Keith n°6 noël

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édito

édito Cher Père Noël,

Je sais qu'il est un peu tôt pour t'écrire, mais on ne sait jamais, avec les problèmes de courrier, mieux vaut s'y prendre à l'avance. J'ai d'ailleurs vu un reportage dans le JT de Pernault l'autre jour sur un bureau de poste dans un petit village du nord de l'Allemagne chargé de trier tes lettres, et franchement, ça avait vraiment l'air d'être le bordel. Je me suis surtout demandé : “Pourquoi l'Allemagne ?”, étant donné que tu habites au Pôle Nord. Enfin bref. Ce mois-ci, je fête mes 1 an (qui l'eut cru ?!). Je fais partie de ces malchanceux pour qui l'anniversaire tombe pendant la période de Noël. Or, les cadeaux, comme les bons de réductions ou les mandats, ne sont pas cumulables, et on se fait toujours avoir. Alors je fais un peu la gueule, parce que j'ai peur de ne pas être assez gâté. Mais j'ai bien réfléchi, et avec la crise, la baisse du pouvoir d'achat et tout le tralala, je me suis dit qu'il fallait relativiser et penser un peu aux autres. Exceptionnellement, donc, j'ai décidé de faire don de mes cadeaux à ceux qui les méritent certainement plus que moi. Voici donc ma liste : - Pour Carla Bruni-Sarkozy, l'album Petite Mort des Second Sex. A écouter en particulier : Fille facile. - Pour MGMT, un deuxième album quand même. Parce que quand on fait la couv' des Inrocks, c'est le début de la fin. - Pour Rachida Dati, un jeu de Cluedo. On sait déjà que c'était dans la chambre à coucher avec une matraque, mais on ne connait toujours pas le coupable. - Pour Sarah Palin, une mappemonde. Parce que quand elle demande : “L'Afrique est bien un pays ? Et l'Afrique du Sud une de ses sousparties ?”, on se dit qu'on n'est pas passé loin de la catastrophe… - Pour Vincent Cassel, François-Xavier Demaison, Marion Cotillard et Sylvie Testud, du démaquillant et une séance d'hypnose. Leurs familles ne les reconnaissent toujours pas. - Pour Booba et Justice, des bouteilles de Jack Daniel's. Ils ont cassé les leurs. - Pour les éléphants du PS, un manteau double face, pour pouvoir retourner leur veste, et une girouette, pour savoir dans quel sens souffle le vent. - Pour Mickael Vendetta, une centaine de boîtes d'allumettes et trente tubes de colle. Je suis sûr qu'il fait des maquettes. - Pour les petits Africains qui meurent de faim, un compte facebook chacun. C'est vrai quoi, les pauvres, y a pas de raison. - Pour Fred Perry, des rouleaux de tissu, parce que depuis qu'ils ont inventé une nouvelle taille pour Mouloud, les temps sont durs. -… La liste pourrait encore être longue, mais je vais m'arrêter ici. Je vais juste penser à moi une seconde, et te demander une année encore plus cool que celle qui vient de passer. 1 an, c'est quand même la classe. Et si tu as le temps de passer au Régine le 16 décembre pour faire la fête, tu seras le bienvenu (2 euros par rennes au vestiaire). Bon courage pour les préparatifs (on m'a dit que tu avais engagé des lutins polonais pour palier à la crise, petit malin) et on se voit le 24. Embrasse ta femme. Keith, qui a été très sage toute l'année.

KEITH 37, rue des Mathurins – 75008 Paris www.whoiskeith.com Direction : directeur de la publication Benjamin Blanck, benjaminblanck@keith-mag.com Rédaction : directeur de la rédaction Basile de Bure, basiledebure@keith-mag.com directeur artistique / illustrations Julien Crouigneau (designJune), julien@designjune.com rédacteurs en chef adjoints Léonard Billot, leonardbillot@keith-mag.com Clémentine Goldszal, clementinegoldszal@keith-mag.com

Rubriques : - cinéma : Stan Coppin - art : Dorothée Tramoni - musique : Clémentine Goldszal - littérature : Léonard Billot, Augustin Trapenard - théâtre : Nicolas Roux - design : Edouard Michel - mode : Billal Taright

Special Thanks : Robin Barata, Simon Battaglia, Philippe Blanck, Christine Borgoltz, Delphine Brunet, Aïna de Bure, Dominique de Bure, Eglée de Bure, Gilles de Bure, Barbara Dumas, Camille Gabella, Jean-Jacques Hible, Alexandre de Lamberterie (créateur du logo Keith), Olivia de Lamberterie, Romain Smajda

Ont collaboré à ce numéro : Judith Allenbach, Guillaume Baptiste, Mateusz Bialecki , Charles de Boisseguin, Donatien Cras de Belleval , Armen Djerrahian, Alphonse Doisnel , Louise Ebel, Pauline Goldszal, Benjamin Kreber, François Kraft, Céline Laurens, Alysé Meurisse, Juliette Morice, Lorraine Oddo, Eric Pellerin, Laura Roguet, Pierre de Rougé, Joop Shouten, Kenza Verrier

Le magazine KEITH est édité par la société WHO IS KEITH ? SARL au capital de 1000 euros RCS Paris 492 845 714 ISSN en cours. Dépôt légal à parution.

Photographes : Laure Bernard, Sophie Jarry, Emilie Moysson, Lisa Roze, Billal Taright K?-04

Imprimé en France. Ne pas jeter sur la voie publique.


sommaire

- Good news from the west ! p.6-7

- A l'antenne :

Chris Esquerre, chroniqueur très spécial p.8-9

- Dossier : Cheap is chic p.10-17

Yes we can !

- Cinéma : Burn After Reading, Les enfants de Timpelbach, The Broken, Les trois singes, Los Bastardos, Barrage contre le Pacifique, Secret Défense, Le bon la brute et le cinglé, Mr Lonely, A Cross The Universe p.19-23 Harmony Korine : You're not alone ! p.24-27

Chris Esquerre

Cheap is chic Harmony Korine Los Bastardos

- Art :

Keith aime Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Blaise Drummond, Moriceau / Mrzyk, Katarina Bosse et Walter Pfeiffer p.29-31 Koo Jeong-A : Une si petite chose p.32-33

- Celebrity in disguise :

Mélanie Laurent en Blanche Neige, R.Wan en Donald, Alysson Paradis en Betty Boop, Malik Zidi en Vaslav Nijinski, Thomas Dutronc en Georges Brassens, Michaël Abitboul en Shrek p.34-39

- Musique :

Empire Of The Sun, Circlesquare, The Redwalls, Larytta, King Jim p.40-41 Dr. Dog, Bob Robot p.42-43 Vampire Weekend p.44-45 The Walkmen, Isobel Campbel, Megapuss, Chairlift, Variety Lab Reprise, plagiat, même combat ? p.46-47 Introducing… Martin Luther p.48-49 Mick Jones : Grandmaster Clash p.50-53 Vu : Oasis et Bloc Party en live p.54-55

Blanche Neige Keith aime

Katarina Bosse petite chose

Reprise, plagiat, même combat ?

Vampire Weekend Martin Luther

Mick Jones

Pourquoi

- Littérature :

Edito : Pourquoi êtes-vous pauvre ? p.57 Love Medecine, Into the Wild, Miss. Tic, les prix Keith Peut-on vendre de la bonne littérature ? p.58-59 Lucien Suel : Dialogue avec mon jardinier P.60-61

- Théâtre :

Du côté de chez Sara… Forestier p.62-63

- Design :

Les frères Campana : Favela Chic p.64-65

- Mode :

Home Sweet Home p.67-75

- Le fou du mois :

Michel Godin des mers : clochard céleste p.76-77

- minuscules :

raphaël sibilla : humain, trop humain p.78-79

- Keith Story :

Noël fait divers, par Alysé Meurisse. p.80-81

êtes-vous pauvre ?

les prix Keith

Théâtre Favela Chic Home Sweet Home

Le fou du mois Noël fait divers


Allez, on prend le risque de passer pour Paris Match. Pas très original peut-être, mais qu'est-ce que ça fait plaisir. Alors parce que nous aussi on a pleuré, voici un petit aperçu, de Harlem à Time Square, de l'ambiance qui régnait à New York dans la nuit du 4 novembre 2008. Yes we can ! Photos : Armen Djerrahian et Eric Pellerin.

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à l’antenne Chroniqueur très spécial.

Chris Esquerre s'est fait connaître avec sa revue de presse des journaux que personne ne lit. Et depuis, il est surtout devenu le chroniqueur dont tout le monde parle. Vraiment décalé à une époque où tout le monde prétend l'être, il est l'atout numéro un de l'Edition Spéciale sur Canal +. Rencontre.

Keith : Quel est ton premier souvenir de télé ? Chris : Goldorak ! Ou alors non, il y avait un jeu sur la 3 présenté par Michel Constantin mais je ne sais plus comment ça s'appelait. Mais je me souviens de ce mec : Michel Constantin. Sinon je regardais pas mal la télé quand j'étais gamin. C'était des trucs cons… Tous les dessins animés des trentenaires d’aujourd'hui. Puis à l'adolescence il y a eu Starsky et Hutch, l'Amour du risque et Manimal… Après, j'ai un peu arrêté de la regarder. Keith : Et depuis, tu as recommencé ? Chris : Pas vraiment. Je n'ai pas vraiment le temps. Je regarde les journaux de 20h, Anne-Sophie Lapix dans Dimanche + et l'Edition Spéciale, puisque mon boulot c'est de parler de l'Edition Spéciale. Comme j'en fais une synthèse dans une chronique tous les vendredis, je suis obligé de me taper ce programme (rires)… Keith : Quel est ton pire souvenir de téléspectateur ? Chris : Est-ce qu'on a des pires souvenirs de téléspectateur ? Quand on n'aime pas on zappe non ? Si, il y avait les actus du 20h. On était à table avec mes parents, et ma sœur et moi on n'avait pas le droit de décrocher un mot. Et forcément on attrapait des crises de fou rire et ça se terminait dans la cuisine. Je prenais mon assiette pour ne pas énerver mon père. D'ailleurs, attention anecdote, il avait installé un système avec un miroir pour regarder la télé qui était dans l'autre pièce. C'était très bizarre… Voilà mon pire souvenir. La télé comme une chape. Mais ça durait juste le temps des infos. Keith : Quand on n'a pas grandi, comme ça semble être ton cas, avec la télé comme centre du monde, comment vient malgré tout l'envie d'en faire ? Chris : J'avais envoyé des maquettes à M6, car en tant que campagnard je n'avais aucun contact à part quelques vaches qui étaient bien introduites. Et contrairement à ce que les gens croient, il y a des gens qui sont payés pour regarder tout ce qu'ils reçoivent. Ça leur a bien plu, donc ils m'ont appelé : “C'est bien, on s'est marré, est-ce que tu peux nous faire ça à partir de lundi ?”. Et voilà. Deux, trois ans après, j'étais tous les jours au Morning. C'est finalement assez banal… Alors oui, il y en a qui passent d'abord par la case assistant. Moi ça c'est passé comme ça, mais pour le monde de la pizzeria. J'ai d'abord beaucoup regardé et après on m'a laissé aux manettes…

Keith: Justement, qu'est-ce qui t'a attiré dans la pizzeria ? Chris : En fait c'est mon truc de reconversion. J'aime bien dire qu'on peut toujours aller faire des pizzas. Quand on me demande “et si ça s'arrête ?”, je réponds ça. Je m'en fous en fait. Je prends ce qui passe. Le jour où je n'aurai plus d'idée, je ferai autre chose. Ce n'est pas important. Keith : Tes idées, c'est des chroniques et un ton très décalés. Comment ça te vient ? Chris : En fait, je ne suis pas journaliste donc je n'étais pas habilité à dire des trucs sérieux et surtout ça me fait chier. Moi j'avais plus envie de dire des conneries que de rapporter le monde tel qu'il existe. Je n'ai aucune exigence de contenu. Même si j'ai une exigence de boulot. Keith : Alors comment se manifeste la part de boulot dans le fait d'écrire des conneries ? Chris : Souvent la nuit j'ai des crises, je hurle, je tremble… Non mais je renvoie à mon ouvrage référence : L'exigence en trois tomes aux éditions du Bouquetin… Et plus sérieusement, j'ai besoin d'être fier de ce que j'écris. Je ne peux pas faire du remplissage. Pour écrire quelque chose qui soit bien, c'est beaucoup, beaucoup de boulot. Je sais que les gens sont prêts à pardonner du moyen parce que c'est tous les jours, mais moi ça me met mal à l'aise. J'essaie de faire des choses bien. Il y en a qui se glorifient, qui font un ressort comique de la mauvaise vanne, mais honnêtement ça ne peut pas être un fond de commerce de dire qu'on n'a pas travaillé et que ce qu'on fait est nul. On peut écrire sérieusement des trucs drôles. J'ai toujours l'impression d'être un donneur de leçons quand je dis ça, mais pour préparer une chronique de trois minutes, il me faut souvent deux jours. Il faut soupeser chaque phrase. C'est une vraie mécanique. Mais c'est génial comme boulot. Keith : Qu'est-ce qui t'a inspiré ? Chris : Rien. Je n'ai pas de modèle. Au contraire. Quand on voit les humoristes de tout temps, ça ne donne pas envie de faire ce qu'ils font. Ce n'est pas quelqu'un qui m'a donné envie de faire ce métier, K?-08

c'est plus moi qui me suis dit : “j'ai envie de déconner”. Après bien sûr j'ai des influences. Coluche, Desproges, les Deschiens, Sim… Mais je n'ai pas eu de déclic en voyant quelqu'un. Keith : Il n'y a pas un moment où tu t'es dit : “Tiens on peut faire ce genre de conneries à la télé ?” Chris : Mais je sais depuis l'âge de trois ans que la télé est un médium naturel pour les conneries. C'est évident. Les gens ont envie de rire. En plus, c'est gratuit. C'est ça qui est génial. On peut faire passer des idées à un très grand nombre de personnes. Plus que la scène en tout cas. Keith : Justement la scène ça ne te tente pas ? Chris : Si, je suis en train d'écrire un spectacle. Même si ça m'a toujours semblé suspect de refaire cent fois de suite la même chose. Mais bon, dire des conneries sans monter sur scène c'est un peu comme être un cosmonaute qui reste au sol. A un moment il faut y aller. Et puis je n'ai pas envie de devenir un professionnel de la télé. De toutes manières on n'est pas chroniqueur à vie. Ça n'existe pas. Il faut faire autre chose. Keith : Donc, la télé ce n'est pas une fin en soi ? Chris : Si. Je n'ai pas commencé en me disant je veux faire autre chose. Mais ce n'était pas un rêve d'en faire. Le rêve c'était de dire des conneries et de trouver le support le plus agréable. Jusqu'il y a très peu de temps, je voyais mon avenir en costard cravate en tant que directeur d'une grande boîte. Je voulais être un businessman. Je n'avais jamais envisagé de devenir humoriste. Et je n'ai pas eu besoin de courage pour tout lâcher. Pour moi, c'était une nécessité. Keith : Tu te verrais faire autre chose à la télé ? Chris : J'aimerais bien animer un jeu. Un truc avec de l'interaction. Tant qu'on peut parler avec des gens, ça peut être un support pour dire des conneries. Ou alors, j'adorerais présenter le 20h. Je pique toutes mes mimiques aux présentateurs du JT ! Ça me ferait surkiffer. Je le ferai très sérieusement, avec un ton légèrement décalé, mais très sérieusement. Comme Bruno Mazure en son temps. Propos recueillis par Nicolas Roux.


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“Quand on me demande “et si ça s'arrête ?”, je réponds qu'on peut toujours aller faire des pizzas.”


dossier

cheap

Le

chic

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Le monde étouffe sous la crise, les peuples opprimés par un pouvoir d'achat en berne collectionnent les oranges pelées qui cette année vont remplacer les bûches en chocolat. A la maison, maman t'a acheté une ceinture qu'il va falloir serrer, papa a planté la voiture et il est parti Into The Wild depuis que sa boîte de placements a fait faillite et ta petite sœur fait du striptease pour nourrir tout le monde. Pendant ce temps là, Jeff Koons transforme Versailles en rayon de supermarché swimming pool pour super-riches, Damien Hirst collectionne les diamants puis s'amuse à les patafixer sur un crâne (parce que bon ! à la fin il savait plus trop quoi en foutre de tous ces cailloux inutiles) et Michael Vendetta prend des cafés à dixhuit euros avec Sarko au Fouquet's. Hum, vous avez dit vulgaire ? Heureusement sur cette terre dichotomique à peu près complètement désaxée, il te reste quelques espoirs. Regarde Keith est gratuit, Keith ne te met pas sous les yeux des réclames pour vêtements scandaleusement onéreux, Keith ne tue pas de bébés phoques pour faire des housses de Ipod et en plus, Keith va te montrer qu'en art au moins : le cheap, c'est chic. Merci qui ? K?-10


Jacques Pelissier Bonne pâte. Le hasard fait parfois bien les choses. Lorsqu'un jour sa fille tombe malade, Jacques Pelissier achète pour la distraire une boîte de pâte à modeler. Et c'est en lui montrant comment s'en servir que Jacques se met à imaginer des visages, des silhouettes, des poses. Quelque temps plus tard, de Nice à Paris en passant par l'Italie ou la Corée, plusieurs galeries exposent d'étranges œuvres : Basquiat, Warhol, Pollock, Lagerfeld, Air, Harring, Lacroix… Chacun le portrait tiré… en pâte à modeler. Cette idée, Jacques en fait sa marque de fabrique, et les commandes commencent à affluer. Comme souvent dans le petit monde de l'art, on en fait des tonnes, en s'extasie, on encense. A juste titre, certes, mais plus d'un s'y serait perdu. Jacques reste serein, garde son deuxième boulot de serveur dans une brasserie niçoise, et continue de malaxer, comprimer, étirer, mélanger, sans autres outils que ses mains et sa pâte. Tout simplement. Basile de Bure.

Ready-made Tu connais, bien sûr, la Fontaine de Marcel Duchamp. Cette pissotière que Marcel s'est contenté de décrocher de son mur d'origine, de nettoyer (quand même) et de poser par terre en déclarant d'une voix qui faisait frémir ses moustaches (en fait Duchamp n'a jamais eu de moustaches mais à l'époque, en 1917, tout le monde avait des moustaches, alors lui aussi il aurait très bien pu en avoir) que l'oeuvre est signalée et finalement constituée par sa seule présentation. Scandale. Cheap. Super chic ! Cette fontainopissotière fait partie d'une série d'œuvres que Duchamp baptisa les “readymade” qui comme leur nom l'indique sont déjà faite. Le concept était de récupérer des objets courants tel qu'un égouttoir, une pelle ou encore une vieille roue de vélo super cheap et

de les arracher à leur fonction utilitaire classique pour les exhiber en tant que pure forme, afin de déclencher chez le spectateur une réflexion autour de la représentation symbolique qui leur est associée. Accrochez-vous, ça va se corser là. Ce n'est plus l'objet en luimême qui intéresse alors l'artiste mais plutôt le raisonnement qui précède son exposition, la démarche d'avoir choisi l'objet validant son essence artistique. Encore là ? Bon. Continuons. Chez Duchamp c'est donc l'idée et non l'objet qui est à conserver. Ainsi, lors de la première grande rétrospective de son travail au Pasadena Museum of Art de Los Angeles en 1963, on n'exposa pas les objets originaux mais des répliques : les Arensberg, couple de mécène, propriétaires de l'Urinoir et d'autres les avaient tout simplement égarés.


dossier EDITO

Recyclage poétique du réel La suite de notre périple au cœur du trip “cheap is chic” se passe dans les années soixante. Finies les moustaches, enfile tes pattes d'éph', enduis tes cheveux de patchouli et dis bonjour aux messieurs : César, Arman, Daniel Spoerri. Au fondement du Nouveau Réalisme, ces trois gaillards vont faire de la récupération d'objets divers le fer de lance de leur travail. C'est surtout à travers sa série Accumulation que l'art de récupérer des objets anciens et obsolètes va s'affirmer dans l'œuvre d'Arman. Il va ainsi mettre dans des boîtes en bois ou souder entre eux des mains de poupées, des combinés de téléphone, des masques à gaz, des cafetières… Tous les objets chinés et accumulés qui, par leur répétition, leur forme et leur position, vont créer un effet de choc représentatif d'une agressivité sous-jacente à la société et à l'artiste luimême. Mais la récup va aussi être à la base du travail d'un autre artiste du Nouveau Réalisme : César (celui des statuettes et de la sculpture du cheval testiculairement impressionnant en face du Bon Marché). C'est à partir de 1958 et de ferrailles trouvées au hasard des casses, de matériaux industriels que l'activité manufacturière a délaissés que César va bâtir sa démarche. Chez un garagiste de Gennevilliers, il va découvrir les presses et s'emballer pour les tonnes de métal broyé. Il va alors s'en approprier la masse, les couleurs et les reliefs, la compresser, la modeler pour en faire le vecteur de sa critique de la société de consommation. Plus tard, il utilisera des carcasses de voitures. Et s'il est vrai qu'à la fin, César compressait des Ferrari (au niveau cheap, on est un peu juste là), c'est sur la matière de la marge, la substance des rebus qu'il a fondé l'essentiel de son œuvre. Le troisième larron de ce triptyque du cheap est un obsédé de la (bonne) bouffe, un Joël Robuchon de l'art. Fondateur du Eat Art (l'art qui se mange) Daniel Spoerri a magnifié l'art de la table, a plastiqué les mets. Le Repas Hongrois, œuvre majeure de l'artiste, représente les restes (pata)fixés de plats préparés par Spoerri lui-même et servis par les grands critiques gastronomiques de l'époque. Toujours le début des années soixante. Une fois le repas achevé et les restes fixés, l'artiste relève la table à la verticale et lui confère par ce geste symbolique son statut d'œuvre. Spoerri entend par là fixer dans la durée le dispositif d'un instant dû au hasard, démythifier la créativité et reléguer les œuvres et l'art parmi les objets banals.

