cela a été opéré avec le transport en avion, cherchant à casser les prix avec des offres agressives. Cette surconsommation entrainerait un effet rebond remettant en cause les promesses d’un transport aux vertus écologiques. L’effet rebond est un phénomène qui s’observe lorsque le prix d’un bien baisse où devient plus facilement accessible, la demande de ce bien augmente fortement au point de saturer le marché. La baisse du prix du transport, l’augmentation potentielle de la vitesse du transport rendu plus sûr pourrait augmenter la consommation de la mobilité. En effet le seuil de tolérance au temps de transport se modifiant moins rapidement que le temps de transport lui-même, la distance domicile travail pourrait s’allonger avec la baisse du temps et du prix.
Cet effet rebond a été observé par les maires ayant décidé de rendre leur transports en commun gratuits pour inciter leurs administrés à utiliser les transports en commun58, en baissant le prix des transports, ceux qui utilisaient la voiture gardent 58 Joséfa Lopez, Est-ce une bonne chose de rendre les transports gratuits ? Paris, Le Monde économie, 31/08/2018 https://www.lemonde.fr/economie/video/2017/11/10/est-ce-une-bonne-chosede-rendre-les-transports-gratuits_5212990_3234.html [consulté le 11/09/2018]
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leurs habitudes de confort et ne prennent pas plus le bus, tandis ce que ceux qui utilisaient les transports en commun l’utilisent de manière abusive pour des déplacements qu’ils faisaient autrefois à pieds ou à vélo, le résultat obtenu s’avèrerait finalement contreproductif, augmentant les transport motorisés et diminuant les transports doux. La voiture autonome pourrait aussi s’avérer inutile pour l’homme si l’on tient le même raisonnement qu’André Gotz, dans l’idéologie sociale de la bagnole qui nous démontre, en s’appuyant sur les travaux d’Ivan Illich, comment la voiture n’a jamais fait gagner de temps à l’homme : « L’Américain type consacre plus de mille cinq cents heures par an (soit trente heures par semaine, ou encore quatre heures par jour, dimanche compris) à sa voiture : cela comprend les heures qu’il passe derrière le volant, en marche ou à l’arrêt ; les heures de travail nécessaires pour la payer et pour payer l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et impôts… A cet Américain, il faut donc mille cinq cents heures pour faire (dans l’année) 10 000 km. Six km lui prennent une heure. Dans les pays privés d’industrie des transports, les gens se déplacent à exactement cette même vitesse en allant à pied, avec l’avantage supplémentaire qu’ils peuvent aller n’importe où et pas seulement le long des routes asphaltées. »59 Cette réflexion amène à ajouter à l’effet rebond néfaste à l'écologie un effet rebond néfaste à la santé. En effet, la voiture autonome pourrait tendre à devenir une assistance humaine dystopique, comme Andrew Stanton en fait une illustration de Wall-E, où les hommes ont oublié la marche à force d’être motorisés.
59 Citations de Ivan Illich (Energie et Equité. Ed. Le Seuil ) par André Gotz, dans Idéologie sociales de la bagnole,1973 http://carfree.fr/index.php/2008/02/02/lideologie-sociale-de-la-bagnole-1973/ [consulté le 08/05/2018]
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Illustration de l’idéologie sociale de la bagnole d’André Gorz, parue dans la revue le sauvage en 1973
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Nouvelles d’un futur possible : effet rebond Henry habite à une demie heure de son travail, tous les matins il utilise sa voiture pour s’y rendre, le trajet lui revient à 300 euros par mois, sans compter l’achat de la voiture qu’il change tous les cinq ans. L’arrivée de la voiture autonome lui a permis de gagner un quart d’heure par trajet, les véhicules robots pouvant se déplacer à la vitesse qu’ils jugent raisonnable compte tenu du risque d’accident, les bouchons ayant été dispersé sur le territoire et les trajets mutualisés puisque centralisé. La maison dont ils disposent commence à leur revenir trop chère, les gens n’ayant plus besoin de dépenser autant d’argent dans les transports, la masse monétaire s’est concentrée sur d’autre bien, particulièrement l’immobilier. Il a trouvé une maison bien plus grande avec un bout de jardin, qui se trouve à une demie heure en voiture autonome de son travail, le même temps qu’avant la voiture, cela ne le dérange pas d’autant plus qu’il ne passe pas la demie heure à conduire, il en profite pour boire son café en regardant les actualités et relire les dossiers qu’il abordera dans la journée. Henry a raconté à son fils que quand il avait son âge, avec sa bande de copain, après une soirée arrosée ils avaient voulu aller prendre un bain de mer. Vers 5h du matin ils s’étaient dirigés à pied vers la gare Saint Lazare, ne voulant pas conduire ivre une Autolib’ ou passer un mauvais moment dans un noctilien bondé et malfamé. A la gare Saint Lazare ils avaient attendu un train pour Deauville qui leur avait couté une petite somme, dans le train ils s’étaient senti gênés d’être au milieu de familles toutes propres, ils avaient envie de chanter et d’écouter de la musique. Ils se sont finalement endormis, se réveillant frigorifiés et affamés, arrivés à la gare de Deauville, ils ont marché difficilement jusqu’à la mer, l’excitation de la baignade avait été rattrapé par le froid, la faim et la fatigue ils se sont finalement attablés et ont rebroussé chemin. Avec le recul, cela fera une belle histoire à raconter à leurs enfants mais ils ne le referont pas, trop cher, trop froid, trop faim, trop gênant. Le fils d’Henry se retrouve dans la même situation, trente ans plus tard, il sont une bande de copains un peu éméchés voulant continuer la fête à la plage, ils sont une dizaine à se motiver, ils regardent sur leur téléphone, il peuvent avoir un van 12 places, son prix partagé n’est pas si élevé, il nous promet d’arriver en une heure au bord de la mer, venant nous chercher directement en bas de la fête et nous amenant sur une route qui longe la plage loin de la ville, 39
on aura la plage à nous tous seuls au petit matin ! En plus, on a une réduction si on commande de la nourriture et de l’alcool en même temps que le van, il passera par un restaurant et une épicerie avant d’arriver. Nous voilà dans le van, deux grandes banquettes face à face, un écran nous permet de mettre la musique, l’éclairage et la température, après avoir mangé un bon repas et repris quelques bières la fête continue dans le van. Arrivés à la plage on ouvre les portes et monte le son, certain vont se baigner d’autre restent au chaud dans l’habitacle. Le retour a Paris se fait en dormant, bercé par une musique douce et le doux sifflement du chauffage qui tape sur les rideaux fermés. Ce qui pour son père fut une expérience deviendra un rituel dans sa bande d’amis.61
