Mémoire master - Espace universel - Tadao Ando

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ESPACE UNIVERSEL

Etude de l’Esapce de méditation de l’UNESCO, Tadao Ando

Jeanne Lambert - Mémoire de Master - ENSAPB Séminaire L’art du projet - 2013



“Les expressions universelles inspirent à la simplicité.”

Tadao Ando



Problématique Dans quelles mesures le discours singulier de Tadao Ando prend-t-il une dimension universelle au travers de l’Espace de méditation de l’UNESCO? Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

I. Architecture singulière et contexte symbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11 I.1. L’architecture de Tadao Ando I.1.1. Vision singulière de l’architecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 I.1.2. Mise en place d’une pensée architecturale . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14 I.1.3. Une architecture d’oppositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22 I.1.4. La culture de la méditation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 I.2. L’UNESCO, organisme mondial I.2.1. UNESCO, création, définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28 I.2.2. Son rôle, place symbolique dans le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 I.2.2. Quartier général de Paris, description du siège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 I.3. Une rencontre de cultures I.3.1. Tadao Ando, de l’orient à l’occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36 I.3.2. Tadao Ando en Europe et en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..38 I.3.3. Tadao Ando au siège de l’UNESCO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .43

II. Une architecture qui tend à l’universalité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44

II.2. Un manifeste à l’UNESCO II.2.1. Projet de rénovation, enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 II.2.2. Place du projet dans le programme et dans l’existant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 II.2.3. Symbolique de la paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 II.1. L’espace de méditation: un manifeste II.1.1. Spécificités du programme et du lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54 II.1.2. Le pavillont face aux principes architecturaux de Tadao Ando - Analyse . . . . . . . . . . 58 II.2.4. Diffusion et image de l’espace de méditation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74 II.3. Universalité, entre utopie et hétérotopie 80 II.3.1. Place et caractéristiques du bâtiment dans l’oeuvre de Tadao Ando . . . . . . . . . . . . . .78 II.3.2. Discours de Tadao Ando / discours de l’UNESCO: utopies communes . . . . . . . . . . . .80 II.3.3. Architecture hétérotopique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Discours architectural universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Annexes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..99


Portrait de Tadao Ando, ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006

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INTRODUCTION

L’étude présentée ici est issue d’un travail de recherche sur l’oeuvre de l’architecte japonais Tadao Ando. L’enjeu de ce mémoire est, plus particulièrement, de cerner certains aspects singuliers de la pensée de cet architecte, à travers l’analyse d’une de ses constructions : l’Espace de méditation, situé au Siège de l’UNESCO à Paris, et construit en 1995. Tadao Ando est un architecte japonais né en 1941 à Osaka, au Japon, où il est élevé par sa grand mère dans une maison traditionnelle au sein d’un quartier populaire de la ville. Il grandit ainsi dans un environnement où l’on travaille avec ses mains, dans un quartier artisanal qu’il explorera durant toute son enfance, et dans lequel il développera une grand sensibilité à la matière, notamment au travail du bois comme essence vivante. La maison dans laquelle il vit, maison en bande typiquement japonaise, le marquera particulièrement, deviendra un repère et l’inspirera durant toute sa carrière dans sa façon d’appréhender l’espace de vie et la lumière. « Pendant l’hiver, on pouvait pratiquement voir le vent la traverser, et les étés si étouffants ne laissaient pas passer la moindre brise. Cette maison était aussi atroce en hiver qu’en été. Mais en y vivant, je me sentais de plus en plus en rage contre la société et j’ai eu envie de me battre pour améliorer les conditions de vie. Je sens que les expériences vécues dans cette maison ont fondamentalement nourri mon énergie créative1.» Parallèlement à cela, il découvre dans les livres l’oeuvre de Le Corbusier ; « Vers une architecture » devient son livre de chevet. Entre 1965 et 1969, Tadao Ando entreprend plusieurs voyages pour découvrir l’architecture par lui-même et part sur les traces de ses maîtres. Il voyage dans toute l’Europe, aux Etats-Unis et en Afrique. Il découvre la culture occidentale, les héritages du Mouvement Moderne. Il est extrêmement marqué par des monuments de l’architecture comme le Panthéon, qui représente pour lui l’essence même de l’architecture: une personification de la raison humaine. C’est dans ces voyages que Tadao Ando forme sa culture architecturale, non pas comme concept intellectuel mais comme une expérience directe des choses et de l’espace. Une des caractéris1

Tadao Ando, in ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 8.

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tiques de ce personnage est d’être un architecte autodidacte. En effet il n’apprit l’architecture ni lors d’études universitaires, ni auprès d’un architecte établi, mais par ses expériences de la vie et de l’architecture, ses nombreuses lectures et mentors. « Il me semble que l’éducation architecturale actuelle patauge dans un flot d’intellectualisme sans relation avec la réalité de la création et des choses. J’ai développé ma propre ligne de pensée sur l’architecture non pas comme un concept intellectuel mais comme le résultat d’une expérience directe2.» Tadao Ando, influencé par sa formation artisanale, se place tout d’abord en temps que créateur. Dans un second temps c’est en critique qu’il se positionnera par rapport au Japon, notamment sur certaines conséquences du Mouvement Moderne. En effet lors de ses voyages et de son apprentissage de l’architecture, il constate l’évolution des rapports de l’homme à l’architecture. Le Japon a selon lui perdu de ses valeurs et de ses spécificités. «La pensée moderne, censée être née avec l’émancipation de l’individu, a cherché à combiner rationalité et logique et a, de ce fait, laissé de côté les aspects cachés de l’être humain pour tendre vers une uniformisation excluant toute individualité3.» C’est ainsi par le biais de l’architecture qu’il tentera durant toute sa vie de donner une réponse personnelle à cette critique, et de relier la tradition japonaise et le Mouvement Moderne autour d’une problématique centrale: l’homme. Après quatre ans de voyage, Tadao Ando ouvre officiellement son agence d’architecture en 1969 à Osaka. Qualifiant les grands espaces urbains de chaotiques et impersonnels, il cherchera durant toute la première dizaine d’années de son travail à offrir à l’homme une alternative à ce chaos, un microcosme de bien être. Lors de ses expérimentations sur les modes d’habiter, l’architecte développe ses premières théories centrées sur l’homme et ses relations à l’environnement, dans le but de reconnecter chaque 2 Tadao Ando, in Tadao Ando, Yann Nussaume, Paris, ed. Hazan, 2009, p 34. 3 Tadao Ando, in «Un concours de circonstances», Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 166.

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individu aux choses fondamentales de la vie. C’est dans une optique spirituelle et universelle de la vie quotidienne qu’il définit son architecture. Au début des années 1990, Tadao Ando a acquis une notoriété au Japon mais aussi à l’international, notamment en Europe. En 20 ans de carrière (il a ouvert son agence en 1969 à Osaka), il a installé une vision de l’architecture replaçant l’homme au coeur des problématiques, et instauré des théories et principes architecturaux en conséquent. Son oeuvre est connue pour sa singularité : sa spiritualité, son esthétique, ses formes géométriques simples, ou encore le travail du béton. C’est dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’UNESCO en 1995 que Tadao Ando est invité à construire un espace de méditation au sein du quartier général de l’organisation, à Paris. Ce mémoire sera l’occasion de souligner les caractéristiques de l’architecture d’Ando et de démontrer en quoi l’espace de méditation est un manifeste de la pensée de l’architecte japonais. Aussi le cadre symbolique dans lequel il est pensé et construit lui confèret-il une dimension universelle? Par l’analyse de la place de ce projet dans l’oeuvre d’Ando (en 1995) et au sein du siège de l’UNESCO, du discours porté par cette architecture, et de la réception du projet à l’époque, cette étude tente de montrer dans quelles mesures le discours architectural de Tadao Ando prend un dimension universelle à travers cet espace de méditation. On verra que la volonté d’universalité de Tadao Ando se définit entre sa pensée utopique et son architecture hétérotopique. Dans une première partie nous étudierons la singularité du travail de Tadao Ando et ses aspirations, ainsi que le contexte symbolique et international dans lequel il est appelé à intervenir. Dans une deuxième partie nous analyserons en quoi l’espace de méditation répond point par point aux théories et principes de l’architecte, et de quelle manière le cadre du 50ème anniversaire de l’UNESCO confère à ce manifeste d’Ando un discours universel.

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I. ARCHITECTURE SINGULIÈRE ET CONTEXTE SYMBOLIQUE

Vue extérieure vers l’Espace de méditation de l’UNESCO © Jeanne Lambert


I.1.1. Vision singulière de l’architecture C’est en réaction au contexte urbain japonais «chaotique», issu de la modernité et de ses conséquences, que Tadao Ando se lance dans l’architecture. C’est par celle-ci qu’il aspire à requalifier la place de l’homme dans l’environnement, en le replaçant au coeur des problématiques architecturales. - Architecture à l’échelle humaine L’architecture de Tadao Ando est avant tout définie par son rapport à l’homme. Si Tadao Ando devient architecte c’est pour améliorer la vie quotidienne de l’homme, lui montrer ses possibilités et le reconnecter avec les choses essentielles de la vie, telle que la nature. Par le moyen de l’architecture, il cherche à remettre en contact l’homme avec lui même. En outre, il estime que l’architecture est une résonance de l’homme. Tadao Ando établit un parallèle très serré entre l’homme et l’architecture, et considère celle-ci, ou plus simplement l’espace, comme quelque chose qui prend vie lors de sa rencontre avec l’homme. Ainsi l’espace architecturé est lui aussi un corps vivant ; il est une résonance de ce qu’est l’homme en soi, et c’est dans cette relation entretenue que s’élève l’individu et que l’architecture prend son sens. Le travail de Ando s’évertuera donc particulièrement à créer un réel dialogue entre l’homme et l’architecture, et à mettre en avant les influences spatiales réciproques qu’il existe entre ces deux entités. «La raison qui me pousse à adopter cette méthode est toujours liée au désir d’inspirer des «perspectives intérieures» chez l’individu, et de correspondre avec des espaces qu’il garde au fond de lui-même4.» - Personnification de la raison humaine Pour Ando, l’architecture est l’apport de l’homme à la nature. Il ne veut pas associer l’architecture et la nature, il considère que l’architecture est une manifestation des capacités et besoins de l’homme à rentrer en harmonie avec la nature. Par cette considération il donne 4

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Ibid., p167


I.1. L’ARCHITECTURE DE TADAO ANDO

à l’architecture un statut essentiel dans le développement de l’homme sur terre. Dès lors la beauté d’un projet n’est donc pas essentiellement esthétique, mais réside dans ce qu’elle représente de l’homme, et dans ce qu’elle manifeste chez l’homme. C’est finalement en s’éloignant de la nature vers une construction purement raisonnée qu’il est possible de créer un lien entre l’homme et son environnement. « Comme je l’ai été dans le Panthéon, on est ému par de telles scènes, rendues possibles uniquement par l’architecture, personnification de la raison humaine5.» - Architecte créateur L’architecte selon Tadao Ando, est un créateur. L’architecte est celui qui, dans un contexte précis et par le biais des matériaux et de la géométrie, crée un ou des espaces. L’architecte est celui qui met en scène ces espaces, les sculpte. Dans son oeuvre, on remarquera que Tadao Ando accorde beaucoup d’importance à la notion de milieu; chaque projet est pour lui l’occasion de créer un nouvel environnement pour l’homme. D’autant plus dans l’optique d’offrir à l’homme des conditions de vie meilleures, c’est-à-dire un environnement favorable à son épanouissement. Par ailleurs, l’architecte japonais conçoit qu’une architecture n’est jugée achevée que par l’intervention de celui qui l’expérimente. Il considère que par l’interaction de l’homme avec l’espace, celui-ci devient élément vivant. L’espace évoqué dans la citation suivante est considéré comme un vide, ou “espace purifié”, contenu entre un sol, des murs et un plafond. « Lorsque l’homme entre en contact avec ce type d’espace, ce dernier, volume solide emprisonné, grandit sous l’effet du rayonnement de la lumière et d’éléments naturels tels que le vent ; il se mue en un espace vivant, plus fluide, faisant corps avec l’homme6.» 5 Tadao Ando, in «Lieu-géométrie-nature», Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 220. 6 Tadao Ando, in «D’une architecture moderne fermée sur elle-même à l’universalité», Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p184

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Row House, Tadao Ando. Vue depuis la rue, ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 18

