L'héritage de Louis Kahn en France - héritages et filiations kahniennes de 1960 à aujourd'hui

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L’héritage de Louis Kahn en France Héritage et filiations kahniennes des années 1960 à aujourd’hui Par Joël Beyaert Sous la direction de Denyse Rodriguez-Tome Le 14 janvier 2019 Ecole Nationale Supérieur d’Architecture de Lyon

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Introduction L’enseignement de l’architecture n’est pas une chose aussi linéaire que les mathématiques ou la physique. Dans les différentes écoles d’architecture, on trouve différents courants de pensées, différentes visions de l’architecture. Ces visions se théorisent par les mots, les écrits, mais aussi l’œuvre des architectes qu’on y étudie. Les divergences de points de vue laissent apparaitre des courants dominants dans les écoles mais aussi et surtout dans la pratique des architectes qui gravitent autour de ces écoles. En effet chaque école d’architecture fonctionne grâce à une constellation d’architectes praticiens s’investissant dans l’enseignement. Etant donné qu’il est parfois difficile de démêler un courant architectural d’un autre, de démêler un mouvement d’un courant, les limites peuvent être floues en fonction de chaque cas. La façon la plus simple d’identifier ces courants est de les relier à leurs initiateurs. On trouve ainsi des courants de pensée appuyés sur Alberti, Viollet-Le-Duc, Le Corbusier ou encore Louis Kahn. Durant les dernières années, on a étudié et relativisé beaucoup de théories sur l’architecture. On peut dire que peu de courants de pensée se démarquent aujourd’hui du lot en dehors des théories « fondatrices » que l’on apprend dans les (devrais-je dire certaines) écoles d’architecture en France. La pensée théorique de Louis Kahn, qui semble avoir touché une génération entière d’étudiants et d’architectes, a retenu mon attention. J’ai personnellement remarqué qu’on accorde beaucoup d’efforts à comprendre l’intégralité de sa pensée et la faire perdurer, notamment dans certaines écoles. Kahn étant plus que connu par les architectes du monde entier, ses héritiers le sont relativement moins. Les architectes qu’on pourrait appeler ses successeurs ne sont pas forcément des architectes qui s’inscrivent dans une typologie architecturale analogue, dans la théorie de Kahn ou encore dans l’époque de la modernité tardive, quasiment post-moderne, à laquelle on associe trop systématiquement le mouvement du postmodernisme. En changeant d’ENSA entre le premier et le second cycle de mes études d’architecture, je me suis étonné de constater qu’on pouvait étudier Kahn dans certaines (pas toutes) écoles d’architecture en France, indépendamment de la subsistance contemporaine de sa pensée, parfois sans avoir connaissance des architectes qui ont poursuivi, dans leurs œuvres, la théorie de Louis Kahn. On trouve donc des ENSA où l’on étudie Louis Kahn sans même en venir à la génération de Livio Vacchini ou Mario Botta. Peut-être est uniquement une question de temps passé entre les générations, mais il n’est pas question ici de se demander où s’arrête le contemporain et où commence l’histoire. Je ne cherche pas à savoir pourquoi on ne parle pas d’eux dans certaines écoles, mais plutôt pour quelles raisons ils sont étudiés à certains endroits précis plus que dans d’autres. Cette répartition géographique n’est pas anodine et on entre donc ici dans une réflexion sur la transmission d’une pensée emblématique qu’est celle de Kahn et les filiations que cela génère. Je cherche donc à découvrir le chemin que cette pensée a emprunté entre l’école de Philadelphia et l’Europe pour finir dans certaines ENSA de France.

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Il y a ici tout un tissu de relations à mettre à la lumière pour comprendre par quels acteurs, professeurs, élèves, architectes etc. la pensée de Kahn s’est propagée. Il faut pour cela remonter dans l’espace et dans le temps, jusqu’au moment où Kahn a eu ses premières attaches sur le vieux continent. Au-delà de la recherche des filiations théoriques et humaines qui se sont faites au cours du temps vis-à-vis de Louis Kahn, j’aimerais que ce travail puisse apporter une contribution à la connaissance que l’on a de la transmission des théories architecturales en France durant la fin du XXe siècle. Ces questionnements soulèvent la double problématique suivante : Comment, à partir des années 1960, la pensée théorique de Louis Kahn s’est-elle répandue dans l’enseignement de l’architecture en France jusqu’à aujourd’hui ? Quel héritage Louis Kahn a t-il laissé et quelles formes prend-il ? Louis I. Kahn a marqué une génération entière d’architectes par sa conception inédite de l’espace et le niveau de spiritualité élevé qu’il insuffle dans ses projets. Il en est même difficile de trouver des opposants critiques à la théorie de Silence et Lumière1 de nos jours. Cependant, parmi la génération succédant à celle de Louis Kahn se trouvent quelques architectes de renom que l’on associe plus que fréquemment à la pensée de l’architecte. Mario Botta, Livio Vacchini, Jacques Lucan, Christian Devillers sont fréquemment cités comme des « héritiers » de Kahn, autoproclamés ou non. Mario Botta et Livio Vacchini font partie de cette école tessinoise qui emboîte ouvertement le pas dans les années ‘1970, tandis que le français est désigné traducteur de Kahn2 en plus de faire une architecture qui, dans les années ‘1980-90, montre une forte influence kahnienne. On trouve aussi une forte connexion entre Christian Devillers et Livio Vacchini3, lien qui m’apparait comme fondateur dans ce tissu de relations. Jacques Lucan a été élève de Kahn et, je pense, acteur de son implantation en France, notamment par son célèbre ouvrage Composition, noncomposition4 qui rendit Kahn plus accessible aux architectes français. Les connections humaines qui gravitent autour de ces trois personnages laissent entrevoir une multitude de connections à Louis Kahn, tantôt en Italie, tantôt en Suisse. La situation des EPF suisses des années 1970, et particulièrement après le décès de Kahn en 1974, donne à voir une mouvance naissante peut-être initiatrice du véritable héritage théorique de Louis Kahn. De même, les documents et publications du concours pour l’école

KAHN Louis Isadore Silence et lumière (choix de conférences et d'entretiens, 1955-1974) (trad. Mathilde Bellaigue et Christian Devillers), Silence et Lumière [« Between Silence and the Light »], Paris, Les Editions du Linteau, 1996 1

DEVILLERS Christian, traduction française de Silence and Light, op. Cit. In KAHN Louis Isadore, Silence et Lumière, Ed. Linteau, 1996 2

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DEVILLERS Christian, préface de l’ouvrage VACCHINI Livio, Capolavori, Ed. Linteau, 2006

LUCAN Jacques, Composition, Non-Composition : architecture et théories, XIXe et XXe siècle, Lausanne, PPUR, 2009. 4

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d’architecture de Nancy construite par Livio Vacchini dans les années ‘1990 m’ont laissé percevoir une vue cristallisée des relations qui reliaient les acteurs de l’époque. Mon hypothèse est donc que la théorie de Kahn s’est communiquée dans un premier temps dans le Tessin et en Italie par Louis Kahn lui-même, où elle a reçu un écho favorable encore visible dans le paysage architectural suisse-italien. Dans un deuxième temps, je pense que de multiples connexions humaines ont permis une migration de cette pensée vers certaines écoles d’architecture françaises, dans un contexte « post mai 68 » favorable à de nouvelles conceptions de l’architecture. Concernant l’état de l’art sur le sujet, j’ai orienté mes recherches sur le français, l’italien, le suisse et l’anglais dans des sources diverses que ce soient des magazines, des ouvrages, recherches universitaires ou des productions vidéo. Beaucoup de publications de tous genres mentionnent les filiations directes à Louis Kahn, le plus souvent pour des architectes très connus (je pense notamment à Bernard Huet, étudié en France, en Italie, en Suisse et aux Etats-Unis, ou encore à Aldo Rossi, également très étudié en Europe). Parallèlement à ces filiations, je vais rapidement découvrir que l’implantation de Kahn dans le paysage architectural franco-italien doit beaucoup aux évènements de mai 68. Or nous sommes en 2018 et nombre de publications, d’ouvrages et autres médias ont paru cette année à l’occasion des 50 ans de mai 68. Parmi toutes ces parutions, les noms de Jean-Louis Violeau et Caroline Maniaque sortent du lot : co-auteurs d’une exposition sur mai 68 cette année à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine5, ils ont récemment écrit des ouvrages sur le thème de l’enseignement de l’architecture dans le contexte de mai 68. Ils dressent un panorama des filiations pédago-politiques qui s’exercent à l’époque, qui me sera très utile pour mes recherches. Du reste les publications de revues d’architecture de l’époque telles que l’Architecture d’Aujourd’hui, Architecture Mouvement Continuité ou encore Casabella Continuità sont d’excellentes sources d’information puisqu’elles sont alors des actrices importantes (orientées qui plus est) des événements post-mai 68 et notamment actrices dans l’implantation de Kahn dans le paysage culturel architectural européen. L’ensemble de mon étude se concentre sur la France, l’Italie et la Suisse, la situation de l’époque aux USA est abordée quand elle enrichit le propos. Mes recherches s’étendent de l’époque particulière de l’année 1968 jusqu’aux années 1980, qui fut le terrain des acteurs concernés, et ce particulièrement après le décès de Louis Kahn en 1974. Les acteurs français qui se démarquent principalement autour de Louis Kahn étant Bernard Huet, Jena Castex, Philippe Panerai et Christian Devillers, ils constituent les objets principaux de mes recherches, étendues aussi à d’autres architectes et professeurs qui leur sont inévitablement liés tels qu’Ahmet Gülgönen, Jacques Lucan ou encore Joseph Abram. Même démarche des cotés suisses et italiens, cotés desquels j’étudierai Botta, Snozzi, Tafuri, Rossi etc.

VIOLEAU Jean-Louis, MARANTZ Eléonore, MANIAQUE Caroline, Mai 68, L’architecture aussi, exposition à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, mai 2018 5

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Il y a un paradoxe sur les époques étudiées car une grande partie des acteurs interrogés sont d’une génération contemporaine, et étudier leur histoire trente ou quarante ans en arrière n’est pas encore forcément dénué de subjectivité. D’un autre côté, étudier des architectes qui me sont encore contemporains bien que pour la majorité à la retraite m’évitera de tomber dans les sévices de l’admiration béate pour les architectes ayant joui de grande notoriété dans le milieu. Je ferai donc au mieux pour dénouer mes raisonnements d’une quelconque subjectivité. Concernant le corpus étudié, je pense être amené à étudier beaucoup de filiations entre des architectes et historiens dont les débuts remontent aux années 1970, pour la plupart toujours en vie, à la fois en Suisse, en France, et peut-être aussi en Italie. La plupart des échanges formels qui cristallisent ces filiations se trouvent dans les revues spécialisées de l’époque, tel que le magazine L’Architecture d’Aujourd’hui, alors dirigé par Jacques Lucan. Le périodique AMC moniteur était également un magazine d’architecture très actif à l’époque. J’ai pu y trouver plusieurs articles gravitant autour des sujets qui m’intéressent. Chaque magazine est teinté de courants de pensées qui sont propres à ses rédacteurs. En effet la subjectivité politique, critique et analytique est changeante d’un magazine à l’autre. Pour ces raisons, étudier les magazines d’une époque me semble très pertinent. Cependant, une grande partie des relations humaines s’appuie sur des échanges informels et inaccessibles si l’on ne passe pas directement par la personne intéressée. Pour rentrer dans le détail il faut s’adresser directement à la source en essayant d’interroger, dans la mesure du possible, les architectes concernés tels que Christian Devillers, Jacques Lucan, ou encore Joseph Abram. Etant donné que j’étudie en quelque sorte l’histoire de l’enseignement de l’architecture, j’observe également les cours prodigués dans les écoles d’architecture par ceux qui ont enseigné afin de recenser les influences kahniennes subsistantes, et éventuellement valider les doutes qui persistent sur l’influence de Louis Kahn chez ces professeurs. Je me base donc sur tous les échanges possibles recueillis dans les revues, ouvrages, conférences ou encore films concernant ces acteurs en relation avec Louis Kahn. En favorisant les sources premières, il est important pour moi de garder toute mon objectivité face aux sources interprétatives. La presse architecturale et les ouvrages monographiques me fournissent des noms de personnes en relation avec Louis Kahn, mais aussi en relations entre eux. Ils me permettent aussi de saisir l’historique des rencontres entre chacun, à mettre en relation avec l’activité de Kahn sur cette période. Ils me serviront aussi à mieux comprendre les filiations, les catalyseurs ou freins des relations étudiées. Enfin des entretiens avec un maximum d’acteurs de l’époque me permettent de retisser toute cette toile de connexions humaines dans le temps. Par ces entretiens j’aimerais pouvoir apprendre le genre de relations et de connections entre ces architectes, informations qui ne s’inscrivent pas dans les revues ou les ouvrages d’architectures, mais qui existent et qui forment réellement des réseaux, groupes, mouvances de personnes qui convergent vers des idées communes. Par ce biais je vise à établir une carte chronologique des histoires, anecdotes, correspondances, coïncidences qui relient Kahn aux écoles d’architectures. Il s’agit, à l’aboutissement de ce MFE, de raconter une histoire.

