Céleste ou le temps des Signares - Extrait 1

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Conception éditoriale : Jean-Luc Angrand Conception graphique et réalisation : Didier Fitan Illustrations et plans : Didier Fitan Illustrations de la couverture : G. Boulanger Signare et négresse en toilette, d’après une aquarelle de Nouveaux E. Leliepvre, Étude pour Gorée la joyeuse 2005

No d’éditeur : ISBN : Dépôt légal : Imprimé par

Édition Anne Pépin

33, allée Pierre Koenig 95200 Sarcelles Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de représentation des photographies, des illustrations et du texte réservés pour tous pays.


CÉLESTE OU LE TEMPS DES SIGNARES

À Hubert Fabien Dupuy (1920-2004) qui m’a initié à l’histoire de nos ancêtres.

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REMERCIEMENTS Monsieur le Comte Jean de Sabran-Pontevès, Joëlle Angrand, Éric Angrand, Monsieur François Zuccarelli, Monsieur Francis Bouët-Willaumez, Monsieur Jean-Yves Mérat d’Hastrel, Monsieur Joël Darondeau, Monsieur Benoît Prouvost, Monsieur Alain Quella-Villéger, Madame Christelle Wick Kugler (Zürich), Monsieur Amadou Booker Washington Sadji (Dakar), Monsieur Luc Antononi, Monsieur François Jaquin, Monsieur Benoît (musée de Versailles), Madame Garnier (musée de Chantilly), Monsieur Pasquier Roger, Madame Marie-José Crespin, Monsieur Jean-Louis Sureau, (fondation Saint-Louis), Monsieur Olivier de Lestapis, Monsieur Marc Carrère (Le Haillan), Monsieur Lafitte (Bordeaux), Mademoiselle Rousseau, (mairie de Bassens), Monsieur François Maurel (Sainte-Eulalie), Monsieur Bertrand Maurel (Sainte-Eulalie), Madame Madeleine Devès, Monsieur Pierre Rosière (Dakar), Angèle Angrand, Mathilde Angrand, Chystelle Lafaysse.

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11 PRÉAMBULE

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PREMIÈRE PARTIE 1725 - 1809

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Les signares avant Gorée et Saint-Louis

18

L’île de Gorée au XVIIIe siècle, une petite Ithaque

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CELESTE OU LE TEMPS DES SIGNARES

Gorée la métisse, maisons de signares 40 La socièté de caste des signares goréennes au XVIIIe siècle 80 Gorée, l’île refuge des captifs de case 88 La fortune des signares au XVIIIe siècle

100

Religion catholique à la façon des signares de 1677 à 1832

110

Traditions et coutumes des signares au XVIIIe siècle

118

Épilogue

124

SECONDE PARTIE 1816 - 1890

130

Le Sénégal au XIXe siècle, les moments clefs

136

La fortune des signares au XIXe siècle

150

Gorée la joyeuse au XIXe siècle

176

Saint-Louis, ville aux trois visages

198

Saint-Louis, du simple village à la capitale d’empire

212

De Saint-Louis à Galam

224

Mœurs des signares au XVIIIe et XIXe siècle

232

Art de vivre des signares

246

Religion des signares au XIXe siècle

254

Épilogue : le XXIe siècle sera signare

266

CHRONOLOGIE DES MAIRES DE GORÉE DE 1849 A 1863, UNE AFFAIRE DE FAMILLE

278

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES QUI ONT MARQUÉ L’ÎLE

278

CHRONOLOGIE DES GOUVERNEURS FRANÇAIS ET ANGLAIS DU XVIIe AU XIXe SIÈCLE 264 BIBLIOGRAPHIE

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13

PRÉAMBULE

PRÉAMBULE

L’existence de ces femmes est peut-être unique dans l’univers. Gouverneur Lebrasseur

J’ai découvert, il y a quelques années, la longue et riche histoire des maîtresses femmes des comptoirs sénégalais de Gorée et Saint-Louis. Ma surprise fut grande quand j’ai appris que des femmes avaient été à l’origine d’une microcivilisation matriarcale : Comment ? Des femmes ont pu ! Mon machisme inconscient en pris un sérieux coup, avec honte je l’avoue. Après ce choc salutaire, je me mis en route pour le pays des signares, et je les ai redécouvertes. Elles qui n’étaient vantées, jusqu’à présent, que pour leur beauté envoûtante, étaient bien plus que cela. J’ai décidé dans ce livre de donner aux affaires et à la politique des signares la première place, qui démontre, prouve et affirme que les femmes peuvent être belles et avoir de l’esprit. Tout au long des xviie et xixe siècles, elles ne cessent de construire des maisons sur l’île de Gorée et de Saint-Louis , développent des flottes de cotres, mettent en place des ateliers d’artisans confiés à leurs nombreux captifs. Ma plus grande surprise fut de découvrir que, dans un monde où la traite négrière était le moteur de l’économie occidentale, elles ne firent pas, comme les autres, leur for-

tune sur la souffrance des esclaves, mais qu’elles les rachetaient aux négriers nègres, arabes et blancs et qu’elles leur donnaient la liberté. J’ai éprouvé une certaine gêne quand à la fin de leur règne la gent masculine de cette minorité métisse, à laquelle j’appartiens, a pris le pouvoir économique et politique grâce, ou plutôt à cause, des descriminations sexistes introduites dans les comptoirs du Sénégal par le colonisateur français. Ces descriminations, dues au code civil français du xixe siècle, ramena les filles de signares du statut de maîtresse -femmes à celui de femmes au foyer à la façon de la métropole. Néanmoins, je me targue d’avoir tenté de redonner aux signares la place qu’elles méritent dans l’histoire des femmes et plus encore dans celle des personnes qui ont réalisé d’ambitieuses actions. Ces créatures, fantasmes de nombreux auteurs à travers les siècles (du gouverneur Lebrasseur à Léopold Sédar Senghor, auteur de plusieurs poèmes qui leurs sont consacrés) auront avec ce livre un nouvel hymne à leur mémoire. Jean-Luc Angrand, fils de signare

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PREMIÈRE PARTIE 1725 – 1809

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16 LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS 18 1677 – 1697 Le blocus français ruine l’économie des signares et des juifs de la petite côte du Sénégal 1701 – 1725 L’exode des signares de la petite côte à Saint-Louis et Gorée au début du xviiie siècle 1843 L’Abbé Boilat confirme les origines lusophones des Goréens Joal L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE EN AVANCE SUR SAINT-LOUIS 1786 Gorée vue par le chevalier de Boufflers comparé à la mythique Ithaque 1786 L’accueil du chevalier de Boufflers par les signares de Gorée 1786 Le bal du 10 mai où naquit l’amour du chevalier de Boufflers pour la belle Anne Pépin Anne Pépin, la romantique 1779 – 1786 La maison et sépulture de la signare Anne Pépin 8 février 1786 L’émouvante Ourika achetée et peinte par De Boufflers 1799 – 1880 La mystérieuse signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers 1847 La coquetterie de la signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers

20 21 23 24 26 28 28 29 30 32 36 38 39

GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES 40

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1940 Chronique d’un peintre voyageur : E. Horcholl 42 1701 – 1857 Développement urbain au xviiie siècle de l’île de Gorée 44 1779 – 1783 L’Affaire des remparts de Gorée ou la corruption d’un officier Anglais 44 Le goût des signares pour les modes architecturaux français et italiens 46 1763 Martin Touranjou ou la naissance d’un pôle de compétence architectural 47