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I.1.2. Mise en place d’une pensée architecturale Dans les premières années de sa pratique de l’architecture, Tadao Ando va tenter d’illustrer sa pensée en travaillant sur des projets de maisons individuelles. C’est par le programme du logement, qui représente pour lui la base du lien entre l’homme et l’architecture, qu’il pose les fondements de ses principes architecturaux. Ceux-ci seront rémanents pendant toute sa carrière, et plusieurs deviendront la « marque de fabrique Ando ». - Définition d’un idéal de vie Dans un premier temps, et en réaction avec un contexte urbain japonais qualifié d’hostile, Tadao Ando cherche à créer une architecture du quotidien qui offrirait à l’homme la possibilité de se reconnecter avec les choses fondamentales de la vie, avec la nature et l’environnement. C’est dans une optique spirituelle et émotionnelle que Tadao Ando travaille les différents espaces de l’habiter ainsi que leurs connexions à l’environnement de l’homme. Selon lui le contexte urbain des grandes villes japonaises est devenu impersonnel et avec le Mouvement Moderne a créé des individus « uniformes ». En réponse à ce contexte, il tente de créer dans ces environnements urbains, un nouvel environnement, fermé sur lui même, serein et calme, où l’homme pourra reprendre conscience de lui, des choses qui l’entourent. Avec la création de ce microcosme de la maison, il compte repositionner l’homme au centre des problématiques architecturales. En effet, dans chacune de ses compositions, il cherche à agencer chaque élément du projet (structurel, matériel, lumineux ) afin de créer un ou des espaces de la vie quotidienne. Il y développe plus particulièrement un « espace fondamental des émotions » qui provoquera les sens et le ressenti de l’individu. Et c’est cette sublimation de l’espace de vie quotidienne qui lui permettra de ressentir chaque espace ordinaire, tout en étant connecté spirituellement à son environnement. « L’ espace fondamental des émotions », parce qu’il est relié aux niveaux spirituels les plus élevés, est « extraordinaire ». De ce fait, il s’oppose par sa fraîcheur aux autres espaces quotidiens qu’il revitalise tout en faisant appel à

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Row House, Tadao Ando. Vue sur la cour, Tadao Andô – Minimalisme, Ed. Electa Moniteur, 1985, p 38

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notre coeur. C’est seulement lorsqu’il a un sens au niveau de la vie de tous les jours qu’il peut donner naissance à une structure incluant l’espace de cette vie. Alors seulement l’espace fondamental des émotions devient symbolisation d’un espace de vie quotidienne7.» Aussi pour Tadao Ando, il n’y a pas de distinction entre corps et esprit, c’est donc par l’expérience du corps dans l’espace et l’expérience des cinq sens que l’homme peut s’épanouir spirituellement. Ainsi, dans chacun de ses projets de maison urbaine, Ando choisit cette solution du microcosme fermé, solution radicale pour la survie de l’homme. Cette solution est pour Ando nécessaire et essentielle, et procède d’un passage par une « zone de transition » zen et sereine qui doit aider l’homme à se confronter et à s’adapter ensuite à son environnement extérieur. Il choisit de se retirer d’un contexte urbain chaotique afin de se retrouver dans un contexte nouveau de la vie quotidienne où l’on aspire à la conscience de soi et à celle de la nature et de nos rapports avec le monde extérieur. Prendre conscience de son bien être intérieur est l’étape nécessaire pour prendre conscience de l’environnement extérieur et enfin s’y adapter, voire s’y reconnecter. Lors de cette démarche, Tadao Ando parle de l’élaboration de «prototypes spatiaux», et ainsi souligne sa volonté d’expérimenter sa pensée architecturale. Une de ses premières constructions, la Row House, peut être considérée comme l’exemple le plus significatif de son expérimentation sur l’architecture de l’habiter.

7 Tadao Ando, «Un concours de circonstances», Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 54

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Koshino House, Tadao Ando. ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 28

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- Définition des enjeux fondamentaux Tadao Ando définit plusieurs éléments essentiels à la construction de ces espaces de vie permettant d’accéder à un état émotionnel de méditation et de conscience de soi-même, tout en restant connecté aux choses réelles et à son environnement. Ces différents éléments peuvent être pris séparément mais n’auront une signification que dans leurs rapports les uns avec les autres. C’est ce que Ando appelle la logique des parties et du tout. Au cours des années 1970-1980, Tadao Ando théorise dans plusieurs textes l’expérimentation qu’il réalise dans ses projets d’architecture. Il pose ainsi les fondements de sa vision de l’architecture. Même si son architecture évolue fortement durant ces années, notamment dans son rapport à l’extérieur et à l’environnement urbain (son architecture fermée s’ouvre peu à peu), l’architecte japonais instaure plusieurs principes architecturaux auxquels il se tiendra durant toute sa carrière. La base de ses réflexions théoriques et expérimentales se résume au trio «lieu-géométrie-nature». Selon lui «trois conditions sont nécessaires à la cristallisation d’une construction en architecture8». -Le lieu, c’est-à-dire le site, est ce qui donne force à l’architecture. Celle-ci doit s’en inspirer, et avoir une lecture critique de ses caractéristiques afin d’offrir une réponse adaptée. Cette force du lieu peut être issue de la matérialité de l’environnement et iniciera un dialogue avec celle de l’architecture. -La géométrie constitue le squelette de la construction architecturale, c’est par celle-ci que l’architecture prend corps et devient un élément réel dans la composition spatiale. -Enfin le dernier élément, la nature abstraite, est composé de la lumière, du vent et de l’eau, et doit être, pour Ando, ordonnée par l’homme, en opposition à «une nature à l’état sauvage». L’homme prend possession des éléments de la nature et les rend abstrait par leur utilisation et leur mise en scène. Cette association du lieu, de la géométrie et de la nature a ainsi pour but d’atteindre l’abstraction de l’architecture. 8 Tadao Ando, «Lieu-géométrie-nature», Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, 219.

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La coupole du PanthĂŠon http://www.linternaute.com/voyage/les-plus-belles-photos-de-rome/coupole-du-pantheon.shtml

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« Lorsqu’une telle nature est introduite dans une architecture édifiée à partir de matériaux bruts et de la géométrie, alors l’architecture elle-même est rendue abstraite par le biais de la nature. C’est grâce à l’association de ces trois éléments - les matériaux, la géométrie et la nature - que l’architecture acquiert pour la première fois puissance et rayonnement. Comme je l’ai été dans le Panthéon, on est ému par de telles scènes, rendues possibles uniquement par l’architecture, personnification de la raison humaine9.» Aussi lit-on ici la définition que Tadao Ando fait de l’architecture, plus particulièrement dans son rôle de connection entre l’homme et l’environnement. Par conséquent, l’émotion qui en ressort est l’expression d’une interaction profonde entre l’individu et les éléments qui l’entourent. La démarche de Tadao Ando dans sa conception est de révéler ces relations d’une part et d’en donner conscience à l’homme d’autre part.

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Ibid., p 220.

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Fenêtre à ras du sol de la maison de thé Yamagushi, Tadao Ando. L’Architecture d’Aujourd’hui, février 1988, n°255, p 31

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I.1.3.Une architecture d’oppositions La notion d’équilibre est une notion très importante que l’on observe dans le travail d’Ando, et plus spécifiquement dans l’instauration de ses principes architecturaux et sa quête de bien être de l’homme, dans un environnement précis. En effet, il oscille constamment entre deux opposés, parfois même violemment, qu’il tente à chaque fois d’associer afin de ressortir l’essence d’un espace adapté à la vie quotidienne de l’homme. Son architecture d’oppositions se manifeste dans un premier temps par rapport au contexte dans lequel Ando a grandit puis a exercé son métier : créer un microcosme de vie sain dans un environnement urbain hostile (la ville japonaise de la 2e moitié du XXe siècle). Dans un second temps c’est dans la forme que l’architecte tente de trouver un équilibre, en voulant accéder à l’émotion et à une spiritualité par l’ordre et la géométrie; et enfin dans les valeurs, par la réinterprétation de l’architecture traditionnelle japonaise à travers les outils modernes. « La dualité en tant qu’unité d’expression crée une tension qu’il qualifie de «totalité qui soutient l’ordre de la vie» : intérieur/extérieur, béton/verre, vide/plein, abstraction/matière, transparence/opacité10...» Plus concrètement, on retrouve dans la conception de ses projets une systématique dualité des éléments constitutifs de son architecture. Tadao Ando étudie la lumière en constraste avec la pénombre, délimite des vides par rapport aux pleins, associe l’opacité du béton à la transparence du verre, confronte l’espace intérieur fermé à un extérieur ouvert... L’équilibre que l’architecte crée entre chacune de ces notions dessine une architecture cohérente dans son ensemble ainsi que dans ses parties, portée par un discours clair.

10 Philippe Barrière, “Tadao Ando, l’architecture du moi”, Architecture intérieure CREE, 1993, n°253, p 66.

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Koshino House, Tadao Ando. ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 29

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Cette architecture d’oppositions est une caractéristiques spécifiques à l’architecture de Tadao Ando, et sera très vite reconnue dans le monde de l’architecture, notamment ici par Vittorio Grogotti, Henri Ciriani. «... on assiste chez Ando à cette oscillation permanente entre deux fondamentales : la volonté d’une architecture universelle (...) et l’assimilation totale du milieu physique environnant par le positionnement, les dimensions, la forme11.» « Il s’intéresse au maniement des oppositions : opacité/ transparence, dedans/dehors, stabilité/mouvement, froid/ chaud, dur/mou... Le résultat est d’une clarté étonnante, dénué de tout artifice, direct, violent même, nonobstant la retenue qui le caractérise12.»

I.1.4. La culture de la méditation Par définition la méditation est une pratique, mentale ou spirituelle, qui consiste à se concentrer sur un objet de pensée ou sur soimême. C’est une pratique présente dans de nombreuses cultures et religions, et plus particulièrement en Asie, au Japon. Le but de la méditation est de rechercher la paix intérieure, via un état de conscience approfondi, afin de recevoir l’énergie du cosmos. Par sa pratique, l’homme tente d’atteindre une certaine harmonie, et de se connecter aux choses essentielles de la vie. Dans sa définition et sa conception de l’architecture, on observe chez Tadao Ando un réel attachement à sa culture japonaise: celle de la nature, de la contemplation, de la méditation. 11 Vittorio Grogotti, in “Le point d’équilibre”, Tadao Ando, minimalisme, Paris, Electa Moniteur, 1986, p 18. 12 Henri Ciriani, in “Architecture de volonté, volonté d’architecture”, L’Architecture d’aujourd’hui, février 1988, n°255, p 37.

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Eglise de la lumière, Tadao Ando. Tadao Andô, Yann Nussaume, Ed. Hazan, 2009, p 100

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La culture zen, c’est-à-dire celle de la méditation, bien que d’origine chinoise, arrive au Japon au Ve siècle, et a depuis une empreinte très forte dans la vie et la culture nipponne. Elle est effectivement présente dans de multiples domaines tels que l’architecture, l’art des jardins, le théâtre, les arts martiaux, la cérémonie du thé, la peinture, la calligraphie, la poésie, la cuisine... Sous la forme de «Voies», la culture zen influence certains codes de comportements typiques de la culture japonaise. « La simplicité et l’essentialité, le rendement maximal avec le minimum de dépense d’énergie, la non-décoration, le goût pour les formes simples et dépouillées (et toutefois pleines et joyeuses comme les formes de la nature) sont quelques uns des principes qui accompagnent toutes ces Voies13.» Aussi la méditation est surtout une culture de la vie quotidienne dont la pratique permet d’accéder à un constant éveil à la vie. Le but du zen dans la religion bouddhiste est le suivant: accéder à la paix intérieure en expérimentant la plénitude du vide. Cependant il existe beaucoup d’autres définitions du zen, en fonction des différentes écoles. « Zen est aussi quelque chose de rond, glissant et lisse, qui roule, quelque chose d’impalpable, d’indescriptible, qui ne peut être expliqué ou interprété14.» En effet la méditation, par sa nature, est une pratique personnelle, même s’il existe des courants et des pratiques précises de cette culture dans toutes les régions du monde. Elle est par conséquent accessible à tous et appropriable par chacun, ce qui lui confère un caractère universel. C’est donc dans la vie de tous les jours que la méditation prend une grande place au Japon, et Tadao Ando en sera très influencé dans sa façon de vivre comme dans son architecture.