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Préambule - Louis Isadore Kahn : une théorie et une pédagogie Les deux carrières de Louis Kahn Une jeunesse discrète Louis I. Kahn, architecte américain d’origine estonienne, fut un personnage énigmatique jusqu'à sa mort accidentelle en 1974. Né en 1901, il émigre très jeune aux Etats-Unis. Excellent en dessin, il obtient une bourse pour étudier l’art puis entre à l’université de Pennsylvanie pour apprendre l’architecture dans les années 1920, où il reçoit l’enseignement Beaux-arts du français Paul-Philippe Cret. A la suite de ses études, Kahn va d’abord travailler pour les bâtiments destinés aux 150 ans de la déclaration d’indépendance de Philadelphia. Il part ensuite voyager deux ans en Europe, ce qu’il décrira plus tard comme un véritable voyage initiatique, s’inspirant de l’expérience de Le Corbusier sur le sujet. Il appréhende par ce voyage des préceptes à la théorie qu’il développera plus tard sur les sujets de la monumentalité, du rapport entre structure et lumière, entre espace servi et espace servant, etc. Louis Kahn termine la première partie, discrète, de sa carrière en travaillant dans divers agences d’architecture de Philadelphie. Il fonde sa propre agence en 1935 et continue de construire dans l’anonymat beaucoup de projets dont très peu ont été recensés, essentiellement à Philadelphie et autour.

Mise en lumière Les années 1950 mettent un terme à ce que l’on pourrait appeler la première carrière de Louis Kahn, discrète et sans retentissement. Et c’est l’année 1951 qui marque un tournant dans sa carrière puisqu’il remporte, à l’âge de cinquante ans, la bourse du prix de Rome américain et part neuf mois étudier des thèmes fondamentaux de l’architecture en Italie, en Grèce et en Egypte. Il y saisit l’occasion, fidèle à sa formation Beaux-arts, d’approfondir et de maîtriser les thèmes architecturaux qu’il avait commencé à saisir vingt ans plus tôt. A son retour il est commissionné pour le projet de la Yale University Art Gallery, qui lui permet d’éprouver les notions reçues en Europe. C’est à ce moment que Kahn tente de répondre au manque de monumentalité et de spiritualité qu’il déplore dans l’architecture moderne et dont les anciens bâtiments sont des témoignages. L’auteure Patricia Cummings Louds résume : « The commission brought about Kahn’s discovery of structure, materials, and perhaps most important, the power of the forms he was capable of creating. The Yale Art Center

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served to catalyze many of his basic ideas and beliefs about architecture, both in words and in work. » « La commission a permis à Kahn de découvrir la structure, les matériaux et, le plus important peut-être, le pouvoir des formes qu’il était capable de créer. Le Yale Art Center a servi à catalyser bon nombre de ses idées et croyances fondamentales sur l’architecture, en paroles comme à l’œuvre6. » C’est le premier projet par lequel Kahn peut vraiment expérimenter ce qu’il a appris lors de ses voyages, et y impliquer la réflexion théorique avancée qui découle de ses nombreuses études et références sur la monumentalité. Il se distingue alors du modernisme en premier lieu par le choix des matériaux constructifs, privilégiant les matériaux massifs et monumentaux comme la pierre, au métal et au verre utilisés par les modernes pour feindre la légèreté. Louis Kahn commence réellement son implantation en Europe par l’Italie en 1968. Lié d’amitié avec Carlo Scarpa, qu’il a rencontré lors de ses participations aux biennales de l’architecture, il s’investit encore davantage à Venise sur l’étude du Palazzo Dei Congressi, et ce jusqu’en 19747. L’année 1969 révèle l’implantation de Louis Kahn dans le paysage suisse et italien quand il donne le 12 février de la même année sa fameuse conférence à l’EPF de Zurich. A cette occasion il marque son empreinte dans les écoles suisses mais également à l’étranger. D’ailleurs dans son ouvrage Silence & Light8, qui n’est autre que la retranscription de cette conférence, il développe point par point ses principes fondateurs : la monumentalité, les espaces servant/servi, le rapport entre structure et lumière9, etc.

SVEIVEN Megan. «AD Classics: Yale University Art Gallery / Louis Kahn». Archdaily, (consulté le 19.11.2018) Source : http://www.archdaily.com/83110/ad-classics-yale-university-art-gallerylouis-kahn/ traduction personnelle de l’anglais. 6

LUNGHI Patricia, « Louis Kahn et Venise », Swiss-Architects, Source : https://www.swissarchitects.com/de/architecture-news/gefunden/louis-kahn-et-venise 7

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KAHN Louis Isadore, Silence & Light, Ed. Alessandro Vassella, Zurich, 1969

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LUCAN Jacques, op. Cit., p.4

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Kahn, pilier théorique d’une génération Le chaînon idéologique qui manquait au postmodernisme En 1957, il quitte l’université de Yale prend le poste de professeur à l’université de Pennsylvania, où il enseignera jusqu’à sa mort. En 1959, il intervient publiquement au CIAM X d’Otterlo, sur invitation du Team X, à l’occasion duquel il affirmera ses bases de l’architecture, dont le lien fort entre espace et lumière : « la fabrication des espaces est en même temps la fabrication des lumières »10. L’implication de Kahn au dernier congrès du CIAM témoigne de l’importance de l’architecte dans son époque et ses mouvances théoriques. Il est alors le seul américain à participer au congrès, les idées exprimée ça et là par Louis Kahn font l’unanimité. Le Team X, véritables ambassadeurs d’un postmodernisme en opposition au modernisme des « grands » comme Le Corbusier, Mies Van Der Rohe, Gropius etc. sont décrits comme des « admirateurs de Kahn »11. Sans prendre cette expression au pied de la lettre, on peut affirmer que l’unanimité que fait Louis I. Kahn au sein de ses confrères atteint une dimension internationale déjà avant le début des années 1960. En 1967, comme le relève Peter Papademetriou, on voit Reyner Banham, théoricien du Brutalisme en Architecture12, s’opposer à la théorie de Robert Venturi13 qui prône un postmodernisme architectural de complexité, en opposition au Less Is More. Cependant ils ont en commun l’importance qu’ils donnent au rôle de Louis Kahn dans le paysage théorique, en opposition aux présupposés de leurs contemporains, d’accords sur le fait que Kahn est un « pont entre les grandes idéologies »14. Kahn atteint ainsi un premier degré dans sa recherche de « What has always been [in architecture] 15», que l’on peut traduire par ce que sont les constantes universelles propres à l’architecture. Ce sont véritablement, et selon ses propres dires, ses années d’enseignement et de conférences qui cristallisent peu à peu sa théorie jusqu’à lui donner son apogée dans les années 1960.

KAHN Louis Isadore, « Monumentality,» in Zucker Paul, New Architecture and City Planning. A Symposium, New York, Philosophical Library, 1944, p.581, cité et traduit par LUCAN Jacques, Ibid., p.489 10

PAPADEMETRIOU Peter, Louis I. Kahn, Conversations with students, Rice School of Architecture, Princeton Architectural Press, 1998

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BANHAM Reyner, Le Brutalisme en Architecture, Ed. Dunod, 1970

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VENTURI Robert, Complexity And Contradiction In Architecture, Ed. MoMA, 1966

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PAPADEMETRIOU Peter, op.cit. p.3

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KAHN Louis Isadore, op. Cit.

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Il est intéressant de noter qu’il construit d’ailleurs l’essentiel de ses chefs-d’œuvre durant cette période, travaillant parfois sur plus de six projets à la fois comme pendant l’année 1965, et ce sur plusieurs continents. En parallèle de ces projets, il participe à la biennale de Venise aux côtés de Carlo Scarpa et s’investit dans l’enseignement un peu plus tard, s’implantant profondément dans le paysage culturel Vénitien. En 1968 Louis Kahn commence à travailler sur son premier projet européen, le Palazzo Dei Congressi à Venise16, qui restera son unique travail projet sur le vieux continent. C’est Giuseppe Mazzariol, historien de l’art et politicien, qui se rend à Philadelphia pour proposer le projet à Kahn. En plus du projet, il lui propose aussi de donner un enseignement dans une nouvelle école d’architecture qu’il ouvre la même année sous le nom d’Università Internazionale de Archittetura de Venezia, l’UIAV, affirmant un peu plus que Kahn peut participer aux réflexions culturelles qui animent Venise17. En travaillant sur le projet emblématique et monumental du Palazzo, Kahn retrouve ses premiers amours et fait appel à ses influences les plus profondes, s’investissant doublement dans ce projet, qui ne sera finalement pas jamais construit. Simultanément à son implantation en Europe où il reçoit un accueil très favorable, Kahn mène déjà plusieurs projets en Inde et au Bengladesh, à Ahmedabad et Dacca, alors qu’il termine les projets du Kimbell Art Museum et de la bibliothèque d’Exceter. Cette période est la plus concentrée en terme de projets, c’est aussi la période -pour lui qui mêle étroitement pensée et construction- de la mise en pratique la plus avancée de sa pensée théorique. Louis Kahn s’attache durant toutes ces années à éprouver sa théorie et à la faire évoluer. C’est aussi en débutant les conférences qu’il formalise sa pensée. L’enseignement sera fondateur pour Kahn dans le sens où les conférences sont pour lui un moyen de formaliser et exprimer ses idées et de roder son discours avant de se lancer dans une publication. Ainsi le l’ouvrage Silence & Light deviendra très vite un classique parmi les théories fondatrices de l’architecture, fait qui se confirme par l’important retentissement qu’il a eu parmi la génération suivante. C’est l’année 1969 que la revue L’Architecture d’Aujourd’hui lui consacre un numéro spécial, confirmant ainsi Louis Kahn comme une référence théorique incontournable pour les architectes français.

Projet sur lequel il bénéficiera notamment de la contribution de Le Corbusier et Mario Botta. VELLÉS-MONTOYA, Javier, Louis I. Kahn : Palazzo dei congressi, Venezia, 1968-1974, Ed. Rueda S.L. 2004 16

CANO Enrico, Louis Kahn and Venezia The project for the Palazzo dei Congressi and the Biennale building, Mendrisio, USI Press Release, 2018 17

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Ambassadeur d’une nouvelle pédagogie L’importance internationale de l’apport idéologique Louis Kahn dans l’architecture a sans doute participé à dissimuler un autre apport plus spécifique à son emprunte sur l’Europe, qui est celui d’une pédagogie différente. Les années qui ont suivi la diffusion massive des idées de Kahn sont aussi témoin d’une immigration d’élèves Européens vers l’université de Pennsylvanie. L’expérience de la pédagogie kahnienne devient alors un incontournable. C’est une quinzaine d’étudiants, qui, entre 1963 et 1974, étudiants en master à Pennsylvania, sont ensuite enseignants dans des écoles d’architecture françaises ou étrangères18. Parmi eux on trouve notamment : Bernard Huet, Jacques Fredet, Olivier Dufau, Ahmet Gülgönen (les quatre vont ensuite enseigner à l’UP8 Belleville), et aussi Marc Emery (rédacteur en chef d’Architecture d’Aujourd’hui entre 1968 et 197219), Serge Santelli (enseigne à Belleville depuis 197320), Marina et Christian Devillers (C. Devillers élève à l’UP8 avant Penn, puis enseignant à Nancy et Paris Tolbiac) . Dans un contexte où les publications prolifèrent à la fin des années 1960, Kahn fait à la fois quelques apparitions en Italie dans des écoles telles que l’IUAV ou encore dans les écoles suisses où il est invité à plusieurs reprises pour donner ses conférences, dont la célèbre conférence de l’EPFZurich en 1969. C’est lors de ces quelques interventions qu’il est donc majoritairement découvert par les étudiants et enseignants architectes français, italiens et helvètes. Alors qu’il a été formé selon un héritage Beaux-arts stricte, c’est un mode d’enseignement strictement opposé qu’il applique. Ex-élève de Bernard Huet à l’UP8, Olivier Dufau témoigne : « Évidemment, cette méthode d’enseignement était extrêmement surprenante pour des gens qui venaient de l’École des beaux-arts, enseignement où très peu de choses étaient dites. J’étais à l’atelier Arretche, et on peut dire que j’avais un professeur muet, qui faisait ‘Mmm’ : c’était le contenu théorique de son expression ; il corrigeait en griffonnant sur votre projet, avec un stylo bille, la solution. Kahn ne dessinait jamais sur les projets : il formulait une critique orale du projet21. »

POMMIER, Juliette, « Filiation Kahnienne à l’UP8 », Hypothèses.org, (consulté le 19.11.2018), https://chmcc.hypotheses.org/4311#sdfootnote3sym

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LAROCHELLE Jean-Jacques, « Marc Emery (1934-2014), architecte et homme de presse », Le Monde, Paris, décembre 2012, Source : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/12/08/marc-emery-1934-2014-architecte-ethomme-de-presse_4536772_3382.html 19

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« Portrait », 2013, (consulté le 12.11.2018), http://sergesantelli.com/potrait.html

LAMBERT Guy et THIBAULT Estelle, L’atelier et l’amphithéâtre, les écoles de l’architecture, entre théorie et pratique, Bruxelles, Ed. Mardaga, 2011 21

