Focus méditerranée

Page 1

INSTITUT INTERNATIONAL POUR LA PAIX, LA JUSTICE ET LES DROITS DE L’HOMME Rue Richard Wagner, 1 CH – 1202 Genève Département Nouvelles Crises | Méditerranée Editorial Jean-­‐François FECHINO La Méditerranée, cercueil de l’Afrique, morgue de l’Occident. Il ne se passe plus un mois, une se-­‐ maine sans l’annonce d’un nouveau naufrage en Méditerranée. Un ba-­‐ teau, chargé de dizaines, voire de centaine de candidats à l’émigration y coule, emportant avec lui sa mal-­‐ heureuse charge. Ces catastrophes humaines et humanitaires nous obligent à nous interroger…

Immigration : la Méditerranée, région la plus meurtrière du monde. IOM calculations based on various sources including media reports, information gathered by IOM Field Offices, data from medical examiner offices and UNHCR

L’âme méditerranéenne…

En ces moments de tensions ex-­‐ trêmes et de conflits régionaux en Afrique et au Proche-­‐Orient, la Mé-­‐ diterranée est au cœur de toutes les tensions, de tous les drames hu-­‐ mains qui se déroulent dans un cer-­‐ tain nombre des 27 pays qui la borde. Près de 400 millions d’habitants, tous pays confondus se côtoient, se visitent, guerroient, commercent ou vivent les uns avec les autres. Et ce, depuis toujours. Phéniciens, Grecs, Egyptiens, Romains, Carthaginois… notre histoire est riche, commune et a forgé « l’âme méditerranéenne ». Les peuples du nord de l’Europe bien que familiers des mondes ma-­‐ rins ont toujours eu des difficultés de compréhension avec le melting-­‐ pot méditerranéen. Les mentalités, les habitudes culturelles, culinaires, les us et coutumes sont si différents. Alors quand une nouvelle crise aigüe survient, l’incompréhension liée à une certaine forme d’ironie envers « ses peuples du Sud » qui s’entraident un jour et se déchirent le lendemain, guide souvent les so-­‐ lutions qui sont administrées de loin et sans grandes convictions.

L’Europe du Nord, l’aimant… L’Europe, ses richesses, ses convic-­‐ tions philosophiques, sa Liberté res-­‐ tent dans les esprits les plus simples une imagerie onirique, un idéal à atteindre. Et à atteindre coûte que coûte, y compris au mépris de sa vie. En diffusant ses techniques, ses technologies, son art de vivre et ses

FOCUS

AVRIL 2015

02

croyances à travers des mots et des images, aujourd’hui, plus galvau-­‐ dées que réelles, l’Europe du Nord sert son commerce, son industrie, son expansionnisme. Ainsi pense-­‐t-­‐ elle pouvoir régner sur sa sphère d’influence avec condescendance et morgue en réglant les conflits larvé et sous-­‐jacents. Sans vouloir com-­‐ prendre la vraie culture, la vraie mixité avec ses alliances et ses con-­‐ flits, ses façons de vivre, de se cô-­‐ toyer sans toujours se mélanger. Pour cette Europe, le monde Médi-­‐ terranéen a toujours représenté, à la fois, un vaste marché à conquérir et un concurrent. Mais fort de sa puissance, l’Europe a su imposer ses idées, ses modes de gouvernance au détriment des modes locaux. Comme elle a toléré l’immigration tant que cela servait ses desseins et ses intérêts. Seulement, voilà, aujourd’hui, cette Europe est en crise, elle ne peut plus absorber des flots migratoires non contrôlés mais elle n’a plus le sou vaillant pour investir de l’autre côté de la Méditerranée, si elle en a ja-­‐ mais eu l’intention, pour fixer les populations et leur permettre d’accéder à ce peu de bonheur qu’elle même prône à longueur de journée. Alors, il n’est guère étonnant que l’Europe soit alors devenu ce phare attirant, cet aimant qui suscite les rêves, les espoirs de tous ces mi-­‐ grants qui fuient la misère, les priva-­‐ tions de libertés et souhaitent abor-­‐ der ses côtes par milliers au péril de


leur vie dans l’espoir d’avoir une vie meilleure !

Crises au Sud, embellie au Nord Il est trop tard pour revenir sur la guerre en Lybie. Il est bien tard pour se lamenter sur la montée en puis-­‐ sance des mouvements sectaires en Tunisie, en Egypte, en Iraq ou plus au sud, en Afrique. L’Europe et ses alliés ont une large part de respon-­‐ sabilité dans ces Crises dont ils ont été les acteurs, qu’ils ont souvent sollicité, fomentés et dont ils refu-­‐ sent de payer le prix, aujourd’hui. Les guerres, les révolutions, avaient pour objectif l’avènement de la Li-­‐ berté. Extraordinaire programme auquel on ne peut que souscrire ! Mais c’est aussi un programme qui cachait une volonté de (re)conquête des marchés. En soutenant l’instabilité dans de nombreux pays, en intervenant directement dans d’autres, l’Europe du Nord souhai-­‐ tait s’ouvrir une « embellie écono-­‐ mique » dans un moment de crise aigüe. C’était méconnaitre les his-­‐ toires locales, les us et coutumes et les mentalités. Il est fini le temps des asservisse-­‐ ments, le temps des colonies. Les peuples du Sud qui ont su se libérer du joug de leurs occupants, pour les retrouver sous la pire forme, celle de l’économie et du pillage de res-­‐ sources. Et aujourd’hui ces peuples, à qui on laisse entrevoir le « bon-­‐ heur d’un vrai marché de consom-­‐ mation comme en Europe » n’aspirent plus qu’à venir se servir sur place. Doit-­‐on les condamner ? Doit-­‐on les refouler ? C’est ce que voudraient un grand nombre de nos politiques mais n’est-­‐ce pas trop tard ?

