La protection des sources m1 journalisme

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Novembre

La protection des sources journalistiques Travail de recherche collectif -­‐ Master 1 Journalisme Dans le cadre du cours de Droit de la communication et des médias – M. Benoit D’Aiguillon.

E c o l e d e J o u r n a l i s m e e t d e C o m m u n i c a t i o n d e M a r s e i l l e

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Introduction Définitions des termes Le journaliste La profession du journaliste s’est formée petit à petit grâce à plusieurs mesures, à plusieurs lois. Celui-ci se définit principalement par son statut de journaliste professionnel et par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. Des règles de déontologie sont adoptées par ailleurs afin d’éliminer les possibles conflits d’intérêts et d’encadrer les dérapages d’une activité qui touche de très près la vie privée des individus. Le dictionnaire Larousse définit le journalisme comme « l’ensemble des activités se rapportant à la rédaction d’un journal ou à tout autre organe de presse écrite ou audiovisuelle (collecte, sélection, mise en forme de l’information) »1. Source et sources La source est l’origine d’une information, dont elle fonde la validité. Ainsi, se renseigner sur la source, c’est s’intéresser à la nature, au lieu originel de discours d’une information. Cela permet, entre autres, de mettre en évidence sa véracité et sa pertinence. Le terme de source utilisé au singulier est à distinguer de l’emploi qui en est fait au pluriel, comme dans cette définition : « Les sources d’information peuvent être internes ou externes à l’organisme : ce peut être des individus (sources orales), des organismes ou encore la production documentaire émanant de ceux-ci ou des services d’information… De nombreuses sources d’information font l’objet de répertoires »2. Les sources renvoient donc aux organismes, aux acteurs, aux lieux, aux sites, aux documents… utilisés et consultés. Mais elles ne donnent que les éléments permettant l’identification et l’accès aux informations recueillies. Alors que la source permet d’identifier le type d’information produit et, au-delà, d’apporter des éléments de jugement sur la qualité de l’information proposée. Par conséquent, les sources sont multiples dans le journalisme. Elles sont plus ou moins crédibles : les sources doivent souvent être vérifiées. On peut distinguer différents 1 2

http://www.larousse.fr Serge Cacaly, Yves François Le Coadic, Dictionnaire de l’information, Armand Colin, 2008, page 222

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ensembles de sources : les agences de presse, les « communicants », la documentation (papier ou Internet), le réseau spécifique ou personnel, et les sources officielles. – Les agences de presse sont des entreprises qui rassemblent des journalistes. Elles « recueillent, trient, traitent, stockent, transmettent et diffusent l’information » à des journaux abonnés. Une agence est une organisation qui vend aux médias de l’information sous plusieurs formes : photo, textes (dépêches), vidéos… Les grandes agences internationales telles que l’Agence France Presse (A.F.P.) sont capables de couvrir l’événement où qu’il se produise. Leurs correspondants et leur réseau font qu’elles ont accès à toutes les informations. Les journalistes peuvent être une « source » pour d’autres journalistes, ou au moins pour les journaux. – Les « communicants », ou, professionnels de la communication sont souvent des chargés de relations presse ou attachés de presse qui souhaitent voir apparître dans la presse des informations qu’ils transmettent sous la forme de communiqués, d’invitations, ou de dossiers de presse. Ils peuvent représenter des institutions, des entreprises, des associations, voire des particuliers. Le rôle du journaliste est d’analyser ces demandes, de les sélectionner selon leur intérêt, puis de vérifier l’exactitude des faits. – La documentation est utilisée par les journalistes pour vérifier un fait, un chiffre, ou un nom. Les grands journaux disposent de documentalistes professionnels qui travaillent auprès des rédacteurs. Les journalistes chargés d’un secteur spécifique ont souvent une documentation personnelle papier. Cela dit, avec la montée de l’Internet, cet outil est de plus en plus utilisé par les journalistes comme par les documentalistes. Cela nécessite une certaine rigueur afin de bien sélectionner les informations – nombreuses – qui s’y trouvent. – Le réseau spécifique, ou personnel. Échanges téléphoniques avec des personnes proches de l’événement, recours à des sources susceptibles d’avoir un autre point de vue, confirmation d’un point précis grâce à un expert : le travail d’enquête du journaliste dépend beaucoup de la qualité de ses sources, de son réseau personnel, de la confiance qu’il a su instaurer avec ses interlocuteurs (carnet d’adresse du journaliste). – Les sources officielles émanent du gouvernement ou de l’administration.

Le Journaliste embarqué Depuis la Première Guerre mondiale, des journalistes ont intégré les forces armées afin d’être au plus près du conflit. Ils portent un uniforme, distinct de celui des soldats, et partagent le quotidien des troupes. La pratique s’est généralisée lors du second conflit mondial, notamment du côté américain. Au début des années quatre-vingt dix et des différentes guerres du Golfe, l’intégration des journalistes au sein de l’Armée est devenue de plus en plus courante. Cette intégration leur permet un accès direct au conflit tout en bénéficiant d’une protection. L’emploi du terme « embarqué » qui vient de l’anglais embedded, littéralement « qui partage le lit », s’est généralisé après la guerre d’Irak de 2003 pour qualifier tous les « journalistes intégrés sur la base d’un accord contractuel, à une unité combattante en

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opération »3. Les autres journalistes présents sur place lors de ce conflit été appelés les « unilatéraux ». Le droit international humanitaire distingue deux catégories de journalistes lors de conflits armés : le correspondant de guerre, qui est accrédité par l’armée et par un média, et le journaliste dit « indépendant » qui se rend sur place en tant que personne civile. Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux considère que « Les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des personnes civiles. » (art. 79). Les correspondants de guerre, munis d’un casque, d’un uniforme et d’un gilet pare-balles, bénéficient également du statut de « prisonniers de guerre » en cas de capture par l’ennemi. L’envoi massif lors de la guerre d’Irak de ces journalistes embedded, et plus récemment l’envoi de 400 journalistes « embarqués » coté armée française lors de l’opération Serval au Mali, ont soulevé de nombreuses interrogations, notamment en ce qui concerne la qualité de l’information rapportée. En outre, la question de la liberté d’expression est cruciale : on peut se demander ici dans quelle mesure l’armée et donc l’Etat contrôle l’information relayée.

Le journalisme infiltré Le journalisme infiltré s’attache à révéler des vérités cachées en s’infiltrant au sein de différents lieux comme les entreprises, organismes, partis politiques de façon plus ou moins clandestine, au nom du devoir d’information. Nellie Bly est peut-être la première journaliste à pratiquer l’infiltration en 1887. Elle se fait passer pour folle, afin d’enquêter sur les conditions de détention de l’asile psychiatrique pour femmes de Blackwell Island. C’est le stunt journalism, stunt pouvant se traduire par « coup monté ». Dans les années 30, Albert Londres enquête également au sein des hôpitaux psychiatriques (Chez les fous). Plus proche de nous, l’allemand Günter Wallraff se grime en Turc et raconte son expérience dans Tête de Turc. En France, Florence Aubenas se fait engager comme intérimaire de ménage chargée de nettoyer les ferries transmanche (Le Quai de Ouistreham, 2009). La télévision s’y met en 2008 avec Les Infiltrés présenté par David Pujadas sur France 2, puis sur TF1 avec Harry Roselmack en immersion en 2009. Le journalisme infiltré soulève un débat éthique qui met en cause la déontologie du journaliste. Le problème soulevé est la légitimité du journaliste qui espionne à son insu sa source sans l’en informer, ce qui l’amène à trahir celui qui lui a fait confiance. En agissant ainsi, le journaliste risque de perdre sa crédibilité. Il risque également de confondre son rôle avec celui du policier en dénonçant les personnes sur qui il enquête. Cependant, si le journaliste décide de mener une enquête par infiltration, c’est dans le but de contourner les murs de la communication des entreprises par exemple afin de révéler au public la vérité et de revendiquer ainsi le libre accès à toutes les sources d’information.

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Commission générale de terminologie et de néologie – Vocabulaire de la communication – http://www.education.gouv.fr

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Les fondements juridiques du droit à la protection des sources Textes Européens et jurisprudences de la Cour Européenne Des Droits de l’Homme En tant que membre de l’Union Européenne, la France est signataire de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droit de l’Homme et des Libertés Fondamentales (C.E.D.H.). Cette signature l’engage non seulement à respecter les principes énoncés par la Convention, mais également à se conformer aux arrêts de la Cour Européenne Des Droits de l’Homme (la Cour), qui veille au respect du texte. En théorie, la France réserve une valeur supra législative aux dispositions de la C.E.D.H. L’article 55 de la Constitution qui pose le principe suivant : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » La Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose, dans son article 10, que : 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Il apparaît clairement à la lecture de l’article, que la Convention ne consacre pas un droit absolu et sans limite à la protection des sources journalistiques. Elle vise principalement la liberté d’expression, et cherche à établir un compromis entre la liberté de la presse d’une part, et le maintien de l’ordre public d’autre part. C’est cette recherche de compromis, laissant aux pays signataires une certaine liberté dans l’interprétation du texte, qui a conduit la Cour à se prononcer à plusieurs reprises. Les arrêts rendus ont alors permis aux gouvernements européens de saisir plus précisément la position de la Juridiction et d’adapter le cas échéant leur textes nationaux. Les trois principaux arrêts rendus par la Cour qui ont conduit le législateur français à adapter la loi nationale sont les suivants : – CEDH, Goodwin contre Royaume-Uni, 27 mars 1996 Après des révélations faites sur la santé financière d’une entreprise, le journaliste économique Britannique William Goodwin est condamné en première instance et en appel pour avoir refusé de révéler le nom de son informateur à la justice. L’entreprise faisait valoir que le document utilisé avait été volé et que la divulgation de ces informations mettait en péril l’avenir des 400 salariés de l’entreprise. C’est après avoir utilisé toutes les voies de recours que Goodwin introduit en 1990 une requête auprès de la C.E.D.H., en dénonçant le non respect de l’article 10 de la Convention. La Comission se positionne en sa faveur et renvoie l’affaire devant la C.E.D.H. La position de la Cour est sans appel : elle condamne à l’unanimité la justice britannique, dont elle considère que celle-ci a violé l’article 10 de la Convention.

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Deux débats naissent autour de ce cas : - les exceptions prévues au deuxième paragraphe de l’article 10 étaient-elles incluses dans la loi interne ? - l'immixtion de la justice poursuivait-elle ou non un but légitime ? Si la Cour considère que le motif d’ingérence était légitime et prévu par la loi britannique, elle condamne le Royaume Unis en affirmant : […] La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse, comme cela ressort des lois et codes déontologiques en vigueur dans nombre d'Etats contractants et comme l'affirment en outre plusieurs instruments internationaux sur les libertés […]. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de " chien de garde " et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie. Eu égard à l'importance que revêt la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique et à l'effet négatif sur l'exercice de cette liberté que risque de produire une ordonnance de divulgation, pareille mesure ne saurait se concilier avec l'article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d'intérêt public. [...] En l'occurrence, la Cour ne juge pas que les intérêts de Tetra [...] sont suffisants, même cumulés. [...] En résumé, la Cour estime que l'ordonnance de divulgation ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé. Les restrictions que l'ordonnance de divulgation a fait peser sur la liberté d'expression du journaliste qu'est le requérant ne peuvent donc passer pour nécessaires dans une société démocratique, au sens du paragraphe 2 de l'article 10, afin de défendre les droits de la société Tetra en vertu de la législation anglaise, même en tenant compte de la marge d'appréciation laissée aux autorités nationale.

– Arrêt Roemen contre Luxembourg du 25 février 2003. Le journaliste luxembourgeois Robert Roemen rapportait la condamnation d’un ministre à 100 000 francs luxembourgeois d’amende pour fraude fiscale. Il avait obtenu cette information grâce à un document interne provenant du service administratif concerné. Le condamné introduit une plainte au pénal, afin d’obtenir les noms du ou des fonctionnaires impliqués dans la fuite. Des perquisitions au domicile du journaliste et sur son lieu de travail furent ordonnées par le juge. Après l'épuisement de toutes les voies de recours nationales, le journaliste introduisirent une requête devant la C.E.D.H. Sur le même fondement que le jugement rendu par l’arrêt Godwin, la Cour a conclu que les perquisitions en cause devait être considérée comme une violation de l'article 10 de la C.E.D.H. La Cour a effectivement conclu que « eu égard à l'importance que revêt la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique et à l'effet paralysant qu'une ordonnance de divulgation des sources est susceptible de produire sur l'exercice de cette liberté, pareille mesure ne saurait se concilier avec l'article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d'intérêt public. » La Cour souligne ici l’absence de démonstration par les autorités luxembourgeoises de la balance des intérêts en présence, à savoir la liberté de la presse et l’ordre public : les motifs invoqués par les autorités luxembourgeoises ne sauraient être considérés comme suffisants pour justifier les perquisitions effectuées au domicile et sur le lieu de travail du journaliste.