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La pédagogie de Kahn est ancrée dans ce qui fonde également sa théorie, il faut laisser les influences circonstancielles et chercher les constantes universelles de l’architecture. Pour beaucoup des étudiants qui ont expérimenté la pédagogie de Kahn, ils subissent une perte de leurs repères, réalisent la lenteur d’apprentissage nécessaire pour apprendre l’architecture. Les élèves de Kahn expérimentent une prise de conscience, un dépassement de ce qu’ils ont appris jusqu’alors, l’architecture n’est plus question d’appliquer une science structurelle ou quantitative mais de chercher la nature des espaces, chercher la nature de l’architecture même. Christian Devillers, également interrogé par Juliette Pommier, témoigne de sa prise de conscience : « Cet enseignement, au fond, nous faisait perdre pied par rapport à nos petites certitudes, à ce qu’on croyait avoir appris : on se rendait compte assez vite qu’on ne savait rien du tout, qu’on était assez incapable […] et que ce n’était pas très important, le savoir. Ce qui était important, c’était plutôt la bonne attitude, par rapport à la façon de poser des questions, de creuser un problème, d’aller vers le commencement. Au lieu de faire ce qu’il appelait ‘solving problems’. C’est-à-dire que l’architecture ne consiste pas à résoudre des problèmes, mais plutôt à poser les bonnes questions, à aller vers le commencement, à trouver le fondement, les principes, la form, etc. » Ces deux témoignages sont assez représentatifs de ce que pouvait apporter l’expérience kahnienne à un étudiant formé aux Beaux-arts, à savoir que la pratique de l’architecture ne consiste pas à bien répondre aux questions, mais plutôt à bien les poser. De façon pratique, l’enseignement de Kahn se faisait de façon horizontale et non pas verticale comme ailleurs. Dans son enseignement, l’enseignant, le maître n’est pas là pour répondre aux questions de l’étudiant sur l’architecture, mais pour questionner l’architecture à ses cotés. Cela implique un suivi totalement différent de l’apprenti, suivi qui implique d’avantage d’enseignants par étudiant, et d’avantage de temps passé avec chaque étudiant pour questionner et revoir le projet. Dans le contexte de la fin des années 1960, c’est un apport véritablement révolutionnaire pour l’enseignement de l’architecture, concordant aux attentes des étudiants qui contestent l’enseignement Beaux-arts, tant sur la façon d’enseigner que sur l’architecture enseigner. L’enseignement kahnien remet en cause à la fois la forme de l’enseignement et le fond de ce qu’on étudie. Kahn se différencie des autres car n’ayant jamais revendiqué son statut d’enseignant, il a pourtant enseigné 27 ans de sa vie. De plus, il n’a jamais revendiqué avoir proposé une théorie, mais plutôt une façon de faire l’architecture. Selon Florian Vimard22, le travail de Kahn ne correspond pas à la définition de la théorie au sens que les architectes en ont, faite de règles, principes applicables et préceptes. En réalité, la seule règle que Kahn n’ait jamais donnée est de questionner l’architecture, sortant son enseignement du cadre théorique classique. Vimard propose plutôt d’associer à Kahn la définition grecque theorein, qui se traduit par observer, contempler, examiner. La théorie telle que Louis Kahn

VIMARD Florian, Louis I. Kahn : Exeter Library - La leçon du passé, la distance des modernes, mémoire de master sous la direction de Marie-Paule HALGAND, ENSA Nantes, Juin 2012 22

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la formule est donc « fruit de l’observation, basée sur l’expérience. C’est une connaissance spéculative, vraisemblable, qui conçoit le doute, et la possibilité de ne pas être juste23. » L’enseignement du projet étant central dans les études d’architecture, c’est un sujet critique qui soulève toujours des débats au sein des écoles d’architecture aujourd’hui. Dans certaines écoles d’architecture en France, on trouve encore un modèle vertical pour l’enseignement du projet, ce qui je crois est intimement lié aux différents héritages pédagogiques de chaque école. Si les orientations pédagogiques des écoles sont définies par un collège savant, l’application du projet dépend directement des enseignants qui l’ont sous leur responsabilité. Les enseignants de projet sont donc personnellement garants de l’héritage pédagogique de leur école, ainsi que de ses évolutions futures. Ce qui alimente la pédagogie de ces enseignants est donc essentiel, c’est un sujet sur lequel beaucoup de questions sont encore en suspens : peut-on enseigner le projet sans être praticien ? Combien faut-il d’enseignants par élèves ? Quel temps faut-il donner à l’enseignement et l’échange sur le projet relativement au reste des enseignements ? etc. La majorité des questions qui se posent aujourd’hui dans les ateliers n’étaient pas remises sur la table aux Beaux-arts avant qu’arrivent les contestataires. Il est certain que la découverte de l’enseignement kahnien fut très inspirante pour les enseignants Européens qui s’y prêtèrent. Il est légitime de se demander si alors l’enseignement contemporain de l’architecture est fondamentalement kahnien, en est un dérivé ou en fut seulement influencé.

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Ibidem

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Chapitre 1 - Contexte convergence des crises

européen,

la

Introduction au contexte Cette étude cherche à retracer les filiations qui se sont créées entre Kahn et les écoles d’architecture françaises, partant du constat qu’une pensée comme la sienne n’est pas uniformément enseignée dans les écoles d’architecture. De ce fait, ont forcément dû s’opérer des filiations entre Louis Kahn et certains acteurs de l’époque à laquelle il s’est fait connaître en Europe, qu’on s’efforcera de retracer. Les acteurs français qui ont introduit un Kahn, dans le paysage architectural français sont très probablement ceux qui, à l’instar de Bernard Huet, ont été acteurs principaux des grands changements suivant mai 68, et également dans un renouvellement général de l’architecture pour lequel Kahn occupe sa place aux côtés de la Tendenza Italienne. L’exploration de ces filiations se complexifie lorsque l’on s’aperçoit que l’époque à laquelle Louis I. Kahn s’est fait connaître en Europe coïncide avec le contexte de grande réforme de l’enseignement de l’architecture, et réforme de l’architecture enseignée elle-même d’ailleurs, qui mène aux évènements de mai 68 et ceux qui suivront. Cette partie a donc pour objectif de comprendre le contexte français avant, pendant et après mai 68, ainsi que le contexte des pays frontaliers (Italie, Suisse etc.) qui était en relation étroite avec celui observé ici. Nous étudierons d’abord la révolution qui touche l’architecture en Europe conjointement à celle qui touche son enseignement, puis nous verrons quelles ont été les influences italiennes, suisses dans ce grand renouveau européen. Enfin nous verrons quelles filiations ont été engendrées à la suite de mai 68 parmi les architectes, enseignants et élèves français, suisses et italiens. Cette partie nous permettra donc de savoir où chercher l’héritage de Kahn, à la fois dans l’enseignement et dans l’architecture construite, parmi une génération que l’on commence à entrevoir.

La France avant la rupture, la convergence des crises Convergence des crises sociale, de l’architecture et de l’enseignement C’est véritablement un contexte de ruptures multiples qui attend les architectes Européens à la fin des années 1960. La rupture sociale que représentent les événements de Mai 68 vient catalyser deux autres ruptures que l’on sentait déjà arriver depuis plusieurs années dans l’architecture. En effet l’année 1968 voit l’école des Beaux-Arts, qui se préparait depuis plusieurs années, se dissoudre et laisser place à de nouvelles structures d’enseignement de l’architecture. A ces deux ruptures s’ajoute la fin du modernisme et la

15


transition à un postmodernisme dans laquelle plusieurs architectes s’inscrivent, à l’instar de Louis Kahn qui sera, bien plus tard, considéré comme un acteur clé de la transition vers le postmodernisme. Il est donc important de dissocier l’effondrement de l’école des beaux arts des événements sociaux de 1968, qui finalement n’ont en commun qu’une temporalité finale, quand éclatent les colères des étudiants. Ces révoltes étudiantes catalysent les changements déjà amorcés parallèlement, Jean-Louis Violeau parle ici d’une « convergence des crises24 ». De plus, les crises similaires que l’on constate en Italie viennent renforcer celles à venir en France, par exemple lors de l’Occupation du théâtre de l’Odéon à Paris, par les étudiants comme en Italie avec la Bataille de Valle Giulia25. Ces événements sont des témoins d’une forte connexion intellectuelle entre l’Italie de la Tendenza et la France de Mai 68.

Rupture interne du mouvement moderne, fin des années cinquante Otterlo et Team X, fin du congrès international des architectes modernes Durant la deuxième moitié des années cinquante, les architectes se heurtent à l’impasse du modernisme. Ce dernier ne répond pas aux problèmes de la cité, à l’heure où l’urbanisme s’affirme en tant que discipline propre26 et prend de l’importance. Le mouvement moderne étant intrinsèquement international, la crise concerne l’ensemble des pays qui, après la seconde guerre mondiale, ont dû massivement reconstruire et ont donc pour la majorité ouvert leurs portes au style international. Ainsi, nombreux sont les architectes, sociologues et philosophes européens qui se consacrent à la recherche de sens et d’alternatives. Les équipes formées par affinité intellectuelle sont internationales, et se rencontre régulièrement au sein des CIAM jusqu’à

24

VIOLEAU Jean-Louis, Les architectes et mai 68, Paris, Ed. Recherches, 2005

En février 1968, des étudiants occupent la Villa Giulia en symbole de protestation, avant d’être délogés par la police. Le 1er mars 1968, les étudiants tentent de reconquérir le lieu en combattant la police, opposant également les groupuscules d’extrême gauche et d’extrême droite. C’est l’événement qui le mouvement du mai rampant, équivalent italien de mai 68 en France. Source : Wikipédia « La Bataille de la vallée Giulia » https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Valle_Giulia, (consulté le 09.01.2019) 25

L’urbanisme est évoqué tardivement en France, d’abord par les modernistes lors des premiers CIAM, puis intégré au cursus architecture des Beaux-Arts à partir de 1953. Il faudra attendre l’ouvrage Urbanisme : Utopies et Réalité, de Françoise CHOAY (Paris, Le Seuil, 1965) pour remettre en question la vision moderniste et évoquer la multidisciplinarité inhérente à l’urbanisme. 26

16


la fin des années 1950. C’est alors qu’une grande réflexion apparaît timidement sur le sens même du métier d’architecte et de celui d’urbaniste, et les premiers modernes à soulever les problèmes liés au modernisme son probablement les membres du Team X. Le Team X est initialement composé de Jaap Bakema (Pays-Bas), George Candilis (Grec basé en France), Rolf Gutmann (Allemagne) et Peter Smithson (Royaume-Uni), réunis pour organiser le Xe congrès des CIAM. L’équipe trouve rapidement un écho favorable et d’autres architectes, urbanistes encore d’artistes viennent s’ajouter au Team X ou s’associer à leurs idées, à l’instar de Aldo Van Eyck, Giancarlo De Carlo, Shadrach Woods27. La transition pour sortir du modernisme rationaliste s’opère donc d’abord au sein même des membres du CIAM quand le Team X, qui a pour ambition de renouveler le modernisme jugé inadéquat, « triomphe » lorsqu’au congrès d’Otterlo de 1959 on annonce la fin du CIAM28. Il faut noter que notamment Louis Kahn, Alexis Josic (enseignant aux Beaux-Arts aux côtés de Candilis), Ernesto Nathan Rogers (rédacteur en chef de Casabella de 1935 à 1965, et enseignant au Politecnico de Milan et professeur d’Aldo Rossi, Vittorio Gregotti, Giancarlo De Carlo…) et bien d’autres architectes européens participeront, sur invitation du Team X, à ce dixième et dernier congrès du CIAM.

Après Otterlo, début des années soixante A la suite de la dissolution du CIAM, au début des années 1960, les recherches d’une architecture et d’un urbanisme surpassant ceux du modernisme pullulent. C’est l’émergence du postmodernisme qui propulsera plusieurs architectes et/ou théoriciens sur le devant de la scène européenne et Internationale. Parmi les figures les plus citées en Europe on retrouve Henri Lefebvre29, Michel Foucault, Manfredo Tafuri, Aldo Rossi avec son ouvrage L’architecture et la ville etc. Henri Lefebvre est véritablement un des leaders du renouvellement de la pensée et de l’enseignement de l’architecture dans le contexte pré et post-mai 68, reconnu par toutes et tous notamment pour son célèbre ouvrage Le Droit à la Ville30, paru en 1968. Cet ouvrage replace l’usager au centre de la conception urbaine et redéfinit l’espace public comme un bien commun, en total accord, peut-on penser, avec les idées de gauche des courants dans les événements de Mai 1968.

LAVALOU Armelle, « Alison Smithson et Team 10 : Georges Candilis se souvient », In l'Architecture d'Aujourd'hui, n°290, 1993 27

28

PEDRET Annie, www.team10online.org

Dans son ouvrage Les Architectes et Mai 68, Jean-Louis VIOLEAU note même la clairvoyance d’Henri Lefebvre dans son Introduction à la Modernité, (Paris, Ed. Minuit, 1962) identifiant des 1962 cette génération des « Angry young men […] qui expriment des désirs fondamentaux et réinventent la vie même ». Op. Cit. 29

30

LEFEBVRE Henri, Le Droit à la Ville, Paris, Ed. Anthropos, 1968

17


Durant une bonne partie des années 1960 va se former un « front de résistance » à la pratique de l’architecture que l’on juge alors hors de son temps. Les conceptions de l’architecte changent. Il n’est plus un artiste déconnecté des réalités qui l’entourent. Conjointement aux évolutions dans la discipline architecturale, les années 1950 et 1960 marquent aussi une époque de fort développement institutionnel, universitaire et humain des sciences sociales [en France]31. En effet l’après-guerre est l’occasion pour les collectivités de mener nombre d’études sociologiques sur l’organisation du territoire comme en témoigne Edmond Lisle32 : « [tel était] l’état d’esprit du commissariat du Plan : la science est là pour nous aider à imaginer, à concevoir, à conduire le développement et la modernisation de la France. Au-delà du Plan, la haute administration, les hauts fonctionnaires, voyaient dans ces recherches des outils devant permettre à la France de retrouver le chemin du développement économique et industriel, et ainsi de regagner une toute première place dans le monde. Il faut ici citer François Bloch-Lainé, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations durant la décennie 1950, qui a très fortement soutenu les études sur l’aménagement du territoire. C’est ainsi que les années 1950 et 1960 ont été marquées par cet énorme essor des études appliquées pour aider à conduire le développement de la France : recherches sur l’aménagement du territoire, les réseaux des transports, les réseaux des villes, le développement urbain… »

Intellectualisation de l’architecte et désir d’interdisciplinarité En 1968, les changements ont commencé à s’opérer depuis plusieurs années déjà dans l’école des Beaux-Arts qui s’essouffle. Les étudiants et jeunes architectes, « victimes de leur école 33», se sentent séparés du monde intellectuel et ne se reconnaissent plus dans la formation qui leur est prodiguée par les Beaux-Arts. La prise de conscience se généralise et les architectes et urbanistes aspirent à acquérir une position d’intellectuel à même de collaborer avec d’autre champs disciplinaires, comme le voudrait leur pratique. Alors que les sciences humaines (sociologie, anthropologie, économie, philosophie…) vivent un tournant dans leur histoire, on réalise l’apport qu’elles peuvent apporter à l’urbanisme d’abord, puis rapidement à l’architecture. Ce besoin de s’associer à d’autres disciplines, en décalage complet avec l’enseignement des Beaux-Arts dont sont issus la

LISLE Edmond et MARTIN Olivier, « Les sciences sociales en France : développement et turbulences dans les années 1970 », Revue pour l’histoire du CNRS, 2001 31

32

Ibidem.