Fayçal Baghriche Smoking/No smoking. Comme une évidence, Fayçal Baghriche nous reçoit en un lieu récupéré. Un ancien gymnase désactivé et transformé en un immense atelier que se partagent plusieurs artistes. Fayçal, qui cultive les jeux d'apparition/disparition, performance/récupération, éclaire sa démarche pour Keith. Keith : Comment as-tu commencé ? Fayçal : Je suis entré aux Beaux-Arts de Nice à la Villa Arson. On a passé le concours avec un pote, mais on y allait plus pour l'ambiance, l'architecture et les filles en tenues colorées. Je me suis vite rendu compte que tout ce que je produisais relevait plus du spectacle que de l'art. Au fond, la rhétorique, la manière de parler, tout ce qui est relatif à la représentation marchait plutôt bien comparé à des étudiants plus timides. Ça me permettait de parler d'art sans vraiment en faire. Keith : Et ensuite ? Fayçal : Après mon diplôme, je suis resté deux ans à Nice avant de venir à Paris. Autour de moi tout le monde allait à Marseille, moi je voulais Paris, je trouvais ça plus intéressant. J'ai commencé à me sentir artiste à partir du 11 septembre. Je m'y attendais un peu en fait. Depuis les Beaux-Arts, il y avait toujours eu l'idée du “ça va péter” dans mon travail. J'ai donc commencé à me demander comment je pouvais exister en tant qu'artiste. J'ai alors préparé une performance pour la Fiac, en octobre 2001, où je tombais par terre. Je marchais, puis je tombais. Apres la chute des tours, la chute de l'homme… Keith : A partir de ce moment, tu as vécu de ton art ? Fayçal : Non, pas vraiment. J'ai fait plein de petits boulots. Et notamment, j'ai travaillé à la galerie de Léo Scheer. Ce n'était pas un choix, je ne pouvais pas faire autrement. J'aurais pu rentrer dans une logique de production, mais ça voulait dire monter des dossiers, demander de l'argent… Je me suis rendu compte que mon désir de produire du sens, un discours avec très peu de moyens, constituait en fait l'essence même de ma démarche. Je pouvais faire de l'art avec rien : quand je vois des enfants en Afrique qui fabriquent des jouets avec des boîtes de conserve, ou un babyfoot avec une caisse et des pinces à linge, je trouve ça beau. Il y a, là, une poésie, une sensibilité qui me touchent.

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photo : Emilie Moysson

Keith : Ton travail oscille en permanence entre performance et récupération. Deux de tes “pièces” sont liées à la cigarette. La première où tu fumes des Bastos relève de la pure performance, l'autre de la récupération. Raconte nous ? Fayçal : Ah oui, les Bastos ! C'était lors de la Fête de la lumière, à Lyon. J'étais dans une galerie très sombre où l'on ne voyait qu'un point de lumière rouge qui variait : le bout incandescent de ma cigarette. Les gens étaient carrément intrigués et restaient longtemps à me regarder. Il y a même un jeune mec qui, un jour, au moment de partir, m'a lancé “pédé !”. Quelque chose l'avait choqué, il y avait un rapport, de l'un à l'autre, un peu bizarre. Je ne le voyais pas, il ne me voyait pas, c'était dérangeant. C'est marrant qu'il ait réagi comme ça. J'ai ensuite réédité ça chez Corentin Hammel. Mais ça, franchement, je ne le referai pas cinquante fois : il faut avoir une gorge robuste… L'autre intervention avec des cigarettes relève effectivement de la récup'. Mais de quelque chose qui n'est pas censé se récupérer. Le mégot, c'est vraiment la lie de la ville, le rebut. C'est un objet au ras du sol, que personne ne regarde, si ce n'est les balayeurs et les clochards qui guettent, pour voir s'il ne reste pas un peu de tabac à fumer. Les gens “normaux” regardent à hauteur d'épaule, jamais en dessous. Le sol, c'est vraiment la propriété des clochards. Certains sont même venus me dire “qu'est-ce que tu fais toi ? Tu nous voles”. Au

fond, c'est une histoire de territoire. Néanmoins, ces mégots sont l'empreinte de personnes, ce sont des bouffées de vie. J'étais devenu un vrai paysan urbain, tous les matins je partais faire ma récolte. Je suivais toujours le même parcours. Gare de l'Est, Gare du Nord, les Halles… Il me fallait des mégots en bon état, pas crades. Je traquais donc les cendriers avec du sable où les clopes sont juste plantées, et les pavés entre lesquels les clopes glissent. Au final, le tapis est fait de sept à dix milles mégots. Mais bon il faut dire que c'était assez répugnant. Quand j'ai réalisé la pièce, ça puait, c'était infect, tout le monde me détestait à l'atelier ! Keith : Tout ça fonctionne effectivement comme des bouts de ficelle. Il semble pourtant que dorénavant tu puisses envisager des productions plus lourdes. Enrico Navarra t'a proposé de travailler avec lui. Qu'est-ce que ça change pour toi ? Fayçal : Beaucoup de choses ! En gros, il est venu me voir en me disant : “Travaille, ne t'occupe pas d'argent, on va avancer ensemble”. Auparavant, une partie de mon temps était consacrée à l'art, l'autre à gagner ma vie. La proposition d'Enrico me permet de me concentrer exclusivement sur mon travail personnel. Propos recueillis par Léonard Billot et Basile de Bure.


dossier

Art et Déchet Dans Les Poubelles d'Arman, dont le processus est le même que celui de la série Accumulation mais avec des déchets, l'artiste expose de façon plus radicale les détours de sa pensée esthétique ; il va mettre en scène en tant que forme et énergie le travail du négatif. Ce n'est plus alors l'objet qui est sujet de l'œuvre mais son double négatif, son résidu, la trace formelle de son usage périmé. Et par le procédé de vitrification, Arman entend souligner les limites des qualités réputées de notre société.

Et si l'art résidait au fond des poubelles ? Cette question beaucoup d'artistes continuent de se la poser. Ainsi l'allemand HA Schult a réalisé une armée de Trash People, statues à taille humaine entièrement constituées de matériaux de récupération, qu'il expose dans les lieux les plus prestigieux de la planète : de la Grande Muraille de Chine aux plaines des Pyramides de Gizeh en Egypte, en passant par la place Rouge à Moscou ou la Grande Arche de la Défense à Paname. Ces “hommes ordures” confectionnés à partir de canettes, de

Shigeru Ban Urgence et évidence. Il y a tout juste un an, les rives du canal Saint-Martin à Paris s'enrichissaient d'une bordure de tentes Quechua, montées à la hâte par Les Enfants de Don Quichotte pour, d'une part, abriter les SDF et, d'autre part, alerter les pouvoirs publics sur l'urgence et l'indignité de la situation et les confronter à leurs responsabilités. En 1995, au Japon, l'architecte Shigeru Ban (auteur entre autres du projet du futur Centre Pompidou 2 à Metz) concevait un incroyable système d'abri de secours pour les victimes du tremblement de terre de Kobé. Avec l'aide de ses étudiants, il inventait ses paper loghouses.Soit des abris de 16 m2, montables et démontables en un tournemain, faits de tubes de carton de 11 cm de diamètre, posés sur des fondations constituées de caisses de bière Kirin vides et lestées de sable. Quant à la toiture, elle était en toile de tente récupérée. Avec son idée -toute simple- Ban recyclait génialement des matériaux de rebut tout en réglant une véritable urgence humanitaire et sociale. Poussant plus loin son refus du gaspillage et sa volonté de mise en œuvre d'une alternative éthique autant qu'économique, l'architecte obtenait, la même année, l'autorisation d'édifier sa propre maison sur le modèle (amélioré) de ses abris d'urgence. Résultat, la paper house à la structure constituée de 110 tubes de carton de 48 cm de diamètre disposés en forme de S, à la toiture en tôle ondulée, le tout fermé par des parois vitrées. De l'abri d'urgence à la villa au bord du lac, Shigeru Ban fait une démonstration d'évidence. Si l'imagination est rarement au pouvoir, le pouvoir de l'imagination est sans limite. Edouard Michel.

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conserves, de bombes aérosols usagées ou de pièces d'ordinateurs sont, selon lui, “notre reflet”. Et la liste est encore longue : Kurt Scwitter, Rauscenberg, Mierle Laderman Ukeles ou Nancy Holt. Autant d'artistes pour penser que le déchet fait à part entière partie de nos sociétés et plus particulièrement de nos espaces urbains (demandez au maire de Naples s'il n'est pas d'accord) et qu'il faut donc le révéler et le sublimer par l'esthétique artistique. Rien ne se perd, rien ne crée, tout se transforme, pas vrai ?

Les Stomp Le bruit et la fureur. Comment faire de la musique avec trois fois rien ? Avec une batterie... de cuisine. Les Stomp nous emmènent dans un univers délirant de chorégraphie, musique et percussions, et tout cela de manière humoristique. Pour ceux qui ne les connaissent pas encore, ce groupe de huit artistes britanniques a traversé le monde entier, depuis sa création en 1991, en créant du son avec les objets les plus simples, allant de la boîte d'allumettes aux poubelles en passant par les casseroles de cuisine. Les Stomp ne se cantonnent pas uniquement aux programmations théâtrales classiques mais réalisent de véritables show, qui mèneront les plus assoiffés jusqu'au bout de la nuit grâce au “Stomp Rhythm PARTY”. Les Stomp n'ont qu'un souci : rythmer le monde pour transmettre leur “mouv”. Voilà du cheap qui déchire ! Lorraine Oddo.


dossier

Cyprien Gaillard Smoke gets in your sky. Depuis les barres HLM jusqu'aux extincteurs, Cyprien Gaillard donne une nouvelle vie aux éléments du paysage urbain. A mi-chemin entre romantisme et land art, il utilise les images du monde qui l'entoure pour en souligner les limites à grands coups de vidéos à la fois menaçantes et hypnotiques. Keith : Comment es-tu venu à l'art ? Cyprien : La première œuvre pour laquelle j'ai été un peu remarqué, c'était une série de six films, Real Remnants of Fictive Wars, dans laquelle j'utilisais toujours le même protocole : un plan fixe d'un paysage vide dans lequel vient s'inscrire un nuage de fumée. Je ne le savais pas encore à l'époque, mais il y a vraiment dans cette pièce toutes mes réflexions par rapport au paysage, à la destruction, à l'héritage romantique. Keith : Justement, parle nous de ton travail avec les extincteurs… Cyprien : Au départ, je volais des extincteurs que je vidais, simplement parce que je trouvais ça beau. Puis j'ai dû faire trente ou quarante films en mini DV dans des terrains vagues. C'était vachement punk d'utiliser cet objet hyper utile, qui peut protéger

de la mort, de la manière la plus inutile possible, pour faire ce qui me semblait être l'acte romantique ultime. Ces films célèbrent les paysages dans lesquels ils sont tournés. Ils en font des espèces de décors de ciné. On voit cette fumée, pseudo naturelle, sortir des arbres et donner au paysage un air de semi catastrophe. Soudain, je me suis aperçu qu'il pouvait y avoir un intérêt pour ça et une validation positive et productive dans un espace d'exposition, une galerie ou un musée. Et puis, ce nuage de fumée, c'est vraiment devenu ma signature. Au tout début de ma pratique artistique, j'avais envie d'avoir cette marque de fabrique, ce truc assez fort et radical. Derrière la fumée, il y a aussi toute cette esthétique liée à la révolution. Qu'est-ce que c'est que la destruction d'un paysage ? Qu'est-ce que ça évoque ? Même avant le 11 septembre. Keith : Tu as travaillé tout de suite en format vidéo ? Cyprien : Oui, j'ai eu la chance d'avoir un pote qui était un super chef-opérateur et qui me prêtait du matos gratuitement. A l'époque, je bossais aussi au labo Eclair, le plus gros du cinéma français, qui a adoré mon projet et qui m'a offert le développement du film. Il y a une vraie tradition d'entraide. On aide beaucoup les jeunes réals’.

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Art et Ecologie Les flatulences de vaches ont crevé la couche d'ozone, la calotte glacière fond, Venise se noie, les Américains continuent d'acheter des 4X4 et bientôt les Chinois vont s'y mettre aussi (Paco Rabanne au secours !) : la crise n'est pas simplement économique, elle est aussi écologique. Face à ce constat dont les infos de Pernaut ne cessent de nous rebattre les oreilles, les artistes se mobilisent (sont-y pas sympas ?) et l'art du cheap et de la récupération est devenu de l'art Ecologique. Avec un grand E monsieur, comme éplucher. C'est la naissance de l'éco-design et de l'artiste citoyen. Tous s'y mettent : des architectes imaginant des gratte-ciel éoliennes (David Fischer), aux créateurs de mode (Fendi avec une nouvelle ligne de sacs “Carmina Campus”

entièrement composés de chutes de matières récupérées dans les ateliers, L.E.N.Y marque de T-shirts crée par Mariel Gamboa mobilisant des modeux comme Stéfano Pilati, Natalia Vodianova et Sarah de Colette, au profit de l'association d'Al Gore, The Climate Project), aux galeries d'art (la galerie “le 14” a lancé en 2005 le projet Récup'Art afin de “transformer, transcender les supports, qui une fois utilisés et donc bons à jeter, deviennent tant langage du beau qu'actes écologiques” ; la “dorothy's gallery in Paris” expose en ce moment des projets qui par leur processus entendent relier le travail artistique et la notion d'écologie). A l'image de cette galerie imaginée par les deux Berlinois Folke Köebberling et Martin Kaltwasser et entièrement réalisée à partir de déchets récupérés dans la campagne de Cambridge, il semblerait qu'aujourd'hui l'art se conjugue au vert. Et le cheap au chic. Léonard Billot

Keith : Au final, tu te démerdais. Cyprien : Oui, il y avait ce côté démerde, on tournait de façon complètement illégale, sans autorisation mais en 35mm quand même, avec des équipes de vingt personnes. On arrivait dans un endroit avec nos deux malles de matos, un objectif, un pied énorme, un chef opérateur, un assistant de chef-op… Au début, ce n'était pas vraiment de la récup', mais plutôt de l'économie de moyens. On trouvait des combines. Par exemple, on louait un camion pour transporter le matos, mais le forfait de location était au kilomètre. C'était un truc pour les déménagements dans le même quartier. Chaque kilomètre coûtait un euro ! Mais j'avais trouvé un moyen de débrancher le compteur. Et on partait pour la Suisse ! A la fin, j'ai même trouvé un plan pour récupérer des extincteurs : je travaillais avec une usine qui me donnait les usagés, des trucs énormes, qu'on utilise dans les aéroports. Keith : On te donnait des extincteurs ? Cyprien : Oui, il me les filait. C'est assez drôle cette histoire. Un extincteur a une durée de vie de deux ans. S'il n'est plus aux normes, en cas d'incendie, l'assurance ne couvre rien. On doit alors les détruire. Mais ça coûte entre cinq et dix euros par pièce. Et c'est une catastrophe pour l'écologie ! Donc moi, j'allais à l'usine de recyclage et je dealais avec eux pour qu'ils me les laissent gratos. C'était parfait !

Keith : Et maintenant, tu taffes sur quoi ? Cyprien : Dernièrement, j'ai fait une pièce au château d'Oiron, un centre d'art dans la Loire, avec du bitume. En fait, depuis quelques années, quand un bâtiment est démoli, l'entreprise chargée de la démolition s’occupe aussi de recycler les matériaux du bâtiment, surtout le béton. Donc l'entreprise réduit le béton en petits morceaux, presque comme du gravier, et ensuite elle les revend à des sociétés qui vont construire des nouvelles choses dans la ville. Des autoroutes, des parkings, des écoles… Finalement, tu retrouves le fantôme des anciens bâtiments partout dans la structure de la ville. Moi, je lie mon œuvre à ça, en fait. J'ai récupéré trois camions de trente tonnes de béton pilé d'une ancienne tour d'Issy-les-Moulineaux et j'ai remplacé le gravier de la traditionnelle allée qui mène au château par le béton pilé. Maintenant, il y a cette sculpture qui fait 300 mètres carrés et que personne ne voit mais sur laquelle tu marches pour arriver au château. Une tour à l'horizontale, à côté d'un château qui fait partie du patrimoine français : cette idée me plait. Propos recueillis par Léonard Billot et Basile de Bure.



cinéma

Les trois Singes, de Nuri Bilge Ceylan. Sortie le 14 janvier 2009

Istanbul... A la suite d'un meurtre, maquillé en accident de voiture, un père de famille porte le chapeau pour éviter un scandale politique à son patron. Jusqu'à sa sortie de prison, sa femme et son fils se retrouvent livrés à eux- même. A son retour, une officieuse présence leur impose le mensonge... Le scénario nous plonge au cœur du mythe des trois singes (antique fable japonaise), dans lequel chaque personnage évolue dans son propre enclos mental. Un malaise où le refus de voir, d'entendre et de parler traduit la peur qu'ils ont d'affronter la vérité. Ceylan démontre beaucoup de choses dans ce film... Trop? Il y conceptualise une série de sentiments (la peur, le mensonge, la rupture, l'amour, la haine) oscillant sans cesse entre l'esthétisme de l'image et la complexité du scénario. Les thèmes - trop nombreux se chevauchent, s'emmêlent et finissent par s'écraser, dévoilant la crainte d'être passé à côté de l'essentiel. C'est le contraste entre l'intrigue et le travail infiniment précis du son et de l'image qui donne à ce film des allures de tableau clair obscur. Savoir capturer la plus infime respiration, caractéristique d'un fantasme ou d'une simple hésitation, relève tout de même du génie. Ajoutez à cela des plans véritablement habités, comme autant de portraits gorgés d'humanité ; mais n'attendez pas de dénouement salvateur. Il n'arrivera pas. Charles de Boisseguin.

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cinéma

Burn After Reading, des frères Cohen. sortie le 10 décembre 2008

Après le formidable No Country for Old Men, qui avait fait sensation lors de sa sortie (4 Oscars !), les frères Cohen reviennent à un registre dans lequel on les adore : la comédie. Dans ce film décalé, on suit une poignée de personnages : un ex-agent de la CIA au chômage, un mari plus que volage, et deux employés d'une salle de fitness. Leur unique point commun ? Ils méritent tous d'avoir leur photo à côté du mot “looser” dans le dico. Lorsque des documents top secret disparaissent pour se retrouver entre les mains de gentils idiots, les quiproquos commencent, et vont se multiplier au travers d'un paquet de gags plus ou moins fins, mais globalement très, très drôles. Le casting est grandiose, avec Brad Pitt et Georges Clooney, excellents (comme toujours quand ils en font des tonnes...), et John Malkovich, très bon comme d'habitude. Sans être à la hauteur du cultissime The Big Lebowsky, Burn After Reading reste une bonne comédie, tour à tour bouffonne et caustique, qui vaut le détour par les salles obscures en cet automne froid et vraiment trop gris. Pierre de Rougé.

Le bon, la brute et le cinglé, de Kim Jee-Woon. Sortie le 17 décembre 2008

Apprenant l'existence d'une carte donnant l'emplacement d'un trésor, trois mercenaires se mettent en chasse et doivent faire face à de nombreux ennemis pour arriver à leur fin. En plus de se battre entre eux, l'armée japonaise ainsi que des gangsters coréens et chinois sont à leur trousse pour mettre la main sur la fameuse carte. Kim Jee Woon, figure importante du cinéma coréen depuis Bittersweet Life revient sur le devant de la scène avec un film, clin d'œil géant à l'œuvre de Sergio Leone. Et il y met les moyens : avec 17 millions de dollars (une misère comparé aux 100 millions d'Astérix aux Jeux Olympiques) le metteur en scène réalise le film le plus cher de l'histoire de la Corée. Pur divertissement décomplexé, hommage aux westerns spaghetti et aux actionners Hong Kongais de Tsui Hark ou de John Woo, Le bon, la brute et le cinglé est un fourretout hyperactif qui semble avoir été fait pour les spectateurs frustrés qui attendent toujours beaucoup et ne sont jamais satisfaits. Dans ce film, les maîtres mots sont générosité et abondance. Courses poursuites, fusillades, explosions s'entremêlent pour former un maelström dévastateur qui finit par devenir cartoonesque. L'essentiel est donc de profiter du spectacle, et d'oublier l'absence partielle de scénario qui, on l'espère, n’a été écrit que dans le but de mettre en valeur les scènes d'action. Stan Coppin.

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Les enfants de Timpelbach, de Nicolas Barry. Sortie le 17 décembre 2008

Qu'est-ce qui arrive quand les parents de Timpelbach désertent la ville pour donner une leçon à leurs jeunes garnements ? Surprise : on ne tombe pas sur une traditionnelle bande de marmots débrouillards, mais deux. Celle des enfants sages (parfaits clichés : le petit gros un peu lourdaud, le gentil binoclard courageux et inventif, le garçon manqué, le très attendrissant petit dernier...), affronte celle des enfants méchants-parce-que-leurs-parents-lesont. Au programme : bataille rangée de salades, conseils de guerre, lecture du règlement, casques en casserole et bien sûr deux ou trois machines farfelues. Ca rigole, ça crie, ça renifle, ça boit de l'alcool au tripot des parents selon les âges. Pour finir, beaucoup de déjà-vu et seulement quelques personnages réjouissants, comme l'enfant-dandy (l'infiltré) ou l'enfant-ténébreux-augrand-coeur (jouissif pour celles qui souhaitent renouer avec leurs vieux fantasmes). Tout çela, même si on ne s'ennuie pas, est un peu puéril et pas très convaincant. Dommage, quelques très belles scènes se cachent parmi les tartines de bons sentiments que nous servent les enfants de Timpelbach. Heureusement, il reste les parents et les grands enfants du film (Armelle, Carole Bouquet...) qui s'en donnent à coeur joie, au village comme perdues dans la forêt . Bref, Les enfants de Timplebach sont à regarder juste pour rire, avec des yeux d'enfant, ou pas du tout. Laura Roguet.

Mister Lonely, de Harmony Korine. Sortie le 17 décembre 2008

Entre la foi et l'obsession. Encore une belle peinture du cinéaste chouchou de la culture pop 90's. Un film où se rencontrent des sosies, saltimbanques paumés en quête de reconnaissance, déserteurs d'une société lapidée par le jugement d'autrui. Un périple au cours duquel Michael, Marilyn et Charlie s'identifieront à Jackson, Monroe et Chaplin... Sans oublier le Pape, Abraham Lincoln, Madonna ou encore Buckweat. De Paris aux Highlands, ou de la solitude à la vie en communauté, chaque plan est marqué par l'approche d'un thème essentiel. La dualité ou la frontière entre la personne réelle et l'usurpation d'identité. La réalité, ressembler à son modèle et en faire son métier. Le rêve, la souffrance de l'illusion, essence même du rêveur. Tous ensemble, unis par leur sensibilité et leur extravagance, les sosies s'essaieront au spectacle, ultime aboutissement de leur raison d'être et d'agir. Ce film, à l'image d'un Big Fish plus raisonné, est marqué par une poésie incandescente. Derrière chaque plan s'illumine la magie d'un univers définitivement signé Harmony Korine, allégorie et contrepoint du poète contemporain. Charles de Boisseguin.

