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Première édition
Œuvre originale : Henna Björk – Koodi
Copyright © Bazar Kustannus
Bazar Kustannus est une marque des éditions Werner Söderström Ltd
Lönnrotinkatu 18 A, 00120 Helsinki
ISBN 978-952-403-901-7
Mise en page : Jukka Iivarinen / Taittopalvelu Vitale
Imprimé en UE
Pour toute question concernant la sécurité des produits : tuotevastuu@bazarkustannus.fi
PARIS
Nu dans le lit double d’une maison de luxe à deux étages, Kim Heikkilä fut réveillé en sursaut par la sirène d’un véhicule. Il resta un moment à fixer le plafond avant de se rappeler où il était. La gueule de bois lui martelait les tempes et il avait encore en bouche le goût du séminaire sur la cybersécurité. Il fouilla sa mémoire à la recherche de souvenirs de la veille, mais en vain. Il tendit alors le bras pour attraper son téléphone, mais retira aussitôt la main en sentant quelque chose de visqueux sous ses doigts. Tournant la tête, il découvrit un préservatif usagé à côté de lui.
L’image des deux brunes lui revint à l’esprit. Comme son divorce avait été acté la semaine passée, Adam, son associé, l’avait encouragé à se payer des femmes pour se consoler. Il se mit debout malgré son crâne qui semblait peser une tonne et se dirigea vers le petit coffre-fort situé dans la penderie, où il avait rangé son passeport, son portefeuille et son portable. Il entra le code et poussa un soupir de soulagement en constatant que ses affaires s’y trouvaient encore.
Jetant un coup d’œil à son poignet pour consulter l’heure, il s’aperçut que sa montre n’y était pas. Les deux jeunes femmes n’auraient quand même pas volé une montre connectée vieille de trois ans ? Son téléphone à la main, il alla dans la salle de bain, où il prit une plaquette d’ibuprofène dans sa trousse de
toilette. Il en fit sortir deux cachets, qu’il avala avec un verre d’eau, puis se regarda dans le miroir. Heureusement, tous les rendez-vous et présentations de l’entreprise étaient déjà passés. Ce n’était pas avec cette tronche qu’on introduisait sa société en bourse. Adam et William, ses partenaires, étaient repartis pour Londres juste après le séminaire, tandis que Heikkilä avait prolongé son séjour dans leur maison de location afin de prendre du temps pour lui.
Il se rinça le visage à l’eau froide, mais ne constata aucune amélioration sur son reflet. Malgré sa mine défraîchie, c’était un futur millionnaire qui lui renvoyait son regard. NxtDestination, l’application qu’il avait développée, avait transformé une petite startup en poule aux œufs d’or, et ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne conquière les marchés internationaux. Le principe était le même que celui des applications de voyage comme Trivago et Hotels. com, mais son public cible ne représentait que cinq pour cent de leurs clients : ceux qui étaient sensibles au luxe tout en ayant des valeurs écologiques ainsi qu’un budget illimité. L’agence proposait des lieux de vacances splendides, pour les moins chers du même acabit que celui dans lequel il venait de se réveiller, à minimum mille euros la nuit. L’empreinte carbone de tous les voyages réservés par le biais de NxtDestination était compensée, ce qui permettait à leurs clients d’acheter l’apaisement de leur conscience. Bien que ce ne soit qu’une startup parmi de nombreuses autres, elle était rapidement montée dans les classements et, grâce au bouche-à-oreille, les financements d’investisseurs et les partenaires commerciaux avaient commencé à affluer, si bien que l’entreprise avait grandi à une vitesse qui en aurait terrifié d’autres.