33

VIOLEAU Jean-Louis, Op. Cit.

18


génération d’architectes concernés, se manifeste de plus en plus fortement, jusqu’à devenir un besoin exprimé dans les écoles des Beaux-Arts. Les pressions de la part des étudiants qui jugent leur formation « hors de son temps », associés à quelques-uns de leurs professeurs conduiront l’école des Beaux-Arts à entamer une réflexion profonde sur la réforme à partir de 1962. En 1967, le directeur du département architecture au sein de l’ENSBA, Max Querrien, organise quatre commissions pluridisciplinaires qui redéfinissent le contenu des études d’architecture en France (1. Sciences Sociales, 2. Architecture et Urbanisme, 3. Sciences et techniques, 4. Formation Plastique), dont la n°1 est d’ailleurs présidée par Henry Lefebvre34. Il est important de noter le lien étroit qui s’opère entre les évolutions de la discipline de l’architecture « pratiquée » et les évolutions de l’enseignement de l’architecture à l’époque. Je trouve d’ailleurs intéressant de s’attarder sur ce lien fort qui s’exerce à l’époque. Des statistiques issues de la Direction des Beaux-Arts au Ministères des Affaires Culturelles nous indiquent qu’en 1964, 75% des élèves de 1ère classe à l’ENSBA travaillent régulièrement en agence d’architecture, de même pour 45% des étudiants de 2ème classe35. Ces chiffres élevés nous renseignent sur la forte proximité qu’il pouvait y avoir entre architectes et étudiants, et donc a fortiori entre enseignement et pratique.

De la rupture des Beaux-Arts aux UPs L’importance des soulèvements populaires de mai 68 en France et à l’international ne doit pas occulter le fait que l’enseignement et la pensée architecturale dominante vivent également leur propre révolution dans la même période, initiés vraisemblablement depuis plusieurs années déjà. La dissolution de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts est la résultante d’une crise beaucoup plus lente, beaucoup plus diffuse. Il faut souligner que contrairement aux réformes attendues dans la plupart des universités en mai 68, la réforme exigée par les contestataires de la section architecture des beaux-arts concerne à la fois la façon d’enseigner et le contenu enseigné. Cette réforme profonde crée naturellement des divisions dans les rangs de l’enseignement en architecture et la divergence de certains enseignements. Sans rentrer dans le fonctionnement intrinsèque des ateliers de BeauxArts, c’est une partie non négligeable des protagonistes eux-mêmes, élèves et enseignants, des ENSBA qui se soulèvent contre leur propre établissement. Le modèle pédagogique, social, communautaire et intellectuel était, pour eux, obsolète. Plusieurs malaises se ressentaient à l’époque dans l’ENSBA. Les exercices de projet étaient apparemment trop sortis du contexte géographique, culturel et climatique. Selon les recherches les plus

MANIAQUE Caroline (dir.), Les années 68 et la formation des architectes, Rouen, Ed. Points de Vues, 2018 34

Questionnaire auquel ont répondu 570 élèves sur 789 inscrits en 2ème classe, et 567 sur 1123 inscrits en 1ère classe, le 17 juin 1964, In VIOLEAU, Jean-Louis, Op. Cit., p.7 35

19


récentes il semblerait que ce défaut faisait déjà l’objet d’une réforme depuis le début des années 196036, avec la « timide réforme » de 1963. Caroline Maniaque cite le décret-cadre de 1962, témoin de volontés de changements dans l’ENSBA émanant de l’intérieur de l’école37, notamment de mieux loger les ateliers du groupe C et de permettre plus de souplesse dans les enseignements. C’est le 29 août, après son arrivée au ministère qu’André Malraux dissout l’ENSBA et le caractère officiel du prix de Rome en France. Le 18 septembre il lance aux architectes l’injonction : « Formez vous en unités pédagogiques et faites des propositions ». Quelques mois de travail sont nécessaires pour réformer de nouvelles écoles avec les acteurs qui participeront à leur fonctionnement futur, puis les Unités Pédagogiques sont officialisées par le décret du 6 décembre 196838. C’est d’abord cinq unités pédagogiques qui remplacent les ateliers parisiens de beaux-arts (concernant les écoles régionales de beaux-arts en province, chaque école devient UP). Puis, en 1969, une partie insatisfaite des étudiants fonde l’UP6, à forte tendance gauchiste, tandis que la scission de l’UP5 forme l’UP7. Ce sont, en 1969, sept unités pédagogiques parisiennes et treize unités pédagogiques en province39 qui totalisent respectivement 2684 et 2173 étudiants40. Il faut noter l’importance de l’UP6 qui ne comptait pas moins de 855 étudiants en 1969, soit 32% des 7 UP parisiennes et 17,6% des 20 UP françaises.

36

MANIAQUE Caroline, ibid., p.10

37

Ibidem.

Dans la réalité, les UP seront de fertiles sujets d’études et de transformation jusqu’à leur conversion en Ecoles d’Architecture (EA) en 1986, et même après, jusqu’à devenir les Ecoles Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA) à partir de 2005. 38

Les unités pédagogiques de province en 1969 étaient : Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse. Créées en 1902, Les Ecoles régionales des Beaux-Arts fonctionnent de façon centralisée par l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, jusqu’en 1968. En 1969 sont créées par décret les Unités Pédagogiques d’Architecture, autonomes dans leur enseignement, qui deviennent en 1984 les Ecoles nationales supérieures d’architecture. 39

40

AMC, n°14, juillet 1969, p.22, cité par VIOLEAU Jean-Louis, Op. Cit., p.11

20


Chapitre 2 - Premières filiations postmodernes européennes Les Unités Pédagogiques, indépendance et filiations Le décret du 6 décembre 1968 Arrive après plusieurs mois de commissions interdisciplinaires dans le but de formaliser les groupes qui se sont formés, par affinités politiques ou disciplinaires, sous forme d’Unités Pédagogiques. Il est important de noter que depuis le début des protestations, se calquer sur le modèle d’enseignement universitaire est une des exigences les plus fièrement défendues. C’est dans cette optique que Malraux décentralise les Unités Pédagogiques, en opposition au système extrêmement centralisé des Beaux-Arts, et leur donne une indépendance pédagogique comparable (voire même supérieure, selon les points de vue) à celle des facultés. C’est un caractère important des nouvelles UP, impliquant qu’un enseignant ou un étudiant qui choisit une UP le fait parce qu’il adhère à des valeurs pédagogiques, théoriques et parfois même politiques, que les autres UP ne portent peut-être pas. Cela différencie les écoles et crée ainsi des réseaux « parallèles » d’enseignants et d’étudiants, dans le sens où un grand réseau Beaux-Arts (divisé en trois groupes A, B et C, voir figure 1) articulant écoles parisiennes et écoles provinciales est remplacé par plusieurs réseaux divisant ces écoles parisiennes et les écoles provinciales qui s’y associent. Il se trouve qu’avant 1968, les groupes portent déjà plus ou moins des singularités politiques, idéologiques, particulièrement au sein du groupe C qui regroupe les mal-logés (dont une grande partie s’installe au Grand Palais après des travaux selon le plan de Pierre Vivien en 196541). Le groupe C rassemble aussi une grande partie des contestataires au système éducatif des Beaux-Arts, parmi lesquels on retrouve les ateliers HUET, CANDILIS, VIVIEN, dirigés par les trois architectes éponymes, acteurs forts de la réforme de 68, et d’autres encore. On trouve notamment parmi ces contestataires, comme parmi l’ensemble des acteurs de Mai 68, une prévalence d’idées de gauche, voire communistes pour certains. Il ne nous est pas nécessaire pour nous de retracer l’opinion politique de chaque enseignant d’atelier, mais plutôt d’en dégager des mouvances « groupales », qui correspondent peut-être à des mouvances que l’on retrouve dans les écoles d’architecture d’aujourd’hui, dans lesquelles

DIENER Amandine, « Du groupe C aux unités pédagogiques : la “réforme expérimentale” de l’enseignement de l’architecture au Grand Palais (1962-1980) », chmcc, publié le 19 novembre 2018, (consulté le 02.12.2018), https://chmcc.hypotheses.org/6570#sdfootnote19sym 41

21


des architectes et enseignants contemporains s’inscrivent peut-être également. Répartition des groupes d’ateliers d’architecture aux Beaux-arts avant 1968 GROUPE A

GROUPE B

GROUPE C

Ateliers «Intérieurs» ENSBA (Paris)

Ateliers «Extérieurs» ENSBA (Paris)

ARRETCHE BAUDOUIN DENGLER GILLET MAROT LEMARSQUIER ZAVARONI

ARSENE BOSSU BOURBONNAY CHAPPEY KALISZ LAMACHE MADELAIN LAHALLE QUENARD REMONDET

Ateliers Mal-logés + contestataires* ENSBA (Paris)

ALBERT CAMELOT CANDILIS & JOSIC FAUGERON NELSON PINGUSSON VIVIEN HUET (collegial)

Ecoles Régionales ENSBA Clermond-Ferrand (GOURGOUILLON)

Ecoles Régionales ENSBA

Ecoles Régionales ENSBA

Lyon (GAGES + PLESSAT) Rennes (MONGE) Strasbourg (SACQUIN)

Bordeaux (FERRET) Grenoble (BENOIT)

Lille (LYS) Nantes (GUILLOU) Rouen (FERAY) Toulouse (VALLE + De NOYERS)

Marseille (DUNOYER + LAJARRIGE)

Montpellier (RICHEMONT) Nancy (FOLLIASSON) Toulouse (TARRIUS)

*Une grande partie des ateliers contestataires était dans le groupe C, mais une petite partie également dans les autres groupes.

Figure 1

Le décret Malraux de décembre 1968 cristallise les affinités qui ont guidé la « redistribution » des acteurs dans les différentes UP. En effet, comme on peut le voir sur la figure 2, certains enseignants d’ateliers des Beaux-Arts fondent eux-mêmes des UP –ce que j’appellerai filiation directe- à l’instar de Louis Arretche fondant l’UP3 à Versailles. D’autres UP se fondent (parfois par scission d’un autre UP comme pour les UP 7, 8 et 9) par filiation indirecte : ce sont soit des anciens élèves jeunes diplômés, soit des architectes proches ou sympathisants de certains ateliers qui composent ces UP, comme pour l’UP2, fondée sans filiations directes.

22


Redistribution des acteurs entre les groupes d’ateliers parisiens des Beaux-Arts et les Unités pédagogiques parisiennes selon le décret du 6.12.1968 GROUPE A

GROUPE B

GROUPE C

ARRETCHE BAUDOUIN DENGLER GILLET MAROT LEMARESQUIER ZAVARONI

ARSENE BOSSU BOURBONNAIS CHAPPEY KALISZ LAMACHE MADELAIN LAHALLE QUENARD REMONDET

ALBERT CAMELOT CANDILIS & JOSIC FAUGERON NELSON PINGUSSON VIVIEN HUET (collegial)

UP1

UP2

KALISZ

UP3

UP4

UP5

UP6

ARRETCHE

DENGLER MAROT LEMARESQUIER ZAVARONI

BOSSU PINGUSSON VIVIEN

LAHALLE

LEGENDE

UP9

UP7

UP8 HUET

Filiation directe (fondé par chef d’atelier)

Scission de l’atelier

Filiation indirecte (par ancien élève du groupe, ou proche de ses ateliers)

Figure 2

L’UP 6 n’est en réalité fondée qu’au début de l’année 1969, par un large groupe d’étudiants insatisfaits des réponses de Malraux à leurs questionnements, qu’ils jugent inadaptées42. Ce millier d’étudiants (contre moins de 2000 étudiants dans les 5 autres UP, moins de 2500 en province) dénonce l’absence de « définition du cadre commun amorçant le processus d’intégration à l’université » révélant selon certains une « manœuvre de division » et de mise en concurrence des Unités Pédagogiques43. Ainsi l’UP6 se crée en janvier 1969 sous l’impulsion de professeurs et rassemble un millier d’élèves contestataires aux idées majoritairement de gauche et d’extrême gauche et communistes pour certains. Les UP8 (communistes) et UP9 sont créées respectivement par scission des UP6 et UP5 dans le courant de l’année 1969. Leur composition enseignante est héritée de leurs UP « mères », ainsi leurs courants de pensée sont également conservés, de façon plus ou moins marquée.

Cf. appel du 10 janvier 1969, in Objectifs des étudiants et enseignants architectes et plasticiens groupés autour de l’appel du 10 janvier 1969, éditions UP6, Paris 1969, pp.88-89 42

43

Ibidem.

23


Par la figure 3 suivante, j’essaie de donner un panorama de l’état actuel des ENSA parisiennes en faisant correspondre deux données (Correspondance ENSA-UP et ancien groupe ENSBA correspondant) et deux échelles (orientation théorique-pédagogique et orientation politique au sens large) pour chaque ENSA concernée. Cette carte n’a pas de valeur quantitative, elle fait seulement la synthèse des paramètres énoncés ci-avant.

