LE PATRIMOINE DES CASERNES Identité et reconversion Katia Lafonta
ensaama DSAA Design Espace 2019
LE PATRIMOINE DES CASERNES Identité et reconversion
Katia Lafonta katia.lafontaa@gmail.com Diplôme Supérieur des Arts Appliqués Mention Design d’Espace Session 2019
Je remercie l’ensemble de l’équipe pédagogique de DSAA mention Espace de l’ENSAAMA et plus particulièrement Mme Collomb et M. Valleran pour l’accompagnement et les conseils prodigués tout au long de la rédaction de ce document. Je remercie également l’ensemble des officiers de la caserne de La Benauge pour leur accueil. Enfin, je remercie mes amies de DSAA2, ma mère Sylvie Lafonta, pour leur soutien quotidien.
Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Avant-propos
Surnommée « la belle endormie », Bordeaux est une ville qui ne cesse d’évoluer, s’étendant sans cesse sur un espace ouvert. La Garonne divise la ville en deux rives bien distinctes. Originaire de la rive droite de la ville, il était inévitable pour moi de mettre en avant cette partie de Bordeaux, très longtemps délaissée mais aujourd’hui caractérisée comme un quartier en devenir. Surplombant la rive droite de la ville, la Caserne de La Benauge s’inscrit comme un véritable symbole visuel. Enfant, je passais devant pour aller à l’école, sans connaitre tout l’intérêt architectural qu’elle représentait, créant dès lors, un aspect mystérieux. Classée au monument historique depuis 2014, l’architecture signée Claude Ferret et Jean Prouvé constitue un patrimoine complexe et unique. Suite au déménagement des pompiers de la caserne de la Benauge, le site questionne le devenir, la durabilité et la revalorisation d’une architecture délaissée. Ce mémoire a pour objectif de comprendre les enjeux patrimoniaux et urbains du casernement dans sa possible revalorisation.
Sommaire
Introduction ____________________________________________ 1
Le patrimoine des casernes et ses spécificités_____ 5 Notion du patrimoine : la caserne, architecture rationaliste 5 Le caractère évolutif des casernes _______________________10 Les casernes, entre identité et représentation ____________19
Le patrimoine des casernes sur la scène urbaine _23 Implantation des casernes ______________________________25 Une rupture avec l’espace urbain : une ville dans une ville _27 Une nécéssaire ouverture sur l’espace urbain ____________29
Le patrimoine des casernes et son devenir_______33 Reconversion du patrimoine : palimpseste urbain _________34 Contraintes et potentialités dans la reconversion des casernes _______________________________________________40 Les nouveaux usages ___________________________________45 Conclusion _____________________________________________53 Corpus ________________________________________________57 Glossaire ______________________________________________59
Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
IntroductIon
Au cours du XXè s. , les casernes1 sont conçues comme de réels manifestes politiques, témoins de la force et de la bienveillance du pouvoir. Aujourd’hui perçu comme ordinaire, le casernement a pourtant connu bien des difficultés dans sa mise en place. Au fil du temps, les casernes ont servi et servent encore de cadre de vie à des millions d’hommes mêlant leur histoire à celle de la nation. Pendant des années, leur construction n’ont jamais cessé au rythme de l’accroissement des effectifs des troupes qu’elles abritent. Elles demeurent de nos jours une production unique de l’architecture militaire et prennent le terme de « casernement »2. En 1997, la fin du service militaire obligatoire, l’évolution constante des normes et le manque d’entretien de ces bâtiments remettent en question l’avenir de certaines casernes. De nombreux bâtiments à vocation militaire libèrent alors des hectares de terrains à investir. Cependant, lorsque le bâtiment est inscrit ou classé au titre des monuments historiques, ces complexes révelent de vrais enjeux de reconversion 3du patrimoine. Les casernes sont des éléments structurants de l’urbanisme et il convient de s’interroger sur l’importance de ces bâtiments. De nombreux ouvrages ont été consacrés à la fortification, mais peu ont abordé le domaine du logement de la troupe et des installations nécessaires à la vie du soldat. L’enjeu de ce document est donc d’engager une réflexion autour de l’intérêt des casernes dans leur conservation mais 1.Définition Glossaire p.61 2. Définition Glossaire p.61 3.Définition Glossaire p.61
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également dans leur revalorisation. Ce patrimoine est une importante source de palimpseste4 architectural qui peut être sans cesse repensé et réécrit sur une identité forte. Le casernement est codifié, il respecte des règles et des valeurs. Les enjeux géographiques et financiers sont essentiels , l’enjeu symbolique ne l’est pas moins. Ces réflexions amènent donc à se demander : Comment et à quelles conditions sauvegarder l’identité et les valeurs de la caserne dans une perspective de reconversion5 ? Afin de répondre à cette problématique générale, il est nécessaire d’aborder certaines notions. Que représente le patrimoine des casernes au sein d’une identité fonctionnelle et symbolique ? Quels intérêts architecturaux ces lieux dégagent-ils dans une perspective de reconversion ? Il semble intéressant d’engager une analyse à la fois sur le patrimoine culturel, mais également sur le caractère évolutif des casernes. Comprendre quelles entités sont à conserver au fil des époques afin d’en révéler les spécificités. Les casernes représentent le symbole de la sécurité et de la bienveillance d’une ville. Elles protègent; elles rassurent. Nous aborderons ainsi l’intégration de ces architectures du secours sur la scène urbaine, comme équipement fondamental d’une ville. Quel impact ont-elles sur l’économie d’une ville ? Quel rapport entretiennent elles avec leur environnement ? A la fois fermées et ouvertes, comment interagissent-elles avec l’espace urbain ? Face à ces enjeux géographiques, il semble légitime d’aborder l’implantation des casernes en fonction de leur contexte environnemental. De plus, nous confronterons l’aspect impénétrable de ce bâtiment à sa nécéssaire ouverture. « Les régimes sont dissous. Les casernes se vident. La voici déserte, désaffectée, en quête d’un avenir. » déclare Jean Mouly6 face à la fermeture de la caserne d’Angers . Nous engagerons à la fin de ce document une réflexion sur la réhabilitation7 de ces infrastructures hors normes. Ainsi, comment réinvestir un lieu à forte identité afin de le faire perdurer dans le temps ? A quelles conditions peut-on considérer que le patrimoine des casernes est transmis en dépit de ses transformations ?
4. REY, Alain. 2005. Dictionnaire culturel en langue française. Le Robert, définit le palimpseste comme un «manuscrit dont on à effacé la première écriture pour pouvoir écrire à nouveau.» 5. Définition Glossaire p.61 6. MOULY, Jean ; DELLEMAGNE François. 2005. Patrimoine militaire. Paris. Bulletin monumental. 328 p. ISBN 2-86656-293-3. 7. Définition Glossaire p.61
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Les spécificités du patrimoine des casernes notIon du PAtrIMoInE : LA cASErnE, ArcHItEcturE rAtIonALIStE
Afin d’aborder le sujet des casernes, il s’agit tout d’abord de s’intéresser à la notion de patrimoine. Dans son sens le plus large, le patrimoine culturel représente un ensemble de ressources héritées du passé, créées dans le présent et mises à disposition en faveur des générations futures. Le temps émerge de cette notion par le respect de l’histoire passée, de celle vécue et sa sauvegarde à venir. C’est ainsi qu’en 1964, la charte de Venise sur la conservation et la restauration des monuments émet un interêt particulier à la conservation et à la sauvegarde du patrimoine. Emane au sein de cette charte la notion de conservation des monuments mais surtout cette métaphore de l’art comme témoin de l’histoire. La notion de patrimoine représente, en grande partie, le capital culturel d’un pays, d’un peuple, d’un territoire. C’est un moyen de transmission des connaissances et des compétences entre les générations. Le patrimoine est témoin d’une vie, d’une époque, mais surtout témoin du temps. Pour chacun d’entre nous, il représente une mémoire, une trace du passé qui nécessite une approche mettant l’accent sur la durabilité, sur la transmission. Outre cet aspect historique, le patrimoine culturel met en exergue un aspect économique engendrant de nouveaux défis de conservation. Cet aspect économique crée d’une part un impact positif dans la valorisation de l’oeuvre, mais également des effets pervers sur l’histoire du lieu. En effet, Françoise Choay dans son oeuvre Allégorie du patrimoine8 dénonce le culte actuel du patrimoine en parlant d’un universalisme patrimonial. Ce dernier devient alors banal et universel, et entraine des monuments à devenir des centres touristiques avant d’être des lieux de vie. Ainsi, la valeur esthétique triomphe face à la valeur historique. « 8.CHOAY Françoise. 1992. Allégorie du patrimoine. Paris. Ed. du Seuil. 272 p. ISBN 978-2020300230
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L’architecture est le seul, parmi les arts majeurs, dont l’usage fasse partie intégrante et entre avec ses finalités esthétiques et symboliques dans une relation complexe ». déclare Françoise Choay. De ce fait, l’usage et l’image sont indissociables. Ainsi, dans notre société, le patrimoine culturel dissocie l’aspect historique d’un lieu à la vie qui commande son existence. Il faut alors trouver un point d’équilibre, entre la valeur historique/ esthétique et son expérience et sa pratique. Il est donc intéressant de s’interroger sur le lien existant entre l’objet architectural, et son utilisation afin de comprendre la valeur du patrimoine dans son ensemble. L’écrivain italien Camillo Boito9 met en avant cet aspect du respect du patrimoine par la valeur historique. En effet, pour lui, déterminer la période historique marquante du lieu permet de justifier son intérêt patrimonial. Sa théorie de la restauration est fondée sur le respect et sur le maintien de l’authenticité de l’œuvre.10 « L’architecture est le seul art dont les oeuvres exigent d’être matériellement étudiées et parcourues.»11 En outre, elle implique l’investissement du corps entier, sollicitant à la fois l’usage, mais également la sensibilité esthétique et donc la perception visuelle. Nous pouvons ainsi mettre en avant une réflexion : La restauration est nécessaire afin de faire perdurer le patrimoine et sa valeur culturelle, mais cependant, elle ne doit pas être uniquement vouée à une esthétique et ainsi respecter les marques du temps comme singularité de l’édifice. Cet aspect du patrimoine culturel est rarement réalisable au sein de certaines architectures où l’usage crée lui même l’esthétisme du bâti. En effet, l’usage et la forme sont la définition même de l’architecture des casernes, pouvant alors se définir comme architecture rationaliste, et/ou fonctionnaliste. L’architecture rationaliste développe l’idée d’une structure créant ellemême l’espace, sans nécessiter une ornementation.12
9. BOITO Camillo. 2013. Conserver ou restaurer. Paris. Ed. de l’encyclopédie des nuisances. 10. L’aspect de l’authenticité à été mis en avant par Ruskin dans son ouvrage Les sept lampes de l’architecture, publié en 1879. Il définit les valeurs de l’architecture et met un accent majeur sur l’historicité d’un monument. 11. CHOAY Françoise. 1992. Allégorie du patrimoine. Paris. Ed. du Seuil. 272 p. ISBN 978-2020300230 12. Le rationalisme a également joué un rôle dans l’architecture pour Viollet- Le-Duc, définissant l’architecture comme art de la science.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Afin d’argumenter ce propos, il est intéressant d’aborder l’exemple de la caserne des pompiers de l’architecte Mallet-Stevens. La caserne de pompiers de la rue Mesnil est son unique commande publique, réalisée en 1936. Marqué par une culture des arts décoratifs, Mallet Stevens se doit ici de s’adapter à une demande précise, réalisant une architecture fonctionnaliste au sein d’une parcelle tout en profondeur. Le principe de l’architecte réside dans l’adéquation entre un programme spécifique des sapeurs-pompiers et l’architecture proposée. Ce concept traduit une organisation rationnelle dans l’architecture des casernes ancrée dans un usage précis. La caserne de Mallet- Stevens13 regroupe trois entités : le poste de secours, les espaces communs des sapeurs pompiers et les appartements des ménages. Ces trois entités sont visibles de l’extérieur permettant d’en distinguer ses fonctions et sa répartition. Par une architecture fonctionnaliste et rationaliste, l’architectuture des casernes est dictée par des besoins spécifiques et par l’expérience de l’espace.