Maison de la signare Anna Colas Pépin et de son père Nicolas 48 Oraison pour Anna Colas 52 Maison de la signare Catherine Louet dite ‘‘ Madame ’’ 54 Maison de la signare Marie Thérèse Rossignol ou Gouvernement 57 Maison de Jean François Charles Estoupan de Saint-Jean, un petit malin 60 Maison de la signare Victoria Albis 61 Maison de la signare Blanchot 62 Maison de la signare Sophie Boucher, protectrice de René Caillet 63 Maison Laffitte & Dupuy 66 Maison Antoine Kiaka, maire de Gorée 68 Maison d’Etienne Jouga et de sa fille Marie Thérèse 68 Maison de la fratrie Goupil 69 Le clan sérère Faye en 1779 69 Maison Lacombe 70 Maison Degrigny 71 LA SOCIÉTÉ DE CASTE DES SIGNARES GORÉENNES AU XVIIIe SIÈCLE 80 1746 – Les pleurnicheries du savant Adanson 81 Le mariage à la mode pays un mariage élitiste dans une société endogamique 82 Origine du mariage à la mode du pays expliqué par Doumet de Siblas en 1769 83 Organisation du mariage à la mode du pays décrite par le gouverneur Le Brasseur en 1763 84 Mais que faisaient les hommes mulâtres au temps des matriarches ? 85 L’interdiction du mariage hors caste et des unions avec les petits blancs 86 La machine à assimiler les nouveaux métis et la dépendance des époux non-mulâtres 86


17 GORÉE, L’ÎLE REFUGE DES CAPTIFS DE CASE 88

RELIGION CATHOLIQUE À LA FAÇON DES SIGNARES DE 1677 A 1832

L’humanisme au féminin des signares 90 Tableau récapitulatif de la traite négrière à partir de Saint-Louis, de Gorée, de la petite côte et de Gambie au xviiie siècle 91 1400 – 1848 Les Arabo-musulmans premiers négriers du Sénégal et de l’Afrique sahélienne 92 1770 Le Brasseur décrit le rôle insignifiant de l’île de Gorée dans la traite négrière 93 1774 De Chevenert constate l’oisiveté des captifs de case de Gorée 94 1778 Gorée, un rôle toujours insignifiant dans la traite négrière au xviiie siècle, d’après Lauzun 94 La vérité sur Gorée et l’esclavage décrite par Pruneau de Pommegorge 95 La traite négrière sur Dakar et la petite côte au xviiie siècle 97 Un gourmet sur la route de Galam au xviiie siècle 98

1482 La chapelle portugaise 112 1755 Chapelle du fort Saint-François en bas de la colline de Gorée 112 1763 La chapelle dite ‘‘ de l’espadon ’’ ou plutôt chapelle Saint-Louis 113 1789 – 1830 La chapelle hébergée chez Nicolas Pépin, père d’Anna Colas Pépin 114 1830 L’Église Saint-Charles et les contributeurs mulâtres 116 1780 Joal la catholique, Nicolas Jouga et le père Lapolice 116

LA FORTUNE DES SIGNARES AU XVIIIe SIÈCLE La flotte marchande des signares de Gorée et Saint-Louis 1720 – 1848 Les signares de Gorée, point de mire des signares saint-louisiennes Les signares sous la protection de leurs familles bourgeoises ou aristocrates de France L’affaire Saint Vilmé 1725 –1809 L’enrichissement à la façon du pays des gouverneurs Un cas d’école : le chevalier Stanislas de Boufflers et le réseau de l’abbé Porquet à Gorée Comment s’enrichir ‘‘ à la façon du pays ’’ en trois points avec une signare 1763 La Guyane, une mauvaise affaire rejetée par les maîtresses femmes de Gorée

100 101 102 103 104

TRADITIONS ET COUTUMES DES SIGNARES AU XVIIIe SIÈCLE

110

CÉLESTE OU LE TEMPS DES SIGNARES

118

Le Fanal : une tradition festive catholique d’origine portugaise 119 Les Folkars 119 La symbolique de la tiare (coiffe) signare 120 1763 – 1777 Abraham Gradis, fournisseur de produits de luxe des signares 120 La dynastie Gradis du xviie au xxie siècle 121 La vitrine du luxe signare au xviiie siècle 123 1725 – 1870 Des artisans du luxe des signares de Gorée et Saint-Louis aux grands magasins parisiens 123 ÉPILOGUE

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106 108 109 www.signare.com


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3 Carte du Sénégal et des comptoirs

Grande côte (300 km)

Mauritanie

Mali

Petite côte 200 km pays Sérères

Rufisco

GUInée


19 LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

Au début du xvie siècle, des aventuriers juifs portugais appelés ‘‘ Lançados ’’, mot qui voulait dire ‘‘ ceux qui se lancent à l’aventure ’’ ou plus simplement ‘‘ aventurier ’’, créent les comptoirs de Joal, Rufisco et Saly Portudal sur la petite côte du Sénégal. Ces Lancados se marient rapidement avec des filles de chefs de villages sérères. De ces unions souvent durables naissent des enfants métis qui constituent peu à peu une communauté dite mulâtre (métisse) forte de quelques centaines d’individus à la fin du xviie siècle. La majorité de ces mulâtres pratiquaient le judaïsme et pour l’autre partie le christianisme, métissant souvent les deux avec l’animisme au xviie siècle. Les femmes mulâtresses (métisses) issues de ces unions furent appelées ‘‘ signaras ’’ par les voyageurs portugais, cela voulait dire ‘‘ seniorita, madame ’’ pour indiquer le statut social élevé qu’elles occupaient au sein dans la communauté mulâtre de la petite côte. Les Français au xviiie siècle changérent par commodité, peut-être, la dernière lettre de leur ‘‘ titre ’’ en ‘‘ e ’’, ce qui donna ‘‘ signare ’’. Ces célestes signares furent décrites par de nombreux voyageurs portugais, hollandais et français comme de redoutables commerçantes, d’habiles politiciennes et des séductrices nées. Elles occupent en général les premiers rangs dans la société métisse, spécialisée au xviie siècle dans l’exportation des cuirs, des indigo, des épices pauvres vers le Portugal et la Hollande, et la fabrication des cotonnades pour leur région. En 1677, à l’aube du xviiie siècle, la France chasse définitivement Portugais et Hollandais du Sénégal en prenant l’île de Gorée située à deux pas du Sénégal. Après la prise de Gorée en 1677 par l’amiral français D’Estrée, les signares de la petite côte et leurs familles émigrent en partie en Gambie, puis sur l’île de Gorée et Saint-Louis entre 1701 et 1725, encouragées par André Brue, directeur de la Compagnie royale du Sénégal puis de la compagnie privée de Rouen (il fut aussi gouverneur du Sénégal). Ces maîtresses-femmes métisses venues de la petite côte du Sénégal, et ensuite leurs descendantes de Gorée, porteront sur leurs épaules le destin de leur petite communauté durant le xviiie siècle et la première partie du xixe siècle.

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

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20 À Gorée, le christianisme deviendra la norme. Le judaïsme, qui était la religion la plus pratiquée par leurs ancêtres mulâtres de la petite côte, disparaîtra faute de présence de Juifs portugais.