Carte mentale de la répartition politique et pédagogique au sein des UP parisiennes devenues ENSA aujourd’hui

SCIENCE APPLIQUÉES / PRATIQUE ARCHITECTURALE

ENSA MARNE-LA-VALLÉE

(UP7)

ENSA PARIS MALAQUAIS

(UP1) ENSA PARIS VAL-DE-SEINE ENSA PARIS BELLEVILLE

(UP4)

(UP8) ENSA VERSAILLES ENSA PARIS LA VILLETTE

(UP3)

(UP6) FORMATION INTELLECTUELLE / APPORT THÉORIQUE PLURIDISCIPLINAIRE UP / ENSA descendante du groupe A de l’ENSBA

UP / ENSA descendante du groupe B de l’ENSBA

UP / ENSA descendante du groupe C de l’ENSBA

*La répartition des UP/ENSA dans ce schéma ne reflete qu’approximativement leurs orientations, ce document n’a pas vocation à le quantifier

Figure 3

Postulat : Il faudrait, pour être sûr des filiations et influences politiques, théoriques et pédagogiques qui s’exercent entre les ENSA de province et les ENSA parisiennes, étudier les orientations de chaque enseignant de chaque école ainsi que leur formation d’origine, savoir quelle en est l’importance et faire un bilan des influences pour chaque école de province. Ce n’est pas l’objet de ce travail et puisque le temps me manque pour mener cette recherche subsidiaire, j’appuierai ma réflexion sur la conjoncture suivante : à moins d’une exception frappante, les ENSA de province ont sans doute dû conserver, avec plus ou moins d’ampleur, les mêmes orientations pédagogiques et politiques qu’à l’époque des

24


UP44. Cela m’amène donc à la conjecture que les filiations qui s’opéraient au sein des groupes A, B et C des Beaux-Arts entre écoles parisiennes et provinciales ont survécu, du moins dans les courants de pensée que l’on peut retrouver en commun dans les groupes. Il faut soulever le fait que les ENSA ne sont sans aucun doute jamais marquées d’un unique courant de pensée propre à l’établissement, mais plutôt que s’y « combattent » plusieurs courants de pensée, parmi lesquels un courant, dominant ou pas, constitue un héritage propre à chaque école. Ainsi chaque école d’architecture parisienne appartient à une constellation d’enseignants aux passés entremêlés et avec un héritage commun. La prédominance de courants de pensée dans une école s’explique également par le format de recrutement qui s’exerçait avant 1993 : les enseignant choisissaient collégialement leurs nouveaux collègues, au sein de chaque établissement, formant ainsi une filiation idéologique et théorique forte. Après 1993, la nomination se fait au niveau national et sur concours, et les nouveaux enseignants, non-choisis par l’école, sont affectés suivant leur classement au concours national (cela change d’ailleurs depuis la réforme de 2018 qui donne davantage de pouvoir aux écoles en faisant passer les candidats par un jury mixte d’enseignants intérieurs et extérieurs à l’école). Il serait très long de faire le tour de toutes les écoles, mais concernant l’UP8 Paris-Belleville, dominée par Henri Ciriani et le groupe UNO, qualifiés de « néo-modernes » par Kenneth Frampton, change au départ de Ciriani qui propose Edith Girard comme héritière. Les autres membres du groupe UNO entrent en conflit et Edith Girard n’accède pas au poste. Ainsi le groupe UNO perd la direction de l’école de Paris-Belleville. Il reste des enseignants héritiers de ce courant, qui n’est cependant plus le courant dominant dans l’école. Le même mécanisme s’applique à l’UP3 Versailles, école tenant de la typo-morphologie que Jean Castex et Philippe Panerai ont tiré du vénitien Saverio Muratori. Quand Nicolas Michelin devient directeur en 2001, il fait disparaître la typo-morphologie des enseignements. Pour autant, Castex garde sa place dans l’école.

Je justifierai cela en supposant qu’un renouvellement relativement lent du personnel favorisant un recrutement « affinitaire » et une large autonomie pédagogique suffisent à catalyser les courants de pensée qui s’exercent dans un établissement. 44

25


Influences et filiations dans le paysage architectural européen

Bernard Huet : De l’italophilie à la filiation franco-italienne Les sources d’influence étrangères sont nombreuses au moment pour les architectes français au moment où un renouveau touche la profession entière à la fin des années 1960. Parmi les multiples influences de ces architectes en quête de renouveau, les ouvrages des italiens Manfredo Taffuri et Aldo Rossi auront un impact très marquant. Malgré cela, il faudra attendre le début des années 1970 pour voir apparaître un gain d’intérêt pour la culture architecturale italienne et plus largement la culture italienne dans son ensemble. Selon Jean-Louis Cohen, les raisons de l’attachement français à l’Italie sont alors multiples45. Dans son chapitre dédié à Bernard Huet et AA, Jean-Louis Cohen explique : « Si l’enseignement est bien le premier terrain sur lequel l’impact des idées italiennes apparaît, celui de la presse sera non moins décisif. Dans sa tentative éphémère pour donner à l’Architecture d’Aujourd’hui le contenu d’une authentique revue d’architecture, en opposition à la politique du catalogue poursuivie avant et après lui, Bernard Huet ne se contentera pas de diffuser une culture italienne morte ou d’attirer l’attention sur des expériences urbaines comme celle de Bologne. C’est avec la participation directe et régulière d’auteurs italiens que l’Architecture d’Aujourd’hui deviendra sous sa direction l’instrument d’une sorte de réintellectuallisation de la culture architecturale46. » En effet, Huet est un personnage clé de la réintellectualisation de la scène architecturale française, et il doit cela pour beaucoup à ses influences Italiennes. Ces influences d’abord personnelles puis rendues publiques, Huet les acquiert lors de ses nombreux passages en Italie à la fin des années 1960, puis les restitue avec une qualité d’édition que Jean-Louis Cohen compare à celle de Casabella Continuità, dans son époque mythique, quinze ans plus tôt. L’un des premiers élèves français de Louis Kahn est également une des figures de proue de sa génération concernant l’instauration de nouveaux modes d’enseignement après 68. Bernard Huet étudie d’abord aux Beaux Arts dans l’atelier Arretche, avant d’intégrer Politecnico di Milano. Enfin il obtient son master d’architecture auprès de Louis Kahn, à Pennsylvanie. L’expérience américaine est fondatrice pour Huet qui s’y rend initialement pour étudier la préfabrication, notamment pour voir les laboratoires Richards construits par

COHEN, Jean-Louis, La coupure entre les architectes et les intellectuels, ou les enseignements de l’Italophilie, Liège, Ed. Mardaga, 2015 45

46

Ibidem.

26


Kahn en 1957 sur le campus de Penn47. En réalité, il y découvre l’histoire de la renaissance italienne et française ainsi que leurs traités, alors rejetés par les Beaux-arts qui souhaitaient du changement. C’est une révélation pour Huet qui va même y dédier un cours à l’apogée de son enseignement, au sein de l’UP8. Ce qu’il retient le plus de Kahn, hormis sa pédagogie dont nous parleront plus tard, c’est le retour qu’il fait à l’architecture antique et renaissante pour en tirer des principes universels de l’architecture et les appliquer au projet. Ainsi son affinité pour l’Italie devient alors inévitable. L’implication de Bernard Huet en Italie durant ses études et après son diplôme en 1964 s’accroit lorsqu’il trouve à Venise48 un terrain de réflexion fertile et développe ainsi l’italophilie qu’il distillera au sein des publications dans l’Architecture d’Aujourd’hui. On reviendra sur le cas des revues françaises qui, très influentes à l’époque, ont non seulement contribué à la diffusion de l’italophilie en France, mais ont très certainement contribué également à la promotion des idées de Louis Kahn de par certains de leurs contenus. C’est notamment par le biais des revues que les acteurs de l’italophilie vont catalyser l’influence de la Tendenza dans le paysage architectural théorique français.

L’Influence théorique Italienne : La Tendenza Le fait que les soulèvements étudiants de mai 68 à Paris soient arrivés simultanément aux évènements italiens n’est pas anodin. Dans les deux sens, l’émulation étudiante autour de ces renversements a inspiré un coté des Alpes puis l’autre. En effet, en Italie, une génération de renouveau émerge dans les années 60 sur la scène architecturale. Ces étudiants et jeunes architectes veulent refonder leur discipline, en opérant une rupture profonde avec le modernisme et les dogmes et les formes des avant-gardes véhiculés par le style international. En même temps, ils souhaitent délibérément rompre avec leurs prédécesseurs architectes qui ont collaboré avec le régime fasciste, voire pour certains adhéré au régime de Mussolini. Paolo Portoghesi, architecte, historien et théoricien du mouvement, écrit alors :

47

Dossier de bourse Harkness de Bernard Huet, In MANIAQUE, Caroline, Op. Cit., p.10

Dans les années 60, l’IUAV de Venezia accueille plusieurs intellectuels français qui y trouvent un contexte propice aux réflexions qu’ils mènent pour refonder l’architecture, la taille de l’université Italienne contrastant avec les petites écoles des Beaux-Arts. 48

COHEN Jean-Louis, « Radical Pedagogies : ENSBA Paris, UP n° 3 Versailles, UP n° 8 ParisBelleville », Princeton University School of Architecture Source : http://radicalpedagogies.com/search-cases/e05-ensba-paris-versailles-belleville

27


« Il y a aujourd'hui des problèmes nouveaux qui ne peuvent être résolus avec le langage appauvri des modernes, ce langage qui est réduit à un système géométrique élémentaire49.» Nombre de théoriciens et d’intellectuels rejoignent la démarche de la Tendenza, qui ouvre un long débat architectural en Italie, en Suisse, en Espagne ou encore aux Etats-Unis, mais ne touchera que très peu la France où elle aura un écho tardif50. Migayrou nous explique également : « Avant de constituer pleinement un mouvement dont le chef de file sera Aldo Rossi, la Tendenza va d'abord se formaliser à travers des écrits publiés par les revues spécialisées, des cours dispensés au sein des écoles d'architecture et des travaux de recherche édités sous forme d'ouvrages. Le débat qui se déroule alors en Italie se déploie en plusieurs lieux, Milan, Rome et Venise, en relation étroite avec les écoles dans lesquelles ces architectes mènent une activité d'enseignant mais aussi de chercheur51. » Alors que l’ouvrage L’Architecture et la Ville52 de Rossi marquent véritablement les esprits, des périodiques comme Casabella-continuità avec une portée européenne sont lues, bien que non traduites, dans beaucoup d’universités et parmi les architectes d’Europe et même aux Etats-Unis. Le magazine Casabella, dirigé par Ernesto Nathan Rogers53, qui interviewe des enseignants architectes de la Tendenza comme Manfredo Tafuri, Aldo Rossi, Bruno Zevi etc. est notamment lu par des personnages comme Bernard Huet, Georges Candilis, Philippe Panerai, Jean Castex, jeunes architectes meneurs du mouvement réformateur français. Notons aussi que Bernard Huet, en tête de file parmi les intellectuels de la réforme de 68 entretient depuis quelques années des rapports étroits avec l’Italie et plus précisément l’IUAVenise, tout comme Castex et Panerai qui étudient alors de près l’instigateur de la typologie urbaine et père spirituel d’Aldo Rossi et Carlo Aynonimo, Saverio Muratori54. Castex et Panerai centrent également leur attention sur Venise dans leur étude

PORTHOGHESI Paolo, l’Architecture d'Aujourd'hui, septembre-octobre 1975, n°181, cité par MYGAYROU Frédéric, La Tendenza. Architectures italiennes 1965-1985, Paris, Ed. Du Centre Pompidou, 2012 49

50

MIGAYROU Frédéric, Op. Cit.

51

Ibidem.

52

ROSSI Aldo, L’architettura della città, Padoue, Marsilio, 1966

Ernesto Rogers était, avec Kahn et Candilis entre autres, participant au dernier congrès du CIAM à Otterlo en 1959, il a ainsi gravité autour du Team X, s’associant aux réflexions du groupe. Source : www.team10online.org 53

CASTEX Jean, « Saverio Muratori (1910-1973), The City as a Model », Cahiers de la recherche urbaine et architecturale, 2014. Source : https://journals.openedition.org/crau/446 54

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qui mène à la parution de Formes Urbaines, De l’îlot à la Barre55, un des livres les plus reconnus de la fin du XXème siècle, liant ainsi l’Italie à la France sur le terrain des grandes évolutions urbaines du XXème siècle56. Cette influence, de l’Italie sur la France et réciproquement, alimente à la fois la crise qui touche l’enseignement, motivée d’abord par les étudiants, et la crise de la transition postmoderniste, motivée par les architectes praticiens et théoriciens.