Heikkilä enfila une robe de chambre moelleuse et des pantoufles dorées avant de descendre à la cuisine. Il jeta au passage un regard au piano à queue, qui s’intégrait parfaitement au reste de la décoration, étudiée dans les moindres détails. Voilà ce qu’était devenue sa vie depuis qu’il était actionnaire de NxtDestination. Et bien entendu, les émissions de son propre voyage avaient été compensées, jusqu’au champagne qu’il avait avalé au spa avec ses compagnes la nuit dernière. Il se remerciait lui-même d’avoir sauté le pas en abandonnant son travail de programmeur, qui avait fini par l’ennuyer, pour s’associer à une startup intéressante et qu’il pourrait développer à l’infini. Il ouvrit une bière fraîchement sortie du réfrigérateur et retint sa respiration pour ne pas sentir l’odeur quand il la versa dans sa bouche avec précaution. Le liquide ne tenta pas de remonter et, après une demi-bouteille, son état commença à s’améliorer. Une fois la première bière terminée, il en prit une deuxième et se dirigea vers la terrasse. En chemin, il s’aperçut que l’eau bouillonnait encore dans le spa, sur le bord duquel se trouvaient trois flûtes à champagne et autant de bouteilles. Après avoir éteint les remous, il en remarqua encore une au fond de l’eau. Pas étonnant qu’il ait soif et mal à la tête.
Il avança jusqu’à la rambarde de la terrasse et regarda le fleuve qui s’écoulait de l’autre côté de la rue. Une file sans fin de bateaux-restaurants et d’embarcations plus petites s’alignaient le long de la Seine. Ces dernières étaient manifestement habitées, à en juger par la fumée qui s’échappait de la cheminée de l’une d’elles. Deux kayaks naviguaient lentement en direction de l’Atlantique, et l’un des deux rameurs lui fit signe de la main en l’apercevant.
Heikkilä lui rendit paresseusement son geste, puis se détourna. Il retourna au spa, posa sa bière à côté et se déshabilla,
laissant sa robe de chambre sur le dos d’une chaise et ses pantoufles soigneusement alignées par terre avant de descendre dans le bassin. Il repêcha la bouteille de champagne, la vida, puis la plaça sur le rebord à côté des autres. Il réactiva la piscine et s’adossa à la paroi pour profiter du soleil et de sa bière fraîche.
Pour une fois qu’il n’était pressé d’aller nulle part, et en tout cas pas à Leppävaara, le quartier d’Espoo où se trouvait le T2 vide qui lui tenait lieu de domicile depuis qu’il avait laissé la maison à son ex-femme, Annette, et à leurs enfants. Mais ce n’était qu’un faible prix à payer pour avoir pu garder toutes les parts de NxtDestination au moment du divorce. Annette avait pris son rêve pour une simple chimère, sans comprendre son engouement pour le développement de l’application. Elle changerait peut-être bientôt d’avis, quand le phénomène aurait atteint des proportions plus impressionnantes encore.
Heikkilä ferma les yeux face à la lumière du soleil. Une fois que la nausée fut passée, il s’endormit, bercé par le glougloutement régulier de l’eau.
Soudain, il se trouva assis à une grande table familière, ses filles Mari et Emma attendant de part et d’autre de lui devant leur assiette. On leur servit à gestes brusques une portion de purée de pommes de terre grumeleuse. Se demandant pourquoi Annette ne lui donnait rien, il se retourna et eut la surprise de découvrir la plus jeune des deux femmes de la veille, vêtue des habits de son ex ainsi que du tablier qu’il lui avait offert pour son anniversaire trois ans auparavant. La haine brillait dans ses yeux, mais elle enleva pourtant son tablier et commença à se déshabiller sans se soucier des enfants, qui fixaient la nourriture peu ragoûtante sans remarquer ce qui se passait dans leur dos.
Heikkilä se réveilla en sursaut lorsqu’une main puissante l’attrapa par les cheveux et lui plongea la tête dans les bulles. Paniqué, il but la tasse et se débattit, mais la poigne qui le retenait était ferme. Quand il émergea enfin, il cracha de l’eau jusqu’à pouvoir respirer normalement. Le chlore lui brûlait le nez et l’intérieur des joues. Les doigts ne l’avaient toujours pas relâché.