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– Ernst contre Belgique, du 15 juillet 2003. Dans le cadre de poursuites à l’encontre de plusieurs membres des forces de l’ordre pour violation du secret professionnel dues à des fuites dans des affaires criminelles, des perquisitions on été effectuées dans les locaux de des journaux de quatre journalistes, à leur domicile et au siège de la société de radiodiffusion publique francophone R.T.B.F. La Cour de Cassation avait jugé irrecevable la plainte déposée par eux. Confirmant les deux arrêts précédemment cités, La Cour Européenne a conclu que les perquisitions et saisies étaient constitutives d'une violation de la protection des sources journalistiques, garantie par le droit à la liberté d'expression et le droit au respect de la vie privée. Bien que l’immixtion des autorités judiciaires belges était prévue par la loi et qu'elle visait à empêcher la divulgation d'informations confidentielles et sensibles, la Cour a estimé que les perquisitions et les saisies, destinées à identifier les membres des forces de police ou de l'appareil judiciaire responsables des fuites, ne justifiaient pas d’un motif suffisamment légitime pour violer la protection des sources journalistiques. La Cour a conclu que les autorités belges n'avaient pas démontré que les perquisitions et saisies effectuées à une si grande échelle étaient raisonnablement proportionnées aux buts légitimes poursuivis et a, en conséquence, conclu à la violation de l'article 10 de la Convention. Face à ces interprétations de la Cour, le législateur français a cherché à adapter la loi nationale. Droit français et déontologie journalistique La loi du 29 juillet 1881 définit les libertés et responsabilités de la presse française. Elle est inspirée de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui dit que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Cette loi est considérée comme fondatrice et pilier de la liberté de la presse et de la liberté d'expression. Elle nécessite cependant des clarifications et des ajustements. En 2013, elle va faire à nouveau l'objet d'une réforme. Elle a tout de même été modifiée avant. La loi du 4 janvier 1993, dite loi Vauzelle, a introduit un alinéa 2 à l'article 109 du code de procédure pénale, qui dispose que « Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne as en révéler l'origine.» Mais il faut attendre 2010 pour qu’une réforme un peu plus conséquente du secret des sources soit entamée, pour adapter la législation nationale à la jurisprudence européenne. – Loi Dati de 2010 En 2008, Rachida Dati, alors ministre de la Justice, entreprend de palier le manque de rigueur de la législation concernant la protection du secret des sources du journalistes. Suivant l'avis du Conseil d’État elle étend la notion de journaliste. Contrairement à la définition inscrite dans l'article L7111-3 du code du travail, il n'est plus nécessaire que l'activité journalistique soit le revenu principal du journaliste. Ainsi tous ceux qui peuvent se prévaloir du secret des sources rentre dans ces trois critères : - tout professionnel qui recueille et diffuse de l'information au public, - quel que soit le médium pour lequel il travaille (presse écrite, orale ou par internet,

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agence de presse), - qui exerce régulièrement cette profession et qui est rémunéré pour cela. Désormais les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers bénéficient du secret des sources. L'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 devient : « Est considéré comme journaliste [...] toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public. » La justice ne pourra plus rechercher l’origine d’une information et ainsi porter atteinte au secret de ses sources « directement ou indirectement » que « lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. » De plus, les journalistes entendus par la justice comme témoins pourront refuser de révéler leurs sources d’information non plus seulement devant le juge d’instruction mais aussi devant le Tribunal correctionnel et la Cour d’Assises. Les journalistes bénéficient dans ce cadre de garanties nouvelles pour les perquisitions dont ils pourraient faire l’objet : les perquisitions visant des journalistes, que ce soit dans les locaux des entreprises de presse, à leur domicile ou dans un véhicule professionnel, ne pourront avoir lieu qu’en présence d’un magistrat, le journaliste pouvant ainsi s’opposer à la saisie de documents permettant d’identifier ses informateurs et faire trancher cette contestation par le juge des libertés et de la détention. Parmi les nombreuses critiques adressées à la loi du 4 janvier 2010, l’une d’entre elle portait sur l’absence de sanctions pénales en cas de violation du secret. Actuellement, la seule conséquence de la violation du secret des sources est la nullité des actes accomplis en violation des prescriptions légales, et donc des éléments obtenus grâce à celle-ci. – Des nouvelles réformes pour la loi du 29 juillet 1881 en 2013 La Garde des Sceaux actuelle, Christiane Taubira, lance à son tour une réforme de la protection des sources pour les journalistes. Elle a saisi la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (C.N.C.D.H.) d'une demande d'avis le 21 novembre 2012. L'assemblée plénière lui a répondu que son projet de loi, a contrario de la loi de 2010, définit la notion d'atteinte au secret des sources. L'article le présente comme « le fait de chercher à découvrir ses sources au moyen d’investigations portant sur sa personne ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ». La C.N.C.D.H. recommande aussi que la loi du 29 juillet 1881 soit modifiée pour indiquer que « Le journaliste peut détenir, dans l’exercice de sa mission d’information du public des documents provenant du délit de violation du secret de l’enquête, de l’instruction ou de tout autre secret professionnel, sans que cette détention puisse donner lieu à des poursuites pour recel. » Christiane Taubira, soutenue par la C.N.C.D.H., veut aussi modifier l'alinéa 3 de l'article de la loi de 1881 qui stipule qu'il peut être porté atteinte au secret des sources « que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. » Cette définition étant jugée comme trop vague, Christiane Taubira a préféré une autre formule dans son projet de loi : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que pour prévenir ou réprimer la commission soit d'un crime, soit d'un délit constituant une atteinte grave à la personne, et à deux conditions "cumulatives" : que les informations revêtent "une importance cruciale" et qu'elles ne puissent "être obtenues d'aucune autre manière". »

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Les sources doivent être protégées lorsqu’il s’agit de sources « humaines ». Cela fait partie de la déontologie du journalisme et de la liberté de la presse. Elle garantit la nondivulgation de l'identité des personnes qui acceptent de lui parler bénévolement, lorsque ces personnes l'exigent. Droit et devoir à la fois, la déontologie donne aux journalistes professionnels le devoir de prendre toutes les précautions pour protéger leurs sources. Contrepartie de ce devoir, le droit de ne mentionner dans l'article aucun détail qui entraînerait un risque d'identification de la source. La protection des sources journalistiques est recommandée dans le droit et dans l’obligation du journaliste de refuser, même face aux autorités juridiques de révéler ses sources, c’est à dire identifier la source de ses informations et de ses données qu’il souhaite divulguer ou qu’il a déjà divulgué au public.

Le journaliste doit s’accommoder de ce flou juridique et la protection systématique de ses sources est souvent sa meilleure arme. Il arrive pourtant que la levée du secret des sources soit inévitable. Se posent alors plusieurs questions quand à l’indépendance du journaliste vis à vis du pouvoir. Si la protection du secret des sources est une limite pour la profession en France, les juridictions étrangères comme celle de la Belgique sont souvent vues comme des exemples à suivre.

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I. Etat des lieux : entre nature des sources et la nécessité de leur protection Pour faire leur travail de recherche d’informations, les journalistes disposent d’une multitude de sources capables de les renseigner sur un sujet donné. La compréhension de leur étendue est essentielle. Elles permettent au journaliste de faire son métier, l’enjeu étant, pour lui, de ne délivrer dans son produit journalistique (article, reportage…) que des informations vraies et vérifiables. Pour s’assurer de la véracité de ses informations, le journaliste a le devoir déontologique de croiser les sources à sa disposition. Il est également de sa responsabilité de s’assurer de leur protection si celles-ci désirent garder l’anonymat.

Quelles sources pour le journaliste ? Pour s’informer sur un sujet donné, le journaliste dispose de sources de natures diverses et variées. On peut les classer dans deux catégories : sources officielles ou officieuses. La déclaration des droits des journalistes de 1971 explique dans son article 1er que le journaliste dispose d’un « libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. »1 En France, puisque dans cette partie-ci de l’exposé nous ne sortirons pas des frontières, les sources dites « officielles » sont donc abondantes. Parler des sources sans évoquer les agences de presse serait une absurdité, à l’heure où règne le débat du copier-coller des dépêches dont sont accusés certains journaux. Ces agences sont des grossistes de l’information qu’elles vendent aux journaux sous forme de dépêches, celles-ci relatant les faits avec autant de rigueur qu’il leur en est possible. On en compte trois principales : Reuters, Associated Press et Agence France Presse. Les journalistes d’agence deviennent ainsi une « source » pour d’autres journalistes. De la même façon, les journalistes peuvent également se baser sur les travaux de leurs confrères. Annoncée par le journal Rolling Stone, la nouvelle de la mort du chanteur Lou Reed a, par exemple, rapidement été reprise et relayée par les autres médias. Autre moyen de se renseigner : la documentation. Pour vérifier des données (chiffre, nom etc), le journaliste a recours aux textes de loi, ouvrages (historiques, littéraires…), règlements… Dans ce domaine, internet est venu révolutionner la donne. Véritable vivier

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d’informations, il donne accès à tout type de documentations. Enfin, les plus évidentes des sources officielles restent les sources institutionnelles. Qu’il s’agisse de l’État (y compris les services qui en dépendent), d’organismes privés, entreprises, O.N.G… Tous détiennent un certain nombre d’informations qu’ils mettent en libre circulation par divers procédés : déclarations de représentants, communiqués, documents libres d’accès. Entrés dans une ère de communication de masse, les organismes livrent volontiers les informations qui les concernent ou qu’elles détiennent. Nombre d’entre eux possèdent ainsi de personnels dont le métier est précisément de promouvoir leur communication. En 2009, ils étaient ainsi plus de 40 000 attachés de presse en France. Un nombre largement supérieur à celui des journalistes œuvrant dans le pays. Les informations qu’ils diffusent sont souvent utiles pour la presse, mais ne sont jamais neutres et répondent généralement à une stratégie de communication (valoriser un produit, une politique, son image…). Comme l’explique Eric Neveu dans son ouvrage, ces sources sont aujourd’hui devenues fondamentalement actives. On retiendra l’image notamment dressée « des journalistes submergés d’un déluge d’information par les sources. »2 Il s’agit donc pour le journaliste de faire le tri mais aussi d’aller fouiller ailleurs, de prendre distance envers ses sources et de porter un regard critique sur les messages de cellesci. Il doit être capable de croiser ses sources, de contourner la parole officielle mesurée. D’autant plus que dans de nombreux milieux (professionnels ou autres), la liberté d’expression est contrôlée. C’est le cas, par exemple, des fonctionnaires. En cause, les limites du secret professionnel et l’obligation de réserve. De mêmes règes peuvent être établies à l’échelle des entreprises. Dans ce cas, la capacité du journaliste à croiser ses sources est altérée. Il a alors recours à des sources dites officieuses. Dans ce domaine, l’émergence du web et des réseaux sociaux ont considérablement aidé le journaliste dans la constitution de son carnet de contacts. Élus, salariés, patrons... Ici, c’est la parole des particuliers qui est mise en avant, ce qui peut donner la diffusion de « off », des mots prononcés hors caméras ou dans l’idée que le journaliste ne les retiendra pas pour son article. Certains médias, le Petit Journal sur Canal + en tête, en ont fait leur spécialité. Autre moyen plus extrême : le recours à l’infiltration. Il s’agit ici de s’intégrer dans le milieu sous une fausse identité pur recueillir la parole non filtrée. En principe, la caméra et le micro caché sont tous deux interdits3, la relation presse-source devant, en théorie, rester explicite. Il y a toutefois des exceptions dans le cas où l’information recherchée n’est pas accessible par d’autres moyens. Le procédé peut être autorisé par le rédacteur en chef. Dans le cas particulier de l’infiltration, le sens éthique du journaliste doit plus que jamais être éveillé. Les images ou informations diffusées qui sont collectées d’une telle manière peuvent en effet porter atteinte à la vie professionnelle ou à l’intimité d’une source. D’où l’importance de protéger l’identité de celle-ci4, via l’utilisation de pseudonymes par exemple. Par ailleurs, les sources ne sont pas non plus acquises au journaliste. Et dans le cas des sources officieuses, le carnet de contacts se fonde essentiellement sur la confiance. Dans les faits, un journaliste n’a donc aucun intérêt à révéler ses sources anonymes.

Protection pour danger (protection de la source comme du journaliste lui-même) La protection des sources est une garantie de la liberté de la presse, mais elle est surtout fondamentale pour la sécurité du reporter et de son informateur. Si un journaliste peut

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placer son devoir de transmission de la vérité avant tout, on ne peut lui demander de risquer tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, sans qu’il n’ait une quelconque forme de protection juridique, comme une soupape en cas d’atteinte à son intégrité morale ou physique. De même la source du journaliste, par moment, risque son emploi et surtout sa sécurité pour transmettre l’information. Or, quand pour les besoins d’une instruction judiciaire, qu’elle soit nationale ou internationale, les enquêteurs et les magistrats ont besoin de connaître tous les détails, l’enjeu de la protection des sources devient très important. Ainsi, il n’est pas rare que des journalistes soient menacés afin qu’ils révèlent leurs sources pour les besoins d’un procès. Mais aussi parfois, notamment dans des pays autoritaires, à des fins de répression. Les informateurs prennent alors des risques importants en se livrant aux journalistes, et leur vie dépend de la capacité de ces reporters à garder leur identité secrète. En 2008, Reporters sans frontières annonçait dans un rapport sur la liberté de la presse dans le monde que « Depuis deux ans, la France détient le record européen en nombre d’interventions policières ou judiciaires liées au secret des sources, avec cinq perquisitions, deux mises en examen et quatre convocations de journalistes. » Les accusations pour recel de secret de l'instruction ou de secret professionnel se multiplient. Les journalistes estiment par conséquent que leur profession est mise en danger, puisque les informateurs ne voudront pas leur livrer d'informations s'ils risquent sans cesse d'être poursuivi en justice. C'est pourquoi la loi protégeant le secret des sources a été modifiée, sous Nicolas Sarkozy, puis sous François Hollande. Cependant, les procès ne se sont pas arrêtés pour autant. Par exemple, une information judiciaire a été ouverte ce mois-ci par le parquet de Lille, après la diffusion par M6 et TF1 d'images de l'évasion du braqueur Redoine Faïd de la prison de Sequedin. Le secret de l'enquête et de l'instruction n'a pas été respecté car les images proviennent des bandes de vidéo surveillance tournées le jour de l'évasion, qui auraient dû rester confidentielles. Le syndicat Force ouvrière du centre pénitencier de Lille a exigé dans un communiqué que « l'administration pénitentiaire intervienne auprès du parquet de Lille afin d'obtenir des explications sur l'obtention des images par les journalistes de M6 […] alors que l'instruction est toujours en cours. » Le secret des sources serait alors à nouveau bafoué. Mais celui-ci est parfois trahi par les médias eux-mêmes. Une importante polémique s’est ainsi déclenchée après la diffusion sur internet en 2011 des câbles diplomatiques des États-Unis par Wikileaks. Les noms et coordonnées de sources travaillant pour des ambassades américaines dans des pays dictatoriaux ou des zones de guerre sont ainsi devenus accessibles sur la toile. L'action diplomatique américaine a été perturbée et les informateurs ont été mis en danger. Les câbles diplomatiques peuvent « être utilisés pour intimider des militants dans certains pays autoritaires », avait notamment souligné Philip J Crowley, ancien responsable du Département d'État américain. Wikileaks a connu plusieurs autres affaires de ce type. Il se défend en arguant le droit à l’information pour tous les citoyens. Mais pour certains, ceci ne justifie en rien la mise en danger des informateurs. Ces sources ne sont pas les seules à prendre des risques. Dans certains pays, le droit à l'expression et à l'information n'existe pas. En République Démocratique du Congo par exemple, le gouvernement de Joseph Kabila a empêché la couverture de certains évènements par la presse et emprisonné plusieurs reporters, selon le Comité pour la protection des journalistes. C'est pourquoi les médias ont parfois recours à la technique du journaliste infiltré, qui leur permet de ne pas se faire repérer et donc de se protéger. Ils peuvent également pratiquer le journalisme embarqué. C'est souvent le cas au Mali, notamment entre Gao et Kidal, où les reporters risquent d'être enlevés par des groupes armés s'ils ne sont pas protégés. « Il y a de tout dans ce grand territoire désertique dont on ne voit pas le bout : des