Conclusion chapitre 3 Clément Choisne, jeune ingénieur diplômé de l’école centrale de Nantes, dans un discours prononcé à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes62, avertit ses pairs quant à la mauvaise piste que prennent, selon lui, les recherches en matière de développement durable, à force de se focaliser sur les moyens de rendre les énergies renouvelables et non polluantes, ils en oublient l’essentiel de la problématique actuelle : la sobriété énergétique. "Car une énergie, aussi renouvelable qu’elle vous soit présentée, ne le sera plus si elle doit compenser l’intégralité des besoins qui reposent aujourd’hui sur les énergies fossiles. Il faut avant toute chose penser à la réduction drastique de notre demande énergétique (sobriété énergétique) et je n’ai que trop peu entendu ce message dans le cadre de ma formation". Le questionnement sur le potentiel progrès écologique que pourrait apporter la voiture autonome va dans le sens du propos de Clément Choisne : les promesses d’amélioration du niveau de pollution pourraient être annulées par l’augmentation de l’énergie consommée. La vision prémonitoire de Kevin Lynch pourrait donc s’avérer
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Texte de Jean Leclercq pour ce mémoire
62 Clément Choisne, discours de remises des diplômes à l'Ecole Centrale de Nantes, le 30 novembre 2018 https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/nantes/centrale-nantes-discoursnon-conforme-du-jeune-ingenieur-fraichement-diplome-fait-buzz-facebook-1596183.html#xtor=CS2765-[email]- [consulté le 26/12/2018]
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encore plus pertinente au regard de la première solution qu’il envisageait pour réduire le temps passé dans la voiture : « De ce point de vue, nous passons trop de temps dans la voiture. Il serait préférable d’organiser les villes de sorte que chacun puisse se rendre au travail à pied, ou de laisser les automates prendre le volant, afin que nous puissions baisser les stores et regarder la télévision. » 63 Il est donc du devoir des architectes et urbanistes de ne pas se laisser fasciner par une fausse solution qui, bien que présentée comme participant à la transition énergétique, ne résoudrait pas le problème majeur de la consommation énergétique, et de continuer à chercher des solutions pour organiser une ville où la proximité réduirait l’usage des moyens de transports et l’énergie consommée.
Conclusion première partie : de la ville sans voiture à la voiture sans ville La voiture autonome a tous les arguments pour séduire les partisans de la ville sans voiture, du moins sans voiture telle que nous la connaissons aujourd’hui, sans conducteurs pouvant causer des accidents, sans encombrement de l’espace public du au stationnement et aux embouteillages, sans émissions polluante et réduisant l’emploi de matières première en partageant les véhicules. Mais cette promesse, non seulement ne pourrait être tenue si cette nouvelle mobilité n’est pas régulée comme nous le verrons dans la deuxième partie, mais pourrait profondément bouleverser, voir supprimer la perception de la ville dans les transports.
63 Kevin Lynch, The view from the road, Cambridge, M.I.T., 1964, p3 « From this point of view, we spend too much of our lives in the car. It would be better to arrange cities so that every one could walk to work, or to let automatic devices take the wheel, so that we coul put the shades and watch TV. »
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Ainsi, à force de vouloir tendre vers un modèle de ville sans voiture, c’est une voiture sans ville qui risquerait de voir le jour, un objet dans lequel pourrait se révéler tous les travers de la société numérisée, de la hausse de la consommation énergétique à la déconnexion de l’homme avec son environnement. De plus, la difficulté et la confusion avec laquelle les pouvoirs publics tentent de réguler les acteurs du numériques invitent à se questionner sur les nouveaux conflits que pourrait engendrer la gestion de cette nouvelle mobilité entre les acteurs privés et les puissances publiques.
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Dessin de © Flock-16, clubic.com
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Deuxième partie : La voiture dans la ville, privatisation et dématérialisation des problématiques urbaines
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Chapitre 4 : l’algorithme et la privatisation de la gestion de la ville L’algorithme tout puissant
Algorithme : Ensemble de règles opératoires dont l'application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d'un nombre fini d'opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur. 65 L’algorithme est présent dans le véhicule afin de remplacer le cerveau humain mais également dans un système centralisé permettant d’organiser la circulation des véhicules sur le territoire, en fonction de critères d’optimisation des coûts. Le système de pilotage embarqué d’une voiture autonome est composé de pas moins de 100 millions de lignes de code, contre 6.5 millions pour un avion de ligne66. En plus de poser la question de la consommation énergétique des véhicules pour effectuer ces calculs, le problème se pose pour les lignes de codes centralisées, qui organisent le déplacement global des véhicules. L’algorithme embarqué dans les voitures autonomes est ce que l’on appelle un Learning machine, c’est à dire un élément d’intelligence artificiel. En effet, c’est un algorithme qui apprend tout seul à se modifier en fonction des données qu’il assimile. Ainsi google arrive à l’aide de data collectées sur ses voitures à améliorer son logiciel en lui faisait parcourir trois millions de km virtuels par jour67. Plus l’algorithme emmagasine des données, plus il est performant, sa performance le rend attrayant et donc plus utilisé, ce qui permet de collecter enocre plus de données.
65 Définition Larousse 21/09/2018]
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/algorithme/2238 [consulté le
66 Agnes Sinaï, la voiture « intelligente », un mirroir aux alouettes ? Gentilly, Ecologik numéro 53, 2017, p 84 67 Ibid, p85
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L’effet réseau et le risque de monopole des transports De la même manière, les entreprises utilisant des algorithmes sont soumises à l’effet réseau : plus elles ont d’utilisateurs, plus l’algorithme collecte des données et plus elles gagnent des parts de marché. Cela est également valable pour les entreprises de véhicules partagés : plus elles ont d’utilisateurs, plus elles disposent de bien à partager, plus leur offre est complète, plus elles gagnent des parts de marché. Google, Facebook, Airbnb, Uber, fonctionnent sur ce principe, l’effet réseau a poussé ces entreprises vers une situation de quasi-monopole. C’est pour cela que sur le marché de la voiture autonome en flotte libre, c’est-à-dire sans propriété individuelle, le marché risque d’être dominé par un très petit nombre d’acteurs, en situation de monopole ou d’oligopole, du fait de l’effet réseau de l’algorithme et de l’effet réseau utilisateur. « Le premier prend tout » en anglais « winner take all » est l’expression, emprunté aux règles du poker pour décrire le fonctionnement de l’effet réseau sur les parts de marchés des entreprises du secteur concerné. Cette situation de monopole rend difficile la régulation du marché. En effet, plus l’état doit faire face à des entreprises internationales très puissantes et très organisées, plus le rapport de force est déséquilibré.