Les nouveaux négriers Il a toujours existé des hommes sans scrupules qui exploitaient de grès ou de force la pauvreté, la misère hu-­‐ maine. Quand les conquérants des nouveaux mondes avaient besoin de main d’œuvre, bon marché et pas qualifiée, ils pratiquèrent l’importation de ces hommes et femmes, contre leur grès, et les im-­‐ plantèrent dans leurs nouvelles co-­‐ lonies pour servir leurs intérêts éco-­‐ nomiques. Plus tard, bien plus tard, ils ont ouvert leurs frontières aux travailleurs étrangers qu’ils embau-­‐

chèrent par milliers dans leurs usines, sur leurs chantiers de cons-­‐ truction. Et pendant ce temps là, sans faire profiter les pays de leur puissance financière renouvelée, les pays de l’Europe du Nord se sont largement servis sous couvert de « développement économique ». Mais quand la crise a touché tout le monde, de partage il a été question, sauf qu’il n’y avait plus rien à parta-­‐ ger… Alors les peuples ont commen-­‐ cé à fuir pour atteindre la « source » et ont confiés, bien malgré eux, leurs âmes à des passeurs sans scrupules qui, toujours plus nom-­‐ breux, toujours plus avides n’ont de cesse de faire grossir leurs « inves-­‐ tissements » en utilisant les hommes, les femmes comme mar-­‐ chandise humaine.

Une lutte inégale Voilà comment on se retrouve dans la situation actuelle avec des ba-­‐ teaux pourris, surchargés, vendus à prix d’or (quand ils ne sont pas ré-­‐ cupérés par les passeurs), et qui vogues comme ils peuvent vers l’Europe, terre d’espoir pour ces mi-­‐ grants. En face, une Europe volontairement démunie de moyens qui gesticule devant le drame humain et agite les oripeaux les plus avilissants comme le racisme, la crainte de l’infiltration de terroristes, l’islamophobie etc.… Une Europe même pas solidaire avec ses propres partenaires qui ont du assumer longtemps les frais de ces opérations de récupération et de contrôle des frontières. Démunie en moyens, en finances, en hommes et en places, l’Europe peut toujours se lamenter sur les rives en regardant le spectacle dé-­‐ gradant pour ses Droits de l’Homme qu’elle est si prompte à agiter en d’autres moments. Il est temps que les réunions de crise produisent en-­‐ fin leurs effets et que des décisions courageuses et peut-­‐être doulou-­‐ reuses soient prises. Autrement la lutte contre les passeurs restera inégale et ils finiront pas gagner.

Droits d’ingérence humanitaire

En son temps, un certain Dr. Kouch-­‐ ner avait su braver les interdits, pas-­‐ ser outre les accords diplomatiques en bousculant gouvernements et gouvernants. Il inventait alors le

« droit d’ingérence humanitaire ». Où est Bernard Kouchner ? Où est BHL ? BHL et sa chemise blanche, si prompt à aller défendre les con-­‐ cepts philosophiques chers à nos ancêtres et pourfendeurs de tyrans, est aussi absent du paysage média-­‐ tique. Spolier d’économie, mais aussi d’éducation et de rêves. Spolier de liberté tous ces hommes, toutes ces femmes ont une confiance aveugle et naïve dans le « système euro-­‐ péen » au point d’en perdre la vie dans la Méditerranée. Une Méditerranée empêtrée dans ses contradictions, tiraillée par ses intérêts politico-­‐stratégiques et économico-­‐militaires. Une partie regarde avec une certaine condes-­‐ cendance les naufragés quotidiens qui touche à la morgue. « Doit-­‐on engloutir des millions d’Euros dans un programme de police, destiné à des rescapés qui vont être recon-­‐ duits aux frontières » m’a assuré un haut fonctionnaire, admettant que les programmes de développement locaux n’étaient pas de son ressort ni pris sur les mêmes budgets. L’Europe est malade de Schengen, l’Europe est malade de son refus d’aider réellement les pays de l’autre côté de la Méditerranée en réalisant de vrais investissements productifs et en partageant l’éducation. L’Europe est malade de sa morgue en diffusant largement sa culture de « fausse » réussite au travers des médias. A ce jour, l’Europe paie comptant cette morgue en transformant la Méditer-­‐ ranée en un cercueil pour l’Afrique. Mais l’Afrique n’est pas exempte de fautes. Non, en refusant de se ré-­‐ former sur sa gouvernance, en ne faisant aucun effort pour mettre un terme à la corruption, en mainte-­‐ nant des systèmes traditionnels de népotisme et en acceptant de rester sous la domination économique du monde, l’Afrique porte une lourde responsabilité dans ces catas-­‐ trophes. La Méditerranée, un des berceaux de notre humanité et de nos civilisa-­‐ tions n’est pas fière de ce nouvel épisode de sa vie de mer mais espé-­‐ rons encore, et toujours… C’est aussi ça, être méditerranéen.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.