Lilhi

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Lilhi

texte et illlustrations : Jean Caraglio http://jcaraglio.free.fr/

Pour certains, je suis l’espace noir entre le lit et le trait de lumière qui filtre chaque nuit le long de la porte. Je suis autour, quand, du coin de l’œil, tapis sous les draps, vous observez. Je suis l’ombre au fond du couloir. Je suis un mouvement furtif entraperçu, un petit frottement à peine audible, un doute, une rumeur. Je suis cet étrange frisson, celui qui te fait te retourner à chaque fois, même si tu sais qu’il n’y a personne autour de toi... ou alors, je ne suis peutêtre qu’un coin sombre dans ta conscience, un endroit inconnu qu’il te reste encore à découvrir pour ne plus en avoir peur ... ... Pour d’autres, je suis un monstre et les charognards s’envolent à mon approche, c’est comme ça, je n’y peux rien ...



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... Un monstre ... un de ceux qui hantent vos contes, un de ceux qui la nuit venue, rôdent en silence aux creux des bois. Un amas de griffes, crocs et tentacules sillonnant sans relache les futaies humides en quête d’un macabre festin, en quête d’un malheureux qui aurait eu la sotte idée de se perdre dans le noir... ... Mais personne ne s’égare plus dans la forêt, alors certains disent que peu de temps avant l’aube, ivre de rage, le monstre quitte les bois, et pénètre dans les prés et les champs pour y dévorer le bétail ... ... Désormais, les herbes folles ont envahi les prés, vaches et moutons ont fui depuis bien longtemps, emmenant avec eux bergers et bergères ... tout ce qui rendait ce champs si vivant, si précieux à mes yeux ...



... Des vignes serpentent le long des colonnes bordant le sentier qui mène au Manoir et sa lourde porte de bois massif, piquée de fer rouillé, est ouverte depuis que les soldats de la garde s’en sont allé ... Je me souviens, j’aimais entendre leurs rires, lorsque, caché derrière la haie j’écoutais leurs conversations. Mais l’horreur que je leur inspirais me semblait être plus haute encore que ces murs, alors les gens aussi sont partis, tout comme les vaches, les bergers et les gardes, sans comprendre, sans savoir. M’ont-ils jamais laissé une chance, le temps de parler, de m’expliquer, peut-être aurions nous pu nous comprendre ... il y avait tant de vie, tant d’amour et de couleurs dans leurs yeux et je n’en avais aucune... ... à vrai dire, je n’en ai jamais eu, la peur que je distille est sans couleur, je le sais, je suis un monstre, tout le monde le disait ...



... Jadis, lorsque que le goître lumineux de la lune, obscurci par les nuages favorisait mon approche, je parvenais à me glisser à l’intérieur des couloirs sans fin qui serpentaient au coeur du Manoir ... Hélas, dissimulé au sein des recoins les plus sombres, je ne pouvais, la plupart du temps, qu’apercevoir les gens, tandis que l’envie de leur parler me consumait le coeur ...



... Parfois quand la chance me souriait, me faufilant en silence au sommet d’une colonne, j’observais avec envie leurs fêtes et leurs querelles ... j’observais avec envie les couleurs d’une vie que je n’aurai pas ...



... il y a maintenant plus de cent cinquante ans que les gens ont fui le Manoir ...



... Mais qu’importe tout cela, le soir venu, je retrouve ma famille et m’endors dans ses bras ...



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