L’algorithme n’est pas neutre L’algorithme est au service d’une idée, il propose de « résoudre un problème énoncé »68, l’énonciation du problème n’étant pas objectif, c’est dans l’énoncé du problème que se trouve l’idéologie servie par l’algorithme. Les suspicions dont a fait l’objet l’algorithme d’affectation des universités de la plateforme Parcoursup illustrent bien la problématique nouvelle des politiques servies par l’algorithme : accusé d’augmenter les inégalités sociales par une favorisation de certaines catégories d’élèves dans l’affectation post bac, l’algorithme est d’autant plus inquiétant pour ses pourfendeurs qu’il est illisible pour le commun des mortels et très difficile d’accès69. 68 Définition Larousse « algorithme » https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/algorithme/2238 [consulté le 21/09/2018] 69 Matthieu Paris, Parcoursup : un algorithme absurde qui renforce les inégalités sociales
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S’agissant de l’algorithme embarqué dans la voiture autonome, il répond à des critères techniques de conduite, le questionnement le plus médiatisé de cet algorithme, qui anime tous les débats sur la voiture autonome concerne la survie des passagers en cas d’accident70. Mais ce questionnement éthique n’a que peu d’importance, les cas d’accidents où l’algorithme aurait le choix de choisir qui épargner durant un accident étant extrêmement rares. L’algorithme qui nous intéresse ici est celui qui centralisera les trajets, décidera du cheminement des véhicules, risque fort d’être contrôlé par le secteur privé.
Conflit public/privé Au vu du développement de ces technologies uniquement privées et de l’absence de participation des entreprises publiques de transport dans ce domaine, la ou les entreprises qui domineront ce marché auraient le profil d’acteur privé. Cette gestion privée du secteur du transport est déjà à l'œuvre dans un grand nombre de domaines où l’état délègue son pouvoir et son service au profit d’acteurs privés, dans un contexte de désinvestissement public et de politiques budgétaires d’austérité hérité du traité de Maastritch71. Cette transmission de pouvoir du public vers le privé est accompagnée par la transformation du modèle économique des états, passant d’un état providence des trente glorieuses où le service public avait son importance à un état remplissant seulement ses fonctions régaliennes, laissant le marché capitaliste, jugé plus efficace, s’occuper d’une partie de plus en plus importante de secteurs.
https://www.bastamag.net/Parcoursup-un-algorithme-kafkaien-qui-renforce-les-inegalites-sociales [consulté le 12/10/2018] 70
Autoplus, Voiture autonome : qui doit-elle tuer en priorité ?
https://www.autoplus.fr/actualite/Voiture-autonome-Technologie-Accident-Moralite-Etude-1532580.html [consulté le 23/06/2018] 71 Traité signé en 1992 par 12 pays membres de l’Union européenne dont la France, fixant des objectifs de maitrise de la dépense publique. En France, le système d’état providence hérité des trente glorieuses a dû se confronter à l’engagement de la baisse de la puissance publique fixée à 3% du PIB, pour tenir ses engagements, une multitude d’outils ont vu le jour, dont le partenariat Public-Privé, l’état confie à des acteurs privés la construction et le financement de bâtiments public, comme par exemple le nouveau Tribunal de Grande Instance de Paris. En contrepartie, l’état loue le bâtiment à l’entreprise privé ayant construit le bâtiment, permettant ainsi l’amortissement de son coût dans le temps, ce qui ne gonfle pas la dépense publique à court terme mais revient finalement, avec les intérêts versés, à augmenter les dépenses publiques à long terme au profit du secteur privé.
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Cela ne tient pas seulement à une politique d’austérité mais à un changement structurel dans la formation et la carrière des élites gouvernantes. En effet, de plus en plus d’hommes et de femmes politiques font des aller retours carriéristes entre des postes dans la fonction publique à haute importance décisionnelle et des postes dans le secteur privé. Au point que l’intérêt servi par les élites dirigeantes est parfois flou. Jean Louis Missika, figure importante sur les questions de la mobilité à la mairie de paris et grand théoricien de la voiture autonome en est un parfait exemple. En effet, avant d’occuper le poste d’adjoint à la maire de Paris « chargé de l'urbanisme, de l'architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité» il était vice-président de la société Iliad -maison mère de startups innovantes dans de nombreux secteurs, parfois en contrat avec la ville de Parischargé de « faire connaître la stratégie du groupe auprès des élus et des collectivités territoriales », une activité de lobbying assumée72.
La ville de Lyon et JCDecaux Maxime Hure, dans les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain, nous avertit sur le devenir de la gouvernance des villes face à la puissance croissante des acteurs privés. A Lyon, l’entreprise JCDecaux qui propose ses services de véhicules en libre-service en a profité pour jouir d’un pouvoir qui pourrait devenir bien plus inquiétant quand il s’agira de véhicules autonomes. Comme il le montre à partir du chapitre 5 « vers une privatisation de l’espace public », les stations de JCDecaux occupent l’espace public, bien souvent en payant un loyer dérisoire par rapport aux bénéfices engrangés, ce problème est dû au fait que lors de la négociation du contrat avec la municipalité, seule l’entreprise qui propose l’offre détient les clefs de la valeur de ce qu’elle négocie. En effet, JCDecaux, par le service de mobilité qu’il propose au travers des voitures et vélos partagés dispose d’une quantité de données considérables concernant les 72 Marc Leplongeon, Municipales 2014 - Paris : les troublantes relations Missika-Niel, Paris, Le point https://www.lepoint.fr/elections-municipales/municipales-2014-paris-les-troublantes-relations-missikaniel-06-03-2014-1798180_1966.php [consulté le 10/10/2108] Jean Louis Missika se justifie de cette situation ambiguë en avançant cet argument « je fais partie de ces personnes qui ont perdu beaucoup d’argent en passant dans le secteur public », cet argument pourrait être tourné autrement en attribuant sa rémunération passée dans le secteur privé à ses responsabilités futures dans le secteur public.
