architecte et habitat participatif
rôles, postures et évolutions
Se positionner par rapport à l’émergence d’une critique du logement-produit
Table des matières Avant-propos ...............................................................................................................................002 Introduction .................................................................................................................................006 I.
L’habitat participatif, entre mouvement et perturbation ......................................................010 1.
L’habitat participatif ? ..............................................................................................................010
2.
Un mouvement dans une doxa en construction ......................................................................014
3.
Une légitime perturbation........................................................................................................024
II.
Un jeu (collectif) d’acteurs (individuels) ................................................................................030 4.
La recherche par l’humain ........................................................................................................030
5.
L’habitant comme expert .........................................................................................................034
6.
Une remise en cause des acteurs .............................................................................................040
III. L’inconfort de l’architecte .....................................................................................................048 7.
Posture militante et rapports humains comme moteurs.........................................................048
8.
Les temps incertains du projet .................................................................................................054
9.
Risques et limites d’une redéfinition des expertises................................................................060
10. La co-conception architecturale, méthode ou matière ? .........................................................070 Conclusion : L’architecte, cet expert du particulier… .....................................................................078 Bibliographie ................................................................................................................................089 Annexe 1 : Table des figures .........................................................................................................092 Annexe 2 : Entretiens ...................................................................................................................093 Entretien #1 : Jean-Paul Hermant ....................................................................................................093 Entretien #2 : Stéphane Faidherbe ..................................................................................................099 Entretien #3 : Serge Fraas ................................................................................................................105 Entretien #4 : Ludovic Gicquel..........................................................................................................113 Entretien #5 : Charlotte Le Marec ....................................................................................................117 Entretien #6 : Pauline Dozier ............................................................................................................121 Entretien #7 : Soizic Lelandais ..........................................................................................................127 Entretien #8 : Benjamin Pont ...........................................................................................................133 Entretien #9 : Elizabeth Devalmont..................................................................................................137
Avant-propos Introduction I/ II/ III/ Conclusion
Figure 1 : matérialisation d’une architecture particulière : le palais du facteur Cheval (F. Cheval, 1912)
Figure 2 : matérialisation d’une architecture générique : le plan Voisin (Le Corbusier, 1925)
Philippe Madec Philippe Madec (né en 1954) est un architecte et urbaniste pionnier de la notion d’éco-responsabilité dans ces domaines. Il a notamment reçu en 2012 le Global Award for Sustainable Architecture. Il devient en 2015 expert auprès de l’ONU pour la préparation du sommet Habitat III à Quito et y milite pour la prise en compte des «établissements humains» et contre une pensée de la ville «comme seul horizon». - Conférence à l’AG de l’association VAD (Ville Aménagement Durable) Ce siècle est celui du passage du générique au particulier.
Avant-propos Il me parait avant toute chose important de resituer ce travail de mémoire : pédagogiquement et scolairement parlant, celui-ci s’inscrit dans la lignée de mon rapport d’études 1 dont les objectifs étaient de comprendre ce qu’implique la vie en groupe et la notion d’habiter, et de définir les premiers contours de ce que l’on nomme « l’habitat participatif ». Ce mémoire prend également place dans la même temporalité que le début du PFE (Projet de Fin d’Etudes), que j’ai décidé d’effectuer en groupe sur le thème de la place de l’architecte dans le logement collectif et sur la notion de pratique du métier. Ainsi, rien de plus logique au fait que ce travail tisse sa toile de fils issus de ces travaux qui, bien que variés dans leurs formes, sont liés à la même chair et aux mêmes intentions viscérales2 qui en émanent. Justement, ces intentions viscérales. Au moment d’entamer ce mémoire, j’ai posé sur la table tout ce qui, dans ma tête valsait entre la curiosité et l’obsession. J’y ai vu dans un premier temps la notion ouverte d’être au monde3 qui a permis de comprendre que ma sensibilité aux espaces du vécu faisaient transiter mon « être au monde » personnel par la notion de l’habiter. Et ce à toutes les échelles, car comme on ne cesse de nous l’enseigner en école d’architecture, l’échelle est une notion qui discrimine autant qu’elle raccorde, tisse, noue. Cette pensée ramène donc à ce que veut dire habiter un logement bien sûr, mais aussi habiter la ville, et enfin habiter la planète. On parle beaucoup de l’articulation « penser global, agir local » comme d’un marqueur des pensées à venir, mais je dirais que j’ai été plus influencé par la version de Philippe Madec, qui nous dit d’un air prospectif et optimiste que « ce siècle est celui du passage du générique au particulier » 4. Cette citation est à mon sens plus appliquée au champ architectural, marqué particulièrement par les théories du siècle précédent des penseurs de l’architecture et de la ville armés de leurs innombrables concepts génériques et décontextualisés. Puis cela m’a poussé à m’intéresser à ce qu’est le générique et ce qu’est le particulier. Comment s’incarnent-ils, par quelles modalités ? Que veut dire la marge, que veut dire la masse ? C’est ici que plusieurs nouveaux éléments interviennent dans la construction de mes pensées : l’accélération de la prise de conscience écologique (par moimême et mon entourage), mes rencontres, et des lectures dont celle de La Zone du dehors 5, roman de science-fiction politiquement engagé (qui ne saurait toutefois être simplement réduit à cela). En effet, ce livre amène à observer la société, les médias, les « solutions », les alternatives et leurs porteurs d’un œil nouveau, considérant qu’il n’y a rien à attendre des autres en termes de changement, puisque les autres ne sont jamais qu’un « moi » dans un autre référentiel. Les « sociétés de contrôle » évoquées par Michel Foucault se développent en réalité de manière insidieuse et se complaisent à connoter, à charger le terme d’ « alternative » afin que ses porteurs s’excluent mieux d’eux-mêmes de cette société qu’ils rejettent. Ce qui a pour effet de me renforcer dans l’idée que la « priorité écologique » (au Félix Lacoin, « Pratique de l’habiter en habitat groupé », mai 2016. Gilles Desevedavy, « UE 091A-101 - My éthique Maïeutique - » (2017). 3 Tim Ingold, Philippe Descola, et Michel Lussault, Être au monde : quelle expérience commune ?, Presses Universitaires de Lyon, Grands débats : mode d’emploi (Lyon, 2014). 4 Philippe Madec, Assemblée Générale VAD (Ville & Aménagement Durable), 12 décembre 2016. 5 Alain Damasio, La Zone du dehors, Cylibris, SF, 1999. 1 2
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Alain Damasio Alain Damasio (né en 1969) est un écrivain de science-fiction politique. Ses textes au style si particulier sont influencés par Foucault ou bien Deleuze et traitent de manière critique de thèmes comme la technophilie ou bien la publicité. Son regard prospectif sur l’ambiguité des alternatives et les sociétés de contrôle apportent à mon sens une vision sur le futur décalée des expertises traditionnelles de l’architecture ou de la sociologie. - La Zone du Dehors, 1999 Croyez-vous qu’un marginal puisse se satisfaire d’une marge ?
Figure 3 : L’opposition, le choc frontal, produisent des turbulences. Comment prendre l’alternative ?
sens propre d’intérêt premier) doit se poursuivre en s'insérant dans les rouages en place. Glisser dans le même sens pour changer quelque chose, et non s’opposer frontalement est une des thèses d’Alain Damasio, qui lutte contre la formalisation de la notion même d’alternative. D’ailleurs, selon lui, « Croyez-vous qu'un marginal puisse se satisfaire d’une marge ? »6. Cela me permet de dire que ce travail a de fait été éxécuté selon un certain regard, et qu'il est important à mon sens de faire un retour critique sur celui-ci : les limites de ce mémoire sont (en parties) liées aux limites de mes influences qui sont (hélas ?) en nombre fini alors que la volonté (et non pas la capacité !) de réflexion de son auteur a rapidement tendance à se penser sans limites...
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Damasio.
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Référence liée à l’un des 9 entretiens menés Référence liée à la recherche bibliographique et/ou au dossier de 6 études de cas
Première citation d’une référence donnée Prénom Nom (Entretien) Brève description de l’activité, du statut personnel/professionnel et des thèmes de travail. - Eventuels ouvrages utilisés dans ce travail - ... Eventuelle citation utilisée sur la page de droite
Prénom Nom (Autre) Brève description de l’activité, du statut personnel/professionnel et des thèmes de travail. - Eventuels ouvrages utilisés dans ce travail - ... Eventuelle citation utilisée sur la page de droite
Citations suivantes de cette même référence
Prénom Nom (Entretien) Citation utilisée sur la page de droite
Prénom Nom (Autre) Citation utilisée sur la page de droite
Introduction Le cœur du propos de ce travail est d’étudier les relations entre la figure de l’architecte et l’habitat participatif en essayant de comprendre ce qui se cache dans les replis de ce « termebanderole » et de remettre en perspective la ré-émergence de ce mouvement dans notre contexte actuel. Dans un premier temps, et après avoir défini le cadre et les termes de ce sujet, nous allons montrer en quoi le fait d’assimiler l’habitat participatif à un mouvement lui confère un statut transcendant la simple modalité du projet architectural et le lie à des problématiques sociales plus larges, qui esquissent autant les limites de son cadre de développement que la différence fondamentale avec le socle historique dont il est issu. Dans un deuxième temps, nous allons tenter de saisir une partie de la valeur humaine du mouvement, de ses acteurs et des mécanismes qui sont à l’œuvre dans les opérations actuelles de l’habitat participatif. En clair, comprendre ce qu’implique concrètement l’habitat participatif au niveau des êtres humains qui interagissent dans la sphère qu’il délimite. Et cela se traduit de manière opératoire grâce au volet « recherche » de ce mémoire mené via une méthode dialectique rôle/postures qui va avoir pour approche l’émulsion entre plusieurs types de données : bibliographiques, issues d’un travail (reposant sur 6 études de projets) réalisé par un groupe de chercheurs7 et enfin un ensemble de 9 entretiens d’une heure environ réalisés auprès de divers professionnels du milieu de la construction touchant de près ou de loin à l’habitat participatif. De manière logique, il parait absolument indispensable de se concentrer sur l’architecte dans un troisième temps. En identifiant bien sûr des rôles et des postures, mais surtout en montrant qu’il agit aujourd’hui dans un système de paradoxes qui rendent son action compliquée et sa position inconfortable. L’idée est de faire émerger les inévitables tensions liées à un processus qui se construit peu à peu, qui empêchent ou freinent actuellement les architectes pour s’impliquer pleinement dans l’habitat participatif. Tout en n’occultant pas pour autant le fait qu’elles offrent une remise en cause et des potentialités de mutation bienvenues pour un professionnel qui compose avec une certaine frustration dans le champ du logement actuellement. Enfin une dernière partie jouera autant un rôle de conclusion – bien évidemment ouverte et ouvrante – qu’elle portera un regard prospectif, dans une approche tout aussi exploratoire que suggestive. En effet, comment ouvrir sur ce sujet sans parler du futur ? Non pas pour le plaisir de pratiquer la voyance, mais bien parce que ce mémoire porte sur un mouvement en ré-émergence vu par le prisme d’une pratique professionnelle future. Ainsi, ces deux composantes essentielles requièrent un regard résolument tourné vers l’avant. De plus, Heidegger parlait de la notion du Dasein 8, « d’être au monde », pour laquelle il érigeait le futur en dimension principale du temps qui va donner un dynamisme à la temporalité de ce Dasein. L’acte prospectif apparait comme fondamental en réalité. Non seulement pour faire émerger les limite et conditions de développement du mouvement mais aussi d’un point de vue sensible, des valeurs : comment est-ce que j’aimerais que les choses évoluent ? La recherche de développement est un aspect fondamental de l’habitat participatif comme nous 7 8
Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? », 2016. Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, 1992.
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Figure 4 : Vue du coeur du projet Brutopia (Bruxelles, Stekke + Fraas), un projet prĂŠcurseur et inspirant sur de nombreux plans
allons le voir, quand l’essaimage est une notion-phare du procédé alternative-norme en plus d’être un élément constitutif de l’identité du mouvement. Or cet essaimage est intimement lié aux actions menées par les différents protagonistes du mouvement, dont ceux que j’ai pu rencontrer ou lire. Ainsi, la problématique qui a orienté ce travail est celle de dessiner des possibles : quel rôle peut jouer l’architecte (et l’architecture), mû par une posture propre et armé des outils qui lui sont conférés, dans le développement d’un mouvement qui ne peut pas se contenter de rester marginal au vu de sa légitimité sociétale et de l’importance cruciale des questions qu’il soulève ? Mais aussi des souhaitables : les enseignements que j’ai reçus m’ont appris que l’étudiant est tout autant un être humain particulier qu’un professionnel en devenir, ce qui implique qu’il devient difficile, voire impossible de nier sa propre subjectivité. Ce qui signifie que ce mémoire est empreint de cette subjectivité, ce qui ne l'empêche pas je l'espère de rester rigoureux, compréhensible et agréable à la lecture.
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Figure 5 : Approche scientifique par la terminologie : qu’est-ce donc que l’habitat participatif ?
I.
L’habitat participatif, entre mouvement et perturbation
Cette première partie a pour objectif de creuser un peu cette chimère qu’est l’habitat participatif, de comprendre ce qu’on entend derrière ce terme aussi médiatisé que vaste, et d’explorer selon quelles modalités il se matérialise. En clair, à la manière d’un voyageur se préparant à partir pour un pays dont il ne connait que le nom, essayer de savoir dans quoi l’on va mettre les pieds. Parallèlement à ce premier contact nous ajoutons une première analyse par le prisme des notions de « mouvement » et de « perturbation », que nous utiliserons afin de montrer en quoi cette période précise dans l’histoire de l’habitat participatif va engendrer certaines conséquences pour l’architecte qui s’y intéresse.
1. L’habitat participatif ? Le mémoire étant un travail de recherche, il parait incontournable de définir le cadre d’étude et les termes principaux du sujet. Une des difficultés éprouvées à ce moment-là est de faire coïncider la « puissance » de travail disponible avec la largeur du sujet choisi, qui, comme nous l’avons expliqué précédemment, a eu une certaine tendance à naviguer lui aussi du « global au local »… Afin de comprendre le titre de ce travail « Architecte et habitat participatif : rôle, postures et évolution » nous allons expliciter les termes qui peuvent poser question. Dans un premier temps, les termes « habitat », « participatif », puis bien sûr « habitat participatif » car la somme des deux premiers ne suffit pas à définir tout ce qui peut se cacher derrière cette notion. La définition de « rôle » et « postures » se fera dans une seconde partie. Le cadre d’études se cantonne à la France (et à la Belgique pour certains entretiens) pour réussir à aller plus profondément dans le sujet, bien que la présence de nombreuses opérations variées dans des pays tels que l’Allemagne, la Suisse, le Danemark ou encore le Canada ont indéniablement influencé ce travail, notamment par leur existence et leur impact sur l’expérience ou la pensée de nombre d’auteurs sur le sujet. Il est d’abord intéressant de donner une définition de l’habitat qui m’a beaucoup influencé à titre personnel dans ma conviction que l’habiter est un acte particulièrement chargé et donc tout à fait singulier dans le travail de l’architecte. C’est là une première hypothèse : l’architecte ne peut pas prendre à la légère l’acte d’habiter par rapport à l’importance des investissements qu’il engendre. Voici donc la définition de l’habitat donnée par Stephan Courteix lors d’un cours de L1 à l’ENSAL : « Habiter se présente donc comme un acte constituant pour soi, structurant dans le rapport aux autres : par le découpage et l’assignation d’un espace privé / pour soi, démarqué d’un espace public / pour autrui. Habiter suppose pour un sujet ou un groupe de sujet, un découpage au sein du monde commun d’un espace plus ou moins clos, séparé, identifiable, susceptible d’être investi de façon personnalisée. Philosophes, psychologues, sociologues, anthropologues se rejoignent ainsi sur le fait que l’habitat, comme support concret et symbolique de l’habiter, se trouve pris au croisement entre projection : - d’un ordre social (conditions sociales qui déterminent tel ou tel type d’espace pour se loger) - d’un ordre psychique (conditions personnelles qui déterminent l’usage que fait chacun de
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Figure 6 : Synthèse graphique de la loi ALUR votée en 2014
Bruno Parasote Bruno Parasote (né en 1972) est un urbaniste directeur de l’Aménagement Urbain, de l’Urbanisme et du Developpement Durable à Illkirch-Graffenstaden, référent de l’association Eco-Quartier Strasbourg, et habitant d’un habitat groupé en autopromotion. Il est l’auteur d’un des rares ouvrages de référence en France sur l’habitat groupé, qu’il connait de manière professionnelle et associative autant qu’il l’expérimente de manière personnelle. Ce double regard apporte à son propos une exhaustivité qu’il couple avec une approche très pédagogique du sujet, ce qui rend ses textes clairs et loin de la distance imposée par certains ouvrages scientifiques. - Autopromotion, écologie, habitat groupé et lien sociaux, 2011 - L’habitat participatif, du vrai made in France, 2016 Dénomination appelant plutôt à la méthode d’élaboration ou de gestion de l’habitat, voulue de manière partagée avec ses occupants. Parce qu’il est compréhensible par tout un chacun, il devient progressivement le terme fédérateur pour désigner toutes les mouvances de projet faisant appel aux citoyens dans leurs élaborations.
l’espace dans lequel il loge) » 9 . On comprendra aisément à la lecture de cette définition ce qui justifie l’hypothèse visant à considérer l’habitat – et donc l’architecture de l’habitat – comme fondamentalement différents et « plus puissants » sur le plan affectif que les autres programmes susceptibles d’être maniés par l’architecte. La notion de « participatif » parait suffisamment bien définie et pertinente sur le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI) : «Participation : Intervention dans les discussions et les décisions touchant l’organisation, la politique générale et l’avenir d’une communauté »10. Nous reviendrons plus tard sur le sens médiatique actuel du participatif. Cela nous amène à passer directement à la combinaison de ces deux termes, « habitat participatif ». Il en existe nombre de définitions, dont voici les plus pertinentes : selon la récente loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR) votée en 2014, « L’Habitat Participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis. » 11. Puis selon les acteurs professionnels de l’habitat participatif réunis lors des Journées Nationales de l’Habitat Participatif à Strasbourg en 2010, à travers un livre blanc rédigé par l’association Eco-Quartier Strasbourg dans ce qui constitue en réalité un acte fondateur de l’habitat participatif actuel en France : « Ce terme fédérateur désigne toute une série d’initiatives dont l’objectif est la recherche d’alternatives aux cadres de production classiques du logement, en positionnant l’usager au cœur de la réalisation et de la gestion de son lieu de vie » 12. Et selon Bruno Parasote, qui fait partie des références dans ce petit monde qu’est l’habitat participatif en France : « Dénomination appelant plutôt à la méthode d’élaboration ou de gestion de l’habitat, voulue de manière partagée avec ses occupants. Parce qu’il est compréhensible par tout un chacun, il devient progressivement le terme fédérateur pour désigner toutes les mouvances de projet faisant appel aux citoyens dans leurs élaborations.» 13 On peut donc voir que ces définitions, qui font autorité en France, ont en commun de définir assez largement un état d’esprit plus qu’un mode opératoire précis (comme on pourrait définir une VEFA ou autre). C’est dans cette idée-là que ce travail prend suite : ne pas s’attacher rigoureusement à une approche opératoire et cloisonnée du sujet. En effet, bien que les montages juridiques et financiers aient leur importance, ces définitions sont fondamentales car il parait primordial que l’architecte effectue le travail réflexif de se demander ce que signifient et véhiculent des notions comme l’habiter et ses mutations, la participation et l’usage, l’habitant et l’expertise etc… avant de se poser la question réelle du mode opératoire. Qui, de surcroît, est désormais plus précisément défini par la loi ALUR (votée en 2014) avec la division en coopératives d’habitants et société d’attribution et d’autopromotion (Fig. 6). Il s’agit d’une seconde
Stéphan Courteix, « E232 - Pratiques de l’habiter - » (ENSAL, 2012). « Participation », Trésor de la langue Française Informatisé, s. d. 11 legifrance.gouv.fr, « Loi ALUR Art. 47 » (2014). 12 Anne-Laure Euvrard et Eco-Quartier Strasbourg, Livre blanc de l’habitat participatif, 2011. 13 Bruno Parasote, Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux, Yves Michel, 2011. 9
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Anne d’Orazio Anne d’Orazio est une architecte-urbaniste chercheuse au sein du laboratoire Mosaïques-Lavue et maitre-assistante à l’ENSAPV, sur le thème de l’émergence et le renouvellement des expériences d’habitat groupé autogéré et d’habitat participatif. - Les architectes face à l’habitat participatif : Entre miilitantisme et professionnalisme ? (Avec Véronique Biau), 2013 - La nébuleuse de l’habitat participatif, 2012 - L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ?, 27/02/2017
Figure 7 : Le Familistère de Guise de J-B Godin (2nde moitié du XIXème siècle) est une des premières «expérimentation» du vivre-ensemble
Camille Devaux Camille Devaux est une chercheuse en sociologie, urbanisme et politique qui a écrit une thèse sur l’habitat participatif dans l’action publique à l’Université de Paris Est. Elle s’attache notamment à observer les effets de l’habitat participatifs sur les acteurs et politiques «classiques» de la ville et de l’habitat. - Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ?, 2013 Les mouvements actuels se construisent parallèlement à des formes institutionnalisées de participation de la société civile.
hypothèse à mettre à l’épreuve de l’étude : il faut d’abord comprendre ce que l’habitat participatif signifie et implique avant de se demander comment il fonctionne. Tout cela permet de dire que l’habitat participatif apparait plus comme une pensée, celle de partir des habitants comme valeur première et inclue dans la chaine de production de l’habitat, plutôt que d’une opération immobilière définie. D’ailleurs, on peut voir que l’habitat participatif se matérialise sous de nombreuses formes qui peuvent être croisées ou séparées dans une même opération : habitat groupé (importance accrue de la notion de mutualisation d’espaces ou de ressources…), autopromotion (le groupe habitant assume les rôles traditionnellement dévolus aux promoteurs), autoconstruction (le groupe habitant prend en charge la construction de son logement) etc … On se rend bien compte que l’habitat participatif n’est pas nouveau : beaucoup de gens se sont un jour posé des questions sur ce que signifie habiter (ensemble) ?... Dans un sens affectif, pouvoir parler de « son » logement, dans un sens social, c’est-à-dire avoir des relations de voisinage, une vie de quartier qui nous conviennent etc… ou bien dans un sens matériel et économique, avec les notions de mutualisation ou bien d’économies d’échelles … C’est ainsi que l’habitat participatif est souvent considéré comme descendant lointain des « expérimentations sociales » des précurseurs 14 Fourier et Godin matérialisées par le Familistère de Guise qui offre avec sa cour centrale un lieu de vie communautaire. Mais aussi des kibboutz israëliens qui mêlent abolition de la propriété privée, égalité entre tous et agriculture, ou encore des коммунальки (« komunalki ») soviétiques. Et enfin de manière plus proche du mouvement autoconstructeur des Castors des années 50 ou des initiatives du Mouvement pour un Habitat Groupé et Autogéré (MHGA) des années 70 qui visait à « ‘permettre une connaissance mutuelle véritable [des habitants] et des prises de décisions collectives’, ‘permettre à une vie de groupe de s’y développer’, ‘participer à la vie sociale du quartier ou de la commune’, ‘rompre le système de ségrégation sociale dans lequel nous vivons’ et ‘fonctionner en autogestion’ etc… »15. Camille Devaux attire notre attention sur le fait que les mouvements actuels (depuis 2005 environ) se différencient des mouvements des années 60-70 par le fait qu’ils « « se construisent parallèlement à des formes institutionnalisées de participation de la société civile » 16. Nous allons voir ce que cette thèse implique et pourquoi il est fondamental de lire l’actualité comme un dépassement et non une copie des mouvements historiques.