13 Fudenji, Le grand livre du Zen, Ed. De Vecchi, 1992, p 35 14 Chang Chen-chui, Pratique du Zen, Ed. Buchet-Chastel, p13

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Siège de l’UNESCO © Jeanne Lambert

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I.2. 50ème ANNIVERSAIRE DE L’UNESCO

I.2.1. UNESCO, création, définition L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) est une agence spécialisée des Nations Unies, fondée en 1945, au moment de la création de l’ONU (Organisation des Nations Unies). Plusieurs structures du début du XXème siècle sont à l’origine de la création de l’UNESCO: la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI), 1922-1946, l’Institut international de coopération intellectuelle (IICI), 1925-1946, et le Bureau international d’éducation (BIE), 1925-1968. L’Acte consitutif de l’UNESCO fut signé le 16 novembre 1945 à Londres par 37 pays, et son objectif était défini comme suit: « Contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples15.» Lors de son 50e anniversaire, en 1995, l’UNESCO compte 184 Etats membres, 195 aujourd’hui et 8 membres associés. L’UNESCO appartient à la famille de Nations Unies, et partage ainsi les mêmes idéaux et objectifs (paix, justice, développement économique, égalité, respect des droits de l’homme...). Elle coopère particulièrement avec les structures des Nations Unies mais également avec d’autres organisations intergouvernementales (OIG) ainsi qu’avec des organisations non gouvernementales (ONG). Depuis plus de soixante ans maintenant, l’UNESCO oeuvre dans les domaines de l’éducation, de la science, de la culture et de la communication afin de rétablir l’égalité et la paix dans le monde et a en outre développé le concept d’héritage, à caractère universel, et de partage entre les Nations.

15 Site internet des architeves de l’UNESC. new2010/fr/histoire_unesco.html

http://www.unesco.org/archives/

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Auvent de Pier Luigi Nervi. Siège de l’UNESCO © Jeanne Lambert

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I.2.2. Son rôle, place symbolique dans le monde Lors de la création de l’UNESCO, les gouvernements fondateurs déclaraient: « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. (...) Qu’une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime, durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité16.» Cette organisation a effectivement la conviction que par l’éducation, la science, la culture et la communication, nous pouvons contribuer à l’harmonie des peuples et des ethnies, maintenir la paix et l’égalité des hommes sur terre. L’UNESCO oeuvre ainsi pour la paix et représente les efforts et espoirs de l’homme pour fabriquer un monde meilleur et juste. Sa création à la suite de celle de l’ONU et à la fin de la seconde Guerre Mondiale démontre également la place symbolique qu’elle détient dans le monde. La seconde Guerre Mondiale marque les esprits par les conflits éthiques et raciaux mis en jeu; la création de l’ONU et de l’UNESCO représente le désir des nations de mettre un terme à ces conflits, d’avoir un rôle de prévention, et de créer une plate-forme de dialogues entre les pays. L’UNESCO acquiert par conséquent un caractère universel et symbolique dans sa définition et son rôle vis à vis de l’entente mondiale. Certaines avancées notables sont nées ou se sont développées grâce à cette structure, notamment au niveau de la lutte contre le racisme dans les années 1950 avec le travail de Claude Levi-Strauss, ou encore avec la création de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel en 1972.

16 Ibid

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Plan du siège de l’UNESCO PETTER Yann, L’essence spirituelle du béton au travers du Pavillon de méditation de l’UNESCO, Lausanne, ENAC, 2013

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I.2.3. Quartier général de Paris, descriptif du Siège Le siège de l’UNESCO est implanté en France, dans le 7ème arrondissement de Paris, 7 place de Fontenoy. Il a été construit quelques années après la création de l’organisation, entre 1953 et 1958, par un collège d’architectes composé de l’américain Marcel Breuer, du fraçais Bernard Zehrfuss et de l’italien Pier Luigi Nervi, et sous la direction d’un comité international consultatif désigné par l’UNESCO. Ce comité est également l’association de plusieurs maîtres de l’architecture: le brésilien Lucio Costa, le français Le Corbusier, l’américain Walter Gropuis, le suédois Sven Markelius et l’italien Ernesto Rogers. Le projet est ainsi pensé par un groupe d’architectes de différentes nationalités, événement très rare à l’époque, représentatif du caractère universel de l’UNESCO. En outre le projet se veut à l’image de l’organisation: brassage des cultures et fonction pédagogique. Le siège de l’UNESCO sera inauguré le 3 novembre 1958. En 1953, le gouvernement français met à disposition un terrain de trois hectares situé dans l’axe du Trocadéro et de l’Ecole militaire. Le projet est composé de trois bâtiments distincts, implantés en coeur d’ilôt, laissant libre l’espace donnant sur la rue. Le bâtiment principal, qui accueille le secrétariat, suit un plan en forme de “Y”, s’appuie sur soixante douze pilotis en béton et s’élève sur sept étages; il est surnommé « l’étoile à trois branches ». La distribution se fait par un noyau central, et sa forme permet d’offrir de la lumière naturelle aux bureaux de chacune des branches de l’édifice. Un second bâtiment en “accordéon”, également en béton, est érigé à côté du premier et comprend la grande salle en forme d’oeuf destinée aux séances plénières de la Conférence générale. Ils sont reliés par une galerie couverte appelée Salle des pas perdus. Enfin, le troisième bâtiment, plus simple, est un cube de 5 étages accueillant des bureaux pour les délégations étrangères. L’entrée du site se fait sur la place Fontenoy, par le bâtiment principal; et est marquée par un grand auvent en béton. Peu après l’achèvement des travaux, une extension est déjà en vue; elle sera réalisée par Bernard Zehrfuss en 1965. Pour ne pas briser l’harmonie du projet existant, Zehrfuss enterre son bâtiment, organisé sur deux niveaux éclairés par six patios de six mètres de profondeur. L’harmonie générale du projet peut être attribuée à la bonne collaboration des membres du collège d’architecte; cependant nous observons la marque de chacun dans plusieurs détails architecturaux.

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«Reclining figure» Henry Moore, 1958 © Jeanne Lambert

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En effet, on attribuera la prouesse technique du auvent de l’entrée à Nervi, les pilotis du bâtiment principal à Breuer, et on reconnaîtra la conception du voile de béton du bâtiment des Conférences proche de celle du CNIT construit au même moment par Zehrfuss. Parallèlement au projet architectural, l’UNESCO commande un certain nombre d’oeuvres d’art à de grands artistes internationaux grâce au Comité des conseillers artistiques (191000 dollars sur les 9 millions du projet global seront consacrés à la “décoration artistique”). Par cet apport artistique, le siège de l’organisation se présente comme un «musée universel, symbole de la diversité de la création artistique dans le monde17». En effet des artistes de différentes nationalités participent à ce projet: Afro (Italie), Karel Appel (Pays Bas), Roberto Matta (Chili), Brassaï (France), Pablo Picasso (Espagne), Rufino Tamayo (Mexique), Henry Moore (Grande Bretagne), Calder (EtatsUnis), Jean Arp (France), Joan Miro et Llorens Artigas (Espagne), Jean Bazaine (France), Isamu Noguchi (Japon). Ces oeuvres seront toutes réparties dans le projet, et constitueront ainsi la “décoration” du siège de l’UNESCO. Par exemple la piazza à l’entrée du site sera aménagée avec des parterres et des sculptures de Moore et Calder et deux murs en céramique de Miro. Certaines oeuvres seront choisies comme symbolisant la paix, d’autres seront aussi offertes au cours des ans par différents pays membres. « Pour l’architecture comme pour l’art, une même volonté de l’UNESCO: être représentatif de la création contemporaine18.» C’est ainsi qu’à la fin des années cinquante apparaît au coeur de Paris le siège de l’UNESCO, fruit d’une composition architecturale et artistique riche, contemporaine et symbolique: à l’image de la nouvelle Organisation mondiale pour la paix.

17 François Robichon, in “2001 Odyssée de l’UNESCO”, D’architectures, novembre 1995, n°60, p 56 18 Ibid., p 57.

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I.3.1. Tadao Ando: de l’orient à l’occident, début d’une notoriété internationale L’espace de méditation de l’UNESCO est l’occasion de revenir sur la rencontre architecturale entre plusieurs cultures. Ce sont ici les cultures française et japonaise qui se confrontent, mais aussi, à plus grande échelle, les cultures orientale et occidentale. C’est au Japon, que Tadao Ando grandit puis monte son agence d’architecture, à Osaka en 1969. Durant ses vingt premières années de pratique, il construit surtout au Japon; et ses origines culturelles l’influencent nettement dans la mise en place de ses principes et de son style architectural. En effet il oriente une grande partie de ses réflexions sur le rapport de l’architecture avec l’homme dans la vie quotidienne; celles-ci porteront donc la marque nipponne, que ce soit au niveau architectural, urbain, culturel ou spirituel. Sans oublier que Tadao Ando, architecte autodidacte, apprit l’architecture dans ses voyages en Europe et par ses nombreuses lectures d’ouvrages d’architectes modernes occidentaux. Ce n’est que vers la fin des années 1980 que son architecture commence à s’exporter à l’étranger, notamment en Europe et aux Etats-Unis - son premier projet à l’étranger sera réalisé en 1988 en Allemagne. Comme l’explique Yann Nussaume dans son livre Tadao Andô, au cours des années 1980, la ville japonaise et son image évoluent. Anciennement considérée comme «catalyseur de tous les maux modernes19» elle devient le symbole d’un ordre nouveau et la scène d’un environnement en perpétuelle mutation. Dans ce contexte, et par la forte baisse des prix du foncier vers les années 1990, de nouveaux chantiers de grande envergure prolifèrent dans les communes japonaises, tels que des musées, mairies, forums etc. Cette dynamique profite largement à Tadao Ando et son agence à qui l’on confie un bon nombre de bâtiments publics vers 1990 - entre autres le musée de la littérature à Himeji (1988-1991), le musée des Tombeaux à Kumamoto (1989-1992) et le musée historique Chikatsu-Asuka à Osaka (19901991). Ces bâtiments sont pour beaucoup emblématiques, implantés en dehors des villes dans des environnements naturels : occasions pour Tadao Ando de marquer son architecture d’une symbolique puis19 Yann Nussaume, Tadao Ando, Paris, Ed Hazan, 2009

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I.3. UNE RENCONTRE ORIENT / OCCIDENT

sante, à l’échelle territoriale. A la fin des années 1980, la notoriété de Tadao Ando au Japon n’est plus à discuter, son style et ses idées s’installent dans la culture nippone, et son architecture est reconnue dès 1980 grâce au prix annuel de l’Institut Architectural japonais qu’il reçoit pour la maison Azuma. C’est également durant cette décennie qu’il acquiert une renomée internationale: l’Institut français d’architecture expose ses projets à Paris en 1982, la même année il participe au Congrès International d’Architecture aux Etats-Unis, en 1987 il est invité en tant que professeur à l’université de Yale, et en 1989 il reçoit la médaille d’or de l’Académie française d’architecture. Sa réputation se confirme nettement au début des années 1990 : son travail est exposé au MoMA à New York en 1991, et le Centre George Pompidou effectue une rétrospective sur son oeuvre en 1993 à Paris. La consécration de sa notoriété internationale se fera à l’Exposition Universelle de Séville en 1992 où il sera en charge du pavillon japonais, puis en 1995 lorsqu’il reçoit le Pritzker Architectural Prize.