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trajets urbains, ils peuvent estimer le niveau d’affluence de chaque rue, en fonction des horaires, voir même des profils d’usagers. Ainsi, non seulement ils sont très avantagés pour négocier leurs contrats avec les villes, puisqu’eux seuls ont une visibilité sur l’ampleur du marché et ses perspectives, mais ils peuvent également se servir de ces données pour développer d’autres activités privées dans l’espace public, en l’occurrence la publicité, en estimant par exemple quelle catégorie de personnes passe devant une affiche à quels horaires et dans quelles proportions. En appliquant leur comportement au secteur immobilier cela pourrait s’avérer problématique, leur choix d’implantation dans un quartier pouvant faire varier le coût de l’immobilier, ils seraient en passe de devenir des acteurs clef dans la production urbaine. L’exemple de JCDecaux à Lyon est un avertissement quant aux problématiques à venir concernant la privatisation des services de mobilités.
Les données d’intérêt général Le rapport Bellot préconise la publication des données d’intérêt général, avec la création d’un « statut pour les données d’intérêt territorial »73 le secteur des transports est compris dans ces données d’intérêt territorial, mais la loi n’est appliquée que partiellement, les entreprises profitant de certains flous dans la loi et des contradictions avec d’autre lois de propriété des entreprises. Ainsi, en réalité les entreprises de transports privées utilisent cette loi pour faire pression sur le secteur public de transport, notamment la SCNF et la RATP pour qu’elles publient leurs données en temps réel74 mais la réciprocité est exceptionnelle et relève bien souvent du coup de communication sur la transparence, du « data washing », les entreprises publiant le minimum de données requises, dans des fichiers incomplets ou illisibles75.
73 Gabriel Siméon, L’intérêt des collectivités pour le sujet de la smart city se confirme-t-il ?, La gazette des communes, 2017 https://www.lagazettedescommunes.com/500881/il-faut-creer-un-statut-pour-les-donnees-dinteretterritorial-luc-belot/ 74 Philipe Jacqué, Citymapper, cette start-up qui agace la RATP, Paris, le monde, 09/04/2016 https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/04/09/citymapper-cette-start-up-qui-agace-laratp_4899122_3234.html 75 Simon Chignard, J’ai testé les données « ouvertes » d’Uber et Airbnb en France, blog données ouvertes https://donneesouvertes.info/category/articles/mobilite-transports/ [consulté le 18/10/2018]
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Maxime Huré explique comment la rétention de données permet aux acteurs privés de s’ingérer dans les politiques publiques de la ville : La monopolisation de certaines données offre aux entreprises un rôle d’expertise sur la ville. Cette expertise est soit inaccessible pour les décideurs, soit valorisée auprès des acteurs politiques dans le cadre des échanges contractuels.76
Dystopie cas de force majeur Cette passation de pouvoir du public au privé en ce qui concerne les transports pose la question du contrôle de l’usage de la route, du point de vue qualitatif, comme il sera étudié plus tard, mais également politique et sécuritaire en cas de force majeure, spectre d’un contrôle privé du déplacement, potentiellement par une puissance étrangère. Les 6 et 7 septembre 1914, des milliers de taxis parisiens sont mobilisés pour permettre l’acheminent des troupes de renfort d’une brigade d’infanterie de Paris vers Tremblay-en-France. Cette utilisation exceptionnelle du parc automobile privé pour un service d’intérêt national ne serait pas possible si cette flotte était gérée par une entreprise au service de l’ennemi. Dans un documentaire intitulé « le monde selon Xi Jiping », Sophie Lepault et Romain Franklin nous font la démonstration de la manière avec laquelle l’ingérence économique d’un état étranger peut avoir comme finalité d’influencer le système politique pour y répandre sa vision du monde77. Ils exposent également comment le gouvernement chinois entend utiliser l’inaccessibilité aux transports comme moyen
76 Maxime Huré, les mobilités partagées, nouveau capitalisme urbain, Paris, Les publications de la Sorbonne, 2017, p113 77 Sophie Lepault et Romain Franklin, Le monde selon Xi Jiping, Arte, 2018 Comment l’état chinois, au travers de la construction des « nouvelles routes de la soie » a prêté de l’argent à la Grèce, qui faute de pouvoir rembourser, est maintenant sous influence dans ses décisions politiques, usant de son droit de véto en 2017 pour empêcher la remise au parlement du rapport annuel de la commissions des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Chine. https://www.arte.tv/fr/videos/078193-000-A/le-monde-selon-xi-jinping/
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de punitions des individus n’ayant pas un comportement jugé conforme par les autorités78. On imagine facilement un pouvoir totalitaire empêcher le déplacement de la population vers des lieux de protestations et l’on se rend compte du potentiel outil de contrôle de la population que cette technologie pourrait devenir. La question de la cyber criminalité se pose également, des hackers malintentionnés pourraient prendre le contrôle du système dans une volonté de nuire. On passerait donc d’un mode de conduite individuel avec ses risques d’accidents élevé à un système de conduite automatisé sans risque quotidien pour la sécurité mais ayant un potentiel de dangerosité extrêmement élevé.
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78 Grâce à un système de reconnaissance faciale, chaque citoyen chinois est fiché et observé dans l’espace public (physique et numérique), un système de points permet d’attribuer une note à chaque citoyen en fonction de son comportement (non-respect du code de la route, critique du gouvernement sur les réseaux sociaux…), cette notation conditionne l’accès des individus aux transports. 79
Gagny, septembre 1914. Convoi des « taxis de la Marne » vers le front de la Marne.
http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/gagny-une-nouvelle-place-en-memoire-des-taxis-qui-ontsauve-paris-en-1914-14-12-2017-7453245.php
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Conclusion chapitre 4 Une gestion privée du secteur des transports pourrait affaiblir la puissance du secteur public sur la gestion de la ville, et les politiques publiques territoriales. En effet, la rétention des données pourrait déposséder l’urbaniste d’outils primordiaux pour analyser et travailler à l’amélioration des territoires. D’autre part, la confidentialité et la difficulté d’accès à la compréhension des algorithmes pourraient inciter à confier aux ingénieurs une grande partie de l’organisation des transports sur le territoire. Au vu de l’importance grandissante que prennent ces technologies dans la gestion de l’environnement urbain, il est nécessaire que ces outils soient assimilés par les concepteurs de la ville. L’architecte et l’urbaniste pourraient faire valoir leur formation d’experts de l’espace pour participer à l’élaboration de ces nouvelles organisations urbaines, faute de quoi elles seraient abandonnées à des acteurs servant un modèle de ville aux préoccupations,
comme
nous
allons
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le
voir,
principalement
mercantiles.