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bandits, des mouvements armés djihadistes, Al-Qaida au Maghreb islamique. « Si tu pars seul, tu es sûr d'être kidnappé ou volé », témoigne au journal Le Monde Omar Ouahmane, grand reporter chez France Culture. Les journalistes s'y rendent donc avec la Minusma, la Mission des Nations unies au Mali, ou bien avec la force française Serval. Mais ils ne sont alors pas complètement libres et peuvent rencontrer des difficultés pour effectuer leur reportage. Des associations se sont donc créées pour défendre les droits des journalistes et ceux de leurs sources. Le Comité pour la protection des journalistes (C.P.J.), fondé en 1981 et basé aux États-Unis, lutte pour préserver la liberté d’expression et dénoncer ceux qui la bafouent. À ses côtés, de nombreux organismes combattent les entraves à la liberté de la presse. La plupart sont regroupés au sein de L'International Freedom of Expression Exchange (IFEX), qui regroupe 71 organisations non gouvernementales. Toutes rêvent qu’un jour les journalistes puissent exercer leur métier librement partout dans le monde, sans aucun danger ni pour eux ni pour ceux qui leur procurent les informations.

Risques pour le journaliste La protection des sources expose les journalistes à des risques s’ils choisissent de protéger leurs sources à tout prix. Les journalistes, une fois leurs enquêtes parues, peuvent être questionnés par la police pour les faire avouer. En 1975, Myron Faber, un journaliste du New York Times refusant de donner ses sources à la police, fut condamné et envoyé en prison pendant quarante jours. Il refusait de livrer à la Justice ses notes confidentielles concernant un médecin qui assassinait ses patients. Son insoumission était alors considérée par la Presse comme un geste courageux. C’est un cas parmi d’autres, pour illustrer les risques pris par les journalistes : c’est au nom de la liberté de la presse que le journaliste décide de ne pas coopérer avec la justice ou avec les forces de police. La protection des sources est aussi un moyen pour le journaliste de protéger son intégrité, envers les témoins qui lui ont accordé leur confiance et qui pourraient se retrouver en mauvaise posture s'ils étaient identifiés comme l’origine de la fuite. Le journaliste s’expose donc à des risques élevés pour protéger ses témoins. Ces risques peuvent aller jusqu’à la torture. C’est ce que raconte le grand reporter spécialiste du monde arabe, Rabha Attaf, qui a vécu ce supplice. Alors en reportage en Algérie, sa terre natale, elle a été enfermée durant 10 jours dans une caserne militaire d’Alger au moment des émeutes de 1988. Les tortures physique et psychologique avait pour unique but de l'obliger à révéler ses sources. En guise de traitement : des interrogatoires répétitifs et des décharges électriques afin de l’empêcher de dormir et d’exercer une pression sur elle. Rabha Attaf n'a jamais cédé. Elle s’est servie de sa détention pour être au plus près du régime en dialoguant avec des soldats. Son credo : « Affronter sa peur pour la dépasser et ainsi continuer à travailler. » Elle avoue que depuis cette mésaventure elle n’a plus peur de rien. Elle va partout là où la plupart des journalistes n’ose pas aller. Néanmoins dans certains pays, le refus du journaliste de révéler ses sources peut être fatal. C'est le cas de la Syrie et la Libye, où Rabha Attaf en tant que journaliste française, est estampillée « espionne ». Elle ne peut donc pas exercer son métier librement sans être menacée de mort. Ainsi, les journalistes en viennent à chercher l’information par d’autres moyens, si leurs recherches sont entravées. Ils agissent donc en tant que journalistes infiltrés et vont au devant du danger. Les dangers pour eux sont multiples. En tant que journalistes infiltrés, ils

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falsifient leur identité et sortent du cadre légal de leur métier. L’exemple du journaliste français Jean-Baptiste Malet en atteste. Ce jeune journaliste est devenu intérim chez Amazon en 2010 pour les fêtes de Noël. Son infiltration se justifie, car les employés de l’entreprise ont pour interdiction de divulguer des informations sur leur travail et conditions de travail aux journalistes en temps normal. Lorsqu’un journaliste s’infiltre dans ce type de structure, c’est pour mener une enquête sur une information manquante et cachée, et à ce titre, tous les moyens sont bons. Au cours de sa mission, JeanBaptiste Malet révèle des conditions de travail dégradées. Il constate un rythme de travail infernal dans l’équipe de nuit dont il fait partie en tant que « packeur » (celui qui constitue les commandes). La semaine commence le dimanche soir. Il travaille de 21h30 jusqu’à 4h50 pendant cinq nuits consécutives par semaine jusqu’à mi-novembre. Ensuite, jusqu’à Noël le rythme s’intensifie encore, avec six nuits de travail consécutives. On arrive à un total de quarante-deux heures de travail par semaine. Les employés sont soumis à des règles strictes et stressantes avec des contrôles de sécurisés aléatoires. Les travailleurs peuvent passer au « screening » de temps en temps et se faire fouiller, comme si il s’agissait de simples voleurs. La difficulté du travail s’explique aussi par les objectifs de productivités fixés chaque nuit. Le journaliste décrit le stress d’un manager de l’usine, Patrick : « Les gestes vifs, il est comme tous les managers, extrêmement stressé par son travail. » Le journaliste dans son analyse du fonctionnement de l’usine, se compare même à un objet Amazon : « Le code barre de mon badge signale ma réalité physique. » Dans ce récit, Jean-Baptiste Malet considère sa mission comme celle d’un enquêteur : il déjoue les règles pour faire un reportage exclusif sur une réalité dissimulée. On pourrait considérer le journalisme infiltré comme de l’espionnage dans les cas extrêmes car le journaliste décrit avec détail et précision tout le fonctionnement de l’usine. Le journalisme infiltré est-il néanmoins en accord avec la pratique de la profession? Selon l’article 4 de la Charte des journalistes : « [Le journaliste] ne [doit] pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents. » L'’article 9 renforce ce principe en insistant sur le fait qu’il ne faut « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou de propagandiste ». Titulaire de la carte de presse depuis plus de vingt cinq ans, le grand reporter Rabha Attaf refuse la pratique du journalisme infiltré par choix de sincérité avec ses sources. L’important pour elle c’est de ne pas tricher avec les gens, de leur dire qui elle est dès le départ, ça permet d’être à l’écoute et d’instaurer un rapport de confiance. Pendant son mois en immersion chez les frères musulmans en Egypte, elle assure n'avoir eu aucun mal à trouver des sources: « Les gens sont plus libres de parler. Ils savent à qui ils parlent. Ils n’auront aucune surprise à la publication de mes infos.» Il est important d’après elle « d’être dans un rapport d’échange et non pas de prédatrice. L’immersion c’est d’être en situation mais en vrai. Le statut du journaliste c’est de séparer le privé du public et de ne pas mentir. » Au nom de la déontologie du journalisme, Rabha Attaf ne pratique pas « la politique de la terre brûlée ». Ne pas trahir les gens qui l'ont aidés est fondamental pour elle dans ce métier. Elle n'abandonne jamais ses sources dès qu'un reportage est diffusé. Elle regrette que certains journalistes dès qu’ils quittent le terrain ne protègent plus leurs sources quitte à les mettre en danger. Ce fut le cas pour un de ses collègues à Libération, qui en raison d’une information qu’il a préféré taire, a mis fin sans le savoir à la vie d’un manifestant égyptien. C'est pourquoi Rabha Attaf insiste sur le fait que « Les gens se mettent en danger en parlant aux journalistes, c’est un cas de conscience que le journaliste devrait faire. »

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II. La nécessaire levée du secret des sources

D'un point purement juridique, le projet de loi porté par Taubira relatif à la protection du secret des sources autorise une levée pour prévenir ou réprimer un crime ou un délit « constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ». C'est là que se trouve le problème. L'indication est assez floue car elle ouvre la porte à toutes les interprétations abusives. Reporters sans frontières est en faveur d'une levée en cas de danger d'atteinte à l’intégrité physique (à l'image de la loi belge de 2005). La révélation des sources condamne les journalistes (délit de recel) en cas de publication qui ne relève pas de « l’intérêt général ». Or, un journaliste étudie un document dès la seconde où on lui transmet. Il ne peut donc pas évaluer son intérêt avant son enquête. Par exemple, il y a le cas Fabrice Lhomme, condamné pour recel d'atteinte à l'intimité de la vie privée dans le cadre de son enquête pour Mediapart sur l'affaire Bettencourt. Depuis plusieurs années maintenant, nombreuses ont été les émissions de télévision tournées en caméra cachées (les infiltrés, autres émissions qui ont fait le succès de chaînes de télévision (style « «sans aucun doute »). Certaines ont le souci de protéger leurs source, et le doivent, (client insatisfait, ou personnes arnaquées, victimes de harcèlements en tous genres,...)car les sources, si elles sont mis en lumière, risquent des représailles même si au vu de la loi, elles ne sont pas condamnables. D'autres en revanche, se doivent de les dévoiler, non pas sur la place publique, mais soit aux autorités ou bien à une entité ou institution capable de sanctionner les individus et/ou entités concernées (parti politique acceptant des négationnistes et autres néonazis, ou bien délinquants sexuels donnant des informations sur un réseau entier et se croyant à l'abri d'une sanction a leur encontre, patrons voyous évoquant les paradis fiscaux qui sont ensuite épinglés par le fisc). Il est également important de souligner, et c'est même la qu'il prend toute son importance, que le floutage est un maillon essentiel de la protection des sources. Il permet d’éviter le lynchage de ces personnalités la. Le cas des infiltrés 4. Dénonciations de pédophiles faisant partie d'un réseau. Dilemme : dénoncer au risque de déchirer le lien de confiance tissé avec la population (image du journalisme ternie et donc difficulté de faire du journalisme d'investigation portant sur des délits car les concernés ont peur d’être a leur tour dénoncés. Le journaliste doit il etre un auxiliaire de police ? D'un autre côté : Dénonciation relève de l’intérêt général. Danger d'atteinte à l’intégrité physique d'un mineur. A quoi servent les chartes de déontologie si on peut les piétiner quand bon nous semble ? 4

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Charte de 1918 : « Le journaliste s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d'user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque »

La particularité du secret défense. C’est une loi d’avril 1886 qui a établi la protection juridique de tous documents intéressant la défense du territoire et la sureté de l’État. L’expression « secret défense » elle, est apparue pour la première fois dans la loi avec le décret du 29 juillet 1931. La législation du « secret de la défense nationale » est définie dans le Code de la Défense dont la dernière version en date est celle du 27 septembre 2013. Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. Peuvent faire l’objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale.

Il existe 3 niveaux de classification en France : - Confidentiel défense - Secret-défense - Très secret-défense Les cas de violation du secret-défense sont rares dans la presse. Premièrement un respect certain existe envers les niveaux 2 et 3 de classification du fait notamment des sanctions pénales qu’encourent les contrevenants (les journalistes ayant accès à l’information et l’entreprise qui publie l’information). Le Code Pénal prévoit en ses articles 413-10 à 413-12 des peines de 5 à 7 années d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d’amende pour violation des règles organisant le secret de la défense nationale. Deuxièmement une habilitation est nécessaire pour avoir accès à de telles informations comme le précise l’article R2311-7 du Code de la défense. Ainsi l’accès est alors limité à certaines personnes qui doivent être « habilitées» en invoquant «le besoin de connaître » l’information. Les personnes habilitées ne peuvent communiquer sur cette information classifiée qu’avec d’autres personnes également habilitées. Elles ne pourront communiquer à des tiers, que dans la mesure où l’information aura été préalablement déclassifiée. Une information classifiée ne peut être déclassifiée que par l’autorité qui a procédé à sa classification. Enfin plus évident encore, vu la sensibilité des informations classifiées de niveau 2 et 3, il est improbable d’y être confronté en tant que journaliste.