Les dieux de l’architecture tessinoise et leur descendance Les architectes suisses sont aussi, pour leur part, concernés par la sortie du mouvement moderne qui secoue le CIAM d’Otterlo en 1959. Cependant, après la victoire du Team X la Suisse reste le dernier bastion de quelques architectes ancrés dans la modernité tels que Le Corbusier. Au décès de ce dernier en 1964, on voit la génération émergente se détacher promptement de la charte d’Athènes et fait preuve d’une grande force constructive, notamment dans le Tessin et le nord de l’Italie. La transition « post-modernisme » suisse repose essentiellement sur un architecte tessinois : Mario Botta (1943). Le Tessinois achève ses études par une thèse à Venise, où il rencontre ses maîtres : Le Corbusier (qui travaille sur le projet de l’Ospedali Riuniti), Louis Kahn et Carlo Scarpa57. Si Le Corbusier lui permet de se forger ses premières expériences, Kahn a un impact tout autre sur Mario Botta. Le jeune architecte est marqué par ce qu’il entend de Kahn, décrivant dans un récit presque mystique le jour où il comprit ce qu’enseignait l’américain. Du reste l’influence de Carlo Scarpa, architecte très kahnien et praticien de l’architettura integrale, n’est pas moins importante sur Botta. Durant quelques années après son master, Mario Botta travaille sur le projet du Palazzo dei Congressi au côtés de Kahn comme maquettiste. Il explique, bien plus tard, qu’il a rencontré les « trois dieux de l’architecture » et que, de ce fait, il est « obligé de bien faire »58. A la fin de sa thèse en 1969 (thèse encadrée par Scarpa à l’IUAV). Appréciant la qualité de ses réflexions Louis Kahn lui propose, la même année, de l’accompagner à Dacca pour travailler sur le projet du parlement. Mario Botta refuse, désireux de se lancer dans ses propres expériences, et

55

CASTEX Jean et PANERAI Philippe, Formes Urbaines, de l’îlot à la barre, Paris, Dunod, 1977

COHEN, Jean-Louis, « Bernard Huet, Aldo Rossi, Carlo Aymonino, Manfredo Tafuri, Philippe Panerai, Jean Castex, Philippe Duboy, Georges Teyssot and Françoise Very. ENSBA Paris, UP n° 3 Versailles, UP n° 8 Paris- Belleville. Paris, France. 1965-1981 », Radical pedagogies, Princeton University School of Architecture. (consulté le 01.11.2018), http://radical-pedagogies.com/searchcases/e05-ensba-paris-versailles-belleville/ 56

ALLONI Mario, Mario Botta – vivere l’architettura – conversazione con Marco Alloni, Bellinzone, Ed. Casagrande 2012 57

BOTTA Mario, Mario Botta and his masters, (vidéo) leçon de la série de cours en ligne : Mario Botta, to be an architect, Mendrisio, Ed. Università della Svizzera Italiana, 2015 58

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fonde sa propre agence à Mendrisio, dans le Tessin suisse. Rapidement, il s’associe en idées à la Tendenza et collabore aussi avec plusieurs architectes tessinois tels que Luigi Snozzi (1932), Livio Vacchini (1933-2007), Tita Carloni (1931-2012), Aurelio Galfetti (1936), à l’instar du projet pour l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne sur lequel ils travaillent tous ensemble en 1970. Il est important à ce stade de comprendre que Botta est précoce par rapport à sa génération – il en est conscient et se décrit d’ailleurs lui même comme faisant partie de ces « enfants d’après-guerre » nés dans les années 1940 - et cela se ressent dans son réseau de relations puisqu’il travaille majoritairement avec des collaborateurs qui sont environ de dix ans ses ainés. Accompagné du duo Snozzi-Vacchini, il marque le renouveau du paysage architectural suisse au moyen d’une architecture locale et critique à l’égard du régionalisme59. Teintée à la fois d’influences locales et de sensibilité aux matériaux, à la monumentalité et à la lumière, l’architecture tessinoise gagne rapidement l’intérêt de la presse internationale, y compris la presse architecturale française. Les médias spécialisés et autres critiques s’accordent à reconnaître l’emprunte indéniable de Kahn sur « l’école du Tessin » et sur son héritage à l’instar de Kenneth Frampton, grand critique d’architecture qui participa à ancrer la notoriété de Louis Kahn60. En témoigne fièrement l’Université de la Suisse Italienne, Università della Svizzera Italiana, fondée en 1996 à Lugano, fief de l’architecture tessinoise, dont la section architecture fut d’abord dirigée par Aurelio Galfetti puis Mario Botta jusqu’en 2013 (et actuellement le suisse Marc Collomb). Mise en lumière sur la scène mondiale, cette génération de Tessinois nés dans les années 1940 s’implique également dans l’enseignement, au sein des prestigieuses écoles de Lausanne, Zurich, et Genève. Selon certains, les architectes suisses ont pour qualité d’être particulièrement investis dans l’enseignement parallèlement à leur exercice dans la profession, ce qui pousse l’enseignement à évoluer à un rythme significativement plus élevés que dans les contextes où il est davantage détaché de la pratique61. On peut donc considérer que les écoles suisses, dont les EPF de Lausanne et Zurich ont relativement bien suivi le mouvement initié par les architectes tessinois. C’est ainsi que la génération d’Herzog (1950) et De Meuron (1950) ou encore Patrick Devanthéry (1954) et Inès Lamunière (1954) s’ancre dans ce paysage architectural suisse fertile, dans lequel règne un héritage kahnien prédominant. Forts d’une grande quantité de constructions dans toute l’Europe, notamment en Allemagne après sa réunification en 1989, la deuxième génération post-Kahn s’est faite connaître dans le monde entier. Kenneth Frampton en a témoigné auprès d’Inès Lamunière

ROOS Anna, Sensibilité Suisse, la culture architecturale en Suisse, Bâle, Ed. Birkhäuser, 2017, p.51

59

FRAMPTON, Kenneth, Labour work and architecture : Collected essays on design and architecture, Londres, Ed. Phaidon, 2002

60

LAMUNIÈRE Inès, directrice de l’EPFL en 2008, dans un entretien (fièrement) intitulé « L’architecture suisse brille depuis plus d’un siècle » sur SwissInfo.ch, Genève, 2008

61

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qui cite ses dires en affirmant qu’il « estimait que la Suisse comptait actuellement au moins une soixantaine d'architectes de très grande qualité et de niveau mondial.62 » Pour ne pas limiter mon propos en réaffirmant comme d’autres que, dans le Tessin comme partout dans le monde de l’architecture, il y a eu un avant et un après Kahn, il faut relier l’importante présence de Kahn dans cette région à la diffusion de ses idées parallèlement en France. Et il est vrai que des filiations, à plusieurs moments depuis Le Corbusier, étaient également bien présentes entre le Tessin et la France. Ces filiations ont l’air générationnelles : entre la génération suisse des années 1930 (génération du pendant-Kahn) et celle de France, mais aussi et surtout dans la génération née dans les années 1940 (première génération de l’après Kahn). Les possibles filiations franco-suisses dans la génération née dans les années 1950 (deuxième génération de l’après-Kahn) sont probablement héritées des filiations générationnelles précédentes, mais nous ne n’y attarderons pas.

Existe-t-il une filiation franco-suisse ? Etant moi-même natif de Nancy et ayant fait ma licence en architecture à l’Ecole Nationale Supérieur d’Architecture de Nancy, je connais la puissante filiation qui s’exerçait encore fortement entre le Tessin et Nancy il y a peu. Le bâtiment de l’école lui-même, co-construite par Livio Vacchini et Christian Vincent (enseignant de projet à l’ENSAN) en est le premier témoignage. J’ai pu aussi le constater avec la présence dans les ateliers, courte mais symbolique tout de même, de Mario Botta comme parrain de la promotion 2020 de l’ENSAN. En réalité ces grands architectes tessinois entretiennent des affinités que l’on pourrait aussi juger de générationnelles avec les architectes et enseignants Nancéiens. Parmi ceux-là je cite Christian Devillers (1946), ami proche de Vacchini, et qui a enseigné à Nancy à la fin des années 1980, Christian Vincent (1955) qui a notamment collaboré avec Livio Vacchini, Joseph Abram (1951) impliqué dans les revues AMC, Casabella et bien d’autres ouvrages traitant du XXème siècle63. Cette filiation entre le Tessin et l’école de Nancy n’est pas tout à fait un cas particulier : mes recherches n’ont mis en lumière pour l’instant seul le lien franco-suisse de Jacques Lucan (1947), enseignant à la fois à MarneLa-Vallée et à l’EPFL, et rédacteur en chef d’AMC de 1978 à 1988. Il est peut-être intéressant aussi de chercher en direction de l’école de Paris-Belleville (ex UP8 de Bernard Huet), école d’où vient Christian Devillers. Ces deux ENSA en tant que dernières héritières

62

Ibidem.

63

Il a notamment publié un ouvrage sur le travail de ses contemporains suisses :

ABRAM Joseph, Devanthery & Lamunière, Pathfinders, Bâle, Ed. Birkhäuser, 2005

31


des UP parisiennes du groupe C sont pour moi celles qui semblent avoir un lien avec l’école du Tessin. Du côté de la province, on trouve parmi les UP qui ont appartenu au groupe C les écoles de : Bordeaux, Grenoble, Marseille, Montpellier, Nancy, et Toulouse. Si, grâce à mon point de vue intérieur, j’ai pu dresser quelques filiations entre Nancy et l’école suisse, le faire avec un point de vue extérieur pour les autres ENSA du groupe demanderait pareillement d’étudier les filiations entre enseignants d’une même génération (ceux des années 1940 et ceux des années 1950 surtout) et serait extrêmement fastidieux. Il existe donc bien une filiation entre quelques architectes français et suisse dans les années 70 et 80. Cependant, les filiations directes entre les deux côtés sont peu courantes et se limitent à des collaborations personnelles entre Jacques Lucan ou Christian Devillers et l’EPFL ou l’ETH de Zurich.

Synthèse des filiations Nous trouvons ici un aperçu des principales influences qui se sont exercées entre la France, l’Italie et la Suisse à l’époque où Louis Kahn s’est implanté dans ce même paysage. Les influences en question s’exercent parfois d’un individu sur un groupe, d’un individu sur une école, d’une école sur un groupe, etc. Dans toute cette subtilité il est difficile de connaître l’exactitude des liens qui ont relié tous les acteurs en présence. Pour ne rien faciliter à cette recherche, beaucoup de ces relations sont susceptibles d’avoir changé de statut entre le début des années 70 et la fin des années 80, et il arrive même que les versions divergent d’un côté ou de l’autre. Dans l’objectif de synthétiser un panorama le plus fidèle possible de ces filiations, la figure 4 synthétise, sous forme de carte mentale, les filiations que j’ai pu constater au cours de cette étude. Il est intéressant de noter que les groupes identifiés (par exemple « ex-étudiants de Kahn ») regroupent des personnes quasiment toutes issues d’une même génération, de fait, en âge d’avoir pu suivre cet enseignement. Les principaux architectes de la Tendenza sont nés entre 1930 et 1935, l’ensemble des architectes français acteurs de l’après mai 68 appartiennent à la génération des années 1940, hormis Bernard Huet qui crée un pont entre cette génération et celle de leurs professeurs comme George-Henri Pingusson (1894), Louis Arretche (1905) ou encore George Candilis (1913).

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Carte mentale des filiations s’opérant autour ou avec Louis Kahn dans le paysage architectural franco-italo-suisse dans les années 1970 et 1980 Légende : GROUPE

entretient une filiation avec

ÉCOLE DU TESSIN

ARCHI/ENSEIGNANT (année de naissance) entretient une filiation avec

EX-ETUDIANTS KAHN ECOLE SPECIALE D’ARCHITECTURE PARIS

UP7 TOLBIAC MARNE-LA-VALLÉE

UP8 BELLEVILLE

UP3 VERSAILLES

SNOZZI (32) VACCHINI (33) GALFETTI (36) REICHLIN (41) BOTTA (43)

ÉCOLE.S D’ARCHITECTURE

EMERY (34) GÜLGÖNEN (40) DUFAU (42) FREDET(42) DEVILLERS (46) LUCAN (47)

EPF LAUSANNE EPF ZURICH EAU GENÈVE

LOUIS KAHN (01) PENNSYLVANIA U. UIA VENISE POLITECNICO MILAN

HUET (32)

PANERAI (40) CASTEX (42) COHEN (49)

LA TENDENZA

AYNONIMO (26) ROSSI (31) CANELLA (31) PORTOGHESI (31) SECCHI (34) TAFURI (35) GRASSI (35)

ITALOPHILES POST-TENDENZA

SCOLARI (43) CACCIARI (44) VITALE (45)

Figure 4

Les générations précédant celle des années 1930 ne sont volontairement pas représentées. Du côté français, la majorité des architectes de ces générations sont considérés comme obsolètes après mai-68, à l’exception de ceux qui consentaient à s’extraire du système des Beaux-Arts. Du côté italien, les architectes appartenant aux années 1920, 1910, 1900 et avant sont volontairement mis à l’écart car ils représentent, pour la génération suivante, l’architecture qui collabore avec le fascisme de Benito Mussolini (hormis certaines exceptions bien entendu, mais ce n’est pas l’objet de cette recherche). Du côté suisse, la situation du Tessin est encore très différente. L’école du Tessin vient rompre à la fois avec le modernisme de Le Corbusier, mais aussi avec un régionalisme traditionnel très présent, ce qui pousse Kenneth Frampton à qualifier l’école du Tessin comme porteuse du régionalisme critique. Il y a donc, dans les trois cas, une rupture générationnelle entre les acteurs étudiés et leurs prédécesseurs, prenant son paroxysme dans les événement de mai 68.

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Chapitre 3 - Louis Kahn, l’impact sur une génération Revues spécialisées actrices d’une identification générationnelle Il faut d’abord considérer que la mouvance de gauche (et d’extrême gauche) est considérable à l’époque de la grande réformation de l’enseignement de l’architecture en France et en Italie. Si ce n’était pas déjà le cas, les revues spécialisées, qui datent pour la plupart d’avant 1968, se politisent64. Rapidement, chaque revue prend position et des filiations se créent. Les revues spécialisées sont, pour l’ensemble, dirigées par des architectes très investis dans les réflexions portant sur les sujets qui touchent le paysage architectural de leur époque, et sont généralement connus. Un des architectes les plus connus pour son implication dans les revues italiennes c’est bien sûr Ernesto Nathan Rogers (1909), qui se retrouve à la tête de la revue milanaise Domus en 1946. La même année, la maison d’édition éponyme Editoriale Domus, rachète la revue Casabella, elle aussi milanaise. Rogers quitte Domus en 1947. Au moment des évènements de 68, la revue a pour ambition de montrer le plus de nouveautés possibles, gardant une position relativement neutre jusqu’à l’arrivée d’Alessandro Mendini à sa direction en 1979, qui l’ouvre alors au courant de l’avant-garde. Ernesto Nathan Rogers reprend la revue Casabella Continuità de 1953 à 1965, et contribue par son biais à une impulsion décisive dans le débat architectural italien en critiquant le style international qui manque, à son sens, de considération pour l’environnement préexistant, ce qu’il appelle preesistente ambiantali65. Casabella est la première revue à publier Kahn en Italie, en 1960, lorsque Francesco Tentori publie un article sur l’Ordre et la forme selon Louis Kahn66.