Logements en L et escaliers de secours
Dortoirs au R+2 Bureaux au R+1
Garage
Schéma des différentes fonctions de la Caserne de Pompier Mallet-Stevens.
13. MALLET SEVENS Robert. Caserne de Pompier de la rue de Mesnil, Paris, 1936
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Ne faisant pas partie intégrante du mouvement fonctionnaliste, Mallet Stevens a pour autant crée une organisation rationnelle, montrant que cet aspect est indissociable des casernes. Ainsi, la rapidité d’intervention est à prendre en compte afin de faciliter le mode opératoire des sapeurs pompiers. Mallet Stevens a prévu de manière très fonctionnelle trois entrées sur la rue, permettant de l’extérieur d’avoir divers accès en fonction de l’usage voulu.
Entrée espaces communs Garage
Entrée logements
Élévation de la façade, Caserne Mallet Stevens mettant en avant les trois entrées différentes.
La forme de la caserne retrace l’expression de son usage. Elle se construit par son quotidien ce qui en crée une esthétique unique. Les casernes représentent dès lors un patrimoine à caractère à la fois historique et esthétique, indispensable au bon fonctionnement d’une ville et à la sécurité d’un peuple. Nous pouvons ainsi définir le caractère patrimonial de ces architectures d’urgence d’une part par l’objet perçu, par ses valeurs esthétiques, mais également par l’expérience vécue dans le temps.
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Les spĂŠcificitĂŠs du patrimoine des casernes
Caserne de Pompier, 8 rue de Mesnil, 16ème arrondissement, Paris, 1936, Photographie prise en 2005.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Mais cet objet, symbole de protection d’une ville n’a t’il pas subi une évolution au fil du temps ? Dans le cas des casernes, quelle entité est conservée et à contrario, quel aspect disparait ?
LE cArActèrE évoLutIf dES cASErnES Afin d’appréhender les spécificités de l’architecture des casernes, il s’agit ici de questionner la persistance des casernes à travers le temps. La caserne est un bâtiment destiné à loger des troupes. Le casernement, quant à lui, présente de multiples fonctions, véritable lieu de vie. Chaque caserne se différencie par son usage : Caserne d’artillerie, de cavalerie, de gendarmerie, des pompiers mais également par son époque. Avant la création du casernement, les soldats logeaient dans les maisons des citoyens en raison de leurs déplacements réguliers. Au fil du temps, le nombre de soldats a décuplé en France, exigeant à repenser aux logements des troupes. Peu à peu, les villes transforment des granges et des bâtiments abandonnés, pour par la suite, construire des lieux spécifiques aux troupes. Dans la plupart des cas, les casernes étaient implantées en marge de l’urbanisation, car peu de ressources financières étaient disponibles pour leur construction. Les premières casernes ont pour modèle la maison bourgeoise caractérisée par l’indépendance et l’intimité de chacun. N’est ce pas contradictoire avec l’esprit de communauté militaire ?
Façade d’un corps de caserne et d’un pavillon d’officiers avec plan. Belidor, 1729, La Science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d’architecture civile, Claude Jombert, Paris.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Plan type d’un rez de chaussée des casernes à partir du XVIIIème comportant une grande cour centrale, un rez de chaussée élevé et vouté occupé par les écuries. Les hommes logent au-dessus de leurs chevaux et les officiers disposent d’un pavillon à part.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Pour François Dallemagne14, c’est au XXè siècle que le changement architectural des casernes est le plus signifiant. En effet, après la première guerre mondiale, on assiste à un bouleversement complet dans la conception de la caserne, prônant avant tout l’aspect fonctionnel. Aujourd’hui, l’architecture des casernes reflète la fonctionnalité et l’esthétisme militaire, et évolue au fil du temps. Ces dernières s’implantent au coeur de la ville afin de faciliter le déplacement des officiers, permettant une efficacité et répondant aux besoins émergeants. Afin d’appréhender les spécificités des casernes, il est intéressant d’aborder le caractère évolutif de ces architectures permettant d’en dégager des spécificités pérennes ou au contraire, éphémères. La typologie, la distribution des espaces et les fonctions de casernement ont-elles évolué dans le temps ? Le temps a t-il impacté la définition même de la caserne ? Quels intérêts architecturaux peut-on dégager de ces infrastructures hors normes ? Pour cela, on se doit d’analyser différentes typologies de caserne pour en dégager certains principes. Les trois casernes sélectionnées sont chacune issue d’un mouvement architectural ( dans l’ordre : fonctionnaliste, brutalisme et contemporaine).
Claude Ferret, Jean Prouvé, Caserne de La Benauge, Bordeaux, 1952.
14. DALLEMAGNE François, 1990, Les casernes Françaises, Picard, Paris.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Jean Willerval, Caserne Massena, 13ème arrondissement, Paris, 1973.
Jean Dubus , Caserne d’Ivry, Ivry, 2014.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Le choix de ces casernes s’est fait selon leur localisation, chacune ancrée au sein d’un espace urbain, et surtout toutes situées en France. Souvent imposante, monumentale, la caserne domine le paysage. Visuellement, un lien émerge de ces trois architectures, et cela par leur forme linéaire, géométrique et rigoureuse. Comme nous pouvons le constater, une certaine continuité architecturale est visible. Les trois architectures sont rigoureuses, chacune composée d’un bâtiment principal rectangulaire. La caserne de Bordeaux et la caserne Massena ont une échelle de logement plus importante, en raison de leur date de construction et des besoins émergents de la ville à cette époque. Au cours des années 60, François Dallemagne souligne l’influence des grands ensembles sur l’écriture architecturale des casernes. Il met en avant une certaine standardisation : « Le cadre de vie des soldats doit s’aligner sur celui des collectivités d’une usine, il a la même rigidité, la même pauvreté, la même monotonie ».15 Cependant, il semble légitime d’interroger cette déclaration. Les deux batiments du XXè siècle présentent un certain contraste avec le paysage environnant. La caserne de Bordeaux est en opposition avec les niveaux des échoppes bordelaises et la caserne Massena se démarque par sa structure imposante de « vaisseau »16. Cependant, cet aspect de la standardisation se perçoit au sein de l’architecture du casernement actuel. La caserne d’Ivry est insérée au sein de la ville entre deux bâtiments existants, mettant en avant l’intégration architecturale du bâti et son appropriation contextuelle. En effet, la hauteur du bâtiment est similaire à celles des habitations, la végétation camoufle cette dernière, créant une architecture neutre et « muette ».17 En ce qui concerne les usages, de 1952 à 2008, chaque corps de bâtiments est toujours présent, qu’il s’agisse des logements des familles, de la tour de séchage ou encore du réfectoire. Le garage est situé en bordure de route permettant un lien entre l’espace urbain et la cour intérieure.
15. DALLEMAGNE François, 1990, p.213, Les casernes Françaises, Picard, Paris, 256 pages. 16. L’architecte Jean Willerval déclare : «ce bâtiment au mouvement de vaisseau arrondi de la coque et de la proue posé sur la pente du boulevard». Photographie voir annexe. 17. La notion de «maison muette» fut abordée par Adolf Loos dans sa mise en place du Raumplan. Ce concept met l’enveloppe architecturale en second plan laissant la liberté de composition à l’organisation de l’espace intérieur.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Bureaux
Garage
Logements
Tour de séchage
Claude Ferret, Jean Prouvé, Caserne de la Benauge, Bordeaux, 1952
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Jean Willerval, Caserne Massena, 13è arrondissement, Paris, 1973.