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1677 – 1697 Le blocus français ruine l’économie des signares et des juifs de la petite côte du Sénégal Le développement au xviie siècle des plantations de canne à sucre dans les colonies françaises et anglaises des Caraïbes fait la richesse des premiers planteurs, mais un besoin important de main d’œuvre se fait rapidement sentir. Les familles d’ouvriers agricoles français souvent composées d’anciens bagnards et d’anciennes prostituées, que l’administration Royale Française avait fait venir à Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Martinique coûtent trop cher et finissent par se mettre à leur compte, provoquant à nouveau des pénuries de personnel. Inspirée par le modèle économique esclavagiste portugais au Brésil, la France monarchique décide d’acheter massivement des esclaves aux rois africains. Pour cela, il faut, en ce qui concerne la Sénégambie (Sénégal et Gambie), chasser de l’île de Gorée les Hollandais, ce qui permettrait, pense à tort l’administration royale française, de développer à grande échelle la traite négrière en Sénégambie en toute sécurité. La France pratique déjà à cette époque une traite négrière à partir du comptoir de Saint-Louis, mais à très petite échelle, ainsi qu’épisodiquement, le long des côtes d’Afrique de l’ouest. La prise de Gorée en 1677 marque le début de la tentative du développement de la traite négrière à grande échelle au Sénégal, qui sera un demi-échec pendant tout le xviiie siècle, comparé au volume obtenu sur la côte des esclaves. Le Sénégal ne représentera pas plus de 5 % du volume d’esclaves exporté aux Amériques. Le monopole de la France sur tout le commerce fait au Sénégal à partir de 1677 fut imposé par la force aux Sérères, mulâtres et Juifs lançados de la petite côte du Sénégal. Ce monopole provoquera la ruine de l’économie des cuirs et cotonnades contrôlée par les métis (mulâtres) fils de juifs portugais et femmes sérères. La quasi-permanence du monopole français empêchera les signares de la petite côte et leurs familles d’exporter les 100 000 cuirs annuels (environ) des comptoirs de Rufisco, Saly, Portudal et Joal vers la Hollande.


21 D’autres produits, vendus par les signares, (l’indigo, des épices locales dites ‘‘ pauvres ’’, les cotonnades) n’intéressaient que moyennement la compagnie de traite française qui fixait elle-même les prix au plus bas, ce qui provoqua la ruine définitive de la communauté mulâtre (métisse). Beaucoup de mulâtres, mulâtresses (signares) s’exilèrent alors en Gambie et Guinée, où les Anglais pratiquaient un commerce libéral. Le Catholicisme devient au xviiie siècle la seule religion des signares de la petite côte et de Gorée. La politique désastreuse de la France et de l’Angleterre, qui encourageait la traite négrière, consistait à vendre des armes aux rois nègres. Les armes à feu vendues par les Français et les Anglais à ces derniers permettra l’invasion d’une partie de la petite côte par un roi du Cayor négrier : Lat Soucabé. Mais l’opposition traditionnelle des mulâtres et des Sérères de la petite côte à la déportation des esclaves, la faible densité démographique du Sénégal, l’existence de chefs de villages sénégalais résistants, des révoltes paysannes contre les rois négriers des Cayor constitueront des freins puissants au développement de la traite négrière en Sénégambie. Au Sénégal, la traite négrière n’atteindra jamais les volumes quasi ‘‘ industriels ’’ obtenus sur la côte dite ‘‘ côte des esclaves ’’. Au début du xviiie siècle, la spécialisation des premières compagnies de traite françaises sur l’esclavage causera leur faillite, car les rois nègres du Sénégal ne fournirent jamais assez d’esclaves pour les rentabiliser.

1701 – 1725 L’exode des signares de la petite côte à Saint-Louis et Gorée au début du xviiie siècle

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

En 1797, les autorités royales françaises, représentées par le gouverneur André Brue, comprennent que le seul produit capable de rentabiliser leur compagnie de traite (commerce) au Sénégal est la gomme arabique (gomme d’acacia) car les Anglais font une partie de leur fortune avec ce produit sur le fleuve Gambie. La gomme est un produit miracle découvert par les Anglais en Afrique et en Arabie. Ce produit servait à donner du corps à la soie, maintenir les couleurs dans les tissus, coller les papiers et aussi à des applications médicales pour les maladies comme la dysenterie ou les hémorragies. La compagnie de traite française change donc de stratégie. Désormais, elle achète comme les Anglais plusieurs produits simultanément pour trouver l’équilibre financier et faire des profits. La gomme arabique représentera en moyenne 60 % du chiffre d’affaires fait par les compagnies de traite françaises au Sénégal au xviiie siècle, l’autre partie étant malheureusement réalisée par la traite des esclaves. Certains autres produits comme l’or, le morfile (ivoire), les cuirs, l’indigo compléteront leurs catalogues, mais dans des proportions inférieures à 10 % du chiffre d’affaire annuel. Mais en ce qui concerne l’or, il semble qu’il ait fait l’objet d’une contrebande régulière et importante tout le long du xviiie siècle de la part des gouverneurs et officiers français, avec la complicité des signares. La chance de la minorité mulâtre, et par conséquent des signares qui en sont déjà le pilier, est qu’elle était la principale intermédiaire dans la traite de la gomme et de l’or. Elle fournissait déjà les Anglais sur le fleuve Gambie. Il devenait donc impératif en ce début de xviiie siècle, pour la Compagnie de traite française dirigée par l’entreprenant et rusé gouverneur André Brue, de mettre fin aux brimades dont faisait l’objet la minorité mulâtre (métis) depuis la prise de Gorée aux Hollandais en 1677. La riche et influente signare Cattelina (dite Dame Caty), gouvernante de Rufisco et de la petite côte, est en 1701 une

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22 Sources : ¹ De Moraes Nize Isabel À la découverte de la petite côte au xviie siècle (Sénégal et Gambie) Tome 1 : 1600 - 1620 Dakar, Université de Dakar, Ifan, Cheikh Anta Diop de Dakar, coll. « Initiations et études africaines », 1953. ² Labat Jean-Baptiste Nouvelle relation de l’afrique occidentale Paris, Édition Guillaume Cavalier,1728. Iconographie : Leroy Sébastien, dessinateur Giraud, graveur Arrestation du gouverneur André Brue par le Damel du Cayor, 1701.

* Roi du Cayor ** Mulâtres et mulâtresses *** Juifs Lançados www.signare.com

interlocutrice incontournable pour le gouverneur. Celuici saura établir un climat de confiance propice aux affaires entre lui et la gouvernante. La fin de l’hostilité entre les Français et les mulâtres de la petite côte redonnera vie momentanément aux petites cités de Rufisco et Joal pendant une quinzaine d’années, comme en témoigne de nombreux documents de bord de commandants français¹. Ces cités s’éteindront au fur et à mesure de l’exode des signares et de leurs familles à Gorée et SaintLouis à l’ombre des forts français. Gorée devient le nouveau fief des signares devenues toutes catholiques. C’est entre 1701 et 1725 que se fit le gros de l’immigration des mulâtresses lusophones et de leurs familles à Gorée et Saint-Louis. Les Lançados (juifs portugais), dont est aussi issue la minorité mulâtre de la petite côte, ne viendront plus sur la petite côte du Sénégal désormais sous domination française et de plus devenue ‘‘ instable ’’ à cause des razzias des rois négriers du Cayor. La tyrannie que Damel* Lat Soucabé a exercée sur les nègres créoles** descendant des Portugais*** et même de ses propres sujets, ont fait déserter les premiers et a tellement ruiné les autres, qu’ils n’ont presque plus de bestiaux et par conséquent presque plus de cuirs.¹ La cohabitation avec les français commencée dans la méfiance et l’hostilité en 1677 allait désormais être basée sur une entente. Elle s’incarnera au fil du xviiie et xixe siècle par des alliances économiques et quelque fois matrimoniales. Les signares cohabiteront aussi avec les Anglais qui s’empareront à plusieurs reprises de l’île de Gorée. Des unions auront même lieu, donnant naissance à de nouvelles lignées mulâtres anglophones.