Traditionnellement, les Beaux-Arts se voulaient apolitiques. Avec des slogans tels que : « Pas de politique à l’atelier » ou encore « un édifice ne fait pas de politique », les Beaux-arts se démarquent notamment de l’université qui intègre la politique et les sciences humaines dans ses enseignements. Ce décalage sera d’autant plus souligné par les étudiants et enseignants contestataires de mai 68. Jean-Louis Violeau ajoute que ce front gauchiste apparaît déjà avant 68 dans les rangs du Groupe C des Beaux-Arts, notamment sous l’égide de Candilis à partir de 1960. 64

ROGERS Ernesto Nathan, « La preesistenza ambiantali e i temi contemporanei », Milan, Casabella Continuità, 1955, p.204 65

TENTORI Francesco, « Ordine e forma nell’opera di Louis Kahn », Casabella Continuità, Milan, 1960, p.241, cité par BARIZZA Elisabetta et FALSETTI Marco dans : Rome and the legacy of Louis Kahn, Londres, Ed. Routledge, 2018 66

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Parmi nombre d’autres revues italiennes on peut également citer Controspazio, revue romaine dirigée par Paolo Portoghesi de 1969 à 1985, servant ainsi de support d’expression privilégié pour La Tendenza. Enfin, la revue bilingue annuelle Lotus, fondée en 1963 par Bruno Alfieri, tient une place particulière sur la scène architecturale des années 1970 et 1980. Durant ces années, elle invite, dans son comité éditorial, Robert Venturi, Vittorio Gregotti, Mario Botta, Jacques Lucan, Bernard Huet, ou encore Massimo Scolari et Daniele Vitale, etc.67. Ce comité éclectique explique que, malgré son format annuel ou biannuel, Lotus trouvera toujours une voix dans les débats architecturaux. Du côté français, la revue la plus lue est l’Architecture d’Aujourd’hui, dirigée par Marc Emery de 1964 à 1987 (sauf les trois années de Bernard Huet). Emery est apprenti de Le Corbusier puis élève de Louis Kahn en master à Pennsylvania à l’occasion de quoi il se lie d’amitié avec Denise Scott-Brown et Robert Venturi. Enfin il est à la tête de l’École Spéciale d’Architecture de Paris de 68 à 69. Emery donne de la place aux nouvelles idées dans l’Architecture d’Aujourd’hui, et publie un numéro spécial sur Louis I. Kahn en 196968. Parmi le comité rédactionnel de ce numéro on trouve notamment George Candilis, Jean Dubuisson, Alain Bourbonnais, Robert Le Ricolais (collègue de Kahn à Pennsylvania), ou encore d’autres sommités comme Jean Perrottet, Jean Prouvé, Charlotte Perriand, etc. Puis le magazine devient le cheval de bataille de Bernard Huet en 1974. Assumant le point de vue tranchant d’une « critique partiale, passionnée et politique », Huet annonce la couleur en paraphrasant Baudelaire dans son premier édito en 197469. S’en suivent trois années de « combat » et de « débats vigoureux », pour reprendre les mots d’Huet, à la fin desquelles il est contraint de démissionner en 1977, après avoir livré un numéro très italophile sur Aldo Rossi et Massimo Scolari70. Parallèlement à AA, la revue AMC (Architecture Mouvement Continuité) est créée en 1967 en remplacement du bulletin de La Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement (SADG, ancêtre de la Société Française des Architectes – SFA), puis rachetée par la revue (orientée construction) Le Moniteur en 1983. Durant ses premières années, la revue est dirigée par Alain Sarfati et Philippe Boudon avec l’ambition d’en faire une revue de recherche et de débat, et contribueront également à faire avancer les grands débats qui animent les architectes français au début des années 1970, notamment en posant la

« History, content, scopes » Lotus Bookshop source : http://www.editorialelotus.it/web/about.php 67

68

EMERY Marc, « Louis I. Kahn », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 142, Paris, 1969

HUET Bernard, « Editorial », L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, 1974, cité sur : http://www.larchitecturedaujourdhui.fr/histoire 69

Dans le numéro septembre-octobre 1975, Bernard Huet publie son fameux édito « Requiem pour un ordre », une attaque directe à l’ordre des architectes qui répond en poursuivant AA pour diffamation et contraint Huet à démissionner deux ans plus tard. 70

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question « qu’est ce que faire de l’architecture ?», démarche qui rejoint profondément celle de Louis Kahn71. L’ensemble de ces revues, qui connaissent un gain de lecteurs formidable dès lors qu’elles se lancent dans les débats brûlants de l’après mai 68, sont vraisemblablement dirigées par les architectes meneurs de mouvement de l’époque. Ils jouissent donc d’une influence considérable sur le paysage architectural représenté par leurs lecteurs. Au fil des années, ces revues vont catalyser la formation d’une identité collective autour de la génération des années quarante. Cette génération identitaire par nature montre ainsi, pour la grande majorité, un rejet du style international après 1968 et ouvre progressivement les portes de l’Avant-Garde, du Brutalisme, du régionalisme critique, et plus minoritairement du néo-modernisme. Dans une même démarche de collectifs revendiquant des identités fortes, les suisses de l’école du Tessin donnent dans le régionalisme critique et l’avantgarde, pendant que les italiens de la Tendenza s’orientent vers le formalisme-réalisme décrit par Huet en 1977 dans AA.

Les soixante-huitards de l’architecture et la génération d’après Nous avons pu voir que dans la période de modernité tardive, voire de postmodernité durant laquelle s’est significativement implanté Louis Kahn en Italie, en France et en Suisse, des grands changements s’opéraient dans le paysage architectural. Nous avons également constaté que les acteurs impliqués au cœur de ce changement post-mai 68 appartiennent à la génération des années 1930 (Huet, Snozzi, Vacchini, Rossi, Tafuri etc.), et celle des années 1940 (Lucan, Devillers, Castex, Botta etc.). Il est à ce stade pertinent de dresser un paysage relationnel et générationnel des acteurs qui pourraient appartenir à une filiation kahnienne. Si cela est évident pour Mario Botta ou Jacques Lucan, affirmer une influence kahnienne avec certitude n’est pas simple pour tous les architectes dont les noms apparaissent au fil des publications mentionnées, c’est pour cela qu’illustrer les filiations en carte mentale me semble compléter justement ce propos. Durant les « années 68 », ce sont les aspirations et les frustrations de toute une génération qui s’expriment. Cette génération de baby boomers est déjà très identifiée par les livre d’histoire européens : dans l’immédiat après-guerre, la seconde moitié des années 1940, les naissances se sont multipliées, comme une réponse de vie à la mort omniprésente entre 1939 et 1945. La génération des enfants nés dans ces années a donc pu grandir à l’époque des trente glorieuses, découvrant la société de consommation et de divertissement qui

TEXIER Simon, « AMC 1967-1969, premières années d’une revue » Le Moniteur, Paris, février 2002

71

https://www.lemoniteur.fr/article/amc-1967-1969-premieres-annees-d-une-revue.1136429

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voyait alors le jour. Une qualité de vie supérieure, l’apparition de nouvelles villes, nouveaux logements, de nouveaux faits de société et d’une population nouvelle vont accélérer de grands changements sociologiques, ainsi que l’innovation dans beaucoup de domaines, et enfin un terrain fertile à de nouvelles idées, nouvelles recherches et nouvelles réflexions. C’est dans ce contexte qu’on grandi les soixante-huitards, comme on les appelle en France, ceux qui, insatisfaits des changements trop timides s’offrant à eux à la fin des années 1960 -donc dans leur vingtaine environ- ont décidé de perturber le système universitaire existant pour laisser place à un nouveau, plus à l’image de leur génération. Cette crise qui touche la France entière, puis beaucoup d’autres pays dans le monde, touche le domaine de l’architecture avec une force prodigieuse. Les étudiants d’architecture, ou du moins une bonne partie, se joignent au mouvement et alimentent même la mouvance qui secoue l’université. Concernés pour beaucoup par cette montée identitaire gauchiste, les soixante-huitards forment ainsi une génération forte de son identité et soudée par les événements communément vécus. En s’appuyant sur les comptes rendus d’assemblées générales menées pendant l’été 1968 par les étudiants contestataires, on peut évaluer à un peu plus d’une moitié de l’effectif total le nombre d’élèves parisiens qui ont participé aux mouvements contestataires de mai 68 jusqu’au bout. Jean-Louis Violeau dénombre environ 1200 élèves qui, avec quelques professeurs, ont massivement dépeuplé les cinq UP de Malraux pour former l’UP6 lors d’une rentrée sauvage en janvier 1969. On peut sans doute considérer ce moment comme la dernière grande action de contestation encore liée à mai 68 au sein des ex-beaux-arts ou des nouvelles UP fraichement constituées. Parmi cette génération, biologiquement parlant, d’étudiants soixante-huitards des BeauxArts, se démarque encore davantage le groupe idéologiquement rassemblé que constitue l’UP6. Les UP7 et UP8 viennent un peu plus tard renforcer le groupuscule d’écoles en totale déconnexion avec les Beaux-Arts telles que l’UP6. Comme cela se révèle dans la carte mentale (cf. figure 4), Devillers, Lucan, Fredet, Dufau, Gulgonen, Panerai, Castex et Cohen sont tous nés dans les années quarante. Ils ont donc entre 19 et 28 ans au moment des évènements de mai 68, et commencent leur carrière dans les années soixante-dix, et une telle proximité temporelle ne peut qu’encourager l’émulation collective qui s’exerce alors.

Contamination : Aller étudier à Penn ? Parmi les différents aspects qui peuvent le rendre attrayant, la remarquable pédagogie de Louis Kahn est peut-être l’aspect qui a le plus impacté les chanceux qui ont pu y être confrontés, on appelle même cela « l’expérience Kahn ». Des architectes européens ont décidé de rechercher directement l’apprentissage auprès de Kahn en allant étudier à Pennsylvania. En premier on peut noter que Bernard Huet va étudier à Pennsylvania en

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1963 grâce à la bourse Harkness72, plutôt parce qu’il est intéressé par le travail de Kahn sur la préfabrication. C’est ensuite le cas d’Ahmet Gülgönen qui fait un master d’architecture à Pennsylvania avec Kahn et travaille comme son assistant jusqu’à 196573. On trouve également, parmi les élèves français de Kahn, Olivier Dufau74 et Jacques Fredet qui sont orientés vers ce master par leur enseignant à l’UP8, Bernard Huet75. Enfin Christian Devillers achève son master d’architecture à Penn en 1974 aux côtés de Kahn qui décède accidentellement au mois de mars 1974. Marc Emery obtient lui aussi une bourse pour passer son master d’architecture et d’urbanisme à Pennsylvania, et devient par la suite un consultant de renommée internationale en matière d’urbanisme. Tous les anciens élèves sont d’accord dans leurs témoignages : l’enseignement de Louis Kahn paraît d’abord inaccessible de par sa complexité, comme en témoigne avec humour le suisse Bruno Reichlin à Françoise Arnold dans le documentaire L’hypothèse Aldo Rossi, lorsqu’il explique comment, en 1972, l’EPF Zurich (ETH) en est venue à solliciter Aldo Rossi : « Corbu, il est mort. Kahn, c’est un grand architecte mais on comprend rien de ce qu’il dit. Le seul qui serait intéressant c’est Aldo Rossi. ». Au moment où est tournée cette vidéo, Louis Kahn représente sans doute le plus haut degré d’une sphère théorique difficile à pénétrer. De cette sphère sortirent par la suite des théoriciens de trente ans plus jeunes, tels qu’Aldo Rossi ou Portoghesi qui, n’ayant pas à porter le poids d’une appartenance à une modernité tardive en transition, développaient des discours plus accessibles aux étudiants en architecture76. Pour les plus courageux, qui avec persévérance parviennent à comprendre le sens du discours kahnien, ils expérimentent une « prise de conscience » et acquièrent une « nouvelle vision de l’architecture », basée sur le dépassement du circonstanciel77, comme expliqué dans la première partie de ce mémoire.

72

POMMIER Juliette, Op. Cit.

Fonds documentaires de la Cité de l’architecture et du Patrimoine, (consulté le 09.01.2019), https://archiwebture.citedelarchitecture.fr/fonds/FRAPN02_GULGO

73

74

LAMBERT Guy et THIBAULT Estelle, Op. Cit.

75

POMMIER Juliette, Op. Cit.

SZACKA Léa-Catherine, « Aldo Rossi, Bruno Reichlin, Fabio Reinhart, Eraldo Consolascio, ETH Zurich 1976 », Radical pedagogies, Princeton University School of Architecture. (Consulté le 01.11.2018), http://radical-pedagogies.com/search-cases/e08-eth-zurich/ 76

77

Christian Devillers in POMMIER, Juliette, op. Cit.