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Jean Dubus , Caserne d’Ivry, Ivry, 2014.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Cependant, quelques différences sont perceptibles. En effet, les deux premières casernes créees entre 1950 et 1975 sont des architectures décomposées. Ces casernes répondent à une composition fonctionnaliste, celui de l’assemblage de formes autonomes et adaptées, liées entre elles uniquement par des relations fonctionnelles. L’indépendance de chaque volume garantit une certaine lisibilité de la distribution des fonctions essentielles du programme. Ces architectures composées ont été réalisées dans un contexte démographique et géographique différent de la caserne d’Ivry. De ce fait, l’absence de place, la limite du contexte a imposé une architecture unie, créant un ensemble densifié. En outre, la caserne d’Ivry se construit par stratifications, par niveaux et non par modules, chacun lié par des circulations, créant des artères dans l’espace. On se doit également de comparer ces architectures en tenant compte de leurs échelles. Proposant que 17 logements contre 145 pour la caserne Massena, la caserne d’Ivry ne répond pas aux même enjeux, ni aux mêmes besoins de l’époque. En effet la place de l’habitat au sein des casernes a progressivement diminuée, mettant à profit des fonctions secondaires.18 En outre, les casernes de La Benauge et la Caserne Massena se démarquent en raison de leur barre de logements imposante, répondant à la demande de casernement de l’époque, mais également en raison de leur implantation, toute deux situées en périphérie de la ville. De manière générale, l’écriture, la conception architecturale se crée par le sentiment de l’urgence, par l’exécution et ainsi par leur usage. Ces trois architectures ont en commun la bonne fonctionnalité du lieu, l’optimisation des espaces sans débordements ou gênes quelconques. Au sein d’un contexte écologique, nous pouvons également percevoir une différence accordée à la place de la nature, des espaces verts au sein de l’architecture de l’urgence. Entre 1950 et 1970, les casernes ne possèdent pas ou peu de végétation, mettant en avant une architecture brute. Cependant, au sein de la caserne d’Ivry plus de 500 m² de respiration végétale sont donnés à la ville et intègrent à l’architecture un certain dynamisme.
18. Fonctions secondaires : Salle de sport, espaces de repos, espaces communs, réfectoire, tour de séchage, bureaux, ateliers..
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Caserne d’Ivry, 2 rue du professeur Calmette, Ivry, 2014, Jean Dubus. Cette photographie met en avant l’immersion de la caserne dans son environnement mais également l’emprise de la nature sur le bati.
On peut alors donner différents points de vues de ces évolutions. D’une part, la caserne est plus intégrée aux villes et n’apparait plus aussi imposante et radicale au sein du contexte environnemental. L’esthétisme brutal de l’architecture moderne des casernes est de plus en plus blâmée par sa froideur et son impact sur le paysage urbain, jugé aujourd’hui trop imposant. Nous passons ainsi d’un vaisseau, d’un bâtiment hors normes et remarquable à une structure immergée et fondue dans l’espace urbain. Cependant, cette standardisation des casernes au sein du paysage urbain fait surgir une nouvelle problématique. En effet, l’identité même d’une caserne n’est-elle pas son aspect hors du commun, non standardisé ? Si ces notions sont supprimées, n’estce pas desservir l’identité même du lieu ainsi que sa représentation et son intérêt actuel ?
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Les trois tours de séchage des trois casernes abordées. La forme de l’architecture évolue, se simplifie mais son usage reste toujours ancré dans la composition d’une caserne. Elles sont inaccessibles pour les habitants extérieurs mais leur visibilité évolue. Les deux premières sont imposantes, sont perçues, contrairement à celle d’Ivry qui n’est pas visible pour les passants.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
LES cASErnES EntrE IdEntIté Et rEPréSEntAtIon L’architecture des casernes possède une vraie identité mise en forme par ses occupants. Elles deviennent le marqueur de l’identité d’un peuple, et l’expression de son usage. Dans son livre Temps et récit, Ricoeur19 met en avant la différence entre l’identité formelle/substantielle de l’identité narrative. Par cette approche, nous verrons qu’il est important pour ces architectures de distinguer le symbole d’un lieu de son identité. Entre son usage et sa forme, qu’est ce qui fait l’identité même de la caserne ? C’est ainsi que l’on oppose la représentation d’un lieu à son usage, à sa fonction. Dans le cas des casernes, nous pouvons aborder le symbole de l’autorité, de la sécurité mais également de la bienveillance. Dans un autre sens, l’identité de ce lieu passe par ses usages et ses pratiques. Si on suit la théorie de Ricoeur, l’identité formelle se montre, se voit, et l’identité narrative se ressent et se vit. En outre, on observe deux temporalités au sein de ces deux identités. La première est pérenne et éternelle (sauf en cas de changement esthétique, de transformation ) et la deuxième est changeante et mobile. Ces notions évoquées par Paul Ricoeur nourissent alors une réflexion autour de l’identité même des casernes. Dans ce cas précis, l’identité formelle de la caserne s’apparente alors à son apparence, à sa structure même, tandis que l’identité narrative se caractérise par les usagers et par leur vécu. Deux identités s’opposent : une identité visible de l’extérieur, de l’enveloppe architecturale et une identité vécue de l’intérieur, la pratique du lieu. En découlent certaines questions : que représente le patrimoine des casernes pour ses usagers ? Et que représente t-il vu et perçu de l’extérieur ? Perçu de l’exterieur, ne peut-on pas parler d’une nouvelle forme d’usage ? La caserne de pompier est dans la majorité des cas en plein centre d’uneville, d’un village.20 Cette dernière constitue un vrai point de repère pour les habitants qui se sentent rassurés et en sécurité. Pour les habitants 19. RICOEUR Paul. 1991. Partie III. Temps et récit. Paris. Ed. Points Essais. 320 p. 20. En ce qui concerne les régiments et casernes militaires, l’implatation diverge en raison de la superficie de ces lieux. Construites à l’origine en périphérie, nombreuses d’entre elles se situent aujourd’hui en centre-ville en raison de l’urbanisation ayant implantée de nouveaux quartiers aux alentours.
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d’une ville, la caserne représente non seulement une époque, mais elle est témoin de la protection et de la sécurité d’un territoire. Une identité commune émane de ces édifices qui en fait alors une pièce essentielle dans l’espace environnant. L’identité du lieu permet ainsi d’aborder les points essentiels de la caserne dans son objet architectural, et donc dans son identité formelle. Que faut-il conserver, ou au contraire modifier en prenant compte de l’identité narrative du lieu ? Que saisit-on spontanément dans ces lieux permettant de s’identifier à lui ? Premièrement, l’aspect essentiel de la caserne comme nous l’avons dit précédemment réside dans son apparence, sa forme première, son premier coup d’oeil. Cette dernière nous surplombe, nous rassure et nous protège. C’est ainsi sa peau et son enveloppe architecturale qui créent ce sentiment. Christian Norbert Schulz21 parle du langage architectural dans la vision première du bâtiment. Il définit ainsi cette vison de l’architecture par son contour, son plan. Le contour nous donne une ambiance, une image et le plan nous donne une échelle ( c’est à dire la place du corps face à l’édifice). Ainsi, les casernes sont vécues par l’habitant car elles sont là, s’ouvrent et se ferment, vivent et s’accordent avec leur environnement. La forme première, la figure, détermine l’ensemble typique22. Mais qu’est ce que le typique d’une caserne ? Le typique d’une caserne est ce qui l’a fait reconnaitre comme telle, ce qui est à conserver dans son identité formelle. Cependant, pour certaines casernes, il semble difficile de les reconnaitre directement. On reconnait une écurie par sa disposition en plain pied, la multiplication des boxes les uns après les autres et par l’ambiance chaleureuse qui s’en dégage. La caserne quant à elle se reconnait par ses garages en bordure de route, par sa façade de logements imposante, et son aspect impénétrable . C’est durant la seconde moitié du XXè siècle que le logement familial prend toute son importance, créant des casernes comme des grands ensemble. Le typique d’une caserne évolue en fonction des époques, mais également en fonction de la place du corps. La représentation de la caserne ne réside ainsi pas uniquement dans une perception sensorielle (dans sa forme) mais prend surtout en compte l’individu dans sa totalité, et se réfère ainsi à sa corporalité . L’aspect uniquement visuel ne suffit pas à entrevoir l’identité du lieu, le corps a toute son importance.
21. NORBERT-SCHULZ Christian, 1997 , Le langage. In L’art du lieu. Edition du moniteur. France. Paris. 311 p. ISB 2.281.19096.X 22. Selon les ressources textuelles et lexicales, le typique se définit comme : ce qui présente les caractères les plus marquants d’un type, qui constitue un symbole.
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Les spécificités du patrimoine des casernes
Nous pouvons ainsi prendre l’exemple de la caserne de Bordeaux, mettant en exergue divers interprétations selon notre point de vue. De loin, la barre de logement est omniprésente et comprendre la fonction de casernement n’est pas évident. C’est une fois qu’on aperçoit les portes de garages ouvertes que la fonction du lieu prend vie. Ainsi, la représentation qu’on a d’un lieu s’exprime essentiellement par son usage. L’écrivain et ancien architecte militaire François Dallemagne déclare « Parler des casernes, c’est parler des hommes ». L’identité de la caserne découle des personnes qui l’investissent. On en vient ainsi à parler de l’usage du lieu dans son identité narrative. L’usage est interne, la représentation externe. Dès lors, la relation intérieur/extérieur est essentielle. Franchir ce seuil permet d’aller au delà du premier coup d’oeil. Comme le soutient Christian Norbet Shulz, la valeur de l’architecture passe par son unité entre les usagers. Pour le casernement, l’unité se perçoit dans son atmosphère et dans son usage à caractère commun : la bienveillance et l’aide à autrui. Malgré une architecture souvent décomposée, la fonction donnée à usage unique en fait un lieu soudé, porteur de valeurs. L’usage du bâtiment contrairement à sa forme en fait quant à lui un lieu de vie, dynamique et chaleureux, rythmé par l’action de ses occupants. La perception extérieure des casernes a toute son importance. Cette dernière influe notre comportement, notre rapport au lieu et à son usage. De plus, la grandeur de ces objets au sein du paysage environnant en font de vrais symboles visuels. Comment les casernes s’implantent t-elles au sein de l’espace public ? En accord avec leur apparence, représente-elles des lieux impénétrables ? Ou au contraire, peut-on penser à ouvrir ces lieux sur l’espace public ?
