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Faut-il conserver la cheminée de la Vieille-Montagne ? Cette interrogation qui fit la une

Le Grand Creillois industriel retrace les origines, le développement et la pérennité des activités industrielles à travers les éléments les plus significatifs de son patrimoine et de son architecture. Marqué par la forte présence de l’extraction de la pierre depuis près de 2 000 ans, le territoire s’est ouvert, à partir de la fin du XVIIIe siècle, aux industriels et à la main-d’œuvre des secteurs de la métallurgie et de la céramique, puis au début du XXe siècle à ceux travaillant dans la mécanique et la chimie.

d’un article du Courrier Picard en août 1999 révélait déjà les innombrables questions inhérentes à la conservation, à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine industriel du bassin

Au fil de l’Oise entre Pont-Sainte-Maxence et Saint-Leu-d’Esserent, mais aussi en remontant les cours de la Brèche et du Thérain, cette publication s’attache à parcourir ce patrimoine constitué d’usines, de cités ouvrières, de châteaux d’industriels, de coopératives mais aussi de monuments funéraires et de murs peints publicitaires.

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PICARDIE

L’ambition de ce livre est de présenter, à travers les nombreuses illustrations, la richesse des savoir-faire et des architectures de ce territoire afin de lui redonner toute sa place au sein de l’histoire industrielle.

alors que l’ensemble du site, désaffecté depuis 1992, vient d’être livré aux pelles mécaniques des démolisseurs ? Sa hauteur ? Le symbole visuel fort qu’elle représente pour les habitants du bassin creillois ? Le peu d’espace qu’elle prend au sol ? La question fut finalement tranchée, au nom de la sécurité, par sa démolition, quelques mois plus tard. De cette destruction, véritable perte visuelle, et la première de cette ampleur sur le territoire, naquit la volonté de mieux connaître ce patrimoine et de le protéger. L’Association pour la Mémoire Ouvrière et Industrielle du bassin creillois (AMOI), qui a fêté ses 10 ans en 2010, est née de ces interrogations. Elle s’est fixée dès l’origine pour objectif l’étude, la connaissance et la collecte de témoignages sur l’activité ouvrière et industrielle du bassin

I M A G E S D U PAT R I M O I N E

LE GRAND CREILLOIS INDUSTRIEL

creillois. Conserver cette cheminée, pourquoi pas. Mais qu’est-ce qui en justifie sa préservation

creillois. Très vite, le projet de création d’un lieu, dédié à la mémoire ouvrière et industrielle, a émergé. L’étude en fut confiée en 2005 au Cabinet Mérimée Conseil, sous l’égide de la Communauté de l’Agglomération Creilloise (CAC) qui a préconisé la réalisation d’un inventaire exhaustif des sites industriels afin d’en conserver l’histoire et la mémoire. Un an plus tard, l’étude du patrimoine industriel du bassin creillois débutait, après la signature d’une convention tripartite entre le Conseil régional de Picardie, le Conseil général de l’Oise et la Communauté de l’Agglomération Creilloise. Réalisé entre septembre 2006 et juin 2009, l’inventaire du patrimoine industriel a porté sur l’ensemble des bâtiments, des friches et des sites industriels présents sur les communes de Creil, de Montataire, de Nogent-sur-Oise et de Villers-Saint-Paul. Il a contribué à réaffirmer l’existence de relations entre les deux vallées de la Brèche et du Thérain qui ont favorisé la diffusion de savoirfaire jusqu’aux rives de l’Oise, notamment dans le secteur de la petite métallurgie. Il a également aidé à la connaissance du bâti de certains quartiers industriels, comme le quartier de Gournayles-Usines, que l’on croyait né après la Première Guerre mondiale. Il a également permis de faire découvrir à la population la contribution d’architectes de renom, Perret et Eiffel à Montataire et à Nogent-sur-Oise. Enfin, ce travail a pu délimiter les contours du bassin creillois industriel tout en mettant en lumière les prolongements industriels au-delà de ce noyau. Ce dernier constat a permis de mener une étude complémentaire sur les communes de Laigneville, de Monchy-Saint-Éloi, de Pont-Sainte-Maxence, de Rieux, de Saint-Leu-d’Esserent, de Saint-Maximin, de Saint-Vaastles-Mello, de Thiverny et de Verneuil-en-Halatte. À l’issue de cette enquête, un corpus de 160 dossiers d’inventaire a été constitué. Chaque site étudié a fait l’objet d’un dossier documentaire contenant un historique, un descriptif architectural

Prix : 25 e ISBN 978-2-36219-011-7

DU I M A G E S

L’Inventaire recense, étudie et fait connaître le patrimoine artistique de la France. Les Images du Patrimoine présentent une sélection des plus beaux monuments et œuvres de chaque région.

PAT R I M O I N E

et technique, des sources, des reproductions de documents iconographiques et des photographies prises au cours du recensement. Les recherches documentaires menées ont été multiples et les fonds consultés diversifiés : archives municipales des quatre villes (fonds local, annuaires, almanachs, cadastre napoléonien, mais aussi séries liées aux activités industrielles), archives

Le Grand Creillois industriel Architecture et patrimoine PICARDIE

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départementales de l’Oise, fonds local des bibliothèques municipales, fonds d’architectes à l’Institut Français d’Architecture (Paris), archives d’entreprises. Un travail de localisation a été également réalisé par le biais du Système d’Information Géographique (SIG) de la Communauté de l’Agglomération Creilloise : la constitution d’une base de données a permis de prendre en compte la totalité des sites recensés, y compris les sites disparus. L’objectif du présent ouvrage est de retracer les origines, le développement et la pérennité des activités industrielles sur le territoire à travers son architecture. Il s’inscrit également au cœur des préoccupations de l’agglomération en abordant les questions de développement économique et d’aménagement du territoire. L’histoire des hommes qui ont façonné ce paysage y est aussi présentée et d’aucuns regretteront qu’elle n’y trouve pas une place plus importante. Mais cette approche sociologique et ethnologique reste un sujet à part entière. L’ambition de ce livre n’est pas de mettre un point final à l’histoire de ce territoire mais bien de présenter son passé pour mieux appréhender l’avenir. Il a pour vocation de montrer la richesse de ses savoir-faire et de ses exceptions architecturales et de lui redonner sa place au sein de la grande aventure industrielle.


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Le Grand Creillois industriel Architecture et patrimoine P i c a r d i e

Textes Clarisse Lorieux Photographies Thierry Lefébure Clarisse Lorieux Olivier Pasquiers / Le Bar Floréal. photographie Caroline Pottier / Le Bar Floréal. photographie Olivier Verley Cartes Karine Mention

Inventaire général du patrimoine culturel

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Cet ouvrage a été réalisé Par la Communauté de l’Agglomération Creilloise, sous la direction de Christian Grimbert, Président et par la Région Picardie, direction de la Culture et du Patrimoine sous la direction d’Isabelle Barbedor, responsable du service de l’Inventaire général du patrimoine culturel. Enquêtes d’inventaire Clarisse Lorieux La documentation rassemblée a été mise en forme avec l’outil de production de dossier électronique RenablLyon, conception Pierrick Brihaye, informaticien, service régional de l’Inventaire, Région Bretagne, et Yves Godde, informaticien, ville de Lyon. Relecture Isabelle Barbedor, responsable du service régional de l’Inventaire du patrimoine culturel, Région Picardie Catherine Chaplain, Mission Inventaire général du patrimoine culturel, direction générale des patrimoines, ministère de la Culture et de la Communication Pascale Didine, directrice des Services à la Population, Communauté de l’Agglomération Creilloise Christine Galvin, responsable des archives de la ville de Montataire Que soient remerciés pour leur collaboration Les archives communales et les services techniques des villes recensées, le personnel des bibliothèques et médiathèques municipales, les services des archives départementales de l’Oise, le service régional de l’Inventaire, Région Picardie, l’Association pour la Mémoire Ouvrière et Industrielle du bassin creillois, la Bibliothèque nationale de France, les Archives Nationales, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, l’École nationale des ponts et chaussées, l’Institut Français d’Architecture, la Maison de la Pierre à Saint-Maximin, le musée Gallé-Juillet à Creil, le musée de l’Imprimerie à Lyon, le Parc Naturel Régional Oise Pays de France, l’ensemble des entreprises et sociétés qui ont ouvert leurs portes et leurs archives : Acor, AFT-IFTIM, Air-Liquide, Akzo-Nobel, Arcelor-Mittal, la cartonnerie Bazin, Cray-Valley, Dow-Chemical, EDF, FL Création, Goss-International, Griset, Howden, l’Ineris,

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Introduction

Leclerc, Montupet, Morel, Norchim, Ouachée-Corpechot, Outilec, Recylex, la menuiserie Regnier, Rivierre, Rocamat, Saga-Décor, la SEMMAP, Still, Stokomani, l’UCC, Umicore, Violet, Votat. la Communauté de Communes des Pays d’Oise et d’Halatte, la Communauté de Communes Pierre Sud Oise, l’ensemble des membres du comité de pilotage de l’Inventaire du patrimoine industriel qui s’est réuni régulièrement entre 2006 et 2010. Toutes les personnes rencontrées au cours de ces quatre ans d’enquête : auditeurs, collectionneurs, passionnés, anciens ouvriers et propriétaires qui ont aidé à construire pas à pas ce travail grâce à leurs souvenirs, à leurs documentations et à leur intérêt pour ce sujet.

La formation d’un nouveau paysage, 1789-1845 – Une révolution ferroviaire à plusieurs vitesses, 1845-1914 – Le bassin creillois pendant la Grande guerre, 1914-1918 – Le renouvellement industriel, 1919-1939 – La Seconde Guerre mondiale et ses impacts sur l’activité économique, 1939-1950 – Les nouveaux besoins du bassin : un redéploiement vers l’Oise, 1950-1975 – La crise et ses réponses : vers un nouvel aménagement du territoire, 1975-2000 – Le poids économique du bassin creillois aujourd’hui et son patrimoine industriel

Que soient enfin remerciés à titre personnel Salah Adjoudj, Mélanie Baticle, Alain Binet, René Blanchon, Claude et Évelyne Boufflet, François-Xavier Bridoux, Richard Brouckmans, Marceau Deparis, Philippe Derouet, Patrick Edy, Christine Galvin, Daniel Leclerc, Jacques Penit, Gilbert Rose, Michel Urli, les Forges pour leur accueil, Grégoire et Guillaume pour leur participation.

Un patrimoine en images Les rivières - p. 38 Les activités extractives - p. 48 Les usines de céramique - p. 54 Les usines de travail du verre - p. 58 Les usines de métallurgie - p. 59 Les usines de construction mécanique - p. 70 Les usines de produits chimiques - p. 81 L’électricité - p. 89 Papier, carton et cuir reconstitué - p. 90 L’agroalimentaire - p. 96 L'agro-industrie - p. 98 Le travail du bois - p. 100 La confection - p. 102 La recherche au service de l'industrie - p. 104 L’enseignement professionnel - p. 106 L'habitat - p. 107 Les équipements - p. 118 Les monuments funéraires - p. 122 Les murs peints publicitaires - p. 123

En couverture : Chaîne de production des tôles d’acier galvanisées ou laquées à Arcelor-Mittal, Montataire.

L’ensemble de la documentation est consultable sur le site de la Communauté de l'Agglomération Creilloise (www.cc-agglocreilloise.fr) sur le site de l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie (http://inventaire.picardie.fr) et depuis les base de données du Ministère de la Culture (http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/patrimoine/) © Communauté de l'Agglomération Creilloise, Région Picardie, Ministère de la Culture Édité par les éditions Lieux Dits Dépôt légal : janvier 2011 Le Grand Creillois industriel, architecture et patrimoine / Communauté de l'Agglomération Creilloise et Inventaire général du patrimoine culturel, Région Picardie, Ministère de la Culture Réd. Clarisse Lorieux, photogr. Thierry Lefébure, Clarisse Lorieux, Olivier Pasquiers / Le Bar Floréal.photographie, Caroline Pottier / Le Bar Floréal.photographie, Olivier Verley, dess. Karine Mention. Lyon : Lieux Dits, 2011, 128 p. ; ill. en coul., cartes, plans ; 30 cm (Images du patrimoine ISSN 0299-1020 ; n° 265) ISBN 9782362190117

Annexe Bibliographie sommaire - p. 126 Glossaire - p. 126 Notes - p. 127 Abréviations utilisées - p. 127

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Préfaces

Préface du Président de la Communauté de l’Agglomération Creilloise, Monsieur Christian Grimbert Clarisse Lorieux a su mener cet inventaire avec un brio particulier et une volonté manifeste. Vous en découvrez, aujourd’hui, la version écrite qui fut précédée de conférences passionnantes suivies par un public fidèle, averti et à chaque fois plus nombreux, partageant un temps de mémoire mais aussi de réflexion pour notre futur. Je vous souhaite, par la lecture de cet ouvrage, de connaître à votre tour, ces moments privilégiés dont nous avons pu bénéficier. Christian GRIMBERT Président de la Communauté de l’Agglomération Creilloise

Préface du Maire de Montataire, Monsieur Jean-Pierre Bosino Avec ce bel ouvrage consacré au patrimoine industriel, le « cœur » du bassin creillois apparaît de belle façon, en pleine lumière. Merci à Clarisse Lorieux pour ce travail d’une grande rigueur scientifique qui permet de retrouver la matière riche et dense de ses différentes conférences dans chacune de nos villes. Le « cœur », celui qui bat, c’est ce qui fait la vie et pour tous ceux qui s’intéressent au bassin creillois, il n’y a aucun doute : le développement, le rayonnement du bassin creillois se confond avec son histoire industrielle, celle qui dure encore aujourd’hui malgré les « coups » portés aux outils et à l’emploi, ces dernières décennies. Le patrimoine industriel est évidemment présenté à travers ses bâtiments, ses ateliers, ses architectures, ses lieux d’implantation aussi, liés à nos rivières, au rail. Mais à travers ce patrimoine bâti, cette géographie, nous apparaissent ces femmes et ces hommes, ouvriers spécialisés, employés, agents de maîtrise, techniciens, ingénieurs présents dans toutes les pages du livre, sur toutes les photos même quand on ne les aperçoit pas au premier abord : sans eux ce patrimoine ne serait rien, n’aurait pas de vie. En donnant une visibilité à cette histoire industrielle du bassin creillois, en lui redonnant une place centrale, nous permettons à notre territoire d’accrocher solidement son présent et son avenir à ses racines. Nous rendons aussi hommage et dignité à celle et ceux qui ont travaillé souvent très dur dans des conditions parfois terribles au point d’y laisser la vie, qui ont été licenciés dans des plans dits « sociaux », mais qui sont les bâtisseurs de notre pays. Cette histoire se poursuit, elle doit se poursuivre et nul doute que ce livre, au-delà du plaisir de la lecture et de la découverte, donnera envie d’agir pour une vraie politique industrielle ici et ailleurs. En autorisant ce travail sur l’inventaire et cet ouvrage, la CAC et l’ensemble des partenaires se sont grandis. Jean-Pierre BOSINO Maire de Montataire Vice-Président de la Communauté de l’Agglomération Creilloise En charge du pilotage du comité pour l’Inventaire du patrimoine industriel

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Silhouette d'un employé des services techniques de la ville de Creil.