Secret défense : 3 raisons d'un succès. Il n'est pas malvenu d'être songeur lorsque quelqu'un vous conseille d'aller voir le dernier polar français à la mode. Son titre n'est pas très excitant, le polar français n'est pas au meilleur de sa forme actuellement (Cortex, le Deuxième Souffle, Mr73…) et le réalisateur Philippe Haïm est aussi celui des Dalton… Pourtant, Secret Défense est LE film policier surprise de l'année. Trois raisons d'un succès : - Ambitieux et réaliste, Secret Défense est bien écrit, documenté, et intelligemment structuré. On navigue aisément entre les nombreux personnages et les différents lieux du film pour avoir en permanence une visibilité maximale de toutes les situations. - Efficace et enragé, Secret Défense peut se targuer de rester jouissif tout en étant complexe. Le film est visuellement très soigné, mais c'est surtout son découpage qui est bluffant, et n'a rien à envier aux grosses productions américaines. - Le casting 4 étoiles participe aussi grandement à la réussite du film : Vahina Giocante a enfin l'opportunité d'être révélée au grand public et Nicolas Duvauchelle impressionne. Bref, saluons les tentatives comme celle-ci de donner ses lettres de noblesse à un genre complètement sous exploité en France. Stan Coppin. * Secret défense, de Philippe Haïm. Sortie le 10 décembre 2008


cinéma

Réouverture du Forum des images. Après deux ans de fermeture pour rénovation, le Forum des images (où se déroulaient l'Etrange Festival, le Pocket Films, le Festival Gay et Lesbien) est fin prêt pour sa réouverture le 5 Décembre. Il est maintenant possible de découvrir les films de votre choix (parmi une très grande sélection) dans de petites salles obscures, individuelles où collectives. Et le Forum commence fort, avec un cycle New York jusqu'au 1er Mars 2009. James Gray est l'invité d'honneur du mois de Décembre. On pourra ainsi voir ou revoir avec bonheur Little Odessa, la director's cut de The Yards ou encore le génial We Own The Night. Le Forum des images Forum des Halles / 2, rue du Cinéma / 75001 Tél : 01 44 76 63 00

The Broken, de Sean Ellis. Sortie le 26 novembre 2008

The Broken est une histoire de miroirs qui se brisent subitement, mystérieusement. Des fragments de vies qui explosent, et qui placent Gina McVey, personnage central, au cœur de l'horreur et de l'angoisse. Ici, tous les ingrédients du genre fantastique sont réunis : thème du double, invisibilité d'un autre qui nous épie, machination secrète, cauchemars effrayants et obsessionnels. Les ellipses sont nombreuses, les travellings sont lents, les plans très rapprochés, la musique assourdissante, voire stridente. Le rendu est quasi-photographique. Un mot d'ordre : ne jamais montrer l'horreur pour mieux la susciter ; le réalisateur se place ainsi dans la lignée des plus grands nouvellistes : Edgar Allan Poe, E.T.A Hoffman, Guy de Maupassant… Enfin, Lena Headey est convaincante sans jamais tomber dans le ridicule, aux côtés d'un Melvil Poupaud absolument diabolique. Une réussite donc. Kenza Verrier.

Un barrage contre le Pacifique, de Rithy Panh. sortie le 7 janvier 2009

Autant l'avouer d'entrée, je ne m'attendais pas à ça. En même temps je ne connaissais ni le réal’ ni l'œuvre originale (un livre de Marguerite Duras). L'histoire est celle d'une femme (Isabelle Huppert) qui élève seule ses deux enfants (dont Gaspard Ulliel, wouahou !) et se démène pour faire marcher sa plantation de riz, quelque part dans le golf du Siam (en Asie Orientale, si vous voulez). Seulement, la mer n'a de cesse d'engloutir ses vaillants efforts, années après années ! La pauvre femme se décide donc à faire construire un barrage pour remédier à cela. On ne le verra qu'une ou deux minutes durant le film, le reste étant consacré à des disputes familiales navrantes tant dans le texte que dans le jeu - mention spéciale à Isabelle Huppert, aussi expressive que Roger Moore un lendemain de cuite, et qui semble découvrir ses dialogues en même temps que nous. Tout au long du film, on assiste à des scènes répétitives et clichées autant que l'on peut l'être, et à un discours bien-pensant trop obèse pour être crédible. Cerise sur le gâteau, les magnifiques paysages de la Thaïlande (ne faites pas comme si vous le saviez) ne sont visibles que très rarement, en arrière-plan, et en flou. Au fait, vous ai-je dit que c'était aussi d'un ennui mortel ? Enfin, vous m'avez compris, passez votre chemin. Pierre de Rougé.

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Les mégalos du mois : Gaspard et Xavier de Justice. On ne mesurait pas à quel point ces deux mecs étaient devenus des rock stars. Oui, de vraies rock stars modernes, au sens rollingstonien du terme. Soit orgies de groupies et d'alcool en back stage, soirées dans des villas à vingt millions avec défilés de putes en string, rails de coke sniffés sur la crosse du 9mm acheté la veille pour faire gangsta, et tout le monde à poil dans la piscine pour finir la nuit. Pas de doute, le film ne devrait pas tarder à devenir culte chez les 18-20 ans en baskets fluo. Et il faut dire que Gaspard et Xavier, au-delà de leurs délires petits bourgeois dévergondés, passent leur temps à provoquer chez nous des fous rires un peu honteux. Du simple pet sur groupie au mariage improvisé de Gaspard à Vegas, de l'interview en Québécois en mode Canal + sans décodeur à cette scène où Xavier tente de mettre le feu à une fan hystérique qui le méritait bien, les deux complices nous rappellent qu'ils sont restés de grands enfants. Dommage que le film se termine sur cette note “faux rebelles”, où des cops en furie les embarquent menottes aux poignets. Une scène qui suscite cependant le doute, tant Gavras et ses amis de Kourtajmé nous ont habitués à la vrai-fausse fiction-réalité ces derniers temps. Et surtout, malgré cet amour pour la violence gratuite et cette fascination pour l'excès qui nous habite tous, notre conscience ne peut s'empêcher de chercher une pointe de morale. Si on comprend très vite qu'il n'y en a aucune, on aurait au moins aimé qu'il y ait un point de vue à tous cela. Car les quelques réflexions sur les armes ou la célébrité sont vraiment au ras des pâquerettes. Pour finir sur une note positive, les scènes de live sont, elles, à couper le souffle, puissantes, fortes, riches en témoignages de fans plus allumés les uns que les autres. Bref, un ego trip en puissance, un auto-suçage de boules façon séance diapo en rentrant de vacances que, contrairement à celles de tante Liliane, on prend beaucoup de plaisir à regarder. Basile de Bure. * CD live + DVD de Justice, A Cross The Universe. Le 24 novembre chez Ed Banger/Because/Warner. Realisé par Romain Gavras et So-Me avec Justice.

Los Bastardos, d'Amat Escalante. Sortie le 28 janvier 2009

Deux mexicains travaillent dans des conditions exécrables pour subvenir à leurs besoins dans une ville de Californie. Chaque matin, un camion vient les voir pour leur proposer un travail d'une journée payé au noir. Las de ce train de vie, ils décrochent un contrat mieux payé : assassiner une femme. Ceux qui ont vu Sangre, le précedent film d'Amat Escalante, sont prévenus. Ceux qui ont vu les films de Carlos Reygadas, autre personnalité importante d'une nouvelle génération de cinéastes indépendants venus du Mexique, le savent probablement aussi. Los Bastardos ne va pas être une partie de plaisir. Nous sommes ici dans un film qui dépeint avec amertume le quotidien des sanspapiers mexicains aux Etats-Unis. Il vaut mieux ne savoir que le strict minimum de l'intrigue pour apprécier (si on peut utiliser ce mot là !) pleinement le film. Le digérer plutôt. Car c'est de sa froideur, de sa violence intolérable qu'il tire sa force. Comme Mickael Haneke, Amat Escalante veut montrer des êtres humains poussés par une société fautive à commettre les pires crimes. On peut se demander si laisser la télé allumée dans le film lors de certaines séquences est un symbole suffisant pour justifier un message déjà énoncé par d'autres réalisateurs avant lui. On peut critiquer aussi ce processus cinématographique typique de Haneke qu'Escalante utilise, consistant à créer un climat de violence sous-jacent, par une mise en scène fondée sur la lenteur : beaucoup de plans fixes et de long plans-séquences mettent le spectateur mal à l'aise. Il est contraint de regarder les magnifiques images qui s'offrent à lui jusqu'à l'explosion de violence et ce qui est malsain vient du fait que son choc est double. Il est choqué par la violence de la scène et gêné d'apprécier la portée esthétique de ces images. Stan Coppin.


Keith’s people EDITO cinéma

Harmony Korine :

You're not alone !

Harmony Korine, cinéaste prodige d'une génération trash, livre son premier film de trentenaire, Mister Lonely, tout en symboles, retenue et mélancolie. Deux histoires parallèles: un sosie de Michael Jackson qui gagne sa vie comme il peut entre maisons de retraite et rues de Paris, rencontre une fausse Marilyn, qui l'invite à rejoindre une communauté de sosies vivant en autarcie dans les Highlands écossais ; à l'autre bout de la planète en Amérique du Sud, des nonnes décident de réaliser le miracle de réchapper à un saut en parachute...sans parachute. Nous avons voulu voir de plus près ce qui se passait dans le cerveau de ce génie qui, à l'image de ses films, ne s'est pas laissé si facilement disséquer. Keith : Vous dites qu'à l'origine de vos films, il y a ces images qui vous viennent à l'esprit et que vous décidez de mettre en scène. Dans Mister Lonely, c'est une nonne qui fait du saut en chute libre, non seulement sans parachute mais surtout, sur un vélo. Mais comment une image comme celle-ci naît-elle dans votre cerveau ? Harmony : Je ne sais pas vraiment. Il y a un certain temps, je me suis mis à imaginer des nonnes sautant d'avions sans bicyclette, enfin, non, des nonnes qui sautaient d'avions avec des bicyclettes mais sans parachute. Et j'imaginais...des nonnes volantes.

Keith : Mais qu'est-ce qui vous amène à imaginer des nonnes volantes ? Harmony : Je ne sais pas pourquoi je pense aux choses auxquelles je pense. Mais si les images sont assez fortes, si elles m'accompagnent suffisamment longtemps, alors au bout d'un certain temps elles finissent par s'imposer à moi comme étant du matériau à partir duquel je peux construire une histoire. Il y en a qui s'effacent avec le temps, celle-là est restée avec moi. Keith : A quel moment la musique intervient-elle ? Est-ce qu'elle déclenche ces images ? Gardezvous, au moment du montage, les airs qui vous ont accompagné dans la création ? Harmony : Oui, c'est parfois le cas. La plupart du temps, j'emmagasine de la musique, parfois simplement des sons que je trouve intéressants, et je me crée des fichiers audio, des playlists, de la même façon que je tiens des carnets d'écrits, de notes, de personnages. Je ne compose pas les musiques, mais il y a certaines scènes que je filme avec un son en tête. Parfois, il ne fonctionne pas si bien que ça sur l'image, il ne traduit plus la pensée d'origine, ou la musique pèse trop par rapport à l'image, donc on en change. Quand je monte le film, je passe mon temps à jouer avec la musique, les tons... Keith : Il y a un code de couleurs dans Mister Lonely qui est saisissant, autour des quatre couleurs primaires, du noir et du blanc, et qui rappelle un peu certains films de Godard... Harmony : Oui, je voulais travailler autour de l'idée de puissance, de peinture aussi. Je voulais que les couleurs jaillissent, éclatent. C'était la vision que j'avais en tête. Keith : Le jaune, le rouge, le noir et le blanc, ce sont aussi les couleurs des costumes de Michael Jackson et que l'on retrouve sur le personnage principal... Harmony : Ce sont avant tout des couleurs que j'aime, et que j'avais envie de voir. Keith : Les spectateurs, même parmi vos fans, ont souvent été déroutés par l'absence de sens dans vos films précédents. Mister Lonely, au contraire, multiplie les symboles et les possibilités d'interprétations... Harmony : Je ne sais même pas vraiment si c'était intentionnel, peut-être que oui. Je veux dire, j'avais mes personnages, j'avais mon histoire et je ressentais les choses d'une certaine façon. Je n'avais pas fait de film depuis près de dix ans. Peut-être que ce film a été fait de façon plus classique, plus traditionnelle...Mais je ne me suis jamais lancé en me disant “voilà ce que

je veux dire”. Je n'ai aucun programme. Je ne fais que suivre un processus, et s'il y a du sens qui en émerge, c'est par accident.

Keith : Pourtant, la voix-off du personnage principal, Michael (interprété par Diego Luna), qui choisit de s'en sortir à la fin, fournit une clef d'interprétation presque sans équivoque ! Harmony : Oui, mais c'est le film qui parle de sa propre voix, ce n'est pas moi. S'il s'en sort, c'est que Michael poursuit un chemin qui lui est propre. Vous savez, moi je fais le film, je vous laisse vous débrouiller avec l'interprétation. Je n'essaie même pas d'y penser. Keith : Le thème de l'enfance, comme dans vos précédents films, est prédominant. Même les personnages adultes sont restés des enfants dans l'âme. Il y a deux figures de pères néanmoins, le prêtre catholique, Père Umbrillo, qui est interprété par Werner Herzog, et l'agent artistique de Michael, interprété par Léos Carax, donc deux pères, joués par deux réalisateurs. Encore une coïncidence ? Harmony : Je ne n'y avais jamais pensé avant que vous m'en parliez. Keith : Cela fait pourtant deux fois en deux films que Werner Herzog interprète un père, même si c'est un accident, il doit bien y avoir quelque chose de caché là-dessous... Harmony : Oui, il est vrai que, d'une certaine façon, Werner est certainement une des personnes qui, quand j'étais jeune et que j'ai commencé à regarder des films, m'a vraiment donné envie de faire des films. Je ne sais pas, je n'y ai jamais pensé. La plupart du temps je fais les choses parce que je les sens bien. Il n'y a pas de réflexion élaborée derrière ce que je fais. Je ne me pose pas trop de questions. Si ça me semble bon, je fonce. Je n'y réfléchis pas trop. Keith : Quand on voit le film, si structuré et si saturé de sens, on a peine à croire que cela n'a pas été intentionnel. Est-ce que vous voulez dire que tout cela est purement instinctif ? Harmony : Oui. Enfin l'intention est avant tout de faire un film qui stimulera la réflexion. Le film dit tout et rien en même temps. C'est comme écrire un livre en enlevant les pages clefs. Je me fiche que mon film ait du sens, ce que j'ai souhaité avant tout c'est qu'il crée de l'absurde. C'est comme raconter des blagues sans en dire la chute. Je travaille à partir d'une logique interne au film. Je dis toujours que si je pouvais expliquer avec des mots comment fonctionne ma réflexion, quelles étaient mes intentions en créant le film, alors je ne ressentirais pas le besoin de créer. Je fais des films précisément parce que je ne peux pas exprimer toutes ces choses par la parole. Si je pouvais le dire, je ne le filmerais pas. Keith : Et quand vous avez vu votre film fini qu'avez-vous pensé de ce que vous étiez parvenu à faire ? Etait-il conforme à ce que vous en attendiez ? Harmony : J'ai aimé le film, bien sûr, mais il ne m'a pas fait réfléchir. (Pause) Ce n'est pas qu'il n'y a pas d'intention, mais il n'y en a pas d'autre que de vous faire ressentir quelque chose, de faire un film avec des personnages qui expriment quelque chose qui est à l'intérieur de moi et qu'il m'est impossible d'exprimer autrement. Une fois que j'ai fait cela, je ne m'y intéresse plus. Je le fais, je sais dans mon coeur ce que j'ai tenté de faire, je l'ai fait sortir, et si vous en retirez quelque chose, ce que j'espère, j'en serais très heureux. Keith : Il y a une interrogation d'ordre quasiment religieux sur l'âme dans votre film. Les personnages tentent tous d'échapper à leur enveloppe corporelle, les uns en rentrant dans la peau de personnages, les nonnes en défiant les lois de la gravité... Harmony : J'ai écrit cette histoire sur des types de personnages qui m'ont toujours intéressé, obsessionnels, marginalisés, qui vivent hors du système, pour qui le monde réel ne suffit pas, et qui vont créer leur propre sens du bien et du mal, leur propre logique. Les nonnes volantes sont des rêveuses. Il y a cette idée que si vous croyez suffisamment en quelque chose, alors vous pouvez vous transcender. J'aime cette idée qu'il y a de l'étrangeté et de la magie dans ce monde. K?-03 K?-24


photos : Guillaume Baptiste

“Je fais des films précisément parce que je ne peux pas exprimer toutes ces choses par la parole”.


Keith’s people cinéma

“J'aime cette idée qu'il y a de la magie et de l'étrangeté dans ce monde”.

Keith : La vision que vous donnez de ces sosies qui vivent en communauté est vertigineuse. Elle interroge sur ces personnes qui prennent l'apparence d'un autre, mais elle fait aussi réfléchir à la fonction d'acteur. La frontière entre les fonctions d'acteurs et de sosies d'acteurs n'est plus claire : quand Denis Lavant interprète Chaplin, on voit surtout la similarité entre le personnage de Lavant, sa truculence, son agilité physique, et Chaplin. Ce n'est presque plus un rôle... Harmony : Faire jouer Denis a toujours été un de mes rêves, il est une des présences à l'écran que je préfère. Denis est en effet très proche de Buster Keaton, de ce type d'acteur. Sa présence renvoie à quelque chose de très ancien. Il y a une beauté dans tout ce qu'il fait. Il est unique. Je ne pense pas qu'il y ait aucun autre acteur, aucun américain qui puisse se mesurer à lui. Il est un artiste complet, presque vaudevillesque, il appréhende les choses à un niveau très physique, très pur. J'ai toujours voulu travailler avec lui, et Denis est probablement la seule personne pour laquelle j'ai écrit un rôle. Keith : Que pensez-vous des biopics récentes dans lesquels les acteurs se griment jusqu'à ressembler au personnage qu'ils interprètent ? Harmony : Je trouve ces films horribles. La plupart du temps on peut voir les personnes originales sur des

Keith : Il n'y a quasiment pas d'Américains dans ce dernier film, mais il y a en revanche un nombre considérable de personnages qui viennent de toutes les parties du globe. Harmony : Oui, j'ai beaucoup bougé moi-même. Maintenant j'ai une maison [à Nahsville, Tennessee, ndrl] et je ne vis plus qu'à un seul endroit, mais juste avant de faire ce film j'étais parti faire un voyage qui a duré plusieurs années, en Europe, en Amérique du Sud. Keith : Vous avez donc le corps en Amérique, mais vous êtes un réalisateur plutôt européen dans le style... cela vous donne-t-il une sensation d'écartèlement ou avez-vous l'impression de flotter librement, dans une strate supérieure ? Harmony : Je flotte. Définitivement, je flotte.

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Keith : Etes-vous d'accord pour dire que Mister Lonely reflète un nouvel apaisement chez vous? Harmony : Oui. Tous mes films reflètent mon état mental au moment où je les ai faits. Son film culte : Gummo. Je n'avais pas fait de films depuis une dizaine d'années, et en faisant Après avoir signé le scénario de Kids de Larry Clark, Mister Lonely, j'étais conscient Harmony Korine réalise Gummo. d'être à un nouveau moment de Dernière ce nom étrange, emprunté à un des Marx Brothers, se ma vie. cache un film hors norme qui raconte sous forme de vignettes la vie de jeunes Freaks sniffeurs de colle et tueurs de chats d'une Keith : Vous avez donc ressenti petite ville de l'Ohio. Sans jamais prendre parti, Harmony Korine cette évolution depuis votre dernous oblige à endurer le quotidien maussade de ces êtres portant nier film ? les séquelles physiques et mentales des ravages produits par le Harmony : Oui, enfin je ne sais pas passage d'un cyclone des années auparavant. Difficile d'oublier la fameuse séquence de la baignoire où un enfant si on peut parler d'évolution ou de régression. Gummo, ou Julien reflémange des pâtes dans une eau noire de crasse pendant que sa taient tout ce que je traversais à mère lui lave les cheveux. Stan Coppin. l'époque, et je savais au fin fond de vidéos qui existent ailmoi qu'il fallait que je les réalise de la leurs et qui sont dix fois plus manière dont je les ai réalisés. En ce qui intéressantes. Je préfèrerais même concerne Mister Lonely, je l'ai juste ressenti me passer dix secondes en boucle d'une différemment. Mais ils sont tous semblables, ils vidéo avec la vraie personne. J'en apprendrais plus sur cette personne comme viennent tous de moi. Ils sont juste un peu difféça qu'en regardant dix heures d'un docu-drama avec Tom Hanks dans le rôle rents. principal. Mais je pense que les sosies dans mon film ont l'impression de faire un acte Keith : Il y a en effet des scènes qui se font noble, un acte religieux. Comme le dit la reine [Elizabeth, ou plutôt, son sosie écho d'un film à l'autre. Quand Michael danse dans la communauté, ndrl] ils incarnent ces personnages afin de faire vivre cet par exemple, il répète encore et encore les esprit d'émerveillement. Car la plupart des personnages qu'ils interprètent, mouvements les plus connus de son idole, comme Marilyn Monroe, n'existent plus. mais il n'y a pas réellement de chorégraphie, Keith : Marilyn dit d'ailleurs dans le film que la communauté ne connaît pas ce qui rappelle les entraînements du frère de Julien dans Julien Donkey-Boy, où on le voit le vieillissement... exécuter demi-lune sur demi-lune sur un Harmony : Les sosies incarnent leur personnage dans leur jeune âge, dans leur muret en brique dans la rue. Où est votre fasmoment de splendeur. Le temps est comme suspendu. On ne voit pas de sosie cination là-dedans : le corps, le mouvement, la incarner une Marilyn vieillissante. répétition ? Harmony : Probablement les trois ! Vous savez, Keith : Pensez-vous que c'est un des buts de tout acteur d'avoir sa statue avant tout, je trouve ça drôle (Rires). C'est de cire au musée Tussaud, pour figer un moment de splendeur, et ne comme regarder quelqu'un qui fait la même jamais vieillir dans l'esprit des gens ? chose encore et encore comme un film humain Harmony : Non, je crois que les acteurs choisissent ce métier pour les filles, qui tourne en boucle. (Rires) Je ne sais pas, ça l'argent, et conduire de belles voitures. me fait rire, c'est tout. Keith : Avez-vous peur de vieillir? Propos recueillis par Juliette Morice. Harmony : Moi ? Non, pas vraiment. Qu'est ce qu'on peut y faire de toute façon ? Rien. (rires)

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photos : Guillaume Baptiste



- Dinosaures, monstres sans tête, Spiderman, Alice ou le champignon magique… Tout y passe. Tout et n'importe quoi. Sans sens ni logique. Des images à la file indienne aux airs de chapeau de paille, paillasson, somnambule… Mais un air entêtant comme une comptine. Comme si une image en attirait une autre. Des images de la vie. La nôtre et la leur. Télé, bd, clips, enfance… La même vie. Un simple bestiaire, en noir et blanc, en pensée et en parole, du sol au plafond, en passant par les murs.

art

Moriceau / Mrzyk

Galerie Air de Paris 32, rue Louise Weiss 13ème Du 15 novembre 2008 au 10 janvier 2009

Moriceau / Mrzyk Sans titre (1er Janvier 2009) 2008 encre et acrylique sur papier, cadre 31 x 22,5 cm hors cadre 29,7 x 21 cm courtesy Air de Paris, Paris.