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Centre de confĂŠrence de Vitra, Tadao Ando. ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 16

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I.3.2. Image de Tadao Ando en Europe et en France Aux alentours des années 1990, le style architectural de Tadao Ando est établi au Japon, et la singularité de son travail est reconnue en occident, notamment en Europe. Au Japon, Tadao Ando occupe une «place charnière dans les débats sur la manière d’intégrer la modernité, un concept essentiellement perçu comme hérité de l’occident20». Il se pose en effet en tant qu’héritier et critique du Mouvement Moderne qui selon lui a dénaturé l’homme et produit des individus « uniformes »; et aspire à réinsuffler une part d’humanisme dans l’architecture en renouant avec l’homme et ses traditions. «S’il s’est approprié les formes du modernisme, c’est pour mieux en faire la critique21.» C’est ainsi qu’au Japon il tente d’apporter une part de modernité - interaction avec l’occident - dans la tradition nipponne, sorte de réinterprétation de l’architecture traditionnelle japonaise influencée par les idées de Le Corbusier; et qu’ensuite dans ses constructions en occident il voudra transmettre, par une architecture moderne, l’esprit et la sensibilités des cultures et traditions orientales. C’est par ces convictions que son architecture arrive en Europe à cette époque. L’architecture de Tadao Ando est également remarquée en Europe par ses singularités esthétiques et spatiales: elle marque les esprits par sa sobriété, sa simplicité, sa géométrie, ou encore sa spiritualité. C’est par l’utilisation de formes géométriques pures, dans une matérialité homogène, et leurs rapports au vide, à la lumière et à la nature que s’exprime la volonté de son architecture d’offrir à l’homme un autre genre d’espace dans lequel il est possible de s’épanouir. Alors, à son arrivée en occident, l’architecture de Tadao Ando porte la marque d’une modernité chargée de la tradition japonaise. « ... à l’hédonisme de la société de consommation, ou aux architectures signal, Ando oppose, imperturbablement, une oeuvre de géométrie pure, austère, dont le vide est le milieu, et qui s’affirme autant comme un lieu de spiritualité retrouvée que comme acte de foi22.» 20 Yann Nussaume, Tadao Ando, op. cit., p 19. 21 Philippe Barrière, art. cité, p 66. 22 Ibid., p 66.

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Pavillon japonais, Tadao Ando. ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 50

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Les premiers projets d’Ando en dehors du Japon sont autant d’occasions pour lui de confronter ses principes architecturaux à la culture occidentale et d’instaurer un nouveau dialogue avec celle-ci. Au début des années 1990, Tadao Ando se voit confier entre autres deux projets en Europe, dans des contextes d’architecture “internationale”. La présence de Tadao Ando dans ces projets montre à l’époque d’une part sa reconnaissance à l’échelle internationale et d’autre part sa position d’intermédiaire et d’interlocuteur entre l’Orient et l’Occident. - Centre de conférence, Vitra, 1988 Le premier projet d’Ando hors du Japon est un Centre de conférence situé en Allemagne, à l’occasion de la reconstruction du site industriel de la société Vitra qui sollicite d’autres architectes comme Frank Gehry et Zaha Hadid. Tadao Ando tente dans ce contexte de démarquer sa position en opposant “à l’architecture très mouvementée de son collègue californien, retenue et tranquilité, ou plutôt un “mouvement invisible”23.. Le projet suit les traits de caractère de son architecture, à savoir formes simples et pures, parcours iniatique, relation avec la nature, jeux de lumière, et utilisation quasi exclusive du béton. Malgré une certaine retenue à la réception de ce bâtiment quant à son adaptation au contexte allemand et aux normes européennes (épaisseur des murs démesurée due au besoin d’isolation thermique), le journaliste François Chaslin conclut dans son article sur une impression sensible et représentative de l’architecture du japonais. «... les parois courbes entrent en mouvement, l’ossature du bâtiment s’efface devant sa transparence; tout se fait léger, immatériel, et l’architecture de Ando redevient ce qu’elle est dans les magazines, ce qu’elle est généralement, belle et fine24.»

23 François Chaslin, in “Centre de conférence Vitra”, L’Architecture d’aujourd’hui, septembre 1993, n°288, p 50-53. 24 Ibid, p 53

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- Pavillon japonais, Exposition Universelle de 1992 Le second projet qui illustre l’image de Tadao Ando en Europe dans les années 1990 est le Pavillon Japonais de l’Exposition Universelle de Séville en 1992. Tadao Ando est ainsi chargé cette année là de réaliser le pavillon emblématique du Japon, sur le thème du passé et du futur et de « rendre sensible une des caractéristiques de la civilisation japonaise : son ancrage dans la tradition et son renouvellement par une création continue.»25 . Le pavillon est en bois et composé d’une immense passerelle qui symbolise la liaison entre l’Orient et l’Occident, en outre sa pente prononcée représente les difficultés de ces liaisons. Tadao Ando construit donc une architecture purement symbolique, dans l’optique d’évoquer la place du Japon, de sa culture et de son architecture dans le monde, dans un contexte international reconnu et emblématique pour les sociétés.

25 “Expo 92”, Techniques et architectures, mai 1992, n°401, p 56-77

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I.3.3. Image de Tadao Ando au siège de l’UNESCO C’est à l’occasion du 50ème anniversaire de l’UNESCO que Tadao Ando est invité par le Directeur général Federico Mayor à construire un Espace de méditation pour la paix au sein du quartier général de l’Organisation, à Paris. Cet espace de méditation est le premier projet de Tadao Ando en France, et l’un de ses premiers projets en Europe. En effet, comme nous l’avons vu, l’architecte japonais acquiert au début des années 1990 une renommée internationale, et se voit confier plusieurs projets en Europe. Pour chacun c’est dans des contextes internationaux, et même emblématiques (projet du Pavillon japonais à l’Exposition Universelle de Séville, 1992), qu’il est invité à intervenir. Ce projet à l’UNESCO est donc une nouvelle opportunité pour Tadao Ando de se confronter à une diversité d’architectures et de cultures, et d’affirmer son vision de l’architecture. L’espace de méditation s’inscrit dans un cadre particulier, tant au niveau symbolique, culturel, qu’architectural. C’est au coeur du siège de l’UNESCO qu’il prend place, entre les célèbres bâtiments de l’américain Marcel Breuer et du français Bernard Zehrfuss, et en prolongement du «Jardin de la paix» du japonais Nogushi. La célébration du 50ème anniversaire de l’UNESCO est l’occasion pour l’Organisation de lancer un projet de rénovation, sur plusieurs années, dont l’enjeux principal est la mise en conformité/sécurité du site et des principaux bâtiments. En parallèle, trois projets seront insérés dans le Plan de rénovation du Comité du siège: le «Jardin de la Tolérance» de l’artiste israëlien Dani Karavan, le réhabilitation de l’espace public et des jardins confiée à l’architecte italien Renzo Piano, ainsi que l’Espace de méditation de Tadao Ando. Ainsi c’est aux côtés de personnages célèbres et de nationalité différente qu’il est invité à intervenir en 1995. Autant que pour les projets de Vitra et de l’Exposition Universelle de 1992, c’est encore une fois, pour Tadao Ando, une opportunité de se mesurer à un milieu culturel international fort et emblématique. Enfin, par la volonté du Directeur général de l’UNESCO de construire un espace de méditation pour la paix, Tadao Ando se voit attribuer le rôle de porter le discours essentiel pour la paix dans une architecture.

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II. UNE ARCHITECTURE QUI TEND À L’UNIVERSALITÉ

Vue vers l’entrée de l’Espace de méditation, Tadao Ando © Jeanne Lambert


Projet de réaménagement du Palais de Fontenoy. «2001 0dyssée de l’UNESCO», D’Architectures, n°60, Novembre 1995, p 58

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II.1. UN MANIFESTE À L’UNESCO

II.1.1. Projet de rénovation, enjeux Aux alentours du 50ème anniversaire de l’UNESCO, l’Organisation décide de profiter de l’occasion pour rénover le site et ses bâtiments, à l’époque en mauvais état. Les travaux de rénovation du quartier général s’étendront de 1994 à 1999, et s’orienteront autour de plusieurs axes de travaux. La priorité du Plan de rénovation élaboré par le Comité du Siège est entre autres la mise en conformité et en sécurité du site et des bâtiments, la résolution des problèmes liés à l’amiante, les travaux pour la climatisation. Dans un second temps, des travaux de réhabilitation et de réaménagement seront envisagés dans les bâtiments principaux. La lourdeur des travaux de rénovation oblige le Comité du Siège à répartir en plusieurs tranches les différentes étapes du projet de rénovation du Siège. Néanmoins le Plan de rénovation est aussi une opportunité pour le Siège de l’UNESCO de retrouver son éclat des années 1950, et de s’ouvrir d’avantage vers l’extérieur. « L’objectif principal du projet est d’ouvrir l’UNESCO vers l’extérieur et d’en faire un lieu plus accueillant pour le personnel et le public tant parisien qu’international en facilitant l’accès aux bâtiments et aux jardins29. » En parallèle de ces priorités de mise aux normes et de sécurité, le Comité du Siège sollicite la contribution des États membres, des organisations publiques et privées, et des particuliers pour rénover et réaménager les différents bâtiments et installations du Siège. Ces travaux comprendront la réhabilitation des façades du bâtiment Fontenoy (bâtiment à trois branches), le réaménagement des salles de réunion ainsi que la réhabilitation du bâtiment des conférences et des jardins. Enfin, trois projets seront engagés par le Directeur général Ferderico Mayor et financés exclusivement par des contributions volontaires: - Le «Square de la Tolérance» qui constitue la transformation d’un parking en square par le biais d’une sculpture environnementale de l’artiste israélien Dani Karavan, et entièrement financé par l’État d’Israël. 29 «Entretien et rénovation des bâtiments du siège» , Rapport du Comité du siège archives de l’UNESCO, 28 Octobre 1995

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Jardin Nogushi, Siège de l’UNESCO © Jeanne Lambert

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- La réhabilitation des espaces publics et des jardins sera confié au célèbre architecte italien Renzo Piano. Elle comprendra la réhabilitation des sols du bâtiment Fontenoy (rez-de-chaussée et jardin) ainsi que la rénovation et la décoration des espaces publics du premier sous-sol (salle de cinéma et de conférence) et du 7ème étage (cafétaria, restaurant, salle de réception). - L’espace de méditation construit par Tadao Ando d’après la volonté du Directuer général de créer un espace de méditation ouvert à toutes les religions et cultures. Le projet est entièrement financé par des contributions privées, collectées par la Fédération nationale des associations UNESCO au Japon, et une plaque citant toutes ces contributions est placée à l’entrée du projet. En 1995, le 50ème anniversaire de l’UNESCO est donc l’opportunité pour l’Organisation de faire un réel bilan sur son action dans le monde, mais également de remettre en état les locaux du Quartier général de Paris, c’est-à-dire du coeur de l’Organisation. Ces travaux sont d’une part nécessaires pour le bon fonctionnement du Siège, mais d’autre part participe à la diffusion du discours de l’UNESCO par la création d’espaces représentatifs de ses idéologies comme l’espace de méditation pour la paix.

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Maquette du Siège de l’UNESCO © Jeanne Lambert

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II.1.2. Place du projet dans le programme et dans l’existant Le Siège de l’UNESCO, achevé en 1958, est composé de trois bâtiments principaux, organisés sur le site autour d’espaces publics et de jardins. Le bâtiment principal, à trois branches, a une hauteur de sept étages et abrite le secrétariat général ; le bâtiment en accordéon, d’une hauteur relativement plus basse comporte les salles de Conférences générales et le dernier bâtiment en cube haut de quatre étages est destiné aux délégations étrangères. Le projet de Tadao Ando s’installe entre ces deux premiers bâtiments, en contrebas par rapport au niveau rez-de-chaussée. Il est situé dans la promenade extérieure composée des jardins et installations artistiques présentés dans la première partie de l’étude. L’Espace de méditation n’a pas de vocation administrative, contrairement aux autres édifices, et constitue donc une échelle de projet différente des bâtiments construits. C’est ainsi un projet architectural, qui par sa petite échelle, se détache des architectures présentes sur le site. La distinction claire qui se fait entre le projet d’Ando et les bâtiments voisins est de plus assurée par l’emploi différent qu’il fait du béton. Par cette différence d’échelle et de programme, le Pavillon de Tadao Ando constitue un projet architectural culturel, voire artistique, et non administratif. D’autant plus que le Siège de l’UNESCO est représentatif d’une culture architecturale internationale, mais également d’une large culture artistique. En effet la part artistique du projet général est très importante dans l’esprit de l’Organisation, et la collection d’oeuvres d’art qu’elle a accumulée depuis sa création est représentative de sa notoriété mondiale. Par ailleurs c’est en tant qu’invité que Tadao Ando intervient à l’UNESCO, et le projet s’implante dans un parcours artistique ponctué d’installations et d’oeuvres diverses, et organisé autour de jardins symboliques comme le Square de la Tolérance ou le Jardin pour la paix. Dans cette optique, l’Espace de méditation peut donc être considéré comme une oeuvre architecturale, mais également comme une oeuvre artistique.