Il vit un homme en costume de petite taille, assis sur une chaise, sa bouteille de bière à la main et un sourire railleur aux lèvres. Le soleil qui tombait droit sur la terrasse faisait perler quelques gouttes de sueur sur son crâne nu et basané. L’homme hocha la tête, sur quoi la main fit replonger Heikkilä sous l’eau. Cette fois, il parvint à inspirer avant, mais il resta si longtemps immergé que ses poumons étaient sur le point d’exploser. Enfin, on le laissa de nouveau remonter.
Mon portefeuille est dans le coffre-fort, réussit-il à formuler en anglais après avoir pris quelques respirations.
Cela parut amuser le chauve, qui se laissa aller contre le dossier de la chaise tout en contemplant le malheureux Finlandais qui se trouvait devant lui. Finalement, la main relâcha sa prise et les bulles furent désactivées. Heikkilä n’osait pas détourner les yeux de l’homme. Il ne songeait même pas à résister. Il n’était qu’un ingénieur prudent d’âge presque mûr et dont les seuls muscles actifs étaient les fessiers. Il n’avait aucune chance.
Prenez ma carte bancaire, je vous donnerai le code, essaya-t-il.
Ferme-la, grogna le chauve. Je ne veux pas de tes centimes. Tu me dois un million, et je ne crois pas que tu aies ça dans ton portefeuille ni sur ton compte.
Je ne comprends pas, bégaya Heikkilä.
Il n’avait aucune idée de la raison de cette revendication. Il ne possédait pas une telle somme, et un cambriolage ne correspondait de toute façon pas au profil de cet homme en sur-mesure .
Kim Heikkilä. Mettons les choses au clair, histoire que tout le monde soit au jus, ça te donnera une vue d’ensemble et tu sauras peut-être accepter mes conseils d’ami. Je m’appelle Florin Murgă, se présenta l’homme, de la fierté dans la voix.
L’attitude de l’inconnu glaça Heikkilä. Il ne croyait pas un instant que cet homme lui avait donné son véritable nom. Et si c’était le cas, cela ne faisait que souligner sa position de faiblesse.
Je ne suis pas ici pour te voler, mais pour te faire chanter, déclara Murgă avec un petit sourire comme s’il s’agissait de la meilleure blague du monde. Allume ton téléphone, ordonna-t-il.
L’homme derrière Heikkilä lui tendit son portable. Pourquoi ? croassa celui-ci.
L’homme, d’apparence roumaine, les cheveux ras, deux mètres de haut et dopé aux stéroïdes, n’eut pas besoin de l’injonction de son chef pour lui flanquer une gifle en plein visage. Heikkilä sentit le sang lui gicler du nez. Il décida de ne pas attendre que cette main de la taille d’une pelle change de tactique et passe aux poings. Tremblant, il essaya d’allumer son téléphone, mais l’appareil glissa dans l’eau entre ses doigts mouillés.
Couillon, grommela l’armoire à glace dans un anglais à couper au couteau.
Il prit la robe de chambre sur le dossier de la chaise et la jeta à Heikkilä.
Sèche-toi les mains.
L’ingénieur obéit tout en se creusant les méninges afin de savoir pourquoi ils avaient besoin de son portable. Il ne contenait rien d’assez précieux pour les intéresser. Quand il se fut essuyé les mains, il déverrouilla son téléphone, puis leva les yeux vers Murgă.
Et maintenant ? osa-t-il demander. Tu as reçu un mail. Lis-le.
Heikkilä ouvrit son courrier électronique et y trouva un message envoyé dix minutes plus tôt par une adresse Gmail composée exclusivement de chiffres. Il n’y avait pas d’objet, mais il vit que le mail avait également été transmis à ses partenaires Adam et William.
Il y avait trois vidéos en pièce jointe. Il cliqua sur la première, qui portait le nom « Jacuzzi », dans laquelle il se reconnut en train de prendre l’une des deux minces brunes par derrière, tandis que la seconde sirotait un verre de champagne avec délectation. Il ne comprenait pas comment c’était possible. Dès qu’ils étaient entrés, Adam, William et lui avaient éteint les caméras de sécurité selon les instructions, et il avait vérifié une nouvelle fois avant l’arrivée des deux femmes que le système de surveillance était bien désactivé. Il visionna les deux autres clips, dont le contenu était similaire. Dans l’un d’eux, la caméra faisait le point sur le visage de la jeune femme, qui regardait droit vers l’objectif. Heikkilä se vit atteindre son paroxysme, puis se retirer dans le bassin pour aller faire sa fête à l’autre femme. Il était déjà bien éméché.