Alexis Mast, en apprentissage dans la menuiserie familiale aux côtés de son père Marcel Mast, Villers-Saint-Paul. 6

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Préface de la Vice-Présidente en charge de la Culture à la Communauté de l’Agglomération Creilloise, Madame Christiane Poras Cette publication, outre la présentation des caractéristiques du patrimoine industriel présent sur le bassin creillois, a pour vocation de permettre à chacun, enfants ou adultes, de se réapproprier l’histoire de ce territoire. Il ne s’agit aucunement de se complaire dans un mythe passéiste mais de connaître son passé pour penser son avenir, telle est l’ambition que je souhaite voir se développer. Qu’il s’agisse d’éducation, de culture, de développement économique, d’urbanisme, tous ces champs peuvent se nourrir de l’histoire industrielle du Grand Creillois. La révolution industrielle a transformé le paysage, fait apparaître de nouvelles formes architecturales, structuré le tissu urbain à partir de l’Oise et des emprises ferroviaires, permis le développement d’innovations techniques. Il est de notre responsabilité aujourd’hui de prendre conscience de la richesse du terreau sur lequel nous évoluons et d’y cultiver de « nouvelles pousses », de susciter l’innovation, la création économique ou artistique, de prendre source pour faire jaillir un nouvel âge d’or. Christiane PORAS Vice-Présidente en charge de la Culture à la Communauté de l’Agglomération Creilloise

Préface Du Président du Conseil Régional de Picardie, Monsieur Claude Gewerc Industrielle et agricole, la Picardie est également une terre de recherche et d’innovation, depuis plus de deux siècles. Le Conseil régional a donc souhaité mener et soutenir les études sur le patrimoine industriel picard, et ce dès 2004, date à laquelle les régions ont eu la responsabilité de la conduite et de la programmation de l’Inventaire général du patrimoine culturel sur leur territoire. Les opérations d’inventaire sont destinées à produire une connaissance scientifique accessible à tous, mais également à mettre en valeur un patrimoine multiple et riche. Elles accompagnent les grands projets régionaux, comme le SRADDT (schéma régional d’aménagement durable du territoire) , les actions de médiation comme le Printemps de l’Industrie, ou encore la création de centres d’interprétation du patrimoine industriel : les sites de Guise (Aisne), de Francières (Oise) et de Flixecourt (Somme) ont vocation à constituer des espaces de médiation sur des thèmes majeurs pour notre région, dans lesquels la connaissance historique nourrit la réflexion et l’action, pour le présent et l’avenir. La Picardie a été l’une des premières régions, en France, à expérimenter puis à effectuer le repérage du patrimoine industriel, dès 1986. Le territoire étudié par le service régional de l’Inventaire couvre actuellement le département de la Somme et, partiellement, ceux de l’Oise et de l’Aisne. Après l’étude menée en partenariat avec la Communauté d’Agglomération de Saint-Quentin, de 2004 à 2007, la Région accompagne l’inventaire mené sur le territoire de la Communauté de l’Agglomération Creilloise, depuis 2006. Ce partenariat scientifique et financier s’est traduit par une convention, confiant la conduite de l’inventaire du patrimoine industriel et commercial à la Communauté de l’Agglomération Creilloise et dont les premiers dossiers documentaires sont consultables sur le site de la Région (http:\\inventaire.picardie.fr). Une seconde convention a permis d’élargir l’aire d’étude à l’ensemble du bassin creillois et de réaliser cette publication richement illustrée, dans une des collections nationales de l’Inventaire général du patrimoine culturel, qui lui garantit un large rayonnement. Elle illustre la richesse patrimoniale et la vitalité industrielle du bassin creillois depuis la fin du XVIIIe siècle, offrant à un large public la possibilité de découvrir ou de retrouver les témoignages d’une histoire commune et l’identité d’un territoire structuré par la vallée de l’Oise et par ses rivières affluentes, en particulier la vallée du Thérain, étudiée par le service régional de l’Inventaire. La vallée de l’Oise est également au cœur des politiques régionales avec la Directive Régionale d’Aménagement « Grandes vallées ». Comme le montre cet ouvrage, le patrimoine industriel ne se limite pas aux sites de production ; il comprend également des logements et des équipements, témoins des modes de vie dans les villes industrielles aux XIXe et XXe siècles. Enfin, dans cette histoire industrielle du bassin creillois, on découvre aussi le rôle des collectivités dans la construction d’un espace urbain fortement marqué par l’emprise des sites industriels et par les réseaux de circulation et de communication. Cet accompagnement des profondes mutations du paysage et de l’identité des territoires, par la construction de nouveaux points de repère, est toujours d’actualité et tourné vers l’avenir : la volonté de la Communauté de l’Agglomération Creilloise de mener cet inventaire et d’en faire partager à tous les résultats exemplaires en est un témoignage éloquent. Claude GEWERC Président du Conseil régional de Picardie

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Introduction

Péniche sur l’Oise à Verneuil-en-Halatte.

« Au pied du coteau, les gaies maisons d’un gros bourg semblaient (…) être venues se ranger autour de l’antique castel pour lui faire escorte et lui demander au besoin aide et protection. Au premier plan, mais beaucoup plus bas, et tout près de nous, une grosse usine, établie au fond de la vallée, composée de bâtiments irréguliers, plus pittoresques que ne le sont d’ordinaire ces sortes de fabriques, formait, avec ses hautes cheminées et ses murs noircis, un repoussoir artistique à ce riant tableau ». Histoire d’un vieux château de France [Montataire], baron de Condé 1846.

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’étirant le long de la vallée de l’Oise et de ses deux principaux affluents, la Brèche et le Thérain, le territoire du bassin de Creil s’étend sur 128 km². Cette expression de « bassin de Creil » ou « bassin creillois », très souvent utilisée, mais pourtant assez peu définie1, concerne, dans le cadre de l’étude d’inventaire qui a été menée, quatorze communes regroupant 106 000 habitants centrées autour de Creil et de Montataire. Le poste avancé2 Pont-Sainte-Maxence, est à 20 km de la ville aval, Saint-Leu-d’Esserent. Le paysage qui le compose est tout entier empreint de traces, de signaux et de bâtiments industriels construits et formés au cours des deux siècles précédents. L’industrialisation a ainsi fait naître un territoire, constitué d’activités de production, d’infrastructures, de machines, de matières premières, mais aussi d’habitat et de lieux de vie.


La formation d’un nouveau paysage, 1789-1845 Aux sources de l’industrie… un paysage pittoresque célébré par les romantiques Si le territoire possède aujourd’hui un caractère fortement industriel, qui se décline à la fois dans le paysage et dans le bâti, Creil et ses environs sont, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, de petits villages agricoles, baignés par la riante vallée de l’Oise3. Celle-ci concentre l’essentiel d’une activité tournée vers l’extraction de la pierre et l’utilisation de la force hydraulique de ses rivières. La vallée est parcourue par de nombreux voyageurs qui soulignent l’opulence des prairies, les couleurs des paysages, apprécient les nombreux points de vues qu’offrent les montagnes4 sur la rivière et célèbrent ses ruines encore majestueuses et très imposantes,5 dont l’abbaye de Canneville dessinée par Hubert Robert.

déroule entre 1840 et 1857, est déjà bien loin des narrations poétiques du préfet Cambry en 1803 dans la Description du département de l’Oise. Le héros, Frédéric Moreau, découvre les villes de Creil et de Montataire entrées depuis presque un demi-siècle dans l’ère industrielle : Des grues, des magasins parurent. C’était Creil. La ville, construite au versant de deux collines basses, avec la tour de son église, ses maisons inégales et son pont de pierre, lui semblait avoir quelque chose de gai, de discret et de bon. Un grand bateau plat descendait au fil de l’eau, qui clapotait fouettée par le vent (…) Après le pont, il se trouva dans une île, où l’on voit sur la droite les ruines d’une abbaye6. Un moulin tournait, barrant dans toute sa largeur le second bras de l’Oise, qui surplombe la manufacture. Sur le pont de la Boucherie, un bourgeois lui demanda s’il cherchait quelque chose. Celui-là connaissait la manufacture d’Arnoux. Elle était située à Montataire (…). Frédéric s’enquit d’une voiture, on n’en trouvait qu’à la gare (…). La barrière était close. Il fallut attendre que deux convois eussent défilé. Enfin il se précipita dans la campagne. (…)

Vue de l’Oise en 1803 depuis la plaine de Vaux (AD Oise : 1Fi-140/6).

Pourtant, malgré la récurrence d’une vision bucolique, souvent exagérée, relayée par les nombreux auteurs de monographie jusqu’au milieu du XIXe siècle, le paysage change en même temps que le territoire connaît ses premiers balbutiements industriels. Ainsi, la description qu’en fait Gustave Flaubert dans L’Éducation sentimentale, dont l’intrigue se

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Des scories de fer étaient rangées sur les deux bords de la route, comme des mètres de cailloux. Un peu plus loin, des cheminées d’usines fumaient les unes près des autres.7 Cette description est un précieux témoignage sur le paysage et sur les industries déjà bien implantées à cette époque. La faïencerie de Creil

en fait partie intégrante ainsi que son moulin, établi sur le petit bras de l’Oise, et surtout les forges et les fonderies de Montataire appartenant aux Mertian. Cette description démontre également l’importance du rail qui conditionne les déplacements ainsi que le rôle joué par l’Oise et, en filigrane par le Thérain, puisque la manufacture d’« Arnoux-Mertian » décrite par Gustave Flaubert se trouve sur cette rivière.

de blé. La seconde peut être utilisée pour écraser les céréales ou les noix, fouler les draps ou tanner les peaux. L’association de deux paires de meules se retrouve par exemple aux moulins des Planches sur le Thérain à Montataire entre le milieu du XVIe siècle et le troisième quart du XVIIIe siècle. Durant la période révolutionnaire et jusqu’à la fin des années 1810, plusieurs activités éphémères vont naître sur leurs rives.

Extrait du cadastre napoléonien représentant la manufacture de faïence, 1809. (AC Creil : 1G1).

Profil du bras du Thérain sortant de la propriété de Monsieur Loison et se joignant au canal de dérivation du moulin à chamois de monsieur Dastier, 1808 (AD Oise : 7SP293).

Le rôle moteur des rivières affluentes le Thérain et la Brèche

Sur les 32 moulins recensés sur le canton de Creil en 1808 et pour la plupart déjà en place sous l’Ancien Régime, on en compte dix sur le Thérain et neuf sur la Brèche. Cette période est également marquée par l’arrivée d’industriels désireux d’implanter durablement leurs activités.

Si l’on trouve quelques rares installations hydrauliques sur l’Oise, dont la plus imposante est sans conteste le moulin* de la faïencerie de Creil établi au début du XIXe siècle sur les bases d’un ancien moulin à blé, elles sont concentrées sur les deux principaux affluents, la Brèche et le Thérain, dès la fin du XIe siècle. Les autres ruisseaux ou rus, le ruisseau de la Frette et des Tanneurs à Pont-Sainte-Maxence, où le nombre de moulins construits depuis le XVIe siècle atteint le chiffre exceptionnel de cinq sur une centaine de mètres au milieu du XIXe siècle, le Rhony à Rieux, le Petit-Thérain à Thiverny, le ru Macard à Verneuil-en-Halatte, bien que de cours et de débits plus modestes, accueillent eux aussi quelques installations industrielles au XIXe siècle. D’abord possessions ecclésiastiques, rattachées principalement au prieuré clunisien de Saint-Leu-d’Esserent et aux abbayes de SaintPierre de Jumièges et de Saint-Vincent de Senlis, ou seigneuriales, les moulins de la Brèche et du Thérain abritent le plus souvent plusieurs paires de meules dont l’une est toujours destinée à la mouture des grains

Les Anglais à la conquête du territoire : des débuts chaotiques Créées à l’origine par deux Anglais, la fabrique de poterie à Montataire et la manufacture de faïence à Creil sont les premières véritables expérimentations industrielles sur le territoire. George Taylor, établi à Montataire en 1791, et Robert Bray O’Reilly, installé à Creil en juillet 1797, apparaissent donc comme les deux pionniers de l’industrie. Le 26 décembre 1791 Jacques Legros et Marie Anne Verret vendent 40 verges de terres labourables au lieu-dit l’Île à George Taylor, négociant anglais demeurant à Maidstone dans le Kent. Les délibérations du conseil municipal de Montataire mentionnent également un Jack Taylor

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qui semble être associé à George. La fabrique de poterie n’a qu’une durée de vie limitée ; elle est bientôt remplacée par une papeterie puis par une forge, avant que les biens des deux Anglais soient saisis en 1793. L’inventaire, réalisé à cette occasion, mentionne qu’il n’existe que la carcasse du bâtiment, celui-ci ayant été vandalisé régulièrement : point de porte, point de fenêtre, point de planches de dessus. Un bâtiment abrite une forge mais il n’y a pas d’autre mobilier. Le bâtiment est couvert d’une toiture d’ardoises et de faîtières et gouttières en plomb8. Si cette installation reste éphémère, le passage des deux Anglais laisse une trace dans la toponymie puisque pendant plusieurs décennies ces parcelles prennent le nom de « Terrain des Anglais. » Robert Bray O’Reilly connaît également des difficultés pour le démarrage de son activité de fabrication de faïence à Creil et il lui faut deux tentatives, entre 1797 et 1801, pour faire sortir de terre les premiers bâtiments de production. En 1803, un autre Anglais reprend l’affaire : Jacques Bagnall. Né en 1762 dans le Staffordshire, il est issu d’une famille de faïenciers. Installé en France à partir de 1784, il travaille d’abord au sein de la manufacture de faïence de Douai (Nord) fondée Vase aux anses en tête de bélier avec décor d’herborisation brun sur blanc, appelé également « au deuil à la Reine », réalisé en 1806 selon le procédé breveté de John Stevenson (musée Gallé-Juillet, Creil).

par Jacques et Charles Leight, importateurs des procédés de fabrication de faïences du Staffordshire, puis à la fabrique de porcelaine de Chantilly dirigée par son compatriote Potter. En 1803, il est débauché avec 30 autres ouvriers par Charles Gaspard Alexandre de SaintCricq-Cazaux, directeur de la manufacture de faïence de Creil, qui lui confie la cogestion de son usine. Jacques Bagnall y développe un style personnel, inspiré des faïences anglaises, mais aussi de ses expériences à Douai et à Chantilly et de la mode de l’époque. Naturalisé français en 1816, il poursuit le développement de l’entreprise en investissant celle de Montereau (Seine-et-Marne). L’usine de Creil connaît une grande expansion grâce à l’expérience technique britannique et aux nombreux emplois indirects engendrés par l’extraction de toutes les matières premières nécessaires à la fabrication de la faïence. La communauté britannique est très présente dans toute la première moitié du XIXe siècle en participant aussi bien à la vie locale qu’aux recherches liées à la production. Le brevet d’invention déposé le 19 mai 1806 par John Stevenson, dont le prénom est francisé dans l’acte en Jean Stevenson, pour la création de décor d’herborisation* sur toutes espèces de faïence et de terre de pipe, en est l’un des témoignages. Parallèlement à cette activité creilloise qui tend à prendre de l’ampleur, les industriels des deux vallées affluentes commencent à se structurer. L’éphémère réussite de Petitjean et Meugin à Montataire et à Villers-Saint-Paul Alphonse Petitjean et Marie-Martin Meugin installent en 1816 une filature de laine peignée sur le Thérain à Montataire. Petitjean, qui a notamment mis au point deux machines pour doucir et polir les glaces dont il a vendu le procédé de fabrication à la manufacture de Saint-Gobain, adjoint bientôt à sa filature une fonderie de fer et de cuivre. Les deux ateliers emploient en 1822 41 ouvriers et 39 ouvrières venus principalement de l’Oise mais aussi des Ardennes, de la Marne, de la Moselle et deux ouvriers originaires de Silésie. La matière première provient des forges du Cher, de la Haute-Marne et du Jura. En 1824, les deux associés, forts de premiers résultats encourageants, transforment un ancien moulin villersois, situé sur la Brèche, en une clouterie et déposent l’année suivante un brevet d’invention pour la fabrication de clous ou pointes de Paris. En 1826, l’usine de Montataire fait faillite à la suite de nombreux différends entre riverains pour l’utilisation de la force hydraulique du Thérain.

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Les ateliers installés dans l’ancien moulin, ses dépendances ainsi que les terres sont vendus en décembre 1827 à Basile-Louis Mertian, directeur des forges et fonderies de Montataire. La clouterie se maintient quelque temps à Villers-Saint-Paul, où environ 450 kg de clous sont produits par jour, mais n’emploie qu’une vingtaine de personnes. La date d’arrêt de son activité n’est pas connue, mais on sait que le bâtiment est incendié en 1856. Il est alors probable que la clouterie ait à nouveau fait place à une activité de meunerie. D’autres cas similaires font écho à la mésaventure de Petitjean et Meugin. De Livron développe en 1819 une filature de lin installée sur la petite Brèche, à Nogent-sur-Oise. Il crée une société avec deux associés et, dès juin 1820, deux métiers de dix broches chacun sont en activité. En 1824, alors que le nombre de broches est passé à 900, la société est dissoute. Breidt reste seul propriétaire et améliore les rendements. En 1826, il s’associe avec la famille Schlumberger. La nouvelle société apporte un essor à la filature qui est agrandie et emploie 360 ouvriers et ouvrières, 160 sur place dont une majorité de Belges et de Lillois et 200 ouvrières-détenues travaillant à la maison d’arrêt de Clermont. Malgré des résultats encourageants, Breidt renonce à utiliser la rivière comme force motrice. Il est probable que, comme pour Petitjean et Meugin, des difficultés financières aient conduit à la fermeture du site. En 1830 Schlumberger, acculé, demande une aide de 30 000 francs au préfet de l’Oise. Malgré cette aide, les bâtiments et la chute d’eau sont rattachés l’année suivante au moulin supérieur appartenant à JeanLaurent François. Tout comme pour Petitjean et Meugin, l’aventure industrielle n’aura duré qu’une dizaine d’années. L’ancrage de la faïence et du fer ou l’épopée Saint-Cricq-Cazaux et Mertian Après une période d'émulation technique et scientifique, le début des années 1820 est marqué par l'affirmation des industriels les mieux organisés en ce qui concerne les capitaux, matières premières, débouchés et main-d’œuvre. Le nombre des installations sur les rivières varie peu, 38 sont recensées sur le canton de Creil en 1825, 16 sur le canton de Pont-Sainte-Maxence, mais les activités industrielles contrôlées par deux familles nouvellement ancrées dans le bassin industriel tendent à transformer le paysage des cours d’eau. Les Saint-Cricq-Cazaux et les Mertian s’avèrent en effet être de redoutables entrepreneurs qui contrôlent la majorité des installations sur les rivières. L’entrée de Charles Gaspard Alexandre de Saint-Cricq-Cazaux en 1816 au sein de la faïencerie de Creil et son association avec Jacques Bagnall coïncide avec un nouveau déploiement des activités de l’usine vers

les vallées voisines. Ainsi, le silex, entrant dans la composition des faïences, ramassé sur les coteaux crayeux de Blaincourt et de Précysur-Oise, et les galets provenant de Dieppe sont calcinés, pilés et broyés dans des moulins à cailloux installés à Montataire (au moulin des Planches entre 1816 et 1823), à Précy-sur-Oise, puis au moulin Dessin aquarellé réalisé en 1819 Coquille à Nogent-sur-Oise. Ce pour le projet de navigation du Thédernier, acquis en 1821 par Saint- rain, représentant le petit moulin Cricq-Cazaux, est modernisé et et le moulin à cailloux à Montataire (AD Oise : plan 1323-7). adapté pour la mouture de farine de cailloux9. Équipé d’une meule courante en pierre provenant des carrières de La Ferté-Sous-Jouarre (Seine-et-Marne), le moulin à cailloux est mis en activité en 1825. Cette activité de broyage cesse en 1843, trois ans après la mort de Saint-Cricq-Cazaux et la reprise de la faïencerie par Louis Lebœuf et Gratien Millet, qui choisissent de recentrer les étapes de fabrication sur le site creillois. Les frères Basile Louis et Erasme Bernard Mertian, après des débuts difficiles, qui voient néanmoins la construction d’un fourneau à fondre le fer, de forges, de martinets*, de laminoirs, de patouillets* et de bocards*, reçoivent le soutien officiel de la préfecture en 1819 pour leur usine. Celle-ci présage l’affranchissement du tribut [payé] à l’étranger [Belgique] pour les produits de ce genre, en précisant que le nouveau genre d’industries qu’elle [la forge] développe offre une source de prospérité nouvelle pour l’arrondissement 10. Pour asseoir leur industrie sur le Thérain, les frères Mertian accroissent la puissance motrice de leur forge. Entre 1823 et 1828, ils acquièrent tous les moulins situés en amont de leur forge hydraulique. L’ancien moulin Coulette conserve son usage de mouture du blé et de la farine, en revanche, l’ancien moulin des Planches est transformé en scierie de bois d’acajou et de bois de plessage* et le Petit-Moulin est utilisé pour loger les employés de la scierie. Ils modernisent leur propre installation passant de deux roues hydrauliques verticales en 1813 à quatre en 1828. Ils modifient également peu à peu le cours de la rivière et se tournent de plus en plus vers l’Oise qui sert à l’acheminement des matières premières et au transport des produits finis. En 1844, une lettre des Mertian adressée aux Pontset-Chaussées nous renseigne sur l’état des moulins qu’ils possèdent et sur ceux situés en amont de leur usine : De tout temps ces moulins

