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Quand Jésus fait des maths, l’amour gagne

par Gilles Mongeau, SJ | tableaux de Jean-Yves Fernand, alias Zantray

Lorsque j’ai vu ce tableau pour la première fois dans l’atelier de l’artiste, j’ai été immédiatement séduit. Les couleurs vives des vêtements des accusateurs contrastent avec la qualité terne, presque désertique, de l’environnement. La femme se tient seule, nue et humiliée, exposée à la rage de la foule. La couleur de sa peau est si sombre qu’elle absorbe la lumière qui tombe sur la surface du tableau; en termes de valeurs lumineuses, elle semble être plus une absence qu’une présence.

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Jésus est assis par terre et écrit. Qu’est-ce qu’il écrit? En regardant de plus près, nous lisons : « 1 + 13 + 18 + 3 = [(13 - 9) + (5 - 2)] x (9 - 3) - (12 - 5) ». En résolvant l’équation, nous découvrons qu’elle donne 35 = 35, ce qui correspond au titre du tableau, La femme adultère et ses 35 accusateurs.

Mais si nous comptons le nombre d’accusateurs dans l’image, il n’y en a que 34. Dans sa présentation, l’artiste Zantray souligne que le 35e accusateur est chaque personne qui regarde le tableau. Nous sommes tous des accusateurs, toujours plus prêts à blâmer l’autre et à en faire un bouc émissaire qu’à le sauver.

La nudité de la femme renforce cette vérité troublante. Elle a été saisie et amenée sur la place publique, sans avoir eu la possibilité de revêtir ne serait-ce qu’une robe.

En revanche, l’« homme adultère » de l’œuvre complémentaire de ce tableau est en train de se vêtir calmement. Il n’a pas été molesté dans la chambre où les deux adultères ont été découverts en flagrant délit.

La volonté des accusateurs de rejeter la faute sur la femme est pleinement révélée, ce qui nous met mal à l’aise : combien de fois ai-je été prêt à suivre la foule et à décharger mon poids de culpabilité et de complicité avec l’injustice sur l’étranger ou le marginal, pour en faire un bouc émissaire à chasser dans le désert pour qu’il y meure ? Tant mieux si cet autre peut être accusé, comme la femme du tableau, de quelque crime que je peux amplifier dans mon imagination pour justifier le délestage de mon propre sentiment de honte sur elle.

Zantray poursuit, dans sa présentation, en soulignant qu’à l’opposé de cette propension à accuser et à condamner l’autre, saint Ignace propose dans les Exercices spirituels que « tout bon chrétien doit être plus disposé à donner une bonne interprétation aux actions ou aux paroles d’un autre qu’à les condamner ».

Sur le sol, Jésus écrit une deuxième réplique : « ♥ > ■ ». L’amour est plus grand que notre propension à mettre les gens dans des cases, à les laisser piégés et chargés de nos jugements et de nos accusations.

Cultiver une plus grande disponibilité à « sauver la proposition » de l’autre nous conduit à choisir d’imiter Jésus et à libérer notre prochain des situations de péché, de mort et d’injustice dans lesquelles il est piégé.

« Personne ne t’a condamnée ? » demande Jésus à la femme. « Personne, Monsieur », répond la femme, une grande surprise dans sa voix. « Alors moi non plus je ne te condamne pas ; va et ne pèche plus. » Plus qu’une décharge de culpabilité personnelle, le pardon de Jésus nous libère du pouvoir de l’accusation et de la désignation de boucs émissaires qui nous piègent, nous et nos sociétés, dans des cycles de violence et de division perpétuelles.

Jésuite depuis 1985, Gilles Mongeau a enseigné la théologie et la pastorale ignatienne au Regis College (Université de Toronto) de 2003 à 2018. Il est accompagnateur spirituel et animateur de discernement communautaire. Il a animé la pastorale auprès des personnes LGBTQ+ de la paroisse jésuite à Toronto pendant plusieurs années. Le P. Mongeau est adjoint du supérieur des jésuites du Canada.

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