Chapitre 5 accessibilité et inégalités sociales Promesses d’accessibilités Les développeurs de la voiture autonomes ventent les mérites d’un moyen de transport augmentant l’accessibilité des personnes n’ayant pas accès aux transports, comme les aveugles ou les personnes en état d’ébriété comme nous avons vu en première partie, mais également les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées ou les enfants. Mais cet argument d’améliorer l’accessibilité aux transports des personnes pourrait être nuancé par un autre aspect du développement de la voiture autonome : la volonté de démanteler le service public de transport et l’arrivée d’une mercantilisation de l’usage du sol augmentant les inégalités sociales.
Remise en cause du transport en commun Elon Musk, PDG de Tesla, ne cache pas sa volonté de concurrencer les transports collectifs : Pourquoi voulez-vous partager un véhicule avec beaucoup d’autres personnes, qui n’est pas là quand vous en avez besoin, qui ne part pas de là où vous êtes, qui ne s’arrête pas là où vous voulez aller, et qui ne fonctionne pas tout le temps ? […] Les transports publics, ça craint. Et c’est pourquoi les gens aiment le transport individualisé, qui va où vous voulez, quand vous voulez, comme vous voulez80 Cette volonté affirmée de substituer au transport collectif un transport individuel amène à s’interroger sur le rôle du transport collectif dans la cité.
80 Francis Pisani, quand Elon Musk s’en prend aux transports publics , Paris, le monde, 8 janvier 2018 https://www.lemonde.fr/citynnovation/article/2018/01/08/quand-elon-musk-s-en-prend-aux-transportspublics_5238908_4811669.html
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Le rôle du transport en commun sur le territoire Le domaine du transport peut être considéré comme un domaine d’intérêt général, où le politique aurait une opinion à défendre. Le débat qui a accompagné les transformations récentes de la SNCF est démonstratif de cette vision de transports comme service d’intérêt général. De la même manière que la tarification de l’eau, du gaz, d’internet et de l’électricité n’est pas corrélé par le prix de l’installation des infrastructures permettant leur cheminement, dans une logique d’équité territoriale, on paye le même prix pour ces services que l’on soit dans une commune isolée ou en plein centre-ville d’une métropole. Le transport collectif, il fut un temps, avait cette volonté d’améliorer l’égalité entre les territoires et les individus, grâce au développement de lignes de trains économiquement peu rentables financées par les lignes rentable et au travers d’une influence du politique sur la tarification des transports. Les voitures autonomes pourraient exaspérer ces inégalités territoriales en rendant moins attractifs les territoires moins densément peuplés pour les compagnies de transport, la demande y était plus faible et les distances parcourues à vide plus importantes, l’accès à la mobilité pourrait être très inégal entre les métropoles et les zones rurales.
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Etienne Auphan, CNRS UMR PRODIG, 1999, prélevé sur checknews, libération, Cartes du réseau ferré Français en 1925 et en 1997 montrant une tendance au démantèlement des petites lignes peu rentables au profit de l’amélioration des lignes haute vitesses reliant les grandes villes. https://www.liberation.fr/checknews/2018/11/22/ces-cartes-montrant-le-retrecissement-du-reseauferre-sont-elles-justes_1693031 81
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Inégalités individuelles Les inégalités sociales pourraient être dématérialisées. Si aujourd’hui des fractures sociales existent de manière physique sur le territoire, les plateformes de mobilités autonomes pourraient en être des exhausteurs. Aujourd’hui riches et pauvres sont loin d’être égaux face au temps de transport mais sont à peu près égaux dans les transports, la vision d’autrefois d’une ville à deux niveaux, le sous terrain pour les pauvres et la voiture pour les riches semble s’effacer devant la démocratisation de l’accès à la voiture et la normalisation des transports en commun. Un cadre et un employé peuvent se croiser dans la même rame de métro ou râler de la même manière coincée dans les bouchons, le temps d’attente étant le même dans le confort de l’habitacle des voitures de luxes ou des voitures bas de gamme. La voiture autonome pourrait, si aucune régulation n'intervient, mettre à mal cette égalité relative en proposant différentes gammes de services. L’effet réseau que nous avons étudié précédemment nous explique que le marché d’un tel service a de forte chance de n’être exploité que par un petit nombre de très grandes entreprises. Ainsi le fonctionnement de ce service pourrait être centralisé et organisé assez facilement. Imaginons que la mobilité comme service se comporte comme un marché sans régulation : il y aura différents services à différents prix. Il serait alors imaginable de voir l’offre et la demande se rencontrer à des endroits différents selon les moyens dont disposent les usagers. Un service très bas de gamme pourrait être financé par un service haut de gamme qui payerait plus cher pour arriver plus vite. Le véhicule autonome pourrait alors se partager le réseau routier d’une manière purement mercantile, les véhicules dont la course couterait plus cher se réservant les chemins les plus rapides, ceux à coût réduit laissant passer les plus fortunés ou empruntant des chemins plus longs. Cette entreprise de classification des services a déjà vu le jour avec Uber, près de 5 niveaux de gammes existent, ne faisant varier que le confort du modèle de véhicule, la prochaine stratification pourrait être le temps. L’usage du sol serrait alors privatiser et excluant, répondant à un modèle de ville service purement mercantile. Les différentes classes dans les transports en commun qui ont existé dans le métro parisien pourraient bien revoir le jour dans les transports collectifs autonome. 54
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Captures écran de téléphone montrant les six différentes gammes de service proposées par Uber
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Libre circulation du web Cette vision du réseau viaire comme un réseau d’usage public devenant un circuit ayant des cheminements pondérés de données financières rappelle la fin de neutralité du web83. Avant le 14 décembre 2017, les informations circulant sur internet étaient traitées avec la même importance, les fournisseurs d’accès internet avaient en effet l’interdiction de traiter différemment deux informations quelle que soient leur provenance. Aujourd’hui, les informations circulant sur internet peuvent être hiérarchisées et traités différemment. Ainsi, certains sites payent pour que leur contenu soit traité avec plus de rapidité et d’efficacité tandis ce que les sites sans moyen financier voient leur contenu relégué au second plan de la circulation de l’information.