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Rufisco

1843 L’Abbé Boilat confirme les origines lusophones des Goréens

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

Cent quarante deux ans après que le gouverneur André Brue se soit rapproché de la signare Cattelina, gouvernante de Rufisco, un métis, l’abbé Boilat, rappelle les origines portugaises de la communauté mulâtre dans ses écrits de 1853 : Gorée fut peuplée par des habitants de la presqu’île du cap Vert (Dakar), de Rufisque, Portudal et Joal, dont nous parlerons plus tard, et des descendants des différents Européens qui l’occupèrent. De là l’origine des mulâtres, dont les hommes prirent le nom d’habitants, et les femmes celui de signares, du mot portugais signora (dames). Ces dénominations se sont conservées jusqu’à présent. La population des noirs libres porte le nom de gourmets. Les habitants et les signares ont toujours été chrétiens* dès le principe, à cause de la religion de leurs pères. Les gourmets, étant les plus intelligents parmi les noirs et approchant de plus près les Européens, sont chrétiens aussi. Les habitants ont toujours tenu à baptiser les captifs ou esclaves qui étaient de bonne volonté. Ces captifs étaient traités comme des enfants de la maison ; ils n’étaient jamais vendus qu’en punition de quelques crimes**. Je ne parle point des esclaves de traite***, ceux-là n’avaient pas le temps d’être connus de leurs maîtres : ils étaient bientôt embarqués pour l’Amérique.¹

Source : ¹ Boillat David (Abbé) Esquisses Sénégalaises Paris, Éditions Karthala, 1983.

* De Gorée ** Viol et meurtre *** Achetés par les administrateurs de la compagnie royale ou des officiers du Roi en poste à Gorée. www.signare.com


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Joal

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS Source : ¹ SENGHOR Léopold Sedar

Joal ! Je me rappelle.

Chants d’Ombre Paris, Éditions du Seuil, coll. « Pierres vives », 1945.

Je me rappelle les signares à l’ombre verte des vérandas Les signares aux yeux surréels comme un clair de lune sur la grève. Je me rappelle les fastes du Couchant Où Koumba N’Dofène voulait faire tailler son manteau royal. Je me rappelle les festins funèbres fumant du sang des troupeaux égorgés Du bruit des querelles, des rhapsodies des griots. Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum Ergo Et les processions et les palmes et les arcs de triomphe. Je me rappelle la danse des filles nubiles Les chœurs de lutte - oh ! la danse finale des jeunes hommes, buste Penché élancé, et le pur cri d’amour des femmes - Kor Siga ! Je me rappelle, je me rappelle ... Ma tête rythmant Quelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote.

Léopold Sedar SENGHOR¹


26 Iconographie : Dessin de l’île gorée


27 L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE, UNE PETITE ITHAQUE

En 1685, Gorée n’est pas encore occupée par les signares de la petite côte. Il faut attendre le début du xviiie siècle pour qu’elles émigrent sur l’île. Après 1720, les signares lusophones Victoria Albis et Jeanne Gracia venues de la petite côte compteront parmi les premières habitantes. Le gouverneur Jajolet de la Courbe fera construire au début du xviiie siècle une maison sur l’île de Gorée mitoyenne de celle de la signare Albis. Nous n’aborderons pas dans cette partie l’urbanisation de Saint-Louis, car au xviiie siècle, il n’y existe qu’un village fait de cases autour d’un fort à l’architecture hasardeuse. Le lecteur trouvera donc un descriptif précis de l’habitat et de l’urbanisation de Saint-Louis dans la partie suivante.

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE, UNE PETITE ITHAQUE

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28 Source : ¹ De Boufflers S. J.

1786 Gorée vue par le chevalier de Boufflers comparé à la mythique Ithaque

1786 L’accueil du chevalier de Boufflers par les signares de Gorée

Ile de Gorée - le 6 mai 1786 Si j’avais de sublimes talents pour le paysage, je t’enverrais une petite vue de Gorée. Imagine-toi un des rochers d’ou l’on tire des pierres de Spa* placé sur une surface plane, et figuré comme un jambon. Au-dessus du rocher est un petit fort ; au bas est une petite ville ; de droite et de gauche sont des batteries aux trois quarts démolies. Les jardins sont bien cultivés, les maisons ne sont point mal bâties, toutes en pierre, et la plupart des toits en paille, en attendant qu’on ait des planches et de la chaux pour les mettre à l’italienne. C’est à quoi chacun travaille, mais tout se fait lentement, parce que qu’on ne peut avoir de la chaux qu’à cinq lieues d’ici**, et qu’il faut l’apporter en pirogue. Enfin, j’ai le plaisir de voir pour la première fois depuis que je suis en Afrique quelque chose qui tend à la perfection au lieu de s’en éloigner***. C’est ce que l’on peut demander aux choses de ce monde. Je compte rester ici trois ou quatre jours, et de là j’irai chercher mes chevaux et mes chameaux, qui m’attendent à la GrandeTerre (presque île du Cap vert-Dakar ) pour me rapporter au Sénégal (comptoir de Saint Louis). Adieu, je te baise et te rebaise avec un avant-goût très marqué du plaisir que j’aurai à te baiser et à te rebaiser à mon retour.¹

Le 7 mai 1786 à Gorée. Je continue à me trouver fort bien ici. Je serai venu y prendre l’air, comme on va à Spa y prendre les eaux. Je me sens une force et une activité que je ne me connaissais plus, et sans mes coliques d’estomac qui me font souffrir depuis deux jours, il ne me manquerait que toi, c’est-à-dire tout.¹ Le 8 mai 1786 à Gorée. Tu n’imagines pas, mon enfant, la quantité d’affaires que je trouve ici. J’étais venu y chercher quelques moments de loisir et de délassement, au lieu de cela je suis obligé d’écouter et de discuter mille plaintes, mille réclamations, et, par malheur, toutes plus justes les unes que les autres ; ce qui prouve que tous mes prédécesseurs, depuis le premier jusqu’au dernier, ont tou­jours regardé la colonie comme une maison écroulée d’où chacun cherche à emporter quelque chose, au lieu de travailler à la raccommoder. Grâce au ciel et à toi, dont j’ai épousé tous les principes en t’épousant, je suis venu ici avec d’autres projets, et je crois aussi que j’en sortirai avec une autre réputation. J’aime à me vanter, parce que c’est te vanter aussi : nous pensons de même, nous sentons de même, et, au visage près et à quelques autres petites différences près, où je gagne plutôt que d’y perdre, nous sommes de même, ou pour mieux dire nous ne sommes qu’un.¹

Lettres d’Afrique à madame de Sabran Paris, Actes Sud, coll. « Babel »1998.

* Spa, célèbre ville d’eau en Belgique, où l’élite européennes se retrouvait en été au xviiie siècle. ** Allusion à Rufisco. *** Allusion à Saint-Louis où il est difficile de vivre à cette époque. www.signare.com


29 1786 Le bal du 10 mai où naquit l’amour du chevalier de Boufflers pour la belle Anne Pépin La veille tradition romantique de l’île attribue au chevalier de Boufflers une liaison amoureuse lors de ses séjours à Gorée avec Anne Pépin, sœur de Nicolas Pépin notable parfaitement lettré et porte-parole de tous les habitants. C’est à l’occasion du bal du 10 mai 1786 donné en son honneur, que le chevalier rencontre la belle Anne Pépin. Celle-ci était mère de trois enfants qu’elle avait eu avec Bernard Dupuy le jeune, français expulsé par les Anglais en 1780 après la prise de l’île. La liason d’Anne Pépin et du chevalier fut décrite par de nombreux auteurs depuis le xixe siècle et fait partie de l’histoire romantique du Sénégal. Je donne aujourd’hui un grand bal à toutes les dames de Gorée, car ce n’est point assez de m’occuper de leurs intérêts, il faut encore songer à leurs plaisirs, c’est-à-dire y songer comme on y songe à quarante-huit ans tout prêts à sonner. Quarante-huit ans, ma fille, songe donc que voilà ton premier mari presque ressuscité, mais je vois des gens de soixante-huit ans si aimés, que cela me donne encore de la confiance pour quelques années. D’ailleurs, il faut vieillir sous peine de la vie, c’est un arrêt du ciel ; et le moindre des maux c’est la vieillesse, pour qui sait la porter avec courage et avec dignité. Mais, à qui est-ce que je parle sur ce chapitre-là ? Si ce n’était qu’à Cicérone, j’aurais tort ; à plus forte raison faut-il me taire devant toi qui as encore mieux dit que lui sur le même sujet. Adieu, ma femme, ton vieux mari t’embrasse et rajeunit.¹Je me suis couché fort tard, et je me sens fatigué de la danse de tout le monde, comme un pauvre habitant de Bicêtre qui maigrissait à chaque mariage parce qu’il se croyait charger des cérémonies ultérieures.² La comtesse de Sabran, future épouse du chevalier de Boufflers, lui envoie une lettre au Sénégal. Cette dernière a appris par les ragots mondains d’un certain abbé Bernard, la liaison du chevalier avec la signare Anne Pépin. La Comtesse réagit d’une manière surprenante et intelligente. Sois constant tout au moins si tu ne m’est fidèle… pense à moi dans les bras de ta belle.³

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE Sources : ¹ De Boufflers S. J. Op.cit. page 126. Extrait de la lettre du 10 mai 1786. ² De Boufflers S. J. Op.cit. page 126. Extrait de la lettre du 11 mai 1786. ³ « Le portrait de madame de Sabran » L’illustration, noël 1924. Iconographie : Chevalier de Boufflers in Delcourt Jean Gorée six siècle d’histoire Dakar, Éditions Clairafrique.