2. Un mouvement inscrit dans une doxa en construction On peut constater qu’avant toute notion de processus, ou de mode opératoire, les acteurs de l’habitat participatif s’inscrivent dans une filiation de valeurs, voire d’idéologies. Cela s’explique par le fait que l’habitat participatif se construit également par rapport à des contre-modèles : Anne d’Orazio nous dit que « les alternatives sont portées par une classe Anne D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? », 27 février 2017. Mouvement de l’Habitat Groupé et Autogéré, « Charte », 1978. 16 Camille Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? », 2013. 14 15
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Figure 8 : Tableau des valeurs du mouvement issu du Livre Blanc de l’Habitat Participatif par l’association Eco-Quartier Strasbourg
moyenne jeune et éduquée qui s’inspire des mouvements passés tout en considérant que l’habitat est plus que du logement, et ce en visant le contre-modèle de la vente sur plans notamment »17. L’union se fait par l’opposition à un ennemi commun, ici personnifié par la personne du promoteur notamment, qui réduit le logement à un produit déshumanisé et décontextualisé (si ce n’est du champ du marché immobilier local). On distingue deux mouvements idéologiques distincts dans l’habitat participatif : les porteurs de la coopérative d’habitants, qui vont se rapprocher de valeurs telles que « la non-spéculation ou le logement pour tous »18 et sont principalement représentés par l’association Habicoop, et les porteurs de l’autopromotion qui vont eux s’inscrire dans la filiation du Mouvement pour un Habitat Groupé Autogéré (MHGA) et du mouvement de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et mettent en avant l’idée de « dépasser le caractère individualiste de l’habiter, à rompre l’asymétrie entre habitants-usagers et professionnels-décideurs et à faire prévaloir des formes de coproduction »19. Cependant, l’ensemble des participants semble s’accorder sur une base de valeurs communes considérable comme le résume très bien l’ouvrage fédérateur qu’est le Livre blanc de l’habitat participatif, en définissant 5 enjeux d'intérêt général20 : - Générer des liens sociaux/entraide/mixité - Réponse alternative/innovante aux difficultés d'accès au logement - Régulation des prix des marchés immobiliers - Dynamisation du développement des territoires urbains/ruraux en s'appuyant sur les initiatives citoyennes. - Habitat durable qui intègre pleinement la dimension environnementale Ce livre blanc rédigé par l’association pionnière Eco-Quartier Strasbourg fournit aussi un tableau (Fig. 8) qui regroupe les « valeurs socles » du mouvement mais aussi les valeurs propres à chacune des branches de ce même mouvement. Avant même de s’intéresser au contenu de ce tableau, il est intéressant de constater que le document définit l’habitat participatif comme un « mouvement ». Quelques définitions encore très objectives de la notion de « mouvement » sont ici utiles : « mouvement : une action collective qui vise à infléchir une situation sociale ou politique » 21 oui bien « mouvement : un groupement, parti, organisation qui animent des actions visant au changement politique ou social » 22. Dans les deux versions, le volet politique et social est présent. Le fait de considérer l’habitat participatif comme un mouvement parait fondamental pour comprendre ses acteurs : ils sont littéralement mus par des valeurs et militent de manière active pour inscrire celles-ci dans le cadre d’un changement politique et social. De plus les acteurs de l’habitat participatif cherchent un consensus (représenté par le terme fédérateur d’« habitat participatif ») au-delà des dissonances internes afin de faciliter « l’exposition médiatique, la reconnaissance étatique et la facilitation législative du mouvement » 23.
D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » Anne D’Orazio, « La Nébuleuse de l’habitat participatif », Métropolitiques, 2012, 4. 19 D’Orazio. 20 Euvrard et Eco-Quartier Strasbourg, Livre blanc de l’habitat participatif. 21 « Mouvement », Trésor de la langue Française Informatisé, s. d. 22 « Mouvement ». 23 D’Orazio, « La Nébuleuse de l’habitat participatif ». 17 18
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Figure 9 : Une doxa rassemble des opinions largement partagées et admises sur le plan des valeurs par le plus grand nombre
Eric Donfu Eric Donfu (né en 1961) est un sociologue et écrivain fondateur d’un atelier appelé Dialogue et Relations Sociales (DRS). Il travaille notamment sur les relations entre individu et groupes, dans la vie privée et professionnelle. Ses travaux sur le mouvement DIY font preuve d’une analyse fine de la doxa en construction en plus d’apporter un regard historiciste sur ce mouvement. - Mouvement DIY, 2010 [Le mouvement DIY est] Né du mélange de l’esprits des squats, des fanzines, du troc, des friperies etc... avec les valeurs de la Beat génération et l’inventivité des enfants d’Internet.
De plus, la notion de mouvement renvoie sémantiquement à des références comme le MHGA ou les Castors évoqués précédemment, mais elle permet également de faire la passerelle entre l’habitat participatif et de nombreux mouvements parallèles ancrés dans notre époque, qui permettent de penser que nous sommes dans une phase de création d’une doxa, et – c’est là une des hypothèses fondamentales de ce travail – que l’habitat participatif s’inscrit dans cette doxa. Tout d’abord qu’est-ce qu’une « doxa » ? En posant cette question, émerge une notion vague aux contours indéfinis, mais que l’on perçoit comme présente, importante. L’impression d’être partie prenante d’un changement des mentalités à l’échelle de la société, et de n’avoir le nez collé que sur une de ses manifestations (l’habitat participatif donc) sans être capable de prendre du recul. Opérons alors un décalage temporaire par rapport au champ de l’architecture pour voir ce que les sociologues pensent de cette hypothèse, dans une idée constamment présente dans ce travail d’aller-retour entre la théorie et ses matérialisations. Définissons d’abord la « doxa ». Selon le lexique du site de ressources Socius, «Héritée de la rhétorique et de la philosophie antiques, la notion de doxa renvoie à l’ensemble des opinions couramment admises, des croyances largement partagées, des savoirs informels diffusés au sein d’une communauté socio-historique et culturelle donnée. »24 L’article explique aussi que la doxa possède un aspect de confort mental, de facilité etc… mais est surtout reconnue pour sa large surface de diffusion. Ainsi, cette définition peut nous inciter à croire que nous sommes dans une nouvelle doxa, ou tout du moins dans la phase de construction de celle-ci. Donc actuellement, les porteurs de cette future doxa sont considérés comme alternatifs même s’ils s’appuient sur une idéologie fondée et des raisonnements rigoureux. Peut-être que dans le futur, ce qui émerge aujourd’hui pourra rentrer dans la définition de cette doxa des communs comme nous pourrions l’appeler grossièrement ? Car c’est bien de ça dont il s’agit. Une doxa se fonde sur des valeurs : ici le vivre-ensemble, le partage, la mutualisation de ressources, l’entraide, l’ouverture, le lien social, etc… et se manifeste par des mouvements émergents qui rencontrent un succès grandissant, dont on peut facilement citer de manière désordonnée un nombre d’exemples conséquent : le covoiturage, le coworking, l‘opensource, le mouvement Do It Yourself, les MOOC (Massive Open Online Course), les communs de la connaissance 25 (système ouvert et contributif qui vise à protéger, partager, faire perdurer des ressources matérielles ou immatérielles) etc … Pour mieux comprendre cette doxa il faut pouvoir en définir les sources. Eric Donfu, sociologue et fondateur de DRS (Dialogues et Relations Sociales) qui s’intéresse notamment au mouvement Do It Yourself (DIY), en parle comme étant « né du mélange de l’esprit des squats, des fanzines, du troc, des friperies etc… avec les valeurs de la Beat génération et l’inventivité des enfants d’Internet » 26 et situe ses origines aux années 70 avec la création du Whole Earth Catalogue (1968-1972) dans les communautés hippies. Cet ouvrage était un guide rassemblant une somme de tutoriels pour fabriquer soi-même toute sorte de produit, dans un esprit proche d’Internet et de sa mise en partage de connaissances. Un des autres François Provenzano, « Doxa », Lexique Socius, s. d., http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21lexique/57-doxa. 25 Claire Brossaud, « Les Communs de la connaissance » (ENSAL, 15 février 2016). 26 Eric Donfu, « Mouvement DIY », s. d. 24
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Eric Donfu Le mouvement DIY est poussé par deux forces : l’une sociale, artistique et communautaire, et l’autre technique, économique et écologique.
Figure 10 : résultat de la recherche «Do It Yourself» sur Pinterest : 3 occurrences sur 4 sont liées à des végétaux
Jean Viard Jean Viard (né en 1949) est un sociologue spécialiste des questions d’économie, de politique et d’aménagement des territoires ainsi que de mobilité et de «temps sociaux». Il découpe notamment la vie humain en un certain nombre d’heures consacrées à diverses activités, ce qui lui permet de comparer les différentes époques en termes de temps de loisir et de leur utilisation notamment. - Les habitants de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui, 2011 Notre société ne doit pas se diriger ves le repli et l’identité, mais vers la convivialité et l’ouverture.
points essentiels relevés par Eric Donfu suggère que le mouvement DIY est « poussé par deux forces, l’une sociale, artistique et communautaire, et l’autre technique, économique et écologique »27. C’est ici la première mention de la notion d’écologie, qui se trouve être également bien présente dans le tableau des valeurs de l’habitat participatif (Fig. 8) et cela conduit à une autre hypothèse, qui est en réalité un développement de la précédente : il parait essentiel de comprendre la doxa en construction par la collision créatrice des possibles d’Internet avec la prise de conscience de l’urgence écologique 28, qui sont deux notions d’une importance si grande qu’il est légitime de penser qu’elles ne peuvent qu’affecter considérablement la manière de penser d’une grande part de la société. Le sociologue Jean Viard estime qu’il est important de comprendre Internet comme facteur de l’évolution d’une « société qui ne doit pas se diriger vers le repli et l’identité mais vers la convivialité et l’ouverture » 29. On pourra noter l’emploi, probablement pas hasardeux, du terme « convivialité » ré-introduit par Ivan Illitch dans son ouvrage éponyme, pour définir à la fois « des outils dont la fonction est déterminée par celui qui les manie plutôt que par celui qui les conçoit, et un type de société post-industrielle caractérisé par ces outils, l'autonomie et l'interdépendance. » 30 Pour en revenir à l’étude du mouvement DIY, celui-ci consiste à s’éloigner de la marchandisation et des réseaux commerciaux traditionnels pour construire par soi-même tout ce qui pourrait nous servir ou servir à d’autres, et si possible à créer de la connaissance en partageant le mode opératoire du faire. Il est ainsi une des manifestations de cette doxa qui remet en cause des concepts comme la croissance et s’érige en contre-culture face aux dérives de la société de consommation qui apparaissent néfastes pour la planète comme pour la santé 31, tout en puisant son succès dans la puissance de diffusion et de partage de la société en réseaux 32. Afin de mieux saisir cette notion de doxa et de se rapprocher progressivement de l’habitat participatif, nous parlerons d’une des manifestations de celle-ci dans le champ de l’économie, qui en réalité recouvre bien sûr beaucoup de domaines de la quotidienneté : il s’agit de l’économie collaborative (EC) qui « s’inscrit dans l’horizontalité des modes de conception, de production et de consommation, synonyme de coordination (plus ou moins) directe entre les individus, souvent avec l’appui des nouvelles technologies de l’information et de la communication […] et est marquée par la dynamique de démocratisation des aptitudes et des compétences. » 33. Les auteurs expliquent que l’économie collaborative porte aussi des espoirs sociétaux 34 : promesse d’un lien social renouvelé et renforcé, d’une convivialité retrouvée… Mais aussi réduction de l’empreinte écologique de notre consommation par l’optimisation de biens actuellement sous-utilisés, mutualisation qui peut tout à fait être lue à la lumière de cette doxa. Il est intéressant de noter que l’économie Donfu. Gilles Clément, « L’alternative ambiante », 2009. 29 Jean Viard, « Les habitants de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui », 2011. 30 Ivan Illitch, « Convivialité », Wikipédia, consulté le 12 novembre 2017, https://fr.wikipedia.org/wiki/Convivialit%C3%A9. 31 Donfu, « Mouvement DIY ». 32 Manuel Castells, La société en réseaux, Fayard, 2001. 33 Simon Borel, David Massé, et Damien Demailly, « L’économie collaborative, entre utopie et big business », Esprit, juillet 2017, 10. 34 Borel, Massé, et Demailly. 27 28
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Figure 11 : Tableau présenté par le site Allovoisins à propos des valeurs qu’ils véhiculent
Jean Viard Le logement est au coeur du système de relations sociales, qu’elles soient matérialisées dans le logemeent ou dématérialisées via le logement comme fenêre sur le monde.
collaborative se matérialise selon Borel, Massé et Demailly dans 4 grands domaines 35 : production-réparation, éducation, financement et consommation. Quid de l’habitat ? En effet cette répartition offre l’occasion d’opérer un recul et de remettre en perspective le mouvement de l’habitat participatif dans cette doxa en construction. Quelle place y occupe-t-il ? Est-il comparable aux autres manifestations de cette même doxa ? Sur le plan des valeurs mises en avant, on peut constater rapidement que toutes les valeurs du tableau (Fig. 8) se retrouvent absolument dans les autres mouvements parallèles dont nous avons parlé. En effet, en reprenant les 3 entrées originelles du tableau, on peut voir qu’ « Entraide & lien social » sont des valeurs mises en avant notamment par le mouvement Do It Yourself, ou bien le mouvement parallèle DIWO (Do It With Others), par le covoiturage (Communauté de « Helpers » de BlablaCar qui visent à « Aider les autres et échanger avec la communauté ») mais aussi par les sites Couchsurfing ou Gamping qui visent à proposer un hébergement gratuit ou presque aux voyageurs etc… L’ « ouverture sur le quartier » se retrouve notamment dans la recherche de consommation en circuit court ou bien la plateforme AlloVoisins qui met en relation des gens en recherche de matériel avec leurs voisins membres eux aussi de la communauté qui pourraient posséder ce matériel, et dont le tableau de valeurs est un modèle dans le genre de la communication autour de cette doxa des communs (Fig. 11). Enfin la « réduction des coûts de gestion » peut se ramener aux notions d’économie d’échelle et de mutualisation qui sont à l’origine même de toutes les plateformes collaborative telles que Blablacar, Allovoisins mais aussi le célèbre AirBnb ou bien encore les fablabs et les ateliers coopératifs qui proposent un usage commun d’infrastructures et de matériel qui auraient représentés une dépense bien trop importante pour un usage individuel. On peut donc voir que l’habitat participatif parait pleinement inscrit dans cette doxa et parfaitement assimilable aux autres mouvements qui en émanent. Cependant le sociologue Jean Viard estime que « le logement est au cœur du système de relations sociales, qu’elles soient matérialisées dans le logement ou dématérialisées via le logement comme fenêtre sur le monde » 36 . Ainsi, le logement n’est pas anodin car il transcende la simple dimension de l’usage. Il est la matérialisation du caractère social de son habitant. Si cela ne parait pas être en contradiction avec ce que nous avons évoqué plus haut, il parait important de comprendre que l’acte d’habiter ne peut être mis sur le même plan que la « simple » consommation ou la mobilité etc… En conclusion de mon rapport d’études de troisième année, j’écrivais « l’habitat groupé n’est pas un choix neutre : il implique une certaine déconstruction de son mode de pensée, et un investissement affectif, temporel et financier considérable, ce que j’ai pu comprendre en étudiant la notion du groupe, sous toutes ses facettes. » 37 et j’en reste persuadé aujourd’hui. De plus, comme nous allons le voir plus tard, l’habitat participatif requiert des investissements très importants : investissement temporel (la moyenne de temps d’une opération est estimée aujourd’hui à 6-7 ans entre la formation du groupe et la livraison du bâti, sans parler des réunions de groupes sur son temps libre) mais aussi financier (si des économies d’échelle et liées à l’autopromotion sont souvent constatées, il faut accepter un certain sacrifice dans le sens où l’investissement d’argent se fait sans garantie du bon fonctionnement du groupe) et affectif (il s’agit réellement d’un Borel, Massé, et Demailly. 36 Viard, « Les habitants de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui ». 37 Lacoin, « Pratique de l’habiter en habitat groupé ». 35
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Figure 12 : la médiatisation de l’habitat participatif à travers la couverture du magasine EK N°42
« projet de vie » comme nous allons le voir plus tard)… Ce propos est appuyé par le constat simple d’un certain paradoxe autour de l’importance de l’habitat participatif : celui-ci est médiatiquement sur-représenté par rapport à son importance en termes de proportion du parc immobilier. Nombre de Français ont déjà entendu parler de l’habitat participatif, 32% se disaient intéressés38 par le principe en 2011 (le pourcentage est probablement plus important aujourd’hui) et des médias non seulement spécialisés dans le milieu de la construction (magasine Ecologik 39 …) ou de l’alternative mais aussi des médias généralistes s’intéressent au sujet. On retrouve ainsi des articles de Le Monde 40, La Croix 41, la RFI 42, Arte 43 etc … Tout cela alors que le poids de l’habitat participatif reste infime : on ne recense que 471 projets à différents stades 44 (en reflexion collective initiale, en études, en travaux ou aboutis) pour un parc total du logement de 35,4 millions de logements 45 dont environ 350 000 nouveaux chaque année. Toutefois, la tendance est à l’augmentation et l’on voit fleurir des projets d’importance croissante, comme le projet « Aux 4 Vents » à Toulouse qui va proposer 90 logements en habitat participatif en occupant un îlot entier au sein du projet urbain de la Cartoucherie. L’habitat participatif est en fait au cœur d’un certain paradoxe car il est négligeable en termes d’impact direct sur son marché, contrairement à d’autres manifestations du mouvement de la doxa comme Airbnb par exemple46, mais il est relativement médiatisé car les problématiques qu’il soulève font partie de questionnements récurrents à l’échelle individuelle et collective et que les valeurs qu’il porte font partie de la doxa en construction. Ainsi il est toujours fréquemment considéré comme alternatif voire utopique alors qu’il s’écrit de la même encre que certains mouvements bien mieux accueillis. 3. Une légitime perturbation Ces recherches dans le champ de la sociologie permettent de répondre tout d’abord aux questionnements sur l’intérêt de s’atteler à une démarche que l’on ne cesse de qualifier de « minoritaire » : il est légitime de donner de l’importance à ce mouvement à partir du moment où l’on croit en les valeurs qu’il véhicule bien sûr, mais également dans le cas contraire car il s’inscrit dans cette doxa qu’il est de l’ordre de la responsabilité individuelle de considérer (et non nécessairement de soutenir !) car elle est la trame de la société dans laquelle nous sommes amenés à agir. À partir de là, les considérations matérielles d’importance et d’impact sont secondaires car le mouvement de l’habitat participatif fait Euvrard et Eco-Quartier Strasbourg, Livre blanc de l’habitat participatif. Charlotte Fauve, « Habitat participatif, restez groupés », 3 mai 2015, Ecologik N°42 édition. 40 Laurence Boccara, « Habitat participatif, la “copro” de demain », 16 novembre 2013, Le Monde édition, http://www.lemonde.fr/economie/reactions/2013/11/16/habitat-participatif-la-copro-dedemain_3514984_3234.html. 41 Julien Duriez, « Près de Lyon, l’habitat participatif facteur de lien social », 24 mars 2017, La Croix édition, https://www.la-croix.com/Economie/Economie-solidaire/Pres-Lyon-lhabitat-participatif-facteur-lien-social2017-03-24-1200834390. 42 Emmanuelle Raybaut, « L’habitat participatif a le vent en poupe », 6 juin 2016, http://www.rfi.fr/emission/20160606-habitat-participatif-le-vent-poupe. 43 Demain, l’habitat participatif, FUTUREMAG - ARTE, consulté le 9 juin 2017, https://www.youtube.com/watch?v=TFMPr5pNzAw. 44 La Coordin’action des associations pour l’habitat participatif & Les Colibris, Cartographie de l’Habitat Participatif, s. d., OpenStreet Map, s. d. 45 INSEE, « Le Parc de logements en France », 1 janvier 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2533533. 46 Le Monde, « Airbnb : Berlin durcit les règles pour les locations touristiques », 26 avril 2016. 38 39
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Figure 13 : illustration issue du site Consom-acteur qui vise à généraliser les reversements solidaires, promouvoir le commerce équitable et informer les consommateurs sur les enjeux du développement durable
Bruno Parasote C’est au logement de s’adapter à l’individu et non l’inverse.
