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La santé buccodentaire chez les insuffisants rénaux
Par Chantal Rodrigue, infirmière-praticienne spécialisée en soins aux adultes (IPSSA)/2019-06-CIUSSS ESTRIE CHUS
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Si vous êtes atteint d’insuffisance rénale, améliorer vos habitudes alimentaires peut vous aider à ressentir un plus grand bien-être et à mieux gérer votre maladie.
Croquer la vie à belles dents…
Projet initié en hémodialyse à Sherbrooke portant sur la santé buccodentaire des patients.
Selon les principaux résultats de l’étude sur la santé buccodentaire des aînés québécois réalisée à partir de l’enquête «Vieillissement en santé» conduite par Statistique Canada en 2008-2009, indique que la santé buccodentaire des aînés québécois est préoccupante (INSPQ, 2016).
La majorité des aînés porte des prothèses dentaires. Près de la moitié des aînés âgés de 65 ans et plus déclarent n’avoir aucune dent naturelle. La proportion des aînés complètement édentés augmente significativement avec l’âge (INSPQ, 2016).
Un Québécois âgé de 65 ans et plus sur dix s'abstient de manger des aliments à cause de problèmes buccodentaires et cette abstention est plus fréquente chez les aînés totalement édentés (INSPQ, 2016), d’où des préoccupations nutritionnelles (Ordre des hygiénistes dentaires du Québec, 2019). Plusieurs se brossent les dents, peu utilisent la soie dentaire. 7 aînés sur 10 ont l’habitude de se brosser les dents au moins 2 fois par jour. Seulement 4 aînés sur 10 utilisent la soie dentaire au moins une fois par jour (INSPQ, 2016).
Un peu plus de la moitié des aînés québécois de 65 ans et plus ont déclaré que leur dernière visite chez un professionnel dentaire remontait à moins de deux ans et seulement le tiers des aînés de 85 ans et plus en avaient visité un au cours de la même période (INSPQ, 2016; Bélanger, R., Blanchet, C., Hamel, D., 2016).
Il y a quelques mois, la ministre Marguerite Blais annonçait 10 000 000 $ par année pour la santé buccale en CHSLD. Nous savons que plusieurs patients ne sont pas en CHSLD. Ce qui nous amène à la présentation de notre clientèle âgée atteinte d’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) en hémodialyse, issue de différents milieux.
Il faut savoir que l’Europe a une longueur d’avance en matière de santé buccodentaire en insuffisance rénale. À partir du moment où l'on comprend la problématique, il faut instaurer un accès à des soins. C’est par un projet « donnant-donnant » que nous avons invité des étudiants en hygiène dentaire à venir chercher des connaissances en milieu hospitalier universitaire. Les patients en hémodialyse trouvent des gains auprès de ces étudiants qui apportent un bagage de connaissances intéressant dans le cadre d’un stage en santé publique.
Pour ce faire, nous avons rencontré 7 patients qui ont accepté de remplir un questionnaire incluant, entre autres, les plaintes fonctionnelles, l’hygiène buccodentaire et les consultations dentaires. Un examen buccal de base incluant la vérification que l’ajustement des prothèses a bien été fait. Des recommandations ont été émises aux patients incluant l’enseignement d’une technique de brossage.
Dans la population en général, l’état buccodentaire dépend de la génétique, oui, mais aussi de l’hygiène dentaire, de l’alimentation dont le sucre et le tabac qui ont un impact sur la vascularisation, les gencives et le dessèchement de la bouche lié à l’âge ou à certains médicaments. La salive joue un rôle antibactérien, antiviral et antifungique. Les prothèses mal ajustées peuvent aussi affecter l’état buccodentaire.
Pour les patients atteints d’insuffisance rénale chronique, il existe en plus :
- les lésions induites par l’hyperparathyroïdisme secondaire (condition qui fragilise les os), affectant les tissus mous et les dents;
- le risque d’infection;
- les particularités de la diète IRC et la limite liquidienne. (Montagnac, 2005);
Lors de l’évaluation, 3 patients sur 7 pouvaient nommer un problème buccal. Parfois, c’est l’entourage du patient qui constate le problème; pensons à l’halitose (mauvaise haleine).