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Enfin, c’est un projet qui a une place singulière au Siège de l’UNESCO, et c’est lors d’une célébration particulière, celle des 50 ans de l’Organisation, qu’il est envisagé par Ferderico Mayor, le Directeur général en 1995. Sa volonté était de construire un espace de méditation pour la paix, pour toutes les cultures et toutes les religions. Le rôle de cette intervention architecturale est donc d’appuyer le message de paix de l’UNESCO, c’est ainsi un rôle symbolique et militant. Par cet Espace de méditation, est proposé à chacun un moment de réflexion sur le monde, de réflexion sur soi, et d’espérance pour l’avenir de l’humanité. Finalement, c’est un projet de petite échelle architecturale et urbaine, mais de grande envergure dans la symbolisation qu’il offre du discours emblématique de l’UNESCO.

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II.1.3. Symbolique de la paix: contexte, méditation et architecture L’Espace de méditation à l’UNESCO est un projet construit pour le 50ème anniversaire de l’Organisation, d’après la volonté du Directeur général de l’époque, Federico Mayor, de créer un espace dédié à la méditation pour la paix. C’est donc comme symbole de paix que ce projet est introduit au sein du Quartier général de l’UNESCO en 1995. Cette symbolique de la paix s’exprime dans le projet par plusieurs de ses aspects : celui de son contexte (l’UNESCO), celui de son programme (la méditation) et celui de sa forme (l’architecure) Le contexte dans lequel s’inscrit le projet est en effet symbolique : au sein de Siège de l’organisation mondiale militant pour la paix, l’UNESCO. Cette organisation est par définition un organisme symbolique de la paix, car elle milite depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale pour instaurer la paix et la justice dans les différentes régions du monde. Au sein de l’UNESCO sont représentés la majorité des pays du monde entier, et son action se propage dans le monde par les domaines de la culture, la science, l’éducation et la communication et sont des actions militantes mais pacifiques. Aussi, le programme du projet de Tadao Ando, un espace pour méditer, est en accord avec la volonté de positionner la recherche de la paix comme fondement des relations et problématiques humaines. Et la méditation est l’exercice spitituel, voire intellectuel propice à cette réflexion. Méditer est effectivement une pratique abordable pour chaque individu, peu importe ses origines et sa culture, et constitue le vecteur d’une prise de conscience pour la quête de la paix. Enfin par l’architecture, c’est un lieu symbolique qui prend forme, dans un contexte mondial, pour abriter toutes les réflexions sur la paix, les espérances de chacun. A travers cette architecture, c’est le symbole d’une action mondiale pour la paix, celle de l’UNESCO, et l’importance quotidienne d’une prise de conscience, qui sont matérialisés au coeur du Siège de l’Organisation à Paris. Dès lors, c’est une architecture qui s’evertue à transcender les cultures : elle vise le bien être de l’homme, emploie un certain nombre de symboles par lesquels elle acquiert une dimension sacrée.

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Espace de méditation de l’UNESCO. ANDO, Masao Furuyama, Paris, Taschen, 2006, p 70

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I.2. Espace de méditation de l’UNESCO, manifeste de l’architecture d’Ando

II.2.1. Spécificité du programme et du lieu - Une place à part dans l’oeuvre d’Ando L’espace de méditation de l’UNESCO, est un des plus petits projets réalisé par Tadao Ando. A cette époque, Tadao Ando détient une certaine renommée dans le monde de l’architecture. La réputation de l’architecte, en 1995, est principalement due à ses projets de maisons familiales qui ont diffusé sa vision de l’architecture au delà des frontières du Japon. Puis ce sont des projets d’église et de chapelle, programmes d’ordre plus spirituel, qui appuient son discours architectural, comme l’Église sur l’eau à Hokkaido en 1988 et l’Église de la lumière à Osaka en 1989. Tadao Ando devient ainsi un architecte connu pour un type d’architecture défini et un style très personnel et minimaliste, développés dans des programmes précis. Enfin, grâce au contexte économique japonais favorable à la fin des années 1980, Tadao Ando se voit confier des projets de plus grande envergure, sur des sites naturels nettement plus vastes, et issus de la commande publique japonaise. Il construit entre 1988 et 1994 quatre musées au Japon, dont le musée historique Chikatsu-Azuka à Osaka en 1994. Même s’il se voit attribuer de nouveaux projets, plus grands et avec de nouveaux programmes, cet espace de méditation sort du lot de ces nouvelles commandes par sa taille mais surtout par son programme. Celui-ci est d’une part très particulier et d’autre part peu fréquent dans la commande publique. - Particularités du programme de méditation La première particularité de ce projet est donc son programme, un espace de méditation pour la paix. Culturellement, il n’est pas étonnant que ce type de programme soit confié à un architecte japonais; les espaces de méditation sont effectivement nombreux dans leur culture, que ce soit dans les temples bouddhistes, où autour de la cérémonie du thé. Cependant c’est ici dans un contexte très différent qu’est construit ce pavillon, car au sein d’un cadre culturel nouveau, international. C’est ici la caractéristique universelle de la méditation qui est mise en avant plus que son rituel culturel. Le programme est pensé comme un des symboles d’un discours défini et porté par

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Décaissement du projet sur le site

Plan du projet, Tadao Ando Yann Petter, L’essence spirituelle du béton au travers du Pavillon de méditation de l’UNESCO, Lausanne, ENAC, 2013

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l’UNESCO, celui de la paix. Cet espace de méditation est aussi l’occasion pour Ando de poser l’essentiel de sa réflexion sur la rencontre entre l’architecture et l’homme. C’est-à-dire qu’il développe ici une spatialité pure, ordonnée par une économie d’éléments, composée dans le but d’offrir à l’homme une expérience personnelle, contemplative et même spirituelle. La méditation est ici vecteur de pacification, elle doit être considérée comme un outil de militation pour la paix. C’est également par sa taille que se distingue l’espace de méditation dans l’oeuvre d’Ando. La parcelle sur laquelle il s’implante a une surface de 350 m2, et la volumétrie principale du projet se résume à un cylindre de 6,75 m de diamètre et de hauteur. Par ailleurs c’est un projet dont la composition spatiale est constituée de très peu d’éléments architecturaux, à savoir un sol, deux murs, une rampe et un cylindre, ce qui lui confère une apparente simplicité, et un style très dépouillé. - Particularité du site Le projet s’installe dans la continuité du jardin de Nogushi, dans l’espace public du Siège de l’Organisation. La parcelle est une sorte d’espace résiduel du projet des années 1950, une arrière cour située entre le bâtiment des conférences de Zehrfuss, le bâtiment principal à trois branches, et le long de la salle des pas perdus qui les relie, et donnant directement sur l’avenue de Ségur. Elle est de plus en recul par rapport à l’entrée principale du site, comme un second plan que l’on atteint qu’en contournant le premier. Un emplacement par conséquent discret mais relativement visible car faisant partie intégrante d’un parcours extérieur. L’implantation de son projet se fait de façon très subtile, représentative de la volonté de Tadao Ando de toujours mesurer et maîtriser l’impact de l’environnement sur ses projets et reciproquement. Aussi Tadao Ando choisit d’accentuer les particularités de cette parcelle en décidant de creuser le site, et de s’implanter en contrebas du niveau de la rue. Par cette action, l’architecte tente d’isoler une partie du projet, de le protéger vis à vis de la rue, et d’accentuer le contraste d’échelle qu’il entretient avec les bâtiments mitoyens.

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Composition géométrique du projet

Maquette du projet. PETTER Yann, L’essence spirituelle du béton au travers du Pavillon de méditation de l’UNESCO, Lausanne, ENAC, 2013

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II.2.2. Le Pavillon face aux principes architecturaux de Tadao Ando Analyse II.2.2.1.Composition spatiale C’est dans la composition spatiale du projet que l’on peut reconnaître l’architecture typique du créateur japonais. Chacun des éléments du projet reprend et appuie le discours de Tadao Ando, dans un esprit de synthèse subtil mais manifeste. - Une composition spatiale ordonnée par la géométrie Le projet est constitué exclusivement d’éléments architecturaux aux formes simples et pures, respectant une logique géométrique sobre. Les deux murs suivent une forme linéaire et verticale, le pavillon est un cylindre dont le diamètre est égal à la hauteur, en référence au Panthéon de Rome, édifice qui marque particulièrement Tadao Ando et qu’il qualifie d’exemple de l’architecture comme personnification de la raison humaine. Cette notion est essentielle dans la pensée de l’architecte, et définit l’importance de la géométrie dans le projet d’architecture. Cette géométrie doit être pure, issue de la logique de l’homme, en opposition à la logique de la nature, afin de créer une coexistence, parfois violente, de ces deux logiques. Ici c’est par quelques touches précises, ordonnées par des formes géométriques primaires que Tadao Ando exprime cette simplicité et sobriété nécessaire à l’architecture pour permettre la connexion avec le monde. C’est par exemple avec le cercle, forme symbolisant le monde sacré, l’éternel, que l’architecte tente de connecter la logique de l’homme à une logique supérieure, et aspire par cette forme à créer l’Espace de méditation par excellence. La ligne (matérialisée par les deux murs) et le rond (l’espace proprement dit de méditation) sont en effet des tracés issus de la logique humaine et non de celle de la nature, et évoquent respectivement le cheminement de l’homme et la symbolique du monde sacré.

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Les murs comme cadrages dans l’environnement

Cadrage vers l’avenue de Ségur © Jeanne Lambert

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- Une architecture cadrée Nous avons vu chez Tadao Ando une volonté systématique de créer, par l’architecture, des environnements protégés, nouveaux, connectés au monde extérieur de façon contrôlée. C’est par la présence des deux murs construits en bordure de parcelle que l’on retrouve ce désir de microcosme. Nous pouvons ici observer d’abord la nature de ces murs : construits en béton, d’une épaisseur éxagérée et non justifiée au niveau structurel, ils sont positionnés en décalé par rapport à la parcelle et au pavillon cylindrique. Leur fonction première n’est donc absolument pas structurelle, mais assure la protection de ce nouvel environnement pour la méditation. Ces murs créent d’une part une limite visuelle par la dissimulation partielle du pavillon, et d’autre part offrent une limite physique comme seuils délimitant l’intériorité du projet. C’est assurément par le franchissement du premier mur que l’on rentre dans le projet, franchissement matérialisé par une épaisseur concrète et prononcée, après une certaine perplexité en amont causée par la dissimulation partielle de l’Espace de méditation. Cependant ce rôle de protection que prennent les murs en béton de Tadao Ando, dans l’idée de séparer ce nouvel espace de l’environnement extérieur, est à modérer par la présence de percements dans ces murs. Percements, ou plutôt cadrages qui permettent de connecter subtilement et ponctuellement l’espace de méditation à l’environnement extérieur, notamment celui de l’avenue de Ségur. C’est ici une façon pour l’architecte de maîtriser l’influence de l’environnement sur le projet, en le positionnant physiquement à distance (par les murs ainsi que par le décaissé), sans pour autant l’exclure totalement. Il est en effet essentiel, dans ce projet, que chaque individu puisse se ressourcer par la méditation et la contemplation, prendre conscience de soi et du monde, tout en restant connecté avec celui-ci. « Le mur est le point de contact entre la logique de la ville et celle du site; il est le plus petit régulateur - et le plus fondamental - de la structure urbaine26.» Par l’installation de ces deux murs en béton, Tadao Ando protège son espace de méditation de l’hostilité urbaine, délimite et dessine des espaces extérieurs précis, et assure une connexion cadrée de son architecture à l’environnement dans lequel elle s’inscrit. 26 Tadao Ando, in “Vocabulaire d’architecture”, Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 200.

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Eau et matérialité du sol PETTER Yann, L’essence spirituelle du béton au travers du Pavillon de méditation de l’UNESCO, Lausanne, ENAC, 2013

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- Une nature mise en scène Malgré l’apparente simplicité que dégage l’Espace de méditation du fait du peu d’éléments qui le composent, Tadao Ando introduit chaque élément nécessaire pour créer un environnement architectural de méditation pour l’homme. C’est pourquoi on retrouve dans ce petit projet son concept de «nature abstraite», qui comme nous l’avons vu, permet de reconnecter l’homme à la vraie nature. C’est, comme pour la géométrie, une nature ordonnée par l’homme qui permettra à chacun de retrouver en soi une connexion avec la Grande Nature, portée par les trois éléments eau, air, lumière. « Je voudrais réaliser une nature susceptible de rappeler ce qu’est le fait de vivre sur cette terre et d’éveiller la conscience. (...) Je crois qu’il est temps de nous rappeler que nous faisons partie de la nature afin de retrouver un état de coexistence avec elle27.» Ces éléments sont donc mis en scène dans le projet, dans le but d’accentuer ou de provoquer certaines sensations chez le visiteur. L’eau est introduite dans le projet comme une nappe au sol, et instaure une ambiance d’apaisement. L’air est travaillé à travers le cylindre en béton traversant, dans lequel un courant d’air circule d’une ouverture vers l’autre, et qui par sa matérialité et sa forme, provoque une baisse de la température à l’intérieur de l’édifice. Ainsi, à la pénétration dans cet espace, l’air circule, frais, et l’impression du temps n’est plus la même. Enfin, la lumière est mise en scène de façon presque théatrale, elle est zénithale, rasant la paroi cylindrique avec une douce intensité mais une très forte présence, et par cet effet devient une lumière divine, et aspire le visiteur vers le ciel, dans une ambiance propice à la méditation.