partie de quelque chose de plus grand, ce que la notion de doxa permet de faire transiter de l’intuition vague à l’intellectualisation claire. Ce concept permet donc de comprendre d’une part dans quel socle de valeurs je vais personnellement être amené à évoluer, et d’autre part que l’habitat participatif est une manifestation parmi d’autres de cette doxa, avec ses spécificités qui lui sont propres (notamment la complexité de la diffusion rapide et en masse sans compromis) mais également ce qui le rattache aux autres mouvements et lui permet d’envisager une sortie de la niche expérimentale47. On peut citer par-là la notion d’écologie, sur laquelle nous reviendrons plus tard mais qui va jouer un rôle essentiel de liant entre tous les mouvements et d’élément culpabilisateur opposable à leurs détracteurs. On peut aussi citer les notions de « professionnel-amateur »48 (qui désigne un consommateur qui va monter en compétences pour réaliser des tâches traditionnellement opérées par des professionnels) et de « consom’acteur’ »49, qui relient l’habitat participatif (et particulièrement l’autopromotion ou l’autoconstruction) aux mouvements du DIY ou bien de l’opensource et des makers. Cette notion est également présente dans de nombreux textes de la part d’acteurs du mouvement de l’habitat participatif, avec des formulations comme « L’habitat participatif est un moyen d’être acteur au quotidien et sur le long terme de son lieu de vie » 50 , « le logement doit s’adapter à l’individu et non l’inverse » 51 ou bien encore « il (l’habitat participatif ndlr) implique les habitants dans les prises de décision concernant leur espace de vie ; non plus seulement ‘écoutés’, ils deviennent acteurs à part entière » 52. De plus, un des autres aspects communs de l’habitat participatif est la revendication d’une certaine défiance vis-à-vis de la consommation reine, que l’on peut retrouver notamment dans les principes de l’économie collaborative. En effet, selon les mots de Borel, Massé et Demailly, celle-ci entend changer l’approche de la consommation : « L’enjeu n’est plus de posséder un bien propre (logique propriétaire) mais de pouvoir s’en servir et en disposer quand on en a besoin (logique d’usage) »53 ce qui dénote un lien évident avec les notions de « propriété collective », de « propriété d’usage » et de « non-spéculation » avancées dans le tableau des valeurs de l’habitat participatif présenté plus haut (Fig. 8). Ainsi cette approche du sujet nous permet de dire que l’habitat participatif doit aujourd’hui être considéré tout d’abord comme un mouvement - certes minoritaire et complexe - mais que l’on peut qualifier de pertinent par les questions qu’il soulève et les valeurs qu’il porte car elles s’inscrivent dans une doxa en construction. Et cela notamment à travers la notion d’écologie et la remise de l’usager (ici l’habitant donc) au cœur du processus de fabrication de son logement, tout en luttant contre une consommation aveugle matérialisée par le contre-modèle du logement « clé en main ». En effet, il faut là encore effectuer une prise de recul et se rendre compte que l’habitat participatif s’inscrit, à l’instar d’Airbnb avec l’hôtellerie ou de Blablacar avec les transports, dans un secteur mû par des processus et un jeu d’acteurs bien précis et bien rôdés, qui permettent à la production du logement d’être la plus efficace et ainsi de s’inscrire dans une logique productiviste d’optimisation des compétences et donc de gains maximisés. Logique dans laquelle l’usagerconsommateur n’a traditionnellement pas sa place, car étant de fait « non-sachant », sa montée en compétence n’engendre au premier abord que des pertes de temps dans le D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » Donfu, « Mouvement DIY ». 49 MarketingDurable, « Consom’acteur », s. d. 50 Euvrard et Eco-Quartier Strasbourg, Livre blanc de l’habitat participatif. 51 Parasote, Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux. 52 Conseil National de l’Ordre des Architectes, « Note du CNOA sur l’Habitat participatif », 2013. 53 Borel, Massé, et Demailly, « L’économie collaborative, entre utopie et big business ». 47 48
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Figure 14 : L’habitat participatif interpelle les acteurs et est portÊ par une doxa qui rend difficile le fait de se positionner contre celui-ci
processus pour les acteurs professionnels à l’œuvre. Cependant il est intéressant de noter que la plupart des branches professionnelles du secteur de la production du logement publient de manière très officielle une note de positionnement sur l’habitat participatif ou bien un texte sur leur site Internet, la plupart du temps en soutien du mouvement … C’est ainsi le cas des architectes avec une note de positionnement du CNOA 54, mais aussi du réseau HLM 55, ou bien encore avec la création d’un réseau des acteurs professionnels qui s’engagent en faveur de ce mouvement 56. Tout cela s’explique par la médiatisation positive de l’habitat participatif, qui permet à chacun des acteurs professionnel de valoriser son image, mais aussi par la notion d’une éthique professionnelle liée aux valeurs de la doxa en construction connotées positivement. Or, par effet de vases communicants, ces engagements vont engendrer une certaine médiatisation et surtout une certaine demande d’applications. C’est-à-dire que les acteurs professionnels ne peuvent éthiquement plus ignorer l’habitat participatif du fait de son acceptation dans la doxa en construction. Ainsi ils se positionnent. Or si ce positionnement reste cantonné à une simple note de quelques lignes, leur image peut d’une part en souffrir, et d’autre part, la concurrence qui va s’investir réellement dans l’habitat participatif va pouvoir valoriser des références, de la production, de la compétence, et ainsi rentrer dans une boucle vertueuse alliant médiatisation et opérations. Pour conclure cette première partie, il est important de comprendre que si l’habitat participatif n’est pas (encore ?) intéressant en termes de parts de marché, il représente, du fait des valeurs qu’il véhicule et de la médiatisation qui lui est associée, une double remise en cause chez les acteurs professionnels « classiques » de la fabrique du logement. Tout d’abord une remise en cause éthique, car il s’agit de revoir la philosophie de l’entreprise, de s’inscrire dans un mouvement de valeurs au risque d’être considéré comme passéiste ou individualiste : dans le sens être contre une doxa des communs. Camille Devaux nous rapporte ainsi un propos d’élu qui explique que « l’habitat participatif, on ne peut pas vraiment être contre. » 57. Mais une remise en cause opératoire également : il devient important de consacrer une partie de son activité aux nouvelles formes d’habiter et de repenser le processus de fabrication du logement en considérant la tendance du consom’acteur et du participatif qui ne cesse de prendre de l’ampleur et d’impacter le fonctionnement interne de la plupart des acteurs professionnels. L’habitat participatif, porté par un réseau qui lui est propre « interpelle les conceptions et pratiques des acteurs institutionnels » 58, et nous allons voir dès à présent de quelle manière. En effet, ce sont justement ces acteurs qui vont nous intéresser dans la seconde partie, afin de tenter de comprendre qui sont ces gens qui se mobilisent et s’investissent dans la recherche et l’application de nouveaux processus. L’objectif est d’étudier les « rôles » et « postures » de ces acteurs à travers le prisme d’une certaine éthique professionnelle59, associant les valeurs personnelles et les actes professionnels d’un acteur donné.
Conseil National de l’Ordre des Architectes, « Note du CNOA sur l’Habitat participatif ». Réseau HLM pour l’Habitat Participatif, « Note de positionnement sur l’habitat participatif », s. d. 56 RAHP, « Charte du Réseau des Acteurs Professionnels pour l’Habitat Participatif », 2011. 57 Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? » 58 Devaux. 59 Cécile Regnault, « E0851 - Éthique - » (ENSAL, 2017). 54 55
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Figure 15 : regarder les choses par le prisme de la littérature permet de comprendre la notion de posture et d’imaginer les possibilités d’actions individuelles tout en évitant une analyse sociologique froide et privée de poésie...
II.
Un jeu (collectif) d’acteurs (individuels) 4. La recherche par l’humain
Avant toute chose, il nous faut achever la définition des termes du sujet avec les notions de « rôle » et de « posture ». La notion de « rôle » telle qu’entendue dans ce travail est une lecture opératoire de la place de l’architecte dans une opération donnée ou dans l’habitat participatif en général : cette notion répond ainsi aux questions portant sur la mission que doit ou que peut remplir l’architecte dans un projet donné, ainsi que sur sa place « temporelle » dans la chaîne opératoire des acteurs de la production de l’habitat. Quant à la notion de « posture », elle véhicule un caractère beaucoup plus subjectif : il s’agit d’une prise de position (à la fois personnelle et professionnelle) propre à un individu donné et lié à un ensemble de valeurs qui lui sont immanentes. Ensuite il apparait comme important d’expliquer pourquoi ce travail s’attache à étudier les points de vue personnels des acteurs impliqués et ne se cantonne pas seulement à une étude de cas et de rôles des acteurs. Nous nous situons dans une temporalité très précise du développement du mouvement, et la loi ALUR votée en 2014 et qui reconnait légalement le statut de l’habitat participatif fait office de balise, de point remarquable. Notre époque peut être relue par le biais du schéma narratif classique du roman, dans une tentative subjective d’interprétation de ce mouvement. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une hypothèse, mais plus d’un ressenti, d’une manière d’expliciter une vision personnelle des choses qui peut s’avérer pertinente pour comprendre la structure de ce travail et son propos. Nous avons donc dans le schéma narratif classique 60 : •
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Situation initiale ou incipit ou l'état initial, qui présente les éléments nécessaires à la mise en route du récit et à la compréhension de celui-ci. Ici, il s’agirait alors de tout le contexte sociétal actuel que j’ai décrit en première partie, ainsi que de l’héritage idéologique des années 70 et l’historique de l’habitat. Élément déclencheur, ou élément perturbateur, qui modifie la situation initiale et fait perdre l'équilibre de cette dernière. Ici la Loi ALUR adoptée en 2014. En réalité il ne s’agit pas d’un élément perturbateur survenu inopinément, mais plutôt l’aboutissement d’un travail de longue haleine de la part des acteurs de l’habitat participatif. Cependant, à l’échelle de la fabrique du logement classique, nous avons montré précédemment que l’habitat participatif (aidé par sa reconnaissance dans la loi ALUR donc) peut jouer ce rôle de mouvement perturbateur. (Nous nous situons donc actuellement par ici), et ce qui suit est alors à écrire…
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Péripéties/Aventures ou nœud (toutes les actions), qui sont les événements provoqués par l’élément perturbateur et qui entraînent la ou les actions entreprises par les héros (ici les acteurs professionnels) pour atteindre leur but (idéologique et professionnel : développement de l’habitat participatif ET des valeurs qu’il véhicule). Il s’agit donc de cette deuxième partie qui va en fait s’intéresser à ces « héros » de l’habitat participatif.
Wikipédia, « Schéma narratif », s. d., https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_narratif.
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Véronique Biau Véronique Biau est architecte-urbaniste en chef de l’État, docteur en sociologie, chercheur à l’ENSAPVS et directrice du Centre de Recherche sur l’Habitat (CRH, LAVUE). Ses travaux portent sur les processus et les acteurs intervenant sur la conception et la production des espaces architecturaux et urbains, et plus précisément sur l’hybridation des savoirs entre habitants et professionnels dans le cadre de la production d’habitat alternatif, coopératif ou autogéré. - Les architectes face à l’habitat participatif : Entre miilitantisme et professionnalisme ? (Avec Anne d’Orazio), 2013 - Habitat participatif : des projets négociés ? (Avec Marie-Hélène Bacqué), 2016 - Habitat en autopromotion : étude de 6 cas franciliens (Avec A. d’Orazio, I. Iosa, H. Nez), 2012 - Les architectes de l’habitat participatif : entre militance et compétence, 2012
Figure 16 : la sélection des études de cas choisies par les auteurs présente une diversité sur de nombreux plans
Marie-Hélène Bacqué Marie-Hélène Bacqué est professeure en études urbaines à l’université Paris‑Ouest Nanterre La Défense (LAVUE, lab. Mosaïques). Elle travaille sur les transformations des quartiers populaires et la démocratie urbaine en France et aux États-Unis et au renouveau des formes d’habitat dites alternatives. - Habitat participatif : des projets négociés ? (Avec Véronique Biau), 2016
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Dénouement (éléments de résolution), qui met un terme aux actions et conduit à la situation finale : tout ce qui est prospectif fait l’office de la troisième partie de ce travail en réalité. Situation finale, ou explicite (excipit), c'est le résultat, la fin du récit qui redevient stable. Il me parait ici compliqué de se prononcer là-dessus car l’histoire nous montre qu’une situation n’est jamais stable très longtemps …
Cette approche assez sensible et assez peu scientifique du sujet, permet de mieux cerner en quoi les notions de rôles et postures de professionnels sont primordiales pour aborder le sujet. Cela permet de parler de la question de la recherche dans ce mémoire et d’effectuer un point méthodologique. En effet, l’essence du mémoire est d’apporter une connaissance qui se situe au-delà de la simple agrégation bibliographique (qui est le rôle du rapport d’études de 3ème année), propre au sujet de l’étudiant, singulière en somme. La partie recherche de ce mémoire suit ainsi 3 axes menés plus ou moins en parallèle. Le premier est la recherche bibliographique « classique » (livres, articles, lois, recherche etc…), mais indispensable, qui recoupe en partie celle que j’avais pu effectuer pour mon rapport d’études, enrichie par de nouvelles lectures notamment dans le champ de la sociologie. Le second est l’analyse du travail de recherche Habitat participatif : des projets négociés ? 61 publié en 2010 et conduit par Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué (avec le concours de Claire Carriou, Jean-Marie Delorme, Anne d’Orazio, Marie-Pierre Marchand et Stéphanie Vermeersch) et portant sur l’étude approfondie de 6 projets d’habitat participatif. C’est en étudiant la possibilité d’une approche du sujet par l’étude de cas que je me suis rendu compte que des chercheurs professionnels avaient déjà fait ce travail, avec des moyens bien supérieurs aux miens. Cela me permet donc de m’appuyer sur des cas bien précis sans avoir eu à les étudier moi-même. De plus l’analyse produite par les auteurs constitue une matière très précieuse. Il sera ainsi souvent fait référence à l'un des 6 projets de ce dossier : Diapason (Paris), Les Babayagas (Montreuil), Lo Paratge (St Julien de Lampon), le Village Vertical (Villeurbanne), Le Grand Portail (Nanterre) et la Reynerie (Toulouse). Cette sélection répond, selon les auteurs, à un besoin de diversité sur plusieurs plans 62 : l’origine de l’initiative (collectif habitants, association professionnelle, collectivité locale), la forme juridique (SCI d’attribution, coopérative adossée sur un bailleur social etc …), le profil sociodémographique du groupe d’habitants impliqués, des références, modèles et présupposés idéologiques différents et enfin des états d’avancement variés. Tout cela est résumé dans le tableau ci-contre (Fig. 16) et a pour but de balayer assez largement la diversité offerte par l’habitat participatif dans les faits. Il parait en fait assez contradictoire de vouloir s’intéresser à une approche quantitative du mouvement alors qu’il se définit par sa diversité, et nous prendrons ici le parti de suivre ces chercheurs dans l’idée de dire que l’approche qualitative par études de cas les plus divers possibles est plus pertinente. Le troisième axe enfin est un ensemble de 9 entretiens semi-directifs d’environ une heure (que l’on peut retrouver en annexes dans leur intégralité) conduits de juin à novembre 2017. La sélection de ces entretiens s’est faite selon plusieurs critères : tout d’abord avoir un certain nombre d’architectes dans le panel (5 au total) ayant pratiqué ou non l’habitat participatif, étant engagés ou non en faveur de celui-ci. Ensuite essayer d’avoir une certaine diversité dans 61 62
Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Biau et Bacqué.
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les professions représentées pour comprendre un peu les positionnements de tous les acteurs de la fabrique de l’habitat. Dans le détail et dans l’ordre chronologique : Jean-Paul Hermant, architecte à Bruxelles et concepteur du projet d’habitat groupé Biplan - Stéphane Faidherbe, architecte à Bruxelles et n’ayant jamais touché à l’habitat participatif - Serge Fraas, architecte à Bruxelles et concepteur de 3 projets d’habitat participatif dont le projet Brutopia - Ludovic Gicquel, fondateur de VieToBe, société d’Assistance à Maîtrise d’Usage (AMU) Charlotte Le Marec, salariée chez Rhône-Saône Habitat, bailleur social ayant participé au projet du Village Vertical à Villeurbanne - Pauline Dozier, architecte ayant joué un rôle d’intermédiaire entre groupe habitant et architecte du projet au Coteau de la Chaudanne à Grezieu-la-Varenne et membre d’Archicoop, association des architectes pour l’habitat participatif - Soizic Lelandais, architecte chez Arbor&Sens ayant participé au projet du Village Vertical à Villeurbanne - Benjamin Pont, ex-AMO et fondateur d’Habitat & Partage, SCIC d’accompagnement aux projets d’habitat participatif – Elisabeth Devalmont directrice d’Alliade Habitat, bailleur en région Rhône-Alpes ayant également participé au projet du Coteau de la Chaudanne à Grezieu-la-Varenne. Ces entretiens ont pour but de faire émerger des postures, des valeurs propres, des intérêts personnels et professionnels afin de dessiner d’un trait sensible le devenir du mouvement par la rencontre des acteurs qui contribuent à l’animer. 5. L’habitant comme expert Nous avons vu que l’habitat participatif cherche à remettre l’habitant au cœur du dispositif de production de son logement. Cependant, la fabrique de l’habitat est un jeu d’acteurs complexes où se mêlent nombre d’expertises différentes, qui ont appris à dialoguer entre elles, d’expertise à expertise. Ainsi, remettre l’habitant au cœur des processus de projets nécessite de comprendre ce système afin de pouvoir le modifier. On assiste alors à une double recherche de légitimité de la part des habitants. Tout d’abord une recherche de légitimité sur le plan de l’identité : la constitution d’un groupe habitant s’accompagne de la création d’une forme juridique (en association, Société Civile Immobilière, ou depuis la loi ALUR en Société Coopérative d’Habitants ou Société d’Autopromotion et d’Attribution 63 etc…) et d’outils communicatifs (nom, logo, site web…), ce qui permet de considérer le groupe comme un interlocuteur « quasi-professionnel » 64 au sérieux affiché et prouvé. Il est intéressant de noter que l’on se rapproche ici de la notion de « professionnel-amateur » 65 développée précédemment à propos du mouvement Do It Yourself. Ensuite, on observe une recherche de légitimité, cette fois en termes de compétences, qui s’observe par la notion d’ « expertise habitante » 66. Cette notion assez nouvelle vise à faire comprendre que l’habitant (ou le groupe habitant de manière générale) doit être considéré comme un expert de l’acte d’habiter, lui aussi capable de dialoguer avec les autres expertises. En somme qu’il est « un acteur nouveau, singulier et d’importance dans les dispositifs et le jeu des acteurs.» 67. La question de l’expertise, du savoir et du « qui dira quoi ? » est en réalité une question centrale dans l’habitat participatif qui chamboule les codes établis et oblige les différents acteurs à se legifrance.gouv.fr, Loi ALUR Art. 47. Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 65 Donfu, « Mouvement DIY ». 66 D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » 67 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 63 64
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Figure 17 : Les Choux Lents mĂŞlent autoconstruction, formations et chantiers participatifs dans une dĂŠmarche de transmission des savoirs
remettre en question, tout en leur fournissant une direction idéologique commune 68. Cependant la question de l’habitant comme expert pose d’emblée plusieurs problèmes apparents. Tout d’abord il n’existe pas de « formation » pour devenir habitant, comme il en existe pour se forger la plupart des expertises professionnelles. On peut alors se demander comment les groupes habitants acquièrent les compétences nécessaires pour dialoguer avec les autres acteurs ? C’est-à-dire comment ceux-ci apprennent à communiquer avec eux, à parler leur langage professionnel (certains auteurs parlent de « jargon ») mais aussi à saisir les mécanismes, les échelles et les enjeux du projet ? De plus, un des « problèmes » du groupe habitant est justement le groupe. Celui-ci est pluriel, changeant, et il constitue ainsi par essence un interlocuteur variable et particulier, ce qui n’aide pas son insertion dans la routine des acteurs professionnels. On identifie ainsi 4 écueils principaux 69 dans ce dialogue entre l’habitant et les professionnels : - La compréhension du jeu d’acteurs du milieu de la construction qui, en plus d’être complexe à la base, n’est pas facilité dans le cas d’un projet d’habitat participatif qui par essence sort des processus habituels. - La mobilisation de contributions individuelles très disparates : le groupe lui-même peut être constitué de professionnels du milieu de la construction, les « sachants » et d’étrangers à ce milieu, les « non-sachants ». - Assimiler la montée en compétences spécifiques : apprentissage, partage des savoirs, savoirs assénés… En clair, gérer les modalités de l’apprentissage par le groupe habitant de son rôle de Maitre d’Ouvrage « quasi-professionnel ». - Arbitrage entre idéalisme et réalisme : ici, ce sont des questions d’ordre psychologique (individuellement et au niveau du groupe) qui sont soulevées : les habitants amènent avec eux leurs rêves et leurs idéaux, et il faut gérer la phase de « sacrifice » lors de la confrontation avec le pragmatisme des acteurs professionnels et de leurs contraintes. Ainsi, on peut voir qu’au Grand Portail à Nanterre ou à la Reynerie à Toulouse le groupe se considère entièrement comme non-sachant et met l’accent sur « l’aventure pédagogique du projet » 70. À l’autre extrême, on trouve le projet Diapason, dont le groupe rassemble en interne la plupart des compétences nécessaires à la Maîtrise d’œuvre et la Maîtrise d’Ouvrage classiques ou bien les Choux Lents à St Germain-au-Mont-d’Or, projet dans lequel le groupe habitant a recours à de nombreuses formations de quelques jours pour monter en compétences et ainsi assurer l’ensemble des phases du projet dont la construction. Entre les deux, on trouve de nombreux cas intermédiaires, comme le projet Brutopia (Bruxelles) de Serge Fraas 71 dont il est lui-même l’architecte, ou bien l’accompagnement par des associations (Habicoop au Village Vertical à Villeurbanne) ou des acteurs intermédiaires occasionnels (par exemple Pauline Dozier au Coteau de la Chaudanne comme nous le verrons plus tard). En réalité cette notion d’accompagnement est fondamentale : si l’aspect pédagogique du projet est une des modifications engendrées par la considération du groupe habitant comme un expert des usages 72, l’apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux métiers en est une RAHP, « Charte du Réseau des Acteurs Professionnels pour l’Habitat Participatif ». Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 70 Biau et Bacqué. 71 Serge Fraas, Entretien, Annexe 3, 2017. 72 Valérie Lehmann, « Processus collaboratifs » (2017). 68 69
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Benjamin Pont Benjamin Pont est le fondateur d’une association de préfiguration en SCIC appelée Habitat & Partage, qui effectue des missions d’AMO, d’AMU et d’accompagnement sur Lyon et environs depuis quelques années.