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Le patrimoine des casernes sur la scène urbaine
Le patrimoine des casernes sur la scène urbaine
Parler des casernes, c’est parler d’architecture au sens le plus large du terme. Non pas seulement en terme de fonctionnalité ou d’esthétique, mais aussi dans un contexte géographique et social. Dans un premier temps, avant d’introduire les casernes dans un contexte urbain précis, il est important d’aborder les statuts existants. En effet, nous distinguons en France les casernes militaires des casernes de sapeurs-pompiers. Sont dites casernes militaires : Caserne de l’armée de terre, de l’air, de la gendarmerie nationale ou encore marine nationale. L’implantation des casernes est differente selon la fonction de cette dernière. En outre, les casernes militaires se situent dans la plupart des cas en périphérie de la ville, demandant une plus grande emprise au sol. Ces premières casernes, régiments et garnisons constituent une veritable ville dans la ville.
Caserne Vincent
Cour intérieure
Environnement
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Nous pouvons alors différencier les casernes militaires des casernes de pompiers. La caserne Vincent, caserne militaire, (schéma p.23) constitue l’emprise foncière la plus importante du centre-ville de Valenciennes, soit près de 18 000 m2. Construite en 1827, cette dernière est constitué de trois bâtiments principaux, disposés en U autour d’une place des armes. L’urbanisation l’ayant rattrapée, elle est maintenant encerclée de nouvelles habitations et quartiers, créant un tissu composite. La caserne des pompiers de Bercy se situe quant à elle autour de la place Lachambeaudie, à Paris, près des voies ferrées. Contrairement à la caserne Vincent, cette dernière d’une emprise au sol de 350 m2 constitue un service public à plus petite echelle, intégrée à une vie de quartier. La place Lachambeaudie, l’église, l’école maternelle et la caserne crée alors l’un des premiers lieux de vie de Bercy en 1870.
Voies ferrées Batiments environnants Caserne de Bercy
Schéma de situation de la Caserne de Bercy, place Lachambeaudie, 12ème arrondissement.
De plus, une ambiguité est perçue au sein des casernes de Pompiers. En effet, les casernes de la Brigade de sapeurs pompiers de Paris ( BSPP) ainsi que le bataillon de sapeurs pompiers de Marseille (BMPM) sont assujettis à la fonction militaire. Les sapeurs pompiers militaires ne représentent que 5% des sapeurs pompiers de France. Ainsi, le service est privé pour l’armée et public pour les centres d’incendie de Secours. Cette distinction du casernement impacte l’aspect juridique des officiers. Ainsi, cette différenciation n’affecte ni l’aspect architectural, ni l’identité du lieu. Les moyens militaires peuvent prêter main-forte aux sapeurs-pompiers dans un périmètre donné par les conventions locales.
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Le patrimoine des casernes sur la scène urbaine
Outre un changement de statut juridique, les casernes diffèrent t-elles en fonction de leurs implantations ? Au sein d’une ville, quel rapport le casernement a t-il avec l’espace urbain ? Belidor23 déclare « Les casernes se construisent de plusieurs façons selon la situation de l’endroit qui leur est destiné. »
IMPLAntAtIon dES cASErnES Les casernes sont reliées à un territoire précis, elles sont indispensables à la sécurité d’une ville. Ces architectures ont ainsi été construites au sein d’un endroit stratégique, permettant de répondre à des problématiques d’accès et de déplacement. Comment la caserne s’intègre t-elle au sein de son territoire ? En France, y a t’il une réglementation sur sa localisation géographique ? Au fil des siècles, les casernes ont formé un ensemble d’une grande diversité qui divergent par leur localisation, leur surface et leur aménagement. Les infrastructures de casernement répondent à deux enjeux géographiques : l’enjeu urbain et l’enjeu périphérique. Dans un premier temps, ce sont les villes qui accueillent les casernes. En effet, l’intégration à l’espace urbain permet de répondre à un souci d’efficacité de l’intervention. Afin d’aborder la question de la réglementation, nous nous intéresserons au casernement des sapeurs pompiers, soumis à une implantation très stricte. Selon la loi du Land de Hesse du 17 décembre 1998, « Les communes ont notamment l’obligation de disposer d’un corps de sapeurs-pompiers correspondant aux besoins locaux et susceptible d’intervenir à tout moment et en tout lieu dans un délai de dix minutes suivant l’alarme ». Ainsi, la localisation d’une caserne de pompiers dépend clairement des besoins et de la demande d’une ville. Pour cela, des zones à risque sont identifiées formant un découpage territorial appelé le PLU ( Plan Local d’Urbanisme ). Le nombre d’habitants d’une ville va influencer l’effectif de la brigade, qui à son tour influence la taille de l’architecture.Le nombre de casernes par ville est donc proportionnel au nombre d’habitants. Par exemple, la ville de Bordeaux compte aujourd’hui quatre casernes de pompiers pour 245 000 habitants en centre ville ( l’agglomération compte 945 000 habitants). Quant à Paris, la BSPP se compose de 81 casernes, pour une agglomération de 10,71 millions d’habitants. Ainsi, 23. BELIDOR. 1729. La science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortication et de l’architecture civile. Paris. Ed Claude Jombert
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
si l’on calcule le nombre d’habitants pour une caserne : Pour Bordeaux, on décompte une caserne pour 230 000 habitants. Pour Paris, ça en est la moitié soit une caserne pour 130 000 habitants. Cependant, ces chiffres sont à nuancer. Le nombre de casernes se doit de varier en fonction du nombre d’habitants, mais pas seulement. En effet, le découpage territorial de casernement est réalisé en fonction du temps d’intervention calculé par leur proximité aux divers axes routiers. Pour une ville comme Paris, la densité de la circulation évolue en permanence faisant perdre des minutes précieuses. Ainsi, sans un nombre considérable de casernes dans le centre de Paris, la Brigade ne pourrait intervenir dans de bonnes conditions. Cependant, face à des besoins émergents et une ville en constante évolution, la brigade doit s’adapter et trouver de nouvelles solutions. Ainsi, en 2017, Le Parisien24 met en avant un nouveau moyen d’intervention, la brigade fluviale : « la brigade de sapeurs-pompiers de Paris réfléchit, elle, à des interventions à l’aide de bateaux qui navigueront sur la Seine ». De ce fait, la ville influence l’implantation d’une caserne ainsi que son organisation et son usage. Face à de nouveaux enjeux urbains, le contexte géographique impose de nouvelles problématiques et ainsi de nouveaux usages. La traversée d’un fleuve au sein d’une ville apporte un nouveau mode d’intervention non négligeable. A Bordeaux, la Garonne représente également une artère vitale pour la ville, et un point d’ancrage pour la caserne.
La caserne de La Benauge située à Bordeaux au 1 rue de la Benauge. Le site se tourne délibérément vers la Garonne.
24. CONSTANT, Julien. 11 septembre 2017. « Embouteillages : les pompiers chronomètrent leurs temps de trajet ». In : Le Parisien.fr [EN LIGNE] Disponible sur : < http://www.leparisien.fr/transports/ embouteillages-les-pompiers-chronometrent-leurs-temps-de-trajet-11-09-2017-7250493.php> Consultée le 13/20/2018
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Le patrimoine des casernes sur la scène urbaine
LES cASErnES En ruPturE AvEc L’ESPAcE urbAIn : unE vILLE dAnS unE vILLE. L’organisation interne des casernes peut être perçue comme une métaphore de la ville, une société repliée sur elle-même, comme un lieu impénétrable. Mais cette rupture est donnée par son usage unique, non ouvert au public. La caserne est un lieu fermé, qui, de manière générale n’est pas pénétrée par autrui. On observe alors un paradoxe : on y est lié tout en y étant séparé, exclu. Un rapport d’inclusion et d’exclusion est perçu. C’est un lieu privilégié presque clos et confidentiel . On respecte le lieu mais surtout la vie de ces résidents. Selon François Dallemagne25, à partir de 1950, les casernes ont été conçues comme des campus universitaires, avec pour intention la recherche de l’anonymat. Pour l’auteur, la finalité du casernement serait l’instruction, d’où l’idée de concevoir la caserne comme une université militaire, un vaste campus. Cette idée de campus met en avant deux visions : d’une part, la caserne est recroquevillée sur elle même, créant un monde à part. Deuxièmement, cette idée renforce un lieu fort et uni au sein de la brigade constituant une vraie communauté . La particularité de la caserne relève ainsi de cette fusion entre l’usage personnel et professionnel. Lorsque le mot caserne apparaît dans le champ de la sociologie26 il est assez souvent synonyme « d’institution totale ». Ce terme regroupe plusieurs caractéristiques dont celle de la non séparation entre lieu de vie et le lieu de travail. Ce mode de vie impose une architecture marquée par de nombreuses règles formelles et informelles. L’infrastructure est dite autoritaire par la présence de nombreuses règles, mais également par une hiérarchie imposante. Il s’agit d’un règlement intérieur qui a en charge la gestion quotidienne de la vie en collectivité. Le mode de vie d’une caserne en fait un lieu à part entière, régi par des codes et des normes. La vie en caserne est marquée par certaines valeurs comme l’entraide, le respect des autres et la solidarité. Cela conduit à une forte dépendance des comportements de la part des usagers qui en fait une vraie communauté. Cet aspect met en avant un territoire non pénétrable, 25. DALLEMAGNE, François. 1990 Les casernes Françaises. op.cit p16. 26. Michel Foucault travaille sur la sociologie des institutions. introduisant le concept des institutions disciplinaires (écoles, prisons, usines, casernes, hôpitaux) qu’il conçoit comme une vraie problématique sociale. Cela est particulièrement travaillé dans son livre Surveiller et punir, 1975
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privilégié, révélé par une image militaire qui nous impressionne mais également par une unité qui nous rejette. Pour cela, il semble intéressant d’analyser une typologie de caserne comportant les caractéristiques établies précédemment. La caserne de Sévigné, inscrite au monument historique met en avant le caractère fermé et inaccessible de ces lieux. Mais l’histoire de cette caserne est toute particulière. Installée au sein du bâtiment depuis deux siècles, la caserne était anciennement un hôtel particulier : l’hôtel de Chaligny. C’est en 1814 que cette dernière devient la première Caserne des sapeurs pompiers de Paris. De nos jours, les éléments historiques se mêlent aux aménagements modernes imposés par de nombreux désagréments. N’étant pas destinée à devenir une caserne, se pose alors la question de l’héritage patrimonial dans l’adaptation aux usages. Le batiment sur cour, la porte cochère sont des éléments spécifiques aux batiments du XIXè siècle, s’adaptant idéalement à l’architecture des casernes. Ainsi, un aspect va lier étroitement l’identité hôtelière à l’identité militaire : la discrétion; le privilège.