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31 L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE

Anne Pépin, la romantique

Anne À Gorée la joyeuse l’on t’annonça l’arrivée d’un étrange aristocrate qui le tard venu, vînt chercher fortune en terre d’Afrique. A l’ombre de riches demeures, vos yeux se rencontrèrent précèdant de peu vos cœurs. Anne Quel étrange chevalier, si courtois, si généreux et à la fois inquiet d’échouer à Ithaque. Anne Vos cœurs unis séparés par le destin ont saigné sur la plage de Gorée. Maintenant toi qui dors en ta demeure jusqu’au jugement dernier, espères-tu revivre, cet amour par delà la vie ?

Jean-Luc Angrand, 2005.


32 Source :

1779 – 1786 La maison et sépulture de la signare Anne Pépin*

¹ De Boufflers S. J. Op. cit. page 122. Extrait de la lettre du 6 mai 1786 indiquant l’état avancé des chantiers, dans lequel il trouve l’île, lorsque le chevalier y aborde pour la première fois .

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La signare Anne Pépin possédait une tapade (case entourée d’un enclos) sur l’île de Gorée en 1779. Elle fit construire une belle maison en pierre, probablement après 1780, période sous domination anglaise, où beaucoup de nouvelles constructions se firent, notamment sur l’emplacement des anciens remparts (en particulier la célèbre maison rose de son frère Nicolas Pépin au double escalier dite ‘‘ maison d’Anna Colas ’’ au xixe siècle). La maison principale d’Anne Pépin, car elle en eut plusieurs, se trouvait non loin de l’église, juste à côté de celle de la signare Catherine Louêt, la plus riche signare du xviiie siècle. Elle est située à l’angle de la rue Saint-Charles et de la rue Bambara. Cette maison, d’après la tradition orale retranscrite au xixe siècle par les Goréens et par des voyageurs comme le docteur suisse Samuel Brunner, hébergea les amours du chevalier de Boufflers et de la signare Anne Pépin. Cette dernière y fut inhumée en 1837 à l’âge de quatre vingt-dix ans, peu de temps après le premier passage d’un autre illustre personnage, le prince de Joinville (1818-1900), fils du Roi de France. Une aquarelle en est faîte en 1846 par le peintre Nousveaux, Signare et serviteurs, sur laquelle apparaît, semble-t’il, sa belle-fille Mariane Boucher ou sa petite fille Catherine Dupuy. Quinze ans après le décès d’Anne Pépin, un autre peintre de marine René Gillotin en fit aussi une aquarelle. Quand celui-ci la peint en 1852, ce sont des descendants d’Anne Pépin, sa petite fille Catherine Dupuy et son époux Jean André Franciero, qui y habitent. Cette maison, fruit du travail d’Anne Pépin, était certainement encore en construction lors de l’arrivée du chevalier de Boufflers en 1786. Comme la plupart des maisons de Gorée, elle a été financée grâce aux revenus générés par les affaires de contrebande de gomme arabique et d’or qu’elle avait organisé avec différents officiers et gouverneurs du Sénégal. Le chevalier de Boufflers, qui était venu à Gorée comme ses prédécesseurs pour pratiquer ‘‘ l’enrichissement à la façon du pays ’’, y apporta certainement sa pierre. La maison d’Anne Pépin, en ruine et susceptible de s’ef-

fondrer, fut abattue en 1932 par son dernier propriétaire, Maurice Clermont, un officier français. Il semble qu’Anne Pépin possédait une seconde maison qui fut détruite en 1916 par un incendie, à l’emplacement actuel de la maison Blaise Diagne. Cette seconde maison en pierre fut construite à l’endroit même où elle avait avant 1780 une tapade. Les maisons ne sont point mal bâties, toutes en pierre, et la plupart des toits en paille, en attendant qu’on ait des planches et de la chaux pour les mettre à l’italienne.¹


33 L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE Iconographie : Gillotin René Maison d’Anne Pépin (Dupuy), Paris, collection Privée.

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34 Source : ¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

1 Descendance de Catherine Baudet (mère d’Anne Pépin) et de Jean Pépin¹ Jean

Pépin

(1701 – ....) Chirurgien de la marine royale 2

Catherine

Baudet

(1701 – ....) 2

Nicolas

Pépin

(.... – 1815) 2

Marie-Thérèse

Picard

(.... – 1784 – 1790) Seconde épouse 2

Pépin

Marie-Thérèse de

Saint-Jean

Saint-Jean

Mary Thérèse de

Saint-Jean

Anna Colas

(1787 – ....) 2

François de

(1786 – ....) 2

Marie Barou

(1810 – 1888) 2

(1814 – 1853) 2

Marie Anne dite Nancy

Première épouse (1701 – ....) 2

de

Saint-Jean (1815 – ....) 2

Anne

Pépin

(1747 – 1837) 2

Bernard (Jeune) Dupuy Commis de Bernard Laffite (.... – 1773 – ....) 2

René Dupuy 2

Marianne

Boucher

(.... – .... – 1814) 2

Nicolas Dupuy-Hendy (1800 – 1836) 2

François-René Dupuy-Turbin Chef du Service Administratif de l’Ho... (1801 – 1844) 2

Jean-René Dupuy-Hamilton Juge au tribunal de Gorée en 1841 (1805 – 1848) 2

Catherine

Dupuy

(1808 – ....) 2

(inc)

Dupuy

Jean

Dupuy

(1774 – ....) 2

(1777 – ....) 2

Jean-Baptiste

Pépin

(1755 – ....) 2

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35

1 Descendance de Catherine Baudet (mère d’Anne Pépin) et de Sieur Porquet¹ Catherine

Baudet

(1701 – ....) 2

Marianne

Porquet

2

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE Source :

(inc)

Porquet 2

Pierre Ghusban 2

¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

Charles

Porquet

2

Charlotte

Porquet

2

Martin Touranjou (.... – 1778 – ....) 2

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36 Source :

8 février 1786 L’émouvante Ourika achetée et peinte par De Boufflers

¹ De Boufflers Stanislas Op. cit. page 60. Extrait de la lettre du 8 février 1786. Iconographie : Inconnu Ourika Château d’Ansoui, collection particulière Comte Jean de SabranPontevès.