Le patient a donc plus de risque de développer des complications et des déchaussements des dents incluant leur perte. Le découpage, le broyage et la mastication des aliments s’en trouvent affectés. Ces fonctions sont essentielles afin d’éviter la dénutrition, l’anémie et limiter les infections.
Des infections peuvent être à l’origine d’une malnutrition.
Les foyers infectieux doivent être éradiqués chez tous les patients, et non seulement chez ceux en attente d’une transplantation ou chez les porteurs de valvulopathie (maladie des valves cardiaques).
Il ne faut pas oublier le dépistage du cancer, surtout lorsqu’il existe une histoire de tabagisme ou de consommation d’alcool. Les futurs transplantés devront poursuivre cette surveillance après la greffe (Montagnac, 2005). De plus, de nouvelles recherches suggèrent une possible relation entre les maladies buccales et l’insuffisance rénale et certaines maladies inflammatoires. (Ordre des hygiénistes dentaires du Québec, 2019).
Il aurait sans doute été intéressant d’avoir des données sur la consommation de tabac et la classe sociale des patients afin de voir les corrélations possibles entre ces données. Des clichés radiologiques dentaires auraient aussi été utiles afin d’avoir un portrait plus précis de notre population en hémodialyse (Montagnac, R., 2005).
En dents de scie?
L’association dentaire canadienne recommande un brossage d'au moins deux fois par jour ainsi que d'utiliser la soie dentaire quotidiennement (Association dentaire canadienne, 2019). Malheureusement, nous avons constaté que 3 patients sur 7 se brossent les dents moins de deux fois par jour.
Nous constatons parfois une attitude laxiste. Certains patients négligent leur santé en général. D’autres ont des problèmes financiers qui expliquent les soins négligés.
Nous savons que les patients en hémodialyse peuvent vivre un état de dépression. L’aspect psychologique est à considérer chez des patients qui peuvent connaître une diminution de l’observance (Fulvia Costantinides et collègues, 2018).
S’armer jusqu’aux dents
Afin de mettre en place des conditions gagnantes vers une meilleure santé buccodentaire, on commence par de petites initiatives qui pourraient sans doute s’élargir à d’autres secteurs de la néphrologie; la prédialyse, la dialyse à domicile et la clinique de greffe rénale.
Une approche précoce est souhaitable (Lagarde, L., 2015).
Des perspectives d’avenir doivent favoriser un partenariat entre le patient, le néphrologue et le dentiste. Il faut miser sur la nécessité d’une consultation dentaire annuelle tout au long de la vie du patient.
D’autres études chez les patients en insuffisance rénale sont nécessaires afin de cibler les priorités à travailler.
Des solutions financières devront être adressées.
La solution se trouve peut-être aussi dans un travail interdisciplinaire. Car de là, naissent de grandes idées…
Merci au Cegep de Saint-Hyacinthe pour leur précieuse collaboration
Références Montagnac, R., (2005). « Pathologie dentaire et insuffisance rénale. » Échanges de l’AFIDTN, No 71, 50-51.
Ordre des hygiénistes dentaires du Québec (2019). « La santé buccodentaire : un investissement pour une vie de qualité! » ohdq.com, 1-15.
Association dentaire canadienne (2019). maboucheensante.com
Bélanger, R., Blanchet, C. , Hamel, D., (2016). « La santé buccodentaire des aînés québécois. » Collection Vieillissement en santé. Institut national de santé publique du Québec. Québec. 21 p.
Jover Cerveró A, Bagán JV, Jiménez Soriano Y, Poveda Roda R., (2008). « Dental management in renal failure : patients on dialysis. » Med Oral Patol Oral Cir Bucal. Jul 1;13(7):E419-26.
Fulvia Costantinides, Gaetano Castronovo, Erica Vettori, Costanza Frattini, Mary Louise Artero, Lorenzo Bevilacqua, Federico Berton, Vanessa Nicolin, and Roberto Di Lenarda, (2018). « Dental care for patients with end-stage renal disease and undergoing hemodialysis. » International Journal of Dentistry. ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/ PMC6258100/
Lagarde, L., (2015). “Rapport entre la maladie rénale chronique du stade 2 à 5 sans suppléance et les pathologies de la cavité buccale. » Thèse pour l’obtention du diplôme d’état de docteur en chirurgie dentaire. #64. Université de Bordeaux. 1-55.