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se composaient de trois tournants, faisant farine, chacun avec une roue hydraulique. Vous savez le discrédit qui, dans les environs de Montataire, pèse sur les moulins à farine. Déjà le propriétaire précédent avait remplacé un des deux tournants par une papeterie mais sans succès. A la papeterie j’ai substitué une tréfilerie et je n’ai pas obtenu jusqu’à présent du moins un meilleur résultat. Quant au tournant qui est resté à farine, aucun meunier n’en veut même à vil prix ! 11 Au fil des années, ces moulins sont laissés à l’abandon puis démolis. Ceux situés dans la vallée de la Brèche connaissent en revanche peu de changements d’affectation. La majorité d’entre eux restent des moulins à blé, même si quelques activités industrielles font exception. Humblot fait ainsi installer en 1816, un atelier de préparation de crayons, dans un ancien moulin à huile et à tan*. Fonctionnant avec une dizaine d’ouvriers cet atelier est utilisé pour la mise en œuvre des différentes pâtes qui, une fois préparées, sont renvoyées à Paris où est achevée la confection des crayons. L’atelier est transformé au

milieu du XIXe siècle pour la fabrication de porte-mines, avant que l’activité s’oriente vers la fabrication de tubes sans soudure.

L’Oise, une rivière canalisée au milieu d’une vallée délaissée par les industriels L’Oise coule dans une vallée large, [d’environ 75 m], fertile, bordée de côtes en grande partie cultivées. Cette vallée est tellement humide que tous les historiens la représentent comme un marais12, écrit le docteur Boursier en 1883. Elle s’est creusée dans les terrains sédimentaires du Bassin parisien constitués de calcaire, de sable et d’argile. Sur les coteaux, le calcaire affleure très fréquemment. Sa plaine d’inondation est assez importante aux abords de Pont-Sainte-Maxence, où elle atteint environ 3,5 km puis se rétrécit brusquement à Villers-Saint-Paul pour atteindre un à deux kilomètres et seulement 800 m à Saint-Leu-d’Esserent. Dans cette étendue alluviale régulièrement inondée, les prairies, les mares, les bosquets d’aulnes et de frênes marquent le paysage. Irriguée par plusieurs

L’Oise à Pont-Sainte-Maxence : deux trains de bois flottés et une embarcation aidée par le halage s’apprêtent à s’engager sous le pont, le long de la rive droite des marchandises conditionnées en fûts sont chargées, gravure par Germain, s. d. (AD Oise : 1FI1-114/4).

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affluents, dont la Brèche et le Thérain, cette zone est, jusqu’au milieu du XIXe siècle, une succession de marais et de marécages impropres à toute installation humaine. Le plus important, appelé le Marais-Indivis ou le Grand-Marais, couvre ainsi plusieurs hectares sur les communes de Nogent-sur-Oise, Creil et Montataire. D’autres marais moins importants existent comme à Pont-Sainte-Maxence ou à Villers-Saint-Paul. Malgré les aménagements successifs réalisés à partir des années 1840 pour le passage du chemin de fer par le relèvement des berges, par la création de fossés d’égouttement et par l’élargissement des arches de pont13, la dénomination de marais reste encore usitée dans la toponymie. De nombreux toponymes portent également le nom de pourrure ou de pourriture ; l’appellation Gournay vient du gaulois gronna qui signifie lieu marécageux. Seul le terme de pourrure désignant les terres, assez souvent couvertes d’eau en hiver 14 a été abandonné. Cet aspect de la vallée de l’Oise a d’ailleurs nécessité une adaptation du système constructif puisque la majorité des logis élevés dès 1860 sont en rez-dechaussée surélevé.

Aussi, peu nombreux sont les industriels, qui comme Nicolas Bertrand à Pont-Sainte-Maxence et malgré un terrain qui est on ne peut plus aquatique [et qui] se trouve submergé aussitôt que la rivière atteint 10 pieds de hauteur15, choisissent de s’installer aux abords de l’Oise. De nombreux ports sont aménagés sur ses berges : elle joue un rôle majeur dans le transport fluvial. Les travaux de canalisation réalisés à partir de 182116, à la suite de l’ouverture du canal de Saint-Quentin 15 ans plus tôt, permettent une navigation plus soutenue, plus régulière et en toute saison en augmentant notamment la hauteur de la lame d’eau. Avant ces aménagements, la navigation est aléatoire, soumise aux crues et aux étiages. Désormais reliée avec l’Escaut, la Meuse, la Sambre et la Somme, la vallée de l’Oise devient un carrefour fluvial d’importance. Dans ce dispositif qui comprend sept barrages éclusés, les installations de Creil et de Sarron, comprises dans le périmètre de l’inventaire, sont construites entre 1827 et 1832. Le chenal de navigation est creusé à 1,80 m et le tonnage transporté est de l’ordre de 250 t par barge en 1825.

Verso de la planche VIII (cours de l’Oise entre Nogent-les-Vierges et Pont-Sainte-Maxence) l’Oise aux abords du pont de Creil, par l’abbé Delagrive, 1738 (BnF Cartes et Plans : GE CC 1283 RES).

L’écluse de Sarron avant sa modernisation.

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récurrents du sous-sol parisien. La construction de la route royale n°16 de Paris à Dunkerque au cours de la décennie 1740, puis celle de la route n°17 de Paris à Lille favorisent l’expansion des carrières du sud de l’Oise. L’arrêté du 15 septembre 1776, qui interdit l´ouverture de nouvelles carrières dans Paris, conforte cette activité. En 1828, Louis Graves, dans sa présentation du canton de Creil, insiste sur la profondeur des carrières souterraines de Saint-Maximin, dont les ateliers peuvent se situer à plus de 700 m de l’entrée. Mais l’extraction de la pierre en galeries souterraines décline lentement à partir de 1830 environ, au profit d’une extraction à ciel ouvert, préférée pour des raisons de sécurité. Ainsi le carrier Nicolas Martin Lambert, en mars 1832, cesse brutalement l’exploitation de sa carrière souterraine ouverte en 1828 à Creil à la suite de l’effondrement du ciel des galeries et commence une nouvelle activité à proximité, mais à ciel ouvert sur les décombres d’une ancienne carrière éboulée. Ce témoignage illustre la difficulté d’exploitation de ces terrains à une époque où la mécanisation n’est pas encore répandue. Le glissement progressif d’une extraction souterraine vers une extraction à ciel ouvert coïncide également avec l’arrivée du chemin de fer qui facilite l’exportation des blocs de pierre vers Paris. Plusieurs pont, viaduc et tunnels sont ainsi réalisés à Saint-Maximin à partir de 1859 pour faire communiquer les carrières avec le chemin de fer, via un réseau de rails, comme à la carrière Ouachée-Corpechot.

Fours à chaux et à plâtre En 1845, à la veille de l’arrivée de chemin de fer, synonyme d’une nouvelle vague d’industrialisation, 2 000 ouvriers sont employés par les deux principales industries, la faïencerie de Creil (900) et les forges et fonderies de Montataire (1100). Mais le territoire accueille également de très nombreux autres ateliers et usines, tant et si bien qu’il est difficile de définir un secteur dominant. Néanmoins, les activités extractives restent en tête même si elles sont avant tout destinées à une utilisation locale. Le sous-sol fournit en abondance de l’argile à Rieux, de la tourbe tirée à Laigneville, du sable et de l’argile à Monchy-Saint-Eloi. L’installation, en 1825 dans ce village, d’une fabrique de carreaux étrusques et de creusets* est d’ailleurs liée à la présence d’argile. Les fours à chaux et les fours à plâtre sont également présents sur le territoire ; situés sur les rives de l’Oise et à proximité des centres d’extraction, ils génèrent une forte activité, porteuse de progrès techniques et sociaux. En 1845 le SaintMaximinois Louis Michel Haulleville dépose un brevet d’invention pour une nouvelle forme de four à chaux, produisant le coke et cuisant le plâtre, et fait construire deux fours à porcelaine à Saint-Maximin entre 1859 et 1863. Enfin, bien avant la construction de la cité des faïenciers rue Michelet à Creil, il existe une cité des plâtriers qui semble être la première apparition d’une structure d’habitations groupée pour les ouvriers.

Levier d’aiguillage dans la carrière de la Tranchée à Saint-Maximin. Détail du treuil de relevage de l’écluse de Sarron.

L’exemple particulier de l’extraction de la pierre, une activité pérenne depuis l’époque romaine Le sous-sol du bassin creillois est riche en calcaire présent sur les terrains du Lutétien formés il y a environ 45 millions d’années. Exploité depuis l’époque romaine17, ce calcaire dur est d’abord extrait des coteaux à ciel ouvert par gros blocs. Il est appelé pierre de Saint-Leu par référence au banc de Saint-Leu, strate la plus profonde de la couche calcaire. De nombreuses découvertes archéologiques sur les territoires de Saint-Leu-d’Esserent et de Saint-Maximin viennent confirmer la présence d’une activité d’extraction soutenue dès le Ier siècle avant notre ère. Après une période de déclin entre le haut Moyen Âge et le IXe siècle18, l’activité connaît un renouveau à partir du XIIe siècle sur les communes de Saint-Maximin et de Saint-Leu-d’Esserent grâce à l’exploitation souterraine, puis à nouveau à la fin du XVIIe siècle. À cette période en effet, un rapport de l’Académie Royale d’Architecture préconise l’emploi de la pierre du sud de l’Oise pour contrer les affaissements

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Plan et coupe du four à porcelaine construit à Saint-Maximin par Pierre Ussel, 1863 (AD Oise : 5MP2548).

Extraction d’un bloc de pierre dans la carrière de Laigneville (AD Oise : 4FI06407).

Une révolution ferroviaire à plusieurs vitesses, 1845-1914 Créée par le baron James de Rothschild en 1844, la Compagnie des Chemins de Fer du Nord permet d’irriguer le bassin creillois de lignes longeant les trois vallées de la Brèche, de l’Oise et du Thérain. Ce réseau, qui bouleverse la topographie des lieux et l’attractivité des villes, se constitue petit à petit entre 1846 avec la ligne Paris-Bruxelles et 1859 avec la ligne Paris-Creil par Chantilly. Il est complété par les lignes Paris-Saint-Quentin en 1850 et Creil-Beauvais en 1857. Édifiée rive droite à l’emplacement de l’ancien marais indivis, la gare de Creil va fixer dans ses abords usines et habitations. Le nœud ferroviaire est très rapidement augmenté, sur le territoire de Nogent-sur-Oise, par la construction du dépôt des machines et d’une rotonde, ainsi que par des ateliers et des équipements d’entretien de la Compagnie du Nord. Les abords de la rivière sont également utilisés pour la construction d’une usine élévatrice chargée de refroidir, grâce à des pompes situées dans l’Oise, les circuits des machines à vapeur.

De la Pourrure à la rue des Usines : l’exemple creillois d’une industrialisation fulgurante (1840-1890) Situé à la croisée de trois communes, Creil, Nogent-sur-Oise et Montataire, le quartier Gournay-Les-Usines se constitue dès l’implantation de la gare de Creil sur la rive droite de l’Oise. Enclavé aujourd’hui entre les voies SNCF et l’Oise au sud, et la déviation de l’agglomération creilloise au nord (RD n°200), il se développe au milieu du XIXe siècle sur une zone inondable et marécageuse.

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Cet espace dédié aux pâturages est traversé par des chemins reliant l’Oise au sud et la route de Creil à Beauvais à l’est. L’édification de la gare de Creil et le tracé des voies délimitent des espaces qui sont progressivement aménagés pour accueillir des rues le long desquelles des usines et des habitations sont construites. Plusieurs fonderies sont ainsi établies dès 1850 le long de l’acLocalisation des principales usines autour de la gare de Creil vers 1875. Plan d’une usine à vendre ou à louer située rue Juillet à Creil, entre 1871 et 1899 (AD Oise : 5MP2455).

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tuelle rue Jean-Jaurès comme l’usine de chaudronnerie Lebrun-Levêque. De même, les terrains situés à l’est de la gare, jusqu’à la rue Gambetta, qui limite le quartier dit du Grand-Marais, sont construits assez rapidement car les usines bénéficient de la proximité de la gare de marchandises. La rue des Marais, portion du chemin des Vaches, baptisée ainsi en 1849 en souvenir de ce qu’était ce terrain avant que la prospérité du pays l’ai assaini et en ai fait un quartier de la ville19, se structure rapidement. Elle est investie par des industriels de la petite métallurgie, installés jusqu’alors le long des rivières de la Nonette à Gouvieux ou du Thérain à Mello. D’autres industriels viennent y installer leur première usine : c’est le cas de la fonderie de métaux Pierre en 1852 ou l’atelier de construction mécanique Lebrun et Mauroy en 1856. Ces ateliers sont reliés, dès l’origine, à un embranchement ferroviaire particulier. Chaque usine, entrepôt ou atelier est organisé sur le même schéma : une parcelle carrée ou rectangulaire le plus souvent orientée vers la gare de marchandises puis vers la rue des Pierres, plus tard appelée rue de la Grue, ouverte au début du XXe siècle. À partir de la décennie 1870, les entrepôts de métaux, de cartons, de chiffons et les chantiers de bois et de pierre remplacent progressivement les ateliers de métallurgie, qui s’installent le long de l’ancien chemin des Vaches situé à l’arrière de la gare et resté à l’écart des premières implantations. Ce nouveau quartier accueille essentiellement des usines de petite métallurgie : tréfilerie*, clouterie-boulonnerie mais aussi des ateliers de construction comme celui des constructeurs et ingénieurs Henri Daydé et Auguste Pillé. Les entreprises qui s’y installent occupent la majeure partie des terrains et sont reliées aux voies de chemin de fer au cours des années 1880. Symbole de cette structuration et de ces changements, les noms des rues, rappelant les anciennes activités agricoles, sont remplacés par de nouveaux. La rue des Marais devient ainsi dès 1871 la rue Juillet du nom d’une famille creilloise, puis la rue Jules-Juillet en 1899 : l’ancien chemin des Vaches, qui prend successivement le nom de rue de la Pourrure au début de la décennie 1880, puis de rue des Usines dans le Marais en 1885, trouve sa dénomination actuelle de rue des Usines en 1887. En l’espace de quelques décennies, les anciens pâturages se sont couverts d’usines et d’ateliers. S’accroissant régulièrement depuis 1846, épuisant peu à peu les surfaces disponibles et convoitant les terres situées du côté de la vallée de l’Oise où se trouvent les terrains les mieux adaptés à l’implantation d’établissements industriels, la ville de Creil propose en 1876 l’annexion de 52 ha situés à Nogent-sur-Oise. Ce projet d’annexion, refusé par les Nogentais, précipite la naissance et la constitution d’un nouveau quartier, dont la rapidité de lotissement en à peine 30 ans répond au quartier creillois de Gournay-les-Usines.