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art patchwork

- Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal sont exigeants. Et fidèles à leurs exigences. Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal optimisent tous les moyens mis à leur disposition - le budget, les techniques, les matériaux, l'environnement naturel - avec l'ambition de servir ceux qui habitent leurs réalisations. Avec l'ambition de libérer les espaces, de moduler les volumes et de laisser la possibilité à l'édifice de changer radicalement de destination. Après eux. Lacaton et Vassal

Cité de l'architecture et du patrimoine / Institut français d'architecture 1, place du Trocadéro et du 11 novembre, 16ème Du 26 novembre 2008 au 8 février 2009

Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal n° 12 - Maisons groupées, Cité Manifeste, Mulhouse - 2005 Copyright : © Philippe Ruault

- Architecture et nature. Les réconcilier à travers la peinture. Ça donne des tableaux vides comme sereins, comme cohérents. Nature et Architecture. Toutes deux mêlées pour le meilleur et pour le pire. Au rigorisme architectural répond une nature contrôlée. L'architecture devient urbanisme au détriment de la nature qui devient décor, voire décorative. De nature il n'est plus question. Le blanc occupe l'espace. Comme le ciel occupe notre paysage. Toute proportion gardée. Blaise Drummond

Galerie Hervé Loevenbruck 40, rue de Seine, 6ème Du 12 décembre 2008 au 24 janvier 2009

Blaise Drummond Folk City,2006 Oil and collage on canvas ; 36,77 x 83,85 inches (162 x 213 cm)

Métamorphoses

Yann Sérandour

Nathalie Talec

Métamorphoses Homo Animatus by Hyungkoo Lee Copyright Mazen Saggar

Yann Sérandour Weiss 2008 Catalogue d'exposition Exemplaire unique Courtesy gb agency, Paris.

Jacin Giordano_ The Rainbow's end and all of the plastic in between # 11, 2008 Acrylique et couvertre sur bois, 120x90 cm courtesy galerie baumet sultana

Espace Louis Vuitton_ 60, rue de Bassano/101, Avenue des Champs-Elysées, 8ème Du 1er octobre au 31 décembre 2008

GB AGENCY 20 rue Louise Weiss, 13ème Du 15 novembre 2008 au 10 janvier 2009

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MAC VAL Musée d'art contemporain du Val-de-Marne Place de la Libération, 94404 Vitry-sur-Seine Jusqu'au 25 janvier 2009


Katharina Bosse "A Portrait of the Artist as a Young Mother" C-print 160 x 125 cm courtesy galerie anne barrault

- Il y a un avant et un après. Avant d'être mère. Et après. Avant, il est question d'une artiste, d'une photographe, qui prend ses distances par rapport à ses clichés. Et après, il s'agit de la femme artiste devenue mère. Qui ne se cache plus, qui est ce qu'elle est. En toute vérité. En toute simplicité. Et “se laisse aller à des choses que seul son corps pouvait raconter”... Katarina Bosse

Galerie Anne Barrault 22, rue Saint-Claude, 3ème Du 10 janvier au 21 février 2009

Walter Pfeiffer Sans titre, 2007, photographie couleur, 60X90 cm Courtesy galerie Baumet Sultana

- Walter Pfeiffer est zurichois. Ses œuvres les plus connues datent des années 70. Elles faisaient la part belle à une sexualité décomplexée. Walter Pfeiffer montrait alors le corps masculin de manière sensuelle voire scandaleuse. Des œuvres qui ont marqué toute une génération d'artistes comme Jürgen Teller, Terry Richardson ou Wolfgang Tillmans. Aujourd'hui, ses œuvres concentrent l'essentiel : la couleur, la composition et des sujets chers… Walter Pfeiffer

Jacin Giordano

Berlinde De Bruyckère

Nathalie Talec, Mac Val Sans titre (jaune), 1998 gouache permanente sur tissu coloré, tendu sur châssis, 130 x 130 cm. photo : Georges Poncet courtesy Collection Frac Ile-de-France

Berlinde de Bruyckere Pietà, 2007 Cire, époxy, bois et verre 180 x 85 x 48 cm Collection Claude Berri

Galerie Baumet Sultana 20, rue Saint-Claude, 3ème Du 6 janvier au 24 février 2009

Espace Claude Berri 4, passage Sainte Avoye, 3ème Jusqu'au 20 décembre 2008

Galerie Baumet Sultana 20, rue Saint Claude, 3ème A partir de novembre 2008


Keith’s people art

Babakoo, 2005 Courtesy Koo Jeong-A, Yvon Lambert Paris, New-York, Londres

OUSSS, 1998 Courtesy Koo Jeong-A, Yvon Lambert Paris, New-York, Londres

petit déj & quick notes, 2007 Courtesy Koo Jeong-A, Yvon Lambert Paris, New-York, Londres

Koo Jeong-A en 6 dates

1967 : Koo Jeong-A naît à Séoul. 1990 : Koo Jeong-A a 23 ans. Elle quitte son pays pour visiter les musées occidentaux. Elle n'est jamais revenue. 1991 : Koo Jeong-A s'installe à Paris. Elle entre à l'Ensb-a, dans les ateliers de Christian Boltanski et Paul-Armand Gette. 1994 : Elle repeint les murs de son atelier de l'Ensb-a en un bleu vert. Son atelier devient La piscine : un espace de méditation, silencieux et enveloppant. Hans Ulrich Obrist lui consacre une expo solo au MAMVP. 2003 : A Venise, un avion écrit, à sa demande, en lettres de fumée le mot “ousss” dans le ciel. 2008-2009 : Elle expose chez Yvon Lambert du 12 décembre au 24 janvier.

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Koo Jeong-A Koo Jeong-A vit et travaille partout. Partout, c'est un peu chez elle. Et chez elle, c'est un peu partout. Partout où elle réussit à s'approprier l'espace. C'est-à-dire partout. Entre autres, chez Yvon Lambert du 12 décembre 2008 au 24 janvier 2009. Untitled 2004 (salt installation) Courtesy Koo Jeong-A, Yvon Lambert Paris, New-York, Londres

Une fois chez elle, “on peut décoller, rencontrer, discuter. Il y a tellement d'idées qui ne décollent jamais… Mille histoires qui s'écoutent, se racontent”. Une fois chez elle, elle crée des œuvres, des installations, en adéquation avec le lieu. Pour ne pas dire en fonction du lieu. En fonction de ce qu'elle y trouve. Car elle y trouve des trésors. Des trésors qui racontent des histoires. Et, “entre deux choses stables”, elle crée l'instable. Avec des matériaux fragiles. De la poussière, du sel, un carton, du scotch, des clous, de la neige, de l'aspirine pulvérisée… Tout. Tout ce qu'elle trouve. Tout ce qui fait sens à ses yeux. Tout ce qui montre “que tout était vécu avec moi”. Tout ce qui montre que l'exposition est comme “l'idée d'une maison abstraite. Sa maison. Où elle disperse des bribes d'elle-même. Ce qui donne un subtil mélange : un mélange de matières et de traces. Comme ces minuscules tas de poussière qui rappellent “des petites montagnes de mon enfance en Corée, quand j'avais 4 ans. Le meilleur moment de la vie… Tout vient de là-bas.” Il n'y a pas de nostalgie ou de retour en arrière. Mais un choix. Un choix de vie. Un choix de lieux et d'objets. Chaque pièce est un peu d'elle, un peu d'aujourd'hui. Chaque pièce témoigne de la difficulté à exposer. A montrer. A se montrer et à se livrer. Car “c'est douloureux d'exposer”. Alors elle s'attaque au petit, à l'insignifiant. Pour Claude Levi-Strauss “plus petite, la totalité de l'objet apparaît moins redoutable (…)”.

Une si petite chose.

Et Koo Jeong-A choisit des objets d'une banalité inouïe. Les moins redoutables possible. Des objets du quotidien qu'elle ne magnifie pas, qu'elle ne transforme pas. Qu'elle trouve, prend et range. Qu'elle imbrique les uns dans les autres, qu'elle ne dénature pas. Surtout pas. Ils sont ce qu'ils sont. Leur histoire est respectée, mise en exergue. Il s'agit d'une histoire de quotidienneté détournée qui tend à prouver que chaque chose si petite ou si insignifiante soit-elle porte en elle une histoire d'une valeur inestimée et mésestimée, qui tend à prouver que l'espace muséal a le pouvoir de réhabiliter, de réanimer. Pour Emmanuel Kant, “rien n'est si petit qui, en comparaison avec des mesures plus petites encore, ne puisse pour notre imagination, se développer jusqu'à la grandeur d'un monde”. Un monde, voilà ce que Koo Jeong-A occupe ou vide. C'est selon. Selon le point de vue. Elle empile des livres, classe des rebuts, ordonne des poussières et détritus, déménage des objets ou aligne des emballages. Elle ordonne ce qui ne se range pas. Elle crée un espace et ses limites. Des maisons et leurs intérieurs. Des portraits et leurs contours. Aussi flous soient-ils. Ils sont liés à la réalité, pleine de sens et de non-sens. Koo Jeong-A recueille la poussière. Ça n'a pas de sens. Et pourtant, cette poussière a, selon Robert Filliou, autant de valeur que les tableaux qu'elle recouvre. La poussière, un matériau innommable. Un matériau qui a franchi la limite qui sépare l'art du non-art. Un matériau pourtant riche d'histoires. Un matériau impossible à délimiter, isoler ou circonscrire. Un matériau volatile et précieux. Un matériau synthèse d'une œuvre. Une œuvre soumise à un processus de destruction interne ou à l'inattention du public. Dorothée Tramoni. Galerie Yvon Lambert 108, rue Vieille du Temple 3ème 12 décembre 2008 - 24 janvier 2009


Celebrity in disguise Les artistes sont de grands enfants ! Il suffit qu'une photographe hyper douée (Lisa Roze) leur propose de poser déguisés, et tous sautent dans leur costume préféré, ambiance “Au bal masqué (ohé, ohé)”. Mélanie Laurent, Alysson Paradis, Thomas Dutronc, et d'autres, se sont prêté au jeu. Mais, comme rien dans Keith n'est vain, nous leur avons quand même demandé de nous expliquer leur choix d'avatar. Et ça vaut le coup d'œil ! Propos recueillis par Clémentine Goldszal. Photos : Lisa Roze Make-up & Hair: Junko Hair for Alysson Paradis : Tomohiro Stylisme: Chloé Lesueur Merci a Jérôme Colliard et Fifi Chachnil

Mélanie Laurent en Blanche Neige

“Blanche Neige ? Je l'ai choisie pour les Sept Nains.”

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R-Wan en Donald

“J'ai été adopté à l'âge de six ans, et je ne me suis jamais senti très à l'aise dans ma famille d'accueil où j'étais considéré comme le vilain petit canard. N'ayant pas fait de grandes études, j'ai pris le premier emploi qu'on me proposait: Donald à Euro Disney. Mais un jour d'été en pleine canicule, suant sous mon costume, j'ai craqué et j'ai étranglé un enfant qui hurlait pour être pris en photo ; je me suis réfugié dans le train fantôme où j'ai violé Blanche Neige et pour m'enfuir j'ai pris une visiteuse en otage, c'était la photographe Lisa Roze; nous avons sympathisé et elle m'a pris en photo. Nous avons même eu une relation (elle aime que je garde mon costume pendant nos rapports, c'est le syndrome de Stockholm). J'aime beaucoup les photos de Lisa, avec ou sans costume.”


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Alysson Paradis en Betty Boop

“Betty Boop… J'aime l'idée qu'on ne connaisse pas vraiment son histoire, son mystère, son côté sexy et mutin. Elle me plaît bien, elle a les yeux coquins et l'air malin. Elle est joyeuse, belle, jamais vulgaire malgré ses tenues. Quand je pense à elle j'entends de la musique…”

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Malik Zidi en Vaslav Nijinski

“J'aime la danse. Et Nijinski est un énorme artiste, qui dégage poésie et abnégation.”


celebrity in disguise Thomas Dutronc en Georges Brassens

“Au début j'avais pensé me déguiser en Hugh Hefner, le patron et créateur de Playboy. Seulement, sa "pipe légendaire", (et je n'invente rien), ou sa robe de chambre en soie, ne sont pas tellement identifiables en Europe. Et puis votre journal n'avait, hélas, pas assez d'argent pour payer quelques playmates pour poser à mes pieds en petite tenue et oreilles de lapin. Et puis finalement, c'était plus rapide, on a opté pour quelqu'un que j'adore, grand amateur de pipe lui aussi : Georges Brassens ! Bon, le résultat n'est pas très ressemblant et puis les gens vont finir par croire qu'on fait rien que rigoler dans nos métiers alors qu'on bosse… comme des ânes !”

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Michaël Abiteboul en Shrek

“Shrek, c'est un choix qui ne se prend pas trop au sérieux et qui me raconte quelque chose de ludique. D'ailleurs, après avoir vu la photo, j'aime à penser que, s'il y avait eu un casting pour Shrek, et bien je serais arrivé en deuxième position, juste après le vrai. Il y a une certaine filiation entre Shrek et Hank Moody de la série Californication et sans doute aussi Alceste dans Le Misanthrope, deux personnages que j'adore. Peut-être à cause, dans le désordre, d'une certaine goujaterie, d'un refus des conventions, d'une farouche lucidité, d'un cheminement hors des sentiers battus et d'un cynisme optimiste que j'aime bien. Ouh la, je deviens sérieux tout d'un coup… Bon, pouf pouf, on reprend : j'aime Shrek parce que, physiquement, on est très proches : le profil d'aigle, le visage en lame de couteau, les tablettes de chocolat et… zut je ne confonds pas avec Actarus ou Albator ?”


photo : Zoé Bridgeman

musique Songs About Dancing And Drugs, de Circlesquare (K7/PIAS). Sortie le 19 Janvier 2009

Circlesquare est un voyage au pays des neiges éternelles, quelque part entre Vancouver et Berlin. Grand solitaire, Jeremy Shaw dévoile son deuxième album, une rupture profonde avec son temps, qui le propulse à un bal de morts vivants. Songs About Dancing And Drugs est un trip sombre, qui révèle l'ennui désespéré d'un squelette détruit par le whisky et la coke. Avec un cœur rock'n'roll et un esprit techno, Shaw découpe ses sons avec une précision chirurgicale en rajoutant un peu de gaieté à sa palette “pop noir”. Eraflé par les promesses brisées, il s'enroule dans sa couette pour méditer sur l'essence même de l'homme. Le single Dancers est un morceau minimaliste qui se distingue dans un désert de glace. Plus anxieux, Timely résonne comme une musique robotique aux accents acoustiques terrifiants. L'instrumentation sous hyper-tension révèle une mélodie fragile et agressive qui perpétue la démesure de l'artiste. En pleine montée, Ten To One enflamme le dancefloor psychiatrique. Tout n'est qu'illusion, All Live But The Ending s'inscrit dans une transe épique finale, dévoilant ainsi toutes les facettes d'un album déconcertant de cohérence. Mateusz Bialecki.

Walking On A Dream, d'Empire Of The Sun (EMI). Sortie le 6 janvier 2009

Empire Of The Sun est le nouveau projet électronique de Luke Steel et Nick Littlemore, leaders respectifs de Sleepy Jackson et PNAU. Ce nom est inspiré d'un roman de J.G Ballard qui porte le même titre et qui raconte les histoires de Jim Graham, jeune Britannique vivant avec ses parents à Shangaï dans les années 40, qui voit sa vie basculée suite à l'attaque de Pearl Harbor, et de James, emprisonné à la Lungha Civilian Assembly, qui comprend que ses rêves de révolte et de guerre n'avaient pas de sens face à la folie destructrice de l'homme, dont il est une des victimes. Walking On A Dream est un éclat de générosité, totalement assumé par les deux Australiens. Luke se dandine à travers le charme insolant des mélodies hypnotiques de Nick. Ces funambules jouent sur des cordes fusantes et soyeuses. La passion enterre tout esprit anti-pop et douloureux. Derrière les paroles de Walking On A Dream se cache un hymne à la joie, un message d'espoir qui vous donnera envie de danser nu dans les rues de Shanghai. Une véritable gifle pop est dévoilée dans We Are The People, à la fois évidente et improbable. Le doute s'installe, on ne sait plus où se trouvent les limites de la réalité. Country, nous emmène tout droit dans un Twin Peaks des temps modernes. La symbiose fait parler leur instinct, laissant place à des détours inattendus, du disco shoegaze sur Swordfish Hotkiss Night, au kitsch-pop dans Without You. Ils manipulent ainsi avec brio des substances interdites. Quasiment jubilatoire. M.B.

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Difficult Fun, de Larytta (Creakedrecords /La Baleine). Sortie le 27 janvier 2009

Si la Suisse ne vous évoque que Ricola, les montres de luxe et de grandes montagnes, vous allez être surpris par cette véritable pépite musicale électro-pop de ce début d'année. Larytta vous en mettra plein les oreilles pendant que vous dévalerez les pistes enneigées. Dans le frimas et la brume, il n'y aura plus qu'eux et vous. Vous pouvez y aller tout schuss : rythmes africains, voix hypnotiques et sons électro se combinant de manière incantatoire vous réchaufferont le gosier comme un vin chaud. On saluera cette aptitude à nous servir des titres délirants (Spoiled Kids) où les sons s'échappent de partout ! A croire qu'ils ont abusé d'Ovomaltine. Ces deux Helvètes sont dangereux ! Ils le déclament haut et fort : “We make your girlfriend lie and make your boyfriend cry”. Alors un conseil : laissez ce CD loin de votre copine. Les petits Suisses nous font purement et simplement vivre une aventure paranormale. Les aficionados reconnaîtront une touche de Supersystem et de Présidentchirac dans ces compositions magiques. Alors maintenant, on n'a plus qu'une chose à faire : se laisser porter par la poudreuse et dévaler ! Donatien Cras de Belleval.

The Redwalls, The Redwalls (Fargo). Sortie le 20 janvier 2009.

Partir enregistrer en Suède semble être à la mode. Natifs de Chicago, les Redwalls signent leur deuxième album sur les terres des Hives. La production de Tore Johansson (Franz Ferdinand) n'est pas anodine aux sonorités de ce nouvel opus. Sens de la rythmique et bonne mélodie sont au rendez-vous. Les jeunes Américains nous balancent des titres rock qui risquent d'en secouer plus d'un. Résultat : une musique pleine d'élégance et de sex-appeal, un album infidèle et sensible. Une allure de Jet, le rythme de Franz Ferdinand, des petits airs de guitares dignes d'Albert Hammond Jr… Emballez le tout avec les 22-20's et vous obtenez The Redwalls. Les ballades sont douces et chaudes comme les bains islandais. Le plus étonnant restera ce mélange de sons anglais et californien. Les refrains rentrent dans notre tête et plus question qu'ils nous lâchent. Les Redwalls appartiennent à cette famille de musiciens qui a naturellement de l'allure et de la classe. La voix d'Andrew Lager se transforme à chaque chanson comme s'il incarnait un nouveau personnage. Prenez garde à ne pas trop monter le volume sur Don't you wanna come out, vos voisins risquent d'être pris d'une crise de folie et d'entamer une démolition party chez vous. Bref, cet album fait vraiment du bien. On n'avait pas entendu de bons sons rock comme ceux-là depuis un moment. Il y a peut être une crise économique aux Etats-Unis, mais pas une crise de talents ! D.C.B.

La découverte Keith du mois : King Jim. Connaissez-vous King Jim? Non ? Voici l'exemple de trop qui pousse au coup de gueule. Nous sommes assaillis, sur toutes les radios, par un nombre incalculable d'artistes sans intérêt et souvent même sans talent, et tant d'argent est gaspillé dans des projets musicaux insipides. Pendant ce temps, King Jim fait partie de ces artistes, de plus en plus rares, qui gagneraient à être connus. Il sort sa poignante musique folk/country du fin fond de ses tripes, et ça se sent. Ses chansons vous touchent intimement, Dusty At Down la première. Voici enfin un artiste qui compose avec ses propres sentiments, et pas simplement pour se donner un air de poète dylanien. Alors à quand le monde à l'endroit ? King Jim mériterait bien plus un showcase à la FNAC que Christophe Maé… François Kraft.

http://myspace.com/kingjimmsic


photos : Sophie Jarry

musique

Keith : Quelles sont vos influences ? Qu'aimez-vous écouter en général ? Dr. Dog : Nous aimons toutes les musiques qui viennent des tripes, du blues de Robert Johnson à Stevie Moore. Nous sommes surtout influencés par les années 60. Seul un être humain peut me donner des émotions intenses et naturelles. En tant qu'ingénieur du son, j'apprécie d'autant plus la musique qui n'est pas le fruit de la technologie. J'aime les choses vraies. Keith : Ton groupe du moment ? Dr. Dog : Les deux musiciens que j'écoute en boucle sont M.Ward et Stevie Moore. Keith : Qu'est-ce qui est le plus important, l'album ou la scène ? Dr. Dog : Le plus important est l'enregistrement, car on peut expérimenter nos idées et les mettre en œuvre. L'expérience que l'on tire de la route enrichit notre travail. On tente de capturer l'instant présent, pour ainsi l'insérer dans nos sons. Mais les deux sont complémentaires. Keith : Votre son est très particulier, êtes-vous tous issus de milieux musicaux ? Dr. Dog : Le père de Toby était pasteur et chantait avec une chorale. Chez moi c'était plutôt calme. A 16 ans, Toby été le premier à chanter. Je m'y suis mis quelques années plus tard. Keith : Utilisez-vous des instruments vintage ? Des guitares en particulier ? Dr. Dog : J'aime beaucoup le son délicat de l'Epiphone Vintage, celle de Lennon. Keith : Quel est ton personnage de cartoon préféré ? Dr. Dog : Petit, j'ai été traumatisé par les monstres. Charlie Brown et Popeye m'ont permis de vaincre cette peur, je me sens mieux à trente ans. D'ailleurs, c'est mon anniversaire aujourd'hui… ! Propos recueillis par Mateusz Bialecki et Donatien Cras de Belleval.