Un message WhatsApp d’Adam s’afficha à l’écran.
Tu t’es bien amusé hier, apparemment. Mais pourquoi t’as tout filmé, et c’est quoi cet expéditeur ???
Heikkilä ne savait pas quoi répondre. Toute l’affaire avait l’air de réjouir Murgă au plus haut point. Il se leva de sa chaise
pour venir reprendre le téléphone et tendre un passeport à Heikkilä. Celui-ci le regarda d’un air perplexe. C’était un passeport roumain.
Ouvre-le, sourit Murgă.
Après s’être exécuté, Heikkilä constata qu’il appartenait à la jeune femme qu’il baisait dans la vidéo. Dana Albescu. Il ne comprenait toujours pas ce que tout ceci signifiait. Quand Murgă remarqua que Heikkilä ne réagissait pas, il se pencha à côté de lui et dit :
La petite Dana n’est encore qu’une enfant, espèce de pédophile dégénéré. Elle aura quinze ans la semaine prochaine. Heikkilä déglutit, incrédule. Ce n’était pas possible. Dana était menue, mais ses hanches et ses seins étaient ceux d’une adulte et, pour ce qu’il se souvenait de la veille, ce n’était pas sa première fois. Murgă interrompit le flot de ses pensées :
Tu sais ce que ça veut dire ?
Heikkilä le devinait, mais il secoua la tête.
Il existe une loi dégueulasse, ici. En France, baiser une fille de moins de quinze ans, même consentante, est un crime grave. Atteinte sexuelle sur mineure. Ça donne droit à dix ans de taule et cent cinquante mille euros d’amende. Ta malheureuse petite affaire pourra même te valoir jusqu’à vingt ans. Six mois par coup de boutoir, si j’ai bien compté, rit-il d’un rire mauvais. J’ai des preuves, et il suffit que j’emmène la fille chez les gendarmes pour que tu sois privé de spa jusqu’à la retraite. Qu’est-ce que tu en dis ?
Heikkilä, ne sachant que dire, se contenta d’avaler sa salive. La nausée était revenue en force, il la sentait jusque dans son estomac. Murgă lui reprit le passeport, puis reporta son attention sur le portable, avec lequel il photographia le document. Il lut ensuite le message d’Adam et y répondit avec la photo,
avant de lancer le téléphone à Heikkilä, qui n’eut pas le temps de réagir. Il tâtonna le fond du bassin à la recherche de l’appareil et parvint à le sortir de l’eau. Par chance, il était étanche et avait encore l’air de fonctionner.
L’armoire à glace le lui reprit, tandis que le chauve glissait le passeport dans sa poche de poitrine.
Maintenant, tu devrais nous demander ce que tu peux faire pour que l’affaire soit tue, n’est-ce pas ? dit Murgă quand il se fut lassé du mutisme de l’ingénieur.
Heikkilä acquiesça, abattu. Il réfléchit à la somme qu’il devrait proposer, tout en songeant qu’aucune quantité d’argent dont il disposait ne pourrait suffire. Il ne serait jamais capable de rassembler un million. Murgă et son tas de muscles n’étaient pas venus là par hasard : ils l’avaient attiré dans un piège classique qui s’était refermé sur ses mains sales. Il était évident qu’il ne pouvait pas les dénoncer à la police. Heikkilä s’efforçait d’analyser la situation de manière aussi rationnelle que possible, mais ses pensées étaient aussi malléables qu’un gruau d’avoine d’une semaine abandonné au fond d’une casserole. Le numéro d’Adam s’afficha sur l’écran de son téléphone.
Je t’en prie, réponds, l’encouragea Murgă. Ton ami a dû comprendre les tenants et les aboutissants plus rapidement que toi.