* Louis-Philippe Josèphe n’est autre que le grand-père du Prince de Joinville. ** Le chevalier se trompe car ‘‘ Toura man ’’, contrairement à ‘‘ Kay filé ’’ n’est pas du yolof, langue sénégalaise utilisée à Saint-Louis et dans la région, mais du bambara. Ce qui peut indiquer la provenance d’Ourika, c’est-à-dire de la région du Bambouc-Galam à la frontière du Mali actuel, en remontant le fleuve Sénégal. www.signare.com

Ourika était une enfant de trois ans achetée à Saint-Louis du Sénégal, le 8 février 1786, par le chevalier de Boufflers, qui en fit ‘‘ cadeau ’’ comme ‘‘ enfant de compagnie  ’’ à sa tante, Louise Marie Adélaïde de Bourbon, épouse de Louis Philippe Josèphe duc d’Orléans depuis 1785*. Il était très à la mode à cette époque d’avoir des enfants nègres dit ‘‘ de compagnie ’’ au sein des familles aristocratiques françaises. L’histoire d’Ourika inspira une femme écrivain, madame Claire de Duras qui en fit l’héroïne de sa nouvelle Ourika publiée en 1823. Ourika fut peinte par le chevalier de Boufflers en 1786 avant son départ pour la France. Il est possible que son portrait ait été retouché à Paris par madame Vigée-Lebrun (1755-1842), portraitiste et amie de madame de Sabran. J’achète en ce moment une petite négresse de deux ou trois ans pour l’envoyer à madame la duchesse d’Orléans. Si le bâtiment marchand qui doit la porter tarde quelque temps à partir, je ne sais pas comment j’aurai la force de m’en séparer. Elle est jolie, non pas comme le jour, mais comme la nuit. Ses yeux sont comme de petites étoiles, et son maintien est si doux et si tranquille, que je me sens touché aux larmes en pensant que cette pauvre enfant m’a été vendue comme un petit agneau. Elle ne parle pas encore, mais elle entend ce qu’on lui dit en yolof : Kay filé, viens ici ; Toura man**, embrasse-moi.¹


37 Je fus rapportée du Sénégal, à l’âge de deux ans, par M. le chevalier de B.(Boufflers), qui en était gouverneur. Il eut pitié de moi, un jour qu’il voyait embarquer des esclaves sur un bâtiment négrier qui allait bientôt quitter le port : ma mère était morte, et on m’emportait dans le vaisseau, malgré mes cris. M. de B. m’acheta, et, à son arrivée en France, il me donna à Mme la maréchale de B. (Bourbon) sa tante, la personne la plus aimable de son temps, et celle qui sut réunir, aux qualités les plus élevées, la bonté la plus touchante. Me sauver de l’esclavage, me choisir pour bienfaitrice Mme de B., c’était me donner deux fois la vie : Je fus ingrate envers la Providence en n’étant point heureuse et cependant le bonheur résulte-t-il toujours de ces dons de l’intelligence ? Je croirais plutôt le contraire : il faut payer le bienfait de savoir par le désir d’ignorer et la fable ne nous dit pas si Galatée trouva le bonheur après avoir reçu la vie. Je ne sus que longtemps après l’histoire des premiers jours de mon enfance. Mes plus anciens souvenirs ne me retracent que le salon de Mme de B. ; j’y passais ma vie, aimée d’elle, caressée, gâtée par tous ses amis, accablée de présents, vantée, exaltée comme l’enfant le plus spirituel et le plus aimable… …Vous aurez peut-être de la peine à croire, en me voyant aujourd’hui, que j’aie été citée pour l’élégance et la beauté de ma taille. Mme de B. vantait souvent ce qu’elle appelait ma grâce, et elle avait voulu que je susse parfaitement danser. Pour faire briller ce talent, ma bienfaitrice donna un bal dont ses petits-fils furent le prétexte, mais dont le véritable motif était de me montrer fort à mon avantage dans un quadrille des quatre parties du monde où je devais représenter l’Afrique. On consulta les voyageurs, on feuilleta les livres de costumes, on lut des ouvrages savants sur la musique africaine, enfin on choisit une Comba*, danse nationale de mon pays. Mon danseur mit un crêpe sur son visage : Hélas ! Je n’eus pas besoin d’en mettre sur le mien ; mais je ne fis pas alors cette réflexion. Tout entière au plaisir du bal, je dansais la Comba, et j’eus tout le succès qu’on pouvait attendre de la nouveauté du spectacle et du choix des spectateurs, dont la plupart, amis de Mme de B., s’enthousiasmaient pour moi et croyaient lui faire plaisir en se laissant aller à toute la vivacité de ce sentiment. La danse d’ailleurs était piquante ; elle se composait d’un mélange d’at-

titudes et de pas mesurés ; on y peignait l’amour, la douleur, le triomphe et le désespoir. Je ne connaissais encore aucun de ces mouvements violents de l’âme ; mais je ne sais quel instinct me les faisait deviner ; enfin je réussis. On m’applaudit, on m’entoura, on m’accabla d’éloges : ce plaisir fut sans mélange ; rien ne troublait alors ma sécurité. Ce fut peu de jours après qu’une conversation, que j’entendis par hasard, ouvrit mes yeux et finit ma jeunesse…¹

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE Source :

¹ De Duras Claire Ourika 1823.

* Combas est en fait un prénom de l’ethnie Bambara du Mali. www.signare.com


38 Sources : ¹ Extrait du passage de

1799 – 1880 La mystérieuse signare Amélie Anne Degrégny de Boufflers

l’acte notarié déposé auprès de maître Henri Robert, Greffier Notaire de Gorée à la fin du xixe siècle. Partie concernant la succession d’Amélie Anne Degrégny de Boufflers du 11 janvier 1858. ² De Boufflers S. J. Lettre d’ Afrique à madame de Saban Op. it. Extrait de la lettre du 6 mars 1786 à son oncle le prince de Beauveau.

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Un mystère a longuement demeuré à Gorée : le chevaliers Stanislas de Boufflers a-t’il eut une descendance sur l’île ? Dans des actes notariés concernant une des maisons de l’île, sur le titre foncier no 13583, apparaît le nom d’une ancienne propriétaire, Amélie Anne Degrigny de Boufflers, décédée en 1880. Cette dame Degrigny prétendrait être la descendante du chevalier de Boufflers. Elle est issue de la dernière génération de mulâtresses que l’on pouvait encore appeler ‘‘ signare ’’ et indique dans l’acte de propriété de sa maison (actuellement en 2004 maison de Madame Crespin) qu’elle s’appelle Degrégny de Boufflers. … Ce même immeuble parcelle, numéro 2 était antérieurement la propriété d’une dame veuve Sanson, née Amélie Anne Degrigny de Boufflers, pour l’avoir recueilli de la succession de Mademoiselle Désirée Degrigny, sa soeur décédée à Gorée, le onze novembre mil huit cent soixante six et ce aux termes d’un testament reçu par M. Henri Robert Greffier Notaire à Gorée, en présence de témoins, le onze janvier mille huit cent cinquante huit…¹ Un texte du 6 mars 1786, soit pratiquement un siècle avant, extrait des lettres du chevalier, semble toutefois éclaircir ce mystère. Ce document semble avoir été écrit par le chevalier pour mettre fin aux ‘‘ ragots ’’ colportés à son encontre par un abbé mondain parisien, l’abbé Bernard. Cet abbé, hostile à De Boufflers à cause de ses idées révolutionnaires, affirmait dans le tout Paris de l’époque que le chevalier de Boufflers se trouvait à Gorée en fort bonne compagnie avec certaines signares, et qu’il en eut de nombreux enfants. Des affirmations destinées à nuire au projet de mariage du chevalier avec la comtesse de Sabran. Le chevalier, dans une lettre à son oncle le prince de Beauvau, décrit lui-même un événement qui explique cette rumeur et les conséquences qui en découlèrent. Les femmes de l’endroit (les signares de Gorée) m’ont fait l’honneur de me chanter et suivant l’expression du pays, de me danser. Je n’ai pas bien compris ce qu’elles chantaient, mais il était

difficile de se méprendre à la signification de leur danse. Un homme jouait d’un instrument, toute l’assemblée battait des mains, et une danseuse à tour de rôle sortait, en contrefaisant toutes les crises de Mesmer… Après le bal, je les ai toutes récompensées par de petits présents ; celle de toutes qui m’avait paru la plus gentille m’a dit qu’elle était bien fâchée de n’avoir pas pu mieux faire, mais qu’elle était encore faible à cause qu’elle relevait de couches. Comme je lui marquais de l’intérêt et de la compassion, elle m’a beaucoup remercié, a été chercher son petit enfant de quinze jours, et m’a demandé la permission de lui donner mon nom. Ainsi, me voilà un enfant, comme M. Maurepas, dont M. Tronchin disait qu’il avait eu un lot, sans avoir mis à la loterie.²