Happy

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Rencontre avec Scott McMicken, le chanteur du groupe de Philadelphie, le jour de son anniversaire.

Keith : D'où vient le nom de ton groupe, Dr. Dog ? Dr. Dog : Quand je ne joue pas, il m'arrive de dessiner pour me détendre. J'étais allongé sur un canapé et Toby (bassiste et chanteur) me racontait une petite histoire. Un dessin est apparu instantanément sur mon brouillon : un chien vêtu d'une blouse.

birthday

Dr.

!

Dog

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Bob Robot présente… Dingleberries. L'angoisse, lorsqu'on s'apprête à poser un disque sur sa platine, c'est que les premiers accords qui en sortent nous rappellent encore une fois la prod' Ed Banger…Cette déception, trop courante ces derniers temps, nous arrache instantanément à la magie de la pochette. La frustration de se dire que l'on n’écoute que de la musique retouchée, enfermée dans cette spirale nouvelle scène, est trop forte. La pochette, le disque, le bouton open. Et Dingleberries. Guitare, basse, batterie. Brut, naturel. Il neige à Hawaï, Bob Robot balise les pistes avant de servir le cocktail. Shaken but not stirred. Un mélange au shaker de punk, de brit'pop et de funk arrosé par une basse groovy et sucrée, une batterie sautillante et des riffs de guitare arc en ciel… ça donne soif ! L'ambiance est festive, à l'image du Clash et de son Train in Vain. Avalanche rythmique, cascade fruitée, Hawaii est si loin du crachin parisien et de son live cheap monday. Vient se poser l'Interlude, signature d'un penchant Velvet... sans kétamine. Tout est naturel, on se pose, softs, drogués aux vitamines. Des fruits donc, clin d'oeil amusant aux regrettés albums concepts des années 60 - 70. Un hommage à Robert Robbeau ? Peu importe qui il était. Ces jeunes trentenaires ont toujours la foi, ça se sent. Parlez -nous underground. Dingleberries échappe avec justesse et raison au formatage scénique des Inrocks, humilité oblige. À chaque chanson sa couleur, son thème, et sa batterie. Keith Moon s'est planqué dans la grosse caisse. On se trémousse sans préjugés, on kiffe, c'est rock. Charles de Boisseguin.

*Dingleberries, de Bob Robot. Sortie courant décembre 2008 myspace.com/bobrobotprésente

esign tion d illustra

Lo-Fi-Fnk - Want U Van She - Kelly (Shinichi Osawa remix) Mr. Oizo - Positif Empire Of The Sun - Walking On a Dream Laura Gibson - Hands in Pockets Fantasy Bar - Interstellar Zabörus And Zb - My Face On Your Face Franz Ferdinand - Lucid Dreams Panique in the Attic - Oh Blah Blues The Walkmen - I Lost You Beirut - After the Curtain The Virgins - Private Affaire

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Playlist Keith :


photo vorrasi

Keith’s people musique

Vampire

pour le meilleur. K?-44


Leur premier album éponyme a été une des plus réjouissantes surprises de 2008. Sortant du giron pop rock traditionnel, les quatre New Yorkais de Vampire Weekend ont dynamité les frontières avec une maîtrise admirable. De passage à Paris au cœur d'une tournée mondiale, ils nous ont accordé une demi-heure pour faire le point. Interview. Keith : De manière générale, vous sentez-vous influencé par le rock ? Vampire Weekend : On adore le rock à guitares, la distorsion, les sons de gratte de Led Zep… On en écoute beaucoup, mais en réfléchissant à la manière dont on voulait jouer et aborder nos chansons, on s'est dit qu'on ne voulait pas sonner comme ça. On a décidé d'avoir un son de guitare propre, d'éviter des rythmiques de batterie sur-utilisées. Naturellement, ça nous a poussés à chercher d'autres influences, comme les musiques africaines ou la musique classique. Au final, on ne se considère pas comme un groupe de rock. Keith : Sur la tournée, vous avez le sentiment de toucher un public différent du traditionnel public “rock indé” ? Vampire Weekend : C'est difficile à dire. À certains concerts de groupes indés, tout le monde a entre 18 et 30 ans, et s'habille d'une certaine manière, plutôt branchée. Mais à nos concerts, il y a des gens d'une cinquantaine d'années, de jeunes enfants, des lycéens, et des ados pas hype du tout. En fait, notre public est peut-être plus mainstream, ce qui est une très bonne chose. Keith : The Kids Don't Stand A Chance est une chanson assez engagée… Vous avez envie de porter un message politique ? Vampire Weekend : Nous prenons tous la politique très au sérieux. Mais beaucoup de musiciens laissent parfois tomber la subtilité de leurs textes quand ils écrivent un texte politique. Du coup, ça tombe à plat. Le meilleur exemple d'auteur de chansons politiques, c'est Dylan bien sûr : il est parfois difficile de savoir ce que ses chansons veulent dire ou quel est le sujet exact, même si on sait que ça parle de changement social. Il ne cite pas de noms, laisse tout ouvert pour que l'on se serve de notre tête. C'est ce que les musiciens devraient faire, communiquer d'une manière adaptée à la pop. Keith : Au moment où nous faisons l'interview, nous n'avons pas encore le résultat, alors faisons une double question. Nous sommes en décembre, McCain a gagné… Vampire Weelend : Quel que soit le résultat, les gens vont devoir se battre eux-mêmes pour certaines choses. Même si Obama est élu, on ne peut pas penser que le gouvernement va être tout d'un coup immunisé contre la corruption ou la bêtise.

Keith : Et si Obama gagne ? Vampire Weekend : On sera heureux, mais c'est là que le vrai travail commence. Dans ce cas, le 4 novembre est un peu la fin du commencement. Il faut espérer que les gens restent actifs et impliqués. Keith : “La fin du commencement”, c'est un peu ce que vous avez ressenti quand vous avez eu fini l'enregistrement du premier album ? Vampire Weekend : Oui mais pour nous, c'était plus nébuleux. L'enregistrement a pris seize mois, donc c'est le jour où l'album est sorti qu'il a pris une existence tangible. Keith : Vous allez pouvoir travailler de la même manière pour le deuxième album ? Vampire Weekend : On l'enregistrera sans doute plus vite, parce qu'on n'aura pas d'autre boulot à côté, mais ce sera assez similaire. On ne compte pas aller en studio avec un super producteur, pour enregistrer et se tirer. Nous voulons prendre le temps d'expérimenter, alors on va sans doute faire ça chez nous. En janvier, une fois la tournée finie, on rentre en studio. Keith : La maison de disques aurait aimé le coup du super producteur ? Vampire Weekend : Comme nous avons fait le premier album nous-mêmes, c'est le seul succès sur lequel ils peuvent se baser pour nous juger. C'est super d'avoir commencé comme ça, parce qu'ils ne peuvent pas dire qu'on ne sait pas ce qu'on fait. Pour la plupart du boulot, on se suffit à nous-mêmes. Keith : Niveau son, vous continuez dans la même veine ou vous allez tout changer ? Vampire Weekend : Ça doit changer un peu, parce que le premier album a été très influencé par le moment et l'endroit où il a été fait. Si nous essayions de recréer ça, ce serait un peu pathétique. On est plus vieux, on a fait des choses depuis… Mais nous voulons continuer dans le même style de musique : de la pop catchy avec des éléments expérimentaux. Il y aura peut-être de nouveaux sons, de nouvelles influences, mais le résultat sera proche en certains points. Propos recueillis par Clémentine Goldszal.


musique

Keep Me In Mind Sweetheart, d'Isobel Campbell et Mark Lanegan (V2/Coop). Comme il est tentant, quand une fille à la voix douce (ici, Isobel Campbell, ex Belle & Sebastian) s'acoquine avec un timbre ténébreux (Mark Lannegan, leader de feu les Screaming Trees et invité permanent des Queens Of The Stone Age), de titrer ”La Belle et la Bête”. Oui, c'est tentant, mais ce serait ici une facilité réductrice. Car s'il y a une belle, il n'y a certainement pas là de bête. Après un premier album à deux voix en 2006, l'harmonieux duo se reforme pour un EP enchanteur. Et loin d'être bête ou bestial, tout est ici fin, poli, raffiné et tenu. Il y a des violons à pleurer, un piano qui chante, des mélodies oscillant entre la comptine pour enfants et l'anti-folk des Moldy Peaches ou d'Adam Green, une batterie chaloupée qui balaye comme une caresse, une contrebasse tsiganisante, et ces deux voix faites pour s'entendre… Le tout nous parle d'amours ardentes au romantisme assumé, et nous transporte quelque part à l'ouest, très loin des urgences mesquines ou quotidiennes. Il n'y a cette fois que six titres, pas assez mais suffisamment pour avoir envie d'écouter cet EP enchanté deux ou trois fois de suite, et pour prendre pour soi cette jolie injonction : “Keep me in mind sweetheart”. Clémentine Goldszal.

Surfing, de Megapuss (Vapor/Naïve). On l'avait deviné en écoutant ses albums solos hors du temps et loufoques, Devendra Banhart est un être à part. Une espèce de post-hippie, bien au-delà de son look tout en barbe et poncho en poil de chameau de l'Himalaya : de ses aïeux rêveurs, Devendra a surtout hérité un sens de la musique ludique, enfantin et communautaire, à des années lumières des logiques marketing de l'industrie du disque contemporaine. Bref, Banhart est libre et fait de la musique comme on devrait toujours faire l'amour : avec fraîcheur, par pure envie et sans arrière-pensée. Pour son dernier projet, il a enrôlé Greg Rogove, son percussionniste, dans une bicoque non loin de Los Angeles, pour enregistrer des chansons complètement ”banhartiennes” : son brut et hand claps artisanaux côtoient des compositions aux arrangements ronds et chauds, qui ne s'interdisent rien, même pas des solos de guitar hero ringardorétro. Bref, rien de nouveau sous le soleil du chevelu, mais un bon esprit définitivement revigorant. Fabrizio Moretti, le batteur des Strokes, collabore même à un titre, et son side-project à lui, Little Joy, partagera l'affiche avec Megapuss pour une tournée américaine. Une grande famille, on vous dit ! www.myspace.com/megapuss C.G.

You & Me, de The Walkmen (Talitres Records, Differ-ant). Les Etats-Unis sont une terre de paradoxes. Une population qui oscille entre le beauf qui chlingue la graisse, et l'artiste d'avantgarde qui a l'intelligence de voter Obama. Quelque part à New York, cinq fous enfermés hurlent et cognent sur les murs, dans l'indifférence. The Walkmen, formé en 2000, sort là son quatrième effort. Avec son orgue fantomatique, sa basse ronronnante, sa batterie frénétique et ses guitares déchirées, une sincère identité sonore s'est tissée au fil du temps. La singulière façon de jouer et chanter, bancale mais furieuse et intense, renforce l'aspect attachant de ces anti-héros. Car You & Me est de loin leur disque le plus dépressif. C'est un navire qui vogue sur une mer inconnue, au large d'îles folk, blues et new wave. Des paroles d'une beauté effarante viennent se caler comme des pièces de puzzle à un son sorti du garage. En témoigne ce “Darkness is wrapped all around me tonight”, lâché dans le silence sur Red Moon. Le single In the New Year et ses refrains en rouleaux compresseurs annoncent la couleur : le thème du changement et du voyage. On sort de sa zone de confort autour de morceaux déroutants, On the Water, Postcards from Tiny Islands. On se ballade, on réfléchit sur soi. Les cuivres apparaissent dans les pires moments d'incertitudes, Long Time Ahead of Us et I Lost You. ”You” et ”Me” n'ont pas l'air d'être partis pour avoir beaucoup d'enfants et vivre heureux pour l'éternité. Nos tympans souffrent, mais ils semblent aimer ça. Benjamin Kerber.

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photo : Ross Fraser

Il faut faire un choix, question d'économie. Cette fois je n'en achète qu'un! Promis ! Mais lequel ? Chairlift ou Variety Lab ? La pop hybride d'un trio de Brooklyn, ou les échappées électro-poétiques d'un Français? Me voila devant un sacré dilemme : chacun a ses atouts… Et non des moindres! Chairlift, hippies post modernes, protégés de MGMT et Yeasayer, c'est le gratin du son new wave New-Yorkais ! Oui mais Variety Lab, ce sont des collaborations avec Sharko, Yael Naim et le légendaire Donovan pour ne citer qu'eux… Dois-je me laisser happer par le kitsch de Does You Inspire You, empreint de synthés 80's et d'envolées psychédéliques ? Ou bien glisser vers la fraîcheur de Team Up, album éclectique et ensoleillé ? Chairlift, il est vrai, risque, à l'image de leurs cadors, de faire trépider bon nombre de chaînes hifi et déchaîner les folles soirées de la capitale. Leurs morceaux, bercés par la voix hypnotique de la chanteuse, sont d'une efficacité implacable (Planet Health notamment). Allez, c'est bon, mon choix est fait! Quoi que … Variety Lab signe quand même ici, avec son deuxième album, une véritable réussite ! A des bombes électroniques et sensuelles (Money) se mêlent des missiles pop acidulés (Soda Pop Confusion), dans un cocon tapissé d'amour et d'ingénuité…. Me voilà dans de beaux draps. Bon allez, je craque. Je prends les deux…

photo : Richard Bellia

Chairlift VS Variety Lab.

François Kraft

* Team Up, de Variety Lab (Ici d'ailleurs / Wagram). Sortie le 12 janvier 2009 * Does You Inspire You, de Chairlift (Kanine records / Differ-ant). Sortie prévue le 17 décembre 2008

Reprise, plagiat,

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même combat ? Dans l'épisode 18 de la saison 14 des Simpsons, Le Tube Qui Tue, un avocat à qui la famille Simpson est venue chanter Ecoute les clochettes qui font ding ding ding, leur rétorque qu'ils n'ont pas les droits sur ce morceau. Il leur sort ensuite une liste de chants libres de droit, avant de leur interdire d'utiliser les notes La bémol et Sol, “achetées par Disney”. Tout cela est bien sûr de l'humour, mais un malaise moins juridique que moral se cache dans ce sketch pas innocent. Il est choquant qu'un artiste comme Michael Jackson ait pu acheter les droits sur tout le catalogue des Beatles et se faire ainsi une fortune planétaire. Le travail des 4 de Liverpool n'aurait finalement servi qu'à arrondir les fins de mois d'une superstar de la soul américaine ? Le duo norvégien Madcon qui cartonne avec Beggin, tube écrit dans les années 60 par un certain Bob Gaudio, at-il un quelconque mérite dans le cadre de sa réussite ? Cette même chanson, qui a connu un premier succès avec les Four Seasons, puis un second avec Timebox, avait-elle intérêt à être complètement réenregistrée avec des arrangements identiques dans un studio moderne ? Il faut avouer qu'en terme d'intégrité artistique, il y a un léger souci : en 2008, qu'est-ce que j'en ai à faire d'entendre une chanson que je connais déjà rejouée à l'identique, avec en prime des couplets de hip-hop déplacés et fades ?! Le concept de la reprise est intéressant dans l'axe des American Recordings de Johnny Cash produits par Rick Rubin : on revisite par le folk des tubes rock. La démarche c'est varier le style, apporter de nouveaux arrangements, un timbre de voix, une émotion, comme au temps où les Byrds faisaient planer les tubes de Dylan ! Peut-on aller jusqu'à dire que le succès de Madcon est illégitime ? Non, de la même manière que de dire que le Sol appartient à une firme. Mais on est en droit de se poser la question suivante : à qui appartient la musique ? B.K.


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Introducing… Martin Luther

Vous connaissez Martin Luther ? Non, pas le King Révérend, l'autre Roi Luther, qui d'ailleurs partage avec son digne homonyme bien plus que son nom : une âme. Alors que le premier envoûtait les foules avec ses prêches enflammées, le second fait rêver nos oreilles avec sa soul sans âge.

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Son prénom, il le doit effectivement au héraut de la lutte pour les droits civiques : “Mes parents sont du Texas et ont vécu de près cette période. Ils m'ont appelé comme ça en hommage. L'autre option était Malcolm.” Cette graine de révolte, Martin Luther a la classe de la faire passer tout en douceur, avec des chansons dans la pure tradition R'n'B, enrichies de guitares électriques et d'arrangements inattendus.On reconnaît là le goût infini pour le mélange des genres de ses potes de The Roots, avec qui il collabore très régulièrement, et ses influences musicales pour le moins éclectiques : “Prince, Queen, Radiohead, Jimi, Sly Stone, Fela Kuti et tant d'autres… J'ai toujours baigné dans la musique, j'ai commencé à jouer enfant, avec des musiciens de mon quartier et des gens qui chantaient à l'église.” Son dernier album s'appelle Rebel Soul Music, et ce titre résume assez bien l'esprit Luther : de la vraie soul music, avec une touche de rébellion, un coup de pied dans la fourmilière des chanteurs enfermés dans leurs chapelles. On pense donc à Outkast autant qu'à Gill Scott-Heron, à Marvin Gaye bien sûr, mais aussi aux classiques rock, directement inspirés du rythm'n'blues. Et le prochain album ? “J'y exprime pleinement mon mix intérieur de Oasis/Curtis Mayfield/Al Green/Run DMC.” Bref, ça s'annonce intense ! www.rebelsoulmusic.com Clémentine Goldszal. Photos et collage : Lisa Roze.


Keith’s people musique

Mick Jones

Grandmaster

Clash

Punk's not dead ! Mick Jones, le mythique guitariste du Clash, continue d'envoyer des décibels. Avec Tony James, un de ses potes de jeunesse, membre du groupe punk Generation X au début des années 70, il a formé voilà quelques années Carbon/Silicon. Et leur dernier album, The Last Post, est la preuve ultime que ces deux là n'ont pas fini leur carrière rock'n'roll. De passage à Paris en octobre, ils nous ont accordé un déjeuner. L'occasion d'évoquer avec eux et leur pote Bob Gruen, photographe attitré des New York Dolls, leur passé hurlant et leur présent encore vert, leur look de l'époque et le rock d'aujourd'hui… Un pur moment de grâce, papotage gastronomique avec trois punks doux comme des agneaux. Entretien. Keith : Au début des années 70, avant d'adopter le beaucoup de livres sur le rock, on avait les mêmes références. Depuis le look punk comme on le connaît, vous étiez fans début de notre amitié, on a un sens de l'imagination commun. C'est impordes New York Dolls… tant pour nous ; on se comprend vraiment. Tony : Oui, on portait des plateform shoes comme eux, très hautes. Ça nous tuait les pieds ! C'était hyper Keith : À ce moment, le punk anglais n'était pas encore né… douloureux. Mick : Non, mais je connaissais parfaitement toute la scène punk new-yorMick : Au lycée, j'avais ces plateform shoes complète- kaise. Avant même d'entendre les New York Dolls, j'avais vu des photos ment ridicules ! On se prenait tous pour Johnny d'eux à l'entrée du Gem Spa à St. Mark's Place, où tout a commencé. Les Thunders, on avait les cheveux longs. C'était horrible ! Londoniens suivaient cette scène via le “Melody Maker”, mais ma mère J'étais dans une école de maçonnerie, on vivait dans le Michigan (elle a épousé un Américain quand j'étais enfant), et apprenait à faire des murs en brique et elle était abonnée à des magazines rock qu'elle m'enj'avais ces pompes… Mais je m'en voyait par la poste, donc j'avais accès aux informations foutais. Jusqu'au jour où je me suis “En un sens, le rap et avant tout le monde. Il y avait une vraie scène, plein de vautré tête la première dans les nouveaux groupes… On les voyait backstage, c'était le hip hop ont été les escaliers à cause des chaussures ! hyper excitant.