Heikkilä prit le portable qu’il lui tendait et décrocha.
Allô ?
Putain de merde, Kim, qu’est-ce que t’as foutu ? Et c’est qui qui a envoyé ces vidéos ?
Il est à côté de moi, répondit Heikkilä.
Murgă lui fit signe de lui passer le téléphone. Heikkilä le lui donna.
Well, mister Adam Landner, vous avez bien fait d’appeler. Je suis mister Murgă, se présenta-t-il d’un ton aimable. Je crois que mister Heikkilä est encore trop sous le choc pour être en capacité de négocier son avenir.
Pour qui travaillez-vous ? voulut savoir Adam à l’autre bout du fil, qui se demandait comment Murgă connaissait son nom.
Pour moi-même, principalement, et pour une certaine organisation, si ça vous intéresse. Mais peut-être devrionsnous nous concentrer sur le problème qui nous occupe à présent, poursuivit Murgă d’une voix mielleuse qui aurait mieux convenu à un cocktail qu’à un chantage. Je pars du principe que mister Heikkilä ne se trouve pas en possession d’un million d’euros. C’est le prix de sa liberté pour les vingt prochaines années, un prix tout à fait correct, puisque cela représente moins de dix mille euros par mois, réparti sur les années à venir. Sans cela, l’alternative serait de passer ces années en prison, où les autres détenus en feront leur bouc émissaire pour lui faire payer sa pédophilie.
Il ne possède pas encore une telle somme, en effet, répondit Adam avant de s’interrompre, réalisant ce qu’il venait de laisser échapper.
— Je n’ai pas de temps à perdre, répliqua Murgă. Vous avez l’air d’être quelqu’un de raisonnable, quelqu’un qui serait capable de rassembler l’argent en une semaine.
Je ne crois pas que ce soit possible, objecta Adam.
C’est vraiment dommage, s’excusa Murgă. Je ne peux malheureusement pas attendre plus longtemps. Je rappelle qu’il existe un accord d’extradition entre la Finlande et la France, si jamais il venait à l’idée de quelqu’un d’essayer de se cacher là-bas. Quoi qu’il en soit, je vous envoie les instructions,
au cas où vous finiriez par trouver une solution. Ravi d’avoir pu discuter avec vous.
De même, répondit Adam d’une voix rauque.
Merveilleux, à bientôt dans ce cas. Dans une semaine, donc. Bonne journée à vous, souhaita Murgă avant de lancer le téléphone à Heikkilä.
Cette fois-ci, ce dernier parvint à le réceptionner.
Il est temps pour nous de partir, annonça Murgă à l’adresse de Heikkilä.
Sans attendre de réponse, il se détourna pour se diriger vers la porte, l’armoire à glace sur les talons. Aucun d’eux ne jeta le moindre regard en arrière. Heikkilä reprit ses esprits au son de la voix d’Adam au téléphone.
Kim, tu es là ? Allô ?
Ils sont partis, bafouilla Heikkilä. Je…
Les mots se bloquèrent dans sa gorge.
Je suis désolé.
Merde, c’est pas vrai ! jura Adam. Comment c’est possible, tout ça ?
Je ne sais pas. Les caméras de surveillance étaient désactivées, j’ai vérifié hier soir.
Tu aurais dû demander à voir le passeport de la fille avant ! enragea son associé.
Puis, après une pause :
Enfin, ça n’a plus d’importance, maintenant. Il faut que tu quittes cet endroit immédiatement. Viens à Londres, on verra ce qu’on peut faire. Pars sur-le-champ, tu m’as compris ? Oui.
Alors go, conclut Adam avant de raccrocher.
CANARY WHARF, LONDRES
Heikkilä regardait par la fenêtre de la salle de réunion. De l’autre côté de la place s’élevait le bâtiment blanc ivoire d’UBS. À un étage, des gens étaient rassemblés autour d’une table rutilante similaire à celle à laquelle il était lui-même assis. Mais l’atmosphère dans la salle d’en face était certainement plus gaie que celle de NxtDestination quelques instants plus tôt.