La densification des abords des lignes ferroviaires : des terrains enclavés, disponibles et convoités La ligne ferroviaire Paris-Saint-Quentin : le Petit-Marais et ses environs à Nogent-sur-Oise (1870-1914) Le lotissement de ce secteur enclavé, situé à l’est de la gare de Creil et au cœur des voies ferrées, prévoit un projet d’alignement des rues et des chemins rendu nécessaire par l’accroissement de la population et des constructions. En 1882, plusieurs projets sont lancés : édification d’une école rue Paul-Bert, d’une mairie et d’un asile. Dix ans plus tard, l’architecte Claude Péroche donne un nouveau visage au PetitMarais grâce à un don de terrains. Premier geste d’un industriel pour la ville, il permet d’ouvrir une nouvelle rue. En 1913, le percement de l’avenue Claude-Péroche, longue de 600 m, parachève l’urbanisation du quartier. Les terrains situés au nord de la ligne Paris-Saint-Quentin sont eux aussi lotis progressivement grâce à la présence de terrains non utilisés par la Compagnie du Nord. En 1903 deux usines s’y installent, la fonderie d’aluminium Montupet et celle de verres optiques Bouyer. Parallèlement à ces créations, la mise en place et l’aménagement systématique de liaisons piétonnes et routières entre quartiers se poursuit. Globalement la période 1885-1914 jette, pour l’ensemble des quartiers industriels, mais surtout pour le quartier du Petit-Marais, les fondements d’un urbanisme réfléchi et logique, soucieux à la fois du confort des habitants et de celui des industriels locaux. La population, croissante à partir de 188720, est majoritairement constituée de mécaniciens employés par le chemin de fer et logeant rues Carnot, Gambetta et de la Passerelle. On y recense également des personnes travaillant le bois, (menuiseries Delacourte ou Campagnole) et le fer (serrurerie Aubin, constructions métalliques Théophile Bansse, atelier de métallurgie Zemette). Ces productions sont principalement destinées aux ateliers et aux logements des ouvriers de la Compagnie du Nord. Le parcours de Jean-Léonard Lafeuille est à ce titre emblématique de la construction et des activités de ce quartier. Né en 1877 à Donzenac en Corrèze, il s’installe dans l’Essonne, à Dourdan, puis à Juvisy, où il exerce la profession de chef de gare. Il arrive dans le bassin creillois en 1908 et fonde, rue Carnot, une usine spécialisée dans la fabrication de jet de bronze pour les chemins de fer. De nombreuses améliorations et extensions sont réalisées au fil des décennies : la fonderie, qui englobe d’autres ateliers mitoyens comme la clouterie du Pélican, couvre une vaste parcelle entre

Publicité pour la clouterie Au Pélican située rue de la Passerelle à Nogent-sur-Oise parue dans Creil et sa région en 1927 (AC Creil).

Papier à lettre à en-tête des établissements Saxby, 1880 (AD Oise : 9SP181-2).

l’impasse du Petit-Marais, la rue Carnot et la rue Pierre-Sémard. L’activité cesse au début des années 1990 et les bâtiments sont détruits en 1995. Plus à l’ouest, toujours le long de la ligne ferroviaire Paris-Saint-Quentin, les industriels de la métallurgie et des constructions métalliques continuent de s’établir rue Jean-Jaurès et rue des Usines à Creil. En 1857, Henri Joret crée son usine de construction métallique de ponts et travaux en fer dans le prolongement de l’usine des forges et fonderies. Il est rejoint en 1878 par John Saxby qui y installe ses ateliers de fabrication de signalétique ferroviaire ainsi que des logements ouvriers, puis par la Compagnie Générale d’Electricité en 1898. En 1903, deux autres établissements sont édifiés, l’entreprise de construction mécanique Fondu et Laverne (rue LouisBlanc) et la fabrique de coffres-forts Fichet (rue Jean-Jaurès). Toutes ces usines sont reliées aux voies ferrées de la ligne Creil-Lille.

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La ligne ferroviaire Creil-Beauvais : le quartier de la gare à Montataire (1892-1914) La création de la ligne Creil-Beauvais inaugurée en 1857 apporte, dans un premier temps, peu de changement à Montataire. À partir de 1873 pourtant, les délibérations du conseil municipal se succèdent pour l’obtention d’une gare de voyageurs, d’une gare de marchandises et d’un quai à pierre. Le trafic de marchandises, constitué essentiellement par les pierres extraites des carrières de Thiverny et de Montataire, est en effet évalué à 39 000 t par an. Une grande artère, l’actuelle avenue AmbroiseCroizat, reliant la halte ferroviaire à la mairie est réalisée en 1888. La municipalité prospecte l’année suivante auprès de plusieurs industriels parisiens pour construire des terrains situés près de la voie ferrée. Parmi les entreprises intéressées on trouve la société Voirin, celle de triage de chiffons Borg et Lévy et l’usine de construction de machines agricoles Wallut. La première, spécialisée dans la fabrication de presses lithographiques et typographiques projette de s’y installer dès 1889, ses ateliers parisiens étant trop exigus. Mais ce n’est qu’en mai 1892 que Jules Voirin se porte acquéreur de 5 200 m² de terrain au lieu-dit les Bas-Prés pour y transférer son usine. Les ateliers, reliés au chemin de fer, sont édifiés en 1893. Des agrandissements ont lieu entre 1894 et 1914 et la surface couverte bâtie atteint alors 11 000 m² sur un terrain de 17 000 m². Cette usine fait face aux entrepôts de triage de chiffons des deux industriels beauvaisiens Borg et Lévy installés en 1893. Enfin, la société de construction de machines agricoles créée à Paris en 1891 par Raymond Wallut et George Hoffman ne s’installe autour de la gare qu’en avril 1906. L’usine fabrique tous les type d’outils agricoles tractés ou portés (herses, charrues, cultivateurs, râteaux, bêches, semoirs) et connaît jusqu’en 1914 la même expansion que ses voisines. Papier à lettre à en-tête des établissements Voirin, 1911 (AC Montataire : 1I7).

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Les usines à double liaison : entre fluvial et ferroviaire Parallèlement aux aménagements réalisés pour accueillir les quatre lignes ferroviaires, des modernisations sont apportées à partir de 1891 aux barrages situés sur le cours de l’Oise canalisée. Ces nouvelles installations permettent, en portant la profondeur du chenal à 2,50 m, d’augmenter le tonnage transporté. Les nouveaux ouvrages, conçus selon le système Derôme*, adoptent le modèle du barrage mobile à passerelle suspendue. Le sas des écluses est agrandi de 84 m, passant à 12 m de large et 125 m de long. À cette même date, l’écluse et le barrage de Creil sont transférés 1 500 m en aval sur les territoires de Saint-Leu-d’Esserent, Saint-Maximin et Montataire. Une langue de terre pour les industries polluantes : le Long-Boyau à Creil

ouvrières et une maison de directeur entourée d’un jardin à l’anglaise sont construits sur ces parcelles. Il s’agit là, tout comme à Pont-Sainte-Maxence autour de l’usine de céramique Defrance construite en 1882, de l’une des premières maisons directoriales édifiées à proximité immédiate d’une usine. Très rapidement, une nouvelle usine de fibre de bois*, d’allume-feux et d’emballages remplace la malterie en 1894. Incendiée à deux reprises, décriée par ses voisins industriels, dont Claude Péroche qui vient d’ouvrir une verrerie, elle ferme en 1897. L’année suivante y est installée une usine de pierre fondue ou pierre à verre, utilisée notamment pour le pavage des sols. L’arrivée en 1908 de la Société des usines à zinc de Creil, propriété de la famille Péroche, jette les fondations d’un établissement important, l’usine de la Vieille-Montagne.

depuis toujours vers l’Oise. Son propriétaire fait creuser en 1883 dans la roche un passage d’une dizaine de mètres de haut qui lui permet de se connecter à la halte aux pierres. À Cramoisy les abords de la gare sur le trajet de la ligne Creil-Beauvais sont également adaptés pour accueillir les pierres extraites de la grande carrière de Saint-Vaast-les-Mello. À Creil, le chemin des Pierres est percé à la fin des années 1840, par la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, et assure une liaison directe entre la route nationale n°16 et le quai d’embarquement des marchandises. Il est plus spécialement destiné au passage des voitures transportant des pierres expédiées par la voie ferrée en provenance des carrières de Nogent-sur-Oise et de Laigneville.

La liaison des carrières au ferroviaire

De nombreuses bandes de terres, résultant de la construction des voies de chemin de fer qui suivent l’Oise, laissées vides de toute habitation pendant deux décennies, deviennent très recherchées par les industriels à partir des années 1875-1880. Ils y trouvent des espaces reliés à la fois à la ligne ferroviaire Paris-Saint-Quentin et à l’Oise. Le Long-Boyau, à Creil, tire son nom de l’étroitesse, entre 5 et 125 m, et de la longueur, 750 m, de la bande de terre triangulaire qui se termine en pointe, résultat du passage des voies ferrées. Longée par l’Oise et le chemin de fer, cette zone accueille dès 1844 des industries isolées car polluantes. À partir de 1871 son développement s’accélère, on y recense une nouvelle tannerie et une mégisserie*. En 1887, deux associés, Gaytte et Duluard, fondent une malterie* destinée à la fabrication de sirop de glucose. Plusieurs ateliers, quelques maisons

Le projet de construction d’un itinéraire plus direct reliant Paris à Creil via Chantilly est entrepris en 1855. Ce nouveau trajet nécessite des aménagements plus complexes que pour la ligne Paris-Creil via Persan, franchissant des dénivelés plus importants et traversant la masse calcaire du plateau de la Haute-Pommeraye. Ainsi, la tranchée percée à hauteur de la commune de Saint-Maximin met à jour des bancs de calcaire plus dur, dont le liais* de Saint-Maximin, que les carriers vont exploiter. La pierre extraite est utilisée pour la construction des ponts et viaducs de la ligne ferroviaire. Le fret devient alors un atout majeur pour transporter la pierre. Les carriers abandonnent progressivement le transport par l’Oise. Ils font relier leurs carrières à des haltes aux pierres aménagées le long des voies ferrées. Cette mutation modifie considérablement la configuration de certaines d’entre elles comme la carrière Ouachée-Corpechot, tournée

Plan de l’emplacement de la tannerie Gosse au Long-Boyau, près de l’écluse, 1872 (AD Oise : 5MP2454/2).

La tranchée du chemin de fer entre Orry et Chantilly, vers 1865 (BnF Estampes et Photographies : RESERVE VE-1427-8, n°21).

La halte aux pierres à Saint-Maximin, carte postale début XXe siècle (coll. Maison de la Pierre).

Parallèlement à cette ouverture sur le rail, les carriers diversifient leur activité. Ils exploitent simultanément leurs carrières et des fours à chaux (Ricart à Creil en 1876), des fours à plâtre, du sable quartzeux pour les verreries de Creil (Hippolyte Lagand au Plessis-Pommeraye) ou l’extraction de la terre argileuse des limons. Parfois même comme à Nogent-sur-Oise, les exploitations nouvelles prennent le pas sur celle des carrières. La famille Alexandre, installée à Nogent-sur-Oise, possède ainsi, en 1880, une briqueterie en plus de sa carrière et de son four à chaux. Cette nouvelle activité connaît une croissance importante dès 1890, qui conduit à faire appel à une main-d’œuvre étrangère, principalement belge. Au début du XXe siècle, on compte quatre sites localisés dans le quartier du Saulcy. La plus importante des briqueteries est créée en 1909 par Benjamin Tumerelle. Autre mutation à la fin du XIXe siècle, l’abandon des carrières souterraines et leur réutilisation pour la culture du champignon. La température stable toute l’année assure une production soutenue. Le champignon de Paris est concurrencé au milieu des années 1970 par le Formose. De ces nombreuses champignonnières une seule est encore en activité à Laigneville.

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L’influence du ferroviaire sur l’urbanisme à Creil L’urbanisme de Creil, à l’instar de toutes les grandes villes situées sur un carrefour ferroviaire important, est fortement marqué par l’emprise des voies ferrées dans la ville ; les surfaces gelées par le ferroviaire et de ce fait inaccessibles à la construction courante sont considérables. Les rails séparent la ville en quartiers distincts et indépendants dont la coupure obligée en renforce à la fois l’isolement et le caractère. La coupure dans le bâti qui résulte des emprises ferroviaires agit sur le développement urbain comme un fleuve ou un delta qu’il est parfois difficile de franchir autrement que par l’intermédiaire de ponts : il y a fort longtemps que les voies ferrées principales supportant un fort trafic ne se traversent plus à niveau dans les villes, comme on ne traverse plus que rarement les rivières à gué. Pour des raisons de sécurité dues à l’accroissement de la vitesse des trains, l’emprise ferroviaire s’est close. La barrière délimite ainsi un territoire un peu à part, une sorte de clairière technique au cœur de la ville, à la fois visible de tous mais inaccessible. Cette respiration de l’espace provoquée par la présence des voies au centre de la cité est un espace riche de vie, de mouvement et de sonorités, il comporte indéniablement des aspects poétiques dus aux lointaines provenances des trains et à la présence colorée des signaux lumineux qui organisent les mouvements des trains de façon mystérieuse. Vue aérienne des trois principales emprises industrielles et des embranchements ferroviaires situés rue des Usines dans le quartier de la gare à Creil.

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Dans un passé récent, wagons et locomotives sortaient souvent de cette emprise et pouvaient être croisées dans les rues de nos villes. On peine à imaginer aujourd’hui ce que fut l’importance du réseau de ces voies ferrées industrielles embranchées sur le réseau principal qui irriguait chaque cour d’usine, chaque entrepôt. En effet au-delà des halles aux marchandises qui permettaient d’assurer le service des messageries, au-delà des quais et des bâtiments voyageurs, au-delà du dépôt des locomotives et de sa rotonde avec son architecture caractéristique, on trouvait un entrelacs de voies ferrées qui étaient souvent établies à même la chaussée, à la manière des voies de tramway, et qui permettaient aux wagons d’accéder directement au cœur du tissu des usines qu’elle desservait. Durant une période assez longue, allant du milieu du XIX e siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, la voie ferrée a bénéficié d’un quasi monopole pour les transports de tous types de marchandises, toute l’activité économique étant tributaire de ce mode de transport. L’étoile ferroviaire de Creil a de tout temps joué un rôle considérable, tant comme lieu de passage des marchandises que dans la desserte du tissu industriel local. Les voies de dessertes qui sortaient de l’emprise des voies principales pénétraient dans les usines au travers de larges portails surmontés de bandeaux qui portaient fièrement les raisons sociales des fabriques. Les convois de wagons de tous types, tombereaux, plats, couverts, se faufilaient en cahotant sur des voies incertaines le long des façades d’usines salies par la suie des locomotives. Cette activité incessante, qui se poursuivait à toutes heures du jour et de la nuit, a profondément marqué le paysage urbain industriel. Car les usines étaient alors dans la ville, la géométrie particulière des voies imposait de grands rayons de courbure souvent peu compatibles avec les rues tracées à angle droit. Pour ces raisons, les bâtiments industriels importants étaient implantés à proximité des voies principales. La vue aérienne de la ville témoigne toujours de ces principes d’implantation en oblique par rapport aux voies principales suivant un angle de 10 à 15° correspondant à l’angle de déviation des aiguillages. La nécessité de charger les longues rames de wagons le long de quais a impliqué la construction de bâtiments qui s’étalaient en longueur. Les halles de fret qui subsistent encore à Amiens, à Lille au tri postal ainsi qu’à Paris-Austerlitz, ou le bâtiment des marchandises présente une longueur inusitée de 300 m d’un seul tenant témoignent de cette déformation formelle des édifices. Le système ferroviaire impose ainsi une rigidité géométrique à laquelle se sont adaptés les bâtiments qui sont à son service.

Embranchement ferroviaire desservant le site de la tréfilerie ACOR rue des Usines.

Alors que les voies ferrées modernes sont toujours occupées par de longs convois de marchandises et que les quais de voyageurs accueillent de silencieuses automotrices, le wagon isolé et la desserte directe des usines appartiennent souvent au passé. La technique ferroviaire s’est transformée et modernisée dans des proportions importantes. Il subsiste toutefois d’importantes traces d’un fonctionnement ancien qui a contribué à façonner la forme des quartiers industriels jouxtant les voies ferrées des villes, notamment grâce aux voies ferrés industrielles appelées embranchement particuliers.

Ces traces laissées par le ferroviaire de proximité disparaissent lentement au gré des rénovations, la dépose progressive des voies et des embranchements particuliers urbains en a effacé les traces au sol : seule une lecture attentive de la position en oblique de quelque grand bâtiment ancien témoigne encore d’un passé proche dont les bruits et les ambiances sont encore familiers à beaucoup d’entre nous. Philippe CHARRON Conservateur régional des Monuments historiques

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Le bassin creillois pendant la Grande Guerre, 1914-1918 L’effort de guerre

Thiverny, à 4 km de Creil, sur la ligne Paris-Bruxelles destinée aux services de ravitaillement des armées. Dans ce contexte généralisé d’effort de guerre, où 24 usines du bassin creillois travaillent pour la Défense nationale, trois usines sont spécifiquement créées en 1916 et 1917 pour y participer.

Les usines de la Défense nationale Les usines Desnoyers et Decauville

Ouvrières et ouvriers à la fonderie Montupet, vers 1918 (archives de l'entreprise).