La nature dans le projet : eau (bleu clair), air (bleu foncé), et lumière (rouge) 27 Tadao Ando, in “Dialogue avec Tadao Ando”, Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 153

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Le béton de Tadao Ando © Jeanne Lambert

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- Une matérialité omniprésente La quasi totalité du projet est en béton, un béton travaillé spécifiquement par l’architecte, comme pour chaque projet qu’il conçoit. Seul le sol est d’une matérialité différente, ici constitué de pierres d’Hiroshima, en réaction au drame nucléaire qui marqua énormément Tadao Ando qui espère que ce lieu de méditation sera aussi celui de l’hommage à ces victimes. C’est pour lui une démarche très particulière et symbolique. L’ensemble des autres éléments du projet est donc tout en béton, et de la même spécificité. C’est un béton strict par la régularité des trous de coffrage, mais lisse et doux au toucher. Il permet d’unifier les différentes parties du projet, par cette omniprésence de la matière brute. Par ailleurs, la légèreté du projet due à l’économie d’élément est contre-balancée par l’épaisseur de matière employée par Tadao Ando. Cette épaisseur, structurellement non nécessaire, et l’uniformité du béton offrent une puissance d’unité au projet, tout en restant d’une grande sobriété et modestie par le caractère brut de l’ensemble. Aussi par l’utilisation du béton comme matériau unique, l’architecte japonais considère créer un réel espace en soi. « Le béton que j’emploie n’a ni rigidité plastique ni poids. Au lieu de celà, il doit être homogène et léger, et créer des surfaces. Lorsqu’ils rentrent en accord avec ma vision esthétique, les murs deviennent abstraits, ils sont niés et s’approchent de la limite ultime de l’espace28.» La quête d’un espace pur est essentielle dans le travail de Tadao Ando, et est d’autant plus justifiée dans la conception d’un espace de méditation universel pour la paix.

28 Tadao Ando, in Tadao Ando, Yann Nussaume, Paris, Ed. Hazan, 2009, p 17.

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Parcours initiatique

Seuils dans le parcours Š Jeanne Lambert

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- Arrivée progressive vers la méditation La dernière particularité de l’architecture de Tadao Ando que l’on retrouve dans l’Espace de méditation de l’UNESCO, est la présence d’un parcours architectural. Ce parcours, matérialisé entre autres par la rampe qui relie le niveau haut au niveau inférieur de la parcelle, est essentiel dans la création de cette architecture vouée à la méditation. En effet, la rampe constitue l’unique cheminement à travers l’Espace de médiation, elle définit la progression du parcours sur le site et vers le coeur du projet. C’est un parcours précis qui amène le visiteur à appréhender la spatialité du projet et à se plonger dans une ambiance contemplative. En effet il est déterminé par une entrée, plusieurs seuils et une fin. Comme nous l’avons vu, l’entrée s’effectue au moment du franchissement du premier mur de béton et c’est à ce niveau que la rampe débute. Elle traverse ensuite les différentes parties du projet en les pénétrant et créant une succession de seuils. Le premier est celui de l’interaction entre la rampe et le mur situé le long de l’avenue de Ségur, qui perce le cadrage vers la rue pour se retouner ensuite vers le projet. Le second est la traversée du pavillon cylindrique en son diamètre, et constitue une pause temporelle forte dans le projet. Enfin, la rampe s’enfuit vers l’extrémité de la parcelle, sans délimitation physique, comme pour évoquer une dimension infinie. Ainsi par la simplicité apparente du parcours (pente linéaire), son cheminement complexe (plusieurs retournements), et sa pente douce, c’est un parcours initiatique que Tadao Ando crée, dans le but d’amener progressivement le visiteur dans un état propice à la méditation, jusqu’au coeur du projet. C’est l’effet de la dilatation du temps, nécessaire pour un retour sur soi-même, qui est développé ici, par l’enfoncement du parcours au coeur des choses, dans un environnement calme, sensible, pour la méditation. Dès lors ce parcours initiatique mis en oeuvre par Tadao Ando peut être associé à la notion de rituel de passage, notion universelle, présente sous de nombreuses formes et dans toute culture. C’est ici un rituel de passage nécessaire à l’élévation de l’esprit qui est instauré dans le parcours.

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Interaction du mur et de la rampe Š Jeanne Lambert

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II.2.2.2. Interaction des parties dans la logique d’un tout Dans ses théorisations des années 1980, Tadao Ando définit des principes architecturaux précis, et insiste ensuite sur les relations existantes entre les différentes parties du projet, indispensables selon lui à la cohérence du tout. C’est ici un exemple clair de la nécessité d’interaction entre les éléments du projet avec le contexte, pour créer une architecture cohérente et porter un discours précis. Aussi dans l’Espace de méditation, il existe des relations, plus ou moins violentes, de juxtaposition, de perspective, d’inter-pénétration entre les différents éléments du projet d’une part, et avec l’environnement extérieur d’autre part.

- Interactions dans le projet Dans un premier temps, c’est une interaction entre les trois dimensions de l’espace que Tadao Ando crée, par la juxtaposition d’un élément vertical (le cylindre), d’un élément horizontal (le mur), et d’un fil conducteur (la rampe). Ainsi par des interventions spatiales ponctuelles, c’est une occupation globale du site que l’architecte tente d’assurer. C’est aussi le moyen d’accentuer une évolution verticale intérieure au projet (par les différences de niveaux) et un rapport horizontal entre la rue et les bâtiments existant de l’UNESCO. L’analyse des différents éléments du projet nous montre que chacun se positionne par rapport aux autres, et entretient avec l’autre un dialogue architectural. Ce sont des jeux de dissimulation entre les murs et le pavillon cylindrique, ou encore le percement brutal de la rampe aux différents seuils du parcours, qui matérialisent ce dialogue. Ce sont des interactions souvent ponctuelles et parfois violentes, mais radicales qui nourrissent la volonté de Tadao Ando de créer une architecture caractérielle et singulière, en vue de répondre à un programme particulier et symbolique.

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Pénétration du mur dans le contexte © Jeanne Lambert

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- Interaction dans le contexte C’est toujours de manière délicate que Tadao Ando aborde la question du contexte, du milieu. Et sa volonté première de créer de nouveaux environnements propices pour l’épanouissement de l’homme, en réaction aux environnements urbains hostiles, s’adapte et évolue au cours de son travail et en fonction du contexte. L’Espace de méditation est un exemple pertinent de l’ambiguité de la pensée de l’architecte japonais : celle de vouloir isoler son architecture du monde extérieur pour mieux se connecter à ce dernier. La volonté de créer un environnement nouveau, protégé, est ici lue dans le décaissement du sol, l’intention d’enterrer en partie le projet, ainsi que dans la disposition des deux murs en bordure de parcelle. Néanmoins, c’est un projet, en retrait certes, mais qui reste relativement visible depuis le site de l’UNESCO comme depuis la rue. Ce sont des cadrages qui sont dessinés et mesurés dans chaque mur pour créer une interaction visuelle entre les différents environnements. Et c’est également des interférences parfois violentes qui sont mises en oeuvre entre le projet et son contexte, comme la pénétration brutale qu’effectue le mur d’entrée dans la «Salle des pas perdus» du Siège de l’UNESCO. Ces différentes relations, physiques ou non, d’isolement ou d’ouverture par rapport à l’extérieur, sont des rencontres essentielles selon Tadao Ando pour permettre à l’homme de se connecter avec ces différents environnements, puis de prendre conscience de sa place et de son interaction avec ces derniers.

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Vue depuis l’intérieur du cylindre de l’Espace de méditation © Jeanne Lambert

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II.2.2.3. Dimension spirituelle de l’Esapce de méditation L’Espace de méditation de Tadao Ando est, dans la réflexion de l’architecte sur les relations de l’homme à l’espace, un exemple architectural pertinent et synthétique de sa pensée. En effet une dimension spirituelle se dégage de ce projet, par la nature de son programme bien évidemment, mais également par les procédés mis en place. Nous avons vu que Tadao Ando aspire, par l’architecture, à créer de nouveaux milieux dans lesquels l’homme est voué à s’épanouir, à reprendre conscience de soi et du monde, à se reconnecter avec la nature. Le programme de la méditation est donc l’opportunité rêvée pour l’architecte d’exprimer cette volonté, et le contexte est ici l’occasion de révéler le désir d’universalité qu’il cherche pour son architecture. Plusieurs éléments du projet permettent à l’Espace de méditation d’acquérir un caractère spirituel fort. Dans un premier temps, pour permettre à l’homme de se ressourcer, celui-ci a besoin d’un environnement nouveau, replié et protégé, c’est pourquoi le site est en contrebas par rapport au niveau de la rue. Néanmoins ce besoin de se ressourcer ne doit pas se détacher entièrement de la réalité, et Tadao Ando introduit des «fenêtres» sur l’environnement extérieur. Ensuite c’est par le parcours, tel un rite initiatique à la méditation, que l’architecte amène progressivement le visiteur au coeur du projet, et l’installe, petit à petit, dans une ambiance sensible, propice à la contemplation. Cette pente douce guide le visiteur, qui se laisse descendre, jusqu’au pavillon cylindrique, puis s’arrête dans un vide, comme pour laisser chacun décider de la fin. Aussi, c’est dans le pavillon cylindrique que la dimension spirituelle se ressent particulièrement. Une fois l’initiation du parcours faite, le visiteur pénètre dans cet espace symbolique, rond, baigné de lumière naturelle zénithale, aéré, d’une température différente. Un espace sensible qui met le visiteur dans un état de pause, et lui permet de se sentir au fond des choses et de se reconnecter avec le monde. C’est ainsi une spiritualité qui est issue de la relation de l’homme avec l’espace qui est dévelopée dans ce projet. L’espace constitue ici une analogie du corps humain : la peau du béton lui donne son caractère charnel, l’air le fait respirer, la lumière l’anime, l’eau l’apaise. C’est un espace sensible, spirituel, humain.

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Vue depuis le projet vers le jardin de Nogushi Š Jeanne Lambert

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II.2.3. Diffusion et image de l’Espace de méditation Au début des années 1990, Tadao Ando est un architecte largement reconnu et plusieurs fois publié, notamment dans des revues japonaises telles que The Japan Architect. Puis c’est à l’international que se développe sa notoriété, grâce à la diffusion de son oeuvre à l’occasion de diverses expositions (au MoMa, au Centre Georges Pompidou), ainsi qu’à travers des monographies et articles de revue. Les éditions Electa Moniteur publient une monographie sur l’architecte en 1985, «Tadao Andô – Minimalisme». Quant aux publications issues de revues d’architecture, celle-ci sont nombreuses et certaines très complètes, comme l’article de Philippe Barrière intitulé «Tadao Ando, l’architecture du moi», publié en 1993 dans la revue Architecture intérieure CREE. Alors, en 1995, l’architecture de Tadao Ando et son image est amplement diffusée en Occident, et par ailleurs bien reçue en Europe. La singularité de l’oeuvre de Tadao Ando marque la culture architecturale occidentale par sa sobriété, sa constance, et ses caractéristiques culturelles à la fois japonaises et modernes. Ainsi à l’occasion de la construction de l’Espace de méditation à l’UNESCO, plusieurs revues diffusent ce petit projet, pourtant assez discret dans l’oeuvre de Tadao Ando, aux alentours de l’année 1995. Les revues les plus bavardes à ce sujet sont entre autres Construction Moderne qui publie l’article «Tadao Ando» en 1995, Architectural Review avec «Peace haven» en 1996, et AMC dans un article de Richard Scoffier intitulé «Espace de méditation de Tadao Ando» daté de Février 1996. En outre la revue D’Architectures publie en Novembre 1995 un article général sur le 50ème anniversaire : «2001 Odyssée de l’UNESCO» dans lequel un paragraphe, «Ando en miniature» est consacré au projet de l’architecte japonais. A travers ces différentes publications, nous pouvons observer de quelle manière est reçu l’Espace de méditation dans la culture architecturale occidentale. L’accent est dans un premier temps mis sur la caractère inédit de cette architecture, cet espace étant le premier projet de Tadao Ando en France.