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Pour ce qui est du niveau 1, confidentiel défense, plusieurs cas marquants existent. Récemment, on peut citer le cas de Pierre Alonso et Andréa Fradin, tous deux journalistes pour le site Owni.fr, convoqués au siège de la DCRI en avril 2013 dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le 12 septembre 2012, les deux journalistes ont publié un article qui s’intéressait à la PNIJ, la nouvelle plateforme d’interceptions judiciaires de la police. À cet article un document confidentiel-défense de trente-quatre pages était joint. Comme l’explique Pierre Alonso lors de l’émission « Le secret des sources » du 04/05/2013 sur France Culture2, la décision a été prise de choisir «l’intérêt général» plutôt que le respect de la classification dans ce cas précis. Un autre cas notable est celui du journaliste Guillaume Dasquié. En 2007, il a été mis en examen après avoir reproduit dans Le Monde des notes confidentielles de la DGSE concernant le 11-Septembre. Il révélait ainsi que les services de renseignements français étaient alertés avant les attentats de l’éventualité d’un détournement d’avion aux Etats-Unis. Lors de son interpellation, le journaliste était en possession de près de 300 pages de rapports classés niveau 1, provenant de la DGSE. Il était clair qu’une de ses sources se trouvait au sein du service de renseignement. Après cette perquisition, une garde à vue prolongée dans les locaux de la DST et une menace d’incarcération, Guillaume Dasquié a donné le nom d’une de ses sources. Un agent de la DGSE dont le nom n’a pas été dévoilé a été interpellé. Le journaliste explique lors d’une interview sur France 53, avoir subi un chantage lors de son audition, son droit à se taire4 ainsi bafoué.

Le cas des fadettes Une fadette est le relevé des appels téléphoniques transmis par les opérateurs de téléphonie mobile. Elle doit être distinguée de l'écoute téléphonique : la fadette permet d'identifier les interlocuteurs, mais ne livre rien sur le contenu des conversations. Elle se compose d’une liste d’appels ou SMS émis et reçus depuis un téléphone mobile. Elle mentionne les numéros, dates, heures et durée de communication. Tout particulier disposant d’un téléphone portable peut recevoir ces relevés sur simple demande auprès de son opérateur. Celui-ci s'en sert pour établir sa facture. La fadette est très utile en matière de renseignement, de police ou de justice, puisqu’elle permet de savoir précisément qui téléphone à qui, quand et pendant combien de temps.

Exemples d’affaires: 18-19 juillet 2010 - Le Monde révèle le contenu des déclarations à la police de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, qui y met en difficulté Éric Woerth, ministre du Budget. Le Monde expliquera plus tard que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a adressé ensuite des réquisitions classées "confidentiel" à l'opérateur Orange. La première réquisition réclame les factures détaillées liées au portable du journaliste du Monde Gérard Davet, entre le 12 et le 16 juillet 2010. La seconde réquisition concerne la liste des appels passés par David Sénat, conseiller pénal de la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, soupçonné d'être la "source" du Monde. 26 juillet - David Sénat est informé par sa hiérarchie que les services secrets ont la certitude qu'il a communiqué au Monde des pièces de procédure dans l'affaire Bettencourt, selon son récit dans le livre paru en août 2011 Sarko m'a tuer. Il est déchargé de ses fonctions. 1er septembre - Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, ouvre une enquête préliminaire pour violation du secret de

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l'enquête dans l'affaire Bettencourt après d'autres révélations du Monde sur une perquisition en cours chez Liliane Bettencourt.13 septembre - Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Péchenard, déclare que la DCRI a vérifié un renseignement sur des fuites dans la presse sur l'affaire Bettencourt et saisi le parquet le 2 septembre. 11 janvier 2011 - Le parquet de Paris classe sans suite la plainte du Monde concernant le volet de Maistre, déposé le 20 septembre. Le Monde dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. 24 février - Le Monde porte plainte de nouveau avec constitution de partie civile pour violation du secret des sources après l'article sur la perquisition chez Liliane Bettencourt, après une premiére plainte le 3 novembre dernier. 13 mai - Une information judiciaire est ouverte pour "atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions". Elle est confiée à la juge Sylvia Zimmermann. 1er septembre - Le Monde révèle que la juge Zimmermann a la preuve que la DCRI a effectué une recherche des facturations détaillées d'appels téléphoniques de Gérard Davet en juillet 2010 et de David Sénat. 9 septembre - Frédéric Péchenard confirme avoir demandé "d'identifier" la source d'un journaliste du Monde dans l'affaire Bettencourt. 28 septembre - Philippe Courroye est convoqué par la juge Zimmermann en vue de sa mise en examen pour avoir ordonné l'analyse des relevés téléphoniques pour identifier les sources du Monde. Le 6 décembre 2011, Philippe Courroye a bien violé le secret des sources en exigeant les "fadettes" des journalistes pour la cour de cassation. 25 Juin 2013 La Cour de cassation a rejeté la demande de maintien de la mise en examen de l'ancien procureur de Nanterre, Philippe Courroye, et de son adjointe, Marie-Christine Daubigney. "Le Monde" maintient sa plainte contre l'ancien procureur de Nanterre, accusé d'avoir violé la loi sur le secret des sources. 02 juillet 2012 La juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez a été entendue à Bordeaux par le juge Philippe Darphin, qui instruit un dossier de violation du secret professionnel visant la magistrate. Le dossier fait suite à une plainte de la milliardaire Liliane Bettencourtqui, irritée qu'une perquisition menée le 1er septembre 2010 à son domicile à la demande de Mme Prévost-Desprez ait été relatée en détail dans le numéro du Monde publié en début d'après-midi le même jour. Devant juger le photographe François-Marie Banier pour abus de faiblesse, la juge s'était autochargée de mener un supplément d'information. La plainte stipulait que l'article décrivait la perquisition "comme si ses auteurs y avaient assisté" et rapportait que l'un des deux journalistes avait précédemment co-écrit un livre avec Mme Prévost-Desprez. 03 juillet 2012 Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, devant le Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre de la plainte du quotidien Le Monde qui lui reproche une "faute disciplinaire" dans l'affaire dite des "fadettes", ont indiqué des sources concordantes. 1er sept 2012: Le Monde révèle que la juge Zimmermann a la preuve que la DCRI a effectué une recherche des facturations détaillées d'appels téléphoniques de Gérard Davet et de David Sénat. 9 sept: M. Péchenard assume avoir demandé «d'identifier» la source d'un journaliste du Monde dans l'affaire Bettencourt. Entendu par la juge, il ne sera pas mis en examen. 14 décembre 2012 : Deux des trois motifs de mise en examen de Bernard Squarcini, ont été annulés par la cour d'appel de Paris. Il reste poursuivi pour avoir fait analyser les relevés téléphoniques d'un journaliste du Monde: il n'y a désormais plus d'obstacle pour renvoyer ce proche de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel. Il n'a fait que collecter les fadettes sans examiner le contenu des conversations, pas d'atteinte au secret des correspondances, et, faute pour Orange, l'opérateur téléphonique, d'être poursuivi pour violation du secret professionnel, il n'y avait pas de recel à reprocher à Squarcini, évincé en mai de la DCRI et désormais sans affectation. 17 septembre 2013 Bernard Squarcini sera jugé le 18 février 2014. Il a reconnu avoir cherché la source du journaliste. Mais s'en est justifié en affirmant avoir agi dans un cadre totalement légal et prévu par la loi de 1991 sur le secret des correspondances, en particulier de son article 20 qui autorise leur contrôle aux "fins de défense des intérêts nationaux". Mais les

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juges d'instruction Sylvia Zimmermann et Alain Nguyen-The ont estimé que l'article 20 "ne permet en aucun cas de recueillir des données individualisables, visant des personnes déterminées". 24 septembre 2012 Isabelle Prévost-Desprez, la présidente de la 15e chambre correctionnelle de Nanterre devant le tribunal de Bordeaux pour "violation du secret professionnel. L'IGS a ainsi établi que la magistrate avait été en contact avec dix-huit journalistes, de l'AFP, du Monde, de Libération, du Parisien, de Paris-Match, L'Express, Mediapart, Elle, Europe 1, TF1,… Il a fallu identifier les numéros. On ignore si l'IGS a été plus loin et a analysé les autres numéros appelés ou reçus par les journalistes. Isabelle Prévost-Desprez a indiqué qu'elle avait en effet été en contact avec de nombreux journalistes et qu'elle était soumise à des sollicitations incessantes. Elle a maintenu ne pas avoir évoqué l'affaire avec eux. Le juge ne l'a manifestement pas cru". Etonnant paradoxe : l'instruction a ensuite conduit à identifier les numéros de dix-huit journalistes et à explorer à son insu la correspondance de Christophe Régnard, le président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) L'affaire Courroye Philippe Courroye, l'ex-procureur de Nanterre, a été mis en examen le 17 janvier 2012, ainsi que Marie-Christine Daubigney, son adjointe, pour avoir analysé les fadettes de trois journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué, Gérard Davet et Jacques Follorou. La cour d'appel de Bordeaux a annulé l'enquête illégale, décision confirmée par la Cour de cassation le 6 décembre 2011. Mais la cour d'appel de Paris a estimé, le 22 mars 2012, que Le Monde n'aurait pas dû porter plainte avant la décision définitive de la Cour de cassation et a annulé leur mise en examen, décision confirmée par la Cour de cassation le 25 juin. Il ne reste dans le dossier que la plainte initiale du quotidien, que les juges vont devoir instruire à nouveau, mais Philippe Courroye ayant été dans l'intervalle nommé avocat général à Paris, un dépaysement du dossier est probable. M. Courroye va par ailleurs être convoqué devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L'affaire Dallest Le procureur de Marseille, Jacques Dallest, aujourd'hui procureur général de Chambéry, a requis en avril 2010 les fadettes de deux journalistes du Monde, Yves Bordenave et Jacques Follorou, après des articles sur la Corse, dans une enquête pour violation du secret de l'instruction, finalement classée sans suite. Une nouvelle plainte pour des "fadettes" Un autre journaliste a porté plainte, jeudi 22 mars, pour "collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal et illicite", une plainte contre X déposée par Me François Saint-Pierre, qui vise une nouvelle fois Philippe Courroye, le procureur de Nanterre. Romain Bolzinger, grand reporter à l'agence Tac Presse, a réalisé un film diffusé sur Canal+ le 21 mars 2010 sur "les méthodes-chocs des paparazzi". Les policiers de l'inspection générale des services (IGS) ont alors requis, sur ordre du procureur de Nanterre, les fadettes du journaliste pour retrouver le paparazzi. La cour d'appel de Paris a jugé le 24 février la procédure illégale et en a annulé une partie (Le Monde du 9 mars).

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Nouvelle affaire des fadettes ? En 2009, toutes les conversations d’un journaliste du «Monde» ont été écoutées et enregistrées pendant un mois. C’est cette fois en marge de celle du «gang des barbares» que le secret des sources de deux journalistes du Monde aurait été bafoué. Le quotidien assure ainsi que la police a, sur ordre d'un juge, fait éplucher les factures téléphoniques de deux journalistes du Monde auteurs d'un article sur l'enlèvement et la séquestration d'Ilan Halimi, en 2006. Les conversations téléphoniques de l'un de ces deux journalistes auraient été écoutées durant un mois. Selon le site du quotidien du soir, la police a eu accès et étudié les factures téléphoniques, dites les fadettes, de deux journalistes du Monde. Selon ces informations, les agents ont enregistré toutes les conversations, professionnelles comme personnelles, d’un des deux reporters pendant un mois. Et cette écoute s’est déroulée trois ans après la parution de l’article en question. Tout commence le 21 mars 2006 avec la publication de l'article intitulé « Meurtre d'Ilan Halimi : le récit des geôliers », signé par Gérard Davet et Piotr Smolar. Le texte relate le calvaire de ce jeune homme juif enlevé, torturé dans une cave de Bagneux et retrouvé agonisant en 2006, et ce en s'appuyant sur les auditions de ses bourreaux devant la brigade criminelle. L'un des gardés à vue dont il est question dans l'article, Samir Aït Abdelmalek, dépose alors plainte avec constitution de partie civile, dénonçant une violation du secret de l'instruction. La juge en charge du dossier, Michèle Ganascia, confie à l'IGS une commission rogatoire consistant à «procéder à toutes auditions, perquisitions, réquisitions et saisies utiles». Le commandant de l'IGS, lui, se procure via France Télécom la liste détaillée des appels passés par les journalistes, de leur téléphone fixe comme de leur portable, entre le 15 février et le 25 mars 2006. Trois ans plus tard, en 2009, la juge fait placer sur écoutes Gérard Davet durant un mois, écoutant au total plus de 490 conversations, personnelles comme professionnelles. Entendu par l'Inspection générale des services en 2009, Gérard Davet reconnaît avoir eu accès au dossier, sans en avoir fait de copie, et se retranche derrière le secret des sources. Un nonlieu a été prononcé en juillet 2010, avant que la cour d'appel n'ordonne la poursuite de l'instruction. Les avocats du journaliste et du journal, qui n'ont que récemment découvert ces écoutes, envisagent de demander la nullité de cette procédure et de déposer plainte. Ce n'est que début juillet 2013 que les avocats du quotidien ont découvert l'affaire, lorsqu'il leur a été permis pour la première fois de consulter le dossier. Le journal dénonce cette pratique qui viole le secret des sources. Il va déposer dans le courant de la semaine une requête en nullité de la procédure devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, avant de pouvoir porter plainte. Le commandant de l'IGS envoie alors une réquisition au directeur de France Télécom pour obtenir la liste des appels – les fadettes – des téléphones fixe et portable des deux journalistes entre le 15 février et le 25 mars 2006. Mais en février 2009, la juge qui souhaite boucler cette affaire remet sur écoutes l’un des deux journalistes, Gérard Davet. Un policier a donc enregistré les 490 conversations du journaliste, qui travaillait sur d’autres affaires sensibles, pendant un mois.