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cains du punk”. Keith : Quand êtes-vous passé Keith : C'est à ce moment là que vous avez décidé de vous au style punk tel qu'on le mettre à la musique ? connaît ? Mick : J'ai toujours voulu faire de la musique ! J'ai grandi avec les Tony : Tard ! Le moment imporBeatles, les Stones, les Kinks… Mais à ce moment, on sentait que quelque tant, c'est quand on s'est coupé les chose germait qui allait être différent de tout ce qui avait précédé. À cette cheveux. À l'époque, avoir les cheveux longs, c'était époque, les grands groupes de rock ne communiquaient plus trop, ça révolutionnaire, donc c'était un vrai truc d'avoir les n'avait plus vraiment de sens, ils n'échangeaient plus avec le public. Nous, cheveux courts. on cherchait quelque chose en plus. Et c'est arrivé à New York au milieu des années 70. Après, on y a pioché ce qu'on voulait, et on y a rajouté Keith : Les Clash n'ont jamais joué avec des platenotre propre truc : la dimension sociale. Il y avait dedans tout ce qui avait form shoes quand même ? précédé, tout le rock'n'roll était là, c'est comme une ligne qui se continue Mick : Non, mais il y avait une vraie guerre des frinaujourd'hui encore. gues, notamment entre les pattes d'eph et les pantalons droits. Porter des pantalons droits, alors que tout Keith : Quand on regarde les photos, on se dit que ça a dû être une le monde portait des pattes d'eph ou des “bell botépoque de créativité et d'excitation géniale… toms”, c'était très provocateur. On pouvait se battre Mick : Oui, quand je regarde en arrière, je me dis que c'était une bonne physiquement pour ça. époque. Ça fait sans doute suffisamment longtemps maintenant, pour Tony : Le rapport entre la musique et la mode était dif- qu'on puisse être à l'aise avec tout ça. Mais je ne suis toujours pas content férent. Il n'y avait qu'un style à la fois. Pas comme de ce que je portais ! aujourd'hui, où il y a plein de façons d'être cool, une par genre musical. Avec les cheveux courts et les pan- Keith : Depuis le punk, rien de similaire n'est arrivé à la musique… talons droits, le punk a changé le style de l'époque, Mick : Quelques trucs s'en sont rapprochés… En un sens, le rap et le hip quand tout le monde avait les cheveux longs et des hop ont été les équivalents américains du punk, qui n'est jamais devenu pattes d'eph. énorme aux États-Unis. Et puis peut-être qu'aujourd'hui, ce n'est plus un groupe mais internet, le truc du moment. Keith : Mick et Tony, quand vous êtes-vous rencon- Tony : Je passe mon temps à chercher des idées sur le net. Il y a une créatrés ? tivité incroyable, ouverte à tous. Ça, c'est très excitant. Je passe plus de Tony : On se connaît depuis près de 35 ans. Quand on temps sur Youtube que devant la télé. s'est rencontrés, on ne savait même pas jouer ! Mick venait de se faire virer, et on est rentrés en train Keith : Vous pensez que la musique est toujours un bon moyen de ensemble. On avait le même intérêt pour la culture en faire passer un message politique ? général : les livres, le cinéma, en plus de la musique. Tony : Toujours. Si tu as une bonne chanson, avec un message simple et On lisait le même livre d'un auteur underground, et une bonne mélodie que les gens peuvent comprendre. K?-50



Keith’s people musique

“Mais on ne se drogue Keith : Mais les rockers aujourd'hui pas parce qu'on est heusemblent moins impliqués que vous ne reux ! On se drogue l'étiez… quand on est déprimé.” Mick : Ils paraissent moins engagés politiquement, parce que beaucoup de nouveaux groupes, comme Arctic Monkeys, sont centrés sur le local plus que sur de grands problèmes. Ils parlent de leur vie, de leur quotidien. Il y a plus de politique Keith : Mick, vous avez réalisé les deux albums des Libertines, et le pour eux au coin de la rue que dans des questions premier album des Babyshambles… Vous avez retrouvé chez eux cet mondiales. C'est ça la nouveauté : parler de problèesprit punk qui vous animait en 77 ? mes du quotidien. En revanche, pour nous, rock'n'roll Mick : Oui, c'était pareil ! J'ai été attiré vers eux, en tant que personnes. et politique seront toujours liés. Dès que je les ai rencontrés, j'ai senti quelque chose de spécial. Ce sont des gens avec qui on peut discuter. Et ils adorent la musique ! N'importe Keith : La musique que vous faites avec quand, ils jouent, des chansons des Beatles, des Kinks, n'importe quoi, Carbon/Silicon, vous la qualifieriez toujours de tout le temps. Travailler avec eux, ça m'a rappelé la manière dont nous trapunk ? vaillions avec le Clash pour notre premier album. Et j'ai aussi beaucoup Mick et Tony : En fait, nous n'avons jamais appelé appris avec eux, c'est pour ça que j'aime travailler avec d'autres gens : notre musique comme ça. Mais oui, nous nous plachacun dit et fait les choses différemment, c'est toujours intéressant. Faire çons dans la continuité. La différence pour nous de la musique, c'est un peu comme de la magie, tu ne sais jamais ce que aujourd'hui, c'est que nous écrivons des chansons en ça va donner. tant qu'adultes, sur des problèmes de gens qui ont des familles. Alors que quand on avait dix-huit ans, on Keith : Vous avez de la nostalgie pour cette époque trépidante de se rebellait contre nos parents, notre famille… C'était votre jeunesse ? très facile de mettre à bas ce qui nous semblait Bob Gruen : Vous savez, si vous aviez vécu les mêmes choses que nous, conventionnel. Mais nous sommes devenus des vous auriez notre âge ! Moi, je préfèrerais avoir vingt ans en 2008. Les gens parents nous-mêmes. Alors on parle de ce que l'on font des trucs aujourd'hui qui paraîtront géniaux dans trente ans. Et puis ressent aujourd'hui. C'est pour ça qu'on ne fait pas de les gens regardent avec nostalgie toute cette scène, et toutes les drogues reprises, que de nouvelles chanqu'ils prenaient. Mais on ne se drogue pas parce qu'on est heureux sons avec Carbon/Silicon. ! On se drogue quand on est déprimé. Il n'y avait pas de bou“Travailler avec les lot, pas d'opportunités, beaucoup de colère, de frustration, Keith : Quels sont Libertines, ça m'a rappelé de tristesse. C'est génial rétrospectivement, parce que vos combats quand tu mets toutes ces journées bout à bout, ça a fait de la manière dont nous traaujourd'hui ? l'art. Mais jour après jour, ça a mis du temps ! vaillions avec le Clash Mick : Il y a beauMick : Moi, j'ai toujours eu l'impression d'être né une généracoup de choses, pour notre premier tion trop tard. Tous les groupes que j'aimais quand j'étais ado mais nous avons album.” avaient cinq à dix ans de plus que moi. Je regardais les Stones, et une approche plus j'aurais aimé être plus vieux. mesurée. Je n'aime Tony : Je suis plus heureux maintenant que je ne l'ai jamais été quand plus me mettre en j'étais jeune ! Beaucoup de mes amis sont morts à cause de l'héroïne. Je colère, je suis plus posé, plus réfléchi. On parle touvivais dans un appartement avec mon ex-copine, qui était héroïnomane et jours des choses, mais ce n'est plus “argh, foutons Johnny Thunders, Sid Vicious, Jerry Nolan… Ils sont tous morts. tout en l'air !”. On essaye d'avoir un message plus positif ; une pièce pleine de gens qui sourient peut Keith : Vous avez l'impression d'avoir changé les choses, concrètechanger le monde plus vite qu'une pièce pleine de ment ? gens en colère. Mick : Je ne sais pas. Nous avons peut-être poussé les gens à être euxmêmes. Les punks étaient finalement un peu des hippies avec les cheveux Keith : Vous avez tous les deux des femmes et des courts. C'était un mouvement très positif, qui voulait un meilleur futur, des enfants ? opportunités. Et il n'y avait pas de violence, même si le son était plus fort. Tony : Oui. D'ailleurs, c'est très marrant, à nos concerts, certains viennent avec leur enfant de 12 ans. Keith : Comment est né le projet Carbon/Silicon ? C'est très différent de quand nous étions jeunes : si Tony : En écrivant des chansons ensemble ! À aucun moment nous ne tes parents venaient à un concert avec toi, tu mourais nous sommes dit “faisons un nouveau groupe”. C'est dur aussi d'être dans de honte ! Mais là, les parents de la génération un groupe ; tu as 50 ans, tu te regardes dans le miroir, tu es toujours fan rock'n'roll continuent d'écouter Led Zeppelin et les des New York Dolls et tout ça, mais tu te dis “est-ce qu'on peut encore White Stripes… être cools aujourd'hui ?” Ça nous a pris du temps, pour nous sentir à l'aise Mick : Moi j'ai deux petits de quatre et cinq ans, et avec notre apparence d'aujourd'hui, pour nous décider à le faire. Mais finaune grande fille qui a un groupe, The Big Pink. C'est lement, on s'est dit que ce qui serait le plus cool, ce serait peut-être d'être vrai que les choses ont vraiment changé ces dix derjuste nous-mêmes. Le truc fondamental, c'est de continuer de s'amuser. nières années : nos enfants aiment les mêmes choses Quand ça ne sera plus le cas, il sera temps de rendre notre tablier. que nous, la culture rassemble les familles, alors que, quand nous avons commencé, il n'y avait pas de culKeith : Mais vous êtes encore un tout jeune groupe ! ture populaire comme ça existe aujourd'hui. Mick et Tony : Oui, c'est comme un nouveau mariage. Les vieux grouKeith : Ce n'est pas un problème, que l'underpes ne communiquent plus, ground soit devenu mainstream ? comme un vieux couple. Nous, “Quand on a eu Mick : Être mainstream et rester significatif, c'est ça, on aime être ensemble, on besoin d'une section le challenge. C'est plus facile d'être underground, c'est est stimulés par les idées rythmique, on n'allait plus facile d'être populaire que d'être culte. C'est un de l'autre. Et puis, c'est souci quand l'underground devient “overground” : à ce facile. Quand on a eu pas mettre une petite moment-là, c'est “over”, c'est fini ! Mais si tu arrives à besoin d'une section annonce “deux icônes faire ça sans perdre ton âme, c'est intéressant. rythmique, on n'allait pas rock cherchent batmettre une petite teur” !” annonce “deux icônes rock cherchent batteur” ! Par hasard, à ce moment-là, un de nos meilleurs amis nous a présenté un pote à lui, un batteur fantastique, parfait ! Il semblerait que le destin, la foi et la volonté nous aident. Les gens sont parfois très négatifs, on est parfois heurtés par ce que l'on entend, ceux qui nous disent “vous n'y arriverez jamais”. Mais pour l'instant, ça fonctionne. Et on est à Paris en train de faire cette interview. Propos recueillis par Clémentine Goldszal.

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Vu

OASIS. photos : sophie jarry / Bataclan 10 Nov 08 Diffusion du concert sur Canal+ le 11 dĂŠcembre 08

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photo : Laure Bernard

BLOC PARTY. photos : sophie jarry / Nouveau Casino 14 Oct 08 Prochain concert : 10 février 09 à l'Olympia



littérature

Pourquoi êtes-vous

pauvres ?

Un milliard et demi de personnes. Un quart d'humanité. C'est au cœur de cette population qui vit avec moins d'un ou deux dollars par jour que William T. Vollmann a plongé sa plume et braqué son objectif. De l'Irak à la Serbie, de l'Australie à la Colombie, des Etats-Unis à la France, l'auteur a pénétré les favelas sordides et les ghettos sinistres avec toujours la même ambition : décortiquer la notion de pauvreté, en définir les caractéristiques et les codes, approcher ceux qui la vivent au quotidien et les questionner, sans détours, sans tabous mais avec respect et pudeur. Pourquoi êtes-vous pauvres ? Cette question, Vollmann est allé la poser à des ouvriers chinois, des femmes de ménages thaïlandaises, des prostituées américaines, des mendiantes russes ou yougoslaves. Comme pour désacraliser le phénomène, poser des mots là où la raison hésite, en comprendre les tenants et les aboutissants. Chaque fois, il s'est plongé dans le quotidien de ces exclus, ces pauvres qui bien souvent puent la sueur et suintent l'urine, qui pour survivre et nourrir les leurs flirtent avec les frontières de la légalité, quand ils ne les franchissent pleinement. Quand la vie devient une succession de combats ordinaires le besoin prend le pas sur la morale. When you've got nothing, you've got nothing to loose, chantait Bob. C'est de ces voyages au bout de la faim que Vollmann a rapporté les témoignages poignants et fascinants qui ponctuent son étude. Dès lors, comment oublier l'histoire de Sunee, cette ancienne prostituée thaïlandaise vivant dans une bicoque de planches et de toile au milieu d'un bidonville de Klong Toey en compagnie de sa mère et sa fille ; qui pour oublier la misère qui lui étreignait la poitrine et la crasse qui couvrait le sol de son existence, noyait ses nuits de mékong, sorte de whisky thaïlandais ? Ou encore l'histoire de Robin, prostituée noire de New York, qui refusait à ses enfants l'accès à l'appartement familial pendant la journée afin d'y effectuer les cinq passes quotidiennes qui les nourrissaient tous. Pourquoi êtes-vous pauvres ? est l'histoire de tous ces pauvres que l'on oublie souvent de voir. La maison brûle et nous regardons ailleurs. Mais Vollmann, lui, a décidé de regarder les choses en face. Et comme souvent la réalité est plus tangible en images, son texte est ponctué de photographies saisissantes. Autant de portraits où se lit toute l'humanité qui perdure sous la misère. C'est donc dans les bidonvilles thaïlandais, sous les ponts californiens, les parkings russes ou à même le trottoir, à l'autre bout du monde ou de l'autre côté de la rue que Vollmann est allé recueillir ces témoignages. Sans compassion, sans préjugés idéologiques, sans proposer de solution. Il passe simplement quelques heures ou quelques jours avec les sans-abri, pose des questions, écoute les réponses, photographie parfois, puis s'en va. Pas d'interprétation. Et c'est là même, l'une des limites de son enquête avoue-t-il dans le livre : “les réponses des pauvres sont souvent tout aussi pauvres que leurs existences.” Mais qu'importe, Vollmann n'est pas sociologue, ni philosophe, son livre n'est pas une ode à la misère et à ceux qui le subissent, c'est uniquement le constat objectif d'une drôle de réalité. Et ce livre, à l'heure où 270 milliard de dollars ont été trouvés en quelques jours pour endiguer la crise économique, est un bon moyen pour ne pas oublier que pour anéantir définitivement la faim dans le monde, il ne suffirait que de trente milliard de dollars. A bon entendeur… Léonard Billot. * Pourquoi êtes-vous pauvres ?, de William T. Vollmann (Actes Sud).

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littérature

Into The Wild ou Voyage au bout de la solitude, de Jon Krakauer. Editions 10/18. 288 pages.

On se souvient du film retentissant de Sean Penn sorti en France en janvier dernier : original, puissant, regorgeant de souffrance et de vérité. Ce mois-ci paraît en poche l'ouvrage de Jon Krakauer, premier journaliste à publier un article sur l'histoire de Christopher McCandless dans Outside, peu après sa mort en septembre 1992. Le récit du périple d'un jeune homme brillant (Alex dans le bouquin), fraîchement diplômé, mais en marge de la société américaine (et de la société tout court), en rupture avec ses parents et son entourage. Un parcours de deux ans à travers le sud des États-Unis, le Grand Canyon, la Californie, le Mexique, et enfin, but ultime, l'Alaska, au pied du Mont McKinley. Un voyage enrichi par des rencontres fortuites : un couple de hippies, un fermier, ou un vieux Californien qui deviendra son père adoptif. Pendant quelques mois, Alex va survivre dans un univers grandiose, sauvage, pur et impitoyable. A la recherche d'un bonheur non perverti, d'une vérité autre, il s'épanouit dans la pureté d'un bout de planète sans murs et sans rues, dans la solitude de ses méditations et de ses souvenirs. Dans cette enquête ponctuée de témoignages, transcrite grâce à une écriture journalistique simple et fascinée, Jon Krakauer livre un récit détaillé, fruit de recherches longues et passionnées. Des intrusions de l'auteur rythment l'épopée pour nous confier son point de vue, ses pensées et ses propres expériences. Il reconstitue l'aventure bouleversante de sincérité de ce grand adolescent, sociable et solitaire à la fois, amoureux de la vie mais étranglé par l'univers cossu qu'il a côtoyé, suffocant, vomissant une société et un monde auquel il n'appartient pas, explosant d'énergie, de désirs, et de détermination. Judith Allenbach.

Love Medicine, de Louise Erdrich. Traduit de l'anglais par Isabelle Reinharez. Albin Michel. 341 pages.

À l'heure où l'on célèbre la richesse d'une Amérique multiculturelle, les éditions Albin Michel ont eu la bonne idée de ressusciter Love Medicine, l'un des plus grands classiques de la littérature amérindienne. Publié pour la première fois en 1984, le premier roman de Louise Erdrich s'étale sur plus de cinquante ans. Une drôle de saga sur les heurs et malheurs de deux familles indiennes dans une réserve du Dakota du Nord. Chez cette écrivaine à moitié Ojibwé, on en revient toujours au clan, à la famille et à l'héritage des peuples autochtones, malgré le fossé qui se creuse entre les générations et l'inévitable constat d'une culture qui se perd. Si chaque chapitre se lit comme une petite nouvelle, c'est qu'on ne peut évoquer cet héritage que par fragments. Et le projet de Louise Erdrich consiste justement à réconcilier le pays avec son passé au moyen de la littérature. Partout, cet attachement à la terre, à l'esprit des lieux et à l'art de raconter des histoires. Admirablement traduite par Isabelle Reinharez, la langue anglaise est ici moins écrite que parlée, dans la tradition orale des mythes ojibwés. Autant de voix, sombres, grinçantes ou poétiques, qui nous invitent à revenir aux origines de l'Amérique, à la rencontre de ces peuples qu'on a voulu faire disparaître mais qui n'ont pas dit leur dernier mot. Loin de là. Augustin Trapenard.

Je Prête à Rire Mais Je Donne à Penser, par Miss Tic. Grasset. 154 pages.

Miss.Tic bombe les murs et les rend œuvres d'art. Voilà plus de vingt ans qu'elle sublime le mot, le triture, le contourne, s'en amuse. Au détour d'une rue, d'une impasse, sous un lampadaire ou près d'une gouttière, peu importe, quand le béton devient aphorisme, c'est Paris qui s'exalte. Qui est-elle ? Une voix tonitruante sur voie publique, “une femme de l'être avec les mots de l'âme”. Une de celles qui savent manier la plume et le pinceau, et dont l'insolence flirte avec l'audace. L'art devient quotidien, s'offre à tous, partout. Il emplit les murs, se fait complice des vies, perdu dans l'anonymat de la ville. Ces mots d'esprits, d'espoir ou d'humeur sont désormais réunis dans un livre qui parait chez Grasset. Dans ce joli format, on trouve aussi les dessins des mystérieuses femmes en noir et blanc qui accompagnent souvent les sentences. Le rendu est agréable et facile à lire, quoique forcément décevant : quand le mur s'improvise papier, la spontanéité de la rencontre n'est évidemment plus au rendezvous... Kenza Verrier.

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La bonne littérature se vend-elle encore ?

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par Alphonse Doisnel.

L'exigence est-elle la maladie infantile de l'industrie des lettres ? Le talent littéraire est-il soluble dans le succès ? Rêvons un instant : combien il serait doux, en effet, que les génies soient aisément repérables à la modestie de leurs ventes et les usurpateurs aux chiffres volumiques des leurs ! La critique deviendrait une branche des statistiques et le bon goût, une affaire de tirages ; on enseignerait dans les écoles de commerce qu'il est un théorème littéraire, un vrai, incontournable, quelque chose comme un principe de certitude commerciale : ce qui se vend bien est mauvais. Négation de la proposition inverse, raisonnement par l'absurde : si un livre se vend mal, c'est qu'il est bon. Et les écrivaillons de tous poils d'exulter en étouffant leur acrimonie de pauvre sous la fierté arrogante du génie qui se joue des succès matériels ! Pire : être refusé par un éditeur, voilà le grand chic, la classe de l'authentique artiste ! Corollaire : les meilleurs écrivains sont ceux qu'on ne lit pas. À l'occasion de la récente élection de J.M.G. Le Clézio par l'Académie Nobel, un certain Jean-Yves Jeannet, professeur de son état et, détail capital, écrivain inconnu à ses heures, s'en prend dans le journal Le Monde au blond Africain et le range, manu militari, sur les mêmes rayonnages qu'Amélie Nothomb et Alexandre Jardin ; au titre de quoi il propose aussitôt sa propre liste des quelques “grands écrivains” français qui mériteraient objectivement le Nobel : Michon, Bergounioux … “Comment s'y retrouver ?” se demande le malheureux agrégé dont on entend presque, en lisant sa prose étriquée, le sanglot qu'il réprime dans sa gorge de vieux pédagogue habitué des amphithéâtres mal chauffés. Le théorème est sa réponse. Mais sa supplique pue l'amertume, la frustration viciée du scribouillard anonyme. Certes Michon et Bergounioux sont de très grands écrivains, certes Vies Minuscules est probablement le livre le plus génial des cinquante dernières années, certes encore, Gracq ou Nathalie Sarraute ont vendu moins de livres que Le Clézio ou Sollers, certes toujours, Jardin, Nothomb, Angot, les deux Lévy (Marc et Bernard-Henri), sont à la littérature ce que Mireille Dumas est à Sigmund Freud, Alain Minc à Keynes et Hughes Aufray à Bob Dylan, mais - au hasard - Les Bienveillantes de Littell, L'Amant de Duras, Magnus de Sylvie Germain ou Le Procès-verbal de Le Clézio, quoique de gros succès de librairie, sont aussi de grands textes sans concession particulière au goût supposé mauvais de la multitude. C'est que la littérature est un art. Et l'art se moque encore des théorèmes.

Les prix Keith Les prix littéraires, la moitié des gens veulent en recevoir et l'autre en donner. A Keith, on a coupé la poire en deux : on donne des prix que personne ne veut recevoir. Le prix du titre le plus glam' est attribué à (roulements de tambours) : Enculée de Pierre Bisiou (Stock). Pas vraiment besoin d'expliciter. Le “e” a été décisif dans la victoire de son équipe. Le prix du livre le plus économique pour son auteur est attribué à (roulements de tambour) : Saloon d'Aude Walker (Denoël). A défaut d'autre chose, cette autofiction (encore une) aura permis à son auteur de résoudre ses problèmes existentiels. (Pourquoi suis-je terriblement attirée sexuellement par le labrador de mon frère ?) Vachement moins coûteux qu'une psychanalyse ! Le prix du 69 le plus réussi est attribué à (roulements de tambours) : Ennemis Publics de Michel Houellebecq et Bernard-Henry Lévy (Flammarion/Grasset). Ou comment faire comprendre qu'il est compliqué de se faire aimer du public quand on ne s'aime pas soi même mais que l'on s'aime ensemble et que l'on n'aime pas que l'on aime ne pas nous aimer. Bref une histoire sans dessus dessous. Le prix du livre qui n'a pas eu de prix est attribué à (roulements de tambours) : Un chasseur de Lions d'Olivier Rolin (Seuil). Candidat (presque) partout, lauréat nulle part, allez monsieur Rolin ne faites pas cette tête d'enterrement, nous, on pense à vous et on vous en donne un de prix. Merci qui ? Le prix du livre le plus déprimant est attribué à (roulements de tambours) : Lacrimosa de Régis Jauffret (Gallimard). Sortez les kleenex, préparez les mouchoirs, ça va chialer dans les chaumières. Météo France maintient son bulletin d'alerte sur la rentrée littéraire : on annonce des débordements lacrymaux. Sortez vos bottes ! Léonard Billot.