39 1847 La coquetterie de la signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers La lignée Degrigny (nom déformé par l’usage en Degrègny) est née suite au mariage d’une signare de Gorée, Marie Anne Doumay, avec un commissaire de Marine, le sieur Jean Louis Marie Degrigny, né à Paris, paroisse de Saint-Nicolasdu-Chardonneret en 1762 ou 1759. Marie Anne Doumay est la signare sortant de couche décrite ci-dessus qui rajouta au nom du père biologique celui du chevalier avec son autorisation, une sorte de parrainage. Le père de l’enfant était un officier sous les ordres De Boufflers. Il était déjà présent à Gorée avant l’arrivée du chevalier comme nous en informe le livre du gouverneur Léonce Jore, Les établissements français sur la côte occidentale d’Afrique.¹

La tradition familiale qui consistait à rajouter le non du chevalier derrière le nom de famille Degrigny se perpétua semble-t’il jusqu’à la fin du xixe siècle. Amélie Anne Degrigny de Boufflers, est la seule de sa fratrie a avoir insisté pour que le non du chevalier soit rajouté dans son acte de mariage du 22 octobre 1847, collé de plus à celui de son père et de son grand père. Le plus amusant, c’est que l’enfant du récit du chevalier ne pouvait être que sa grande sœur Désirée Degrigny, car Amélie Anne est née en 1799, soit treize ans après le retour en France du chevalier. Cette ‘‘ coquetterie ’’ disparut avec Amélie, car sa descendance porta le nom de son mari, François Télémaque Sanson, natif de Cherbourg. Plus qu’une anecdote, cette affaire est révélatrice d’une culture particulière où la recherche permanente de l’élitisme pouvait aller très loin.

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE Sources : ¹ Jore Léonce Les établissements français sur la côte occidentale d’Afrique Éditions Maisonneuve et Larose, 1965. ² IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise - Acte de mariage d’A-A Degrigny de Boufflers

1 Descendance de Jean Boufflers²

du 22 octobre 1847 (registre Gorée),

Jean

Degrigny 2

Jean-Louis

Degrigny

(1762 – 1847) 2

Désiré

Degrigny

microfilm disponible.

2

Archives Nationales Paris III. - Acte reconstitué par ordre alphabétique antérieur

Marie

Dulus

2

Marie Anne Doumay (.... – 1784 – 1790) premier lit 2

Amélie Anne

Degrigny

(1799 – 1880) 2

Emma

Sanson

2

à 1860, laissant apparaître en 1759 un Jean René Degrigny, Archives d’états civils

Prosper

Sanson

2

François

Sanson

2

18, Blvd Serrurier Paris XIX - Acte notarial : titre Foncier n° 13 583 Dakar et Gorée (Volume 68F200

Marie Albis (Maîtresse) second lit 2

Marie Anne Degrigny (1825 –1849) 2

faissant apparaître le nom d’Amélie Anne Degrigny de Boufflers) Service du domaine de

Bishop 2

Dakar, Sénégal, ou Archives Nationales de France .

Michelle Degrigny 2

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40 Iconographie : Davy, capitaine de sapeurs Vue de l’île de Gorée 1821 Paris, Bibliothèque Richelieu, Départements estampes. Charpy Vue de l’île de Gorée


41 GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES

Le style architectural des signares de Gorée est le fruit des métissages permanents entre des influences portugaises, françaises et italiennes. Ces maisons servent aussi de boutique, de stock ou d’atelier de tissage.

GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES

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43 GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES

1940 Chronique d’un peintre voyageur : E. Horcholl

Dans les rues de Gorée à l’ombre d’antiques bâtisses, Horcholl le peintre voyageur, immortalise une demeure imprégnée par l’âme de sublimes signares. Plus loin, plus tard non loin de Saint Louis dans les dunes dorées de Mauritanie c’est à la beauté troublante d’une mystérieuse Touareg qu’il rend hommage…

Jean-Luc Angrand, 2002.


44 Source :

1701 – 1857 Développement urbain au xviiie siècle de l’île de Gorée

¹ Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans.

D’après les plans de cadastre de Gorée du xviiie siècle conservés au Département cartes et plans de la bibliothèque Richelieu à Paris.¹

Maisons 81

23 15 7 1763

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1770

1779

1784

Année

1779 – 1783 L’affaire des remparts de Gorée ou la corruption d’un officier anglais Cinquante huit nouvelles constructions apparaissent entre 1779 et 1784, période sous domination anglaise. Elles sont bâties sur des terrains occupés par des fossés et des remparts donnant sur la mer. Les moyens financiers des signares leur permettent d’acheter facilement ces terrains au commandant anglais William Lacy qui leur cède, à la condition toutefois de percer des ‘‘ meurtrières ’’ dans les murs donnant sur la mer pour, dit-il, pouvoir repousser un éventuel débarquement français. Il va de soit que du point de vue militaire ces ‘‘ meurtrières ’’ne pouvaient pas être plus efficaces qu’un fossé et des remparts. Il semble raisonnable de penser que ce commandant anglais a voulu justifier la vente ‘‘ frauduleuse ’’ des terrains auprès des autorités de Londres par la mise en place d’un nouveau système défensif : les spécialistes jugeront. Il est probable que le gouverneur anglais toucha sur cette transaction des commissions, les signares étant d’habiles corruptrices. Cet achat par les signares du terrain des remparts provoqua rapidement un bond de l’urbanisation de Gorée qui passa de 23 maisons en pierre de type provençal en 1779 à 81 maisons en 1784. Ces cinquante huit nouvelles maisons en pierre construites en un si court laps de temps correspondent à une forte période ‘‘ d’enrichissement à la façon du pays ’’. Un modèle économique que nous décrirons après.


45 GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES Iconographie : Carte d’Évrard Duparel, 1776, Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans. Carte de M. le Marquis de Lajaille, 1784, Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans.

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46 Sources :

Le goût des signares pour les modes architecturaux français et italiens

¹ Delcourt Jean Gorée six siècle d’histoire Édition Clairafrique, Dakar, 1984. Iconographie : De Bérard é., peintre de marine Maison construite fin xviiie siècle 1848 À la terrasse de la maison à gauche se trouve une signare. À droite, une case construite par des sauvés « captif de case ».

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Au début du xviiie siècle, les signares construisent leur Xanadu métis d’abord avec des tapades entourées d’enclos, puis avec des maisons en pierre de type provençal avec toiture en tuiles et escaliers à l’italienne. Leurs fortunes personnelles, dues à ‘‘ l’enrichissement à la façon du pays ’’ et à l’influence de leurs familles en France et en Angleterre, leur permettaient de faire venir des maîtres maçons¹ et charpentiers qui formèrent leurs captifs de cases. Pour construire à l’occidentale à Gorée, elles importeront aussi quelquefois des pierres des îles du Cap-Vert grâce aux navires des compagnies de la gomme et à leurs cotres¹. Les gouverneurs anglais et français leur imposèrent toutefois des normes de sécurité urbanistique suite aux nombreux incendies provoqués par les toitures en paille des cases des captifs domestiques. Dits de case, ces derniers pouvaient aussi être logés dans les rez-de-chaussée des maisons des signares. Ils faisaient partie des chanceux qui avaient pu être sauvés de la déportation grâce aux signares ou aux nègres libres qui les rachetaient aux négriers nègres du Sénégal. Ils n’étaient jamais vendus et pouvaient partir s’ils le souhaitaient.