Dès le 31 août 1914, les services de l’armée, dont celui du génie, chargé des travaux et des réquisitions d’outils et de matériaux, réquisitionnent les usines situées sur le territoire. Si ces réquisitions concernent dans un premier temps du petit matériel, celle des machines devient rapidement plus courante. Ainsi en octobre 1914, la machine à boutonnières Guttmann de l’usine des 100 000 Chemises à Creil est réquisitionnée pour la confection des bourgerons et la main-d’œuvre féminine de l’usine recentre son activité sur le blanchiment des vêtements du service de santé de l’armée. Les usines de métallurgie sont également mises à contribution pour fabriquer des fers à cheval, des pièces de moteur pour l’aviation, pour l’automobile, des obus et des appareils de télégraphie militaire. D’autres lieux doivent accueillir les blessés comme l’usine de fabrication de coffres-forts Fichet à Creil et la salle des fêtes de l’Union des Métallurgistes de l’Oise à Montataire. Enfin, à Creil, l’usine électrique et la Compagnie parisienne de couleurs d’aniline, affiliées à des sociétés allemandes, sont placées sous séquestre et leur production ralentie. Les dégâts sur la gare de Creil, occasionnés par les bombardements, conduisent le génie militaire à construire la gare de triage du PetitThérain sur les communes de Saint-Leu-d’Esserent, Montataire et

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Au début de l’année 1916, les frères Georges et Ferdinand Desnoyers fondent une annexe à leur usine de Laigneville. Située rue Gambetta, à Creil, à l’emplacement d’une propriété pillée et incendiée par les Allemands en septembre 1914, l’usine est destinée à la fabrication de tubes creux sans soudure pour l’aviation et l’automobile. Il s’agit dans un premier temps d’une usine provisoire fonctionnant pour les besoins de la Défense nationale. Mais dès la fin de l’année 1916, les frères Desnoyers, dans une lettre adressée au préfet de l’Oise, demandent l’autorisation d’exploiter définitivement leurs ateliers à Creil21. L’usine s’étend au début des années 1920 puis cesse son activité, pour recentrer sa production sur le site de Laigneville où de nouvelles parcelles ont été acquises en prévision de son extension. Les terrains et les bâtiments de la rue Gambetta sont achetés à la fin des années 1920 par la ville qui y fait construire des Habitations à Bon Marché. Paul Decauville, industriel à la tête des usines de Petit-Bourg près d’Evry et inventeur des voies ferrées étroites, cherche à installer la même année près de Creil une usine provisoire destinée à la construction de tout ce qui pourra être utile à la Défense Nationale : moyens de transports terrestres et aériens ; traitement du caoutchouc, projectiles et produits chimiques.22 Il acquiert un terrain sur la commune de Saint-Leu-d’Esserent, à la croisée de deux lignes de chemin de fer. L’usine dénommée Beaurivage emploie une centaine d’ouvriers. Elle est vendue après guerre et les bâtiments sont détruits. La percée du secteur de la chimie Apparu en 1860 à Creil, sur la rive gauche de l’Oise au lieu-dit le Tremblay et à l’écart des flux industriels existants, le secteur de la chimie connaît un essor constant jusqu’à la Première Guerre mondiale. Affiliée à une société allemande basée à Hoechst près de Francfort, l’usine du Tremblay est mise sous séquestre dès le début de la guerre et accueille des blessés de guerre. Les autorités militaires décident alors de créer une usine de colorants. La Compagnie Nationale des

Matières Colorantes, fondée en 1917, assure la production de l’indigo destinée à la réalisation de l’uniforme bleu horizon, en remplacement des uniformes rouge garance. Le directeur de l’usine du Tremblay est associé à la création de la nouvelle usine, d’abord à Nogent-sur-Oise avec un atelier d’essais industriels pour la production d’indigo synthétique, puis à Villers-Saint-Paul. La Compagnie Nationale des Matières Colorantes acquiert de nombreuses parcelles où elle fait édifier un atelier de fabrication de l’indigo et deux chaufferies. Après le conflit, les bâtiments de l’usine, cités comprises, sont vendus à la Compagnie Française des Matières Colorantes qui possède donc déjà, avant la construction de ses cités villersoises et l’agrandissement de son usine, un patrimoine immobilier conséquent.

Le renouvellement industriel, 1919-1939 Des usines en réponse aux dommages de guerre : l’installation de Brissonneau et Lotz Après la guerre, le territoire touché par les bombardements doit faire face à la Reconstruction. Celle-ci porte sur les bâtiments industriels, les habitations, les voies de communication dont les ponts de Creil, de Pont-Sainte-Maxence et de Saint-Leu-d’Esserent. L’implantation de l’usine Brissonneau et Lotz à Montataire en 1919 répond à ce besoin. Installée à l’emplacement d’une ancienne fonderie, l’entreprise, située aux confins de la rue des Usines et de la rue de Gournay, est spécialisée dans la réparation du parc ferroviaire de la Compagnie du Nord. Sa présence amorce la densification d’un nouveau quartier industriel constitué d’habitations et d’ateliers. À sa création, située en partie sur la commune de Creil, elle occupe une superficie de 102 470 m² dont 5 700 m² d’ateliers de fabrication et de bureaux le long de la rue LouisBlanc. Elle est desservie par un embranchement ferroviaire particulier et possède un pont-roulant. À partir du début des années 1930, l’usine se spécialise dans la fabrication de matériel ferroviaire, fabrication arrêtée à la fin des années 1950 pour se consacrer essentiellement à l’automobile.

Des architectes au service de l’industrie, l’exemple des frères Perret à Montataire Au début des années 1920, le quartier de la gare à Montataire compte 400 habitants et les trois usines, Voirin-Marinoni, Wallut et Grange et Cie occupent plus de 1 000 ouvriers. Entre 1919 et 1929, les architectes-constructeurs Auguste et Gustave Perret interviennent simultané-

ment sur trois sites industriels situés aux abords de la gare. Connus pour leurs ouvrages en béton armé, ils sont force de proposition, d’innovation et d’expérimentation. L’usine de machines agricoles Wallut, touchée par les bombardements aériens de mars 1915 et mai 1918, est la première à amorcer la reconstruction de son site à partir de 1919. Le choix de ses dirigeants se porte naturellement sur les architectes Perret avec lesquels ils ont déjà collaboré pour l’édification de leurs docks à Casablanca, au Maroc. Le programme de reconstruction et d’extension, qui dure une décennie, débute par la fonderie achevée en 1921. Il se poursuit par la construction des ateliers de peinture et d’emballage, puis des quais de chargement (1926), du bâtiment du compresseur d’air (1927) et enfin de ceux de la presse et du transformateur électrique (1929). Parallèlement à ce premier chantier, les frères Perret et l’ingénieur Louis Gelusseau se lancent dans le vaste programme d’extension et de transformation de l’usine voisine de fabrication de presses et rotatives d’imprimerie. Pour ce projet, la réflexion porte sur la toiture : il s’agit de prolonger les anciens ateliers Voirin par des locaux plus lumineux et offrant une hauteur suffisante pour le montage des machines. La construction des nouveaux ateliers commence en février 1922 et consiste notamment en la mise en place de voûtes paraboliques dont le brevet a été déposé en octobre 1921. Les travaux sont complétés entre 1925 et 1929 par la construction d’une cité ouvrière édifiée sur la commune de Thiverny, face à l’usine dont elle est séparée par les voies ferrées. Enfin, la société Jean Grange et Cie est la troisième usine à être en relation avec les architectes Perret. Cette association débute en 1919 par la construction d’une fonderie de fonte, du pavillon des modèles, de la conciergerie, des bureaux et du transformateur électrique. Le matériau choisi est le béton avec un couvrement de voûtes paraboliques, déjà utilisées pour l’usine voisine Voirin-Marinoni. Endommagés par les bombardements aériens de 1944 les ateliers de l’usine Marinoni et Wallut seront, en partie, reconstruits à l’identique par l’agence Perret en 1945 et 1946.

Les nouveaux secteurs d’activité : la confection à Montataire, la papeterie et la tannerie à Pont-Sainte-Maxence L’usine des 100 000 Chemises, installée vers 1870 le long de la rue Jean-Jaurès à Creil, foyer des usines de métallurgie, reste, pendant 20 ans l’unique employeur, de main-d’œuvre féminine dans ce secteur. De petits ateliers spécialisés dans la fabrication de lacets et de corsets, apparaissent entre 1895 et 1913. Ils sont localisés principalement à

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Papier à lettre à en-tête de l’usine, 1939 (AC Montataire : 4H4) Entrée de deux logements de la cité Alphonse Huré.

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Montataire, le long de la rue Louis-Blanc et de l’impasse Chevallier, rue Abel-Lancelot et sur les rives du Thérain. À partir de 1920, ils connaissent un regain d’activité et réorientent le plus souvent leur fabrication vers la confection de vêtements, comme les établissements Pathier et Sarlat. Toutes ces petites unités présentent globalement les mêmes caractéristiques architecturales : une couverture en sheds* assurant une lumière diffuse qui évite de dessécher ou de décolorer les tissus et un espace dégagé au sol pouvant accueillir les machines sur un seul niveau. Les architectes ne sont généralement pas connus. L’atelier de confection de la rue Louis-Blanc fait exception ; le premier édifice, construit en 1913 pour Jules Lazeure est agrandi en 1930 pour la Warner’s Aiglon. Celle-ci lance un vaste projet de construction confié à l’architecte creillois Pierre Varenne, à l’ingénieur Louis Monchau travaillant pour la société Hennebique et à l’entrepreneur Mellier. Le bâtiment réalisé, de facture très simple, comprend une halle qui peut accueillir entre 50 et 100 personnes travaillant à la fabrication de ceintures, de corsets, de gaines et de soutiens-gorge. Pont-Sainte-Maxence, à la fois centre autonome et poste avancé du bassin industriel creillois, connaît une forte expansion entre les deux guerres. Deux usines créées entre l’Oise et la voie ferrée renforcent le quartier industriel de la ville. La première, la Société Anonyme de La Peau Artificielle (SALPA), est fondée en 1929 : elle fabrique du feutre et du carton à partir de déchets de cuirs reconstitués. Une papeterie est créée deux ans plus tard. L’installation de ces deux usines fixe une main d’œuvre nombreuse qu’il faut loger : chaque entreprise fait donc édifier sa cité ouvrière. En l’espace d’une décennie, Pont-Sainte-Maxence gagne 1 800 habitants et amorce un développement qui conduit à l’aménagement du quartier et à la mise en chantier de plusieurs opérations de construction d’Habitations à Bon Marché appelées également cités-jardins. À Pont-Sainte-Maxence, trois projets de construction sont ainsi lancés simultanément. La cité Mimbertin, édifiée à flanc de coteau en 1923 et la cité Claude-Primet en 1931, adoptent toutes deux le principe de maisons jumelées et comportent chacune neuf maisons de 18 logements. La cité Alphonse-Huré, élevée en 1931 le long de la rue Jean-Jaurès, est composée de deux bâtiments abritant chacun cinq logements. La création de l’Office Public Intercommunal d’HBM, dirigé par le maire de Creil Jules Uhry, permet également de superviser d’autres implantations dans le bassin industriel à Creil (cité Jean-Jaurès, 1924, cité Rouher, 1930, cités Gambetta, 1931 et 1932) et à Montataire (cité Jules-Uhry, 1929 et cité Jules-Guesde, 1930).

La cité Gambetta, début 1930 (AC Creil).

La Seconde Guerre mondiale et ses impacts sur l’activité économique, 1939-1950 L’importance des sites d’extraction dans le conflit Les sites d’extraction souterrains abandonnés depuis plusieurs décennies servent à la fois de lieux de repli pour la population et pour la production de certaines usines. C’est le cas de l’usine Brissonneau et Lotz qui transfère sa production de LéO 45, des bombardiers légers, dès l’annonce de la guerre et jusqu’en juin 1940 dans les carrières de Saint-Leu-d’Esserent. À cette date, ces espaces servent de stockage

pour les bombes volantes allemandes, les V1. Les bombardements alliés, destinés à affaiblir les capacités militaires allemandes, touchent les villes de l’Oise dès 1942 et s’intensifient à l’automne 1943 puis au printemps et à l’été 1944 sur Creil, Saint-Leu-d’Esserent et SaintMaximin. Le département de l’Oise est libéré du 28 août au 2 septembre 1944. Les dommages sont nombreux : Creil, l’une des villes les plus touchées compte 343 immeubles détruits et 1 476 endommagés. Les dégâts sur les usines sont également importants. La reconstruction amorcée dès 1944 conduit le plus souvent à un réaménagement partiel des sites, mais certains font l’objet d’une modernisation complète comme la société USINOR.

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Denis). Seule la conciergerie, anciens bureaux des établissements Daydé, le long de la rue Jean-Jaurès, et la maison du directeur au fond de l’impasse du chemin de fer restent occupés. Des dommages partiels sont causés par les bombardements du 27 avril et du 10 mai 1944. Entre novembre 1949 et décembre 1950, la Compagnie Française des Armatures vend les terrains et les bâtiments à la société villersoise Ferrettite et à la SNCF. Les immeubles sont vendus en octobre 1954 à la ville de Creil qui souhaite alors établir à cet emplacement des jardins : elle y aménage la gare routière en 1969.

La décentralisation des usines : le passage de la petite couronne parisienne à la vallée de l’Oise (société Astral-Celluco)

Bombardements des 18 et 20 mai 1940 sur les ateliers de la SALPA à Pont-Sainte-Maxence (AD Oise : 753W27721).

Le démantèlement d’un paysage hérité du XIXe siècle : l’exemple d’Usinor et de la manufacture de barres cylindriques Après le conflit, un nouvel essor s’amorce : l’Union SIdérurgique du NORd de la France (USINOR) choisit en 1948 le site de Montataire pour y implanter le train de laminoir à bandes à chaud et le premier train de laminoir à froid continu d’Europe. L’usine est totalement reconstruite entre mai 1948 et décembre 1949. Des extensions régulières sont réalisées au cours des années 1950 et 1960 : elles conduisent notamment à la destruction de la chapelle et à l’édification, de l’autre côté de la rue Lénine, d’un bâtiment pour les douches, d’un garage à vélos et d’une salle de sports. La société se concentre également, entre 1948 et 1961, sur le logement : elle fait bâtir plusieurs cités pour ses employés et ses ingénieurs, achète le château de Montataire, dont elle aménage le parc avec la construction de dix pavillons. À Creil, le site de l’usine de barres cylindriques est lui aussi entièrement réaménagé entre 1949 et 1969. Créé en 1913, à l’emplacement des ateliers Daydé-Pillé fondés en 1875, l’établissement, situé au cœur de la rue Jean-Jaurès, est destiné à la fabrication des aciers tournés, polis et calibrés et au façonnage des barres cylindriques en acier et en bronze. L’activité cesse en 1934 pour être recentrée sur le site de la Compagnie Française des Armatures à Aubervilliers (Seine-Saint-

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Le site occupé en partie par Marinoni est repris en 1943 par la société de fabrication de peintures et vernis Astral-Celluco qui cherche un nouveau lieu d’implantation après les bombardements aériens de son usine à Dugny (Seine-Saint-Denis) en 1940. La nouvelle unité de production, opérationnelle en 1947, intègre les bâtiments de la fonderie Grange, le garage à vélos, la conciergerie, le transformateur électrique et un atelier de fabrication. Elle en fait construire de nouveaux : bureaux, ateliers et bâtiment d’expédition. Les besoins en peinture des secteurs automobiles notamment, permettent à l’usine de renforcer son réseau de distribution. Le site s’étend vers le sud-est au fur et à mesure des agrandissements des années 1950 et 1960. Point d’orgue de cette installation, le siège social est inauguré sur place en juin 2000.

Les nouveaux besoins du bassin : un redéploiement vers l’Oise, 1950-1975 L’électricité : la centrale de Saint-Leu-d’Esserent Le projet d’installation d’une centrale électrique naît en 1946. Il est réalisé dans le cadre du plan d’équipement thermique quinquennal lancé par l’État, qui comprend la construction de plusieurs centrales thermiques en Île-de-France. Ce choix, en bordure de l’Oise et à proximité de la capitale, permet d’assurer le développement de la consommation d’électricité au nord de la région parisienne. L’usine est installée sur un terrain de la rive droite de l’Oise, entre la voie fluviale et le chemin de fer. Les travaux, menés selon les plans de l’architecte Bazin, débutent à l’automne 1952 et s’achèvent en juin 1955. Trois cités sont également construites à Saint-Leud’Esserent pour l’ensemble du personnel.

Les regroupements : la création des zones industrielles de Pont-Sainte-Maxence et de Nogent-sur-Oise Le manque de place pour l’expansion urbaine de Pont-SainteMaxence conduit à une réflexion politique sur le regroupement de territoires après la Seconde Guerre mondiale. La commune de Sarron lui est ainsi rattachée en 1951. Parallèlement, le projet, devenu nécessaire, de création d’une vaste zone industrielle et portuaire, sur les deux communes rurales des Ageux et de Brenouille est lancé à la fin des années 1950. En effet, si la rive droite de l’Oise comporte des ports privés appartenant aux différentes usines, elle ne possède pas de véritable zone portuaire aménagée. En 1961, le conseil municipal de Pont-Sainte-Maxence se prononce en faveur de la création d’installations portuaires et de la construction d’une desserte ferroviaire. Le service navigation des Ponts et Chaussées obtient en 1963 un avis favorable du ministère des Travaux Publics. L’emplacement choisi s’inscrit dans le prolongement de l’usine de papeterie sur une surface de 14 ha. Les travaux débutent en 1965. À Nogent-sur-Oise, la nécessité de construire une zone industrielle est abordée par le conseil municipal dès février 1964, date qui correspond à la fermeture des établissements Daydé et au licenciement de 200 personnes. Notre devoir, annoncent les membres du conseil municipal, est de prévenir le chômage local par tous les moyens. Il est aussi de conserver à la région son caractère de gros centre industriel départemental, utilisateur de toute la main-d’œuvre régionale23. Il précise qu’il est nécessaire de lever les restrictions actuelles qui interdisent la construction de nouvelles usines ou l’agrandissement des anciennes dans les zones où elles ont vocation à s’installer ou à se développer et insiste pour que soit élaboré l’équipement de la zone industrielle de Nogent. L’aménagement est confié à la Société d’Équipement du Département de l’Oise (SEDO). Une première tranche de lotissement est amorcée dès 1963, dans la continuité des activités présentes au bord de l’Oise, le long du quai d’Amont, au Clos-Barrois. La Société d’Application de Procédés Industriels et Chimiques (SAPIC), spécialisée dans la fabrication d’agglomérants de fonderie en poudre de résines alkydes et de résines de condensation est créée à cette date. La zone industrielle se structure ensuite grâce à trois types d’apport. D’une part le transfert de plusieurs sociétés présentes dans le centre de Creil, aux abords de la gare, et autour du quartier Carnot à Nogent-sur-Oise. C’est le cas par exemple des établissements Simon (rue Stéphenson à Creil) en 1970, de la société Corémétal en 1971, ou de la société Boufflette en 1974 qui quitte la rue Jules-Juillet.