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Les fadettes, quels fondements juridiques pour quelles poursuites ? D'un côté, un journaliste du Monde qui veut des informations sur l'affaire WoerthBettencourt par des "sources proches de l'enquête", de l'autre des autorités politiques et administratives irritées de voir les éléments du dossier diffusés dans la presse et qui vont s'efforcer de démontrer que l'auteur des fuites est un des membres du cabinet du garde des sceaux. Il s'agirait d'arbitrer entre des droits également légitimes mais contradictoires.

La confidentialité des sources La violation du secret des sources ne fait guère de doute, dès lors que la communication des fadettes avait précisément pour objet de connaître l'identité de l'informateur du journaliste du Monde. La loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources est un texte récent, essentiellement destiné à donner satisfaction à la Cour européenne des droits de l'homme qui considère que ce principe de confidentialité des sources est la "pierre angulaire" de la liberté de presse. Sur le fond, la loi proclame le principe de secret des sources et encadre de manière relativement particulièrement rigoureuse les perquisitions effectuées dans des entreprises de presse. En revanche, aucune sanction pénale n'est réellement prévue en cas de violation, ce qui peut surprendre ce texte est, en principe, une loi pénale. Le législateur a pris soin de préciser qu'il peut être porté atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie". Lorsqu'une procédure pénale est en cours, la loi précise que, dans ce cas, "il est tenu compte de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité". Si l'on peut considérer que ces conditions sont réunies lorsque la procédure vise à arrêter les auteurs d'un attentat terroriste ou d'un enlèvement. on peut se demander si la violation du secret de l'instruction constitue une infraction suffisamment grave pour justifier une atteinte au secret des sources. Aucune jurisprudence ne permet de répondre à cette question. La violation de la loi de 1991 sur les écoutes téléphoniques. C'est sans doute la raison pour laquelle le juge d'instruction se place sur le terrain de la violation de la loi du 10 juillet 1991 sur les interceptions de sécurité. On sait qu'elle autorise les écoutes administratives effectuées dans un but d'intérêt public, à la condition que l'interception soit autorisée par le Premier ministre. Son article 20 autorise les autorités de police à s'affranchir des contraintes de procédure, lorsque l'interception a pour objet d'"assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmission empruntant la voie herzienne". Mais il est bien difficile de considérer que l'affaire Woerth-Bettencourt touche à la "défense des intérêts nationaux". Le Canard Enchaîné déclare savoir par ailleurs que le principe même de l'accès aux "fadettes" aurait été autorisé par une délibération de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui dispenserait l'administration de toute formalité pour l'obtention de ces facturations détaillées auprès des opérateurs. Par la suite, le Premier ministre aurait, par une simple lettre, autorisé les services de police à accéder à ces pièces, sans informer qui que ce soit. Il appartient au juge d'instruction de vérifier l'existence de ces textes. Si elle était démontrée, ces textes seraient évidemment d'une illégalité flagrante, un

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avis consultatif d'une autorité administrative comme la CNCIS et une lettre du Premier ministre ne sauraient évidemment déroger à des dispositions de nature législative. La question de l'illégalité des textes appliqués conduit à s'interroger sur l'éventuelle existence d'une faute disciplinaire dont se rendraient coupables les hauts fonctionnaires qui les appliquent. La question de l'ordre illégal Au regard du statut des fonctionnaires, l'affaire illustre la traditionnelle opposition entre le devoir d'obéissance et celui de s'opposer à un ordre illégal. L'article 28 du Statut, la loi du 13 juillet 1983, précise que « tout fonctionnaire doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique ». Sur ce plan, le responsable de la DCRI doit exécuter les ordres qui lui sont donnés, soit par le Directeur général de la police nationale, soit par les autorités gouvernementales dont il est le subordonné. En revanche, ce même article 28 prend soin de préciser que ce devoir d'obéissance s'exerce « sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public » La jurisprudence n'est pas très abondante. Elle s'est construite à l'issue de la seconde guerre mondiale, à propos des sanctions infligées à des fonctionnaires accusés d'avoir participé à des activités de collaboration. Depuis un arrêt Langneur du 10 novembre 1944, le juge n'a pas cessé de faire prévaloir le principe de légalité sur celui d'obéissance. Il considère de plus en plus que l'illégalité même de l'acte est "de nature à compromettre gravement un intérêt public". Il tient compte de la place de l'agent dans la hiérarchie. Un haut fonctionnaire est, à l'évidence, mieux en mesure d'apprécier l'illégalité d'un acte, alors qu'un agent subalterne ne connait pas nécessairement très clairement les fondements juridiques de son activité. A cet égard, le devoir de résistance à l'ordre illégal pèse donc avec une particulière intensité sur les hauts fonctionnaires. Le devoir de résister à un ordre illégal est une contrainte dont l'interprétation est toujours délicate. Les situations sont généralement complexes, souvent à mi-chemin entre les fonctions politiques et administratives. Un haut fonctionnaire désigné par l'autorité politique et dépendant entièrement d'elle est-il réellement en mesure de résister à un ordre illégal? Avec l'accroissement considérable des emplois à la discrétion du gouvernement, on voit ainsi se multiplier les cas dans lesquels les hauts fonctionnaires sont incités à confondre le service public avec le service rendu. Cas de la force majeure La force majeure est la circonstance exceptionnelle, étrangère à la personne de celui qui l'éprouve, qui a eu pour résultat de l’empêcher d'exécuter les prestations qu'il devait à son créancier. Pour que la force majeure entraîne un tel effet il est nécessaire que le juge constate que l'événement dont le débiteur se prévaut ait eu une intensité telle, qu'il ne pouvait y résister. La survenance de la force majeure est une cause d'irresponsabilité, c'est un principe général du droit français qui est applicable au domaine de la responsabilité et ce, qu'elle soit contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle. On cite le cas de la tempête d'une exceptionnelle intensité, de celui de l'accident de la circulation produit par le dérèglement du système de signalisation ou du cas encore, où une voiture en a heurté une autre en raison de la présence d'huile répandue sur la chaussée qui n'a pas permis à l'un des conducteurs de maîtriser sa direction. On assimile à la force majeure, le "cas fortuit " duquel il est impossible de la détacher et qui est la circonstance imprévisible qui a empêché le débiteur d'exécuter son

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obligation. Secret des sources, secret de l'enquête : Le cas de Claire Checcaglini, infiltrée au sein du Front National. Le journaliste infiltré n'entretient pas le même rapport à ses sources que le journaliste d'investigation classique. D'un côté on tait les sources, de l'autre l'enquête. Le journaliste d'investigation se doit de respecter l'anonymat de certains de ses informateurs. Le journaliste infiltré, lui, fonde son enquête clandestine sur son propre anonymat. Le cas de Claire Checcaglini est en cela révélateur. Pour déjouer le processus de communication, de dédiabolisation opéré par le Front National depuis l'investiture de Marine Le Pen, cette journaliste adhère au parti par internet. Elle espère ainsi mieux juger de l'évolution des idées véhiculées par les militants. Faux nom, nouvelle coiffure, faux compte Facebook, faux compte Copains d'avant, Claire Checcaglini devait « se construire un personnage ». Si elle concède volontiers avoir eu des préjugés avant d’entamer sa démarche, elle reconnaît toutefois avoir entretenu de bonnes relations avec certains militants. Il y semble donc avoir ici deux entraves affectives à son travail d'enquête. « J'ai voulu me détacher de mes a priori mais au Front National les faits sont têtus ». Dans le domaine de la politique particulièrement, les discours sont rodés. Alors entre membres d'un même parti, les langues se délient. Nombres de militants partagent en effet la croyance d'un complot pactisé dans les années 1970 entre l'OPEP et les pays européens. Barils de brut vendus à bon marché contre politique d'immigration souple. Les migrants d'Afrique du Nord remplaceraient à terme les Français de souche. La preuve en est : la légalisation de l'avortement en 1975 et le décret concernant le regroupement familial en 1976. Symptôme flagrant d'une islamophobie obsessionnelle dont souffre les militants. Mieux encore, des propos de Marine Le Pen rapportés par un cadre du parti. «Nous n'aurons jamais les voix des musulmans, c'est une cible que je n'ai pas. Si je caresse l'islam dans le sens du poil de temps en temps, ce n'est pas pour eux, c'est pour les Français qui croient encore, ces cons-là, que l'islam est une religion (...) Si je dis que l'islam n'est pas fréquentable, que c'est la pire des choses, ils me traiteront de raciste et ne voteront pas pour moi». Un éclairage incomparable sur la stratégie du Front National qu'une enquête classique n'aurait pas su révéler. Le double-discours n'est pas l’apanage du FN. A la recherche de signatures pour Marine Le Pen lors des présidentielles de2012, Claire Checcaglini a rencontré Philippe Pemezec, maire UMP du Plessis-Robinson. Ce dernier lui a confessé avoir voté Jean-Marie Le Pen en 2002 et d'ajouter « Je participe aux commissions d'attribution des logements sociaux à l'office départemental des Hauts-de-Seine. Et je peux vous dire qu'au Plessis, il n'y a pas beaucoup d'Arabes. Je fais très gaffe». Philippe Pemezec s'est ensuite excusé de ne pouvoir lui donner sa signature. En effet, celles-ci ne sont plus anonymes. Et l'élu n'assume pas en public son rapport au FN. Claire Checcaglini avoue : « c'est une méthode contestable et je le comprends ». Mais à ses détracteurs la journaliste rétorque « Puisque le Front avance masqué, j'avancerai masquée, moi aussi. Je ne fais au fond qu'appliquer les méthodes qui sont les leurs».

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Interview de journalistes et de magistrats « Le secret des sources a du mal à rentrer dans la tête de certains magistrats ». Cette phrase, parue dans un article du quotidien Libération résonne comme un signal d'alarme selon Pierre-Antoine Souchard. Le président de l'Association de la presse judiciaire rappelle d'ailleurs une notion essentielle concernant le secret des sources. « Cela n’est pas fait pour protéger le journaliste. Ce n’est pas non plus une impunité qui lui est accordée. Le but, c’est de protéger les personnes qui nous donnent des infos. Sinon, elles ne le feront plus, et on basculera alors vers une société de la communication ». Journalistes et magistrats sont les acteurs privilégiés du droit des sources et de la protection de celles-ci. Si les journalistes se réfugient derrière cette protection des sources, invoquant un fondement de la profession de journaliste, les magistrats, eux, restent à l’affût du moindre dérapage qui pourrait bouleverser les normes établies. Nous avons rencontré ces acteurs. Ils sont chef de rédaction, photojournaliste, ou encore procureur général, et ont accepté de parler de leur perception de ces sources qui construisent l'information, mais qui sont également sujettes à polémique. En ce qui concerne les journalistes, la profession est surtout régie par les chartes qui l'encadrent, aussi bien au niveau national que communautaire. La Charte d'éthique professionnelle des journalistes émet notamment une grande règle concernant le secret des sources : « le journaliste doit garder le secret professionnel et protéger les sources de ses informations ». Une norme déontologique que certains journalistes transgressent. C'est le cas notamment du secret de l'instruction. Frédéric Fèvre, procureur général de la ville de Lille, explique que le journaliste ne peut être menacé que si il viole ce secret de l'instruction. Ce qui fut notamment le cas en octobre 2011 avec l'affaire du Carlton de Lille. Deux journalistes avaient en effet publié des extraits d'audience dans la presse. Une telle publication, qui révèle des investigations sur une personne non encore jugée, porte nécessairement atteinte à la présomption d’innocence. « Elle représente une violation de l'article 11 du Code de Procédure Pénale et de l'article 226-13 du Code Pénal. Et même si la loi tente de légiférer les pratiques, les journalistes ont leur propre code déontologique, à l'image des médecins » explique t-il. Avant d'identifier les responsables des fuites et avant d'engager des poursuites, les magistrats ont officiellement demandé au parquet de Lille l'autorisation de perquisitionner le siège des journaux visés (Le Monde, Libération) et même de consulter les fadettes des portables des journalistes. Le parquet a alors a considéré que cela ne constituait pas « un motif prépondérant d'intérêt public ». Article 11 Code de Procédure Pénale : Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

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Eric Clert est journaliste au Dauphiné-Libéré, et chef du service des sports de l'édition Sud Isère, à Grenoble. Avant d'atterrir au sein du service des sports, il a passé six ans aux faits divers, à Chambéry. Il a donc été confronté de manière quotidienne à la protection de ses sources. Selon lui, le secret des sources pour un journaliste reste « un principe fondamental du métier de journaliste ». Pour Eric Clert, le journaliste doit tisser une véritable relation de confiance avec sa source. Mais il arrive parfois qu'il se heurte au manque de fiabilité des informations fournies. Un problème qui engage sa rédaction mais surtout sa crédibilité. « Le service des faits divers est un service difficile où il m'a fallu deux ans pour gagner la confiance de mes sources qui, compte tenu du poids et des conséquences éventuelles de leurs infos, n'ont eu de cesse de me tester, de jauger la confiance qu'elles pouvaient m'accorder et ma manière de travailler et par conséquent, de ma capacité à protéger mes sources. Un jour sur un meurtre, une source a inversé les noms de l'auteur et de la victime. J'ai dû prendre sur moi. Si j'ai expliqué à la direction du journal que ma source m'avait induit en erreur, jamais je n'ai donné son nom. Dans le journal, on a dû s'excuser sans jamais mettre en cause ma source. Aux sports, je ne ressens quasiment plus cette relation car tout est moins grave, moins "explosif" ». Il paraît en effet évident que se tromper sur le nom d'un sportif a un impact bien moins important que de se tromper sur le nom d'un meurtrier. Le journaliste doit, pour assurer la pérennité de ses sources et surtout leur fiabilité, tisser un véritable lien de confiance avec celles-ci. Caroline Poiron ne dira certainement pas le contraire. Photojournaliste pour le Monde, le Nouvel Observateur, ou encore Paris-Match, Caroline Poiron est la veuve de Gilles Jacquier, journaliste assassiné en janvier 2012 en Syrie. Pour elle, le secret des sources appartient à chaque journaliste. « Cette notion de protection des sources est avant tout une question d'éthique personnelle. Si le journaliste va à l'encontre de ce grand principe, c'est son problème » déclare t-elle. La photojournaliste a un rapport différent vis-à-vis des sources qu'elles n'a pas à protéger, celles qui sont photographiées. Pour parvenir à réaliser ses clichés, elles utilisent les sources officielles (institutions, ambassades), mais surtout les fixeurs. Ces guides-interprètes sont de véritables « passe-partout » selon Caroline Poiron. Ils encourent des risques énormes pour dresser un carnet d'adresses au journaliste qui prennent ainsi contact avec leurs sources afin d'élaborer leur reportage. En Syrie, Caroline Poiron a dû se montrer très prudente lorsqu'il s'agissait de faire la navette entre insurgés et régime. « J'ai réalisé en décembre 2011 un reportage photo sur les rebelles syriens qui est paru après dans Paris-Match. J'avais alors signé mes photos avec un nom d'emprunt. Trois semaines plus tard, je me suis retrouvé à Damas, à une réception du côté du régime. Dans l'hôtel où je me trouvais, le Paris-Match avec mon reportage a circulé, suscitant l'interrogation. Je peux vous dire que j'étais loin d'être sereine ». Quand on connaît le sort connu par son mari, difficile de ne pas lui donner raison.