Ludovic Gicquel Ludovic Gicquel est, à titre personnel un habitant de l’habitat groupé des Choux Lents à St Germain aux Monts d’Or et, à titre professionnel, fondateur de la société VietoB (www.vie-to-b.fr) spécialisée dans l’Assistance à Maitrise d’Usage (AMU).
autre tout aussi importante. En effet, on entend beaucoup parler du métier d’accompagnateurs de projet d’habitat participatif (que Camille Devaux constate souvent « architectes, animateurs d’ateliers populaires d’urbanisme , nouveaux militants de l’Economie Sociale et Solidaire, jeunes entrepreneurs spécialistes de l’immobilier, ingénieurs etc… » 73), mais aussi de la notion d’Assistance à Maîtrise d’Usage (AMU). Ces termes relativement nouveaux voguent sémantiquement sur les notions de partage de compétences, de Do it with others, de bottom-up ou bien d’empowerment 74. Mais comment se traduisent-elles dans la réalité ? Quels acteurs en sont à l’origine et quelles sont les valeurs qu’ils défendent ? Comment modifient-ils le jeu d’acteurs existant ? Pour comprendre cela nous nous appuierons sur les entretiens effectués auprès de plusieurs acteurs, dont Benjamin Pont 75, fondateur d’Habitat & Partage, qui est actuellement une association de préfiguration en SCIC et qui devrait entamer sa mutation en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) en mars 2018. Habitat & Partage a pour visée de devenir « une coopérative immobilière en construction et réhabilitation pour l’habitat participatif » 76 dont le rôle est de proposer des missions d’accompagnement de groupes d’habitat participatif, d’aménageurs, de collectivités ou de promoteurs et bailleurs sociaux. Ces missions prennent la forme d’Assistance à Maitrise d’Ouvrage (AMO) ou Assistance à Maitrise d’Usage (AMU). La figure de Ludovic Gicquel 77 s’avère également très intéressante. Il est le fondateur de VietoBe, une entreprise promouvant la notion de l’AMU et qui « vise une appropriation collective des enjeux de l’habiter dans les nouveaux bâtiments à performance énergétique, et ce par tous les acteurs (concepteurs, gestionnaires, usagers) » 78 en proposant ici aussi des missions d’AMU et d’AMO, d’accompagnement de locataires, de co-propriété etc... ainsi que des formations sur le domaine des enjeux de l’usage. Dans les deux cas, ces acteurs militants et entrepreneurs au profil assez similaire tant au niveau personnel que professionnel, défendent l’idée de repartir de l’usage comme valeur fondamentale et par là même de l’usager comme acteur fondamental. Pour Ludovic Gicquel, la raison d’être de l’AMU et de VietoB est de « remettre l’usager au cœur, qu’il puisse s’approprier le projet et qu’il y ait une place. »79 tandis que Benjamin Pont nous dit que « mon crédo, c’est de redonner du pouvoir aux habitants côté Maitrise d’Ouvrage. »80. Dans la pratique, leurs approches, bien que guidées par un état d’esprit assez proche, présentent quelques nuances. En effet, Habitat & Partage s’intéresse au statut de coopérative immobilière avec l’idée d’abolir les notions de logement social, logement privé etc… pour aboutir à la notion de logement « tout court », tout en défendant la valeur de nonspéculation et en ayant l’ambition de démocratiser l’habitat participatif. L’usage y est considéré comme l’aspect fondamental de l’acte d’habiter, qui doit tisser un lien intime entre l’habitant et son logement par le biais de la co-conception puis de l’autogestion. VieToB a une approche plus centrée sur l’usage du bâtiment en lui-même et de toutes ses problématiques techniques. L’usage y est entendu comme tout ce qui touche à l’habitant, de la gestion Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? » Brossaud, « Les Communs de la connaissance ». 75 Benjamin Pont, Entretien, Annexe 8, 2017. 76 « Site web de Habitat&Partage », s. d., http://habitatetpartage.fr/. 77 Ludovic Gicquel, Entretien, Annexe 4, 2017. 78 « Site web de VieToB », s. d., https://vie-to-b.fr/. 79 Gicquel, Entretien. 80 Pont, Entretien. 73 74
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Benjamin Pont Quand on donne plus de pouvoir aux habitants, j’ai l’impression que c’est plus facile de faire de l’écologie en fait, parce qu’un groupe d’habitants aura tendance à tirer vers ces valeurs-là selon moi.
Charlotte Le Marec Charlotte Le Marec travaille actuellement chez le bailleur social Rhône-Saône Habitat, avec lequel elle a notamment suivi une majeure partie de l’opération d’habitat participatif du Village Vertical à Villeurbanne.
Elizabeth Devalmont Elizabeth Devalmont est la directrice de la société Alliade Habitat, bailleur social basé sur la région de Lyon, et qui prend part à deux projets d’habitat participatif : le Coteau de la Chaudanne à Grézieu-la-Varenne et le groupe du 04 mars à la Croix-Rousse.
technique du bâtiment à la convivialité des espaces communs, et l’aspect de l’efficience environnementale est autant mis en avant que l’aspect collectif du projet. Pour Habitat & Partage cependant, si l’aspect environnemental n’est pas mis en avant en priorité, Benjamin Pont nous dit que « Quand on donne plus de pouvoir aux habitants, j’ai l’impression que c’est plus facile de faire de l’écologie en fait, parce qu’un groupe d’habitants aura tendance à tirer vers ces valeurs-là selon moi. »81. On peut se demander alors ce que signifie concrètement l’apparition récente (Habitat & Partage est fondée en 2013 et VieToB en 2011) de tels acteurs sur la fabrique de l’habitat et sur le rôle des acteurs traditionnels ? Cela veut dire que l’essor de ces nouveaux métiers et nouvelles notions n’est possible qu’en réponse à une certaine demande. Et donc en premier lieu qu’une nouvelle approche de l’acte d’habiter est en cours de création, qui pourrait ainsi s’inscrire dans la doxa décrite précédemment. En effet, Ludovic Gicquel nous dit qu’il y a aujourd’hui un mouvement éminemment citoyen qui selon lui, se fait car cette démarche a du sens. Benjamin Pont quant à lui explique qu’il y a une véritable demande car il reçoit de multiples sollicitations. Cela rejoint l’essor de la participation en urbanisme, avec une volonté de la part des mairies d’inclure les citoyens dans les processus de décision82, toutefois souvent plus consultatifs que réellement participatifs. Ainsi la situation particulière que nous traversons, est une situation d’évolution, de basculement progressif. Ce qui signifie deux choses : l’apparition de l’acteur habitant d’une part, avec son expertise et les modalités de son expression, et d’autre part la modification des rôles des acteurs classiques liée à l’apparition de ce nouvel acteur et des métiers qui l’accompagnent. Seulement, cette modification des rôles s’accompagne inévitablement d’une modification des postures de ces acteurs : on peut poser l’hypothèse qu’il est impossible, en tant qu’acteur, d'ignorer « média-éthiquement » les mouvements naissants, par définition même d’une doxa comme nous l’avons vu précédemment. Ainsi, cette nécessité de posture liée à l’apparition de l’acteur variable et complexe qu’est l’habitant va engendrer des perturbations jusque chez les acteurs qu’on pourrait qualifier de « classiques » de la fabrique de l’habitat. 6. Une remise en cause des acteurs C’est à cet instant charnière que l’on peut trouver plusieurs catégories d’acteurs : ceux qui laissent filer, qui considèrent uniquement le nombre dérisoire de projets d’habitat participatif et qui ne remettent pas en question leur rôle. Et ceux qui vont essayer, par la théorie et/ou par l’action, d’anticiper ces changements et de repenser leur pratique professionnelle, soit dans une posture simple de réaction à des mouvements, soit dans la figure plus entrepreneuriale du pionnier (qu’il soit guidé par ses valeurs en priorité ou bien parce que « certains y voient un engagement à long terme en vue de se positionner par rapport à un potentiel nouveau marché » 83) comme Ludovic Gicquel ou Benjamin Pont. Ainsi dans le champ de ces acteurs qui remettent en cause leurs pratiques, on peut trouver des profils assez variés : dans un premier temps Charlotte Le Marec 84, salariée de Rhône Saône Habitat ou bien Elizabeth Devalmont 85, directrice d’Alliade Habitat qui sont deux Pont. Association des Maires de France, « Modalité de participation de habitants aux décisions publiques », 2011. 83 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 84 Charlotte Le Marec, Entretien, Annexe 5, 2017. 85 Elizabeth Devalmont, Entretien, Annexe 9, 2017. 81 82
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Elizabeth Devalmont Ce sont des projets très chronophages. Pour intégrer ça dans l’objectif ambitieux de développement qui est le notre, ça parait compliqué ...
Figure 18 : Vue extérieure du Village Vertical de Villeurbanne
Charlotte Le Marec On aime bien faire des choses nouvelles, qui nous sortent un peu de l’ordinaire. Nous essayons à notre échelle de tester une nouvelle façon d’habiter qui sera certainement un mode de vie comme un autre dans quelques années.
bailleurs sociaux en SA (Société Anonyme) sur la région de Lyon. Dans les deux cas, ces sociétés ont récemment pris part à un ou plusieurs projets d’habitat participatif. RhôneSaône Habitat a assuré la co-maîtrise d’ouvrage du Village Vertical à Villeurbanne et Alliade fait de même avec le groupe du 04 mars, un projet actuellement en phase de début de chantier dans le 4ème arrondissement de Lyon. Le rôle de ces organismes dans ces opérations est d’accompagner le groupe habitant par l’expertise de la Maitrise d’Ouvrage qu’ils ont de fait, mais aussi de leur apporter une garantie nécessaire pour obtenir un prêt bancaire, ou bien « les ramener à des considérations économiques qu’ils n’ont pas envie d’aborder »86. En contrepartie de quoi une partie de la parcelle est réservée pour construire une opération de logements sociaux « classiques » à côté de la coopérative d’habitants donc. Il est intéressant de noter qu'au Village Vertical, un immeuble est dédié aux habitants de la coopérative tandis que Rhône-Saône Habitat a construit ses 24 logements en accession dans un bâtiment séparé. Alors qu’au niveau du groupe du 04 mars, les 14 logements de la coopérative et les 11 logements en accession d’Alliade Habitat sont mélangés dans le même bâtiment. Cela induit bien sûr une manière différente de vivre (par la mixité induite de fait) mais aussi un rôle un peu différent : Alliade a ainsi participé à toute la phase de co-conception (avec l’architecte, les habitants du groupe et un accompagnateur professionnel, en l’occurrence Anouck Patriarche de "Habitat dans tous ses états" (créée en 2013), qui fait partie de la catégorie de ces nouveaux acteurs) puisque « ses » logements étaient inclus dans le même ensemble architectural que ceux de la coopérative, partageant ainsi les mêmes espaces communs, et donc leur utilisation, leur financement etc… Ces espaces communs, pourtant « caractéristique identitaire de l’habitat groupé »87 deviennent ainsi un point névralgique du projet, liant à la fois les foyers du groupe habitants entre eux, mais aussi le groupe habitants avec les habitants des logements sociaux. Le groupe consent à partager ses espaces communs avec les locataires, et Alliade consent à partager son rôle de Maître d’Ouvrage. Il y a donc une notion de sacrifice des deux côtés pour aboutir à ce projet : c’est ce que Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué entendent par les projets négociés88 de l’habitat participatif. Chaque acteur doit prendre conscience qu’il lui faudra probablement sacrifier une part de ce qui lui revient habituellement. Elizabeth Devalmont nous dit à plusieurs reprises que ce genre d’opération n’est pas viable pour Alliade, que ce sont des projets très chronophages ou bien encore que « pour intégrer ça dans l’objectif de développement ambitieux qui est le nôtre, ça parait compliqué…»89. Alors comment ces acteurs expliquent-ils leur engagement dans ces projets ? C’est ici que la notion de posture professionnelle détaillée précédemment prend tout son sens : comme pour Benjamin Pont ou Ludovic Gicquel, l’engagement d’acteurs donnés dans un projet donné ne dépend pas que de la combinaison des facteurs financier et temporel, sans quoi ces projets ne'auraient probablement jamais été réalisés. Charlotte Le Marec nous explique cet engagement par plusieurs raisons : tout d’abord la volonté affichée d’innovation de Rhône Saône Habitat, couplée à un certain regard prospectif : « On aime bien faire des choses nouvelles, qui nous sortent un peu de l’ordinaire. Nous essayons à notre échelle de tester une nouvelle façon d’habiter qui sera certainement un mode de vie comme un autre dans quelques années.»90. Devalmont. Alberto Colin, « L’habitat groupé : une expérimentation sociale entre singulier et collectif » (Université Lumière Lyon 2, 2011). 88 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 89 Devalmont, Entretien. 90 Le Marec, Entretien. 86 87
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Elizabeth Devalmont L’intérêt pour nous c’est de pouvoir faire du logement social dans un quartier dense, et puis en termes de valeurs c’est vraiment intéressant. Le fait de travailler avec les futurs occupants d’une résidence permet en amont de se poser toutes les questions d’usage. Et puis en plus on a eu une démarche participative assez intéressante avec un prestataire extérieur, des ateliers etc....
Stéphane Gruet Stéphane Gruet (né en 1960) est un architecte et docteur en philosophie, fondateur notamment de la revue Poïesis et de l’AERA (Action Etudes et Recherches sur l’Architecture) aujourd’hui Faire-Ville. Ces structures lui permettent de porter un propos qui se situe entre la recherche et l’action, entre la théorie et la pratique, et en faveur du vivre-ensemble et de la transdisciplinarité notamment. Finalement on essaie de faire deux choses qui tiennent tout ça ensemble : lier la recherche à un niveau global avec de la recherche, de l’expérience et de l’action à un niveau local, et d’essayer de combler le fossé entre l’architecture et le grand public.
On retrouve ici la stimulation par la figure du pionnier, comme chez Ludovic Gicquel et Benjamin Pont, mais qui s’exprime d’une autre manière : plutôt que par l’entrepreneuriat, il s’agit d’une modification de la pratique professionnelle quotidienne, ou d’expérimentations ponctuelles à l’intérieur de celle-ci. Pour Elizabeth Devalmont, si l’esprit est le même, la démarche prend son sens plus directement dans la notion d’usage : « L’intérêt pour nous c’est de pouvoir faire du logement social et en termes de valeurs, c’est vraiment intéressant. Le fait de travailler avec de futurs occupants d’une résidence ça permet en amont de se poser toutes les questions d’usage. Et puis en plus on a eu une démarche participative assez intéressante avec un prestataire extérieur, des ateliers etc… »91 On peut voir que ces acteurs s’intéressent aux modes d’habiter et aux usages dans l’habitat avant tout, tout en ayant un attrait ici aussi pour un côté innovateur des projets, sans se départir d’un certain pragmatisme et d’un objectif de viabilité : on peut se demander si cela vient des valeurs véhiculées par le milieu du logement social, qui a pour leitmotiv le droit à un logement décent pour tous, et qui par conséquent s’intéresse nécessairement aux mouvances sociales qui peuvent s’exercer et avoir une incidence sur les modes d’habiter ? On peut chercher des éléments de réponse en comparant ces postures avec celle du réseau des organismes HLM92, qui s’estime légitime pour accompagner des projets d’habitat participatifs à plusieurs titres : ils pensent être des opérateurs désintéressés qui répondent à l'intérêt général, ce qui permet d'établir des relations de confiance avec le groupe d'habitants. Ils sont également les garants de la mixité sociale recherchée par certains groupes d'habitants et par les collectivités locales. De plus, la démarche à l’œuvre dans l’habitat participatif fait sens pour eux : il s’agit d’une « relation non purement marchande entre l'organisme et l'habitant. » 93 tout en leur offrant l’opportunité d'expérimenter de nouvelles pratiques professionnelles. Enfin, sur un plan plus pragmatique, ils peuvent apporter une sécurité juridique/technique/financière, maitriser le calendrier et le budget. On peut donc voir qu’il s’agit d’une combinaison de valeurs et de facteurs pragmatiques qui pousse les acteurs à s’impliquer. On retrouve cette rationalisation dans les propos de Charlotte Le Marec : « Après l’objectif aussi plus pragmatique c’est de voir comment par la mise en commun on peut diminuer au maximum les charges d’éléctricité, d’eau etc…»94 ou d’Elizabeth Devalmont : « On a pu acheter ce terrain sans être mis en concurrence aussi. Et puis c'est vrai que faire du logement social à la Croix-Rousse, c’est pas tous les jours quoi… »95. Ainsi, pour appréhender les enjeux de l’habitat participatif, il est fondamental de saisir que le jeu d’acteurs classique de la fabrique de l’habitat, et par là même les processus institués sont en mouvement, en phase de remise en cause. Camille Devaux parle de l’habitat participatif comme étant à l’origine d’une interpellation des acteurs 96. Et à l’intérieur même de ce phénomène, on distingue deux tendances. Tout d’abord l’apparition de nouveaux acteurs (AMU, accompagnateurs, associations, ou bien encore les OMPC 97 (Organismes de Médiation et de Programmation Coopérative) imaginés par Stéphane Gruet d’AERA à Toulouse etc…). Ensuite la modification des pratiques d’acteurs classiques comme Alliade Habitat, Rhône-Saône Habitat, les organismes HLM, ou bien encore l’EPASA (Etablissement Devalmont, Entretien. Réseau HLM pour l’Habitat Participatif, « Note de positionnement sur l’habitat participatif ». 93 Réseau HLM pour l’Habitat Participatif. 94 Le Marec, Entretien. 95 Devalmont, Entretien. 96 Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? » 97 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 91 92
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Figure 19 : L’architecte est ici placé aux côtés de la maitrise d’ouvrage dans un pôle «technique»
Public d’Aménagement Seine Arche) qui, avec la municipalité de Nanterre, est à l’origine du projet du Grand Portail à Nanterre. Sur la base de cette représentation schématique du jeu d’acteurs dans l’habitat participatif, fournie par Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué98 (Fig. 19), des questions à propos du rôle de l’architecte dans ce jeu d’acteurs remodelé émergent immédiatement : que signifie ce pôle technique dans lequel il est placé ? Quelles missions peuvent lui être confiées ? Quelles sont les spécificités de son travail dans l’habitat participatif ? Nous avons pu montrer qu’à présent les acteurs professionnels de l’habitat, dont l’architecte fait indéniablement partie, ne peuvent plus éthiquement ignorer l’habitat participatif : s’il ne représente pas nécessairement un futur sur un plan statistique, il est le reflet d’évolutions sociales qui vont obliger l’architecte à se positionner, de la même manière que sont en train de le faire d’autres acteurs de la fabrique de l’habitat. L’architecte ne peut plus démissionner politiquement 99 et doit être capable d’affirmer une posture vis-à-vis de la notion de l’habiter. C’est pourquoi cette troisième partie s’intéresse aux rôles et postures que prennent certains architectes à travers une nouvelle série d’entretiens et le dossier d’étude de cas de Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué, qui, entrecroisés, visent à dessiner des possibles pour l’architecte (ou le futur architecte), en s’intéressant aux leviers d’action qu’il possède autant qu’aux valeurs qui vont le pousser à s’investir dans de tels projets.
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Biau et Bacqué. Desevedavy, UE 091A-101 - My éthique Maïeutique -.
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Véronique Biau / Marie-Hélène Bacqué Chacun [les architectes des différentes opérations] à leur manière (...) articulent, au cours des entretiens, la démarche qu’ils ont en faveur de l’habitat coopératif ou autogéré avec un parcours militant, des expériences étudiantes, des options politiques ou sociales
Pauline Dozier Pauline Dozier est une architecte qui a effectué à la sortie de ses études une mission (pour le compte de l’association Cohab’titude) d’intermédiaire entre l’architecte et le groupe habitant du Coteau de la Chaudanne à Grézieu-la-Varenne.
Soizic Lelandais Soizic Lelandais est une architecte qui, après avoir travaillé le logement dans une agence «classique», en est revenue convaincue que ce n’était pas sa pratique idéale du métier. Elle exerce aujourd’hui à Arbor & Sens et a notamment suivi le Village Vertical de Villeurbanne.
III.
L’inconfort de l’architecte 7. Posture militante et rapports humains comme moteurs
Le nombre de projets d’habitat participatif est comme dit précédemment très réduit. Par extension, le nombre d’architectes ayant eu l’occasion de concevoir un tel projet n’est pas conséquent et ne saurait constituer une forme de spécialisation, à de (très) rares exceptions près. Alors qui sont ces architectes de l’habitat participatif ? Quelles sont leurs motivations ? Quelles missions leurs sont confiées ? C’est pour répondre à ces questions et aux précédentes que j’ai souhaité rencontrer une proportion importante d’architectes dans mes entretiens : cinq au total, plus ou moins impliqués dans l’habitat participatif. En ajoutant à cela les architectes des opérations du dossier d’études de cas, un premier élément ressort clairement : la notion d’architecte-militant. Concrètement, cela signifie que la grande majorité des architectes impliqués dans un projet d’habitat participatif le sont du fait d’un parcours personnel guidé par des valeurs proches de celles du mouvement. Historiquement, cela prend sa source avec les architectes créateurs du Mouvement pour un Habitat Groupé Autogéré (MHGA) en 1977 qui vont être investis idéologiquement 100 (à l’époque environ « 3/4 des architectes des projets y sont engagés de manière interne : architecte-habitant, architecteprospecteur » 101) et vont agir comme des références pour les architectes qui se renseignent sur le sujet aujourd’hui. Pour Liliane Battais, du projet de Lo Paratge à St-Julien-de-Lampon, par exemple : « J’ai toujours privilégié les projets collectifs aux projets individuels. D’abord parce que c’était une manière de faire avancer les choses beaucoup plus efficacement, plus vite. Et puis, parce que je sais que l’on peut utiliser le groupe pour faire avancer le groupe (…) » 102 tandis que la figure de Stéphane Gruet illustre parfaitement le caractère politique de ces architectes de l’habitat participatif : il est membre fondateur de l’association Faire-Ville et a fondé la revue Poïesis (1994) qui traite de questions urbaines et sociétales. Selon Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué, « Chacun [les architectes des différentes opérations] à leur manière (…) articulent, au cours des entretiens, la démarche qu’ils ont en faveur de l’habitat coopératif ou autogéré avec un parcours militant, des expériences étudiantes, des options politiques ou sociales etc… » 103. Au niveau de mes entretiens, cette articulation avec le parcours étudiant et cette prégnance des valeurs militantes se retrouve essentiellement dans les profils assez proches de Pauline Dozier 104 et Soizic Lelandais 105. Ces deux jeunes architectes (diplômées en 2012) ont toutefois connu une entrée différente dans le monde de l’habitat participatif. Pauline Dozier a été engagée par une association (Cohab’titude) dès la fin de ses études d’architecture pour les aider à suivre une opération dans le Sud-Ouest lyonnais (à Grézieu-laVarenne) appelée « le Coteau de la Chaudanne ». Cet emploi est dû à une connaissance Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Anne D’Orazio et Véronique Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? », s. d., 14. 102 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 103 Biau et Bacqué. 104 Pauline Dozier, Entretien, Annexe 6, 2017. 105 Soizic Lelandais, Entretien, Annexe 7, 2017. 100 101
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Pauline Dozier Tu trouves que c’est pas forcément la meilleure façon de faire du logement, et donc tu te questionnes... [...] En tout cas moi je n’ai jamais vu autant de synergie, de compassion, de soutien, de bienveillance que dans ces projets-là. Entre humains, je n’ai jamais vu ça ailleurs.