Entrée principale de la Caserne Sévigné au 9 rue de Sévigné, 4ème arrondissement. La porte cochère est une grande porte permettant le passage des véhicules et également des piétons. Cette dernière donne accès dans la plupart des cas à une cour intérieure.
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Comme nous pouvons le voir, la porte donnant sur la rue Sévigné est imposante, mais discrète par son intégration à l’architecture environnante. Rien de ce qui se passe à l’intérieur n’est perçu, l’entrée forme alors un mur créant une rupture entre la ville et son fonctionnement intérieur. Cet entrée datant de 1814 est préservée, et ce sont les usages qui vont s’adapter au bâtiment existant. Ainsi, les camions vont être affinés aux tailles des coches afin de pouvoir s’introduire dans la cour sans pour autant dégrader l’architecture. Une fois cette porte bleue ouverte, une artère, une ruelle se dessine entre la cour intérieure et la ville de Paris. Cette cour dessert les différents pôles de la caserne. Anciennement caractérisée comme un « couvent »27, elle offre aux officiers tous les services nécessaires : infirmeries, réfectoires, dortoirs, gymnases, créant presque un micro-quartier se suffisant à lui même. La caserne est alors directement liée au tissus urbain, accessible à tous par sa continuité. Une fois ouvert, cet objet architectural peut être poreux, ouvert sur la ville et actif.
unE ouvErturE nécESSAIrE Sur L’ESPAcE urbAIn L’implantation des casernes se doit ainsi d’être étudiée à diverses échelles. À l’échelle d’une ville, elle s’organise comme un point d’ancrage, de repère et de sécurité. Il s’agit d’un équipement urbain indispensable. À l’échelle d’un quartier, cette dernière est un vrai symbole de fierté pour ses habitants. Alors qu’elle met en avant un aspect clos et fermé, l’architecture des casernes présente des caractéristiques d’ouverture sur la ville inévitables. Ainsi, face à la réhabilitation de plus en plus croissante des casernes, penser la reconversion à l’echelle d’un quartier est necessaire. Premièrement, le sentiment d’appartenance des habitants d’un quartier pour leur caserne, pose la question de la préservation du patrimoine. Deuxièmement l’enjeu principal au sein du quartier est surtout d’établir un lien fort entre le bâtiment et la scène urbaine. Effacer cette barrière visuelle, mettre fin à cette rupture en devient un véritable enjeu. Dans les casernes, les circulations et les accès font partie intégrante de l’organisation du lieu, mais surtout de leur rapport avec l’extérieur.
27. DALLEMAGNE, François. 1990. op.cit p16., Les casernes Françaises. définie les casernes du XIXe s. comme un véritable couvent, mouroir voir « sectaire ».
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Le rez de chaussée d’une caserne met en avant une continuité entre l’espace externe et interne par des circulations adaptées aux véhicules. De ce fait, les camions, voitures investissent le lieu par un accès direct depuis la rue. C’est alors que l’architecture et l’urbanisme se juxtaposent pour devenir une entité unique. Par exemple, pour la caserne de La Benauge à Bordeaux, Claude Ferret a mis un point d’honneur à la gestion des circulations entre la rue et le bati. Ainsi, les déplacements, piétonniers ou automobiles représentent un enjeu pour les casernes et une réponse aux besoins d’efficacité d’intervention. De plus, l’espace de stationnement en continuité du garage crée une prolongation de la rue facilitant l’entrée et la sortie des camions. Ainsi, le caractère poreux de l’architecture est un aspect essentiel face au réemploi et à la reconversion de ce patrimoine. Afin d’argumenter cet aspect, nous prendrons l’exemple de la Caserne de Reuilly. Faisant l’objet d’une reconversion, la caserne de Reuilly située au coeur du 12ème arrondissement de Paris fût construite au cours du XVIè siècle. Anciennement manufacture royale des glaces, les anciens bâtiments sont détruits pour ainsi créer la caserne d’infanterie. ( caserne militaire ).
Batiments nuveaux
Batiments existants
Le projet de requalification28 du site transformera la caserne en un quartier de 800 habitants offrant à l’architecture une troisième tranche de vie. Repliées sur elle même autour d’une cour centrale, quelles potentialités les casernes possèdent elles afin d’assurer une certaine perméabilité sur la ville ? 28. Définition Glossaire p.61
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L’objectif de cette restructuration est alors de désenclaver cet espace clos en l’ouvrant sur les rues voisines. Pour Catherine Baratti-Elbaz, Maire du 12ème arrondissement « C’est un projet qui doit nous permettre de transformer le 12ème en recréant des liens entre quartiers ». Ainsi, l’activité passera par la création de locaux au pied des immeubles sur le pourtour de la caserne, ainsi que par la création de logements. Pour l’ouverture sur la ville, le projet s’intéresse tout particulièrement à la création et à l’aménagement du jardin public ouvert à tous. Libérer de l’espace en réduisant l’emprise de la voiture et en reliant les zones difficiles d’accès. Cette requalification crée de nombreux débats. L’idée de gommer les limites, permettre des traversés tout en faisant perdurer l’histoire de la caserne reste un enjeu de taille. Le parti-pris a été de supprimer certains bâtiments délaissés par de nouveaux, en s’adaptant à la typologie architecturale de la caserne. L’îlot est alors reformé entre des anciens bâtiments et des nouveaux, créant un ensemble uni.
Caserne de Reuilly, 20 rue de Reuilly, 12e arrondissement, Paris.
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La cour centrale est accessible par plusieurs entrées donnant une porosité certaine sur l’espace public. Enfin, le jardin public entraine une visibilité de la caserne à 360 degrés, permettant à la fois de la revaloriser mais également de la rendre visible par différents points de vue. Dès lors, la caserne est un lieu complexe comportant de nombreuses spécificités très souvent ambiguës. Elle doit être vue et doit voir à son tour. Enfin, elle est inaccessible, close mais paradoxalement, ouverte sur l’espace urbain. Comment ouvrir la caserne visuellement, architecturalement et économiquement ? Quel est le devenir de ces sites à forte identité ?
Projet de requalification de la Caserne de Reuilly. 2019. BELTRANDO Anyogi.
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Le patrimoine des casernes et son devenir
Le patrimoine des casernes et son devenir Le 24 juillet 2008, le gouvernement présente la nouvelle carte militaire décidée dans le cadre de la réforme du ministère de la défense. Ainsi, cette rationalisation du parc militaire prévoit la suppression de 83 sites laissés à l’abandon. Avant d’aborder la possible reconversion29 de ces sites, il semble légitime de mettre en avant la retombé économique de ces divers fermetures. Un article du HuffingtonPost30 d’octobre 2016 qualifie la fermeture de site militaire comme un « drame humain et une catastrophe économique.» C’est notamment le cas à Varennes-sur-Allier dont la fermeture d’un régiment remet en cause les divers activités économiques. L’emploi, les commerces, mais également les effectifs au sein des écoles ainsi que l’investissement immobilier sont impactés. En effet, les militaires représentent jusqu’à 20% des acquisitions immobilières dans le secteur. Ainsi, face à ces retombées économiques catastrophiques, une volonté de revalorisation de ces sites est en cours afin de redynamiser la ville. Dans son livre Patrimoine Militaire31, Jean Mouly met en avant les enjeux du casernement dans son réemploi. De nombreuses casernes sont aujourd’hui confrontées à la difficile reconversion d’un site chargé d’histoire. Trouver un nouvel usage, insérer ce lieu dans le tissus urbain tout en gardant une lisibilité du passé, telles sont les questions principales que pose le devenir du patrimoine des casernes. Deux questions essentielles se posent pour les communes ainsi que pour les architectes : Comment rompre l’isolement physique et conceptuel du 29. Définition glossaire p.61 30. BOUDER, Alexandre. Huffington Post. 2016. « Budget de la Défense: les fermetures de sites militaires sont «un drame humain et une catastrophe économique», accuse un maire. Disponible sur : https://www.huffingtonpost.fr/2013/10/03/budget-defense-drame-humain-catastrophe-economique_n_4036918.html ( consulté le 04/01/2019 ). 31. MOULY, Jean ; DELLEMAGNE François. 2005. Patrimoine militaire. Paris. Bulletin monumental. 328 p. ISBN 2-86656-293-3.
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site tout en respectant l’identité et les valeurs du lieu ? Et dans un deuxième temps, quelles problématiques le réemploi des casernes posent-il et comment y répondre ?
rEconvErSIon du PAtIMoInE, PALIMPSEStE urbAIn Conserver un patrimoine, le transmettre, implique que celui-ci traverse le temps. Or le temps modifie de façon croissante le patrimoine. Selon Pierre Marie Tricaud « Ce qui se transmet est ce qui mérite d’être transmis »32. On préserve, on restaure ce qui a de la valeur. Le patrimoine évolue, change, s’adapte. Mais ces modifications ne diminuent pas forcément les valeurs attachées à un bien patrimonial. Ainsi, les théories des valeurs du patrimoine ont toujours été inséparables des théories de la restauration. Mais quelle valeur justifie la préservation d’un patrimoine ? Dans un enjeu de conservation patrimonial, comment agir afin d’en faire perdurer ses valeurs tout-en en créant de nouvelles ? Dans la reconversion du patrimoine, nous dénotons deux valeurs indéniables. On distingue, la valeur historique de la valeur d’usage. La valeur historique peut aussi être renforcée ou maintenue par des altérations qui témoignent d’un événement ou d’une époque. A l’issue de nombreuses transformations qui modifient l’identité patrimoniale, il s’agit donc de conserver certaines valeurs afin que les éléments nouveaux n’effacent pas les éléments anciens. Plutôt que de raser et de reconstruire; il est intéressant d’intervenir dans une logique d’optimisation des usages futurs mais aussi de respect de ce qui a déjà été fait. Cette réflexion fut alors abordée pleinement dans le projet de restructuration des Grands Moulins par Reichen & Robert. Par ce projet, les architectes se sont posés la question suivante : Comment réinvestir un lieu hors du commun tout en respectant son histoire et son identité architecturale ? Face à la requalification des Grands moulins de Pantin, Reichen & Robert souhaitaient : « se nourrir de l’existant pour révéler ». De ce fait, la valeur historique est un point de départ imminent dans la reconversion du 32. TRICAUD, Pierre Marie. 2010. Conservation et transformation du patrimoine vivant. [en ligne]. Thèse soutenue par Thierry PAQUOT. Disponible sur < http://www.projetsdepaysage.fr/images/documents/ tricaud_these.pdf>. Consulté le 30/10/2018.