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III. Qu’en est-il à l’étranger ? La protection des sources journalistiques en Belgique

La protection des sources est légiférée par la loi belge du 7 avril 2005. Une modification a été réalisée le 9 mai 2006 (cours d’arbitrage : 7 juin 2006), favorisant une approche journalistique particulière : le journalisme d’immersion. En effet, le cadre de la loi est plus général qu’autrefois. Ce qui permet à beaucoup plus de personnes d’obtenir, par des professions diversifiées, le droit au secret des sources pour une activité journalistique donnée.

⁃ Article 1er La présente loi règle une matière visée à l’article 78 de la Constitution. ⁃ Art. 2 (modifié par l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 7 juin 2006) Bénéficient de la protection des sources telle que définie à l’article 3, les personnes suivantes : 1- toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public ; 2- les collaborateurs de la rédaction, soit toute personne qui, par l’exercice de sa fonction, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant d’identifier une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations. ⁃ Art. 3 Les personnes visées à l’article 2 ont le droit de taire leurs sources d’information. Sauf dans les cas visés à l’article 4, elles ne peuvent pas être contraintes de révéler leurs sources d’information et de communiquer tout renseignement, enregistrement et document susceptible notamment : 1de révéler l’identité de leurs informateurs ; 2- de dévoiler la nature ou la provenance de leurs informations ; 3- de divulguer l’identité de l’auteur d’un

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texte ou d’une production audiovisuelle ; 4- de révéler le contenu des informations et des documents eux-mêmes, dès lors qu’ils permettent d’identifier l’informateur. ⁃ Art. 4 Les personnes visées à l’article 2 ne peuvent être tenues de livrer les sources d’information visées à l’article 3 qu’à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes en ce compris les infractions visées à l’article 137 du Code pénal, pour autant qu’elles portent atteinte à l’intégrité physique, et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1- les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; 2- les informations demandées ne peuvent être obtenues d’aucune autre manière. ⁃ Art. 5 (modifié par la loi du 27 avril 2006) Il ne pourra être procédé à aucune mesure d’information ou d’instruction concernant des données relatives aux sources d’information des personnes visées à l’article 2, sauf si ces données sont susceptibles de prévenir la commission des infractions visées à l’article 4, et dans le respect des conditions qui y sont définies. ⁃ Art. 6 Les personnes visées à l’article 2 ne peuvent être poursuivies sur la base de l’article 505 du Code pénal lorsqu’elles exercent leur droit à ne pas révéler leurs sources d’information. ⁃ Art. 7 En cas de violation du secret professionnel au sens de l’article 458 du Code pénal, les personnes visées à l’article 2 ne peuvent être poursuivies sur la base de l’article 67, alinéa 4, du Code pénal lorsqu’elles exercent leur droit à ne pas révéler leurs sources d’information.

Globalement, les personnes visées par cette loi sont les suivantes: Les journalistes (professionnels ou non) Les collaborateurs de rédaction (toute personne qui collecte , traite, édite ou diffuse) Le droit de taire ses sources porte spécifiquement sur : ⁃ ⁃ ⁃ ⁃

L’identité des informateurs La provenance des informations Le nom de l’auteur du texte en question Le contenu des informations lorsque cela permet d’identifier l’informateur

On observe qu’aucune écoute téléphonique ou perquisition ne peut porter sur les sources. Il existe néanmoins plusieurs exceptions : ⁃ Obligation de livrer les sources si elles sont de nature à prévenir la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique de personnes et si :

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• elles revêtent une importance cruciale • elles ne peuvent être obtenues d’aucune autre manière L’appréciation du juge d’instruction à cet égard est de rigueur pour obtenir ces informations.

Journalisme d’immersion Déontologiquement, les journalistes agissent à visage découvert avec leurs informateurs. Ils annoncent clairement leur qualité de journaliste et ne se dissimulent pas derrière une fonction ou une identité qui ne sont pas les leurs. Ils indiquent pour quel média ils travaillent. Dans certaines situations, se présenter comme journaliste empêche l’accès à l’information, soit en raison d’un blocage réalisé par la source, soit parce que la présence connue d’un journaliste modifierait le cours ou la réalité des choses. Cette situation peut se produire lorsqu’un journaliste veut constater une situation vécue par « monsieur et madame tout le monde ». Annoncer sa qualité de journaliste risquerait, ici, d’altérer la vérité que l’on veut cerner. Le journalisme d’infiltration consiste à s’introduire dans un milieu donné pour l’observer de l’intérieur, sans dévoiler son objectif. L’immersion procède de la même démarche. Mais à l’observation s’ajoute, chez le journaliste, le projet d’éprouver personnellement la condition d’un milieu donné. Il est donc parfois admis de ne pas se présenter comme journaliste mais d’agir soit sous son identité, sans mentionner sa profession ; soit sous une fausse identité. Dans tous les cas, l’éthique personnelle du journaliste qui estime pouvoir transgresser la règle déontologique doit jouer, pour apprécier l’intérêt public d’une information qui justifierait cette transgression.

Selon le Conseil déontologique journalistique belge, il existe quatre conditions pour la levée du secret des sources: 1. L’information recherchée doit avoir un intérêt important pour la société (atteinte aux droits humains, protection contre des délits, phénomène de société, etc). 2. Les méthodes habituelles de recherche d’information empêcheraient l’accès à l’information. 3. Les risques encourus par les journalistes restent proportionnels au résultat recherché. 4. La décision d’agir sans s’identifier comme journaliste est prise sous la responsabilité de la rédaction en chef, sauf exception imprévisible.

Cas de la défense belge Le journaliste embarqué est défini comme: « L’employé belge d’une entreprise de médias (en qualité de journaliste, caméraman, preneur de son, technicien, régisseur, producteur) ou l’indépendant belge qui exerce l’une de ces fonctions et qui, durant une période bien définie, accompagne des troupes belges en zone opérationnelle pour suivre leurs

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activités »5 Signature d’un contrat entre la Défense, le journaliste embarqué et son employeur après avoir suivi une formation organisée par la Défense. Cette formation consiste en un programme de trois jours, établi au sein des Centres de Compétences des Composantes. Sur le terrain : • Réunion d’accueil concernant les règles d’engagement pour l’équipe. • Réunion concernant la sécurité. • L’officier de presse coordonne l’élaboration d’un programme où un équilibre est cherché entre les attentes de l’équipe embarquée et les possibilités sur place. La mission du détachement reste cependant primordiale. « Les journalistes embarqués doivent accepter de travailler sous certaines conditions. Le commandant opérationnel responsable a le droit de déterminer à quelle information opérationnelle les journalistes ont accès et quand un rapport peut être remis »6 Le screening de l’information peut être demandé dans le cadre de la sécurité opérationnelle et ne doit en aucun cas être considéré comme une sorte de censure. • Le commandant de détachement peut décider d’un embargo si les circonstances opérationnelles l’exigent. La Défense impose aux journalistes d’être clairement identifiable, « PRESS », par-dessus ses vêtements.

Méthodes loyales : Les méthodes de recherche et d’information ne peuvent être déloyales. Transparence et loyauté sont de mise vis-à-vis de la source. Le journaliste annonce l’objet de sa démarche (propos à diffuser ou pour sa propre information) et précise, si nécessaire, quel type de traitement, il envisage. La caméra et le micro caché sont, en règle, interdits. Les scènes enregistrées en reportage doivent être réelles. Lorsqu’elles ne peuvent pas l’être, des reconstitutions ou évocations avec des acteurs sont admises, mais la contrepartie est la transparence vis-à-vis du public (par exemple lorsque la source joue ou rejoue une situation). Pour les journalistes comme pour tous les citoyens, le vol de documents (par ex. un dossier archivé dans une bibliothèque), le cambriolage, l’interception de courrier… sont des délits mais les journalistes ne sont pas responsables de la manière dont leurs sources ont elles 5

« Embedded jounalism en opération » 21 septembre 2010, par la Direction générale de la communication et le service presse de la Défense belge. 6 « Embedded jounalism en opération » 21 septembre 2010, par la Direction générale de la communication et le service presse de la Défense belge.

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mêmes obtenu une information. La loyauté envers le public demande aussi de présenter correctement le mode d’obtention des informations, notamment du son et des images. […]L’usage de la caméra et du micro cachés est autorisé dans des conditions précises et cumulatives, semblables à celle du journalisme undercover :

1 . L’information recherchée doit avoir un intérêt important pour la société (atteinte aux droits humains, protection contre des délits, phénomène de société…). 2. L’information n’est pas accessible par d’autres moyens. 3. Les risques encourus par les journalistes restent proportionnels au résultat recherché. 4. Le procédé est autorisé par la rédaction en chef, sauf exception imprévisible. 5. Les images diffusées suite à un enregistrement à l’insu d’une source ne peuvent être dégradantes ni porter sur l’intimité de sa vie privée.

« S’il est compréhensible et même recommandé que les journalistes déploient toute la panoplie de moyens légaux et déontologiques pour avoir accès aux informations d’intérêt public, et si le public a droit à l’information, certaines sources sont tenues au secret professionnel (médecins, avocats,…). Cela n’interdit pas aux journalistes de leurs poser des questions voire d’insister. […] Il n’est pas justifié de pousser une source à transgresser les règles régissant sa propre profession, ni de la harceler, voire de l’intimider »1.

La Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (FIJ, 1972) prévoit : Devoirs : Art. 1 : respecter la vérité… Art. 2 : défendre la liberté d’information, de commentaire et de critique Art. : ne publier que des informations dont la source est connue Art. : ne pas utiliser de méthodes déloyales dans la collecte d’information Art. 7 : préserver le secret des sources Art. 8 : refuser tout avantage pour la publication ou la non publication d’une information Art. 9 : ne pas confondre journalisme et publicité / propagande Art. 10 : refuser toute pression et directive rédactionnelle

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Droits : Art. 1 : libre accès à toutes les sources et droit d’enquêter librement Art. 2 : refuser toute subordination contraire à la ligne rédactionnelle Art. : refuser tout acte contraire à la conscience.

Le Code de principes de journalisme (Belgique, 1982) indique : Art. 1 : droit de recueillir et publier des informations sans entraves Art. 8 : protection des sources Art. 9 : la liberté de la presse prime sur le secret des affaires publiques ou privées Art. 11 : les journaux et journalistes ne doivent céder à aucune pression. Art. 12 : présentation distincte des annonces publicitaires

Le secret des sources dans les pays de la Common Law Dans les pays anglo-saxon, le droit applicable au secret des sources diffère du droit français. Nous allons étudier ces différences en nous intéressant aux deux grands pays de la Common Law, Les États-Unis et le Royaume Uni. Comme en France, le fondement de la protection des sources journalistique est fondé sur des libertés consacrées dans les textes constitutionnels (USA) ou par des dispositions législatives (RU).