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Dans un second temps c’est le style architectural du projet qui est mis en avant, qualifié de «minimal space30», de «lieu dépouillé31», et également considéré comme «tellement modeste32» par Richard Scoffier dans son article d’AMC. Des adjectifs qui décrivent l’Espace de méditation, mais qui font référence également à la spécificité de l’architecture de Tadao Ando. Ce sont aussi des impressions particulières qui sont décrites dans ces publications, notamment à propos de la matérialité : «materiality assumes a potent intensity33», «caractère charnel du matériau34». Dans AMC, l’auteur évoque l’épaisseur des murs en béton «à la limite de l’obscénité35» dans un «narcissisme spectaculaire36». Aussi, ce projet est perçu comme la création d’un nouvel environnement ; qualifié de «petit univers en soi37» ou encore de «Peace haven38». Ainsi on observe dans la diffusion écrite de ce projet, qu’il prend une place importante en tant que création et production d’un nouvel espace, considéré par exemple comme «monument dans l’urbain39». Enfin dans un troisième temps, c’est le caractère symbolique de l’Espace de méditation qui est souligné dans ces multiples publications. Les différents articles insistent spécialement sur la volonté de paix exprimée à travers ce projet, ainsi que sur sa dimension spirituelle. C’est un projet «hautement symbolique40», ainsi qu’un «seuil s’ouvrant vers un au-delà41».

30 C.S., “Peace Haven”, Architectural Review, Avril 1996, n°1190, p 20. 31 Chirat Sylvie, “Tadao Ando”, Construction Moderne, 1995, n°85 32 Richard Scoffier, «Espace de méditation par Tadao Ando», AMC, Février 1996, n°68, p 17 33 “la matérialité assume une forte intensité (T.d.A.) C.S., art. cité, p 20 34 Richard Scoffier, art. cité, p 17 35 Ibid, p 17 36 Ibid, p 17 37 Chirat Sylvie, “Tadao Ando”, Construction moderne, n°85, 1995 38 C.S, art cité, p 20 39 Chirat Sylvie, art. cité, 40 Robichon François, “2001 0dyssée de l’UNESCO, D’Architectures, n°60, Novembre 1995, pp 59 41 Richard Scoffier, art. cité, p 17

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La revue Architectural Review résume en quelques mots la puissance du message de cette architecture : «Yet this small haven of spiritual tranquility serenly affirms a belief in the human capacity for peaceful coexistence.42» L’image de l’architecture de Tadao Ando est ainsi relativment nourrie par cet Espace de méditation et sa diffusion écrite. Par les vocabulaires employés, et les impressions décrites dans ces différents articles, on constate que c’est un projet qui appuie nettement le discours architectural de l’architecte japonais. Même si d’autres projets seront largement plus publiés que le Pavillon de l’UNESCO, celui-ci réussit à offrir une réflexion sur la paix, pour certains surtout symbolique, et de manière général participe à la diffusion du message de paix de l’UNESCO et de Tadao Ando.

42 “Aussi ce petit refuge d’une tranquille et sereine spiritualité affirme une croyance dans la capacité de l’homme à coexister en paix.” (T.d.A.) C.S, art. cité, p 20

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Vue vers la fin de la rampe Š Jeanne Lambert

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II.3. Universalité, entre utopie et hétérotopie

II.1.3. Place et caractérisitques du projet dans l’oeuvre de Tadao Ando L’Espace de méditation de Tadao Ando a été construit en 1995, 25 ans après le début de sa carrière, alors que sa renommée devient internationale depuis quelques années. Ce projet constitue l’un des premiers projets de l’architecte en Europe, en dehors du Japon, et est le premier en France. Il est donc construit à une époque où Tadao Ando se voit confronter sa culture japonaise et ses théories architecturales à de nouveaux contextes, occidentaux. Dans le présent projet, c’est d’autant plus un programme culturellement très présent en Orient qu’il est amené à développer au sein de Siège de l’UNESCO. C’est l’occasion pour Tadao Ando d’affirmer ses théories architecturales par leur réalisation et matérialisation dans des contextes très différents. Ce projet confirme ainsi le rôle précurseur qu’il a depuis le début de sa carrière sur la rencontre architecturale des cultures occidentales et orientales. C’est, par un style moderne et dans une spiritualité influencée par sa culture japonaise, une leçon d’humanité qu’il réalise avec l’Espace de méditaion de l’UNESCO. Cette réalisation est aussi l’un des plus petits projets de l’oeuvre de Tadao Ando, et marque les esprits par l’expression mais aussi la synthétisation pertinente qu’il offre de sa pensée architecturale. Le programme particulier de ce projet, et unique dans les projets de Tadao Ando, est un premier facteur opportun pour appuyer le rôle de l’architecture qu’il définit, dans ses rapports à chaque individu. Puis c’est dans l’analyse des quelques éléments du projet, que l’on observe que cet Espace de méditation répond point par point aux principes architecturaux que l’architecte met en place pour exprimer ses volontés universelles. C’est pourquoi, en 1995, et encore aujourd’hui, l’Espace de méditation est unique en son genre dans l’oeuvre de l’architecte, et constitue un manifeste de sa pensée architecturale, tant dans sa composition, dans sa nature, que dans sa spiritualité;

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II.3.1. Discours de Tadao Ando / discours de l’UNESCO : utopies communes C’est en tant qu’invité de Daniel Janicot, sous directeur de l’UNESCO en 1995, que Tadao Ando réalise l’espace de méditation. Dans ce contexte particulier, il s’agit donc de la rencontre entre deux cultures, mais plus précisément entre Tadao Ando et l’UNESCO. Cette rencontre n’est pas vraiment anodine : on remarque plusieurs points communs dans les discours respectifs de l’architecte et de l’Organisation. Tout d’abord c’est par rapport à l’homme que Tadao Ando et l’UNESCO posent les fondements de leur discours. L’homme est à chaque fois placé au centre de leurs questionnements et enjeux. La volonté de créer un environnement de paix dans lequel l’homme puisse s’épanouir et prendre conscience des choses fondamentales de la vie est présente dans leurs pensées respectives. Tadao Ando cherche à offrir un nouvel environnement sain pour la vie quotidienne de chaque individu. « Je cherche à créer une architecture dépassant les limites du monde physique, évoquant le vrai sens de la vie dans le shintai (=corps+esprit) de l’être humain43.» Aussi l’UNESCO aspire à permettre à l’homme de vivre en paix, dans la justice et le respect collectif. « Dans le domaine spécifique qui est celui de l’UNESCO, nous avons à mobiliser en ce sens les forces de l’esprit. Il nous revient de concentrer nos efforts sur le développement des ressources humaines en vue de revenir, après des décennies de stratégies marquées par un économisme étroit, au coeur même du développement, c’est-àdire à l’être humain44.»

43 Tadao Ando, in “Vocabulaire d’architecture”, Tadao Ando et la question du milieu, Yann Nussaume, Paris, Ed. du Moniteur, 1999, p 199 44 Federico Mayor, in “Cinquante ans après”, Le Courier de l’UNESCO, octobre1995, p7

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Cet idéal commun d’offrir à chacun un environnement sain, égalitaire, épanouissant est exprimé chez Tadao Ando dans l’espace de la vie quotidienne et par l’UNESCO à travers la culture et les ressources humaines. Ce sont ici deux discours distincts, exprimés par des actions différentes, qui se retrouvent dans leur idéologie : agir pour la paix, le retour à l’essentiel et aux choses fondamentales telles que la nature, le respect, l’égalité, le partage. Aussi une dimension universelle régit les discours de l’UNESCO et de Tadao Ando. En effet l’UNESCO, Organisation mondiale, est par essence une structure universelle et répand son action sur toutes les régions du monde. De plus son désir de paix est une volonté pour tous, sans distinction de race ou d’origine. Chez Tadao Ando, bien que son oeuvre personnelle ne soit pas de taille à se répandre dans chaque région et pour chacun, ses motivations à être architecte sont fondées sur un désir profond de travailler l’environnement de l’Homme. L’enjeu pour cet architecte concerne effectivement l’épanouissement de l’Homme en tant qu’individu, au sens large du terme, dans toutes les régions du monde. Son désir d’universalité se définit par sa volonté de pouvoir toucher n’importe quel individu par son architecture et le message qu’elle diffuse. A différentes échelles, ce sont ainsi deux discours qui tendent vers l’universalité et cherchent par une quête fondée sur l’esprit et la conscience à poser l’homme dans un univers en paix. C’est pourquoi l’intervention architecturale de Tadao Ando à l’UNESCO se justifie dans le sens où elle partage le discours de l’Organisation en faveur de la paix.

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Vue vers le cylindre de l’Espace de méditation © Jeanne Lambert

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II.3.2. Architecture hétérotopique La notion d’hétérotopie a été développée par Michel Foucault, philosophe français du XXème siècle, lors d’une conférence au Cercle d’études architecturales en 1967 intitulée «Des espaces autres». Lors de cette conférence, Michel Foucault évoque les espaces qui sont en liaison avec tous les autres : les utopies et les hétérotopies. L’utopie représente une illusion ou l’envers d’une société, mais n’a pas de lieu réel. L’hétérotopie, elle, est concrète, c’est une sorte de localisation physique de l’utopie, décrite comme suit : « Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables45.» L’Espace de méditation de Tadao Ando paraît être un de ces lieux, dans le sens où il héberge une certaine utopie à propos du désir de paix, et c’est une architecture qui s’inscrit au coeur d’une Organisation mondiale, dans son quartier général, c’est-à-dire dans un environnement urbain, au sein de la société. Michel Foucault, dans «Des espaces autres», développe plusieurs caractéristiques fondamentales de ce concept d’hétérotopie. - La première est que toute culture met en place des hétérotopies, et qu’il n’y a donc pas de forme prédéfinie d’hétérotopie, «peut-être ne trouverait-on pas une seule forme d’hétérotopie qui soit absolument universelle46».

45 Michel Foucault, Dits et écrits 1984, “Des espaces autres” (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49 46 Ibid.

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- La seconde définit que «chaque hétérotopie a un fonctionnement précis et déterminé à l’intérieur de la société47». C’est dans le cas de l’Espace de méditation une fonction de rassemblement, de retour sur soi et de réflexion sur la paix et l’humanité qu’exerce cet espace pour l’homme, sur son environnement et la société. C’est aussi un espace qui constitue un lieu de mémoire pour les victimes d’Hiroshima. - La troisième spécifie que «L’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles48». La matérialité du sol, en pierre d’Hiroshima, évoque et intègre le lieu de la catastrophe à ce nouvel environnement. Le projet établit un lien entre les différents lieux de guerre et d’injustice et celui idéal de la paix. - Une autre caractéristique essentielle de l’hétérotopie, est son rapport au temps. «l’hétérotopie se met à fonctionner à plein lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leur temps traditionnel49». Ici, le projet de Tadao Ando, par son parcours initiatique, permet une certaine dilatation du temps - nécessaire à la mise en condition de méditation et de contemplation. Puis comme nous l’avons analysé plus haut, le pavillon cylindrique et les mises en scène des éléments comme la lumière et le vent permettent à l’architecture de stimuler les sens et l’esprit de l’homme, perturbant la temporalité de chaque expérience. Par la dimension spirituelle et méditative du projet, c’est une rupture avec le temps réel qui est recherché par l’architecte et l’UNESCO. - «Les hétérotopies supposent toujours un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables. En général, on n’accède pas à un emplacement hétérotopique comme dans un moulin.50» Cette spécificité des hétérotopies est en accord avec la volonté de Tadao Ando de créer une architecture fermée, comme un microcosme, protégée de l’extérieur, mais, par des ouvertures ponctuelles ou des dispositifs architecturaux, de conserver une conscience de l’environnement extérieur, de ne pas s’en déta47 48 49 50

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Ibid. Ibid. Ibid. Ibid.


cher totalement. C’est dans cette optique que l’architecte construit cet Espace de méditation protégé, en retrait, mais cadré sur le contexte extérieur urbain. - Une hétérotopie de compensation Enfin, à la fin de cette conférence, Michel Foucault décrit un type particulier d’hétérotopie : l’hétérotopie de compensation. «Créant un autre espace, un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon51.» Ce type d’hétérotopie illustre l’architecture de Tadao Ando en général, et plus particulièrement à travers l’Espace de méditation de l’UNESCO. En effet dans la mise en place de son discours architectural, Tadao Ando cherche, par l’architecture, à créer de nouveaux environnements pour l’homme, en réaction au contexte urbain de l’époque, notamment celui du Japon qu’il trouve hostile et loin de ses valeurs traditionnelles (rapport à la nature). Il construira beaucoup de maisons sur le schéma du microcosme comme des espaces détachés de ces contextes urbains. Sa démarche architecturale «lieu-géométrie-nature» - est pour lui le moyen de créer de nouveaux lieux, entretenant une relation forte au milieu et issue de la raison et de la sensibilité humaine. Dans l’Espace de méditation, la notion de «contre-espace» prend son sens, dans la mesure où c’est un espace en décalage par rapport à la réalité, un espace militant pour une cause universelle. On ressent entre autre cette dimension dans la relation particulière que l’Espace de méditation entretient avec les alentours, une présence physique contrôlée, en retrait. C’est un projet en marge de son environnementDe fait, par sa démarche et le discours qu’il porte, l’Espace de méditation peut être considéré comme une hétérotopie de compensation, un espace réel dans l’urbain mais soucieux d’un autre idéal.