Figure 20 : L’échelle d’Arnstein (1969) est un outil analytique des pratiques participatives
Soizic Lelandais Moi quand je suis sortie et que j’ai vu le rôle de l’architecte... T’as un rôle de conseil, et surtout d’éxécutant quoi. [...] Pour moi c’est un peu comme une passion. Attention tout le monde ne le verra pas comme ça hein. Moi, pour rien au monde je ne voudrais faire une charrette pour un concours ou ce genre de choses. Mais pour un habitat groupé sans problèmes..
rencontrée par les réseaux de l’autoconstruction et des chantiers participatifs auxquels elle participait pour se former à des techniques écologiques de construction. Elle nous confie que l’habitat participatif motive souvent des architectes qui remettent en cause la pratique du métier (notamment dans le domaine du logement) : « Tu trouves que c’est pas forcément la meilleure façon de faire du logement et donc tu te questionnes… ». Enfin, elle met en avant des valeurs humaines, qui confèrent à l’habitat participatif un caractère exceptionnel sur le plan affectif : « moi j’ai jamais vu autant de synergie, de compassion, de soutien, de bienveillance que dans ces projets-là. Entre humains je n’ai jamais vu ça ailleurs. ». Soizic Lelandais a quant à elle suivi un Master spécialisé dans le logement à l’ENSA Bordeaux qui l’a amenée à se poser beaucoup de questions sur l’usage et l’habiter notamment. Cela avant de travailler quelques années dans une agence pratiquant le logement de manière « classique » pour finalement en revenir, convaincue de ne pas y trouver ses aspirations : « Moi quand je suis sortie et que j’ai vu le rôle de l’architecte… T’as un rôle de conseil, et surtout un rôle d’éxécutant quoi... ». On retrouve la notion de rejet de la pratique actuelle du métier. Ce rejet l’a poussée à se rapprocher de l’habitat participatif car elle y voyait une manière d’ « impliquer l’habitant non seulement dans son logement mais aussi dans la ville en fait ». Tout en faisant attention à ne pas se rapprocher de la concertation urbaine, qu’elle voit comme de la manipulation, faisant référence à l’échelle d’Arnstein (Fig. 20) souvent considérée comme une référence dans le domaine. À ce sujet, il est intéressant de constater que la notion de pouvoir politique se retrouve bien plus souvent à l’échelle urbaine qu’à l’échelle architecturale. Soizic Lelandais considère d’ailleurs que l’architecte n’est pas celui qui pourra faire bouger les choses. Au-delà de cet aspect politique, on retrouve chez elle également une attirance pour les relations humaines qui peuvent exister au sein de ces projets. Elle nous dit ainsi que « Pour moi c’est un peu comme une passion. Attention tout le monde ne le verra pas comme ça hein. (…) moi, pour rien au monde je voudrais faire une charrette pour un concours ou ce genre de choses. Par contre une charrette pour un habitat groupé sans problèmes. » Ainsi Soizic Lelandais et Pauline Dozier sont des représentantes d’une jeune génération d’architectes qui remettent en cause la fabrique du logement et la pratique de l’architecte, tout en ayant conscience de la portée politique de leur métier. Cet aspect militant, couplé à une énergie certaine les a poussées notamment à s’impliquer dans le développement d’une association des architectes pour l’habitat participatif appelée Archicoop, qui vise à mettre en place des outils pour permettre la diffusion de l’habitat participatif dans la conscience des architectes, mais aussi pour créer des outils simplifiant leurs interventions. Cependant, si cette figure de « l’architecte-militant, qui s’engage dans des démarches longues et risquées et qui est ouvert à un dialogue approfondi avec les commanditaires » 106 est historiquement fondée, et se retrouve par le biais de motivations différentes chez la jeune génération, les architectes ayant conçu les opérations des 15 dernières années n’appartiennent pour la plupart à aucune des deux catégories. C’est ainsi que leur engagement dans le mouvement de l’habitat participatif est assez faible : mis à part une Véronique Biau, « Les architectes de l’habitat participatif, entre militance et compétence », 2012, http://www.metropolitiques.eu/Les-architectes-de-l-habitat.html.
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Véronique Biau / Anne d’Orazio On assiste aujourd’hui à une forme de dépolitisation des architectes au nom d’un pragmatisme opérationnel. Il n’y a plus l’engagement militant des débuts.
Figure 21 : le projet Biplan (Bruxelles, Jean-Paul Hermant), qui présente notamment une façade extérieure à coursives végétalisées
Jean-Paul Hermant Jean-Paul Hermant est un architecte belge, qui après avoir vécu et travaillé en Algérie a fondé son agence à Bruxelles. C’est dans ce cadre qu’il a réalisé en 2010 un bâtiment passif appelé Biplan comprenant 6 logements ainsi que de nombreuses parties communes. J’aime bien discuter avec les gens, j’aime bien considérer que mon métier est un métier d’artisan et non pas d’artiste, que je travaille avec le fric des gens pour faire un objet pour que ces gens y vivent.
note 107 de quelques pages de l’Ordre des Architectes et le réseau Archicoop (qui en est aujourd’hui à ses balbutiements et se trouve être majoritairement porté par la jeune génération) on assiste aujourd’hui à « une forme de dépolitisation des architectes au nom d'un pragmatisme opérationnel. Il n'y a plus l'engagement militant des débuts » 108. Cela signifie que les architectes, s’ils sont toujours au minimum implicitement en accord avec les valeurs du groupe, en sont plus rarement les moteurs. Ils sont souvent issus de trois trajectoires 109 : - Ils viennent du logement collectif social : souci de concilier qualité et budget serré, de tenir compte des perceptions et pratiques des habitants. - Ils viennent du travail sur le projet urbain avec dispositif de concertation et les démarches participatives qui ont médiatiquement le vent en poupe aujourd’hui. Ceux-là se basent souvent sur des coopérations avec des organismes innovants de logement social. - Ils sont (plus rarement) des "passeurs" d'un mouvement européen de rapprochement entre dispositifs coopératifs et questions environnementales (exemple comme Allemagne, Danemark etc…). Cette analyse de Véronique Biau nous permet de comprendre que l’architecte de l’habitat participatif n’inscrit que très récemment (exception faite des architectes âgés exerçant déjà dans les années 70) cet investissement dans un parcours personnel dénotant d’un intérêt pour la question dès la sphère étudiante. Cela montre que les initiatives des projets viennent (comme nous pourrons le voir avec des études de cas) bien souvent d’ailleurs, et que l’architecte essaie d’y trouver sa place. Ainsi, l’architecte de l’habitat participatif peut avoir plusieurs profils : il peut se poser en héritier militant des mouvements des années 70 ou bien en praticien plus pragmatique intéressé par les valeurs et l’innovation inhérentes au mouvement, comme Jean-Paul Hermant par exemple. Cet architecte belge de Bruxelles a réalisé une opération d’habitat participatif, le projet Biplan, sans vraiment l’inscrire dans le cadre du mouvement. L’opération est en effet assez atypique, puisque ce sont des motivations écologiques et un surplus d’espace à la conception qui ont poussé les architectes à créer un espace collectif que pourront utiliser les futurs habitants (alors inconnus) de la même manière que dans un habitat groupé d’initiative habitante. Jean-Paul Hermant nous dit au sujet de sa posture qu’il considère l’acte d’habiter comme une réponse à la question « Comment fait-on pour vivre ensemble ? », avant de rajouter une précision : « J’aime bien discuter avec les gens, j’aime bien considérer que mon métier est un métier d’artisan et non pas d’artiste, que je travaille avec le fric des gens pour faire un objet pour que les gens y vivent » 110. Il affirme ainsi une posture d’intérêt pour l’habitat participatif et ses problématiques, intérêt couplé à un véritable discours sur l’écologie qui est à la base de la philosophie de son agence. Nous sommes ici dans l’intérêt, et non pas dans l’engagement : le projet résulte plus de circonstances particulières que d’une motivation initiale. Cependant, nous avons pu constater qu’il existe une constante, quel que soit le profil de l’architecte : porté par les valeurs qu’il défend et la synergie évoquée par Pauline Dozier, l’architecte travaille la plupart du temps à perte. De ce point de vue-là, les acteurs sont unanimes : Selon F. Coderc, d’Arbram, ce sont des opérations « pour lesquelles on ne peut pas Conseil National de l’Ordre des Architectes, « Note du CNOA sur l’Habitat participatif ». D’Orazio et Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? » 109 Biau, « Les architectes de l’habitat participatif, entre militance et compétence ». 110 Jean-Paul Hermant, Entretien, Annexe 1, 2017. 107 108
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Serge Fraas Serge Fraas est un architecte belge cofondateur de l’agence Stekke + Fraas, qui a notamment conçu 3 projets d’habitat participatif. Parmi ceux-ci se trouve le projet Brutopia, précurseur à Bruxelles, dans lequel il vit avec sa famille et exerce son métier puisque les bureaux de l’agence y prennent place.
Stéphane Faidherbe Stéphane Faidherbe est un architecte belge cofondateur de l’agence Faidherbe & Pinto architectes, basée à Bruxelles, dans laquelle j’ai réalisé un stage de deux mois à l’été 2017. L’agence n’a jamais eu l’occasion de concevoir de projet d’habitat participatif.
Camille Devaux L’une des boutade les plus courantes dans le mouvement est de dire que les architectes ne font qu’un seul projet d’habitat participatif dans leur carrière.
se permettre de regarder le temps qu’on y passe, l’argent qu’on y met etc… » 111 quand l’architecte Serge Fraas, architecte du projet Brutopia à Bruxelles, se montre plus pragmatique en nous disant : « C’est bien d’être militant mais bon j’ai des gens qui travaillent pour moi, j’ai une facture d’électricité à payer … Je vois pas pourquoi je travaillerais gratuitement, personne ne fait ça. Mais il ne faut pas sous-estimer le temps nécéssaire… » 112. Serge Fraas fait preuve d’une posture d’ailleurs assez intéressante, à mi-chemin entre les deux profils évoqués précédemment : il connait bien l’histoire de l’habitat participatif, participe à des colloques ou donne des conférences, vit lui-même dans le projet Brutopia qu’il a conçu, mais conserve un pragmatisme tant opérationnel que dans la manière d’envisager et de vivre l’habitat participatif : « On n'est pas une communauté en fait […]Donc tous les soirs manger avec tout le monde, c’est horrible. Donc ici on a vraiment veillé à ce que chaque appartement ait son espace privé, intérieur et extérieur, et puis il y a le jardin collectif en plus. ». De plus, il est le seul architecte rencontré à avoir conçu trois projets différents, ce qui aboutit à une certaine expérience de sa part et de fait à une connaissance des écueils à éviter. Il nous explique ainsi que lorsqu’il rencontre un groupe, il lui demande impérativement de se structurer pour n’avoir à dialoguer qu’avec quatre ou cinq personnes maximum et non pas l’intégralité du groupe. C’est bien ce pragmatisme qui différencie les architectes d’aujourd’hui avec ceux des années 70 : aujourd’hui, ils ne peuvent plus se permettre de passer trop de temps sur un projet. Et quand ils le font, ils ne le refont bien souvent pas. Jean-Paul Hermant, nous dit ainsi : « Donc moi j’ai arrêté [l’habitat groupé] parce que c’est de la folie. (…) Moi j’ai pas la force. Je trouve que c’est un très beau projet, je pensais après celui-là en faire d’autres, j’ai été en contact avec plusieurs personnes, plusieurs groupes de gens et puis… et puis j’ai jeté l’éponge, trop compliqué. »113 tandis que Camille Devaux rapporte que « L’une des boutades courantes dans le mouvement est de dire que les architectes ne font qu’un seul projet d’habitat participatif dans leur carrière. »114. Cette notion du one-shot assez répandue pose bien sûr beaucoup de questions, et notamment celle de ses causes : pourquoi est-ce que ces projets d’habitat participatif s’avèrent-ils si chronophages et si peu viables pour les architectes ? 8. Les temps incertains du projet Une de mes premières hypothèses, en lien direct avec le propos précédent, est que cet engagement « par militance » n’aide pas à parler d’argent et de temps. En effet, les valeurs de partage, d’entraide, de non-spéculation etc… partagées au sein du mouvement sont prégnantes et érigent la société guidée par le profit comme un contre-modèle, ce qui rend quelque peu tabou la question de la rentabilité des acteurs dans le processus. Si cette hypothèse a probablement une part de vérité, elle est souvent remise en cause par les acteurs eux-mêmes, comme l’explique assez bien l’architecte Stéphane Faidherbe. Lui n’a jamais conçu de tel projet, mais s’en méfie, justement au nom de l’incertitude financière, qui devient de fait un frein au développement du mouvement : « Et alors l’éternelle difficulté c’est financièrement, de savoir comment tu peux valoriser ce travail-là, et comment tu peux à un moment donné définir ton rôle dans le projet : quel est ton rôle ? Être concepteur du truc, Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Fraas, Entretien. 113 Hermant, Entretien. 114 Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? » 111 112
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Stéphane Faidherbe Et alors l’éternelle difficulté c’est financièrement, de savoir comment tu peux valoriser ce travail-là, et comment tu peux à un moment donné définir ton rôle dans le projet : quel est ton rôle ? Être concepteur du truc, porter le projet jusqu’au bout ?
Pauline Dozier Quand tu fais ce genre de projet, c’est pas pour gagner ta croûte. Tu le fais parce que t’y crois, que tu trouves ça chouette... C’est bien mais c’est pas pérenne, tu peux pas faire toute une vie d’architecture comme ça.
Véronique Biau / Anne d’Orazio L’architecte doit écouter, mais contrairement à d’autres pratiques, à trop bien écouter il finit par ne plus être entendu. L’usager ayant fait l’expérience qu’il pouvait obtenir quelque chose ne sait plus renoncer, d’autant qu’il dispose des pouvoirs du maitre d’ouvrage.
Camille Devaux Les échanges constants avec le groupe et les évolutions souhaitées par chaque ménage représentent de fait une surcharge de travail pour les architectes.
porter le projet jusqu’au bout ? Nous le sentiment qu’on a c’est que si ça veut marcher il faut mouiller le maillot jusqu’au bout et aller plus loin qu’un projet classique d’architecture. Donc ça nous met dans une position très inconfortable, un moment donné on est obligés de limiter le temps qu’on passe dessus, parce qu’on est pas rémunérés »115. Pour la plupart, les architectes sont bien conscients de ce problème de viabilité, et comme le dit Pauline Dozier : « Quand tu fais ce genre de projet, c’est pas pour gagner ta croûte. Parce que t’y crois, tu trouves ça chouette… C’est bien, mais c’est pas pérenne, tu peux pas faire toute une vie d’architecture comme ça »116. D’autres causes sont ainsi à chercher : on peut tout d’abord constater que contrairement à l’idée répandue, le rôle que l’on donne à l’architecte n’est pas nécessairement plus complexe en habitat participatif. C’est-à-dire que ses missions sont réglées par les processus classiques de production du logement, augmentées dans certains cas par une mission d’AMO que l’architecte propose souvent lui-même de remplir, dans une idée d’apprendre à faire aux habitants. En vérité, c’est la co-conception avec les habitants qui est à l’origine de l’essentiel de la surcharge de travail. En effet, ce processus inhabituel en logement collectif est tout autant l’incarnation opératoire de l’habitat participatif que la cause de sa complexité pour l’architecte. Le groupe habitant représente un maître d’ouvrage multiple avec qui l’architecte a souvent du mal à dialoguer. Véronique Biau et Anne d’Orazio nous disent que « l'architecte doit écouter, mais, contrairement à d’autres pratiques, à trop bien écouter, il finit par ne plus être entendu. L’usager ayant fait l’expérience qu’il pouvait obtenir quelque chose ne sait plus renoncer, d’autant qu’il dispose des pouvoirs du maître d’ouvrage.»117 Nous sommes là dans le cœur des négociations118 liées au caractère hors-normes de l’habitat participatif et de sa co-conception : l’architecte doit écouter et gérer demandes individuelles et volontés groupales, tout en étant entendu et en conservant la cohérence du projet. Cette démarche de co-conception se déroule souvent en 2 temps : - 1ère phase : plan masse et volumétrie : participation des habitants sur des questions de programmation. Les gens doivent dire "ce qu'ils veulent mais pas comment ils le veulent"119. Ici les tensions collectives au sein du groupe peuvent faire surface, ce qui explique que les accompagnateurs jugent leur rôle très important : organiser et clarifier les besoins du groupe puis gérer la relation à l’architecte. - 2ème phase : une fois les logements répartis, s’engagent des discussions plus serrées sur la mise en forme des espaces : ces temps sont les lieux de négociations poussées car c’est la sphère intime (matérialisée par le logement) qui va être la plus révélatrice des individualités dans le groupe, la plus différenciatrice. Ainsi le temps consacré à la conception est de fait considérablement étiré : Camille Devaux nous dit que « Les échanges constants avec le groupe et les évolutions souhaitées par chaque ménage représentent de fait une surcharge de travail pour les architectes.» 120. Le rôle de l’architecte est celui d’un équilibriste, qui doit également faire face aux contradictions des habitants : ainsi le projet Lo Paratge rapporte un exemple intéressant de tension habitantsStéphane Faidherbe, Entretien, Annexe 2, 2017. Dozier, Entretien. 117 D’Orazio et Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? » 118 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 119 Biau, « Les architectes de l’habitat participatif, entre militance et compétence ». 120 Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? » 115 116
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Ludovic Gicquel En tout cas c’est sûr que l’architecte doit faire l’effort de n’être mauvais en rien. D’être à l’écoute, et ça demande des vraies capacités d’écoute active, d’empathie, de savoir se mettre au service de. Que tous n’ont pas.Et clairement, dans son rôle, il n’est pas censé être un animateur. Un animateur de groupe souvent il y en a besoin. [...] Besoin auquel le métier que je développe répond selon moi.
Pauline Dozier Je pense qu’il est indispensable qu’il y ait un élément tiers qui ne fasse pas partie du groupe, et pas non plus de l’équipe de maitrise d’oeuvre. Parce qu’il faut trancher, apporter un regard neutre, et c’est pas forcément son rôle (à l’architecte) d’être neutre.
Soizic Lelandais Grâce aux assos, je me rends compte que l’archi ne peut pas tout faire quoi. Nous de toute manière on a un rôle, enfin même un devoir de conseil, de conseiller au mieux l’habitant. Mais souvent les habitatns confondent un peu l’archi et l’AMO. Tu sais, il y a quelques groupes qui se font accompagner. Et ça, c’est primordial quoi.
concepteurs : les concepteurs (ici le programmiste et l’architecte) souhaitent construire dense et en étages pour libérer de l’espace végétalisable au sol. Seulement, les habitants restent paradoxalement attachés au modèle de la maison individuelle, et voient plutôt des logements séparés. La négociation a alors abouti ici à l’intermédiaire, presque mathématiquement : une sorte de petit hameau de maisons groupées de plain-pied comprenant 8 volumes distincts alors que les habitants en voyaient un par foyer (donc une quinzaine), et les architectes 3. Autre exemple : les habitants du projet Diapason qui veulent des cheminées dans leurs foyers tout en ayant une exigence de performances énergétiques très élevées. Il s’agit là d’un paradoxe né de l’aspect « non-sachant » des habitants, et donc tout à fait normal et amené à se répéter dans d’autres opérations. La négociation implique donc des sacrifices des deux côtés, ce qui nécessite par essence du temps pour y aboutir. Autre point important et souvent cité parmi les éléments responsable de la chronophagie de ces opérations : l’emploi du temps. En effet, les habitants ayant souvent un travail à côté, les ateliers de co-conception s’effectuent souvent le soir ou le week-end, et se rajoutent ainsi bien souvent à la charge de travail quotidienne de l’architecte, ce qui occasionne une fatigue nécessairement plus importante. C’est ici que les métiers imaginés par Ludovic Gicquel, Benjamin Pont ou Anouck Patriarche prennent leur sens : un intermédiaire qui peut se situer entre l’architecte et le groupe habitant, capable de dialoguer avec ces deux pôles tout en maitrisant les arcanes de la médiation et de la participation. Ces acteurs voient dans ce rôle une manière d’accomplir de manière professionnelle des tâches que l’architecte prend en charge (ce qui occasionne une perte de temps pour lui) de manière plus ou moins bonne, car la concertation, la médiation ou la pédagogie… ne sont pas des compétences méthodiquement enseignées dans la formation de l’architecte. Même si celui-ci « fait forcément de la pédagogie, avec son BET, son MOA etc… » 121 selon Soizic Lelandais. Ludovic Gicquel nous dit ainsi que « En tout cas c’est sûr qu’il [l’architecte] doit faire l’effort de n’être mauvais en rien. D’être à l’écoute, et ça demande des vraies capacités d’écoute active, d’empathie, de savoir se mettre au service de. Que tous n’ont pas. Et clairement, dans son rôle, il n’est pas censé être un animateur. Un animateur de groupe souvent il y en a besoin. Dans les groupes (…) il y a besoin de faire appel à un médiateur. Besoin auquel le métier que je développe répond selon moi.» 122 Pauline Dozier a exercé un rôle similaire dans le projet du Coteau de la Chaudanne : sortie diplômée d’une école d’architecture, elle a été engagée par l’association Cohab’titude pour faciliter les discussions entre architectes et habitants. Elle nous livre alors un retour d’expérience très intéressant sur cette figure de l’intermédiaire : « je pense qu’il est indispensable qu’il y ait un élément tiers qui ne fasse pas partie du groupe, mais qui ne fasse pas partie de l’équipe de maitrise d’œuvre. Parce qu’il faut trancher, apporter un regard neutre, et c’est pas forcément son rôle (à l’archi) d’être neutre. » 123 tandis que Soizic Lelandais considère que « grâce aux assos je me rends compte que l’archi ne peut pas tout faire quoi. Nous de toute manière on a un rôle, enfin même un devoir de conseil, de conseiller au mieux l’habitant. Mais souvent les habitants confondent un peu l’archi et l’AMO. Tu sais il y a quelques groupes qui se font accompagner. Et ça c’est primordial quoi »124. Ainsi les Lelandais, Entretien. Gicquel, Entretien. 123 Dozier, Entretien. 124 Lelandais, Entretien. 121 122
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Serge Fraas Mais ce qui est hyper important pour ne pas se laisser prendre au piège, c’est d’imposer au groupe de se structurer, parce que c’est impossible... L’architecte devient fou, parce qu’il a 40 personnes face à lui. Parce que c’est à lui de prendre tout, de canaliser, de gérer etc... C’est impossible.