Keith’s people Littérature

Dialogue avec mon jardinier

A l'heure de l'extrême branchitude urbaine et de la littérature au goudron, Lucien Suel glisse, avec malice, un peu de poésie dans ce monde de brutes. Il ose le retour à la nature et aux valeurs ancestrales de la terre. En cultivant les mots, en semant les phrases, il nous rappelle que sous les pavés, il y a aussi de l'herbe. Keith : Comment t'est venue l'idée avec des musiciens rockers. Je suis venu d'écrire Mort d'un jardinier ? à l'écriture en écoutant notamment les Lucien : En fait, tout est parti d'une textes de Dylan et mes influences vienenquête à laquelle j'ai répondu il y a quelnent aussi des écrits de la Beat ques années. On me demandait comment Generation, et du rock, d'où la musicalité. je préférerais mourir. Moi, j'avais répondu J'ai aussi pas mal travaillé à partir des que je préférerais ne pas mourir mais qu'à techniques de Burroughs comme le cutchoisir, mourir de ravissement dans mon up. Et je lui rends hommage dans mon jardin, me paraissait tout à fait acceptaroman. Mais ça ne s'arrête pas à la Beat, ble. il y a aussi Cendrars, Céline, le roman noir Après, il y avait cette idée de raconter ce de Chandler à Ellroy et Dada. J'ai utilisé le qui se passe dans la tête de quelqu'un au tutoiement pour m'adresser à moi-même moment de sa mort : tous les éléments de et aussi impliquer le lecteur. sa vie, tous ces souvenirs qui se bousculent dans son esprit ; comment tout cela va l'accompagner dans ses derniers instants. “Pour moi, le plus imporC'est un livre intime. Je me suis posé tant, c'est la liberté. Et être la question de savoir comment ça dans son jardin, c'est une pouvait toucher mes proches. Je me suis aussi demandé comment les façon d'être libre.” gens qui ne me connaissent pas pourraient se retrouver dans ce livre. Beaucoup de lecteurs semblent touchés Keith : La mort par le personnage du jardinier, peut-être est quelque chose qui parce qu'ils peuvent s'approprier sa vie et t'effraie ? que la nature et le jardin ont sans doute Lucien : Oui et non. Au final, c'est quelune valeur universelle qui concerne beauque chose que tout le monde a en comcoup de monde mun. C'est quelque chose d'important même si aujourd'hui beaucoup d'aspects Keith : L'emploi de la deuxième persont souvent occultés. Ce livre, c'est une sonne et la musicalité des mots renfaçon d'en parler. Je ne sais pas du tout voient presque à des textes de musisi dans la réalité, ça se passe comme ça. que, de poésie. Dans ce livre toutes les scènes renvoient Lucien : Oui, c'est vrai. Quand j'ai envoyé à des moments que j'ai vécus, sauf évile livre aux maisons d'éditions, je n'avais demment le passage final sur la mort. pas précisé “roman” sur mon manuscrit. Mais j'ai sûrement idéalisé ce passage. La J'avais juste indiqué le titre. J'aurais tout plupart du temps, les gens meurent à aussi bien pu écrire “poème”. J'ai écrit l'hôpital, pas dans leur jardin. beaucoup de poésie, mais Mort d'un Jardinier est mon premier roman. Je ne Keith : Est-ce que la mort du jardinier, me prive de rien dans l'écriture. J'ai écrit c'est la mort de la Beat Generation ? des textes expérimentaux aussi bien que Lucien : Non, pas du tout. Pour moi, ce des sonnets classiques. Je peux aussi livre n'est pas un livre triste, noir ou désécrire de manière lyrique dans un roman, espéré. Dans les générations qui me suiquitte à prendre celui-ci pour une nouvelle vent, il y a toujours un intérêt pour cette forme poétique. Dans ce texte, il y a un période, ses idéaux, les inspirations qui aspect oral avec les sonorités, le rythme s'en dégageaient. Je pense que tout cela des mots et les systèmes de répétitions. continue à exister. Par exemple, il y a D'ailleurs je participe à la scène de la chez Kerouac une célébration de la poésie sonore, que ce soit en solo ou liberté, de la vie, des espaces, de l'indiK?-60

vidu qui est intemporelle. Il propose toujours des alternatives : quand il critique la société de consommation, ce n'est jamais fait avec ressentiment. Ça reste positif. Et c'est quelque chose, qui même quarante ans après sa mort, garde une résonance aujourd'hui. Keith : Dans la société consumériste, capitaliste qui est la notre, penses-tu que le retour à la terre, à la nature est quelque chose de nécessaire ? Lucien : Je ne suis pas militant du retour à la terre ou de quoi que ce soit. J'ai un jardin parce que j'habite dans un endroit que j'ai choisi où il est possible d'en avoir un. Je garde néanmoins un intérêt pour la culture urbaine. On peut rester branché sur le monde tout en cultivant son jardin et aujourd'hui, encore plus facilement grâce à Internet. C'est peut-être ça finalement le luxe. Donc retour à la terre peut-être, mais d'une façon différente de celle qu'on envisageait dans les années 70 par exemple. A l'époque, c'était acheter une ferme en Ardèche et vivre comme les paysans. Mais aujourd'hui, on n'est plus vraiment dans cette optique. Pour moi, en fait, il ne s'agit pas d'un retour, c'est plus une forme de poésie, avoir les pieds sur terre, quelque chose de concret, de physique qui donne du plaisir mais aussi de la fatigue. Mais je ne cherche pas à faire passer un message ou à donner de leçons, je parle simplement de mon expérience personnelle et je montre que c'est possible de vivre différemment, simplement. Keith : Le texte est marqué par la répétition d'un certain nombre de mouvements propres au jardinage. Penses-tu que la répétition mène à l'aliénation ou au contraire à la libération de l'homme ? Lucien : On est dans quelque chose de naturel, c'est le rythme de la nature. Il y a les saisons, tous les ans à la même époque, on fait la même chose. Pour moi, c'est aussi une métaphore de l'écriture, tracer des lignes sur la terre, réellement. Le jardin est un lieu où l'on peut repro-


photo : Laure Bernard

duire les gestes que les anciens faisaient avant nous. Dans le monde moderne, il n'y a pas tellement d'endroits où on peut refaire ces gestes-là. Faire son jardin à un coté anti-rentable qui me plaît bien. C'est plus simple en termes de gain de temps et de fatigue, de prendre sa voiture et d'aller au supermarché du coin. Mais le jardinage est, je trouve, une sorte de pied de nez à la société d'abondance et de consommation frénétique qu'est devenue la nôtre aujourd'hui. Je fais aussi un peu ici et là, dans ce livre, une critique de ce mode de vie, des mass média, du progrès à tout prix, etc… C'est une façon de prendre le contre-pied de tout ça. Mais ce n'est pas pour moi l'aspect le plus important du livre. Mort d'un jardinier est surtout une exaltation de la vie dans la magie de sa diversité, l'enfance, l'adolescence, les expériences, la musique, les livres, l'amitié, les voyages... Au fond, pour moi, le plus important, c'est la liberté. Et être dans son jardin, c'est une façon d'être libre ; d'être en lien avec les racines et la tradition sans rejeter les aspects intéressants du monde moderne. Keith : Le livre est dédicacé “aux enfants”. Lesquels ? Les tiens ? Ceux de la Beat ? Lucien : Mes enfants, les enfants de mes enfants. Tous les enfants du monde au final. Propos recueillis par Leonard Billot et Céline Laurens..

*Mort d'un jardinier, de Lucien Suel (Table Ronde).


théâtre

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Du côté de chez Sara …

Au Ciné 13, une jolie salle perchée en haut de Montmartre, Sara Forestier joue un texte de jeunesse de Marcel Proust. L'histoire d'une jeune fille qui s'est suicidée, et ratée, pour avoir perdu son innocence. Impressionnante de justesse et de présence, la comédienne Césarisée pour sa prestation dans L'Esquive confirme que son énergie déjà légendaire est bien un atout pour monter sur les planches. Rencontre avec une actrice hors pair. Keith : Comment est né ce projet ? Sara : C'est Benjamin Bellecourt, qui s'occupe du Ciné 13 avec Salomé Lelouch, un ami que j'ai rencontré sur HELL, qui m'a proposé de jouer. En fait, depuis deux ans, chaque été, ils montent un festival de pièces courtes, et il m'a offert une carte blanche d'une demi-heure sur scène. J'ai eu envie de le faire. Dans le même temps, sur un festival où on était jurés tous les deux, j'ai rencontré Patrick Mille, que j'avais vu dans plusieurs films et que j'aimais beaucoup comme acteur, et j'ai eu envie de travailler avec ce mec. Je l'ai appelé et je lui ai proposé de monter sur scène avec moi. Il a dit oui. Et en cherchant le texte qu'on aurait pu jouer à deux, il est retombé sur cette nouvelle de Proust, il me l'a donnée en m'expliquant qu'il voulait me mettre en scène dedans. Et je suis tombée amoureuse du texte. On l'a coupé pour qu'il fasse une demi-heure, et on l’a joué cinq fois. Et ça nous est apparu comme une évidence qu'il fallait le reprendre. Mais en entier.

Keith : Tu as un rapport à la littérature qui est très important. Tu es fan de Romain Gary, de Marcel Proust… Sara : Proust, c'est mon choc littéraire. Quand j'ai lu La confession d'un jeune fille, je me suis dit, la littérature c'est ça. C'est une musique. Et le plus fou c'est la précision des mots. C'est hallucinant. Il n'utilise pas “doux” comme il utilise “velouté”. Il n'utilise pas “mélancolie” comme il utilise “tristesse”. Il y a une maîtrise virtuose. Et tout d'un coup, c'est de l'art. Ce n'était plus juste des pensées, c'était de la littérature. Keith : Justement, ça ne t'a pas fait peur de te confronter à un tel mythe ? Sara : Je ne me suis pas posé la question. Quand tu as, comme j'ai eu, une vraie rencontre, ça devient quelque chose de personnel. Une aventure dans laquelle tu grandis. Moi, ça m'a ouvert des horizons de poésie, dans ma tête et dans mon corps. C'est tellement fort que tu n'es plus tournée vers ce que les autres vont dire. Tu vis ton histoire, c'est tout.

Keith : Tu te préparais donc pour un projet à deux, et là tu te retrouves toute Keith : Ce n'est que la seule sur scène. Comment as-tu deuxième fois que tu appréhendé cette situation ? es sur scène, et Sara : Ça a été un vrai travail pour pourtant on saisir physiquement ce qu'était un sent comme monologue. Parce que quand tu “Jouer sur une sorte dis un monologue, tu es entre d'évidence. scène, pour moi le conteur et l'acteur. Tu C'est naturel c'est vital.” racontes et en même pour toi ? temps tu l'incarnes. Mais il Sara : Sur scène, ne faut pas trop incarner je me sens vivre. sinon ça devient du surliJe me sens chez moi. gnage. C'est un vrai équilibre à trouver. Et plus particulièrement encore dans cette Pour moi, ce travail était complètement salle. Elle dégage quelque chose de très inconnu. Parce que dans l'idée, on se dit intimiste et en même temps pas banal. qu'un mec qui raconte c'est chiant. Il a Après avoir été une salle de cinéma de fallu que je comprenne intellectuellement Claude Lelouch, elle est tenue par des puis physiquement comment ça pouvait jeunes hyper créatifs, avec des énormes devenir intéressant. fauteuils rouges où l’on est presque trop bien installé, et du coup ça ne ressemble Keith : Comment as-tu compris alors ? à rien d'autre. Et on est très près de la Il y a eu un déclic ? scène. Ça met presque un peu mal à Sara : Je ne sais pas… Les choses se l'aise pour cette pièce. C'est idéal ! décantent petit à petit. Mais le travail de Patrick a été très important. Et pourtant Keith : Le texte, justement. Il est violent c'est sa première mise en scène. Pour quand même… son premier axe de travail, il m'a Sara : Il est puissant, oui. Il est presque demandé de juste dire le texte. Sans mystique. Il est intense et très profond. affect. Juste, il fallait que je laisse la musiC'est une confession. L'héroïne n'a pas que de Proust rentrer en moi. Ça a duré de pudeur. Elle ne se cache pas. Le seul trois semaines et au fur et à mesure, l'esqui se cache, c'est Proust. C'est un texte prit du conteur est venu en moi. Mais au qui parle de son homosexualité. C'est la début je ne comprenais pas. Je n'avais vraie pudeur de ce texte, qui est omniprépas l'habitude de cette distance. sente en fait. Cette confession de jeune fille est en fait celle d'un jeune homme.

D'ailleurs il y a quelques fautes de genre dans le texte. C'est assez terrible… Parce qu'il se cache de sa mère. Mais les sentiments sont vrais. C'est très généreux. Mais il l'a écrit à 23 ans… C'est un âge qui induit encore une certaine pureté. Il se donne entièrement. Cette fille, ça pourrait être Phèdre tant le côté dramatique est assuré. Keith : Ça ne va pas être facile de te faire revenir au théâtre maintenant, s'il faut quelque chose d'aussi fort que Proust ? Sara : C'est sûr que quand tu as rencontré des textes aussi beaux, tu as envie de revivre des aventures aussi fortes. Mais elles peuvent être extrêmement différentes… Faire un vaudeville après Proust, pourquoi pas. Du moment que la rencontre est aussi forte. Mais pour l'instant, de toutes manières, je n'ai pas envie de faire autre chose. Je suis complètement dedans. Je ne sais pas encore comment ça va se passer. On a trente représentations prévues, il faut déjà les tenir ! C'est une aventure, on ne peut pas préjuger de ce que ce sera. Keith : Et comment le public reçoit-il ce spectacle ? Sara : Le soir de la première, c'était étrange. C'est comme présenter quelqu'un qu'on aime à des gens qui viennent pour ça. Pendant un mois de répèt’, on a vécu notre histoire à deux et là on la dévoile au grand jour. C'est difficile de raconter ce que j'ai ressenti. Je ne saurais pas dire ce que le public en pense… Mais je crois que ça lui plaît. J'adore les répétitions, chercher, créer, souffrir, trouver… En même temps, jouer sur scène, pour moi c'est vital. La gravité qu'il y a juste avant le lever du rideau, la souffrance quand on quitte le plateau… ça me bouleverse. Keith : Et ça se sent… Sara : Merci. Propos recueillis par Nicolas Roux. Confession d'une jeune fille, de Marcel Proust, mise en scène de Patrick Mille avec Sara Forestier. Du mardi au samedi à 21h30. Au Ciné 13 théâtre, 1 avenue Junot 75018 Paris Réservation : 01 42 54 15 12


design

Chic.

Favela

En 1993, la très savante, élégante et internationale revue italienne Domus leur consacre quatre pages. Les frères Campana sont découverts. Quinze ans plus tard, ces deux génies de la récupération sont publiés partout, exposés dans les plus grands musées et les meilleures galeries, fabriqués par les plus prestigieux éditeurs et conviés à donner cours et conférences, séminaires et ateliers sur les cinq continents. Plus Brésiliens, tu meurs ! La couleur, le rythme, le métissage, la mixité sociale, le chaos urbain, tout cela se retrouve, se décline, s'expanse au fil de leurs créations. Les frères Campana donc, Humberto l'aîné, 55 ans, et Fernando, 47 ans, le cadet. Nés à la campagne mais définitivement installés à Sao Paulo la capitale économique et créative du Brésil. Le premier devait être avocat, le second architecte. Mais, brillamment diplômés l'un et l'autre, les voilà qui obliquent vers la sculpture et la création de bijoux. Et puis, très vite et en tandem, ils empruntent la route du design. Fervents écologistes, partisans de la récupération et du recyclage, jouant de la transformation et de la réinvention, ils se posent en sacrés chahuteurs du petit monde du design. Rêves partagés, sensations échangées, émotions communes, ils expérimentent, s'amusent, inventent des formes improbables, télescopent couleurs, matières et textures, créent comme on jette un pavé dans la mare. Au premier regard oui, le Brésil est là. On pense à la musique, à la samba, au carnaval tant leurs créations sont expressives, tropicales, enflammées. Puis, au second regard, on se prend à penser à autre chose : bien au-delà de l'invention d'un style, bien au-delà de l'invention d'une “brésiliannitude” assumée, apparaît soudain l'expression d'un engagement, d'une conscience sociale, voire politique. Pour s'en convaincre, il suffit de faire l'inventaire de leurs créations tout en gardant à l'esprit que leur système de récupération et de recyclage dépasse largement le cadre étroit du bricolage, en contre-pied formidable au “couteau sans manche auquel il manque la lame”. Avec Favela, fauteuil fait du petit bois avec lequel on démarre les feux de cheminée, ils annoncent d'emblée la couleur (sans couleur aucune) et s'inspirent directement du système de récupération pratiqué dans les favelas. Suit une série de fauteuils Multidao, Alligator, Banquete faits d'assemblage de poupées ou de peluches, telles celles qu'on gagne dans les fêtes foraines, montées sur de simples structures métalliques. Puis viennent Sushi fait de chutes de tissu cousues l'une à l'autre et Vitoria Regia un pouf fait de cette fibre textile dont on fait les éponges. Deux drôles de fauteuils encore, où s'entremêlent les fils, textile pour Vermelha, plastique pour Anémonas. De longs boudins de mousse recyclée pour le canapé Sofa Boa, de la résine souple pour la lampe Estrela et des bambous irréguliers et vite coupés pour la lampe Bambu. Sans oublier des rebuts de tiges métalliques que les deux frères s'amusent à utiliser comme le jeu du Mikado pour composer corbeille à fruits ou miroir de la série Blow up… Bref, on l'a compris, l'utilisation intensive de matériaux pauvres, l'exagération formelle, la liberté d'écriture sont bien la marque des frères Campana. Et même si aujourd'hui leurs créations atteignent des sommets sur le marché du design et même de l'art, leur réussite a permis à une génération nouvelle de designers brésiliens d'apparaître. Et leur exemple, dans ses fondations, ses origines, ses engagements, ne demande qu'à être suivi. Vivent la récupération, le recyclage et le manifeste en attendant la gloire. Edouard Michel.

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©DR COURTESY GALERIE KREO


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abonnement

Ok, 2,50 euros le numéro pour un magazine gratuit, ça ne semble pas l’affaire du siècle. Mais imaginez le plaisir de recevoir CHEZ VOUS, ce rutilant magazine, vous qui ne recevez d’habitude que des factures et des pubs. Souvenez vous de l’émotion qui vous étreignait quand, petit, vous receviez du courrier POUR VOUS ! Pas la peine d’aller écumer les lieux les plus branchés de la capitale (qui se trouvent parfois très loin de chez vous !) pour trouver Keith. Finie l’angoisse de rater un numéro. Bonjour le plaisir d’être toujours à la page. Un luxe pareil ça vaut bien 15 euros par an non ? Et puis songez-y : dans quinze ans, la fierté d’exhiber votre collection COMPLÈTE de Keith, et de pouvoir dire : “J’Y ÉTAIS !”. “J’ai fait partie de leurs tous premiers abonnés, à une époque où l’on ne savait même pas s’ils allaient passer le cap du deuxième numéro”. (On ne vous le cache pas, c’était un risque ! NDLR) Bref, si l’on devient, comme il est prévu dans notre “business-plan”, le magazine de référence de la jeunesse mondiale, le symbole de toute une génération, et bien, ce sera un peu... grâce à vous. *Pour passer à l’acte, envoyez un chèque de 15 euros à l’ordre Who is Keith ? ainsi que vos coordonnées sur papier libre à : Keith magazine / 37, rue des Mathurins / 75008 Paris


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Stylisme : Billal Taright assistÊ de Pauline Goldszal Photos : Billal Taright Modèles : Louise et Joop Special thanks : Dominique de Bure, Kenza Verrier, Camille Gabella, Agathe_The Kooples, Therese_ACNE, Malkiel_Colette

sweet

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Louise porte une robe ACNE "Jonna Denim Dress", une veste New Standard beige "Suit Jacket", deux alliances en argent The Kooples.

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Louise porte un manteau gris/kaki "Vintage" The Kooples, deux alliances en argent The Kooples. Joop porte un tee shirt et une veste New Standard Beige, un chapeau beige "Sue Ellen" ACNE, jean perso.

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Louise porte un manteau TAO noir.


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Louise porte une robe crème "Constanze" et une ceinture violette ACNE, alliances The Kooples.


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Louise porte une chemise ACNE marron Ă carreaux, un tee shirt blanc The Kooples, short en jean perso, des baskets Nike Vandal Vintage noir, deux alliances en argent The Kooples, Joop porte une chemise ACNE Ă carreaux verte, un tee shirt ACNE, Bonnet bleu marine The Kooples.

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Joop porte un chapeau beige "Sue Ellen" et un tee shirt ACNE.


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Joop porte un pull sans manche en laine blanche "college" billionaire boys club, un tee shirt ACNE Hot Egg Nog, jean perso Dior Homme. Louise porte une robe ACNE "Jonna Denim Dress", une veste New Standard beige "Suit Jacket", deux alliances en argent The Kooples.

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Louise porte une robe ACNE "Jonna Denim Dress", une veste New Standard beige "Suit Jacket", deux alliances en argent The Kooples, chaussettes champagne ACNE, chaussures vintage.


le fou du mois

Un clochard

céleste. Mercredi 14 novembre.

Avis à la rédaction - stop - Ai fait une overdose d'originalité - stop - Ai passé mon début de soirée avec Robinson, Lancelot et Floscel - étudiants en école de commerce - stop - Génocide culturel - stop Remise en question - stop - Frise la crise existentielle - stop - Vends mon appartement - stop - Pars en exil avec ma mob - stop- Cherche une place publique - STOP. Place de Clichy, klaxons et ambiance camés, je trace. Pigalle. Travelos, cuir et latex, vente au rabais de baise et contrefaçon d'adrénaline. Absurde. Barbès, carte postale défraîchie des voyages de noces parentaux. Tout droit. Belleville, micro ondes à piles, black market et cavale au son des sirènes. Partir, loin. Stalingrad, Père Lachaise... Nation. Des endroits comme ça, où rien ne va car personne n'y est. Crachin, vent glacial et lumière blafarde m'invitent à me poser dans le jardin circulaire de la Place. J'ai le droit? Rien à foutre, j'ai un autocollant Keith sur mon carbu, laisserpasser pour observations temporaire. “T'es dans la vie gamin, sois le bienvenu”. Plait- il ?! “Michel Godin des Mers, acteur, novateur, artisan poète”. La voix sort d'une espèce de cabane mi pousse-pousse chinois, mi radeau de la méduse. J'étais pourtant seul sur cette place... Je m'approche de ce mobile home fantomatique autour duquel s'étalent des bougies en équilibre sur des fontaines. Paris ville lumière. Le type me tend les mains. Moi, une, machinalement. Il m'attrape la deuxième et recommence son intro. “Michel Godin des Mers, acteur, novateur, artisan - poète”. Tunique bleue, barbe ébouriffée et bonnet de marin sur le caillou. Environ deux fois ma taille, en largeur surtout. Je me présente, rassuré par le simple fait d'être à Paris. J'évite de mentionner mon pétage de câble, décalage capricieux quant à sa probable condition de vie. Comme tout le monde l'a toujours fait dans ces circonstances, on s'installe dans le crâne un pseudo mode salon de thé, prêt à discuter des heures. Et les heures passent. J'entends des trucs qui n'existent habituellement qu'en fin de soirée, à deux grammes dans le sang et un pochon vide dans la chaussette. C'est lui qui parle. On laisse toujours la parole aux anciens.