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83 Clarisse Charbonnier, Les Etats-Unis abrogent la neutralité du Net, un principe fondateur d’Internet, Paris, le monde, 14/12/2017 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/12/14/les-etats-unis-abrogent-la-neutralite-du-net-unprincipe-fondateur-d-internet_5229906_4408996.html [consulté le 18/10/2018] 84
Illustration de la fin du principe de neutralité du net
https://safebrands.fr/ameriques-caraibes/fin-neutralite-du-net-usa-pouvoir-fournisseur/
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Conclusion chapitre 5 Le service de transport de la voiture autonome, bien que ses acteurs puissent être des entreprises privées, utilise le sol de l’espace public pour fournir un service d’intérêt collectif. A ce titre, il est légitime que le législateur puisse réguler ce secteur en fonction du modèle de société qu’il souhaite servir. L’urbaniste pourrait, au coté du régulateur, s’il dispose des outils nécessaires de l’urbanisme immatériel que constituent les données et les algorithmes, concevoir ces régulations pour servir le modèle de ville qu’il souhaite défendre.
Chapitre 6 un nouvel acteur de la gestion territoriale Promesse de densification Dominique Rouillard voit dans le véhicule autonome un formidable outil pour « réparer les tissus urbains abimé »85. En effet, le potentiel d’optimisation de l’espace public que permettrait cette coordinations des déplacements automobile a de quoi enthousiasmer. La voiture se partageant et se garant toute seule là où elle dérange le moins, l’usage de la route et des parkings pourrait changer radicalement. Quand on sait que la voiture occupe 50% de l’espace public parisien86, un nouveau territoire est à réinventer dans la rue, mais également dans les bâtiments de parking, ou les parkings intégrés aux maisons individuelles. De la même manière que la voiture a transformé l’usage des rues et la manière de concevoir des bâtiments, la voiture autonome pourrait libérer la rue des places de stationnement, dont la recherche représente 15% des trajets en ville87, et transformer également la manière de concevoir un immeuble. Lorsqu’autrefois on concevait des immeubles dont la 85 Dominique Rouillard et Alain Guiheux, Door to Door, Paris, Archibooks, 2015, p60 86 Pierre Breteau, A Paris, la moitié de l’espace public est réservée à l’automobile, Paris, le monde, 30/11/2016 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/30/a-paris-la-moitie-de-l-espace-public-estreservee-a-l-automobile_5040857_4355770.html
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structure était l’extrusion de la trame du parking sous terrain, on pourrait non seulement se libérer de cette trame88 mais également réinventer l’usage de ces sous-sols. Des reconversions ont déjà eu lieu, transformant sous-sol en lieu de production agricole89 de champignons et d’endives notamment. La libération foncière que cela représente n’est pas négligeable, si l’on considère chaque parking90 bâti pour chaque maison individuelle sur nos territoires, ce à quoi on ajoute la volonté de densification et l’éclatement de la cellule familiale, la voiture autonome pourrait permettre de réinventer des façons d’habiter ces espaces libérés.
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88 Le parisien, La mini-révolution des immeubles sans parking, Paris, 5/12/2015 http://www.leparisien.fr/espace-premium/paris-75/la-mini-revolution-des-immeubles-sans-parking-0512-2015-5341167.php 89 Hélène Chaligne, Des légumes cultivés dans les parkings, La France agricole, 2017 http://www.lafranceagricole.fr/actualites/urbanisation-des-legumes-cultives-dans-les-parkings1,1,334589645.html 90 Carfree.fr L’arrogance du stationnement automobile, (2016)http://carfree.fr/index.php/2016/01/14/larrogance-du-stationnement-automobile/ [consulté le 23/05/2018] Travail mené en 2014 par le studio de design Copenhagenize, montrant l’emprise de la voiture dans l’espas public et l’espace réellement utilisé par cette dernière. 91
http://www.copenhagenize.com/2014/09/the-arrogance-of-space-paris-calgary.html
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Nouveau rapport aux infrastructures La libération foncière ne s’arrête pas au parking. Le véhicule autonome, à priori électrique, permet de repenser le rapport aux infrastructures routières. Les véhicules se déplaçant « sans émission polluantes », étant silencieuses, pouvant rouler sans phares allumés, la distance à respecter pour la construction aux abords d’axes de circulation majeur fixé par l’amendement Dupont est à reconsidérer, la densification des abords autoroutiers seraient permis. Lorsque les routes modernes ont été conçues, les conducteurs ne disposaient pas de la masse d’information nécessaires pour emprunter la route la moins encombrée en temps réel. Les territoires ont donc été maillés d’un réseau autoroutier dont les ramifications sont très hiérarchisées, les grandes autoroutes larges sur lesquels se connectent une plus petite nationale puis une départementale et ainsi de suite jusqu’au centre des bourgs et des villes. Le trajet le plus simple pour un conducteur était de remonter la ramification d’une petite route à un grande pour en sortir et redescendre dans la ramification. Un algorithme pourrait ne voir aucun intérêt au réseau de route à hiérarchie classique. Les autoroutes dont la sécurité a dicté un surdimensionnement deviendrait surdimensionnées, la séparation entre les deux sens de circulation n’aurait plus lieu d’être, le réseau décidant de l’affectation d’un sens de circulation plutôt qu’un autre. Le maillage viaire du territoire pourrait être requestionné de manière à retrouver une structure de réseau dont les axes pourraient se répartir le trafic, évitant une congestion, favorisant un sens de circulation à une certaine heure lorsqu’elle est plus demandée. Cette nouvelle relation tissu viaire/ voiture pourrait faire apparaitre des tissus urbains moins hiérarchisés, plus libres et moins nécessairement simples et compréhensibles par l’homme, les voies d’insertion et de sortie des autoroutes aux courbes douces et dégagées de tout obstacle visuel pourraient devenir obsolètes, la machine se chargeant des itinéraires et de la négociation avec les autres usagers.