Anne d’Orazio Le bon architecte est celui qui a compris où il met les pieds.
architectes que j'ai pu rencontrer voient d’un bon œil cet intermédiaire qui rebat pourtant les cartes des rôles traditionnels (et notamment celui de l’architecte) car il permet de limiter les déperditions de temps durant toutes les phases du projet. La notion de posture prend une nouvelle fois tout son sens ici : l’architecte doit être selon moi capable de se positionner par rapport à ces nouveaux acteurs, et par rapport à ce qu’il imagine être son rôle. Pour le projet Diapason, l’architecte se propose par exemple en tant qu’AMO et revendique l’aspect pédagogique de l’aventure : son idée est d’apprendre et faire apprendre, avec notamment l’organisation d’ « ateliers d’architecture populaire »125 tandis qu’à Toulouse l’association Action, Etudes et Recherches sur l'Architecture (AERA) à l’initiative du projet est majoritairement constituée par des architectes. L’architecte qui est en accord avec les habitants va développer un dispositif de confiance126 avec le groupe habitant, et cette relation va naturellement le faire tendre vers un côté médiateur. Mais il peut aussi vouloir exercer « seulement » un rôle de concepteur et limiter l’énergie et le temps investis dans ces ateliers de co-conception, comme Serge Fraas le dit, du haut de sa rare expérience de concepteur d’habitats participatifs : « Mais ce qui est hyper important pour ne pas se laisser prendre au piège c’est d’imposer au groupe de se structurer, parce que c’est impossible… L’architecte devient fou, parce qu’il a 40 personnes face à lui. Parce que c’est à lui de prendre tout, de canaliser, de gérer etc… c’est impossible… »127. En clair, les démarches de co-conception de l’habitat participatif font ressortir le fait que l’architecte ne peut pas ignorer les acteurs émergents et l’importance de l’expertise d’usage, ne serait-ce qu’en termes de viabilité. Ne pas coopérer avec ces nouveaux acteurs pourrait le conduire à s’investir à pertes car il n’a pas la formation pour répondre à toutes les problématiques posées par une maitrise d’ouvrage plurielle et un engagement idéologique trop fort. Ou dans le cas contraire, celui où l’architecte veut seulement effectuer un travail de concepteur sans remettre en cause sa pratique, le risque est de retomber sur une méthode de conception détachée de l’usager et qui se rapporte de nouveau à l’asymétrie du savoir et au logement-produit (assimilé à un produit consommable : vendu fini, générique, rentable et conçu à court terme, etc...) dont l’habitat participatif est pourtant la critique. L’architecte doit donc être capable d’affirmer une posture et par-là même de trouver un rôle qui lui est propre prenant en compte l’aspect singulier de l’habitat participatif, et de formaliser cela dès le début du projet pour s’assurer une certaine viabilité dans l’opération, tant sur le point de vue temporel (et donc financier selon l’adage bien connu) que de l’accord avec le sens global de la démarche. Anne d’Orazio résume assez bien cela en disant de manière faussement simple que « le bon architecte est celui qui a compris où il met les pieds »128. 9. Risques et limites d’une redéfinition des expertises Le corollaire de la prise en compte de ces nouveaux acteurs experts de l’usage (habitants et Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Lucien Karpik, « Dispositifs de confiance et engagements crédibles », Sociologie du travail, novembre 1996. 127 Fraas, Entretien. 128 D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » 125 126
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Anne d’Orazio Les agences d’architecture que j’ai rencontrées admettent que l’habitat participatif est l’occasion d’un retour reflexif sur leur métier qui requestionne le rapport entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre.
Véronique Biau / Marie-Hélène Bacqué La plus grande transparence des choix liée à l’impératif participatif et à la reconnaissance du groupe habitat comme un acteur à part entière appelle chaque partenaire à expliciter et à défendre son point de vue. Pour les architectes notamment, cela amène à expliciter et à défendre son point de vue, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les logiques traditionnelles.
accompagnateurs) est de fait une forme de perte de pouvoir, ou du moins un recadrage du rôle des architectes : Ludovic Gicquel nous dit ainsi que « Les rôles doivent être bien partagés entre les experts d’usage et l’architecte, qui vraiment idéalement dans les habitats groupés se cantonnerait à la question de la cohérence architecturale, des espaces et tout ça (…) Oui, il est clair que ça enlève du pouvoir à l’architecte. Mais au service de. Au service du sens. (…) Mais ça empêche pas de se faire plaisir sur les matériaux, les beaux volumes et tout. Pour moi c’est possible de concilier les deux » 129. Les architectes ne sont ainsi plus les seuls maitres de l’acte de concevoir selon ce nouveau regard : la hiérarchie se veut plus horizontale, d’une certaine manière en accord avec les valeurs portées par la doxa. Les architectes doivent ainsi apprendre à dépendre de nouveaux acteurs. Cependant on peut émettre l’hypothèse que cela peut être vu comme l’occasion de remettre en cause sa pratique et d’effectuer un retour critique sur son métier. Anne d’Orazio dit ainsi que « les agences d’architecture qu’elle a rencontrées admettent que l’habitat participatif est l’occasion d’un retour réflexif sur leur métier qui requestionne le rapport entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre» 130 tandis que Véronique Biau et Marie-Hélène Bacqué posent en conclusion le fait que « La plus grande transparence des choix liée à l’impératif participatif et à la reconnaissance du groupe habitant comme un acteur à part entière appelle chaque partenaire à expliciter et à défendre son point de vue. Pour les architectes notamment, cela amène à formuler une posture, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les logiques traditionnelles. » 131. On retrouve là une forme de bon sens, qui serait de dire que l’habitat doit être considéré à sa juste valeur, c’està-dire comme support de l’habiter, et qu’à ce titre il est normal qu’il fasse l’objet d’une réflexion rigoureusement justifiée et critiquable lors de sa conception. Le corollaire de l’essor de ces nouveaux acteurs est une redistribution des expertises de l’acte de construire. De manière logique, si l’expert de l’usage est l’habitant accompagné de l’AMU et éventuellement d’un programmiste, si l’expert technique est l’ensemble des BET, l’expert juridique une association accompagnatrice d’habitat participatif ou bien un juriste etc… On peut se demander de quoi l’architecte est-il l’expert ? On retrouve ici l’une des caractéristiques de la profession d’architecte : son expertise est difficilement mesurable, quantifiable, intelligible par les autres acteurs car plurielle, vaguement définie et touchant de près ou de loin à toutes les autres expertises. Cependant la loi le protège en le rendant indispensable, d'un point de vue légal, et en tant que concepteur d’une expression de la culture132. Partant de là, on peut se demander comment les groupes habitants et les autres acteurs interprètent le rôle de l’architecte et par quels moyens ils le sélectionnent, ce qui peut donner une première idée de ce que ces acteurs attendent de lui et par-là même de la manière dont le métier peut évoluer dans le futur ? Au sujet de la sélection de l’architecte, on peut constater qu’il existe plusieurs voies possibles : par affinités, connaissances, réseau (interne ou externe au groupe), ou bien plutôt par concours, comparaisons objectives etc… Il est intéressant de comparer les critères de sélection mis en avant par les différentes approches. Benjamin Pont nous explique qu’Habitat Gicquel, Entretien. D’Orazio, « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » 131 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 132 legifrance.gouv.fr, « Loi sur l’architecture Art. 1er » (1977). 129 130
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Benjamin Pont Nous on sélectionne les architectes sur plusieurs critères en fait. Je le rencontre d’abord personnellement pour voir si premièrement il est à l’écoute des besoins, pédagogique, ouvert. Ensuite dans un deuxième temps, il me parait important qu’il ait une sensibilité par rapport à l’habitat participatif. Une sensibilité hein, pas une compétence, parce que sinon on en trouverait pas souvent... Ensuite qu’il ait des compétences dans le logement collectif de manière générale, histoire de ne pas perdre de temps, d’être efficace et d’être capable de répondre aux habitants sur des questions techniques ou d’usage. Et enfin bien sûr d’être sensible à l’écologie, d’en faire une de ses priorités.
Figure 22 : Synthèse uniformisée des réponses au concours d’architecture lancé par le groupe d’habitants du projet Diapason
Anne d’Orazio Les collectifs habitants vont souvent s’orienter vers des architectes ayant des productions importantes de logements ou de bâtiments à fortes performances environnementales.
& Partage fonctionne avec l’appui d’un réseau de partenaires, dont des architectes qu’il propose au groupe habitant. Si les habitants ont déjà une autre agence en tête, Benjamin Pont essaie de le rencontrer pour essayer de voir si celui-ci est en quelque sorte « compatible » avec la démarche d’habitat participatif : « Nous on sélectionne les architectes sur plusieurs critères en fait. Je le rencontre d’abord personnellement pour voir si premièrement il est à l’écoute des besoins, pédagogique, ouvert. Ensuite dans un deuxième temps il me parait important qu’il ait une sensibilité par rapport à l’habitat participatif. Une sensibilité hein, pas des compétences, parce que sinon on en trouverait pas souvent... Ensuite qu’il ait des compétences dans le logement collectif de manière générale, histoire de ne pas perdre de temps, d’être efficace et d’être capable de répondre aux habitants sur des questions techniques ou d’usage. Et enfin bien sûr d’être sensible à l’écologie, d’en faire une de ses priorités. »133. Dans une démarche assez opposée, l’étude de la sélection de l’architecte par le groupe Diapason est assez intéressante : le groupe constitue en son sein une équipe « technique et architecturale » composée de 3 architectes, une monteuse d’opérations et un ancien MOA public, augmentée par un maitre d’ouvrage délégué et un BET fluides/performances énergétiques recrutés à l’extérieur. Une consultation est alors lancée et les participations sont analysées par chacun des « jurés » sur leurs critères de prédilection : le BET sur la performance énergétique, le MOA sur la technicité du projet au regard des performances recherchées et le groupe formé par les habitants sur la « qualité architecturale » tout en réfléchissant aux moyens à mettre en œuvre pour restituer la consultation à l’ensemble du groupe (en l’occurrence, ils redessineront les plans de toutes les agences selon le même style graphique). Puis le résultat de cette restitution avec l’ensemble du groupe, ajouté à une audition des équipes d’architectes (powerpoint + questions/réponses) permet de désigner un lauréat, qui va être présenté à la Ville de Paris et à la Semavip (société d’économie mixte d’aménagement de la ville de Paris) porteuse du projet. Un dernier jury dit « officiel » est donc organisé en présence d’acteurs municipaux et institutionnels, qui finit par entériner le choix de l’agence lauréate. Nous avons pu voir que Benjamin Pont parle de qualités d’écoute, d’ouverture et de pédagogie de la part de l’architecte ce qu’on ne relève pas dans les critères du groupe Diapason. Cependant, Diapason met en avant la « qualité architecturale » des espaces, ce qu’Habitat & Partage ne priorise pas nécessairement. Ces particularités sont logiques au vu du statut des deux entités : Habitat & Partage s’attache à la médiation et à l’accompagnement quand le groupe Diapason va réellement habiter le projet. Au-delà de ces différences, il est intéressant de noter ce qui rassemble ces deux approches de la sélection de l’architecte : on y trouve les notions d’écologie, de performances et d’efficacité. Le principal souci quant à la qualité de l’architecte parait être sa capacité à assurer de manière efficace le suivi d’un projet de logements collectifs performant sur le plan écologique. Véronique Biau et Anne d’Orazio expliquent ainsi que « Les collectifs habitants vont souvent s'orienter vers des architectes ayant des productions importantes de logement ou de bâtiment à fortes performances environnementales » 134, ce qui trouve écho avec Marine Morain qui nous confie 133 134
Pont, Entretien. D’Orazio et Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? »
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Véronique Biau / Anne d’Orazio Le rapport entre habitants et architecte se limite pour l’essentiel à l’exercice d’une expertise technique qui s’opère dans une alliance de circonstance comme construire un bâtiment passif, accéder à une commande de logements etc...
Elizabeth Devalmont On regarde la taille de l’agence et le chiffre d’affaires notamment, pour évaluer leur capacité à diriger un tel projet. Et puis on leur demande des références, mais aussi une note méthodologique qui nous permet d’apprécier la façon dont ils vont concevoir un projet comme ça.
que pour le Village Vertical, Arbor&Sens a été choisi en premier lieu pour leurs réalisations écologiques 135. Cela constitue une preuve supplémentaire de l’existence d’une forme de distance entre le groupe et l’architecte qui tranche avec la figure engagée des années 70. On peut ainsi dire aujourd’hui que l’architecte est bien souvent vu comme un prestataire technique externe 136 ce qui n’est pas sans lien avec le nouvel état d’esprit 137 des groupes habitants décrit par Véronique Biau et Anne d’Orazio. En effet, ceux-ci inscrivent aujourd’hui leur démarche dans un cadre négocié avec les institutions publiques et les acteurs privés et font preuve d’un pragmatisme et d’une recherche de sécurité et de durabilité bien plus poussés que dans les années 70, durant lesquelles dominaient les aspects pionnier et militant de l’opération. Selon Anne d’Orazio et Véronique Biau, « le rapport entre habitants et architecte se limite pour l’essentiel à l’exercice d’une expertise technique qui s’opère dans une alliance de circonstance comme construire un bâtiment passif, accéder à une commande de logement etc… »138. Elizabeth Devalmont, directrice d’Alliade Habitat, nous confirme cela en expliquant que sur l’opération du 04 mars (Lyon 4ème) à laquelle le groupe participe en coopération avec le groupe habitant, ils ont défini plusieurs critères objectifs de sélection de l’architecte : « la taille de l’agence et le chiffre d’affaire notamment pour évaluer leur capacité à diriger un tel projet. Et puis on leur demande des références, mais aussi une note méthodologique qui nous permet d’apprécier la façon dont ils vont concevoir un projet comme ça. »139. Les attentes des divers acteurs combinent donc avec pragmatisme une recherche d’assurance sur l’efficacité économique et la compétence mesurable en matière écologique, puis éventuellement une certaine ouverture ou sensibilité de l’architecte avec la coconception et la transmission de savoirs. Il est alors intéressant de les comparer avec la vision que peuvent avoir les architectes euxmêmes de leur rôle au sein des opérations d’habitat participatif, au travers du Réseau National des Architectes en Matière d’Habitat Participatif (RNAHP). Ce réseau explique dans sa charte que « les démarche d’habitat participatif mobilisent les compétences d’ensembliers des architectes comme garants des objectifs de qualité d'usage, d'expertise habitante et d'inscription sociale.» 140 Le réseau identifie ainsi 7 points-guide de l’intervention des architectes : - Fabriquer la ville : « faire avec le quartier », sortir des schémas de l’habitat individualisant et prôner l’inventivité et l’expérimentation dans les modes d’habiter. - Faire avec les habitants : développer les outils pour formaliser les engagements de chacun, respecter les choix du groupe et favoriser une programmation inscrite en rapport avec les usages actuels, émergents et à venir de l’habitat. - Coopérer avec le territoire : privilégier la cohérence du projet avec les acteurs économiques locaux. - Agir en citoyen : reconnaitre et appuyer l’expression des savoirs d’usage et de l’expertise habitante, et agir dans une démarche de transmission des savoirs professionnels.
Gilles Desevedavy et al., « E731 - Séminaire démarches participatives » (ENSAL, 22 mars 2017). D’Orazio et Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? » 137 Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » 138 D’Orazio et Biau, « Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ? » 139 Devalmont, Entretien. 140 RNAHP, « Charte Réseau National des Architectes pour l’Habitat Participatif », s. d. 135 136
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Figure 23 : L’ habitat participatif revêt un caractère innovant : l’ensemble des processus et documents se font à la marge de la voie classique
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Rendre l’habitat accessible en privilégiant la valeur d’usage de l’habiter face à sa valeur d’échange : non-spéculation immobilière, réfléchir en coût global, à long terme etc … - Concevoir et bâtir sain : qualité environnementale, architecture, pérennité et adaptabilité des logements aux évolutions de l’habiter - Partager et enrichir le réseau : se tenir informé et ouvert à l’évolution de la profession, participer à l’élaboration d’analyses concernant les projets d’HP et rester ouvert à des partenariats de projets, d’évaluation et de recherche élargis au-delà du champ de l’architecture. Si certains architectes mettent en avant cette fameuse remise en cause du rapport MOA/MOE comme F. Coderc (Arbram) : « Je crois que notre métier, moi c’est bien la notion que l’on a pas la science infuse, que l’on doute toujours et donc qu’il est important de pouvoir confronter et faire valider nos idées par ceux qui vont vivre après. » 141, cette charte, élaborée par des architectes qui s’intéressent au mouvement, montre que ceux-ci sont conscients de l’ensemble des grandes problématiques de l’habitat, mais ne tiennent pas réellement compte des attentes pragmatiques des habitants, notamment en termes de délais et d’argent : il n’est pas fait mention dans ces 7 points d’une exigence d’efficacité de la part des architectes dans des projets qui souffrent bien trop souvent de ses temps trop étirés... Il s’agit là d’un point de vigilance important. L’habitat participatif engendre une remise en cause des savoirs et de leur asymétrie comme nous l’avons vu précédemment. Il est donc important pour l’architecte de réussir à trouver un compromis entre la manière dont il envisage l’habitat et les attentes pragmatiques du groupe habitant et des autres acteurs à son encontre. Il faut comprendre que la démarche étant par essence expérimentale et innovante, l’architecte ne doit pas essayer de calquer une vision déjà faite de la pratique architecturale ou de la méthode de conception. À ce sujet, une anecdote rapportée par le projet Diapason s’avère assez intéressante : le notaire engagé par le groupe explique à la Semavip que l’opération étant « contre la pensée unique », tous les documents fournis seront « aux marges de ce qui se fait normalement », par définition presque pragmatique de ce qu’est un habitat expérimental et innovant. C’est-à-dire qu’on ne peut pas exiger d’un mouvement nouveau émergeant de besoins nouveaux, qu’il s’intègre parfaitement dans les pratiques et les codes anciens et institués, comme l’a bien compris ce notaire, pourtant probablement pas spécialisé dans l’habitat participatif. On rejoint ici la notion de l’habitat participatif comme une innovation sociale142 telle que décrite par Camille Devaux : c’est-à-dire faisant preuve d’une discontinuité par rapport au pratiques institués, émergeant dans un contexte de crise, et poursuivant pour objectifs l’amélioration d’une situation donnée, l’introduction d’une dimension collective basée sur la coopération, la participation, les mécanismes d’apprentissage, d’appropriation etc… Tout en ayant un caractère risqué indéniable et conscientisé, ainsi qu’un réseau de valeurs communes. On peut donc dire que la remise en cause est à faire sur le plan des valeurs autant que sur l’aspect opératoire. De plus, cette remise en cause peut s’avérer très constructive pour qui s’intéresse au futur de sa profession, car elle est comme nous l’avons vu, très ouverte. L’architecte de demain ne sera pas nécessairement celui qui agit dans l’habitat participatif, la 141 142
Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Devaux, « Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ? »
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Figure 24 : mindmap généraliste du jeu d’acteurs réalisée pour exprimer l’esprit des relations entre les acteurs dans ces processus innovants
Figure 25 : le processus d’externalisation de l’architecte le présente comme un prestataire technique parmi d’autres
Lucien Kroll Lucien Kroll (né en 1927) est un architecte belge qui s’est battu avec sa femme Simone, jardinière, pour une pratique de l’architecture vivante, particulière, écologique et intimement liée aux humains qui y participent. Il défend le désordre contre le rationalisme, la courbe et l’accident contre la trame et la ligne, l’architecture comme lien empathique contre l’architecture comme geste esthétique. - De l’architecture-action comme processus vivant, 2011 L’habitation est une action et non un objet.
vision des habitants (ou d'autres acteurs) n’a pas valeur de vérité, mais il faut comprendre que puisque l’habitat participatif est lié à l’émergence d’une doxa, son intérêt prospectif est indéniable, et que la profession pourrait avoir tendance à s’incliner dans sa direction. Tout en gardant en tête que la parole des habitants a un caractère particulier pour un mouvement qui a pour leitmotiv « l’Habitant au cœur de la production et de la gestion de son lieu de vie »143. Pour essayer de clarifier ce jeu d’acteurs fondamental dans l’habitat participatif, j’ai établi une carte mentale (Fig. 24) exprimant l’esprit de ces processus de production du logement. Cette carte se veut volontairement très généraliste pour englober la majorité des projets et leurs particularités, même si elle se heurte à la limite récurrente inhérente à toute tentative de théorisation d’un mouvement qui se définit par la particularité de chacune de ses expressions. On peut ainsi voir que l’habitat participatif entend faire émerger 3 pôles : la maitrise d’œuvre (MOE), la maitrise d’ouvrage (MOA) et la maitrise d’usage (MU). Parmi ces pôles, l’habitant est l’acteur central des pôles MOA et MU. On voit que l’architecte, bien que son rôle puisse prendre différentes teintes selon les missions qu’il effectue, reste indéniablement perçu comme un acteur du pôle MOE, donc externe au groupe habitant (à quelques exceptions près comme Serge Fraas qui habite aussi Brutopia) et à ses acteurs associés. Anne d’Orazio et Véronique Biau parlent d’un processus d’externalisation de l’architecte comme on peut le voir sur leur schéma (Fig. 25), en mettant en avant le rapport des habitants avec la collectivité, souvent déterminant dans le projet. Ce processus d’externalisation de l’architecte pose plusieurs questions, tant d’ordre moral (est-ce une « bonne chose » pour la profession d’architecte ? Pour les habitants ? Pour l’architecture ?...) que d’ordre pratique : comment arriver à une co-conception menée en bonne intelligence entre l’architecte (imposé règlementairement), les habitants et d’éventuels intermédiaires quand un tel processus d’externalisation est implicitement à l’œuvre ? Cette dernière problématique m’a paru si importante qu’une partie de ma réflexion s’est naturellement portée sur l’étude de la co-conception en elle-même, ce que je n'avais pas anticipé, mais qui s’avère indispensable pour comprendre comment ces processus sont menés et ce qu’ils impliquent sur l’architecture et sa pratique professionnelle.
