Exposition patrimoniale 2016

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LIVRET D’EXPOSITION

Regards croisés de deux médecins narbonnais PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Joseph Pigassou

Paul Albarel

PHOTOGRAPHIES

JOURNAL DE BORD

sur le front d’ O rient

EXPOSITION DU 17 JUIN AU 17 SEPTEMBRE 2016


Cette exposition a été réalisée avec l’aide précieuse de : Thérèse Malé, donatrice du journal de bord et des photos de Salonique de Paul Albarel, Bernard Maurice, donateur du fond Joseph Pigassou, pour sa disponibilité et le travail passionné qu’il a effectué sur son grand-père Frédérique Tudoret-Puech, pour le transcription du journal de bord de Paul Albarel, et sa connaissance de Salonique d’hier et d’aujourd’hui, Les archives départementales de l’Aude et leur directrice Sylvie Caucanas, pour la numérisation complète du fonds Albarel,

Sommaire

PAGE

Une histoire extraordinaire 3 Paul Albarel 4 Joseph Pigassou 5 Le front d’Orient 6 Les Dardanelles et la campagne de Serbie 7 Salonique, une ville retranchée 10 Le travail de guerre 12 Les temps de repos 14 Promenades dans Salonique 16 L’Orient pittoresque 18 L’Orient rêvé, l’Orient vécu 20 Que sont-ils devenus ? 22


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Une histoire extraordinaire En 1988, la famille de Paul Albarel lègue à la

bibliothèque municipale de Narbonne sa bibliothèque et ses archives personnelles (ses écrits et notes, ses correspondances félibréennes…). En 2014, Thérèse Malé, belle-fille de Paulette, la fille de Paul Albarel complète ce fonds en donnant à la Médiathèque du Grand Narbonne le journal de bord que Paul Albarel écrivit à Salonique toutes les cartes postales qu’il envoya à sa famille et de nombreuses photographies qu’il rapporta de ce front d’Orient. A la suite de ce don, Bernard Maurice contacte la Médiathèque du Grand Narbonne et met en parallèle le destin de Paul Albarel avec celui de Joseph Pigassou, son grand-père. Il décide alors de donner l’ensemble des plaques de verre et des tirages de son aïeul, rapportés de Grèce à l’issue de la Première Guerre mondiale puis de nombreux papiers personnels et quelques dessins et aquarelles, afin de constituer un fonds complet et cohérent. Ces deux médecins narbonnais, qui ne se connaissent pas personnellement, auront des destins similaires: embarquant séparément pour Salonique en octobre 1915, ils s’y rencontrent par hasard fin décembre 1915 et rentreront ensemble en France en juin 1917.

Paul Albarel

Joseph Pigassou

Paul Albarel écrit, Joseph Pigassou photographie. Ils prennent l’habitude, lors de leur temps de repos, de déambuler dans Salonique et d’y découvrir les différents quartiers de cette cité cosmopolite. Dans le cadre des commémorations du Centenaire 14-18, ces deux fonds exceptionnels et complémentaires méritent aujourd’hui d’être mis en lumière à travers une exposition qui propose d’évoquer cette guerre méconnue et lointaine.


Paul Albarel Paul Albarel est né à Saint-André-de-Roquelongue, près de Narbonne le 12 décembre 1873 d’un père charron. Après des études au Petit Séminaire de Narbonne (qui deviendra le collège Beauséjour) et sa réussite au baccalauréat, il part à Montpellier à la faculté de médecine où il soutient sa thèse sur « la pathogénie du rachitisme » à l’âge de vingt-deux ans. D’abord médecin à Carcassonne, il ouvre vite un cabinet dans son village natal. En 1899, il épouse Lucie Agel de Névian où il s’installe alors. Il a trois filles : Marthe née en 1901, Paule (dite Paulette) née en 1905 et Madeleine née en 1907. Enfant, Paul Albarel s’exprime déjà en occitan, selon les désirs de son père. Au début du XXe siècle, il commence à rédiger et à publier des