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Le patrimoine des casernes et son devenir
patrimoine. Les grands moulins de Paris ont pour particularité de retranscrire diverses époques de construction. Ainsi, l’historique de construction se veut évolutif. Les grands moulins s’ancrent dans le mouvement architectural régionaliste avec une architecture en hauteur inspirée du modèle alsacien, caractéristique des minoteries du début du XXè s. 1880
Première implantation sur le site avec un moulin construit par un minotier de la Brie
1923
Seconde implantation, Les Grands Moulins de Paris deviennent l’une des premières minoterie de France.
1945
Suite à la seconde guerre mondiale, le moulin à farine est reconstruit par l’architecte Jean Bailly
1952
La semoulerie de 7 niveaux est reconstruite et deux nouveaux batiments s’y installent.
2008
En 2003 l’ensemble ferme ses portes et est racheté par Meunier Immobilier, filiale du groupe BNP Paribas. Reichen & Robert réalise un ensemble tertiaire de 50 000 m2 de bureaux dont 22 000 provenant de la réhabilitation des bâtiments anciens.
Ils dominent de leur masse importante tous les alentours et deviennent un véritable emblème architectural de l’Est Parisien. Les porteurs du projet entendent préserver la mémoire du lieu en conservant les bâtiments emblématiques et leur architecture néo-regionale comme par exemple le moulin central. Aujourd’hui, cinq bâtiments composent l’ensemble dont deux anciens et trois nouveaux. Le parti-pris de l’agence était de supprimer des anciens bâtiments non symboliques en les remplaçant par des nouveaux plus adaptés aux usages actuels.Afin de créer une certaine unité, la recherche d’un langage commun entre les anciens bâtiments et les nouveaux s’est imposée par la mise en valeur de la brique; matériaux caractéristique de l’ensemble. La continuité architecturale permet d’assurer une unité visuelle. Cependant, afin de garder une certaine lisibilité historique, l’agence a mis un point d’honneur dans la différenciation des époques de construction. Ainsi, les stratifications déterminent une logique de composition suivant les hauteurs des bâtiments et l’importance de leur perception dans le paysage. A l’intérieur des moulins, tout a été repensé. Cependant, des éléments symboliques du lieu ont été préservés tel que l’ancienne chaufferie. Ces éléments garantissent la transmission de ce patrimoine et créent des éléments hors normes et symboliques. Une certaine muséification du lieu apparait, saluant la prouesse technique de l’époque et mettant en valeur des éléments comme de vraies oeuvres d’art.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Machine conservĂŠe dans les bureaux des Grands Moulins de Pantin
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Le patrimoine des casernes et son devenir
1923 1945
2008 Canal de L’ourcq
Schéma explicatif des différentes époques de construction.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Pour en revenir à la valeur historique, c’est donc en son nom que l’on préserve les ajouts successifs d’un édifice plutôt que d’essayer, comme au XIXè siècle, de rétablir l’unité de style. C’est alors que cette superposition d’époque, de strate met en exergue l’aspect d’un palimpseste urbain. ll s’agit ici non pas d’un manuscrit, mais d’un bati « déjà utilisé, dont on a fait disparaître certains détails pour pouvoir y écrire de nouveaux ».33 Pour les Grands Moulins de Paris, des façades ont été refaites entièrement afin de valoriser le bâtiment existant, mais également dans le but d’accentuer l’aspect hors du commun . Cependant, nous pouvons entrevoir certaines limites dans cette action de réécriture du patrimoine. Comment construire sur de l’ancien sans pour autant dénaturer sa valeur architecturale ? L’agence Reichen & Robert a souhaité utiliser deux matériaux, révélateurs de l’époque des Grands moulins : le verre et la brique. Pour les bâtiments emblématiques, l’association des deux époques et ainsi des deux matériaux fonctionne. Cependant l’apport du verre sur l’ancien corps de boulangerie a quant à lui suscité de nombreux débats. Bien que lisible, le bâtiment croule sous la masse de verre. L’alchimie des époques peut être remise en question, l’ancien n’est pas mis en valeur mais plutôt submergé par l’apport nouveau. Dès lors, des limites autour de la réécriture du patrimoine sont à entrevoir, imposant un point d’équilibre entre le passé et le présent. Le plus souvent, le temps engendre de nombreuses dégradations suscitant une perte des valeurs patrimoniales. Pierre Marie Tricaud34 dans sa thèse sur le Patrimoine vivant définit les améliorations liées au temps comme un vieillissement et les détériorations comme une sénescence35. Vieillissement et sénescence constituent deux phases successives d’une même évolution. Le vieillissement est une potentialité de rareté, la sénescence est une contrainte. Selon lui, le détail peut-être estompé au profit de ce qui est essentiel, permettant au patrimoine de rester lui même. Cependant, en atténuant ce qui est essentiel, le patrimoine perd de sa valeur. 33. REY Alain. 1299. Vol III. Dictionnaire culturel en langue française. Paris. 34. TRICAUD, Pierre Marie. 2010. Conservation et transformation du patrimoine vivant. [en ligne]. Thèse soutenue par Thierry PAQUOT. Disponible sur < http://www.projetsdepaysage.fr/images/documents/ tricaud_these.pdf>. Consulté le 30/10/2018. 35. « Processus ou état de dégénérescence cellulaire pouvant entraîner la mort des organismes.» Centre de ressources textuelles et lexicales.
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Facade de l’ancienne boulangerie des Grands Moulins. La majeur partie de la pière est recouverte de verre.
Photographie des nouveaux bureaux des Grands Moulins mettant en avant la sauvegarde de la structure en béton d’origine.
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Ainsi, dans le cadre des casernes et face aux enjeux de reconversion36, quelles potentialités et contraintes leur réécriture impose t-elle ? Ne serait-ce pas la norme qui impose une limite à la réécriture du patrimoine ?
rEconvErSIon Et réHAbILItAtIon du PAtrIMoInE dES cASErnES : contrAIntES Et PotEntIALItéS
La reconversion du patrimoine des casernes constitue une problématique forte, renforcée par leur statut particulier. Zones difficilement constructibles, elles relèvent d’autorités distinctes de la commune générant des contraintes sur l’usage des sols. Comme nous avons pu le voir précédemment, la localisation d’une caserne tient compte du Plan Local d’Urbanisme37. Ainsi, le destin urbain de ces terrains n’a pas été prévu dans le sens où la structure a été créée pour répondre à un usage unique, durant une période précise. Véritable ville dans la ville, la caserne doit donc être réintégrée à l’espace public et retrouver une nouvelle fonction en adéquation avec le tissu urbain. Cependant, les obstacles à la reconversion des casernes sont nombreux, de la superficie démesurée des sites, aux contraintes d’accès et celles liées au type de bâti (hauteur des plafonds, peu de luminosité, non-conformité aux normes en vigueur..) mais également à la dépollution obligatoire ( extraction de plomb, d’amiante ou d’hydrocarbures). Ainsi, avant d’entrevoir le devenir potentiel des casernes, ne s’agit-il pas dans un premier temps de comprendre les défis de reconversion ? Quelles contraintes sont à prendre en compte et comment, par la suite, peuvent-elles devenir des singularités propre au casernement ? Aujourd’hui et dans un contexte de restructuration des armées, le PLU décompte près de 7000 hectares d’emprises militaires devant être réaffectés à d’autres usages. Des casernements en centre-ville sont 36. Définition Glossaire p.61 37. Le PLU est un véritable projet de ville, ensemble de règles sur lesquelles se fondent les décisions publiques et privées en matière d’urbanisme. Il régit l’évolution des parcelles et de la ville en créant un zonage, un découpage des territoires en parcelles.
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Le patrimoine des casernes et son devenir
Photographie prise le 06/10/2018 à la Caserne de La Benauge à Bordeaux mettant en avant un écartement, une différence de niveaux entre deux parties du bâtiment causée par le temps et l’absence d’entretien.
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Katia Lafonta Le patrimoine des casernes
Photographie prise le 06/10/2018 à la Caserne de La Benauge à Bordeaux. Les escaliers hélicoïdaux font partis des caractéristiques principales du bâtiment. Ils donnent accès depuis la cour intérieure aux divers logements.
