Déménagements trimestriels

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Quand je me suis mariée avec Albert, j’avais 13 ans et lui 14. Comme on était mineurs, on était obligés de se rattacher Au carnet de circulation de ses parents. C’est un document qui nous sert de carte D’Identité.

on doit le faire signer tous les trois mois en gendarmerie, sinon on risque une amende. Avant c’était tous les 5 ans… QuanD on va au commissariat ils recherchont dans leur fichier si on a pas des PV en retard.


En 2007 on était sur l’aire de Lisses quand ils ont décidé de la fermer.

Il était 9h du matin le jour de l’expulsion. Je m’en rappellerai toujours. Albert était pas là. Je savais pas ce qui se passait…

On était déjà passé au tribunal. On avait eu le référé, mais on avait pas Reçu l’ordonnance d’expulsion.


Allez Madame, faut partir là…

Mais j’peux pas conduire moi, j’ai pas le permis ! Ils tiraient les caravanes, qu’on ait remballé ou pas. Ils en avaient rien a foutre de la casse. Pour pas qu’il abîment les caravanes tout le monde est parti au plus vite.


Pendant plusieurs mois après on a fait les parkings, les bords de route. Tous les trois mois, obligés de bouger. Pas le droit à l’eau, à l’électricité. Tout au groupe électrogène et à la borne incendie. C’est arrivé que les gendarmes coupent les tuyaux d’eau en plusieurs morceaux en pleine nuit pour pas qu’on se rebranche sur la borne. Pour nous déloger, tous les moyens sont bons.

Il date de quand le contrôle technique ?

C’est à vous la caravane ? C’est interdit de stationner ici.

Il est lisse ce pneu, non ?

On a eu des plaintes contre vous…

Pour vol de salades…

Ce jour là, on a du atteler les caravanes devant eux. Il pleuvait, il tombait du verglas, y avait personne sur les routes…


Ce soir, on vous brûle ! Pendant la campagne des élections régionales, un maire invitait les gens à manifester contre nous. Y a eu une pétition et un article dans le journal municipal aussi. Quand on a vu les jeunes du quartier se rassembler, ça nous a fait peur.

Si on était pas partis ça se serait mal passé à mon avis.

Ils sont arrivés à 4h du matin. Ils nous ont encerclés. À 6h, ils ont tApé à chaque caravane.

Sortez tous dehors !

Attendez !!! On s’habille.

Ils cherchont quelque chose ou quelqu’un. On a eu le droit de rentrer qu’à la fin de la perquisition. On a vécu un enfer.


En 2010, on est retourné à Lisses, sur l’ ancienne aire d’accueil. On avait fait une demande de benne à ordures qu’on voulait payer. Les déchets s’entassaient. Je sais pas combien de fois je me suis déplacée pour demander. Jamais ils ont voulu la mettre. Ça faisait sale après.

Ils ont fait une assignation en référé pour nous expulser. Du coup, je me suis mise à côté de l’aire d’accueil. Quand la police est venue avec la responsable de l’agglo, on a bien rigolé. le chef de la police nous a souri et il a dit « On les laisse ici. Nous on est pas venu pour ce terrain là… »

Ils ont voulu labourer le terrain pour nous empêcher de manœuvrer.

Mais moi je voulais pas bouger, même si ils m’enfermaient. Du coup, on a gagné,.on a pu rester encore trois mois dans la boue !

Cette année, à une semaine de Noël ils nous ont fait partir. Alors on est venu là avec mes enfants.

Ils sont toujours restés avec moi, même quand ils se sont mis en couple.


Je tourne avec le RSA et les allocations. Quand on a payé les assurances et les prêts des caravanes, il ne reste que 400 € pour faire le mois. Quand on finit pas le mois, on va chez Coluche, dans les restaurants du coeur. Mes enfants ils y vont aussi. C’est obligé.

Quand j’étais avec mes parents, on mangeait mieux que ça. Mon père il avait une pension de la guerre d’Algerie, il avait été blessé à l’épaule et à l’oeil. Aujourd’hui, on se débrouille mais c’est dur.

Je voudrais pas que mes petits enfants y vivont ce qu’on vit là. J’voudrais qu’ils travaillont, pas comme nous… Même si ils doivent être salariés, faut qu’ils se mettont dans des petites maisons.

Aujourd’hui je veux plus la caravane., juste un petit bout de terrain pour mettre un bout de chalet dessus. Mais on peut pas l’acheter, on a pas les moyens. A la fin du prêt t’as payé le double du prix de la caravane, mais pour un terrain on peut pas avoir de prêt. Des fois on en parle le soir avec Albert…

Si il faut revendre pour un bout de terrain, on a qu’à tout revendre…

On aurait une petite maison, on serait chez nous. On aurait plus tout ça à traîner…


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