Risque de nouveau lotissements commerciaux Cette promesse de densification, ou du moins d’un meilleur usage de l’espace consacré aux véhicules, pourrait être nuancé par le risque de l’étalement urbain. De 59
la même manière que l’automobile a favorisé l’émergence de lotissements, la voiture autonome pourrait, en provoquant l’augmentation de la consommation de transport avec l’effet rebond pendulaire, favoriser l’étalement urbain. Le temps de tolérance aux transports variant moins rapidement que l’amélioration de ces derniers, les constructions d’habitations plus éloignées des centres villes pourraient voir le jour. Un des risques serait que les aménageurs privés décrit par David Mangin dans « La ville franchisé » passent des contrats avec les acteurs de la voiture autonome pour décider à quelle distance temps les lotissement seront de certains points, permettant ainsi l’aménagement de villes nouvelles d’initiatives privées favorisées par une collusion entre les acteurs privés du transport et de la production immobilière comme Sophie Cueille les décrit dans Les stratégies des investisseurs : des bords de ville aux bord de mer92 avec la création du Vésinet au milieu du 19ème siècle portée par des investisseurs participant à la fois au développement de la ligne de chemin de fer reliant Paris à la ville nouvelle et à l’investissement immobilier du lotissement.
92 Sophie Cueille, Les stratégies des investisseurs : des bords de ville aux bords de mer, In Situ [En ligne], 2004, http://journals.openedition.org/insitu/1756 [consulté le 12/12/2018] Chapitre 1 :Les frères Pereire, chapitre 3 : le Vésinet Plan du lotissement du Vésinet en 1836 tiré du travail de Sophie Cueille
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Risque de mercantilisation de l’espace public Claire Laborey, dans le documentaire main mise sur les villes93 enquête sur la gestion privée de l’espace public. Les BDM (Business District Management) sont des groupements commerciaux auxquels les municipalités délèguent la gestion de l’espace public. Ces BDM ont vu naissance à Londres (où une grande partie du sol de la ville est de propriété et de gestion privé pour des raisons historiques) et commencent à faire leur chemin partout en Europe, de Hambourg à Istanbul. Le problème posé par cette gestion privée de l’espace public est que les objectifs des acteurs privés entre en contradiction avec le modèle de la cité politique. Les sociétés privées ont tendance à « considérer le sol comme un produit duquel il faut tirer un maximum de profit »94. Cette gestion privée permet aux municipalités de faire des économies en matière de propreté et de sécurité mais permet aussi au secteur privé d’imposer sa vision de l’espace public : interdiction de faire du skateboard, de pic niquer, de mendier, et plus grave encore, de manifester. C’est pour cette raison que le mouvement londonien « Occupy London Stock Exchange » d’octobre 2011, accompagnant le mouvement « occupy wall street » de New-York, s’est retrouvé devant la cathédrale Saint Paul, ce parvis étant le rare espace réellement public de la city. Cette vision de la ville, gérée par le privé où il est interdit de manifester est à mettre en perspective avec les propos d’Aristote : « une ville sans agora est une ville sans avenir »95.
Augmenter le territoire d’une dimension mercantile La plateforme collaborative de navigation WAZE a soulevé un problème auquel la voiture autonome se confrontera : l’utilisation du tissu urbain tel qu’il n’a pas été conçu. En effet, cette application calcule en temps réel l’itinéraire le plus rapide pour se déplacer en fonction des autres itinéraires et embouteillages. Ce réseau fonctionne en prenant en compte tous les itinéraires alternatifs, causant 93 Claire Laborey, mainmise sur les villes, Chamaerops Productions, Arte France, 2015 94 Claire Laborey, mainmise sur les villes, Chamaerops Productions, Arte France, 2015 95 Aristote cité par Jean Haëntjens, Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes, Paris, Rue de l’échiquier, 2018, p112
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beaucoup d’ennuis aux personnes vivant dans des rues de dessertes devenant subitement des axes majeurs de circulations. Le modèle économique de cette application est d’afficher des publicités lorsque vous passez à côté d’une enseigne partenaire, comme MacDonald. Nul ne peut prouver que les itinéraires de WAZE sont modifiés afin de passer plus près de ces boutiques mais rien ne les en empêchera. La voiture autonome pourrait avoir le même modèle économique, des agents extérieurs pourraient influencer les trajets empruntés en créant des pôles d’attraction ou de répulsions. Des zones commerciales pourraient se regrouper pour financer l’attraction des véhicules autonomes dans leurs secteurs, de la même manière que les commerçants d’une rue se regroupent pour financer les décorations de noêls du quartier. Des villes plus aisées pourraient au contraire financer le détour de leur territoire par ces véhicules, payant les grandes compagnies afin qu’elles privilégient des itinéraires plus longs pour les personnes effectuant un trajet passant par là. Le réseau routier qui, comme nous l’avons précédemment, passerait d’un réseau ramifié hiérarchisé conçu pour le cerveau humain à un réseau maillé. Cette maille serait complexifiée, en plus des trois dimensions spatiales elle intégrerait la vitesse de déplacement et les données économiques qu’on lui attribuerait, elle serait donc en 5 dimensions.
Nouvelles d’un futur possible : Waze et Uber dystopie Henry travaille dans une tour de bureau du quartier d’affaire de la défense, à part les parisiens qui empruntent la ligne 1 du métro, tous les employés utilisent la plateforme numérique de leur téléphone pour se rendre au travail. Le trajet n’est jamais le même, le prix et le temps passé non plus. Anna est secrétaire, elle commence sa journée avant les autres, vers 8h, cela lui permet de trier le courrier, d’ouvrir les mails de la veille au soir et de préparer le planning de la journée, elle a de la chance car le pic de transport est à 8h30, grâce à cela elle évite de payer trop cher son trajet. En fin de mois, lorsqu’elle a du mal à joindre les deux bouts, elle se lève plus tôt, pour payer moins cher, mais les trajets à bas couts sont plus longs, ils sont couplés avec les services de livraisons, cela lui arrive de passer vingt minutes dans la voiture à l’arrêt qui se fait remplir le coffre de colis que les cadres se font livrer à leur bureau.