Certaines installent leurs ateliers dans la zone industrielle mais conservent leur siège social à son emplacement d’origine comme la société Camus à Nogent-sur-Oise. La zone industrielle accueille également des sociétés en provenance de la région parisienne comme la SOVECOMA en 1965 (de SaintSoupplets en Seine-et-Marne), qui installe un dépôt d’hydrocarbure, la cartonnerie LILP en 1973, la Société Normande de Cartons Ondulés (SNCO) en 1974. Enfin, d’autres entreprises originaires du reste de la France viennent également à Nogent-sur-Oise se connecter à la fois à la zone portuaire et aux dessertes ferroviaires comme les Établissements Hoorman (stockage et vente de produits de quincaillerie) en 1975 dont le siège social est à Saint-Pierre-des-Corps près de Tours.

Le développement de l’agro-industrie sur les berges de l’Oise Deux silos sont construits entre 1972 et 1976 sur la rive droite de l’Oise. Les Silos Entrepôts Magasins Maine Anjou Picardie (SEMMAP) à Pont-Sainte-Maxence et l’Union Creil Céréales (UCC) à Nogent-sur-Oise choisissent en effet de s’implanter à proximité de la rivière, du rail et du réseau routier. Il s’agit de deux centres d’allotement* d’importance qui réceptionnent par camions les céréales dans un rayon de 50 km, les stockent dans les cellules des silos puis les déchargent dans des péniches, qui les acheminent à destination des ports de la Basse-Seine, Rouen et Le Havre, et du nord de l’Europe. Plus de 200 000 t de céréales sont traitées par an.

La crise et ses réponses : vers un nouvel aménagement du territoire, 1975-2000 Dans son ouvrages L’industrie et les complexes industriels dans la vallée de l’Oise, Raymond Lazzarotti débute l’étude de la zone de Creil ainsi une vieille région industrielle face à des grandes difficultés24. Les premiers symptômes apparaissent au début des années 1960 avec la fermeture des usines Daydé et les fluctuations de production des modèles automobiles de marque Renault les Floride et Caravelle aux établissements Brissonneau et Lotz conduisant à la perte de 600 emplois en 1964. Dix ans plus tard, les chocs pétroliers aggravent une crise durable qui met à mal les 20 000 emplois industriels occupés par la métallurgie, la mécanique, la chimie et l’automobile, soit le tiers du potentiel industriel et économique. Fleuron de l’industrie picarde avec 3 280 salariés en 1987, l’usine de construction automobile Chausson connaît entre 1985 et 1996, date

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de sa fermeture, une succession de périodes de chômages techniques, de grèves et de licenciements. L’entrée dans le capital de la société des firmes Renault et Peugeot, à hauteur de 20%, 35% puis 48,8% chacun, fragilise l’équilibre financier de l’entreprise qui est contrainte de déposer le bilan en 1993. Très médiatisé au travers des actions des Chausson pour sauver leurs emplois, ce conflit s’achève par la fermeture du site le 31 mars 1996. En 1997, ce dernier devient une zone franche, les Marches de l’Oise, où sont implantées 83 entreprises sur 30 ha. Depuis, le parc nord des véhicules Chausson ainsi que le parc des véhicules du personnel ont été investis par un cinéma, un restaurant et par un espace de rencontres dont la construction en tôles laquées et ondulées colorées rappelle les origines du lieu et évoque les toits des voitures vus du ciel.

Manifestations pour le maintien de l’activité du site Chausson rue Louis-Blanc, 1995 (AC Montataire).

La transformation des paysages et leur réappropriation Alors que l’activité extractive emploie 1 000 personnes au milieu des années 1960 sur les communes de Saint-Maximin, Saint-Vaast-lesMello, Creil et Nogent-sur-Oise, 40 ans plus tard, seule une cinquantaine d’emplois subsiste dans les carrières à ciel ouvert. Les carrières souterraines, un temps utilisées comme champignonnières, sont désormais à l’abandon et envahies par la végétation. Les sablières, les gravières et les tourbières exploitées à ciel ouvert depuis le XXe siècle ont été progressivement reconverties. Les communes situées dans la

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vallée du Thérain ont remis en état plusieurs sites d’extraction, soit en eau, soit sous forme de pelouse ou de terrain nu. C’est le cas par exemple à Thiverny et Montataire (parc urbain du Prieuré) ou à SaintVaast-les-Mello et Cramoisy (la Grande Pièce d’eau). Ces paysages postindustriels font l’objet d’aménagements légers qui préservent l’aspect naturel du lieu et sont autant de témoignages d’une activité révolue. Au bord de l’Oise, les anciennes gravières ont également laissé place à des étangs comme à Saint-Maximin et à Saint-Leud’Esserent où le site a été aménagé en base de loisirs.

Requalifications et reconversions : l’exemple du quartier Gournay-les-Usines (Creil) Le quartier Gournay-les-Usines présente un territoire morcelé, hérité des aménagements ferroviaires du milieu du XIXe siècle. Il se caractérise par des tailles différentes d’emprises foncières avec la prédominance de très grandes parcelles le long de la rue des Usines, entre l’Oise et les voies ferrées. Les petites parcelles sont minoritaires et concernent un habitat ouvrier vétuste (27% a été construit avant 1915)25. La rue des Usines reste dévolue, encore aujourd’hui, à la production industrielle. Trois établissements sont encore en activité : la clouterie Rivierre et les tréfileries ACOR et Treillis de Creil. L’ancienne fonderie Durand (1898) sert de lieu de stockage tout comme les anciens établissements Daydé où les ponts roulants sont utilisés pour le transbordement de marchandises. La Communauté de l’Agglomération Creilloise a élaboré un projet sur ce quartier qui a été retenu par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU). Six des sept propositions d’aménagement qui visent à redonner une cohérence urbaine au territoire concernent des emprises industrielles sur lesquelles se trouvent des bâtiments construits entre 1850 et 1950. Si le projet de renouvellement urbain intègre un nombre réduit de bâtiments industriels, il n’en demeure pas moins que les réhabilitations prévues sont de grande ampleur. Elles placent une partie du patrimoine industriel du quartier, conservé pour son usage futur plus que pour sa valeur esthétique ou historique, au cœur des équipements projetés. La conquête de nouveaux espaces pose la question de la cohabitation entre les lieux industriels encore en activité et les futurs équipements, tout en tentant de préserver une part de l’histoire urbaine via la reconversion de certains lieux. Au-delà de cette problématique, ce projet ravive les interrogations sur les restaurations, les rénovations et les restructurations autour du patrimoine industriel. L’étude d’inventaire et de l’histoire industrielle sur le territoire du bassin creillois peut apporter des éléments de réponse

permettant de mieux appréhender les reconversions des sites. Au terme de la première phase des travaux achevée en 2010, la question de la cohabitation entre logements et usines se pose toujours. Celle de la conservation de la mémoire des lieux émergera peut-être pour justifier l’appellation de tout un quartier tirant son originalité de son histoire : Gournay-les-Usines.

Les réhabilitations : l’exemple de l’usine Parvillée à Cramoisy Après avoir abrité une filature de laine créée en 1833, le site est occupé à partir de 1899 par la Société des Anciens Établissements Parvillée frères. Spécialisée dans la fabrication de porcelaines industrielles, elle s’inscrit dans la lignée de celle installée à Paris par Léon Parvillée et reprise par ses fils. À Cramoisy, l’usine fabrique des isolateurs électriques en porcelaine. Les bâtiments en pierre de l’ancienne filature sont transformés en atelier de préparation des pâtes de porcelaine et de moulage. L’agence Eiffel fournit les plans d’une halle destinée au four de cuisson. Un long bâtiment en brique accueille l’assemblage et la finition. Pendant la Première Guerre mondiale, l’établissement fabrique du matériel télégraphique et téléphonique pour l’armée (environ 150 t par mois). L’usine qui a employé jusqu’à 350 personnes ferme en 1957. Elle est reprise en 1960 par la société Adclo, fabricant, entre autres, des huisseries métalliques peintes et vernies : cette activité cesse en 1986. Le site est à l’abandon pendant une quinzaine d’années. En 2002, l’inscription au titre des Les ateliers de l’usine Parvillée avant restauration.

Monuments historiques amorce la réhabilitation de cet ensemble de 3,7 ha. Confiée à un promoteur immobilier, elle a permis de créer une centaine de logements dans les anciens bâtiments industriels.

L’aménagement de l’Oise canalisée Les barrages Derôme installés à partir de 1891 sont remplacés depuis 2002 par des barrages à clapets. Les écluses ont été conservées et mise au gabarit européen pour la future jonction du canal Seine Nord. Leurs sas ont ainsi été portés à 185 m de long. Tous ces aménagements ont permis d’améliorer la profondeur du chenal de navigation à près 4 m et le tonnage transporté pouvant atteindre 4 000 t par convoi.

Le poids économique du bassin creillois aujourd’hui et son patrimoine industriel Malgré le déclin amorcé dans les années 1980, les effectifs dans l’industrie demeurent élevés avec près de 30% des emplois, le secteur tertiaire étant de loin le premier employeur ; mais ces effectifs ont chuté de 5% entre 2000 et 2006. La hausse du nombre d’établissements industriels va de pair avec une baisse de près d’un quart des postes proposés, la fermeture de gros établissements n’ayant pas été compensée par les créations, plus nombreuses, mais plus petites. Le positionnement du territoire reste en revanche favorable à des interactions avec les territoires voisins de l’Oise et surtout de l’Île-de-France. Sur l’ensemble des 100 sites recensés dans le bassin creillois, hors logements et équipements, 45 conservent une activité industrielle qui est dans près de 60% des cas l’activité d’origine, métallurgie et construction mécanique principalement. Les reconversions sont peu nombreuses et une dizaine de sites sont à l’abandon ou partiellement détruits. Le Grand Creillois possède des atouts architecturaux indéniables nés du développement industriel et couvrant l’ensemble de la période étudiée. Les bâtiments les plus anciens sont les moulins établis sur la Brèche, dont il reste des exemples complets sur les communes de Laigneville, de Monchy-Saint-Éloi et de Villers-Saint-Paul. L’étude menée a permis d’inventorier des édifices construits au cours de la période 1875-1885 et intégralement conservés, notamment aux abords des gares de PontSainte-Maxence et de Creil. De construction soignée en pierre de taille et chaînes d’angle en brique, ils constituent un témoignage précieux, compte tenu des nombreux bombardements qui ont touché ces zones, des premières constructions industrielles des années 1870. Si très souvent les noms des architectes et des entrepreneurs ne nous sont

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au titre des Monuments historiques des 325 machines, construites entre 1890 et 1925, a également été déposée et est en cours d’instruction. Les interventions prévues dans le cadre du projet de renouvellement urbain et élaborées conjointement avec les services de l’État, de la Région et de la CAC, vont permettre de préserver le site et l’activité, nichée au cœur du quartier Gournay-les-Usines tout en le reliant au nouvel accès de la gare de Creil. À l’heure où de grands chantiers sont en cours, tant pour l’aménagement urbain avec la construction de l’éco quartier de Gournay-les-

Usines que pour les transports avec le projet de la ligne ferroviaire Creil-Roissy et de l’aménagement du canal Seine-Nord, il est essentiel, par le biais de cet inventaire, que le patrimoine bâti industriel soit intégré à ces différents projets. L’usine de coffres-forts Fichet a ainsi été rachetée par la Ville de Creil pour être préservée. La compréhension du territoire et de la société qui y vit passe aussi par la prise en compte de ces strates successives qui ont structuré le paysage de la vallée de l’Oise. Elle permettra aux générations à venir de percevoir et de comprendre leur histoire.

L’aménagement des abords de la gare dans le cadre de la réalisation de l’éco quartier prévoit la création d’une place publique dégageant la façade sur rue de l’ancienne usine de coffres-forts Fichet jusqu’à l’Oise d’où s’élancera une passerelle rejoignant l’île Saint-Maurice. Projet SLG-Paysage.

Les ateliers et l’ancienne halle abritant le four, reconvertis en logements et en lofts.

pas parvenus, le territoire possède en revanche des réalisations des ateliers Eiffel à Cramoisy et à Nogent-sur-Oise, ainsi qu’à Montataire et à Creil mais avec des interrogations sur ces dernières attributions. Montataire possède également un ensemble de bâtiments édifiés par les frères Perret aux abords de la gare. Enfin, les constructions plus récentes, qu’elles soient des hommages appuyés au passé industriel du bassin Écluse de Creil.

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(Espace de Rencontres de Montataire réalisé par Charpin et Perron) ou répondant aux normes de Haute Qualité Environnementale (bâtiment d’accueil de l’Ineris réalisé par le cabinet Arval de Crépy-en-Valois) amorcent aujourd’hui un renouveau architectural sur le territoire. La conservation et la transmission de ce patrimoine, essentiellement situé en milieu urbain sont fragilisées par le contexte économique. L’arrêt d’une activité, puis l’abandon des bâtiments induit à plus ou moins long terme, la destruction du site. Les exemples passés, notamment lors de la démolition de celui de la Vieille-Montagne, de la préservation puis de l’abattage de la cheminée, ont permis de saisir que sans projet d’aménagement, la conservation, même partielle, est vouée à l’échec. Seule l’ancienne usine Parvillée a fait l’objet d’une réhabilitation réussie par la conservation des éléments bâtis les plus importants, protégés au titre des Monuments historiques en 2002, et par le travail d’appropriation des lieux qui portent tous le nom de leur ancienne affectation. D’autres sites du bassin creillois ont fait l’objet de dossier de protection au titre des Monuments historiques mais ces demandes n’ont pas abouti. Enfin, la clouterie Rivierre à Creil est labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant depuis décembre 2007 afin de valoriser ce savoir-faire unique en France. Une demande de protection

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Un patrimoine en images

Déchargement des bobines de fils destinées à la tréfilerie ACOR depuis une barge amarrée au port de Creil.

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Les rivières L’Oise, une vallée pour le transport L’un des premiers matériaux transportés sur l’Oise est la pierre. Son extraction, attestée depuis l’époque romaine, contribue notablement au développement de la batellerie sur cette rivière comme en témoignent les nombreux graffiti d’embarcations à voiles visibles sur le mur d’enceinte de l’église abbatiale de Saint-Leu-d’Esserent ou dans certaines carrières souterraines.

Le parcours de la carrière au quai de chargement peut atteindre plusieurs kilomètres lorsque les carrières sont souterraines ou situées dans les vallées affluentes de la Brèche ou du Thérain. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les pierres, une fois taillées (lorsqu’elles ne sont pas utilisées localement pour l’entretien, le pavage des rues et la construction de monuments) sont transbordées jusqu’en bordure de l’Oise par le roulier. Ce trajet est représenté avec précision dans la vue cavalière de la carrière Ouachée à Saint-Maximin réalisée entre 1880 et 1914. Les blocs débités sont acheminés jusqu’au bord de l’Oise grâce à de petits chariots tirés par des ânes ou des chevaux. Déchargés le long des quais et des cales d’embarquement, les blocs sont soit entreposés pour sécher, soit directement embarqués. Installées indifféremment sur les deux rives de l’Oise, ces aires de stockage se multiplient à la fin du XVIIe siècle et au cours du XVIIIe siècle. Elles occasionnent parfois une gêne pour la navigation. La carte du Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux commerçans qui y affluent, dressée en 1738 par l’abbé Delagrive, géographe de la Ville de Paris, mentionne ainsi précisément les nombreux ports à pierre entre Pont-Sainte-Maxence et Saint-Leu-d’Esserent. Cette carte est

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également riche en renseignements sur les difficultés du halage, implanté sur la rive droite et encombré de pierres.

a - Graffiti sur les murs de l’abbatiale de Saint-Leu-d’Esserent représentant des embarcations à voile. b - Anneau d’amarrage au bord de l’Oise. c - Vue de la carrière Ouachée, entre 1880 et 1914 (archives de l’entreprise). d - Carrières de Saint-Vaast (Oise), Civet, Crouet, Gautier et compagnie propriétaires. Adolphus Pepper, photographe, 1889 (collection École Nationale des Ponts et Chaussées : IFN 1200037 PH287A).

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Le transport est pris en charge par le voiturier, propriétaire du bateau qui passe contrat avec le commerçant. Les moellons, mis en tonneau pour faciliter le transport, côtoient les gros blocs de pierre : si le chargement est important, on peut également armer des trains de bateaux navigant ensemble principalement jusqu’à Paris. À Creil, le long du quai d’Aval, subsistent les anciennes écuries qui abritaient les chevaux utilisés pour le halage. Aujourd’hui plusieurs ports utilisés pour le chargement et le déchargement de denrées diverses sont implantés sur la rive droite de l’Oise. Égrenés à distance régulière entre Pont-Sainte-Maxence et SaintLeu d’Esserent, ils représentent une part importante du tonnage de marchandises transportées. Le trafic est constitué principalement par le déchargement de marchandises, minerais, déchets pour la métallurgie, produits métalliques, mais aussi minerais bruts et matériaux de construction. En 2009, 69 000 t de produits métallurgiques ont été déchargées au port de Creil. 43 000 t de céréales ont été chargées au port de Nogent-sur-Oise et près de 284 000 t, dont 240 000 t de céréales chargées, ont transité par le port de Pont-Sainte-Maxence/Brenouille. e - Anciennes écuries. f ‑ Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux commerçans qui y affluent, planches 6, 7 et 8 entre Verberie et Précy-sur-Oise, levé sur les lieux par

ordre de monsieur le Président Turgot par M l’abbé Delagrive, 1738 (BnF Cartes et Plans : GE CC 1283 RES).