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Il est né en 1957 à Marseille, moi trente ans après dans le Xe. Je préfère prendre des notes. Ce qu'il fait là? Longue histoire... Il est retourné en France après une belle jeunesse au Chili, salement écourtée par la dictature d' Allende. Premier aperçu du bordel politique mondial. Il débute sa carrière comme intermittent du spectacle avant de poser comme modèle pour Peter Lindbergh. Curieuse envie d'aller voir sous sa barbe. Tout en parlant, il cite Brel, Saint-Exupéry, moteurs pour lui en termes de pensée, de verbe. Car ce mec est fan de mots. “Poète”. Il idolâtre la poésie de St Pol Roux, qu'il connaît et récite par cœur. Je finis par me dire que ma prof de lettre était bidon. Mais l'heure est aussi à la revendication. Réac. Il en veut à tout le monde. Aux journalistes, aux juges, “au Président de la raie publique”. Car les représentants du peuple n'ont pas su protéger sa vie. Comment ? Pourquoi? La justice l'a expulsé après procès contre sa propriétaire qui le volait. Gomme sur son passé. Injustice. En son cheminement il a inventé la “sixième république” de droit natif terrien, dénonçant “la république esclave de l'immobilier”. Il revisite la Déclaration Universelle, réécrit la Marseillaise, scande, harangue les foules, demande l'Amour, pas la guerre. “Si les femmes faisaient l'amour, il n'y aurait pas de guerre. Le problème c'est qu'elle ne font que baiser”. Scandale. Il dit ça en gueulant. Il a ses lois. Humaniste, il navigue entre les filets d'une démocratie communiste. La place publique, tous les 14 du mois, c'est son État. Comprendre et résoudre les vices de la société est son état de siège. Il crée un monde de la pensée dans lequel l'histoire n'aurait pas connu Napoléon. 1793 ou la naîssance de la première bombe atomique à retardement. “Révolution Civile”. Merde. Je scrute son mât, les voiles sont des affiches. Démocratie, enfant mort-né. Démocratie, mensonge conceptuel. J'ai le sentiment d'avoir en face de moi un homme richissime. Riche en espoir, en paroles. Artiste. L'art est public. Alors, pour lui, je peins au fin fond de moimême la scène d'un homme en train d'enfanter démocratie, berceau de la Nation.

Charles de Boisseguin.


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a photos : Laure Bernard


minuscules

petit portrait en minuscules d'un artiste quasi majuscule

humain, trop humain raphaël sibilla par augustin t. / photo laure b.

initiations. on nous avait prévenu. documentaire / film de genre aussi troublant qu'über-trash à la gloire du corps, du plaisir et de l'extrême. no body is perfect, véritable tour du monde des sexualités alternatives, nous a littéralement scotchés. mais rien (vraiment rien) ne laissait présager qu'un souriant trentenaire aux faux airs de guillaume canet nous accueillerait quelques jours plus tard dans son salon minimaliste autour d'un verre d'orangina light. à l'image de son film, raphaël sibilla est un antidote à tous les préjugés. on aurait tort de s'arrêter à l'image du bobo branché ou d'associer son travail à un délire sensationnaliste. pour commencer, ce parisien d'adoption est né à lausanne, en 1972, et s'est formé dans un studio de dessins animés. au bout de deux ans, il plaque tout pour la réalisation, avec un vague projet en tête. armé d'une insatiable curiosité et d'une immense capacité de travail, il a su imposer en deux documentaires son approche des plus singulières. une immersion totale dans un monde parallèle a priori impénétrable. l'itinéraire d'un candide qui s'immisce dans un espace interdit, “par le petit trou de la serrure”, et finit par se confronter à ses propres travers. quête de l'autre et quête de soi : la méthode de raphaël sibilla s'apparente à une initiation. il s'accroche, ne lâche pas, et à mesure qu'il maîtrise son sujet, les freaks de mauvais reportages se changent en visionnaires qui lui ouvrent des voies qu'il ne soupçonnait pas. l'objectif se retourne contre lui, et sibilla d'être l'acteur au lieu du témoin - héros malgré lui d'une passionnante autofiction. à chaque fois, avoue-t-il à demimot, c'est une expérience radicale qu'il a vécu au prix de la dépression. à force de se mettre en danger, on y laisse des plumes.

désorientations. ce qui fascine et dérange tout à la fois, c'est cette façon d'appréhender le réel. quand il s'acoquine avec une section de police de lausanne, caméra dv au poing, dans 117 police secours, réalisé en 2001. pas de voix-off, pas de commentaire : des images à l'état brut qui nous forcent à remettre en question toutes nos idées reçues. quelques années plus tard, sous l'égide du producteur français emmanuel prévost, il se laisse tenter par les sexualités dites “horsnormes” et force les portes d'un monde a priori hostile aux apprentis voyeurs. échangisme, sado-masochisme, fétichisme, scarifications, mutilations, suspensions : sibilla n'y connaît rien. il se démène comme il peut, rencontre une étonnante maîtresse elsa, le performer lucas spira, puis l'artiste matty jankowski qui lui servira de fil rouge tout au long de ses voyages - d'une exposition de l'extrême au brésil à une boîte à fantasme au japon, d'une “torture party” londonienne à un donjon new-yorkais. cinq ans de travail acharné, plus de mille heures de rushes pour le déjà culte no body is perfect (2006), remarqué à locarno, rio, toronto, sitges ou stockholm, et très prochainement sur nos écrans. au gré de ses images violentes et poétiques, le néophyte perd tous ses repères mais trace avec sa caméra une surprenante géographie de l'intime. s'ils semblent appartenir à un monde très fermé, ses sujets ne cessent pourtant de repousser les frontières, de faire éclater les normes. leur terrain d'investigation ? leur propre corps. comme si l'apprentissage de la liberté passait d'abord par une connaissance de soi et de ses propres limites. sibilla s'en rend compte petit à petit : ses personnages lui ressemblent. ils partagent avec lui cette quête ontologique. humaine, trop humaine.

émotions. est-ce là le seul intérêt à exhiber ces mises en scènes du corps mis à mal ? chairs mutilées, visages percés, dos crochetés, jusqu'à cette scène d'une violence inouïe où un homme propose de s'amputer d'un doigt devant la caméra. jusqu'au bout, le tour de force de raphaël sibilla est de sublimer la souffrance. il y parvient grâce à une approche non pas intellectuelle mais sensorielle, mélange de performance et d'esthétique novatrice. “j'avais des frissons quand je filmais”, ditil en se remémorant ce plaisir non dissimulé qu'il a éprouvé au point de ne plus pouvoir s'arrêter de tourner. cette émotion, il la partage constamment avec le spectateur, dans un film où toutes les distances sont abolies. habité par ses sujets, il improvise ses cadrages et joue avec les moyens du bord, de la lumière blafarde d'une cave parisienne aux couleurs délicieusement criardes d'une parade de transexuels. et mirwais, qui a signé l'envoûtante bande originale de no body is perfect, l'a bien compris : nul besoin d'en faire trop - le réel parle pour lui. un réel presque plus fort que la fiction. un réel où le corps et le sexe ne sont jamais esthétisés. un réel aux antipodes de l'imagerie pornographique, mais profondément obscène, monstrueux, car il montre des corps saisis sur le vif, dans leur fragilité, leur maladresse, leur laideur, surtout. bien plus qu'un documentaire, c'est alors un objet cinématographique non identifié, un témoignage profond et audacieux sur les frontières du corps et une réflexion esthétique sur la définition du beau. “il n'y a pas de corps parfait”, ne cesse de dire raphaël sibilla - à prendre au sens propre comme au figuré : la beauté d'une œuvre d'art ne se mesure pas (vraiment pas) à son adhérence aux normes qu'on nous impose.

no body is perfect, prochainement en salles http://www.nobodyisperfect.com dvd disponible sur http://www.artfilm.ch/fr/nobodyisperfect.php

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Keith Story Dans chaque numéro, Keith donne carte blanche à un auteur. Ce mois si, Alysé Meurisse, l’auteur du très remarqué Pâle sang bleu (Allia), nous offre une nouvelle inédite. Un vrai cadeau de fêtes.

Noël,

Les grandes dalles de carrelage éclatant réfléchissent la lumière des vitrines. Les vendeuses surexploitées et exaspérées par les compilations qui passent en boucle dans leurs magasins ont néanmoins les joues roses et l'air épanoui à l'idée du réveillon qui les attend. Les vacances, enfin. Vider la caisse, faire les comptes, fermer boutique, et prendre un bus, dans la nuit étoilée de guirlandes. Traverser la ville, les pieds mouillés, serrées contre des gens gantés, en nez rouge et longs manteaux, enrubannés d'écharpes, les doigts coupés par les poignées de larges sacs satinés en carton bien rigide, remplis de paquets dorés, de petits mots doux, de friandises. La galerie marchande sent bon les cacahouètes caramélisées et les femmes parfumées, il semblerait que le temps passe moins vite, que les gens fassent durer le plaisir, pourtant on ne le voit pas. Je suis fatigué. Je secoue machinalement le cliché Polaroid encore blême, et regarde surgir la panse rouge et le collier de coton de Régis. C'est notre dernier jour de boulot ensemble, ça fait une semaine qu'il fait tourner les mômes sur ses genoux, vêtu d'un beau costume de velours à pompons de fourrure, grosse barbe et petites lunettes rondes à montures dorées, je le trouve plutôt crédible comparé à la plupart des ploucs en costumes de feutre que j'ai eu l'occasion de croiser. Moi, je prends les gamins en photo avec un appareil Polaroid, c'est sûr, j'ai pas une grosse marge de manœuvre artistiquement parlant, mais je suis content, elles sont jolies ces photos mine de rien, et puis je suis un peu nostalgique aussi, je sais que c'est certainement la dernière fois que je fais ça, prendre des photos de gamins sur les genoux de Régis la semaine avant Noël, et ça va me manquer cette atmosphère de grand magasin, cette atmosphère de riches. J'attends Régis, le temps qu'il retrouve forme humaine, pour qu'on aille boire un verre, un truc sucré, un spicy-rhum et coca… Ou un truc chaud…mhh un Irish coffee. Je me demande où se trouve le petit Grec le plus proche, j'ai envie d'un grosse crêpe au nutella, bien épaisse et cartonnée et avec tellement de pâte à tartiner qu'on en a les mâchoires soudées. La superette va bientôt fermer, Régis est pas sorti d'l'auberge, j'en profite pour aller m'acheter un paquet de clopes. La caissière arbore un maquillage nacré multicolore et savamment appliqué, je me demande si c'est habituel ou si elle s'est laissée emporter par l'enthousiasme collectif, en cette période de fêtes où tout le monde s’autorise le plus délicieux mauvais goût, le kitsch, la surcharge magnifique après s'être refréné pendant les onze précédents mois de l'année. J'empoche les cigarettes et tends un billet de 10 euros à la caissière, on me l'arrache des mains, la caissière lève les poignets d'un air hésitant, elle gratte un peu son badge “Nadia”. Un petit personnage armé d'un pistolet vient de surgir à mes côtés. Il porte un masque de clown en caoutchouc mou qu'on dirait tout droit sorti d'une boutique de farces et attrapes des 70's. Un gros nez rouge avec deux trous pour respirer, des faux cheveux rouges bouclés très rêches, presque du velcro. Ce qui est effrayant c'est d'apercevoir sous l'horreur rouge et rose du sourire figé et derrière les petits trous percés dans les yeux peints aux paupières vertes, les vrais yeux vifs d'une petite bête. Nadia vide la caisse -bien pleine- comme on le lui demande, fourre l'argent et le paquet de M&Ms qu'on lui réclame dans un sac plastique et me le tend. On me fourre le canon entre les omoplates et nous voilà partis à toutes jambes. Le pistolet dans le dos, une main serrée sur mon biceps gauche, - à droite ! On me pousse dans la pénombre d'un hall d'immeuble haussmannien, marbré, haut de plafond, avec des miroirs. Quelques instants immobiles à tendre l'oreille, les yeux rivés sur la porte cochère, rien. Ils ont dû perdre notre trace. Quelqu'un allume la minuterie, on entend l'ascenseur se mettre en branle. Le masque tombe, remplacé par une cascade de cheveux et une petite frimousse féminine, je ne suis pas surpris, malgré le grand pardessus, sa petite stature, sa voix et ses petites mains blanches n'ont échappé à personne. Elle s'empare du sac plastique contenant son butin, fourre le masque derrière un pot de fleurs et le pistolet dans sa poche, toujours braqué sur moi, j'ai envie de sourire, mais ses yeux me font changer d'avis.

fait divers.

- Elle est où ta voiture ? T'as une voiture ? - Ouais… pas loin, à deux pâtés de maison… On fait un petit détour histoire d'éviter les lieux du crime. Mon portable sonne, elle me l'arrache des mains, c'est Régis, je lui ai posé un lapin, un soir de réveillon, j'ai un petit pincement au coeur, mais pas le temps de s'apitoyer, j'ouvre la portière de la voiture côté passager, je rentre, elle m'ordonne de me décaler, de prendre le volant, elle entre à ma suite, les sièges sont glacés, on expire de petits ectoplasmes. Je démarre, elle met le chauffage à fond, on s'entend à peine penser. Elle me dirige vers l'autoroute sous une ribambelle de guirlandes lumineuses qui se reflètent joliment sur la carrosserie bleu nuit. Il y a un peu de monde sur la route, mais dès la sortie de la ville, je sens une tension se dénouer entre ses sourcils et aux coins de sa bouche. Elle ouvre le paquet de M&Ms un peu trop brusquement et un petit feu d'artifice lui arrose les genoux, elles les ramasse et les fourre pêle-mêle dans sa bouche. Elle m'en propose un, j'accepte, non seulement parce que j'aime ça, mais surtout parce qu'il me paraît bien plus sage de répondre par l'affirmative à n'importe quelle question lorsqu'elle est posée par quelqu'un qui vous pointe un pistolet sur le bout du nez, c'est l'occasion de sympathiser. - Quelle couleur ? Cette question me prend complètement au dépourvu. - Euh vert, s'il te plaît. Je m'apprête à tendre la main, mais elle s'approche pour me le mettre elle-même dans la bouche. - Comment tu t'appelles ? - Gilles, et toi ? - Comme tu veux - …Anna ? - Ok - On va où ? - T'occupe pas, conduis. Et toi, t'as quelque chose de prévu pour le réveillon ? - Je dîne avec ma famille, chez mon frère et ma belle-sœur… Faudrait que je les prévienne, ma mère va s'inquiéter… - Et tu leur dirais quoi ? - Rien… Que je suis chez des potes, ils me trouveront nul de ne pas faire l'effort de me pointer à la seule réunion familiale de l'année, mais venant de moi ils seront pas tellement étonnés. - D'accord alors, je te mets sur haut-parleur, j'appelle qui ? Elle était déjà en train de faire défiler les numéros de mon répertoire, je lui ai dit d'appeler “Arthur” mon frère, et le tour était joué. Il commençait à faire beaucoup trop chaud, elle a baissé le chauffage, on a entr'ouvert les fenêtres, le froid s'engouffrait vite, la pluie se densifiait. Elle a allumé le poste de radio et on a roulé un moment en silence dans la nuit noire, à regarder passer les lumières et à écouter des voix inconnues et réconfortantes. - Gilles… arrête-toi à la prochaine station-service, j'ai envie de faire pipi. J'en ai profité pour remettre de l'essence dans le réservoir, on a acheté des canettes et des sandwiches un peu mous. Elle avait toujours le pistolet dans sa poche et le faisait un peu pointer de temps en temps comme pour me rappeler que j'étais en son pouvoir. Elle me regardait avec de grands yeux, au fond, c'était très agréable de se sentir l'objet de tant d'attention, d'être un peu moins libre, moins responsable. Elle me poussa vers les toilettes des hommes, et me fit entrer dans une cabine avec elle. - Bah quoi ?! Me regarde pas comme ça ! Tu crois quand même pas que je vais te laisser l'occasion de te faire la malle avec ta caisse pendant que je pisse. Je l'écoute pisser et moi aussi ça me donne envie. Elle déverrouille la porte. Un routier entre et nous voit sortir de là sans paraître trop étonné. Il nous regarde des pieds à la tête ou plutôt la déshabille du regard avant de se retourner vers moi avec un sourire narquois : - Bah joyeux Noël mon pote ! Alysé Meurisse.

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illustration/photo designjune


où nous trouver

Colette. 213, rue Saint Honoré / Le Fumoir. 6, rue de l’Amiral Coligny / Le Paris Paris. 5, avenue de l’Opéra / Aimecube. 7 rue Vauvilliers

02/

Lézard Café. 32, rue Etienne Marcel / Kiliwatch. 64, rue Tiquetonne / Café Etienne Marcel. 64, rue Tiquetonne / QBUnit. 4, rue Tiquetonne / Royal Cheese. 24, rue Tiquetonne / Le Pin Up. 13, rue Tiquetonne / Haya. 102, rue Montmartre

03/

La B.A.N.K. 42, rue Volta / Galerie Eva Hober. 16, rue Saint-Claude / Galerie Chez Valentin. 9, rue Saint-Gilles / Café Baci. 36, rue de Turenne / Galerie Polaris. 5, rue Saint-Claude / La Perle. 78, rue Vieille du Temple

04/

Café des Phares. 7, place de la Bastille / Noir Kennedy. 12, rue du Roi de Sicile / Amnésia. 42, rue Vieille du Temple / L'Etoile Manquante. 34, rue Vieille du Temple / La Chaise au Plafond. 10, rue de Trésor / Féria Café. 4, rue Bourg Tibourg / L'Etincelle. 42 bis, rue de Rivoli / Lizard Lounge. 18, rue du Bourg Tibourg / Calourette. 23, rue du Bourg Tibourg / Quaterback. 21, rue Vieille du Temple / Les Marronniers. 18, rue des Archives / Art Génération. 67, rue de la Verrerie / Le Drapeau. 10, rue du Temple / Open Café. 17, rue des Archives / Comptoir des Archives. 41, rue des Archives / Le Chinon III. 56, rue des Archives / Le Cox. 15, rue des Archives / Moto 777. 52, rue du roi de Sicile

05/

Café Delmas. 2, place de la Contrescarpe / Café Léa. 5, rue Claude Bernard / Aux Délices d'Agathe. 42, rue Broca / Le Contrescarpe. 57, rue Lacépède

06/

La Hune Librairie. 170, boulevard SaintGermain / Les Deux Magots. 6 place Saint-Germain des Prés / Lipp. 151, boulevard Saint-Germain / Le Vavin. 18 rue Vavin / Le Select. 99, boulevard du Montparnasse / L'Atelier. 95, boulevard Saint-Germain / Café Jade. 10, rue de Buci / Les Etages. 5, rue de Buci / Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon / O'Prince. 52, rue Monsieur Le Prince / Lucernaire. 53, rue Notre Dame des Champs / Le Chartreux. 8, rue des Chartreux / Café de la Mairie. 8, place Saint-Sulpice / Coffee Parisien. 4, rue Princesse / La Palette. 43, rue de Seine / Café des Beaux Arts. 7, quai Malaquais / Galerie Kamel Mennour. 47, rue SaintAndré des arts / Lina's. 13, rue de Médicis / Bar de la Croix-Rouge. 2, place Michel Debré / Le café de Flore. 274, boulevard Saint Germain / La marine. 59, boulevard du Montparnasse

07/

Mucha Café. 227, boulevard SaintGermain / 7L Librairie. 7, rue de Lille / Basile. 34, rue de Grenelle / Café le SaintGermain. 62, rue du Bac / Le Bizuth. 202, boulevard Saint-Germain

08/

Lina's. 61, rue Pierre Charron / Buddha Bar. 8 rue Boissy-d'Anglas / Le Paris London. 16 place de la Madeleine / Le Mini Palais. 3, avenue Winston Churchill

09/

Librairie l'Atelier 9. 59, rue des Martyrs / Wochdom. 72, rue Condorcet / La Galerie des Galeries. 40, boulevard Haussmann / L'Hôtel Amour. 8, rue de Navarin / Lazy Dog Citadium. 50, rue Caumartin

10/

Le Point Ephémère. 200, quai de Valmy / Poêle Deux Carottes. 177, quai de Valmy / Le Chaland. 163, quai de Valmy / La Tipica. 4, rue Eugène Varlin

11/

Lazy Dog. 2, passage Thiéré / Café Fusain. 50, avenue Parmentier / Favela Chic. 18, rue du Fbg du Temple / Café Justine. 96, rue Oberkampf / Café Charbon (Nouveau Casino). 109, rue Oberkampf / La Marquise. 74, rue Jean-Pierre Timbaud / Au Chat Noir. 76, rue JeanPierre Timbaud / Le Bastille. Place de la Bastille / L'An Vert du Décor. 32, rue de la Roquette / Pause Café. 41, rue de Charonne / M. and W. Shift. 30, rue de Charonne / Bataclan. 50, boulevard Voltaire / Les Disquaires. 6, Rue des Taillandiers / Auguste. 10, rue St Sabin

18/

Galerie W. 44, rue Lepic

20/

La maroquinerie. 23, rue Boyer / La Flèche d’Or. 102 bis, rue de Bagnolet

Ecoles/

Chambre Syndicale de la Haute Couture. 45, rue Saint Roch. 75001 / ECV. 1, rue du Dahomey. 75011 / Ecole Camando. Les Arts Décoratifs. 266, boulevard Raspail. 75014 / ESRA. 198, rue Lourmel et 135, avenue Felix Faure 75015 / Ecole Architecture Paris Belleville. 78, rue Rebeval / Ecole Architecture Paris La Vilette. 144, avenue de Flandres. 75020 / EICAR. 50, avenue du Président Wilson. Saint-Denis / EFAP. 61-63, rue Pierre Charon. 75008 / Science Po. 27, rue Saint-Guillaume. 75007

Où?

12/

Le Saint Antoine. 186, rue du Fbg Saint Antoine

13/

Les Cailloux. 58, rue des Cinq Diamants / Le Marijan. 20 bis, boulevard Arago

14/

Dalea. 13, boulevard Edgar Quinet / Apollo. 3, place Denfert Rochererau / Zinc D’enfer. 2, rue Boulard / Zango. 58, rue Daguerre / Les Artistes. 60, rue Didot / Café D’enfer. 22, rue Daguerre

16/

Le Tsé. 78, rue d’Auteil / Librairie du Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson K?-82

illustration : designJune

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