10. La co-conception architecturale, méthode ou matière ? C’est en étudiant comment s’exerce la co-conception en pratique, que l’on peut comprendre qu’il est compliqué de la penser par le prisme d’une méthode, et que c’est même peut-être là un contresens. Sur la base de références issues d’expériences propres ou de documentation, j’ai réalisé ce schéma (Fig. 26) qui résume les « chemins » de coconception empruntés par 6 acteurs différents dans un ou plusieurs projets. Ce schéma, qui décrit une méthode par ligne, permet de voir plusieurs choses : tout d’abord que l’usager est impliqué de différentes manières. Pour Lucien Kroll, qui défend l’incrémentalisme144 (c’est-àdire l’avancée au fur et à mesure, la favorisation de l’inattendu, qu’il dépeint comme l’inverse 143 144
Euvrard et Eco-Quartier Strasbourg, Livre blanc de l’habitat participatif. Lucien Kroll, « De l’architecture action comme processus vivant... », Agir, no 108 (2011): 8
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Figure 26 : Schéma subjectif des chemins de la co-conception selon différents acteurs issus de l’analyse de projets ou de méthodes théorisées
du rationalisme qui découpe les problèmes en phases et en question fermées et les solutions en décisions logiques et algorithmiques), il s’agit de faire intervenir les usagers à toutes les phases, (même si celui-ci n’est pas réellement le futur habitant) et de laisser des marges d’expérimentation à tous les acteurs, jusqu’au maçon durant la construction. Patrick Bouchain, s’il partage globalement les idées de Lucien Kroll, s’avère être un peu plus pragmatique en définissant lui-même une première volumétrie avant de lancer des ateliers de conception avec les usagers qui vont se poursuivre durant le chantier, étape pédagogique et maïeutique essentielle pour le projet selon lui. Serge Fraas est dans une posture encore plus opérationnelle, car conscient de l’aspect chronophage de la co-conception, il impose aux groupes de réfléchir entre eux à des éléments de programme puis de former une délégation qui vient discuter avec l’architecte. Et on peut enfin noter que les acteurs les plus « opérationnels », (donc les plus bas sur l’axe vertical de l’incrémentalisme) c’est-à-dire ayant élaboré une méthode réitérable (donc par essence assez peu rationaliste), sont les accompagnateurs tels que Faire-Ville ou Construire Pour les Autres Comme Pour Soi (CPACPS). Ceux-ci mettent en avant de manière assez compréhensible leur rôle d’accompagnateur sur l’ensemble du projet, même si ils diffèrent sur quelques points (CPA-CPS laisse par exemple le soin aux habitants d’effectuer les finitions de leur logement, avec les entrepreneurs qu’ils souhaitent). Enfin Habitat&Partage se situe selon moi dans une approche intermédiaire, assez opératoire mais qui néanmoins a conscience que « le facteur humain est non contrôlable » 145 et vise plutôt à aider les habitants à contrôler les facteurs temps et coût. Ainsi il existe dans les faits de multiples expressions de la co-conception. Il est également intéressant de s’intéresser à une autre forme de théorisation de la celle-ci par le parallèle avec l’art participatif. L’émergence récente de la notion d’art participatif est extrêmement intéressante et renforce l’idée de doxa en construction, car l’art a toujours eu un rapport dialectique de cause et conséquence avec les mouvements sociaux à une époque donnée. Le philosophe Gilbert Simondon a indirectement jeté les bases d’une grande réflexion sur le virage participatif de l’art par sa différenciation entre être et individu : selon lui, l’être est fait de relations, quand l’individu est l’être constitué, le résultat d’un processus d’individuation 146 de l’être. Or cette individuation impacte également le milieu associé à l’individu en construction. C’est ainsi que Nicolas Bourriaud explique que l’esthétique relationnelle qui s’attache aux « relations externes inventées par les œuvres » 147 permet de créer les conditions nécessaires à la participation du spectateur pour opérer sa formation en réalité. Si ce parallèle avec l’art relationnel parait intéressant, c’est qu’il permet de comprendre que le processus participatif n’est pas anodin et concourt à la particularité, la singularité d’une œuvre, qu’elle soit artistique ou architecturale, autant qu’à la formation individuelle et collective de ses concepteurs. « L’acte, en se faisant en relation va permettre l’appropriation, processus individuant qui va produire un milieu associé à l’ensemble des individus et ainsi à chaque individu. » 148 La pensée de l’art comme un réseau social permet de comprendre à quel point l’émergence du participatif en architecture n’est pas, ou ne peut pas simplement être réduit à une « méthode » de plus comme on pourrait essayer de l’imaginer. Cependant, il existe une différence de fait entre art et architecture. Sans rentrer dans le détail de la (très intéressante) Pont, Entretien. Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Millon, Krisis, 2005. 147 Yveline Montiglio, « Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle (2001) et Postproduction (2003) », Communication 24 (2005): 243 145 146
Pierre-François Desoulle, « Architecture et participation : Quelle place pour l’habitant dans la conception architecturale ? » (ENSAP, 2013), https://issuu.com/p.i.f/docs/memoire_final.
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Friedensreich Hundertwasser Friedensreich Hundertwasser (né en 1928) est un architecte et artiste autrichien. Précurseur en architecture d’un mode de pensée écologique et situé, son rapport à l’art et à la spiritualité génère une esthétique unique à ses réalisations augmentée par des principes tels que les arbres-locataires ou le droit à la façade pour l’habitant etc... Souvent catalogué comme alternatif, il me semble essentiel de relire sa pensée aujourd’hui, que ce soit du côté de l’art, de l’architecture ou de l’écologie, et a fortiori quand les trois se mêlent. - Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture, 1958 - La Nature est irréprochable : c’est l’homme qui a des défauts, 1990 La ligne droite est athée et immorale.
Figure 27 : Un exemple d’application du General Problem Solver de Herbet Simon
dialectique entre matières et formes implicites de la matière, l’historienne de l’art Estelle Zhong explique que « l’objet technique met en place des moyens optimaux pour atteindre et reproduire une fin claire et distincte. L’oeuvre d’art met en place des moyens optimaux pour atteindre une nébuleuse de fins qui n’est ni claire, ni distincte, et qui, en droit, doit être ouverte. ». 149 On peut objecter que l’habitat ne saurait être ramené ni à une œuvre d’art, ni à un objet technique. Cela laisse donc en réalité à l’architecture la porte ouverte à une définition de « son » art participatif à mi-chemin entre ces deux processus. Estelle Zhong attire notre attention sur le fait qu’il ne faut pas nécessairement s’attarder sur la matière en elle-même (on pourrait parler des médiums de la co-conception dans notre cas) mais bien sur les formes implicites à atteindre, qu’elle identifie au nombre de trois : la ré-appropriation créatrice, la coopération spontanée et la fabrication d’habitudes. Selon elle, ces trois notions sont essentielles pour ne pas s’égarer dans une pratique participative. Ces notions paraissent, par leur concision et leur clarté, être suffisantes pour constituer une théorie de la coconception sans tomber dans le piège de vouloir en faire une méthode. Enfin, la définition de l’artiste que fait Estelle Zhong peut s’avérer intéressante à étudier pour l’architecte : selon elle, « l’expertise de l’artiste, est d’avoir un travail de « bricologie » proche de celui d’un artisan, tout en étant conscient qu’il n’est pas là pour amener le projet vers un but prédéfini précis, mais bien de passer des formes implicites de la matière aux formes explicites.» 150 . Selon cette définition (qui prend soin de parler « d’expertise » de l’artiste), l’architecte devrait « bricoler » avec les usagers selon des médiums divers de co-conception pour arriver à faire émerger les 3 notions évoquées par Estelle Zhong, et les matérialiser par un projet formé (et formateur) par et pour les habitants en envisageant l’architecture comme un milieu sociotechnique 151 et la co-conception comme un processus d’individuation. Il est intéressant de noter que cette approche qui part du croisement d’approches philosophique et historique rejoint dans sa théorisation la notion d’incrémentalisme 152 proposée par Lucien Kroll, l’approche psychologique de l’individu étant toutefois moins présente chez lui. Ce rapport entre art et architecture est aussi incarné par l’artiste-architecte autrichien Friedensreich Hundertwasser, qui défendait également cette notion d’incrémentalisme par une opposition explicite au rationalisme 153 et un soutien affiché au travail de Lucien Kroll. Celui-ci érige en contre-modèle le programme informatique GPS (General Solving Problem) de Herbert Simon, Prix Nobel d’économie en 1978, qui consiste à fournir une solution par la somme algorithmique de réponses rationnelles à une suite de questions fermées en assimilant chaque donnée à une valeur, et en négligeant les écarts et les différences considérées comme minoritaires. On peut donc voir que la co-conception est en fait étirée dans deux directions distinctes : ceux qui la considèrent comme une méthode et qui cherchent à la rationnaliser, et par conséquent à augmenter son efficacité (processus prédéfini) et à diminuer ses pertes (temporelles notamment), et ceux qui la considèrent comme une matière comme on vient de le voir. Ces deux approches, bien que reposant sur des fondations idéologiques semblables (la coopération, la primauté de l’usager etc…) sont en fait très différentes, voire contraires, et on peut légitimement se demander à quel point cette confrontation peut Estelle Zhong, « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon », Techniques & Culture, 24 mars 2016, 96. 150 Zhong. 151 Montiglio, « Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle (2001) et Postproduction (2003) ». 152 Kroll, « De l’architecture action comme processus vivant... » 153 Friedensreich Hundertwasser, « Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture », 1958. 149
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Véronique Biau / Marie-Hélène Bacqué La négociation et la discussion entre architecte et groupe habitant apparait alors comme une dégradation du projet architectural pour les deux parties, ce qui est finalement à l’encontre de l’essence même de l’habitat participatif !
Renvoie une image de professionnel de la co-conception, qui est là pour apprendre et faire apprendre, sans toutefois revendiquer de synergie avec le groupe :
L’architecte met une distance dans sa relation avec le groupe
Renvoie une image d’architecte expert dans son domaine et son langage qui prend l’opération comme une autre : + Donne une image sérieuse d’un expert qui saura mener à bien le projet dans les temps et le budget.
+ Permet de réellement pratiquer une coconception instructive pour les habitants
- Peut être interprété comme une réticence à se mettre au diapason des habitants et à se remettre en cause pour co-concevoir avec le groupe.
- La distance que l’architecte met avec le groupe engendre nécessairement une perte du «particularisme» du projet lié au groupe habitant
- Peut occasionner des incompréhensions.
L’architecte fait preuve d’une volonté manifeste de vulgariser son savoir et d’être compris par tous
L’architecte adopte une posture dite «technicienne» dans son langage et ses explications
Renvoie une image d’architecte atypique et engagé idéologiquement pour les mêmes causes que le groupe :
Renvoie une image d’architecte expert dans son domaine et son langage qui prend l’opération comme un projet particulier :
+ Peut entamer une relation de confiance et d’apprentissage avec le groupe
+ Donne une image sérieuse d’un expert qui connait les spécificités d’un tel projet et qui saura mener à bien celui-ci dans les temps et le budget.
- Peut faire peur aux habitants qui voient l’architecte comme un prestataire externe qu’ils veulent avant tout efficace avant d’être éventuellement sympathique
L’architecte cherche à avoir une proximité avec le groupe
- La proximité avec les habitants peut être interprétée comme une façade puisque l’architecte ne remet pas en cause son discours expert
Figure 28 : Diagramme à double entrée subjectif des relations entre l’architecte et les habitants par rapport à l’image véhiculée par l’architecte, fonction du niveau de technicité et de proximité que celui-ci choisit d’exprimer
impacter le mouvement lors de son développement ? Ainsi, même si le mouvement met en avant la coopération, la hiérarchie horizontale et le faire-ensemble, l’apparition de l’acteur usager (et des experts associés) combinée à la diversité opératoire et théorique autour de l’acte de co-concevoir ré-introduisent de fait une forme de différenciation interne des acteurs. Dans ce cadre-là, l’architecte peut avoir tendance à être externalisé comme nous l’avons vu précédemment. A ce moment-là, le corollaire pernicieux de l’architecte vu comme un prestataire technique externe gravitant autour de l’habitant est que « La négociation et la discussion entre architecte et groupe habitant apparait alors comme une dégradation du projet architectural pour les deux parties, ce qui est finalement à l’encontre de l’essence même de l’habitat participatif ! » 154. Cela peut s’expliquer par l’effet combiné du groupe habitant tiraillé entre son pragmatisme opérationnel et sa volonté de participer à la conception et de l’architecte qui trop souvent se donne une image très technicienne pour faire preuve d’une assurance sur le plan des performances du bâtiment. D’autant plus que cette image technicienne peut être « interprétée comme une négligence à se mettre au diapason des habitants » 155, une sorte de rémanence du système ascendant des expertises dont l’habitat participatif est la critique. L’architecte et les habitants peuvent ainsi se retrouver pris entre plusieurs paradoxes, que des négociations multiples (et donc chronophages) sont chargées de résoudre dans la pratique, en créant des tensions et parfois au détriment même de la qualité du projet. L'architecte doit donc être conscient que l'image qu'il renvoie va avoir une incidence autrement plus complexe qu'avec un client unique, du fait de l'aspect expérimental du projet, de la multiplicité du groupe et de sa recherche de sécurité collective et pragmatique. On peut voir sur la Fig. 28 quelques rapport architecte-groupe possible en fonction de l'image renvoyée par l'architecte. Il s'agit d'une interprétation synthétique liée à mes lectures et à mon expérience notamment auprès d'un groupe habitant à Bourg-en-Bresse, et non pas d'une relation cause-conséquence exacte.
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Biau et Bacqué, « Habitat alternatif : des projets négociés ? » Biau et Bacqué.
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Figure 29 : l’habitat participatif est porteur de perturbations, de remises en causes et d’impacts malgré son poids apparent dérisoire
Conclusion : L’architecte, cet expert du particulier… Durant les étapes initiales de ce travail, plusieurs hypothèses de travail se sont progressivement dessinées, sur lesquelles je souhaite revenir au moment de conclure. Ainsi, j’avais la conviction, héritée de mon rapport d’études que l’habitat constitue une branche si particulière de l’architecture, que l’on ne peut prendre à la légère (et donc traiter de la même manière que tout autre commande) du fait de l’importance des investissements divers que réclame l’acte d’habiter. Par suite, j’ai émis l’hypothèse que l’habitat participatif ne devait pas être envisagé seulement sous l’angle opérationnel, en ayant le sentiment qu’il était la face visible de quelque chose de plus vaste, à la manière de l'iceberg. Cette hypothèse est importante car elle explique pourquoi il me paraissait important de comprendre ce que l’habitat participatif signifie et implique avant de comprendre comment il fonctionne. Elle permet également de saisir cette impression vague que nous vivons actuellement une phase particulière de l’évolution des mentalités, que j’avais approximée sans pouvoir la définir plus clairement. Enfin, suite à l’avancée de mon travail, j’ai pu poser une hypothèse supplémentaire qui consiste à dire que l’architecte ne peut plus éthiquement ignorer l’habitat participatif et les mouvements émergents parallèles, et qu’il doit savoir se remettre en cause. Cela permet d’ouvrir sur le statut de cette remise en cause : est-elle est nécessaire, et si oui peut-être même bienvenue ?... Mes recherches, rencontres et entretiens ont ensuite affiné ma compréhension de l’habitat participatif pour finalement répondre à toutes ces hypothèses d’une manière assez inattendue : relativement « simplement », c’est-à-dire aisément concevable. En effet, le décalage du regard vers la sociologie permet de comprendre que nous sommes dans une phase de doxa en construction, dont les conséquences sont visibles à condition de prendre le recul nécessaire : mouvements émergents autour des thèmes des communs, du partage, du lien social, du réseau, de la mutualisation etc... Et dont les causes demanderaient un travail plus approfondi, même si deux pôles s’avèrent assez récurrents : en l’occurrence la pensée écologique et la pensée Internet. Je reviendrai plus précisément sur l’écologie ultérieurement, mais cette manière d’envisager les choses clarifie et relie une grande partie des questions gravitant autour de l’habitat participatif, qui devient alors partie de cette doxa émergente. Tout en prenant en compte les spécificités qui le détachent des autres mouvements de la doxa, à savoir les temps longs du projet, l’héritage idéologique et historique, et enfin les enjeux majeurs liés à l’acte d’habiter. Cependant, cela permet de comprendre que l’habitat participatif ne doit pas être vu sous l’angle de son poids dérisoire (sur le marché du logement) mais bien comme un mouvement perturbateur, tant sur le point de vue éthique qu’opératoire. Car de nouvelles notions (consom’acteurs, expertise d’usage etc…) et de nouveaux acteurs (AMU, accompagnateurs etc…) émergent, offrant là une remise en cause que l’on peut considérer comme nécessaire pour un architecte dont la liberté d’action est inversement proportionnelle à la frustration dans la conception du logement collectif. Cela permet de répondre à mes hypothèses sur la répercussion de l’habitat participatif sur le rôle de l’architecte, en affirmant que celui-ci doit non seulement se remettre en cause au risque de ne pas comprendre l’évolution des modes d’habiter, mais que cette remise en cause est également nécessaire pour ne pas subir le processus d’externalisation lié à l’apparition des nouveaux acteurs et à la redistribution des jeux de pouvoir. Je m’étais posé la question de savoir si cette remise en cause pouvait être
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Figure 30 : la notion de posture est une clé de compréhension et d’action dans un mouvement éminément lié aux humains qui le composent
considérée comme bienvenue, en émettant l’hypothèse que toute remise en cause de la pratique professionnelle est nécessairement vertueuse. Ce travail me permet de dire que les choses ne sont pas aussi simples : s'il est nécessaire de savoir adapter sa pratique, l’habitat participatif « pragmatique » d’aujourd’hui et son processus d’externalisation tendent tout de même à réduire le rôle de l’architecte et à augmenter parallèlement les temps du projet, ce qui complexifie la réponse. C’est ici qu’intervient le facteur humain de l’habitat participatif qui permet de légitimer ce mouvement à plusieurs niveaux. En effet, la démarche d’entretiens que j’ai menée visait à saisir des postures de professionnels, à comprendre pourquoi malgré d’indéniables freins pragmatiques (temps, argent, complexité …) il existe des professionnels prêts à s’investir dans ce mouvement et à coopérer sur des projets. Or cette notion de posture est intimement reliée à l’éthique que porte l’habitat participatif étant intégré dans la doxa évoquée précédemment, ce qui explique à quel point ce décalage vers la sociologie permet de clarifier les mécanismes à l’œuvre à tous les niveaux ! De plus, l’aspect humain est souligné par de nombreux acteurs que j’ai pu rencontrer comme étant l’un des piliers du mouvement ainsi que l’un de leurs moteurs personnels au quotidien. La démarche de l’habitat participatif est donc éminemment liée aux humains qui la composent, et s’oppose ainsi au logement-produit dont il est la critique. Par un jeu logique assez simple, il suffit d’être convaincu que ce dernier (par ailleurs probablement nécessaire à une certaine époque) n’est vertueux ni pour l’habitant, ni pour l’architecture, ni pour l’architecte et qu’il n’entre pas dans la doxa en construction pour comprendre que l’habitat participatif est porteur de vertus dans ces domaines-là. Enfin ce facteur humain et les compétences multiples que réclament l’habitat participatif et notamment la co-conception (pédagogie, médiation etc…) rendent la coopération avec les autres acteurs indispensable à l’architecte à mon sens : celui-ci doit faire le deuil d’une hypothétique toute-puissance de conception, pour la partager avec les autres acteurs dans une démarche visant à la qualité du projet, au lieu de la voir déchirée par les promoteurs, les normes ou les municipalités dans un processus de production du logement relevant plutôt des sphères industrielles. On retrouve ici le fil de la pensée d’Ivan Illitch qui prône l’émancipation individuelle plutôt que les normes, les professions et les institutions mutilantes 156 qui, par la notion d’expertise se légitiment en entravant les capacités individuelles de chacun. Après ce retour sur mes hypothèses de départ au sujet du statut de l’habitat participatif et de ses répercussions sur le rôle de l’architecte, je souhaite désormais expliquer en quoi mon travail a « dépassé » ces hypothèses, et ainsi mettre en avant autant ses limites que les ouvertures qu’il offre, dans une partie plus prospective indispensable et peut-être plus engagée que la précédente. L’architecte doit donc comprendre que si l’habitat participatif en lui-même n’est pas l’avenir, les questions et processus qu’il implique en seront partie intégrante et ne peuvent être ignorées. Dès lors, comment anticiper cela ? On peut voir l’acte d’habiter comme faisant partie d’un être au monde et devant ainsi être remis en avant à l’heure de la responsabilité collective. Alors on constate que l’habitat participatif pousse dans cette direction, porté par une doxa qui reconnait la valeur de l’usage comme qualité première, et qu’écouter les acteurs de ce mouvement à propos du rôle de l’architecte parait être une porte d’entrée vers une pratique professionnelle plus en accord avec cette vision. Or ceux-ci estiment que le bon architecte doit en premier lieu être conscient et implicitement en accord (ou du moins en respect) avec 156
Silvia Grünig Iribarren, « Ivan Illitch et la ville conviviale » (2017).
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Friedensreich Hundertwasser La seule fonction dont on puisse charger les architectes est celle de conseillers techniques […] ; mais il faut de toute façon que leur activité soit soumise aux habitants, c’est-à-dire à leurs souhaits. Chaque habitant doit avoir accès à sa peau extérieure, c’est-à-dire qu’il doit avoir le droit de façonner également l’enveloppe de son habitat sur la rue.