États-Unis Trois mécanismes de protection. Pas de statut fédéral. Reporter's Privilege, basé sur le 1er amendement Le « reporter's privilege » (privilège du journaliste), est le statut de protection accordé aux journalistes sous l'empire de la constitution américaine ou d'une loi statutaire. Elle permet aux journalistes de ne pas révéler des sources anonymes en cas de citation à comparaitre en tant que témoin devant une cour (« subpoena »). Ce statut est attaché au premier amendement de la Constitution américaine. Les conditions d'applications De nombreuses cours d'Etat et cours fédérales reconnaissent une forme de protection accordée

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par le Premier Amendement. Cette protection est usuellement appliquée à tout journaliste cité à comparaître en tant que témoin, surtout s'il témoigne dans le cadre d'un procès criminel. Ceci dit, cette protection peut être levée si trois conditions cumulatives sont remplies. • Pertinente • si l'information est indispensable à l'instruction de l'affaire • l'information demandée au journaliste ne peut être obtenue d'une autre source Ces dernières années, la protection accordée par le Premier Amendement est de plus en plus remise en question par les cours fédérales américaines. En 2003, la Cour Fédérale d'Appel de Chicago, 7e district, a affirmé par deux fois que la protection des journalistes par le Premier Amendement n'existait pas. Mais l'affaire qui illustre le plus ce revirement est l'affaire Judith Miller, en 2006. Cette journaliste a été condamnée pour avoir refusé de révéler ses sources dans une affaire impliquant la CIA. Les cours ont tendance à considérer que l'intérêt général prévaut sur la protection des journalistes et le secret des sources. D'autres mécanismes de protections existent toutefois. Protection législative accordée par les Etats Indépendamment de la protection offerte par le Premier Amendement, près d’une quarantaine d’Etats offrent aujourd’hui une protection aux journalistes quant au secret des sources. Ce sont les «state shield laws ». La première loi du genre a été adoptée le 2 avril 1896 par l’Etat du Maryland, en réaction à l’emprisonnement d’un journaliste du Baltimore Sun qui avait refusé de révéler ses sources au grand jury devant lequel il comparaissait. Au fil des ans, d’autres états ont suivi cette jurisprudence, reconnaissant l’importance de protéger le reporter dans l’exercice de son métier et de garantir la liberté de la presse. Les protections accordées varient d’un Etat à l’autre. Les différences essentielles se concentrent autour de trois points. ⁃ Quelles sont les informations protégées par la loi de l’état ? Certains états ne protègent que l’identité de la source anonyme, et seulement si le journaliste lui avait promis la confidentialité. Dans d’autres états, la loi protège non seulement l’identité de la source, mais également tout le matériau de travail collecté par le journaliste. ⁃ Qui est visé par cette protection ? La protection de la loi est parfois strictement limitée aux personnes employées par une entité médiatique ou qui exercent régulièrement la profession de journalistes. Certains états excluent même expressément du champ d’application de la loi les médias de radiodiffusion ou « électroniques ». Cependant, d’autres états offrent une protection élargie aux groupements de personnes qui diffusent des informations, comme les journalistes freelances, auteurs, auteurs de publications Internet. Ce point est capital pour les médias citoyens (particuliers qui récoltent et diffusent des informations sans être « officiellement » journalistes). Par exemple, l’Etat de Californie n’offrait de protection qu’aux journalistes de média traditionnels7, mais la décision rendue dans l’affaire O’Grady v. Superior Court en 20068 a étendu la protection aux médias en ligne. ⁃ La force de la protection La protection, quand elle est accordée, est parfois absolue. Elle permet au journaliste de ne pas révéler ses sources et les informations qui lui ont été fournies (ou seulement les sources 7 8

http://www.dmlp.org/legal-­‐guide/california-­‐protections-­‐sources-­‐and-­‐source-­‐material http://www.dmlp.org/sites/citmedialaw.org/files/2005-­‐05-­‐26-­‐Appellate%20Decision.pdf

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dans certains cas). Une cour, ou toute autre instance judiciaire, ne peut en aucun cas forcer un journaliste (ou affilié) à révéler ses sources en aucune circonstance. C’est notamment le cas de la protection accordée par l’Etat de Pennsylvanie9. Dans d’autres Etat, la protection n’est accordée qu’en tant que si le demandeur n’arrive pas à prouver que l’information est obligatoire pour la défense ou l’accusation dans une affaire ; qu’il est impossible d’obtenir cette information par d’autres canaux ; que l’information est indispensable pour que la décision du juge soit équitable pour les deux parties. La protection du secret des sources et des journalistes par l’état fédéral Une shield law fédéral, pour bientôt ? Actuellement, il n’y a pas de « privilege » accordé au journaliste au niveau fédéral. Un projet concernant l’établissement d’une loi bouclier protégeant les journalistes et leurs sources est discutée au Congrès américain depuis des années, mais sans succès pour le moment. Dans la dernière version du projet de loi en datant de 2012, étaient exclus de la protection ceux qui ne tiraient pas un « gain financier substantiel » ou « une part substantielle de leur revenus » de leur récolte d’informations10. Cette disposition exclurait un nombre conséquent de personnes qui exercent des activités journalistiques, sans pour autant être des journalistes dits « traditionnels », en plus des journalistes freelance qui ne tirent pas de leurs activités de journaliste un revenu suffisant. Ceci dit, le projet de loi peut encore être modifié. L’actualité américaine du moment pourrait cependant faire avancer ce projet de loi plus vite que prévu. Empêtré dans un scandale d’écoute de journalistes dans le cadre d’enquête sur des affaires de terrorisme, le Département de la justice (Department of Justice), a indiqué en juillet 2013 qu’il allait « durcir les critères » pour permettre de saisir les enregistrements des organes de presse11. Néanmoins, une disposition importante de la loi fédérale américaine peut être utilisée dans la protection du journaliste et de ses sources, le Privacy Protection Act. Privacy Protection Act Cette loi fédérale protège les journalistes contre les mandats de perquisitions. Les mandats de perquisitions sont délivré par les autorités judiciaires à la police afin qu’elle puisse rechercher des preuves dans des endroits privés, comme le domicile d’un particulier. Ils ont délivrés dans le cadre d’affaires criminelles. Le Privacy Protection Act empêche la saisie, par un officier ou employé du gouvernement dans le cadre d’une enquête ou procès criminel, de matériau et documents en possession d’une personne qui effectue un travail à caractère journalistique12. Cette protection étant fédérale, elle s’applique à tous les journalistes remplissant les conditions d’application, quel que soit l’état où ils vivent. ⁃ Quel type d’information sont protégées par le Privacy Protection Act ? Cette protection concerne « matériaux et documents de travail », ainsi que le « travail 9

http://www.dmlp.org/legal-­‐guide/pennsylvania/pennsylvania-­‐protections-­‐sources-­‐and-­‐source-­‐ material 10 http://www.dmlp.org/sites/citmedialaw.org/files/HR2102-­‐10-­‐15-­‐07.pdf 11 http://abonnes.lemonde.fr/actualite-­‐medias/article/2013/07/14/les-­‐etats-­‐unis-­‐veulent-­‐ameliorer-­‐la-­‐ protection-­‐des-­‐journalistes-­‐et-­‐de-­‐leurs-­‐sources_3447394_3236.html 12 http://www.law.cornell.edu/uscode/text/42/2000aa

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produit par le journaliste ». Ce matériau doit être détenu afin d’être diffusé au public. Le Privacy protection act vise également « les commentaires, impression, opinions, conclusions et théories de la personnes qui a préparé, produit, ou qui est auteur du matériau »13. ⁃ Qui est protégé ? Le PPA ne fonctionne pas comme la loi bouclier, qui permet au journaliste de refuser de répondre à une citation à comparaitre. Par contre, le journaliste peut poursuite les autorités en justice (devant les cours civiles) pour recevoir des dommages et intérêt après la perquisition et/ou la saisie s’il croit que la loi a été violée. C’est donc une protection a posteriori, qui intervient après l’éventuelle saisie de document. La possibilité de poursuivre la justice est faite pour décourager les abus. ⁃ Exceptions Le gouvernement peut légalement procéder à une perquisition ou à une saisie de documents s’il est « probable » que le journaliste détienne des preuves qui le relient à un crime14. Autre exception : le cas de force majeur, lorsque des autorités ont des raisons de penser qu’il y a un danger de mort ou une autre menace immédiate15.

Royaume-Uni Au Royaume-Uni comme dans bien d’autres pays, la protection des sources journalistiques repose sur l’affirmation de la liberté de la presse. Le principe de confidentialité des sources journalistiques repose sur l’article 10 de la loi de 1981 « Contempt of Court ». Il permet à une personne de refuser de « révéler ses sources d’information contenues dans une publication pour laquelle elle est responsable ». En 1998, le Human Right Act,a introduit les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dans le droit britannique. I. Les mécanismes de protection des sources journalistiques Contempt of Court Act, 1981 Le Contempt of Court Act de 1981 a été le premier pas vers une législation spécifique sur le secret des sources au Royaume-Uni. L’article 10, permet à une personne de refuser de « révéler ses sources d’information contenues dans une publication pour laquelle elle est responsable ». Et ce, sans être passible de délit d’outrage à la cour (contempt of court), passible de 2 ans d’emprisonnement. Le Contempt of Court Act n’oblige le journaliste à révéler ses sources « que dans l’intérêt de la justice ou de la sécurité nationale, ou pour empêcher un trouble ou un crime ». Human Right Act, 1998 Le Human Right Act, en date de 1998, a introduit dans le droit national anglais la Convention Européenne des Droits de l’Hommes de 1950. Cela confère une protection plus solide en matière de liberté civile aux citoyens britanniques. En effet, en matière de libertés fondamentales les Britanniques ne disposaient que de la Common Law, de la Magna Carta de 1215 et de la Bill of Right de 1689. La Magna Carta est silencieuse quand a l’intrusion de 13

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http://www.law.cornell.edu/uscode/text/42/2000aa-­‐7 http://www.law.cornell.edu/uscode/text/42/2000aa 42 U.S.C§ 2000aa(b)(2)

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l’Etat dans la vie du citoyen et la Bill of Right ne dit rien quant à la liberté d’expression et de la discrimination. De plus, un certain nombre des aspects des droits protégés par la Common Law pouvait être modifié par simple revirement jurisprudentiel. C’était particulièrement vrai dans le domaine du journalisme, où en Common Law, aucune protection particulière n’existait. En matière de protection du journaliste et de ses sources, le Human Right Act vient donc compléter le Contempt Act de 1981. Protection de la liberté d’expression, liberté fondamentale pour l’exercice du journalisme La protection de la liberté d’expression est fondamentale pour la bonne marche d’une démocratie. L’activité de journaliste est l’un des garde-fous du système démocratique. La protection de cette activité et de son outil principal, le secret des sources, est donc très importante. L’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), repris par le Human Right Act, concerne la liberté d’expression. Il garantit la liberté d’expression, et notamment le droit « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière »16. Cette disposition offre une plus large protection aux journalistes, car les cours de justices sont invitées à prendre leurs décisions à la lumière de cette disposition ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme17. Limitations La liberté d’expression est limitée. L’article 10 § 2 de la CEDH dispose : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

La justice anglaise procède à des tests de proportionnalité et de nécessité pour savoir s’il est réellement nécessaire de limiter ce droit (par exemple, en obligeant un journaliste à divulguer ses sources). D’après la Cour européenne des droits de l’homme, comme elle l’a établi dans l’arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni de 199618 contre Royaume-Uni, seul un impératif d’ordre public devrait permettre cette violation. Mais il semblerait que les juges britanniques cherchent à garder aussi vaste que possibles possibilités de demander à un journaliste de révéler ses sources. L’ordre public est privilégié face à la liberté d’expression garanti par la CEDH/HRA, comme le démontre l’affaire Interbrew (Financial Times Ldt et autre c/ Royaume uni, décembre 2009)19. 16

Article 10, CEDH, http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/005.htm A noter, le principe de souveraineté des cour anglaises fait que les juges n’y sont pas tenus, seulement invités. 18 Goodwin c/ R-­‐U, http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-­‐ 62533#{"itemid":["001-­‐62533"]} 19 Affaire Financial Time ldt et autres c/ R-­‐U, http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Journalistic_sources_FRA.pdf , p.2 17

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II. Les atteintes à la protection des sources journalistiques Procédure de levée du secret des sources Dans les affaires ou la levée du secret des sources est demandé, les juges britanniques suivent la procédure la procédure suivante afin d’arbitrer leurs choix. 1) Une action illégale a-t-elle été commise ? Si c’est le cas, la cour applique un Norwich Pharmacal order20. C’est une injonction qui oblige une tierce-personne à révéler des documents ou des informations. Que le journaliste ait eut l’intention de commettre un acte délictueux ou pas n’a pas d’importance (affaire Ashworth21). 2. Les exceptions de l’article 10 du Contempt of Court Act et l’article 10 de la CEDH s’appliquent-elle au cas ? 3. Application du test de proportionnalité. Le but visé vaut-il la peine d’une violation de la liberté d’expression ? La règle utilisée pour faire ce test est celle établie par l’arrêt Goodwin de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Police and Criminal Act de 1984 & Terrorism Act 200022 Au Royaume-Uni, le principe de la confidentialité des sources posé par l’article 10 de la loi de 1981 est remis en cause s’il entre en conflit avec le principe de bonne administration de la justice. Le juge peut alors enjoindre au journaliste de révéler ses sources si « cette révélation est nécessaire aux intérêts de la justice, ou à la sécurité nationale ou à la prévention des troubles causés à l’ordre public ». En outre, la loi de 2000 « Terrorism Act » permet de sanctionner le manquement au devoir de divulgation d’information à un officier de police britannique dans certaines circonstances : ✓ lorsque sur le fondement d’informations portées à son attention dans le cadre de son travail, une personne croit ou suspecte une autre personne d’avoir commis un délit relatif à la collecte de fonds, à l’utilisation et la possession de fonds, à des accords sur les financements ou au blanchiment d’argent à des fins de terrorisme (article 19). ✓ lorsqu’une personne détient une information dont elle sait ou croit qu’elle pourrait contribuer matériellement à la prévention de la commission par une autre personne d’un acte de terrorisme, ou à garantir l’arrestation, la poursuite ou la condamnation d’une autre personne au Royaume-Uni pour une infraction impliquant la commission, la préparation ou l’instigation d’un acte terroriste (article 38 B). L’article 9 de la loi de 1984 « Police and Criminal Evidence » prévoit qu’un officier de police, sous réserve de pouvoir justifier de l’utilité de cet acte, peut solliciter du juge une ordonnance lui permettant l’accès à des documents détenus par des journalistes lors d’une enquête criminelle. Cette ordonnance pourra contraindre la personne en possession de ces documents soit à les 20

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http://en.wikipedia.org/wiki/Norwich_Pharmacal_Order Ashworth case http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200102/ldjudgmt/jd020627/ash-­‐1.htm http://www.assemblee-­‐nationale.fr/14/projets/pl1127-­‐ei.asp

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remettre au policier soit à lui en laisser l’accès dans un délai fixé par l’ordonnance. La police doit saisir le juge pour obtenir une ordonnance enjoignant à un opérateur téléphonique de fournir l’ensemble des appels entrant et sortant à partir de la ligne téléphonique d’un de ses abonnés. Pour obtenir cette ordonnance judiciaire, la requête au juge devra exposer et justifier les raisons de cette atteinte aux libertés ainsi que son utilité pour l’enquête en cours. Un certain nombre de lois permettent également des interceptions téléphoniques de nature administrative. Dans ce cas, la police est dispensée de l’autorisation préalable d’un juge pour agir. Toutefois, sont uniquement admis les enregistrements de conversations téléphoniques par le biais d’un « interception warrant » (mandat délivré par les autorités administratives habilitées) et effectués par les autorités compétentes (police, Security Service, Secret Intelligence Service…) s’ils constituent le seul moyen d’obtenir certaines informations. La durée des écoutes est limitée à trois mois (renouvelables pour six mois maximum).