poèmes, pièces et autres farces en langue occitane (« Vivo lou vi » farce en vers narbonnais, 1904). La même année, il est élu mainteneur du Félibrige, puis devient maître en Gai Savoir (reconnu pour ses mérites littéraires) en 1911. Avec ses amis félibres, il crée en 1911 la revue artistique et littéraire la Cigalo narbouneso. Au début de la Première Guerre mondiale, Paul Albarel est mobilisé. Nommé le 21 août 1914 médecin aide-major à l’hôpital temporaire n°40 de Narbonne (Ecole Arago, avenue des Pyrénées), il reçoit ensuite le 1er octobre 1915 (effectif le 3 octobre), son ordre de départ pour l’Armée d’Orient.


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Joseph Pigassou Joseph Pigassou est né à Narbonne, le 14 août 1878. Son père, marchand de nouveautés et drapier, se lancera dans les années 1880 dans la viticulture et la vinification. Joseph Pigassou étudie au Petit Séminaire de Narbonne, tout en commençant à dessiner quelques aquarelles et dessins à la plume ou à la mine. Il a 14 ans. Il expose en 1895 à l’Arsenal de Narbonne, comme élève de Lina Bill. Après son baccalauréat obtenu en 1896, il part étudier à la faculté des sciences de Toulouse et obtient son Certificat d’Études Physiques, chimiques et naturelles en 1897. Il continue à peindre à l’huile des natures mortes et des paysages En raison de ses études de médecine, il est dispensé du service militaire qu’il n’effectuera qu’en 1899 et 1900 à Narbonne, Antibes puis Castelnaudary. En 1903, il fait son internat à l’hôpital de Tunis

et présente à Toulouse sa thèse de médecine en 1905 « Contribution à l’étude des affections gastro-intestinales climatiques en Tunisie ». Il s’installe comme médecin à Mateur en Tunisie et y reste jusqu’en 1912. C’est en Tunisie qu’il commence à photographier des paysages et des personnages. Il rentre en France en 1912 et s’installe au 6 quai Victor Hugo à Narbonne comme stomatologue. Mobilisé en août 1914, il est affecté en octobre 1914 comme médecin aide-major à l’hôpital militaire d’Orléanville (Algérie). Puis le 8 mai 1915, il embarque pour les Dardanelles. Après l’échec de cette bataille, Joseph Pigassou débarque à Salonique le 6 octobre 1915.


Le front d’Orient Au gré de leur histoire, à la suite d’héritages anciens, les pays Balkaniques (Grèce, Roumanie, Serbie, Croatie, Bosnie, Slovénie…) ont la particularité de mêler diverses cultures, peuples, religions et langues. Très tôt des questions de nationalisme émergent dans ces pays. De plus, depuis leur conquête par les Ottomans au Moyen-Âge et en raison de leur situation stratégique en Europe, les Balkans ont suscité pendant des siècles la convoitise de certaines nations : l’empire russe dès le XVIIIe siècle, les Autrichiens au XIXe siècle puis plus récemment, les Français et les Anglais lorgnent aussi sur cette région. En 1908, l’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine. Au cours du XIXe siècle, plusieurs pays montrent des velléités d’indépendance et ces divers traités et partages affaiblissent l’empire turc qui devient l’adversaire premier des peuples balkaniques. En octobre 1912, la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie et la Grèce attaquent l’empire turc déjà en déclin. Les Grecs s’emparent de Salonique et les vainqueurs se partagent la Macédoine. Cette première guerre balkanique est suivie rapidement d’une seconde : la Bulgarie, la Serbie et la Grèce se disputent la Macédoine. Ce dernier conflit sera le prélude à la Grande Guerre. D’un côté, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie soutiennent la Turquie et la Bulgarie ; de l’autre, la France, l’Angleterre, la Russie (associées déjà par la Triple Entente) et l’Italie soutiennent la Serbie, alors que la Grèce et la Roumanie (affaiblie suite à la Seconde guerre balkanique) restent neutres. Le 28 juin 1914, en visite à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire austro-hongrois est assassiné avec son épouse par un militant serbe. Cette mort émeut l’opinion publique européenne dans un premier temps, mais très vite, les tensions apparaissent et un mois après, le 28 juillet, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Aussitôt, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, puis le 3 août à la France. Les troupes allemandes envahissent la Belgique puis la France.