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Les activités extractives Les carrières de pierre à ciel ouvert Sept carrières de pierre à ciel ouvert sont en activité dont cinq sur la commune de Saint-Maximin : la plus vaste, située à Saint-Vaastles-Mello, couvre 120 ha. La pierre de qualité qui en est extraite, grâce à la diversité (fine, compacte, coquillée, dure) présente dans une coupe est principalement utilisée pour la restauration des Monuments historiques. Le liais de Saint-Maximin convient particulièrement pour le revêtement, les soubassements, les appuis et les corniches, la « roche franche construction » et la « roche construction » servent à l’élévation des murs et aux revêtements tandis que le « Saint-Leu » est plus approprié pour les élévations seules. Les méthodes d’extraction varient en fonction de la dureté de la pierre et s’effectuent en suivant ses fissures naturelles horizontales (délits) et verticales (filières). La pierre dure s’extrait en forant des trous à égale distance dans lesquels sont insérés des coins. La pierre tendre au contraire est extraite avec des scies haveuses, apparues entre les deux guerres, qui tranchent de profondes entailles parallèles ou a - Détail du front de taille, carrière Violet, Nogent-sur-Oise. b - L’atelier d’extraction à la carrière Ouachée-Corpechot, Saint-Maximin.

perpendiculaires aux délits et qui permettent de détacher les blocs de la masse. Ces derniers, une fois débités en blocs plus petits, sont ensuite acheminés grâce à un pont roulant vers la guillotine : la coupe de blocs en pierre dure est exécutée par une lame placée sur un châssis dont les vantaux glissent verticalement l’un sur l’autre. La pierre dure est sans cesse humidifiée afin d’éviter les cassures.

c - La carrière Rocamat à SaintMaximin depuis le quartier de l’Economat.

La coupe de la pierre tendre, exécutée par un châssis à guillotine à un seul bras, ne nécessite pas l’utilisation de l’eau. Les tranches d’une largeur variant de 5 à 45 cm, sont ensuite reprises pour être débitées par une machine munie d’un disque diamanté afin d’obtenir la longueur et la largeur demandées : ce sont les pierres pré sciées. L’étape suivante, la taille, donne aux pierres la forme voulue : arcs, linteaux, piliers, frontons. Le tailleur suit les tracés et les calculs établis par l’appareilleur et travaille principalement au ciseau et à la massette.

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L’atelier de concassage permet de réaliser le craon* utilisé pour les courts de tennis et les champignonnières.

d - Découpage à la scie circulaire à diamants. e - Sciage d’un bloc à la guillotine. f - Atelier de taille (carrière OuachéeCorpechot à Saint-Maximin). g - Bas-relief situé sur le bâtiment administratif de la carrière OuachéeCorpechot à Saint-Maximin représentant les outils du carrier (scie crocodile, masse, massette, pic, marteau, compas, coin et ciseau) et les initiales OL pour Ouachée Louis.

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Les usines de céramique La faïencerie (Creil)

La municipalité de Creil achète les terrains de l’ancienne faïencerie pour 75 000 francs et y aménage un parc municipal, un gymnase, un bâtiment pour les sapeurs-pompiers, un vélodrome, un stand de tir au fusil et un jeu de paume. Les deux porches d’entrée qui subsistaient sont endommagés en 1918 puis rasés. Le souvenir de la manufacture, qui perdure à travers les différentes productions présentées au musée Gallé-Juillet à Creil, est également présent dans le nom donné à la scène conventionnée la Faïencerie Théâtre de Creil, et au restaurant qui lui est accolé, le Flora, motif récurrent dans la faïence de Creil.

Si la porcelaine est historiquement implantée sur la commune de Chantilly, plusieurs fours à porcelaine ont été recensés sur la commune de Saint-Maximin, dans le hameau de Trossy. Mais c’est surtout la faïence qui a fait la renommée de Creil. Les premières tentatives d’installation d’une poterie et d’une verrerie au bord de l’Oise remontent à la fin du XVIIIe siècle. Les bâtiments sont construits pour Robert Bray O’Reilly entre juillet 1797 et 1798. Une nouvelle société reprend la manufacture en 1801 : à cette date l’usine comprend 17 ateliers. Elle fonctionne grâce à une centrale hydraulique établie sur un bras de l’Oise et aux moulins à « cailloux » des communes voisines aménagés

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notamment à Nogent-sur-Oise et à Précy-sur-Oise, destinés au concassage des silex et des galets venant de Dieppe. À partir de 1818, Jacques Bagnall et Charles Gaspard Alexandre de Saint-Cricq-Cazaux investissent dans la production de la faïencerie de Montereau fondée en 1745. En 1827, les premières faïences fines sont produites à Creil. À la mort de Saint-Cricq-Cazaux en 1840, la faïencerie est reprise par Louis Lebœuf et Gratien Millet, également propriétaires de l’usine de Montereau depuis 1825. Elle est modernisée de 1848 à 1876 par son directeur Barluet avec, notamment, l’aménagement de l’ancienne collégiale Saint-Évremond, située sur l’île Saint-Maurice, en magasin de faïence et en atelier de fabrication

et complétée par la construction de la cité ouvrière au début des années 1870. En 1895, en raison de difficultés financières, l’usine de Creil ferme et sa production est transférée à Montereau avec 150 ouvriers. La marque « Faïences de Creil » subsiste cependant jusqu’en 1920. Le site de production et les entrepôts installés dans l’ancienne collégiale Saint-Évremond sont détruits entre 1895 et 1903.

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a - Le moulin de la faïencerie de Creil et le château de Charles VI, aquarelle sur traits à la mine de plomb, 1820 (BnF Estampes et Photographies : RESERVE VE26(I)-FOL Destailleur Province, 1003). b - Plat rond en faïence fine au décor peint représentant dans le bassin, une vente aux enchères, d’après une œuvre d’Honoré Daumier, et des feuillages stylisés sur l’aile, décennie 1880. c - Vide-poche ou cendrier réalisé en faïence fine avec un décor peint en trompe-l’œil imitant la une du Figaro du dimanche 15 juillet 1883. d - Effondrement d’une partie du bâtiment construit sur le petit bras de l’Oise, entre 1895 et 1900. e - La faïencerie depuis le petit bras de l’Oise, entre 1895 et 1900. b, c, d, e - Musée Gallé-Juillet, Creil.

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Le travail du verre

Les usines de métallurgie L’usine de sidérurgie Arcelor-Mittal (Montataire) Les 398 ouvriers, originaires pour la plupart de l’Orne, effectuent le soufflage à la bouche pour le travail courant ou au moyen d’une soufflerie pour les grosses pièces. En 1905, la verrerie est reprise par Bénilan et Cie puis, au début des années 1910, par Paul Tissier qui possède à la fin de la décennie quatre établissements de ce type : à Creil et à Méru dans l’Oise, à Wimy dans l’Aisne et à Paris. Le site ferme en 1930. La société Somenor (Société Métallurgique du Nord), qui fabrique des machines pour le travail de la tôle (cisailles et machines à profiler), s’installe dans les bâtiments en 1948. À la charnière des années 1960 et 1970, Somenor entre dans le groupe des filiales Usinor-Vallourec. Afin de rationnaliser la production des trois filiales du groupe, le site, qui emploie 220 personnes, ferme au cours de l’année 1972. Le site, totalement détruit, a fait place à une friche industrielle.

Si deux usines de verres optiques sont créées entre la fin du XIXe siècle et 1903 à Montataire et Nogent-surOise, une activité qui cesse au début des années 1930, le site le plus important dans ce secteur d’activité reste la verrerie de Creil fondée en 1865 par Ségard, pour la production de verres à vitres et à bouteilles. Elle

est construite à l’extrémité ouest d’une vaste parcelle de terre, le Long-Boyau, située entre l’Oise et le chemin de fer. La verrerie est reprise en février 1876 par Ulysse Mantrant, qui effectue des améliorations sur le site : machine à écraser toutes les matières nécessaires à la verrerie, construction d’un séchoir de grande dimension, de fours

fumivores et d’une cheminée de 30 m. Mise en liquidation, elle est reprise en 1888 par Alfred Boissière et Henri Rommel qui transfèrent à Creil, leur verrerie de Gast, dans l’Orne. Les pièces produites sont destinées à la fabrication d’instruments de chimie et de laboratoires de pharmacie.

a ‑ La verrerie de Creil, début XXe siècle (AC Creil). b - Atelier de fabrication de verres optiques avant sa démolition, 1992. c - Vue intérieure d’une partie de l’atelier d’usinage de la société Somenor, photographie Colin, 1954 (Les Pays de l’Oise, Paris : L’opinion économique et financière).

L’origine industrielle du site remonte quelques années avant 1789 lorsque l’Anglais Taylor établit au bord du Thérain une poterie dans l'ancien moulin à blé Daden. En 1791, une papeterie y est installée. Entre novembre 1794 et septembre 1796, le chimiste Weyland-Stahl produit de la poudre dans le moulin qu’il vient de faire agrandir, près de l’embouchure du Thérain. En 1807, le site, acheté par Gindre, est transformé en tréfilerie mais sans succès. En 1810, il est repris par Praire qui améliore le cours du Thérain afin d’obtenir une chute suffisamment importante pour l’alimentation de deux roues hydrauliques verticales. Pour des raisons financières, Praire doit s’associer aux frères Mertian, négociants parisiens, et à Georges Dufaud qui est directeur de l’usine. Celle-ci devient en 1813 la propriété de Bernard et Louis Mertian qui y installent une usine de tôle et fers blancs laminés en utilisant de vieux fers provenant de Paris et de Belgique. Ils poursuivent les

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travaux sur le Thérain engagés précédemment et acquièrent les installations hydrauliques situées en amont afin d’avoir toute liberté dans le développement souhaité. En 1823, Mertian qui espère traiter le minerai de fer des forêts voisines décide de transformer son usine. La fabrique de tôles et fers blancs laminés est ainsi convertie en fonderie et forge de fer et de cuivre.

d - L’Oise, les Forges et Fonderies et l’église de Montataire, gravure, s. d. (AD Oise : 2FI 1-84/2). e - Centrale thermique, 1930 (archives de l’entreprise).

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L’usine connaît une progression continue jusqu’à la Première Guerre mondiale ; elle est alors réquisitionnée pour la production de projectiles et de bombes. Après le massif effort de guerre, la société des Forges connaît des difficultés économiques : le dernier four Martin et les trains à fer marchands sont arrêtés en 1922 et la fabrication de fûts de fer est lancée. L’usine se modernise lors de sa fusion en 1929 avec la Société Anonyme des Hauts Fourneaux et Laminoirs de la Sambre (59). Une centrale thermique alimentée par les fines de charbon des Houillères de Lens est construite en 1929-1930 au bord du Thérain.

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Les usines de construction mécanique La Société Industrielle Creilloise (Creil)

Les ateliers Voirin-Marinoni (Montataire)

La Société Industrielle Creilloise est fondée en 1895 dans une partie des bâtiments de l’ancienne usine de construction mécanique Geneste Herscher et Cie. Elle est destinée à la fabrication des fours et du matériel utilisés par l’armée (fours roulants à grande production, fours démontables, fours légers pour le service des colonies, pétrisseuses mécaniques, cadres de suspension pour le transport des blessés, matériel des ambulances) ce qui conduit à son extension en 1903. La Société Industrielle Creilloise se spécialise ensuite dans la construction des chaudières et des autoclaves jusqu’au milieu des années 1960. Le site est aujourd’hui morcelé entre plusieurs entreprises locataires travaillant principalement dans le domaine de l’industrie (chaudronnerie, mécanique) et de l’agroalimentaire (vente de volailles).

a - Entrée de la Société Industrielle Creilloise en 1992. b - Vue aérienne de la Société industrielle Creilloise : la courbe formée par les arbres correspond à l’ancien lit de la Brèche, 1995.

La fabrique de presses lithographiques et typographiques Voirin déménage de Paris à Montataire en 1892. Les ateliers, reliés au chemin de fer, sont édifiés dans le courant de l’année 1893 et couvrent une superficie de 600 m². D’autres agrandissements ont lieu entre 1893 et 1914. À partir de 1919, des négociations sont entamées avec l’usine de fabrication de presses Marinoni pour regrouper les deux productions. La Société des Anciens Établissements Marinoni et Voirin réunis est créée en novembre 1923. À l’époque, l’entreprise Marinoni est portée par la célébrité de son fondateur Hippolyte Marinoni, inventeur de la presse rotative à quatre cylindres et créateur, en 1889, du Petit Journal Illustré, supplément hebdomadaire du Petit Journal, imprimé en couleur. Son petit-fils Jacques-Simon Lorière prend la direction de la société Marinoni de 1909 à 1919 puis participe au rachat de la société Voirin qui intervient en 1926. Entre 1920 et 1926, l’ancienne usine Voirin fait l’objet d’un programme d’extension et de transformation confié aux architectes Auguste et Gustave Perret et à l’ingénieur Louis Gelusseau.

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L’usine actuelle qui fabrique des rotatives d’imprimerie se déploie sur 116 485 m² dont 45 000 bâtis. Le plan de sauvegarde de l’emploi annoncé en septembre 2010, qui supprime 311 emplois sur les 623 de l’entreprise, pèse sur la pérennité de l’activité du site. Parmi les trois usines que les frères Perret conçoivent et construisent à Montataire, l’usine Voirin-Marinoni apparaît comme la plus aboutie à travers la réflexion menée pour le couvrement des ateliers par les frères Perret qui l’utilisent pour la fonderie Grange. Elle inspire notamment l’architecte Coulon pour la construction du bâtiment appelé le « demi-grand » en 1946 sur le site des Charbonnages de France à Verneuilen-Halatte.

c - Façades des ateliers Voirin, début de la décennie 1920 (fonds Perret. IFA : 535AP651/7). d - Élévation intérieure des ateliers Marinoni, 1924-1926 (fonds Perret. IFA : 535AP651/7). e - V de Voirin et M de Marinoni entrelacés au-dessus d’une porte d’entrée des ateliers.

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Les usines de produits chimiques L’usine de minium de plomb (Rieux)

En 1910, l’industriel Antoine Thibault, propriétaire d’une usine de production d’oxyde de plomb située dans la vallée du Thérain, cherche un nouveau site, mieux desservi et plus proche de son commerce parisien. Son choix s’arrête sur un terrain de 4 ha à Rieux, bordé au sud par l’Oise et longé au nord par le chemin de fer. La construction de l’usine, réalisée en 1911, est confiée aux établissements Joret à Montataire. La production de minium de plomb et de litharge est destinée aux secteurs de la chimie, de la verrerie, de la cristallerie mais aussi de la métallurgie. Pendant la Première Guerre mondiale, la production reste constante avec la fabrication du nitrite entrant dans la composition des explosifs. Antoine Thibault cède son usine en 1919 à Henri Gamichon, qui en confie la gestion à ses deux fils Paul et Pierre sous la raison sociale Gamichon Frères. En 1923, Pierre Gamichon se retirant, trois nouveaux associés de la famille Carette entrent dans la société qui prend le nom de Gamichon-

Carette. De nouveaux procédés pour la fabrication sont exploités pour la litharge, le minium de plomb et l’oxyde de plomb. Dans les années 1930 l’usine fait partie des dix entreprises françaises travaillant le plomb. L’activité est progressivement recentrée sur le site avec en 1962 le transfert du siège social parisien.

Le bâtiment administratif, édifié sur trois niveaux à cette occasion, face à l’entrée de l’usine, tranche avec le reste des bâtiments. Il abrite les bureaux de la direction, le service commercial, le bureau d’étude, les vestiaires, les bains-douches, les cuisines et le réfectoire.

En mars 1965, le site est vendu à la société Penarroya qui poursuit la modernisation de l’usine avec la construction de nouveaux ateliers de fabrication d’oxydes et de poudres de plomb.

En 1977, la société Penalmex27 installe au sein de l’usine un atelier et ses annexes pour la fabrication de composés plombeux utilisés comme stabilisant thermique. Cette même année le service commercial de la société est rapatrié de Paris à Rieux entraînant la création de 12 emplois. 76 personnes travaillent à l’usine. Au début des années 1980, la nouvelle direction choisit d’abandonner l’activité d’ingénierie industrielle pour se concentrer sur la fabrication. Le bureau d’étude est supprimé et la moitié du personnel est licenciée. La fermeture de Metaleurop-Nord à Noyelles-Godault en 2003, principal fournisseur de l’usine en plomb, conduit à la baisse de l’activité puis à l’arrêt du site en décembre 2005. Laissé depuis à l’état de friche, il n’en conserve pas moins l’intégralité de ses bâtiments d’origine dont les trois cheminées et le château d’eau, qui constituent un signal fort dans le paysage.

a - Papier à lettre à en-tête de l’usine Gamichon et Carette représentant une vue cavalière de leur usine, 1923 (AD Oise : 1618W327). b - Bâtiment administratif. c - Détail de la structure à claire-voie de l’atelier d’embarillage* où les oxydes sont conditionnés dans des fûts. d - Cantine. e - Détail des cheminées, dont la plus haute mesure 30 m, portant les initiales de son fondateur Antoine Thibault et la date 1911.

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Papier, carton et cuir reconstitué La SALPA Française (Pont-Sainte-Maxence)

a - Vue générale de la SALPA, au premier plan l’atelier de fabrication, à gauche, les bureaux et sa tour horloge, photographie Le Moult, 1954 (Les pays de l’Oise, Paris : L’opinion économique et financière). b, c, d - Le bâtiment administratif situé

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face à l’entrée de l’usine est construit en rez-de-chaussée surélevé. Les bureaux sont distribués autour d’une verrière centrale reprenant les motifs typiques de la période Art déco. Le sous-sol abrite les cuisines et le réfectoire pour le personnel.