51 Ibid.

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Vue depuis l’intérieur de l’Espace de méditation © Jeanne Lambert

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Discours architectural universel

Pensée humaniste et architecture hétérotopique : discours universel A travers cet Espace de méditation, ses caractéristiques et son contexte, l’architecte Tadao Ando et l’UNESCO ont l’occasion d’illustrer et de diffuser un discours pour la paix. Dans un premier temps, comme nous l’avons développé plus haut, les discours de Tadao Ando et de l’UNESCO sont proches, et montrent leur désir de mettre l’homme au coeur des problématiques et des enjeux, afin de lui offrir des réponses appropriées et des environnements sains, égalitaires, respectueux, dans lequel il pourra s’épanouir. Cette volonté reflète l’utopie de l’UNESCO de tendre vers un monde de paix, sans conflit, sans inégalité, sans discrimination, et celle de Tadao Ando de permettre à chacun de se réaliser, dans la vie quotidienne, dans un monde sain, connecté à la nature, et de prendre conscience de soi et de ce qui l’entoure. Dans un second temps, grâce à l’architecture, ce projet est le moyen de donner un lieu concret à ces aspirations, ces réflexions, dans un contexte protégé de la réalité, en retrait, parfois même pour s’opposer à cette réalité. C’est ainsi une architecture hétérotopique que Tadao Ando développe au sein du Siège de l’UNESCO. Ces deux temps permettent au discours de Tadao Ando, qu’il travaille depuis le début de sa carrière et qu’il remet en cause dans chaque projet, d’acquérir une dimension universelle à travers l’Espace de méditation de l’UNESCO. En effet, à travers ce projet, des idéaux sont exprimés; d’autant plus que l’espace construit est voué à la méditation, une pratique universelle et qui appuie la réflexion de ces idéaux, et permet d’en prendre conscience. Par ailleurs ce projet constitue une hétérotopie, un contre-espace donc, qui est réel, qui s’inscrit dans la société, mais détient une dimension autre, atemporelle. Un espace présent mais presque conceptuel dans son besoin d’être en marge de son environnement. Enfin c’est la combinaison des rôles de l’UNESCO et de l’architecture de Tadao Ando qui crée cette dimension universelle au projet. C’est-à-dire que par leur association, chacun des discours s’appuie l’un sur l’autre pour plus de pertinence. Le rôle de l’UNESCO tient de son influence internationale sur les questions de la paix, traitées

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Espace de méditation © Jeanne Lambert

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par les domaines comme celui de la culture, de la connaissance, de l’éducation, et qui permettent sa diffusion à l’échelle mondiale, de manière universelle. Le rôle de l’architecture de Tadao Ando est ici d’accueillir un discours universel par sa concrétisation physique. De plus c’est une architecture singulière qui est mise en oeuvre, dans le sens où elle est régie par des principes constructifs clairs, centrés autour et par rapport à l’Homme. Ces principes que théroise l’architecte japonais déjà depuis le début de sa carrière démontrent un raisonnement constant sur l’importance de l’épanouissement de l’homme dans son environnement et sa vie quotidienne. La définition de son architecture est donc basée, à l’échelle de l’individu, sur le désir de créer et offrir une architecture et un système de pensée adaptés à chacun. C’est ainsi dans sa définition de l’architecture que l’on lit une certaine ambition et volonté universelle. C’est pourquoi, nous pouvons parler ici d’universalité d’une pensée, car elle s’exprime dans le dépassement des frontières, par la pensée dans l’utopie, et par l’architecture dans sa concrétisation.

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CONCLUSION

Espace de méditation © Jeanne Lambert

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L’architecture de Tadao Ando est aujourd’hui reconnue dans le monde entier ; elle marque les esprits par sa singularité, sa sobriété, et sa spiritualité. Elle est considérée comme une architecture esthétiquement à part. Le béton, le travail brut de l’espace ainsi que la mise en oeuvre de la lumière sont devenus la marque de fabrique de Tadao Ando. En outre, l’oeuvre de l’architecte japonais est également reconnue pour sa grande constance. C’est une architecture qui en effet évolue naturellement depuis les débuts de sa carrière, mais conserve tout au long de son évolution une grande fidelité par rapport au discours et aux aspirations de Tadao Ando. « Tadao Ando, par sa volonté imperturbable, son acharnement, nous offre aujourd’hui une oeuvre cohérente et riche. C’est là qu’il est exemplaire. Car il ne s’est pas installé dans le confort de ses premières réussites. La maîtrise acquise dans ses programmes simples et quotidiens, il l’applique et la développe maintenant qu’il lui est donné d’aborder le terrain glissant des opérations commerciales52.» En effet, c’est à partir de la fin des années 1980 que Tadao Ando se voit confier des projets de plus grande ampleur, notamment des musées, comme le Musée d’Art Moderne de Fort Worth aux EtatsUnis (1998). Ayant acquis une certaine notoriété grâce à ses multiples maisons japonaises et les théorisations qu’elles illustrent, Tadao Ando construira depuis des programmes de tout type. Cependant dans tous ces projets, sa démarche reste la même, et son architecture est régie par des principes constants, que nous avons eu l’occasion d’étudier dans ce mémoire. L’étude du milieu d’implantation est primordiale pour Ando. Il instaure systématiquement un rapport spécifique entre son architecture et l’environnement extérieur, matérialisé par ces murs linéaires en béton qui définissent les limites, seuils, transitions avec l’extérieur. Il attache aussi une grande importance à l’unité de ses espaces, l’emploi du béton permet une continuité entre sols, plafonds et murs, dans le but de créer un espace inaltéré, rendu vivant par la présence de l’homme. Enfin, s’assurant d’une géométrie pure, il y intègre les éléments naturels que sont l’eau, la lumière et le vent, qui lui confèrent une spiritualité certaine, dans le but d’impacter sur l’homme et ses relations à l’environnement, sa conscience de la nature. 52 Henri Ciriani, art. cité, p 37.

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« A mon avis, il faut repenser les rapports entre architecture et fonction, après avoir assuré les exigences de base. En d’autres termes, je cherche à voir jusqu’à quel point l’architecture peut s’adapter à la fonction puis, une fois ce processus achevé, jusqu’à quel degré elle peut s’en éloigner. Le sens de l’architecture réside dans la distance qui la sépare de la fonction53.» L’espace de méditation de l’UNESCO constitue l’une des plus petites réalisations de l’architecte japonais. Comme nous l’avons vu lors de cette étude, le programme que représente ce projet est assez spécifique, et Tadao Ando choisit d’y répondre de la manière la plus pure et sobre. Cela est montré par le peu d’éléments constitutifs du projet, deux murs - une rampe - un cylindre, qui cependant assurent tous les besoins fonctionnels de l’espace de méditation (transitions, mise à l’écart, progression vers une autre temporalité, émotion, infini). Par ailleurs chacun des ces éléments ainsi que leurs interactions appuient, dans un grand esprit de synthèse, les principes architecturaux de Tadao Ando. L’espace de méditation de l’UNESCO peut par conséquent être considéré comme un projet manifeste de l’oeuvre de l’architecte. Aussi c’est dans un cadre symbolique que le projet est réalisé, celui du cinquantième anniversaire de l’Organisation mondiale pour la paix. C’est l’occasion pour Tadao Ando de concrétiser son désir d’universalité, de créer un lieu pour toutes les cultures, toutes les religions, tous les hommes donc. Par l’architecture, il appuie et diffuse le discours de l’UNESCO pour la paix, il réalise une hétérotopie, c’est-àdire la mise en oeuvre d’un lieu à part, ici propice à la méditation pour la paix, et ainsi propice à une certaine utopie. L’architecture de Tadao Ando acquiert ici par sa force, sa spiritualité et sa simplicité, un vrai caractère universel.

53 Tadao Ando, “Tadao Ando”, Yann Nussaume, op. cit, p 180

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Je tiens à remercier, Estelle Thibault, Guy Lambert, et Jean-Philippe Garric pour m’avoir guidée dans ce travail. Yves, Dominique, Clément, Diane, Mélissa, Chloé, Laura, Camille et Clarisse pour leurs précieux soutiens, conseils et écoutes.


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Plan du niveau haut Š Jeanne Lambert

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ANNEXES

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Plans et coupes de l’Espace de méditation

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Elévation de l’entrée © Jeanne Lambert

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Plan du niveau bas © Jeanne Lambert

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BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES -Le Corbusier, Vers une architecture, Ed. Champs Flammarion, 1924. -Bachelard Gaston, La poétique de l’espace, Ed. Quadrige, 1957. -Tadao Andô – Minimalisme, Ed. Electa Moniteur, 1985 -Nussaume Yann, Tadao Andô et la question du milieu, Ed. Le Moniteur, 1999. -Pare Richard, Couleurs de lumière, Ed. Phaidon, 2000 -Nussaume Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise, ed. OUSIA, 2004. -Furuyama Masao, ANDO, ed. Taschen, 2006. -Auping Michael, Tadao Andô. Du béton et d’autres secrets de l’architecture, ed. L’Arche, 2007. -Zumthor Peter, Penser l’architecture, Ed. Birkhauser, 2007. -Zumthor Peter, Atmosphères, Ed. Birkhauser, 2008. -Nussaume Yann, Tadao Andô, Ed. Hazan, 2009. ARTICLES DE REVUE -Foucault Michel, Dits et écrits 1984 texte 360 “Des espaces autres“ (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. -”Tadao Ando”, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°255, février 1988, pp 23-90 -Henri Ciriani, “Architecture de volonté, volonté d’architecture”, L’Architecture d’aujourd’hui, n°255, février 1988, pp 36-38 -JFP, “Pavillon du Japon”, Techniques et Architectures, n°401, Mai 1992 -Barrière Philippe, “Tadao Ando, L’architecture du moi”, Architecture intérieure CREE, n°253,1993, pp 64-75 -Chaslin François, “Centre de conférence Vitra, Ando en Occident”, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°288, Septembre 1993, pp 50-53 -”Invisible mouvement”, L’Architettura, n°460, Février 1994 -Chirat Sylvie, “Dialogue d’architecte”, Construction moderne, n°79, 1994 -Chirat Sylvie, “Tadao Ando”, Construction moderne, n°85, 1995, pp 2-7 -Mayor Federico, “Cinquante ans après”, Le Courrier de l’UNESCO, Octobre 1995, pp 6-7 -Robichon François, “2001 0dyssée de l’UNESCO, D’Architectures, n°60, Novembre 1995, pp 56-59 -Scoffier Richard, “Espcace de méditation par Tadao Ando”, AMC, n°68, Février 1996, p 17 -Couturier Stéphane, “Peace haven”, The Architectural Review, n°1190, Avril 1996, pp 20-21 MEMOIRE -Petter Yann, L’essence spirituelle du béton au travers du Pavillon de méditation de l’UNESCO, Lausanne, ENAC, 2013 ARCHIVES DE L’UNESCO -Rapport du Comité du siège, 25 Octobre 1995



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