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Henry lui arrive à 9h comme tout le monde, sa promotion lui a permis d’accéder au service intermédiaire. Son véhicule emprunte la même route que son supérieur hiérarchique mais il s’écarte quand il passe. Avant il avait accès au réseau inferieur, qui prenait un itinéraire plus long où les virages sont plus fréquents, cela lui donnait le mal de cœur quand il consultait ses mails. Le soir les techniciens de surfaces arrivent quand les derniers employés partent, leur voiture autonome est très grande, douze places, ce sont les mêmes qui servent pour les ramassages scolaires, plus on les réserve longtemps à l’avance moins ils coutent cher, cela permet au système d’optimiser un maximum leurs rentabilités. Ces petits bus disposent d’un confort minimum, les sièges sont dimensionnés pour les enfants, un hublot par rangée comme dans les avions, et un écran qui diffuse des programmes publicitaires, c’est étrange comme les publicités sont souvent en lien avec les sites internet qu’ils ont consultés la veille sur leurs smartphones. Le PDG lui dispose d’une offre prémium, les voitures de cette flotte ne s’éloignent jamais très longtemps des personnes qu’elles transportent, ils ont des avantages financiers lorsqu’ils décident de coupler leur emploi du temps en ligne avec l’application, cela permet à de savoir quand est ce qu’ils auront besoin du véhicule. A l’intérieur les fenêtres peuvent s’ouvrir, un mini bar est à disposition. De temps en temps le véhicule propose un parcours pédagogique conçu par des urbanistes et historiens, ce parcours passe par devant des architectures remarquables et en offre une description commentée, les tissus urbains traversé sont également nommés et datés, la réalité augmentée propose de fermer les fenêtres qui deviennent des écrans partiels et on peut découvrir une reconstitution historique du lieu dans lequel on se trouve à une époque particulière.96
Conclusion chapitre 6 Les métiers liés à la conduite pourraient ne pas être les seuls à voir leurs domaines de compétences réduits par l’algorithme. Une partie du travail de l’architecte est déjà en train de se faire remplacer par le paramétrique pour les programmes de grande technicité, des algorithmes calculent les meilleures solutions
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Texte de Jean Leclercq pour ce mémoire
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pour dimensionner des éléments, pour organiser des programmes complexes en termes de flux comme les hôpitaux. Les algorithmes de la voiture autonome pourraient dématérialiser une partie du travail de l’urbaniste si, comme nous l’avons vu précédemment, il ne s’empare pas des outils nécessaires à la production de l’urbanisme immatériel. Cet urbanisme immatériel pourrait être un outil formidable pour l’usage de l’espace public. Des programmateurs urbains pourraient décider de la vitesse, du sens de passage et de la quantité de véhicules passant dans certains axes en fonction des saisons, des heures de la journée, de l’ensoleillement, faisant concurrence aux écrans en proposant d’observer à la fenêtre de la voiture des séquences urbaines et des architectures remarquables.
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Conclusion La voiture autonome, par la déconnexion possible de l’homme avec son environnement au profit du numérique (partie un) et le risque de transfert de pouvoir du secteur public vers le secteur privé (partie deux), pourrait priver l’homme de la ville tout en privatisant cette dernière si aucune résistance ne s’y oppose. En laissant la technique faire des promesses intenables, la cité politique pourrait bien laisser peu à peu place à une ville service où les architectes ne seraient que les designers d’espace d’une société subie, au service d’un modèle économique et social qui ne saurait être requestionné. Buckminster Fuller invitait les architectes à envisager le futur en ces termes : Nous sommes appelés à être les architectes du futur, et non ses victimes . Avec le même enthousiasme Jean Haentjens estime que l’avenir n’est pas à espérer ou à redouter, mais à conquérir . C’est dans cette optique que l’architecte et l’urbaniste pourraient voir l’arrivée de ces technologies. En se saisissant de ces questions leur rôle pourrait être d'alerter et de travailler, au travers de la production d’images dystopiques d’un futur indésirable, à défendre une vision de la ville qui leur est chère. En intégrant les préoccupations économiques et politiques sous-tendant les politiques urbaines contemporaines, l'architecte et l'urbaniste pourraient faire valoir leur formation et leur statut d’expert de la qualité du cadre de vie pour peser dans les débats d’orientation de la société de demain aux cotés des politiques et des décideurs au service des citoyens et de la cité. Dans le domaine de l’urbanisme et de l’architecture paramétrique, développé notamment par Patrick Schumacher, la conception de la ville évolue vers un ensemble d’équations résolues par l’ordinateur, les algorithmes des nouvelles mobilités pourraient être intégrés à l’équation afin de participer à la génération algorithmique des nouvelles formes urbaines. D’autre part, l’algorithme, en plus de devenir un nouvel outil potentiel pour les architectes et urbanistes, pourrait permettre aux citoyens d’accéder aux questions urbaines. Les modifications de l’algorithme ayant des effets immédiats et étant modifiable à l’infini, différentes architectures algorithmiques pourraient être 65
proposées et soumises au grand public, permettant ainsi, grâce à la participation citoyenne de sensibiliser tout un chacun sur la qualité spatiale ressentie par exemple dans un système de transport régi pour l’intérêt collectif. Georges Amar, consultant en mobilité, chercheur à la chaire d’innovation de l’école des Mines ParicTech, nous invite à « repenser la mobilité comme un art »97, un art dont la ville est l’œuvre et l’instrument , intégrant différents modes de transports innovants que nous voyons arriver en ville, permettant une flexibilité entre le collectif et
l’individuel, le
passif et l’actif, le sportif
et
l’automatique,
permettant
l’épanouissement individuel et collectif, une mobilité vécue comme une expression collective et individuelle, facteur de connaissance et de reliance sociale . Dans ce nouvel art de la mobilité, celui qui tiendrait l’instrument, faisant œuvre de la ville, pourrait être un maître d’œuvre. Les Congrès Internationaux d’Architectures Modernes, réunis à l’initiatives de Le Corbusier de 1928 aux années 50 rassemblaient des architectes, urbanistes, ingénieurs, médecins, sociologues pour discuter ensemble des questions urbaines. Un tel congrès aurait pu permettre plus tard de requestionner la place grandissante de l’automobile dans la cité, dans le but de décider ensemble de l’évolution de notre cadre de vie. Un tel débat interdisciplinaire, où l’architecte et l'urbaniste auraient aurait leur place en tant que spécialiste de l’espace et faisant valoir leurs capacités à se projeter dans des hypothèses d’évolution, pourrait permettre aujourd’hui de mieux prévenir les dérives possibles de la numérisation et de la privatisation des problématiques de mobilité urbaine.
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Georges Amar, Ars mobilis, Paris, FYP édition, 2014
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