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Le patrimoine des casernes et son devenir
aujourd’hui inutilisés. Mais pourquoi ces architectures ne sont-elles plus utilisées pour leur usage d’origine? De nombreuses casernes ferment leur porte en raison d’une infrastructure vieillissante où les normes de sécurité ne sont plus d’actualité. Àu cours d’une visite à la caserne de la Benauge à Bordeaux, nous avons pu constater le manque d’entretien dont bénéficient ces architectures d’urgence. Gardes-corps décrochés, peintures écaillées, isolation moindre et bien d’autres. Parmi les dysfonctionnements les plus emblématiques : la tour de séchage qui n’est plus accessible car jugée trop dangereuse. « Où pouvons nous nous entrainer maintenant? » déclare le sergent Arnaud Mendousse. Construite dans les années 1950, les normes ont changé et le temps a eu des répercutions néfastes. Face à une ville en pleine émergence, les locaux ne sont plus suffisants. Les normes, l’insécurité, le manque d’entretien influencés par l’évolution de la ville induisent dès lors le déplacement des habitants de la caserne. Censée protéger les habitants d’une ville, la caserne devient elle même un danger pour ses usagers. Cependant, lorsque la caserne suffit à la demande de la ville, cette dernière est mise en conformité. Si elle ne détient pas de valeurs jugées historiques ou de rareté, ou qu’elle n’est plus utilisable en tant que telle, elle est démolie ou laissée à l’abandon. Dans le cas contraire et lorsque le bâtiment possède des éléments classés au titre des monuments historiques, ces complexes exigent de vrais enjeux à sa réécriture. Aujourd’hui, on recense près de 170 bâtiments militaires classés aux titres de monuments historiques. Ainsi, la patrimonialisation et la sauvegarde des casernes constituent un enjeu de taille dans la transmission de ses lieux chargés d’histoire. Pour François Dallemagne, la patrimonialisation permet de « contribuer à la mise en perspective du temps, à la fourniture des repères historiques et territoriaux et au renforcement d’une relation affective de la population avec son patrimoine ». Façades classées, escaliers monumentaux, structures imposantes, ces caractéristiques représentent un véritable défi pour les communes. « Avant de démolir, il faut penser à ce que l’on pourra utiliser aujourd’hui, ou à plus long terme. » déclare Frederic Didier architecte de l’agence 2BDM. Ainsi, l’évolution constante des usages met en avant l’importance de conserver les éléments d’origine. Le bâtiment des casernes est contraint par sa fonction initiale mais sa reconversion peut, quant à elle être « réversible » 38 dans le but 38.Notion de révèrsibilité de l’architecture abordé par RUBIN Patrick de Canal Architecture dans l’étude: Construire reversible, 2017
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d’anticiper au maximum l’évolution de l’édifice et alléger ses adaptations. La réécriture des casernes doit se faire par l’adaptation du site à un programme afin de ne pas user toutes les potentialités et l’histoire du site. Ainsi, malgré une mise en conformité obligatoire dans la reconversion des casernes, la norme dans la réhabilitation ne représente pas l’aspect le plus complexe. Lors de la conférence « un bâtiment combien de vies ? »39, François AUBER déclare « les bâtiments existants nous donnent ce que la norme ne nous permet pas ».Considérer le temps comme une ressource et l’édifice comme « une oeuvre ouverte ».40 Cette conférence met en avant l’importance de la transformation comme un acte de création. Le recyclage d’un bâtiment existant ne se résume pas à sa mise en conformité, il s’agit d’un acte de création à part entière. Ils distinguent alors la réhabilitation à une simple remise aux normes à la reconversion qui souligne un changement de destination à la clef. Dans l’architecture des casernes, la réversibilité permet alors d’unir le temps et l’espace. La réécriture d’un bâtiment passe par deux étapes : Il met en avant dans un premier temps la conservation des ouvrages exceptionnels de notre histoire, mais également la nécessité de trouver de nouveaux concepts et de nouvelles idées. Il s’agit donc de faire perdurer l’histoire tout en innovant. De ce fait, l’analyse de la qualité de l’oeuvre construite, la perception de ses potentialités, de ses dysfonctionnements donne à entrevoir son habilité à changer de vie. Interroger le construit, le remettre en question afin de l’adapter à la demande. Selon François Auber «transmettre un édifice, c’est l’ouvrir à de nouvelles promesses, le transformer sans le dénaturer.» Mais face à cette recherche, comment adapter le patrimoine des casernes à de nouvelles fonctionnalités ? Comment transmettre ce patrimoine hors du commun en le sortant de sa fonction initiale ?
39. RAMBERT, Francis (moderateur). Février 2015. «Un batiment combien de vies?». Transformation versus construction. Cité de l’architecture et du patrimoine. [en ligne] Disponible sur : <https://www. dailymotion.com/video/x2he6q9> 40. Notion abordée par Umberto Eco. L’oeuvre ouverte. 1965. Umberto Eco oppose l’oeuvre classique à l’oeuvre ouverte. En effet, l’oeuvre ouverte ne peut jamais être réduite à une seule interprétation. Elle évolue en fonction du temps, mais également en fonction du lecteur qui invente sa propre interpretation.
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LES nouvEAux uSAgES La pérennité de la réhabilitation passe par la recherche d’un usage qui en assure sa gestion. C’est pourquoi, la réécriture des casernes répond à des besoins économiques, sociaux et géographiques au sein d’une ville. Dans un contexte urbain, comment le réemploi des casernes peut il répondre aux besoins actuels ? La reconversion du patrimoine des casernes peut-elle assurer une ouverture sur l’espace public ? Après le départ des officiers, la demande de reconversion n’est pas toujours spontanée et immédiate, d’autant que le prix de cession reste le plus souvent élevé. Les repreneurs potentiels cherchent à mener une bonne opération afin de rentabiliser leur achat, notamment lorsque l’emprise est située en centre-ville. Ainsi, le réemploi d’une caserne peut être un vrai pôle attractif pour une ville, et un véritable trésor pour ses investisseurs. Contrairement à certains bâtiments du patrimoine militaire tel que les forts, les bunkers ou encore les citadelles, les casernes ne subissent que très peu l’effet de « museification »41. Véritable symbole patrimonial, visuel et structurel, les casernes représentent un point d’ancrage pour une ville une fois dénuées de leur fonctions initiales. Comment, malgré un changement d’usage, la caserne peut-elle rester au service de la ville? Trois reconversions sont alors possibles dans la réécriture du casernement. Premièrement, la commune cherche à considérer le bâtiment comme un équipement culturel et économique afin d’assurer le développement de la ville. Les régiments, les casernes militaire sont elles souvent situées en périphérie des villes. Ainsi ces réhabilitations demandent peu de transformations sur le bâtiment existant mettant en avant l’héritage patrimonial. Parmi ces projets, se trouve la réhabilitation de la Caserne de Bâle, plus connu sous le nom de Kaserne Basel. La caserne était à l’origine un lieu de formation militaire qui a été utilisé entre 1863 et 1966 par l’armée suisse. Aujourd’hui, la Kaserne Basel est un centre culturel, consacré aux performances artistiques tels que la musique, le théâtre ou encore la danse.
41. Notion abordée par Françoise Choay dans l’Allégorie du Patrimoine, op cit.
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Kaserne Basel, Bâle, Suisse, 2017.
Proposant aussi bien des concerts intimes que des grands évènements musicaux, la caserne en périphérie a su s’ouvrir sur la ville pour devenir un vrai atout économique et culturel. Le programme est large et s’oriente vers la création artistique. Trois salles de spectacles sont emménagées dans les anciennes écuries, le bâtiment principal est reconverti en un bar - restaurant, permettant de favoriser les échanges entre les artistes et le public. Dans un second temps, la réécriture du patrimoine des casernes permet aux territoires d’implanter des aménagements compatibles avec le tissu urbain en développant des lieux publics et des lieux de loisirs extérieurs. Ces espaces permettent d’accentuer l’idée de recyclage et de durabilité dans une perspective de mise en valeur de l’environnement. Comment désenclaver une caserne au point de lui faire advenir la fonction de parc urbain ?
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Un des exemples les plus représentatif de cette requalification reste la caserne du sergent Blandon. Afin de concurrencer le Parc de la Tête d’Or, la ville de Lyon a eu pour ambition de créer une véritable respiration végétale en plein centre-ville. Place publique, terrains de sports, potagers et espaces de détentes font partie intégrante du projet. Dans ce parc urbain de 17 hectares, les loisirs et la biodiversité auront une place importante. Le site militaire séduit les riverains qui investissent cet espace comme un élément de leur quotidien, comme un lieu de vie partagé. Il s’agit de reconquérir des terrains intra-muros en les transformant en parc urbain, nouveau poumon vert d’une ville. L’objectif est de mêler harmonieusement paysage, espaces de promenade et loisirs. Ces friches de grandes tailles permettent aux villes en manque d’espaces naturels de se doter de nouveaux parcs en centre-ville. Cependant, pour ce type de projet, seulement l’extérieur est pris en compte, délaissant le bâtiment des casernes au profit d’un aménagement extérieur. En effet, aucun projet n’a encore été affecté aux anciens bâtiments de la caserne, privilégiant l’espace public.
Plan du Parc Sergent Blandan à Lyon par l’agence ALEP et l’architecture Clément Vergely mettant en avant l’importante superficie de l’ancienne caserne réamménagée en parc urbain. Ce projet donne une véritable respiration en plein centre-ville.
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Ainsi, l’enjeu n’est-il pas de mettre à profit le patrimoine dans son ensemble ? Une fois sortie de sa fonction initiale, comment la caserne peut-elle devenir un nouveau lieu de vie ouvert sur l’espace urbain tout en faisant perdurer son histoire ? La métamorphose de la caserne repose sur sa capacité à entrer en résonance avec les mutations urbaines. Reconvertir l’ensemble de la caserne en un véritable lieu de vie, repenser un fragment de ville comme un nouveau quartier intégré à la ville, tel est l’enjeu le plus souvent abordé dans la réaffectation des casernes. De ce fait, leur devenir dépend autant de leurs structures, de leurs bâtis que de leurs rapports à l’espace urbain. L’objectif est alors de mettre à profit ce qui existe déjà. Véritable ville dans la ville, il s’agit de prendre en compte les spécificités, contraintes et potentialités du site vu précédemment afin d’optimiser sa reconversion. Comment faire d’un site hier inaccessible et clos un nouveau quartier vivant ? Le désenclavement et la reconversion d’une caserne en centre-ville est une opportunité qui permet de pallier à de nombreuses demandes. Dans la majorité des reconversions, cette dernière répond à la crise du logement et au manque de nouveaux équipements des communes. Ainsi, le projet de la caserne Dumé-D’aplemont conçu par le cabinet Jean Amoyal a pour ambition d’ici 2020 de devenir un véritable micro-quartier . Le projet situé au Havre s’articule autour de trois points : la réhabilitation des logements des troupes en résidence intergénérationnelle, celle du rez de chaussée en centre d’art, et celle de la cour en place public. Pour Edouard Philippe « il fallait redonner vie à un secteur emblématique du Havre et de son histoire qui a un très fort potentiel d’attractivité. » . En effet, ce projet a été conçu pour pallier aux demandes de plus en plus croissantes de la ville. A la fois répondre à la vétusté de l’habitat dans la ville du Havre et au manque d’espaces publics du quartier. L’importance est d’assurer une image nouvelle, dynamique et innovante. Labellisée « Les maisons de Marianne », le projet crée 86 logements intégrés directement dans les anciens appartements des officiers . Les étages sont réhabilités afin d’être remis aux normes et adaptés aux personnes à mobilités réduites. L’objectif est de réexploiter les anciens usages pour les réadapter aux besoins actuels.