Établir leur QG dans le quartier futuriste de Canary Wharf avait d’abord semblé inutilement pompeux à Heikkilä, mais, une fois qu’ils avaient réuni le financement nécessaire, ils avaient tout de même installé leur bureau dans le gratte-ciel de verre le mieux placé des environs, sur la plage de North Dock. La Tamise s’écoulait de chaque côté de Canary Wharf, délimité au nord et au sud par les bassins du port, telles des douves. Chaque bâtiment respirait l’argent dépensé sans compter, qu’on aurait dit collé aux flancs des immeubles et des édifices brillant au soleil. Si Heikkilä s’était auparavant senti pauvre et petit dans cet environnement, il avait désormais l’impression d’être une boule humide, boueuse et minable qu’un chat aurait vomi sur un magnifique tapis persan. Il fixa la porte de la pièce comme s’il attendait son bourreau.
Avant même qu’il ait quitté Paris, Adam et William avaient fait appel aux juristes de la société afin de réfléchir à un moyen
de sauver la situation. Ses coordonnées avaient aussitôt été supprimées de leur site internet ainsi que des annuaires d’entreprises. Les joues de Heikkilä étaient couvertes d’une barbe de trois jours et il n’avait dormi que de manière sporadique depuis son retour de Paris. Devant lui se trouvait à présent un contrat de soixante pages, que les juristes avaient réussi à pondre en une journée. Le tout était écrit dans un jargon incompréhensible, mais le message central était clair et simple : on le jetait sous un bus, le tirait avec la chasse d’eau et, en échange de son départ de la boîte, lui payait une somme ridicule comparée à ce que sa part serait devenue après l’introduction en bourse.
Cinq exemplaires du contrat attendaient sur la table, aux places qu’avaient occupées Adam, William, les juristes et lui un peu plus tôt. L’offre comprenait la cagnotte que ses partenaires avaient pu rassembler en aussi peu de temps en puisant dans leurs fonds personnels. Cela suffirait à payer le million exigé et assurerait à leur ancien associé de pouvoir rester à flot jusqu’à ce qu’il se trouve un nouvel emploi. Heikkilä renifla à l’idée de chercher un travail. Des années de programmation allaient disparaître pour lui comme une trottinette électrique dans un bassin du port pendant que d’autres en récolteraient les fruits. Il était parfaitement conscient d’être responsable de la situation, dont le seul bonheur dans le malheur était qu’il avait été pris personnellement pour cible et non NxtDestination, juste avant son introduction en bourse. Bien que l’entreprise soit solvable, elle n’aurait pas résisté à la mauvaise presse qui aurait pu en résulter en quelques clics.
Pour éviter ça, Heikkilä allait devoir signer la vente de ses parts à Adam et William. Le contrat était bien entendu daté de la semaine précédant l’événement fatal. Adam et William ainsi
que les juristes lui laissaient soi-disant le temps de réfléchir à l’accord qui se trouvait devant lui, bien qu’ils sachent tous pertinemment que c’était lui qui mendiait leur merci, ramassant avec reconnaissance les morceaux de pain qu’on lui jetait avant de disparaître dès que possible du paysage ruiné par ses guenilles.
La fatigue et le stress lui firent monter les larmes aux yeux, qu’il essuya du dos de la main. Il avait le ventre noué par la honte et les remords. Passer le contrat en revue avait été très gênant pour tout le monde, et il n’avait plus l’énergie de prolonger encore le supplice. Il ouvrit son propre exemplaire et signa. Adam et William avaient déjà apposé leur autographe. Il fit ensuite le tour de la table pour faire de même avec les autres copies, puis il sortit sa carte bancaire d’entreprise de son portefeuille et la déposa devant la place d’Adam. Enfin, il retourna s’asseoir et poussa un profond soupir. Dans la salle de réunion d’en face, on apporta du champagne, les participants se serrèrent la main en souriant avant de trinquer ensemble.