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L’agroalimentaire La sucrerie-distillerie Baroche (Saint-Leu-d’Esserent)

Très peu représentée sur le territoire, l’industrie de l’agroalimentaire a pourtant laissé un important ensemble de bâtiments industriels à Saint-Leud’Esserent. Créée avant 1863 par Mancheron, sur les rives de l’Oise et le long de la ligne de chemin de fer ParisCreil, la féculerie de pomme de terre

est reprise cette année-là par Ernest Baroche, qui y installe une sucrerie de betteraves. Cette dernière fonctionne au sein d’un ensemble plus vaste composé, à partir de 1869, de deux râperies* situées à Crouy-en-Thelle et au Mesnilen-Thelle (Mesnil-Saint-Denis jusqu’en 1911). Décrite dans les Grandes

Usines de Turgan, la sucrerie produit annuellement, à partir des 15 000 t de betteraves qu’elle reçoit, 800 t de sucre et 350 t de mélasse. En 1930, elle est rattachée à la Compagnie Sucrière. L’usine sinistrée pendant la Seconde Guerre mondiale est reconstruite au début des années 1950.

La brasserie Gryson (Montataire)

En 1970 la société des Sucreries du Soissonnais puis la Compagnie Sucrière englobent la sucrerie de Saint-Leu dont l’activité cesse en 1976. La société des Sucreries du Soissonnais et Cie Sucrière opte alors pour la diversification en créant une branche destinée à la fabrication de produits pharmaceutiques, installée dans les anciens ateliers de réparation automobile. Cette activité se poursuit jusqu’en 1987, date à laquelle elle arrête son activité et vend les bâtiments à ses anciens clients. La société Norchim nouvellement créée reprend alors la fabrication de produits pharmaceutiques installée dans la partie centrale de l’usine. L’ancien magasin à sucre, occupé par l’ancienne société Actival spécialisée dans l’étiquetage des boîtes de conserve, et la partie ayant abrité la distillerie et les citernes d’alcool (société de conditionnement du sulfate de fer SCALA arrêtée en décembre 2009) sont à l’abandon. La société Norchim occupe 8 200 m² et emploie 33 personnes.

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a - La sucrerie, début XXe siècle (AC Creil). b - Vue générale de la sucrerie, photographie Chevojon, 1954 (Les pays de l’Oise, Paris : L’opinion économique et financière). c - Vue de l’ancienne sucrerie aujourd’hui.

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Henri Gryson installe une brasserie de cidre près de l’emplacement du moulin Loison en 1883. Elle s’inscrit dans la continuité des établissements implantés depuis le début des années 1880 dans le bassin creillois. Une maison d’habitation, une halle et des magasins sont construits rapidement. En 1896, Eugène Henri Gryson rétablit une roue hydraulique qui apporte une force motrice de 2 cv pour actionner une pompe. La brasserie est reprise par Albert Drouin dans les années 1930. L’activité cesse au début des années 1950. Certains ateliers sont occupés par des entreprises comme la société Emball-Plastic qui fabrique des objets en plastique par moulage à chaud en 1954. Entre 1988 et 1990 l’immeuble abritant les anciens bureaux de la brasserie et l’espace occupé par les ateliers sont aménagés par la ville de Montataire qui en est propriétaire. La quasitotalité des ateliers de fabrication

en brique, pans de bois et pierre ont été détruits, laissant place à un parking. Seuls sont encore visibles le bâtiment des bureaux occupés par un logement et une association et le petit atelier de fabrication.

d - Papier à lettre à en-tête de la brasserie de l’Union à Creil, 1933 (AD Oise : 5MP2457). e - Camion de livraison stationné devant les ateliers de la brasserie, s. d. (AC Montataire). f - Façade des anciens bureaux.

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L'habitat Les cités d'après-guerre

a - Construction des logements du Cerchar, vers 1950 (archives de l’entreprise). b - Immeubles du Cerchar aujourd'hui, Verneuil-en-Halatte. c - La cité l'Épine, Villers-Saint-Paul. d - La cité Entreil, Villers-Saint-Paul. e - Plan masse du modèle de maison préfabriquée du Groupement Technique du Bâtiment, 1953 (AC Montataire : 102W4). f - Barre de logements pour les employés d'EDF, Saint-Leu-d'Esserent. g - Maisons de type jumelé, cité EDF, Saint-Leu-d'Esserent. h - Maisons prototypes, cité Usinor, Montataire. i - Maisons de type A, cité Usinor, Montataire.

L’architecte René-André Coulon bâtit plusieurs immeubles à logements ainsi que des maisons particulières pour les employés du Cerchar. Poursuivant le parti-pris constructif des bâtiments administratifs et des laboratoires, il inscrit ses réalisations dans un cadre boisé jouant avec les dénivelés du terrain en accentuant les déambulations des chemins d’accès. La cité Entreil ou du Clos Entreil est édifiée en 1950 pour les employés de la Compagnie Française des Matières Colorantes. Elle comprend à l’origine 7 maisons jumelées et une simple soit 15 logements. Un autre pavillon jumelé du même type est ajouté légèrement en retrait en 1959. Vendues à des particuliers, elles sont, pour certaines, toujours occupées par d’anciens employés de l’usine. Elle tire son nom d’un lieu-dit autrefois couvert d’épines. Il s'agit de la dernière cité d’employés construite à la demande de la Compagnie Française des Matières Colorantes par l’entreprise Quillery en 1954. Elle comprend 20 pavillons (40 logements) de plain-pied jumelés bâtis sur les pentes de Villers-Saint-Paul.

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Une route d’accès est ouverteau cours de l’année par la société compiégnoise « les usines de Libercourt ». Les habitations ont été vendues à des particuliers, certaines sont encore occupées par d’anciens employés de l’usine. L’installation de la centrale électrique nécessite la réalisation entre 1953 et 1955 de 75 pavillons jumelés (cité du Bas-Mettemont) et de plusieurs immeubles et logements d’ingénieurs (cité de la Garenne) sur la commune de Saint-Leu-d’Esserent À la même époque, la société Usinor projette d’édifier une cité pour ses employés à Montataire : la cité du Vignolle qui doit son nom au manoir et à la tour de Vignolle détruits lors du projet d’extension. Ce dernier s’inscrit dans le programme de modernisation de l’usine lancé depuis 1947 et répond au manque de logements salubres que possède alors l’usine. La société Usinor prévoit à l’origine une cinquantaine de maisons, mais le projet est revu à la baisse et seuls 19 logements sont construits. Ce sont tous des logements de type jumelé sauf les 3 pavillons prototypes en préfabriqué réalisés par le Groupement

Technique du Bâtiment et le bloc de trois maisons, œuvre des architectes parisiens Demaret et Moncet. Les premières constructions concernent le modèle de type A : sur les 20 maisons projetées, 5 sont édifiées et encore visibles. Simultanément, la société Usinor commande la réalisation de 3 maisons en préfabriqué et d’un bloc de 3 logements : ces constructions viennent lotir à la fin de l’année 1953 une parcelle située entre la rue Pasteur et la rue Bessemer. Au cours de la décennie 1950, des maisons de type C (une dizaine projetée, trois réalisées) sont construites entre la rue Bessemer et la rue de Nogent, de même qu’une maison de type E (toit à un pan) et 6 maisons jumelées sans type. Aujourd’hui, toutes sont encore visibles.

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Les équipements culturels Cinéma et salles des fêtes d’organiser chaque semaine des bals et des manifestations culturelles. Le local sert de salle de spectacle jusque dans les années 1970 puis est transformé en réfectoire pour les employés de l’usine. Le bâtiment est aujourd’hui désaffecté. Construit en brique selon un plan rectangulaire régulier sur soussol et rez-de-chaussée, il est couvert d’un toit à deux pans en tôle ondulée. L’entrée, soulignée par un avant-corps, est décorée de briques polychromes et porte l’inscription « salle des fêtes ». À l’intérieur, la scène est encore visible mais les ouvertures ont été modifiées et le parquet d’origine a disparu.

L’Eden Cinéma, l’Univers, le Modern Cinéma, ou l’Olympia comptent parmi les cinémas présents sur le territoire. Une salle de bal est installée au début des années 1930 au 97 rue Jean-Jaurès à Creil. Située au cœur du quartier des usines, elle draine de nombreux habitués. En 1933, le propriétaire y aménage un cinéma qui sera transféré quelques rues plus loin en 1961. Ce dernier est ensuite repris par les services techniques municipaux qui l'utilisent comme lieu de stockage. La salle polyvalente construite à Montataire pour le syndicat ouvrier de l’Union des Métallurgistes de l’Oise, est achevée en juillet 1914. Bâtie sur deux niveaux elle comprend dès l’origine une salle de cinéma, une salle des fêtes, une buvette et une salle de danse. Pendant la Première Guerre mondiale elle est utilisée comme hôpital militaire. En 1923, la salle de la coopérative des ouvriers métallurgistes est vendue à la ville. Transformée en 1982, la salle, dénommée le Palace, a perdu ses galeries et sa verrière apparente mais a conservé ses volumes d’origine.

Les équipements commerciaux Entrepôt et coopérative

a - Salle des fêtes de l’usine Montupet accueillant le banquet organisé pour la remise de la Légion d’Honneur de Léon Montupet (coll. part). b - Entrée de la salle des fêtes.

La maison Gromont, négoce de vins et spiritueux, est achetée en 1888 par M. Lesage. Après le mariage de sa fille, l’établissement prend le nom de Coudray-Lesage puis de Coudray et Cie, jusqu’à sa fermeture en 1974. Les entrepôts construits en pierre, couverts d’une charpente en bois et abritant la halle aux vins sont détruits en avril 2003. Seuls subsistent la grille d’honneur et les deux pavillons d’entrée, anciens bureaux et conciergerie, qui accueillent les services de la mairie de Nogent-sur-Oise. Encadrant la grille d’honneur, les deux

pavillons sont en brique et comportent un étage carré et un étage de comble. Un soin particulier est accordé aux chaînes d’angle alternant brique et pierre à bossage en pointe-de-diamant. L’un des pignons découverts porte encore la mention « Lesage, vins et spiritueux » dans un cartouche en pierre stylisé En 1886, Auguste Génie et Charles Baujard, tous deux travaillant aux forges de Montataire, fondent le syndicat de l’Union des Métallurgistes de l’Oise qui prend en 1895 le nom d’Union des

Métallurgistes de Montataire. C’est dans ce contexte qu’est fondée en 1893 par Auguste Génie une coopérative ouvrière destinée à concurrencer les magasins ouverts par la société des Forges. Le magasin coopératif actuel est construit en 1903 et communique avec la salle des fêtes par un long couloir aujourd’hui condamné. La façade est sommée d’un fronton décoré de carreaux de céramique verts. Il porte en lettres capitales rouges la raison sociale Coopérative du Beauvaisis, succursale numéro 40 et des ornements végétaux.

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c - Entrepôts de vins Lesage (Nogentsur-Oise). Vue cavalière des entrepôts Coudray-Lesage, s. d. (AC Nogent-surOise). d - La coopérative de Montataire, vers 1910 (AC Montataire : 1PH60). e ‑ Vestiges des entrepôts aujourd’hui.

En 1922, la société Montupet, en lien avec Henri Chapat, directeur du Groupe Lyrique Nogentais, décide de la construction d’une salle des fêtes dans l’enceinte de l’usine. Ce lieu doté d’une scène est conçu à l’origine pour donner des concerts dont les bénéfices sont reversés aux hôpitaux militaires. Par la suite, un comité d’établissement permet

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Faut-il conserver la cheminée de la Vieille-Montagne ? Cette interrogation qui fit la une

Le Grand Creillois industriel retrace les origines, le développement et la pérennité des activités industrielles à travers les éléments les plus significatifs de son patrimoine et de son architecture. Marqué par la forte présence de l’extraction de la pierre depuis près de 2 000 ans, le territoire s’est ouvert, à partir de la fin du XVIIIe siècle, aux industriels et à la main-d’œuvre des secteurs de la métallurgie et de la céramique, puis au début du XXe siècle à ceux travaillant dans la mécanique et la chimie.

d’un article du Courrier Picard en août 1999 révélait déjà les innombrables questions inhérentes à la conservation, à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine industriel du bassin

Au fil de l’Oise entre Pont-Sainte-Maxence et Saint-Leu-d’Esserent, mais aussi en remontant les cours de la Brèche et du Thérain, cette publication s’attache à parcourir ce patrimoine constitué d’usines, de cités ouvrières, de châteaux d’industriels, de coopératives mais aussi de monuments funéraires et de murs peints publicitaires.

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PICARDIE

L’ambition de ce livre est de présenter, à travers les nombreuses illustrations, la richesse des savoir-faire et des architectures de ce territoire afin de lui redonner toute sa place au sein de l’histoire industrielle.

alors que l’ensemble du site, désaffecté depuis 1992, vient d’être livré aux pelles mécaniques des démolisseurs ? Sa hauteur ? Le symbole visuel fort qu’elle représente pour les habitants du bassin creillois ? Le peu d’espace qu’elle prend au sol ? La question fut finalement tranchée, au nom de la sécurité, par sa démolition, quelques mois plus tard. De cette destruction, véritable perte visuelle, et la première de cette ampleur sur le territoire, naquit la volonté de mieux connaître ce patrimoine et de le protéger. L’Association pour la Mémoire Ouvrière et Industrielle du bassin creillois (AMOI), qui a fêté ses 10 ans en 2010, est née de ces interrogations. Elle s’est fixée dès l’origine pour objectif l’étude, la connaissance et la collecte de témoignages sur l’activité ouvrière et industrielle du bassin

I M A G E S D U PAT R I M O I N E

LE GRAND CREILLOIS INDUSTRIEL

creillois. Conserver cette cheminée, pourquoi pas. Mais qu’est-ce qui en justifie sa préservation

creillois. Très vite, le projet de création d’un lieu, dédié à la mémoire ouvrière et industrielle, a émergé. L’étude en fut confiée en 2005 au Cabinet Mérimée Conseil, sous l’égide de la Communauté de l’Agglomération Creilloise (CAC) qui a préconisé la réalisation d’un inventaire exhaustif des sites industriels afin d’en conserver l’histoire et la mémoire. Un an plus tard, l’étude du patrimoine industriel du bassin creillois débutait, après la signature d’une convention tripartite entre le Conseil régional de Picardie, le Conseil général de l’Oise et la Communauté de l’Agglomération Creilloise. Réalisé entre septembre 2006 et juin 2009, l’inventaire du patrimoine industriel a porté sur l’ensemble des bâtiments, des friches et des sites industriels présents sur les communes de Creil, de Montataire, de Nogent-sur-Oise et de Villers-Saint-Paul. Il a contribué à réaffirmer l’existence de relations entre les deux vallées de la Brèche et du Thérain qui ont favorisé la diffusion de savoirfaire jusqu’aux rives de l’Oise, notamment dans le secteur de la petite métallurgie. Il a également aidé à la connaissance du bâti de certains quartiers industriels, comme le quartier de Gournayles-Usines, que l’on croyait né après la Première Guerre mondiale. Il a également permis de faire découvrir à la population la contribution d’architectes de renom, Perret et Eiffel à Montataire et à Nogent-sur-Oise. Enfin, ce travail a pu délimiter les contours du bassin creillois industriel tout en mettant en lumière les prolongements industriels au-delà de ce noyau. Ce dernier constat a permis de mener une étude complémentaire sur les communes de Laigneville, de Monchy-Saint-Éloi, de Pont-Sainte-Maxence, de Rieux, de Saint-Leu-d’Esserent, de Saint-Maximin, de Saint-Vaastles-Mello, de Thiverny et de Verneuil-en-Halatte. À l’issue de cette enquête, un corpus de 160 dossiers d’inventaire a été constitué. Chaque site étudié a fait l’objet d’un dossier documentaire contenant un historique, un descriptif architectural

Prix : 25 e ISBN 978-2-36219-011-7

DU I M A G E S

L’Inventaire recense, étudie et fait connaître le patrimoine artistique de la France. Les Images du Patrimoine présentent une sélection des plus beaux monuments et œuvres de chaque région.

PAT R I M O I N E

et technique, des sources, des reproductions de documents iconographiques et des photographies prises au cours du recensement. Les recherches documentaires menées ont été multiples et les fonds consultés diversifiés : archives municipales des quatre villes (fonds local, annuaires, almanachs, cadastre napoléonien, mais aussi séries liées aux activités industrielles), archives

Le Grand Creillois industriel Architecture et patrimoine PICARDIE

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départementales de l’Oise, fonds local des bibliothèques municipales, fonds d’architectes à l’Institut Français d’Architecture (Paris), archives d’entreprises. Un travail de localisation a été également réalisé par le biais du Système d’Information Géographique (SIG) de la Communauté de l’Agglomération Creilloise : la constitution d’une base de données a permis de prendre en compte la totalité des sites recensés, y compris les sites disparus. L’objectif du présent ouvrage est de retracer les origines, le développement et la pérennité des activités industrielles sur le territoire à travers son architecture. Il s’inscrit également au cœur des préoccupations de l’agglomération en abordant les questions de développement économique et d’aménagement du territoire. L’histoire des hommes qui ont façonné ce paysage y est aussi présentée et d’aucuns regretteront qu’elle n’y trouve pas une place plus importante. Mais cette approche sociologique et ethnologique reste un sujet à part entière. L’ambition de ce livre n’est pas de mettre un point final à l’histoire de ce territoire mais bien de présenter son passé pour mieux appréhender l’avenir. Il a pour vocation de montrer la richesse de ses savoir-faire et de ses exceptions architecturales et de lui redonner sa place au sein de la grande aventure industrielle.


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