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Le choc est bel et bien réel : il y a un avant-Kahn, et un après-Kahn. A l’inverse de l’académisme évoqué par Philippe Panerai78 qui règne en France, l’enseignement de Louis Kahn est, pour les étudiants français, un remède au système « nécrosé » des Beaux-arts. Ils reviennent donc en Europe avec la certitude que l’héritage qu’ils portent sera utile pour renouveler la profession dans leur pays. Les Français qui vont étudier auprès de Louis Kahn à Pennsylvania sortent du lot vis-à-vis de leurs contemporains Milanais, Vénitiens ou Tessinois, parmi lesquels très peu sont allés étudier de l’autre côté de l’Atlantique. Relevons le fait que seuls les premiers français qui partent étudier aux côtés de Kahn reviennent avec une connaissance presque inédite en Europe. Par exemple Bernard Huet et Marc Emery, tous deux nés dans les années trente, reviennent de Pennsylvania respectivement en 1964 et en 1963, alors que les plus jeunes des années quarante n’ont même pas, ou à peine, commencé leurs études d’architecture. Hormis ces deux architectes, la majorité des Français revenant diplômés de Pennsylvania le font à la fin des années soixante, quand Louis Kahn a d’ores et déjà commencé son implantation en Europe par ses visites occasionnelles à Venise et à Zurich, pour des publications ou des conférences. Qu’apportent-ils alors si ce n’est la théorie de Silence and Light que chacun a pu découvrir depuis l’Europe ? Ces étudiants rapportent « l’expérience Kahn », l’expérience de son enseignement tellement différent de celui des Beaux-Arts qu’il est encore inconcevable dans la vieille Europe avant 1968. Et c’est cet apport pédagogique qui, ancré dans ces jeunes architectes français, ressort lorsqu’ils s’investissent dans les très expérimentales Unités Pédagogiques de 1968 à 1970. L’enseignement est ce qui constitue l’héritage le plus marqué de Louis Kahn pour la France, qu’il n’a que très peu visité. Cette étude explore en fin de compte les cheminements humains qui ont mené à la production d’un héritage théorique : Silence & Light a influencé le Team X, la Tendenza, l’école du Tessin, le Team X, et finalement la majorité des acteurs important de la postmodernité et de l’avant-garde, mais aussi d’un héritage pédagogique qui a emprunté un cheminement alternatif, croisant parfois celui de l’héritage théorique. Les ENSA de France sont, dans leur période de reconstruction des années 1970, davantage impactée par la pédagogie que par la théorie, pédagogie à la hauteur des attentes profondes des soixante-huitards de l’architecture, qui propulse la France sur le podium des avancées pédagogiques en architecture pendant quelques années.

78

Terme tel qu’il est employé par Philippe Panerai dans :

PANERAI, Philippe, 50 ans après mai 68, toujours les Beaux-arts en architecture, Paris, presses universitaires de France, 2015

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Conclusion Mon hypothèse de départ selon laquelle la pensée de Louis Kahn s’était d’abord implantée dans le Tessin puis en Italie, avant de s’implanter en France par des filiations kahniennes indirectes, est donc nuancée, affinée et enrichie par d’autres considérations. S’il est vrai que Louis Kahn n’a jamais enseigné ou construit en France, il n’y est pas moins relié par des filiations d’autre nature. Si l’on dresse une chronologie des évènements européens liés à la présence directe de Louis Kahn, on constate qu’il n’apparaît que timidement dans les publications jusqu’au milieu des années soixante. Sa notoriété grandissante à la fin de la décennie l’emmène à Venise, à la fois dans l’enseignement, à la biennale et sur le projet du Palazzo di Congressi en 1968. Armé de ses conceptions nouvelles pour l’Italie, la Tendenza le compte alors parmi ses plus fortes influences. Les contemporains suisses de la Tendenza qui accueillent Louis Kahn veulent aussi leur part, et lui offrent une place à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich, où il donne sa conférence emblématique Silence & Light, en février 1969. Que cela soit du coté du Tessin ou de la Tendenza, son impact prend de l’importance dans la génération des années trente de Luigi Snozzi, Paolo Portoghesi, Livio Vacchini, etc. Les seuls architectes français de cette génération qui entretiennent, avant 1968, une filiation avec Louis Kahn sont Bernard Huet et Marc Emery, qui eux passent leur diplôme à Pennsylvania au début des années soixante. Les principaux acteurs du renouveau architectural français, dans la période étudiée, sont issus des années quarante, génération aussi présente du côté Tessinois mais très peu représentée en Italie. Dans ce contexte compliqué d’après mai 68, Louis Kahn ne prospecte pas réellement vers de nouvelles attaches, déjà accaparé de tous côtés en Europe, aux Etats-Unis et au Bengladesh. Le décès soudain de Louis Isadore Kahn en 1974 fait basculer le fonctionnement des filiations européennes qui gravitent autour de lui. Tout ce qui reste alors de Louis Kahn en Europe, c’est son enseignement. S’il laisse un héritage construit conséquent aux EtatsUnis et en Orient, il ne construit jamais en Europe. Après 1974, les filiations kahniennes se revendiquent exclusivement dans les champs de la théorie et de la pédagogie, revendications catalysées par le contexte politique fracturé des années soixante-dix et quatre-vingt. La réflexion des architectes français contribuant au renouveau de l’enseignement en architecture, notamment au sein des UP6 Paris-la-Villette, UP7 Marnela-Vallée et UP8 Paris-Belleville, est profondément ancrée dans l’enseignement de Louis Kahn, qu’une partie d’entre eux ont expérimenté à Pennsylvania. Ainsi à la fin de la période étudiée, les filiations kahniennes se manifestent dans l’enseignement, là où son héritage demeure le plus fort. La problématique initiale qui était de chercher par qui et par où s’était implanté Louis Kahn dans le paysage culturel architectural en France, a soulevé au fil de nos recherches une problématique plus profonde : quel est l’héritage de Kahn en France ? Les seules filiations

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kahniennes que l’on peut affirmer parmi les architectes français des années quarante (ceux des années cinquante n’ont pu réellement avoir de lien direct avec lui) sont celles qui sont revendiquées, et sont donc des filiations déjà connues. Lors d’un très bref échange que j’ai pu avoir avec Christian Devillers (malheureusement trop court pour alimenter réellement cette réflexion), celui-ci s’est offusqué d’être systématiquement rattaché à Louis Kahn, soidisant parce qu’il a étudié à Pennsylvania : « On m’a fait Kahn, uniquement parce que j’étais un de ses élèves à Penn. J’ai fait mon parcours seul, en collaborant avec des architectes influencés par Louis Kahn comme Vacchini ou Lucan mais c’est faux de dire que je le suis. ». Et moi de répondre que cela m’étonnait au vu de ses premières œuvres qui semblaient étonnamment kahniennes. Après quoi il me répond qu’il a davantage appris de l’enseignement de Kahn que de son architecture, puis coupe court à la conversation. Je ne le savais pas mais il répondait par là à une question que je ne m’étais pas encore posé. L’héritage de Louis Isadore Kahn en France se trouve donc bien dans les Ecoles Nationales Supérieures d’Architecture, et ses héritiers sont enseignants. Au vu de ce qui m’a questionné en tout premier (on enseigne beaucoup plus Louis Kahn à l’ENSAN qu’a l’ENSAL, pourquoi ?), rechercher le cheminement de la pensée kahnienne en France nécessitait d’abord d’affirmer que l’héritage théorique de Louis Kahn se trouve dans les écoles d’architecture et leur enseignement, certaines plus que d’autres. Cette recherche a permis de recomposer un tissu complexe de filiations non seulement françaises mais aussi avec les pays limitrophes. Ce panorama des acteurs principaux d’une époque donnée est utile pour comprendre l’hétérogénéité de l’implantation de Kahn dans les écoles françaises. Il est maintenant possible de constater que l’UP3 Versailles, pas plus conservatrice pour autant, s’est orientée en direction de l’Italie, objet d’étude de ses enseignants tels que Panerai et Castex. A contrario, l’UP8 de Bernard Huet, pourtant italophile lui aussi, peut revendiquer une filiation kahnienne forte dans son enseignement. Pour donner davantage de pertinence à cette étude, il faudrait élargir la population française étudiée, qui se limite ici globalement aux UP Parisiennes, aux UP de province. Comme nous l’avons effleuré avec le cas de l’UP Nancy et l’école du Tessin, les écoles de province entretiennent des filiations individuelles avec d’autres acteurs, parfois internationaux. Force est de constater que les filiations internationales peuvent donner accès à des savoirs et des savoir-faire auxquels on n’aurait pas eu accès sans ces filiations. C’est sans doute la réponse à mon questionnement initial : l’ENSA de Lyon n’a pas eu de telle filiation avec le Tessin de Vacchini ou Botta (tout comme Nancy n’a pas eu de filiation avec le lyonnais Tony Garnier par exemple), ce qui l’a en quelque sorte privé d’une filiation kahnienne dans les personnes de Livio Vacchini, Mario Botta, etc. Il est nécessaire de redonner le contexte : jusqu’à 1993, chaque école choisit ses nouveaux enseignants, les filiations se conservent donc fermement et on peut le constater sur toute la période étudiée. Cela multiplie la quantité de travail mais je pense qu’il serait très pertinent d’intégrer toutes les écoles de province à ce grand panorama de filiations. Cela induirait de les représenter avec d’avantage de précision, car il y a certainement des filiations personnelles, familiales, amicales qui échappent aux recherches effectuées dans cette étude.

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La récente réforme de 2018 qui touche le statut des enseignants en architecture et les modalités de leur embauche crée une nouvelle situation intéressante. Comme évoqué avant, le choix de l’enseignant admis dans une école offrant un poste, depuis 1993, indépendante de la volonté même de l’école. Le concours centralisé était le passage obligatoire de l’enseignant qui devait se classer le mieux possible nationalement, si souhaitait accéder à la mutation espérée. La récente attribue le choix final à une commission composée à la fois d’enseignant extérieurs à l’école et d’enseignants issus de l’école accueillante. Cette formule n’ouvre pas pour autant la voie au népotisme, mais redonne aux école un peu de contrôle sur les admissions. On voit d’ici arriver des dérives possibles à un système où des membres d’une école peuvent s’opposer catégoriquement à l’admission d’un confrère qui pense différemment. Maintenant que nous sommes dans une situation dans laquelle on pourrait retrouver une logique de conservation des idées dominantes dans une école, caractéristique des UP des années 1970 et 1980, peut-on prédire la tendance que vont suivre nos ENSA en comparaison à leur évolution telle que cette étude la décrit ? Pour aller plus loin, une tendance allant vers l’épuration idéologique des écoles, due au nouveau format d’embauche, inscrite dans un contexte actuel de bouleversements politiques forts peut-elle initier le retour d’idéologies politiques dans les écoles et ainsi diviser ou rassembler les ENSA entre elles comme ce fut déjà le cas ? Nos villes ont elles besoin d’écoles d’architecture avec un engagement politique supérieur à celui d’aujourd’hui ? je pense pour ma part que chacun doit défendre avec vigueur les idées qui l’animent tant que sa conscience les approuve, sans quoi il perd sa passion, essentielle à la pratique de l’architecture, et ce qui fait son identité.

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Iconographie Figure 1 : Répartition des groupes d'ateliers d’architecture aux Beaux-Arts avant 1968, 2019, production personnelle Figure 2 : Redistribution des acteurs entre les groupes d’atelier parisiens des Beaux-Arts et les unités pédagogiques parisiennes selon le décret du 6.12.1968, 2019, production personnelle Figure 3 : Carte mentale des la répartition politique et pédagogique au sein des UPs parisiennes, devenues ENSA aujourd’hui, 2019, production personnelle Figure 4 : Carte mentale des filiations s'opérant autour ou avec Louis Kahn dans le paysage franco-italo-suisse dans les années 1970 et 1980, 2019, production personnelle

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Table des matières Introduction ...................................................................................................................................... 4 Préambule - Louis Isadore Kahn : une théorie et une pédagogie ................................................... 8

Les deux carrières de Louis Kahn .................................................................................... 8 Une jeunesse discrète ................................................................................................. 8 Mise en lumière ........................................................................................................... 8 Kahn, pilier théorique d’une génération .......................................................................... 10 Le chaînon idéologique qui manquait au postmodernisme ......................................... 10 Ambassadeur d’une nouvelle pédagogie ................................................................... 12 Chapitre 1 - Contexte européen, la convergence des crises ......................................................... 15

Introduction au contexte ............................................................................................ 15 La France avant la rupture, la convergence des crises ................................................... 15 Convergence des crises sociale, de l’architecture et de l’enseignement .................... 15 Rupture interne du mouvement moderne, fin des années cinquante .............................. 16 Otterlo et Team X, fin du congrès international des architectes modernes.................. 16 Après Otterlo, début des années soixante ................................................................. 17 Intellectualisation de l’architecte et désir d’interdisciplinarité....................................... 18 De la rupture des Beaux-Arts aux UPs........................................................................... 19 Chapitre 2 - Premières filiations post-modernes européennes .................................................... 21

Les Unités Pédagogiques, indépendance et filiations ..................................................... 21 Le décret du 6 décembre 1968 ................................................................................. 21 Influences et filiations dans le paysage architectural européen ....................................... 26 Bernard Huet : De l’italophilie à la filiation franco-italienne .......................................... 26 L’Influence théorique Italienne : La Tendenza ............................................................. 27 Les dieux de l’architecture tessinoise et leur descendance ........................................ 29 Existe-t-il une filiation franco-suisse ? ......................................................................... 31 Synthèse des filiations ............................................................................................... 32

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Chapitre 3 - Louis Kahn, l’impact sur une génération .................................................................... 34

Revues spécialisées actrices d’une identification générationnelle ............................... 34 Les soixante-huitards de l’architecture et la génération d’après ................................. 36 Contamination : Aller étudier à Penn ? ....................................................................... 37 Conclusion ....................................................................................................................................... 40 Bibliographie ................................................................................................................................... 43 Iconographie ................................................................................................................................... 47 Remerciements ............................................................................................................................... 49

Remerciements Je souhaite avant tout remercier ma directrice d’étude pour ce mémoire, Denyse Rodriguez-Tome, qui s’est investie pour m’aider à produire un mémoire de qualité. Je remercie également mon critiqueur professionnel et colocataire qu’est Antoine Roche de m’avoir aidé à affiner certaines réflexions. Enfin je remercie ma famille qui a patiemment réussi à m’arracher de mon ordinateur pendant les fêtes de fin d’année

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