Figure 31 : la Waldspirale de Darmstadt (Hundertwasser, 1998) est une preuve émouvante de la possibilité de matérialisation du particulier dans l’architecture du logement collectif
Philippe Madec Ce siècle est celui du passage du générique au particulier.
la démarche de l’habitat participatif. Puis ils associent la qualité de l’architecte à sa capacité à assurer de manière efficace le suivi d’un projet de logements collectifs performant sur le plan écologique. C’est-à-dire que l’architecte doit être un acteur qui n’occasionne pas plus de déperditions que le projet n’en comporte déjà, tout en se portant garant de la « qualité écologique » du logement. Enfin, celui-ci pourra éventuellement faire preuve d’une sensibilité sur la transmission de savoirs et la hiérarchie horizontale du processus. J’ajouterai que celui-ci devra être capable de porter un regard critique sur la co-conception, qu’elle tende vers l’incrémentalisme ou le rationalisme comme vu précédemment. À ce propos, une des limites de mon travail est que j’ai compris trop tard le rapport entre le participatif, l’art et l’écologie. Ces trois axes et leurs relations constituent à eux seuls un sujet issu de ce travail. En effet, la lutte contre le logement-produit n’est rien d’autre qu’une manifestation de l’opposition à un mode de pensée rationaliste, critiqué par Lucien Kroll157 ou par Friendensreich Hundertwasser, lui-même architecte et artiste. Ce dernier disait il y a longtemps déjà (1958) que « La seule fonction dont on puisse charger les architectes est celle de conseillers techniques […] ; mais il faut de toute façon que leur activité soit soumise aux habitants, c’est-à-dire à leurs souhaits. Chaque habitant doit avoir accès à sa peau extérieure, c’est-à-dire qu’il doit avoir le droit de façonner également l’enveloppe de son habitat sur la rue »158. Anticipant les dérives de l’architecte tout-puissant, ces deux hommes plaidaient et agissaient pour un architecte en coopération avec les usagers. En témoignent leurs émouvantes réalisations, comme la Waldspirale de Darmstadt pour ne citer qu’elle, qui permet d'ouvrir sur la dimension culturelle. Celle-ci constitue une limite autant qu'une ouverture : une étude comparative de l'implantation de l'habitat participatif en France et à l'étranger apparaitrait sûrement très pertinente dans l'optique du développement du mouvement. L’approche déjà évoquée par la bricologie159 (l’artiste comme « proche de l'artisan, tout en étant conscient qu’il n’est pas là pour amener le projet vers un but prédéfini précis ») d’Estelle Zhong, historienne de l’art, nous confirme ce lien entre incrémentalisme et art. L'art participatif plus précisément. L’incrémentalisme est donc un mode de pensée fondamental qui pour celui qui est capable de se remettre en question, tisse un lien entre art et architecture mais aussi entre participatif et critique du logement-produit rationaliste. La notion d’écologie quant à elle, constitue une autre limite de ce travail. Elle est présente, partout, implicite ou non, sur les lèvres de tous les acteurs autant que dans les outils communicatifs des institutions. La notion elle-même est terriblement insaisissable, même si elle offre bien souvent un point de reconnaissance mutuelle entre les acteurs. L’écologie est technique, poétique, visuelle, quotidienne, vivante et fondamentalement incrémentaliste à mon sens. Philippe Madec et sa recherche du « particulier »160 se rapproche également de l’incrémentalisme et d’une écologie essentielle et diffuse. L’architecte doit être conscient de la responsabilité écologique qu’il porte par essence, autant qu’il doit avoir conscience d’être une profession mutilante161. Ivan Illitch était contre l’hypothèse Gaïa et il considérait l’écologie de manière assez phénoménologique quand Hundertwasser s’attachait lui à l’écologie comme la considération d’une égalité entre les différentes formes de vie et la vision d’une nature « sacrée et intangible. »162. Le paysagiste Gilles Clément la divise en trois : « Pendant Kroll, « De l’architecture action comme processus vivant... » Hundertwasser, « Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture ». 159 Zhong, « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon ». 160 Madec, Assemblée Générale VAD (Ville & Aménagement Durable). 161 Grünig Iribarren, Ivan Illitch et la ville conviviale. 162 Friedensreich Hundertwasser, « La nature est irréprochable : c’est l’homme qui a des défauts », 1990. 157 158
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Gilles Clément Gilles Clément (né en 1943) est un ingénieur horticole, paysagiste, écrivain et jardinier. Il a notamment développé une pensée assez singulièr sur les notions de tiers-paysage, d’alternative ambiante ou bien encore de jardin planétaire ou de jardin-résistance. Cet écologique de toujours voit sa théorie comme une forme de bon sens issue du constat et de l’expérience du jardinage et duu paysagisme qu’il pratique depuis l’adolescence. - L’alternative ambiante, 2009 Pendant que l’écologie radicale, arc-boutée à ses préceptes de rigueur, tente de résister, pendant que le Green-business s’organise pour récupérer le marché bio, une troisième voie, sans nom, et qu’ici j’appelle l’alternative ambiante […] regarde du côté de la décroissance sans y adhérer tout à fait, se détourne du Green-business jugé excessif et, plutôt que d’espérer un quelconque salut venant des élus de la République, se place dans l’expectative en interrogeant les incidences possibles de l’effet Papillon.
Gaëtan Brisepierre Gaëtan Brisepierre est un sociologue spécialisé dans l’énergie, l’habitat et l’environnement. Il travaille notamment sur la question de la prise en compte des usagers et de leur appropriation du bâtiment dans la perspective d’une rénovation énergétique ou d’un bon fonctionnement des systèmes techniques du bâtiment. Il s’intéresse également aux processus collaboratifs à l’oeuvre dans les opérations d’habitat participatif pour répondre à la question «comment penser avec (l’usager) et faire ensemble ?» - L’impensé des usages, 2014 L’appropriation des bâtiments verts, leur bon usage, conditionnent leur efficacité même. Changeons de regard et privilégions les compromis socio-techniques contre la pédagogie verticale.
Jean-Paul Hermant Pouvoir diriger les choses, ça veut dire les connaitre.
que l’écologie radicale, arc-boutée à ses préceptes de rigueur, tente de résister, pendant que le Green-business s’organise pour récupérer le marché bio, une troisième voie, sans nom, et qu’ici j’appelle l’alternative ambiante […] regarde du côté de la décroissance sans y adhérer tout à fait, se détourne du Green-business jugé excessif et, plutôt que d’espérer un quelconque salut venant des élus de la République, se place dans l’expectative en interrogeant les incidences possibles de l’effet Papillon. » Cela pour dire qu’il existe mille définitions de l’écologie, mais bien plus probablement deux tendances à celles-ci. Récemment, 15 000 scientifiques ont tiré une sonnette d’alarme163 (une de plus), ce qui permet assez pragmatiquement de mettre chacun face à sa responsabilité. Or l’architecte n’est-il pas, à l’écouter, déjà accablé de responsabilités ? Autant en faire un expert : celui-ci pourrait devenir l’expert de la soutenabilité, de l’écologie ou de la durabilité (le mot importe peu, puisqu’ils sont tous aussi vastes que connotés) d’un bâtiment : en somme, le responsable de son poids sur le lieu dans lequel il prend place. Ce que je veux dire, c’est que l’architecte se reconnait lui-même des compétences d’ensemblier164 quand on attend de lui qu’il soit capable de produire un bâtiment écologique. Le véritable enjeu pour le futur du métier est ainsi à mon sens de faire reconnaitre son expertise écologique et démontrer que celle-ci ne se réduit pas à un aspect technique que l’on pourrait déléguer, mais doit être co-pensée. Le sociologue de l’énergie Gaëtan Brisepierre nous dit en effet que « L’appropriation des bâtiments verts, leur bon usage, conditionnent leur efficacité même. Changeons de regard et privilégions les compromis socio-techniques contre la pédagogie verticale. »165 L’écologie est donc autant technique (performances, vie et usages du bâtiment) que durable (adaptabilité, qualité de l’éxécution…), poétique 166 (matérialité, lien aux différentes formes de vivant, émotion, phénoménologie…) que située, particulière (ancrage dans le contexte, bioclimatisme, savoirsfaires et ressources locales etc…). De manière volontairement provocatrice, je peux affirmer que l’écologie est le participatif, et que ces deux notions en enfantent une troisième qui serait le particulier. L’architecte ne peut pas réfléchir à l’un sans l’autre. Quant au particulier, on nous explique depuis bien longtemps en école d’architecture qu’il faut s’attacher à son contexte, au site etc… Mais le particulier ne dépend pas que du site ! De plus, on voit bien que les attentes des habitants sont principalement génériques (efficacité et « écologie ») et ne concernent pas prioritairement la production d’un habitat « particulier ». C’est ici que l’architecte doit être capable de retrouver donc cette forme d’expertise du particulier, dans son sens large. Or comme me dit Jean-Paul Hermant, « pouvoir diriger les choses, ça veut dire les connaitre. » 167 C’est-à-dire que si l’architecte doit admettre une posture humble, laissant la « valeur » de l’architecture à l’usage, il doit aussi connaitre les problématiques liées à l’écologie et au participatif pour avoir des arguments opposables et produire un véritable habitat particulier. Pour conclure sur le développement futur de l’architecte, de l’architecture et de l’habitat participatif, il me parait important de mettre en lumière la récupération commerciale 168 évoquée par Eric Donfu au sujet du mouvement DIY ou par Borel et Massé au 15 364 scientists, « World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice », BioScience, no 67 (17 novembre 2017): 1026 ‑28. 164 RNAHP, « Charte Réseau National des Architectes pour l’Habitat Participatif ». 165 Gaëtan Brisepierre, « L’impensé des usages », M3 — Société urbaine et action publique, no 7 (août 2014): 66 ‑69. 166 Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Presses Universitaires de France, Quadrige, 1957. 167 Hermant, Entretien. 168 Donfu, « Mouvement DIY ». 163
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Figure 32 : l’affiche de René Dumont (1974) illustre l’irrémédiable tendance à l’existence de deux directions à un stade donné de développement d’un mouvement, et l’importance de la posture au moment d’assumer une responsabilité de choix
Alain Damasio Le temps libre laissait amplement place aux rencontres. Mais voilà, aux trois quarts, ce temps était englouti par l’holovision et les jeux virtuels - la fameuse virtue, le plus prodigieux générateur de paix sociale jamais activé ! Laisser tranquillement l’individualisme triompher, le corps social s’atomiser, les anciens liens collectifs se défaire jusqu’à ce que chacun finisse seul face à son écran, dans un tête-à-tête dont le pouvoir savait devoir toujours sortir vainqueur... Le gouvernement n’avait pas inventé la virtue. Il s’en servait, simplement. Amplement.
sujet de l’économie collaborative 169. On est là sur une des limites de la doxa en construction : la doxa se définit en effet par « l’ensemble des opinions couramment admises, des croyances largement partagées » 170 ce qui signifie qu’elle peut être interprétée, lue et dirigée de plusieurs manières, y compris dans une optique commerciale qui va à l’encontre des valeurs de l’habitat participatif. Le sociologue Jean Viard explique également que le risque d’une alternative au modèle de la croissance et de la propriété est qu’elle peut également constituer un renouveau du capitalisme 171 en ouvrant la valeur marchande au partage, sans donner la priorité à la valeur d’usage. En ajoutant à cela les deux tendances aperçues lors de l’étude de la co-conception, à savoir la rationalisation (méthode) ou l’incrémentalisme (matière), il parait pertinent de penser que l’habitat participatif peut se scinder lui-même en deux directions : une récupération capitaliste, et une poursuite de l’objectif d’un habitat particulier, d’une critique du produit, qui risque de rester marginale. Cela me rappelle largement le scénario 172 dystopique d’Alain Damasio dans lequel les mouvements alternatifs sont manipulés par le pouvoir afin qu’ils finissent par s’exclure eux-mêmes du système qu’ils critiquent afin que celui-ci reste finalement inchangé et libéré de ces parasites pensants. Voici une citation extraite du livre qui rejoint (à propos de la virtue, une sorte de jeu vidéo en réalité virtuelle) le propos sur ce mécanisme de récupération : « Le temps libre laissait amplement place aux rencontres. Mais voilà, aux trois quarts, ce temps était englouti par l'holovision et les jeux virtuels - la fameuse virtue, le plus prodigieux générateur de paix sociale jamais activé ! Laisser tranquillement l'individualisme triompher, le corps social s'atomiser, les anciens liens collectifs se défaire jusqu'à ce que chacun finisse seul face à son écran, dans un tête-à-tête dont le pouvoir savait devoir toujours sortir vainqueur...Le gouvernement n'avait pas inventé la virtue. Il s'en servait, simplement. Amplement. » 173. Pour le futur de l’architecte, cela dépend à mon sens de sa capacité à se forger une posture et une pratique associée, ainsi que de sa capacité à s’adapter aux changements sans s’accrocher à une volonté de pouvoir, à glisser dans la direction des mouvements émergents pour suivre ses valeurs. Et pour le futur de l’architecture, il s’agit d’une autre limite de mon travail … J’ai pu commencer à saisir les contours de la création d’une culture architecturale de l’habitat participatif qui permettrait de sensibiliser les professionnels, et notamment les architectes à celui-ci en le décrivant d’un langage commun à l’ensemble de la profession. Cependant, une étude spatiale conséquente serait nécessaire pour mettre en lumière l’influence de l’habitat participatif sur la culture architecturale du logement collectif, et son émancipation de celle-ci. Pour finir, je dirais que ce travail m’a apporté énormément, tant sur le plan de la critique que de la posture, de l’éthique que de la réflexion, de l’architecture que de l’humain. Je remercie tous ceux qui ont pu y contribuer directement ou indirectement, avant de terminer sur une citation de Denis Bayon dans un ouvrage traitant d’une des premières initiatives d’épicerie sociale coopérative, le « Commerce véridique et social », fondée en 1835 à Lyon par les
Borel, Massé, et Demailly, « L’économie collaborative, entre utopie et big business ». Provenzano, « Doxa ». 171 Viard, « Les habitants de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui ». 172 Damasio, La Zone du dehors. 173 Damasio. 169 170
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Figure 33 : les Canuts ont mis en place un des premiers commerces social et coopératif (1835), et se sont soulevés en 1831 et 1834 afin de défendre leur droit à un salaire décent.
Canuts. Cette citation peut être en réalité lue comme une forme de « rétro-problématique » de ce mémoire. J’ose aujourd’hui espérer que la question puisse se poser encore longtemps, et ce mémoire m'aura (entre autre) appris que la croyance en une réponse et sa recherche suffisent à faire crépiter cette impulsion électrique, vitale, cette persuasion d'aller en direction d'un bon sens aux contours apaisants, et de le faire en bonne compagnie. « Peut-on encore se donner l’ambition de penser collectivement le sens à donner à notre travail et à nos vies ? »174
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Denis Bayon, Le commerce véridique et social (Atelier de Création, 2002).
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Bibliographie Ouvrages -
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Bachelard, Gaston. La Poétique de l’espace. Presses Universitaires de France. Quadrige, 1957. Bayon, Denis. Le commerce véridique et social. Atelier de Création, 2002. Biau, Véronique, et Marie-Hélène Bacqué. Habitat alternatif : des projets négociés ?, 2016. Castells, Manuel. La société en réseaux. Fayard., 2001. Clément, Gilles. L’alternative ambiante, 2009. Colin, Alberto. L’habitat groupé : une expérimentation sociale entre singulier et collectif. Université Lumière Lyon 2, 2011. Damasio, Alain. La Zone du dehors. Cylibris. SF, 1999. Desoulle, Pierre-François. Architecture et participation : Quelle place pour l’habitant dans la conception architecturale ? ENSAP, 2013. https://issuu.com/p.i.f/docs/memoire_final. Devaux, Camille. Habitat participatif et acteurs institutionnels de la production de l’habitat : quels effets ?, 2013. D’Orazio, Anne, et Véronique Biau. Les architectes face à l’habitat participatif. Entre militantisme et professionnalisme ?, s. d., 14. Heidegger, Martin. Être et Temps. Gallimard., 1992. Hundertwasser, Friedensreich. La nature est irréprochable : c’est l’homme qui a des défauts, 1990. Hundertwasser, Friedensreich. Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture, 1958. Lacoin, Félix. Pratique de l’habiter en habitat groupé, mai 2016. Parasote, Bruno. Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux. Yves Michel., 2011. Simondon, Gilbert. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Millon. Krisis, 2005. Viard, Jean. Les habitants de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui, 2011.
Articles -
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15 364 scientists. « World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice ». BioScience, no 67 (17 novembre 2017): 1026‑28. Biau, Véronique. « Les architectes de l’habitat participatif, entre militance et compétence », 2012. http://www.metropolitiques.eu/Les-architectes-de-l-habitat.html. Boccara, Laurence. « Habitat participatif, la “copro” de demain », 16 novembre 2013, Le Monde édition. http://www.lemonde.fr/economie/reactions/2013/11/16/habitat-participatifla-copro-de-demain_3514984_3234.html. Borel, Simon, David Massé, et Damien Demailly. « L’économie collaborative, entre utopie et big business ». Esprit, juillet 2017, 10. Brisepierre, Gaëtan. « L’impensé des usages ». M3 — Société urbaine et action publique, no 7 (août 2014): 66‑69. Donfu, Eric. « Mouvement DIY », s. d. D’Orazio, Anne. « La Nébuleuse de l’habitat participatif ». Métropolitiques, 2012, 4. Duriez, Julien. « Près de Lyon, l’habitat participatif facteur de lien social », 24 mars 2017, La Croix édition. https://www.la-croix.com/Economie/Economie-solidaire/Pres-Lyon-lhabitatparticipatif-facteur-lien-social-2017-03-24-1200834390. Fauve, Charlotte. « Habitat participatif, restez groupés », 3 mai 2015, Ecologik N°42 édition. Karpik, Lucien. « Dispositifs de confiance et engagements crédibles ». Sociologie du travail, novembre 1996.
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Kroll, Lucien. « De l’architecture action comme processus vivant... » Agir, no 108 (2011): 8‑15. Le Monde. « Airbnb : Berlin durcit les règles pour les locations touristiques », 26 avril 2016. http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/04/26/airbnb-berlin-durcit-les-regles-pourles-locations-touristiques_4909031_3234.html Montiglio, Yveline. « Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle (2001) et Postproduction (2003) ». Communication 24 (2005): 243‑46. Raybaut, Emmanuelle. « L’habitat participatif a le vent en poupe », 6 juin 2016. http://www.rfi.fr/emission/20160606-habitat-participatif-le-vent-poupe. Zhong, Estelle. « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon ». Techniques & Culture, 24 mars 2016, 96.
Positionnement -
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Cours & Conférences -
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Brossaud, Claire. « Les Communs de la connaissance ». ENSAL, 15 février 2016. Courteix, Stéphan. « E232 - Pratiques de l’habiter - ». ENSAL, 2012. Desevedavy, Gilles. UE 091A-101 - My éthique Maïeutique - (2017). Desevedavy, Gilles, Marine Morain, Eglantine Bigot-Doll, et Jean-Louis Bouchard. « E731 Séminaire démarches participatives ». ENSAL, 22 mars 2017. D'Orazio, Anne. « L’habitat participatif, une éthique de la fabrique ordinaire ? » 27 février 2017. Grünig Iribarren, Silvia. « Ivan Illitch et la ville conviviale » 13 décembre 2017 Ingold, Tim, Philippe Descola, et Michel Lussault. Être au monde : quelle expérience commune ? Presses Universitaires de Lyon. Grands débats : mode d’emploi. Lyon, 2014. Lehmann, Valérie. « Processus collaboratifs » 1er mars 2017. Madec, Philippe. Assemblée Générale VAD (Ville & Aménagement Durable), 12 décembre 2016. Regnault, Cécile. « E0851 - Éthique - ». ENSAL, 2017.
Définitions -
Illitch, Ivan. « Convivialité ». Wikipédia. Consulté le 12 novembre 2017. https://fr.wikipedia.org/wiki/Convivialit%C3%A9. MarketingDurable. « Consom’acteur », s. d.
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« Mouvement ». Trésor de la langue Française Informatisé, s. d. « Participation ». Trésor de la langue Française Informatisé, s. d. Provenzano, François. « Doxa ». Lexique Socius, s. d. http://ressourcessocius.info/index.php/lexique/21-lexique/57-doxa. Wikipédia. « Schéma narratif », s. d. https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_narratif.
Textes législatifs -
legifrance.gouv.fr. Loi ALUR Art. 47 (2014). legifrance.gouv.fr . Loi sur l’architecture Art. 1er (1977).
Statistiques -
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INSEE. « Le Parc de logements en France », 1 janvier 2016. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2533533. Les Colibris, La Coordin’action des associations pour l’habitat participatif &. « Cartographie de l’Habitat Participatif ». s. d. OpenStreet Map
Vidéos -
Demain, l’habitat participatif. FUTUREMAG - ARTE. Consulté le 9 juin 2017. https://www.youtube.com/watch?v=TFMPr5pNzAw.
Annexe 1 : Table des figures Figure 1 : palais du facteur Cheval - www.facteurcheval.com Figure 2 : le plan Voisin - www.projets-architecte-urbanisme.fr Figure 3 : écoulement de fluides - www.physique.vije.net Figure 4 : le projet Brutopia - www.archdaily.com Figure 5 : scientifique sur un microscope - www.umontpellier.fr Figure 6 : mindmap sur la loi ALUR - autoréalisation Figure 7 : le Familistère de Guise - www.asset-premium.keepeek.com Figure 8 : tableau des valeurs de l'habitat participatif - Livre Blanc de l'Habitat participatif Figure 9 : représentation d'une doxa - www.tendancemag.com Figure 10 : résultat de la recherche "Do It Yourself" sur Pinterest - www.pinterest.com Figure 11 : tableau des valeurs - www.allovoisins.com Figure 12 : couverture du magasine EK n°42 Figure 13 : illustration du site www.consom-acteur.com crédit Delphine Bricnet Figure 14 : main tendue - www.sylvain-briant.com Figure 15 : schéma narratif - www.tvseriesfinal.com Figure 16 : tableau des études de cas - Habitat participatif : des projets négociés ? Figure 17 : ITE sur une façade aux Choux Lents - www.leschouxlents.potager.org Figure 18 : vue extérieure du Village Vertical - www.detry-levy.eu Figure 19 : jeu d'acteurs - Habitat participatif : des projets négociés ? Figure 20 : échelle de Sherry Arnstein (1969) - source Clément Mercier Figure 21 : vue extérieure du projet Biplan - www.jeanpaulhermant.be Figure 22 : concours du groupe Diapason - Habitat participatif : des projets négociés ? Figure 23 : documents innovants - www.journal.openedition.org Figure 24 : mindmap du jeu d'acteurs - autoréalisation Figure 25 : externalisation de l'architecte - Habitat participatif : des projets négociés Figure 26 : schéma des chemins de co-conception - autoréalisation Figure 27 : exemple de General Problem Solver - www.ai-su13.artifice.cc Figure 28 : diagramme des relations architecte-habitant - autoréalisation FIgure 29 : couverture de la théorie du grain de sable de Peeters et Schuiten - www.bedetheque.com Figure 30 : représentation de la notion de posture - www.gregoire.wernert.over-blog Figure 31 : la Waldspirale de Hundertwasser - www.raredelights.com Figure 32 : affiche de René Dumont à la présidentielle de 1974 - www.mediapart.fr Figure 33 : dessin de la révolte des Canuts - www.1.bp.blogspot.com
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