Heikkilä n’était plus sûr de combien de temps il était resté assis là quand la porte de la pièce s’ouvrit et que les quatre hommes entrèrent discrètement comme pour éviter de le faire sursauter. Heikkilä garda le regard dans le vide et les mâchoires serrées. Quand le quatuor prit place, Adam aperçut la carte bancaire posée à côté de son exemplaire du contrat. D’un geste neutre, il regarda si tout était signé. Les autres l’imitèrent, échangeant des signes de tête presque imperceptibles. Après un moment de silence, Adam glissa la carte dans sa poche de poitrine et se leva.
Je vois que tu as accepté. C’était la seule décision raisonnable dans cette triste situation. Je suis sincèrement désolé
de ce qui s’est passé et j’aurais voulu pouvoir t’aider plus que ça. L’argent sera sur ton compte d’un instant à l’autre.
Mourant d’envie de hurler de rage, Heikkilä se contenta de déglutir. Il se contenait, car il savait qu’il pourrait avoir besoin de l’aide de ses anciens partenaires à l’avenir. Il se leva à son tour et prit son exemplaire, qui pesait lourd dans sa main. Les autres quittèrent eux aussi leur place tandis qu’il rangeait la liasse dans son sac à dos.
Je suis désolé, parvint-il à dire. Je suis vraiment désolé pour tout ça et je vous suis reconnaissant de m’aider.
Adam et William acquiescèrent sans un mot et attendirent qu’il vienne leur serrer la main.
N’hésite pas à nous contacter si tu as besoin d’aide, proposa William en lui donnant une tape amicale sur l’épaule. Merci.
L’un des juristes, vêtu d’un costume sur mesure, tenait déjà la porte ouverte. Heikkilä se dirigea vers la sortie et suivit l’homme jusqu’à l’ascenseur, où ils entrèrent l’un à la suite de l’autre. Il regrettait qu’on ne le laisse même pas quitter le bureau par ses propres moyens. Quand l’ascenseur s’arrêta devant le hall du rez-de-chaussée, le juriste sortit en premier et lui tendit la main.
Votre carte d’accès, je vous prie, monsieur Heikkilä, demanda-t-il.
Bien sûr, répondit celui-ci en plaquant un sourire forcé sur son visage. J’avais complètement oublié. Tenez.
Merci, je vous souhaite une excellente journée, le salua l’homme d’un ton inexpressif sans avoir l’air d’en penser un mot.
Merci, vous aussi, fit poliment Heikkilä.
Il avait plutôt envie de lui cracher à la figure. C’était très loin d’être une excellente journée.
Il tourna les talons et passa les portes coulissantes du bâtiment. Une fois dans la rue, il s’arrêta un instant pour réfléchir. Le plus simple aurait été de ramasser des pavés, de les fourrer dans son sac et de se jeter dans le canal, mais ça n’aurait pas arrangé sa situation. Il fit signe à un taxi et s’assit sur la banquette arrière après avoir indiqué l’adresse de son hôtel au chauffeur. Quand il aurait reçu l’argent, il l’échangerait en bitcoins pour l’envoyer à Murgă. Il espérait qu’après ça, tout serait fini pour de bon.
Il descendit du taxi un pâté de maisons avant d’arriver à destination pour passer dans un petit supermarché à moitié en sous-sol, où il acheta deux sandwiches et une bouteille de whisky. Enfin, il prit la direction de l’hôtel, qui, de par son prix et sa qualité, ne serait jamais choisi comme location par NxtDestination.
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Après une formation interminable auprès des services secrets finlandais, Henna Björk est soulagée d’être enfin envoyée sur le terrain. Sa mission : filer un homme répondant au nom de Mike. Mais elle comprend rapidement qu’il ne s’agit que d’un test visant à la préparer à l’étape suivante. Elle se retrouve alors plongée dans l’univers vertigineux du hacking et de la cybersécurité.
Sur le réseau Tor, les données de personnalités influentes sont revendues à prix d’or – dont celles d’une responsable de la cybersécurité militaire finlandaise. Accompagnée d’un hacker surdoué, Henna fera tout son possible pour mettre la main sur l’instigateur de cette vente de la mort, qui ne laisse derrière lui qu’une liste écrite en lettres de sang.