47 1763 Martin Touranjou ou la naissance d’un pôle de compétence architectural Martin Touranjou est le fils mulâtre du maître charpentier maçon François Touranjou. Il est venu de France à la demande des signares de Gorée en 1763 pour apprendre aux captifs de cases l’art de construire des maisons de type occidental. Les signares, pour faire venir cet artisan français, sont certainement passées par Abraham Gradis, juif de Bordeaux, alors en affaire avec elles, et par ailleurs ordonnateur (fournisseur de la compagnie) du Sénégal. François Touranjou (père) eut un fils dénommé Martin avec la signare Louise Commulle. Martin épousa le 1er Juin 1778 la signare Charlotte Desprez dite Porquet, demi sœur d’Anne Pépin*. Charlotte Porquet était apparentée par son père à l’abbé Porquet, mentor du chevalier de Boufflers. Le jeune Martin est le maître d’œuvre de la deuxième vague d’urbanisation de Gorée, dite ‘‘ vague des remparts ’’. Héritier du savoir-faire paternel, il supervisa la construction de la plupart des quatre vingt une maisons en pierre de Gorée

bâties entre 1763 à 1784 avec son équipe de captifs maçons, charpentiers et forgerons empruntés aux signares. Son savoir-faire transmis aux captifs fit que Gorée devint rapidement un pôle de compétence des métiers de la construction immobilière à l’européenne (maçonnerie et charpenterie) et par ricochet, le seul port en Afrique de l’ouest capable de faire la réparation de petite charpenterie de marine dès le milieu du xviiie siècle. Ce savoir-faire local des captifs artisans, permet de mieux comprendre pourquoi déjà en 1763, monsieur de Choiseul, ministre du roi de France Louis XV, sur recommandation du gouverneur du Sénégal David, proposa aux maîtresses femmes de prendre des terres à volonté en Guyane française (Amérique du Sud) dans l’espoir d’en faire une colonie rentable. Les signares n’y donnèrent pas suite. C’est encore la même raison qui poussera les autorités anglaises au début du xixe siècle, alors maîtres du Sénégal, à faire appel aux compétences des ‘‘ entrepreneuses ’’ de Gorée et à leurs maind’œuvre qualifiée pour construire la ville nouvelle de SainteMarie-de-Bathurst en 1815, capitale de l’actuelle Gambie.

GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES Source : ¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

1 Descendance de Charlotte Desprez dite Porquet et Touranjou¹ Charlotte

Desprez

dite Porquet 2

Caty Martin Touranjou

Anne de

François de Saint-Jean

Hélène de

(.... – 1845) 2

Saint-Jean 2

1778

Martin Touranjou 2

(1786 – .... – ....) 2

Saint-Jean

(1820 – 1859) 2

Pierre

Angrand

(1821 – 1853 – ....) 2

Richard

Angrand

(1853 – 1853) 2

Marie Madeleine Angrand (1854 – ....) 2

Marie Anne Angrand (1857 – ....) 2

* Dénombrement des habitants de 1767. Bibliothèque Richelieu, Paris.

Léopold I Angrand (1859 – 1906) 2

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48 Sources :

Maison de la signare Anna Colas Pépin et de son père Nicolas

¹ Mauny Guide de Gorée Dakar, Ifan, 1951 (disponible à la Bibliothèque François Mitterand Paris) ² Cariou Pierre André Promenade à Gorée manuscrit dactylographié déposé à la Bibliothèque François Mittérand Paris cote FOL-O3M-1456 (disponible également aux Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence).

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La maison de la signare ‘‘ Anna Colas ’’ (surnom voulant dire Anna la fille de Nicolas Pépin) fut construite sur des terrains achetés au très corruptible commandant anglais William Lacy entre 1779 et 1783. Anna Colas est la fille de Nicolas Pépin, commerçant et notable de la communauté mulâtre de Gorée. Elle est aussi la nièce de la célèbre signare Anne Pépin, qui fut la maîtresse et l’associée du chevalier Stanislas de Boufflers. Le style choisi pour la maison, qu’elle hérita de son père Nicolas Pépin, est d’inspiration italienne, un style à la mode à la fin du xviiie siècle en Europe. Il est certain que la maison dite d’‘‘ Anna Colas ’’ a été en fait construite au début dans un style beaucoup plus rudimentaire par son père pendant la période 1779-1783. Des améliorations esthétiques ont été apportées par Anna au début du xixe siècle, et peut-être at’elle ajouté le double escalier. À partir de la cour de cette magnifique maison bourgeoise, on accède à l’étage par un double escalier. Le rez-dechaussée servait de stock pour la gomme, l’or, les cuirs et les nombreux outils de menuiserie et charpenterie destinés à l’entretien et la petite réparation de navire. Une porte au fond du rez-de-chaussée donnait sur la mer. Elle servait à jeter les déchets de la maison directement à la mer. (il était extrêmement dangereux d’aborder la maison par la mer à cause des nombreux rochers). De plus, une muraille existait à cet emplacement jusqu’en 1780 rendant impossible tout embarquement à cet endroit. Il est évident que cette maison comme les autres maisons de Gorée n’ont jamais contenu d’esclaves de traite, les signares étant en général réfractaires à la déportation des esclaves aux Amériques. Les seuls captifs qui existaient dans les maisons de Gorée étaient les captifs de case (domestiques). Les très rares esclaves de traite (déportés) passés par l’île ont été enfermés dans le fort, le bâtiment du gouvernement et l’hôpital : il y en eut entre 900 et 2000¹ en un siècle (xviiie siècle). L’idée pathétique de porte par laquelle seraient passés des esclaves embarquant pour l’Amérique n’était rien

d’autre qu’une histoire fantaisiste destinée à impressionner les touristes de la fin du xxe siècle. Une invention farfelue que l’on doit à Pierre André Cariou, médecin de la marine Française, en poste au Sénégal durant la deuxième guerre mondiale. Cet auteur produisit un manuscrit non édité, Promenade à Gorée ², dans lequel il mélange données historiques reposant sur des archives et invention de faits. Cariou fut démasqué dès cette époque par le professeur Mauny de l’Ifan qui mit en doute certaines de ses affirmations dans un guide sur Gorée de 1951¹ et depuis par de nombreux autres chercheurs sérieux. Les fantaisies de Cariou ont toujours été dénoncées par d’authentiques Goréens, les vielles familles mulâtres appelées communément… les habitants. Le rez-de-chaussée de la ‘‘ maison d’Anna Colas ’’ servit à loger une dizaine de serviteurs dévoués. Elle servait aussi, comme la plupart des belles maisons de Gorée, de gîte pour voyageurs. Anna Colas fervente catholique accepta d’y héberger l’église de Gorée à partir 1789 (archives paroissiales de Gorée¹), jusqu’à la construction de l’église Saint-Charles de Gorée en 1830. C’est dans cette maison au double escalier que la signare Anna Colas Pépin épouse au début du xixe siècle le maire de Gorée François de Saint Jean, son cousin. Elle y reçut le prince de Joinville à deux reprises en 1837 et 1843¹.


49 GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES Iconographie : D’Hastrel de Rivedoux Une habitation à Gorée (maison d’Anna Colas) 1839. La signare Anna Colas Pépin (De Saint Jean) au 1er étage, avec l’une de ses quatre filles. Au 1er étage, son mari M. de Saint Jean (mulâtre) maire de Gorée. Les filles d’Anna Colas de Saint Jean : Marie-Thérèse épouse A. Cabeuil, MarieAnne épouse Étienne René Valantin, Mary épouse Barthélemy Valantin dans la cour et sur la terrasse. Angrand Jean-Luc Maison d’Anna Colas Pépin 2005.

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