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Projet de reconversion de la caserne Dumé- D’Aplemont
Galerie d’art Logements
Commerces Batiments environnants
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L’ancien rez de chaussée, auparavant utilisé comme garage, réfectoire et espaces partagés, garde cette caractéristique de lieu ouvert et commun. En effet, pour pallier au manque d’espaces publics du quartier, le projet fait naitre un Centre d’Art, la « Marianne Art Gallery ». Le projet puise dans les caractéristiques existantes de l’architecture. En outre, les hauteurs de plafonds, la faible luminosité, le plan libre de la structure permet de créer un espace facilement appréciable et modulable. Accessible par la cour et en continuité avec l’espace urbain, ce concept d’exposition permet de créer un lieu culturel de proximité. Le centre aide des artistes locaux à faire connaitre leur travail en proposant des espaces de création et de diffusion. Avant, la caserne Dumé-d’Aplemont était un lieu que l’on devait contourner . Aujourd’hui, c’est un lieu qui demande à être investi. L’ensemble s’ouvre sur le quartier par la cour et par deux espaces verts accessibles au public. Les tracés préexistants se prolongent à l’intérieur créant un véritable « îlot ouvert ». Apportant une attention particulière à la réhabilitation des éléments architecturaux de la caserne, le projet met en valeur ce bâtiment emblématique de la ville. Les casques et les façades sont restaurés, les escaliers monumentaux, sont également conservés. Ainsi, le défi de la mutation de la caserne est de conserver les principes qui l’ont fondé alors que sa conception est calquée sur des fonctions originelles appelées à disparaitre. Sensible, elle met au service des artistes son histoire et son architecture si singulière, devenant révélateur de l’oeuvre. C’est la raison pour laquelle il est important de préserver l’essence de ses usages, puiser les capacités du bâtiment en les réadaptant aux besoins actuels.
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Perspective représentant l’ancien garage reconverti en galerie d’art.
Perspective de la caserne Dumé D’Aplemont. La cour intérieure est reconvertie en place publique, permettant d’accueillir des espaces de pause, de rencontre mais également de restauration. Elle crée un espace de transition entre le quartier et la galerie d’art.
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concLuSIon
Au cours de ce mémoire, nous avons esquissé les caractéristiques identitaires des casernes dans leurs valeurs historiques et patrimoniales. Deux identités se dessinent : L’identité fonctionnelle/ formelle et l’identité symbolique/narrative. La première crée un rapport direct avec le public et prend ainsi en compte l’individu extérieur. Témoin de la protection et de la sécurité du territoire, la caserne assure la bienveillance d’une ville. L’identité narrative est elle crée par ses occupants, par la pratique du lieu mettant alors en exergue un esprit de communauté. Pour les occupants, les casernes représentent tant leur lieu de vie que leur lieu de travail. Les logements, le réfectoire, le garage, les salles de sport, les jardins, toutes ces fonctions autonomes créent un véritable micro quartier.Le rapport au public est alors ambigu au sein de cette architecture complexe. On y est lié par un sentiment de protection, tout en y étant séparé par une certaine inaccessibilité. Nous avons vu que les casernes évoluent au fil du temps, impactant leur fonctionnalité, mais également leur visibilité. Par des demandes, des implantations et des effectifs différents, une standardisation des casernes est visible oubliant le caractère imposant et historique de ces architectures. Face à de nouvelles mesures de sécurité, mais également à une rationalisation du parc militaire en 2008, de nombreuses casernes se libèrent dans des grandes villes telles que la Caserne militaire Vincent à Valenciennes, la Caserne de Pompiers à Bordeaux, ou encore la caserne du Sergent Blandon à Lyon, laissant près de 17 hectares à investir.
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Ainsi, dans une perspective de palimpseste urbain et de revalorisation de l’existant, la question du devenir des casernes s’impose comme une réponse adéquate aux besoins de la ville. Face à la fermeture des ces lieux, l’impact économique peut être catastrophique. Ainsi, la prise en compte du patrimoine peut être garante d’une attractivité économique et sociale dans cette perspective de ré-activation territoriale. De ce fait, l’architecture des casernes impose contraintes et potentialités. À la fois inaccessible et ouverte sur l’extérieur, unie par l’esprit de communauté mais divisée par ses usages, ces paradoxes en font une architecture complexe et ambiguë. Que conserver de l’existant, fautil privilégier le nouveau ou au contraire s’effacer devant le caractère du bâtiment ? Le projet s’adapte à un contexte, à une ville et surtout à des demandes spécifiques. En effet, il s’agit de reconvertir ce bâtiment hors les murs. L’étendue territoriale du patrimoine de casernement impose une réflexion au delà des limites de la structure afin de s’attacher à tous les corps et créer une architecture unique. La reconversion de ces sites peut induire une simple restructuration mettant en avant l’identité du lieu ou encore une reconversion complète. L’objectif est de trouver un nouvel usage à ces bâtiments délaissés afin de densifier le tissus urbain, proposer de nouvelles offres à la ville mais également, révéler les principes qui ont fondé le lieu. La caserne ne doit plus être considérée comme fermée, mais doit être poreuse et s’ouvrir sur la ville tout en absorbant sa substance, son histoire.
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Photographie de la tour de séchage de la caserne La Benauge à Bordeaux suite à une visite le 06/10/2018. Aujourd’hui inaccessible et non réglementée, la tour de séchage permettait auparavant de sécher les tuyaux d’incendie depuis le haut de la tour après les interventions.
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corPuS
ouvrages BOITO Camillo, Conserver ou restaurer. Paris, Éd. de l’encyclopédie des nuisances. col Encyclopédie des nuisances, 2013. CHOAY Françoise, Allégorie du patrimoine. Paris, Éd. du Seuil, col. La couleur des idées, 1992. DALLEMAGNE François, Les casernes Françaises. Paris, éd Picard, 1990 FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris. Éd. Gallimard, col. Bibliothèque illustrée des histoires, 1975. MOULY Jean ; DALLEMAGNE François, Patrimoine militaire. Paris, Éd. Bulletin monumental, col. Patrimoine,2005 NORBERG-SCHULZ Christian, L’art du lieu : architecture et paysages, permanence et mutation. Paris, Le Moniteur, col. Architextes, 1997.
RICOEUR Paul, Temps et récit. Paris. Ed. Seuil, col. Points Essais, 1991.
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l’adresse : www.dailymotion. com/video/x2he6q9 Photographies du projet des Grands Moulins de Pantin sur le site de Reichen & Robert Consultable à l’adresse : https://www.reichen-robert. fr/fr/projet/les-grandsmoulins-de-pantin
thèses consultables TRICAUD Pierre Marie. Conservation et transformation du patrimoine vivant. Thèse soutenue par Thierry PAQUOT. 2010. Consultable à l’adresse : www.projetsdepaysage. fr/images/documents/ tricaud_these.pdf KANZARI Ryad. Les sapeurs pompiers, une identité temporelle de métier. Toulouse. 2008. Consultable à l’adresse : https://tel.archives-ouvertes. fr/tel-00467980/document
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bâtiments/Sites ALEP et VERGELY Clément, Projet de reconversion du Parc Sergent Blandon, Lyon, 2013. En 2019, le Parc accueillera un hotel, restaurant et un centre culturel. AMOYAL Jean. Projet de la caserne DuméD’aplemont, 9 rue dumé D’aplemont, Havre, 2019. DUBUS Jean. Caserne d’Ivry, Ivry, 2 rue du professeur Calmette, 2014 FERRET Clause, PROUVÉ Jean, SALIER Yves, COURTOIS Adrien. Caserne de la Benauge, Bordeaux, 1 rue de la Benauge, 1952. MALLET STEVENS. Caserne des pompiers, Paris, 16ème arrondissement, 8 rue mesnil, 1936. REICHEN & ROBERT, Projet de reconvertion des Grands Moulins de Pantin, Paris, 13ème arrondissement, 2008. WILLERVAL Jean. Caserne Massena, Paris, 13ème arrondissement, 1973 Caserne de Bercy, Paris, 12ème arrondissement, 5 place Lachambeaudie, XVIIIème siècle. Sous la demande de Napoléon Ier, Caserne Sévigné, Paris, 4ème arrondissement, 7 rue de Sévigné, 1811. Sous Charles X, Caserne de Reuilly, Paris, 12ème arrondissement, 20 rue de Reuilly, 1847. Caserne Basel, Bâle, Suisse Centre alternatif depuis 1980
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gLoSSAIrE
. caserne :
Le mot caserne dérive de l’espagnol caserna qui signait un édifice voûté faisant partie des fortifications. Dans le dictionnaire de l’armée de terre de 1841, jusqu’au début du XVIIè siècle, le terme de caserne désigne des lieux dans lesquels est logée une partie de la garnison d’une place de guerre. casernement :
Le casernement représente l’ensemble des bâtiments nécessaires à la vie et à l’instruction d’une unité. garnison :
Le garnison désigne l’ensemble de troupes occupant une place, une forteresse afin de défendre le peuple. Il s’agit d’une unité stationnant dans une ville. Reconversion / Requalificiation :
La reconversion affecte un bâtiment à un autre usage que celui pour lequel il a été conçu. On souligne l’ampleur de la transformation par un changement d’usage à la clef tout en correspondant à une intention architecturale et au site sur lequel il prend place.
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Close et inaccessible, elle nous rassure et nous protège. C’est un son, un appel, qui l’ouvre sur l’extérieur, créant un espace dynamique ponctué par l’urgence. La caserne est un lieu complexe et ambigu, révélant de nombreuses spécificités symboliques et architecturales. La départ des pompiers de la caserne de Bordeaux laissera un patrimoine moderne remarquable au cœur de la ville, appelant à repenser la fonction première de ce lieu. Dès lors, comment préserver l’identité de la caserne en dépit de son évolution, de ses transformations ?