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Analyse de l’émission Ross Kemp, reporter de l’extrême Dans les reportages de Ross Kemp, on remarque une certaine mise en scène. Si la contextualisation des évènements semble de mise, la mise elle ne paraît pas avoir sa place. Dans la charte (National union of journalists code of conduct) il est clairement écrit qu’il ne doit pas y avoir d’instrumentalisation de l’information. L’information transmise doit être proportionnelle et compréhensive (afin d’éviter le « populisme ») doit être obtenue par des moyens honnêtes et non détournés. De la même façon, l’implication de Ross Kemp est évidente dans chacun de ses reportages : l’impartialité pure n’est pas possible et n’est pas souhaitable pour plusieurs raisons. Il est effectivement écrit dans les devoirs du journaliste qu’il doit rendre l’information intéressante et pertinente. Autrement dit, le journaliste doit fournir une analyse (hiérarchie de l’information par exemple), qui par nature découle de son interprétation, de son prisme et donc de sa subjectivité. Mais il doit garder sa qualité d’observateur, et ne doit pas s’impliquer de façon démesurée, au risque d’observer un conflit d’intérêt. Son travail ne serait plus crédible aux yeux du public. Comme le dicte la charte il doit radicalement faire la différence entre fait et opinion. La charte interdit également au journaliste de se mettre en avant : toute forme d’autopromotion est prohibée. Le journalisme n’est pas un marché : pas de commerce, pas de publicité (pour son travail, sa personne, ou le media dans lequel il travaille). Il ne tire pas d’avantage personnel déloyal par le biais de sa profession. Ou au travers d’informations obtenues dans l’exercice de ses fonctions. Sur le fond, les reportages de Ross Kemp semble particulièrement complets, notamment lors de ses reportages de guerre.. Se pose alors la question de la censure automatique de la part de l’armée. Ross Kemp semble parfois embellir la vérité. Or, le premier commandement du journaliste est de toujours respecter les faits, en détails et en nuances fidèles : il ne doit y avoir aucune approximation, embellissement ou dramatisation. La charte indique que le journaliste doit résister à toutes formes de menaces ou d’incitations-tentations qui le poussent à influencer, déformer ou cacher une information.

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Source unique : le devoir du journaliste, illustration avec l’affaire Edward Snowden NSA is watching you

Edward Snowden, 29 ans est un ancien analyste de l’Agence nationale de la sécurité américaine, la célèbre NSA. Il est devenu célèbre depuis qu’il a révélé l’étendue de la surveillance étasunienne. Un espionnage massif en toute illégalité, qui peut concerner chacun d’entre nous. Pour diffuser ces informations, il a fait appel à Glenn Greenwald, ancien avocat, aujourd’hui bloggeur et correspondant pour le Guardian qui s’est souvent imposé en tant que défenseur des libertés individuelles. Edward Snowden a également fait appel à Laura Poitras, une journaliste et auteure très surveillée qui sait, de ce fait très bien comment faire pour communiquer en toute discrétion (messages cryptés, etc.) Au mois de juin, une première vidéo est publiée. On y aperçoit Snowden qui explique sa démarche. S’en suivra jour après jour, des révélations sur les méthodes de surveillance américaine. L’objectif de Snowden est d’informer le public de ces méthodes pour qu’ils aient le choix de les accepter ou non. Il n’est pas là pour les interdire mais bien de mettre en garde afin que le grand public soit conscient de ces méthodes. En révélant l’intrusion des autorités américaines dans les vies privées, la prégnance des arguments sécuritaire et la complicité des grandes sociétés du Web prétendument « friendly », le lanceur d’alerte a convaincu de la sincérité de son projet et ce malgré le choix de Moscou ou encore les appels du pied de pays hostiles aux Etats-Unis (Venezuela, Cuba) qui ont pu jeter le trouble. Quatre mois après le début de ses révélations, l'ancien collaborateur de la NSA reste poursuivi aux Etats-Unis pour "espionnage" et "vol de documents appartenant au gouvernement". Pour le moment, il

Glenn Greenwald est un ancien avocat habitant à Rio de Janeiro. Il est un fin connaisseur de la Constitution et des droits civiques. Il s’est montré très critique de l’érosion des libertés civiles à la suite du 11 septembre et a pris position en faveur de Bradley Manning.

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est réfugié en Russie. Trois quotidiens ont publié les informations révélées par Edward Snowden : The Guardian en Angleterre, Der Spiegel en Allemagne et Le Monde en France. Une source n’est jamais unique Alors que l’une des bases du métier de journaliste et de recouper ses sources, le cas présent pose le problème de la source unique. En effet, Edward Snowden est le seul à avoir donner ces documents. Comment s’assurer de la véracité de ces informations, et surtout comment assurer sa propre crédibilité vis-à-vis de ses lecteurs ? Concernant la fiabilité des documents donnés par l’ancien analyste de la NSA, le doute a été rapidement effacé. En effet, lors de la publication par le Guardian des premières informations sur le sujet : aucun démenti de la part du gouvernement américain n’a été formulé. Nous nous intéresserons ici au cas français avec le journal Le Monde. Dans l’hexagone, c’est Glenn Greenwald qui a été le dépositaire des documents de Snowden. Aucun contact n’a été réalisé entre des journalistes français et ce dernier. On pourrait, à juste titre se dire qu’il n’y a qu’une seule et unique source. Pourtant, en tant que journaliste, Glenn Greenwald n’est pas considéré comme une source mais comme un « collaborateur pigé et rémunéré » d’après Remy Ourdan, directeur adjoint de la rédaction du Monde. Mais alors, des documents achetés font-ils preuve de crédibilité ? Dans l’émission « Le secret des sources » sur France Culture, Rémy Ourdan défend l’achat de ces documents par le simple fait que Greenwald est un journaliste : « On a pour principe dans cette profession de ne pas payer les sources, en revanche, on rémunère les journalistes professionnels. »

Laura Poitras est l’auteure d’un film décrivant la vie quotidienne en Irak pendant l’occupation américaine (My Country ! My Country !) et d’un autre sur un prisonnier yéménite de Guantánamo. Habituée aux contrôles dans chaque aéroport, ses appareils électroniques et carnets de notes lui sont souvent confisqués. Ce qui lui vaut d’avoir développer des compétences de protection impressionnantes.

Des journalistes mobilisés en complément Dans un édito daté du 21 octobre, intitulé « Combattre Big Brother », la directrice du Monde, Nathalie Nougayrède l’assure : les documents fournis par Glenn Greenwald ont été analysés et vérifiés par une équipe d’une dizaine de journaliste : « La nature très diverse de ces

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documents et leur grande technicité nécessitait, pour chacun d'entre eux, un examen minutieux et une analyse approfondie, pour tenter de leur donner tout leur sens et leur valeur. » Après tout, on pourrait se questionner sur le réel objectif d’Edward Snowden : en se réfugiant en Russie ou à Hong Kong, l’ancien analyste de la NSA jette le trouble. Pourtant, il a rapidement déclaré dans un entretien au New York Times n’avoir transmis aucun document de la NSA aux autorités russes ou chinoises. Il s’impose en lanceur d’alerte soucieux de l’intérêt public et de la démocratie et non au service de puissances extérieures. Elle continue en expliquant que ces données ont fait appel à un travail d’enquête en France, des sources officielles françaises ont réagit à ces informations. Respecter le principe de responsabilité Toujours dans le même édito, la directrice du Monde l’assure : l’objectif de ces révélations est de mettre un terme à l’ignorance du public face au programmes d’écoutes et d’espionnages qui « mettent à bas tout principe de contrepoids en démocratie ». Alors qu’il s’agit d’un thème largement repris par nos politiques, la transparence n’est pas le mot d’ordre ici. A Remy Ourdan de s’en défendre : « Le journalisme c’est un métier, on est pas là pour tout mettre sur la place public de manière inconsidérée, on est là pour faire un travail de recherche d’information de recoupement d’analyse et ensuite de porter à l’intérêt du public, ce qui nous semble digne d’être porté à l’intérêt du public ». L’objectif ici, n’est pas de sortir n’importe quelles informations dans le seul but de vendre des journaux et de « faire le buzz ». Le journal espère bien entendu augmenter ses ventes grâce à l’exclusivité offerte par Greenwald, mais, à l’image des déclarations de Snowden, Remy Ourdan, comme Nathalie Nougayrède insistent sur ce point : aucun documents sur l’espionnage par la NSA de leurs ennemis ou de pays agressifs ou totalitaires n’ont été révélé au public ou transmis à ces mêmes pays : « Nous ne sommes pas là pour déclencher une guerre entre les Etats-Unis et la Russie ou mettre en danger la sécurité nationale américaine » déclarait Remy Ourdan sur France Culture. Le seul objectif du journal : « Dénoncer un programme de surveillance massif illégal de citoyens de pays démocratique » Au Royaume-Uni, une presse non unanime Alors qu’en France, les révélations de l’affaire Snowden n’ont déclenché aucune polémique, c’est une toute autre histoire en Royaume-Uni. Connue pour être la gardienne de la liberté d’expression, l’image du Royaume-Uni a été quelque peu écornée. Début octobre, lorsque le Guardian sort des informations, il se fait attaquer par le Daily Mail qui écrit en une : « Le journal qui aide les ennemis de la Grande Bretagne ».

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La presse n’est pas la seule à avoir attaqué le Guardian. Andrew Parker, le patron des services secrets britannique (le MI5), déclarait que ces révélations « sont un cadeau pour qui voudrait attaquer le Royaume-Uni » Pour Eric Albert journaliste correspondant à Londres pour plusieurs médias français, il y a une explication évidente à ces attaques : le Guardian est un « petit » journal avec environ 300 000 impressions quotidiennes contre environ 2 millions pour le Daily Mail. De telles révélations créent une certaine jalousie. Ces données révélées par le Guardian seraient-elles dérangeantes pour le gouvernement britannique ? On peut le croire puisqu’au cours du mois de juillet, le gouvernement britannique a demandé la destruction de nombreux disques durs et ordinateurs contenant les informations d’Edward Snowden. L’objectif : effacer toutes traces des documents impliquant le contreGlenn Greenwald derrière son compagnon David Miranda à l’aéroport d’Heathrow.

espionnage britannique.

Au moins d’Août cette fois, le compagnon de Glenn Greenwald, David Miranda est arrêté à l’aéroport d’Heathrow maintenu 9 heures en gardes à vue sur la base d’une loi antiterroriste. Il s’est ainsi vu saisir son matériel informatique. Malgré ces intimidations, le Guardian continue sur sa lancée, toujours dans l’esprit d’informer le public de manière responsable. Au niveau international, la presse a plutôt soutenu le Guardian. Par exemple, Jill Abramson, directrice du New York Times, a affirmé que le journal aide “le public à décider comment équilibrer la protection contre le terrorisme et celle de la vie privée individuelle”. Le devoir des journalistes Cette affaire lève le voile sur un réel décalage entre différentes formes de journalisme. Un décalage bien résumé par cette déclaration de Glenn Greenwald : « Je ne suis pas surpris que des factions autoritaires préfèrent que le débat sur la vie privée n’ait jamais lieu. Mais je suis étonné quand des gens qui se qualifient eux-mêmes de “journalistes” se félicitent de penser comme ça : on voit le fossé entre le rôle qu’ils sont supposés jouer, et celui qu’ils ont vraiment.” L’affaire Snowden illustre la montée en puissance des lanceurs d’alerte. Avant lui, Julian Assange, Bradley Manning ont mis en avant la possibilité de dénoncer des actes de gouvernements. L’inconvénient de ces lanceurs d’alerte est qu’ils sont souvent seul. Prouver la sincérité de leur propos est plus difficile pour les médias.

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Dans le cas de l’affaire Snowden, les médias ont bénéficié de plus de crédibilité de par la confirmation par le gouvernement américain de la véracité de ces documents. En publiant ce genre de documents, les médias doivent être vigilent. Il est primordial de ne pas voir seulement le scoop et se précipiter en faisant des révélations non vérifiées. Le journaliste a une responsabilité qu’il ne faut pas négliger. C’est avec ce principe en tête que les médias ont révélé des informations de Snowden : tri du publiable et du non publiable, vérification et recoupage des sources. Autrement dit, les éléments essentiels pour donner du crédit à ses informations.

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