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Les Dardanelles et la campagne de Serbie Au début du conflit mondial, Winston Churchill, alors premier lord de l’Amirauté britannique, propose de lancer une expédition alliée par le détroit des Dardanelles, dans le but d’attaquer Constantinople ; l’accès libre du détroit aurait permis aux alliés de ravitailler la Russie par la mer Noire et d’encercler l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Après une première expédition maritime en février et mars 1915, un débarquement terrestre est lancé en avril sur la presqu’île de Gallipoli. Parti d’Orléansville (Algérie), Joseph Pigassou est désigné le 14 mars 1915 pour le Corps Expéditionnaire d’Orient. Il embarque le 9 mai à Bizerte à bord du paquebot «la Provence» et débarque le 13 mai sur la plage de Seddulbähir. Les troupes alliées resteront sous le feu ottoman sur les plages pendant des semaines. Les Turcs résistent, une véritable guerre des tranchées s’engage…

Une tranchée dans les Dardanelles


Dans ces conditions difficiles et face à cet échec, l’évacuation des Dardanelles est entreprise à partir d’octobre 1915, et la majeure partie des troupes est envoyée alors à Salonique, au secours de la Serbie… La Serbie est attaquée dès août 1914 par les Austro-Hongrois ; après une contre-offensive serbe en décembre 1914, l’armée serbe en sort épuisée, comptant de nombreux blessés et malades suite à une épidémie de typhus. En octobre 1915, une nouvelle offensive est lancée par les Austro-Hongrois, soutenus au nord par les Allemands et au sud par les Bulgares. Revenue des Dardanelles, une partie des troupes françaises et anglaises débarque à Salonique dès le 5 octobre 1915 ; le général Sarrail est nommé commandant en chef de cette « armée de Salonique » (constituée seulement de 3 divisions), avec pour mission de soutenir les Serbes.

Le corps expéditionnaire tente de remonter le cours du Vardar pour venir en aide aux troupes serbes pour qu’elles ne soient pas encerclées et puissent au pire des cas évacuer vers Salonique. A ce moment, Joseph Pigassou est envoyé avec son régiment (le 175e) en Macédoine et participe aux combats de Stroumitza (octobre 15), ou encore Demir-Kapou et Doiran (décembre). Pendant cette offensive, Paul Albarel, arrivé en octobre à Salonique, a pour mission de monter en train sanitaire, récupérer les blessés et les malades et les rapatrier sur Salonique. Finalement, les Serbes sont rapidement acculés et poussés hors de leurs frontières. S’ensuit alors un exode massif et douloureux de millions de Serbes sur les routes.

Un campement en Serbie


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Dr Pigassou devant sa tente

Face à la résistance bulgare, le général Sarrail ordonne finalement le repli des alliés et instaure le camp retranché de Salonique à partir de décembre 1915. Le 31 décembre 1915, Paul Albarel rencontre à Salonique Joseph Pigassou, qui doit alors partir en permission en France.


Salonique, une ville retranchée A partir de décembre 1915, suite à la débâcle serbe face aux Bulgares, l’armée alliée se retranche à Salonique, sous les ordres du général Sarrail et le camp de Zeitenlick, sur les hauteurs de la ville, devient une véritable place forte entourée de tranchées. En l’espace de quelques mois, plus de 200 000 hommes des armées française et anglaise se replient sur la ville et une intendance militaire installe dans ses environs hôpitaux, campements, aérodromes. Les Alliés restent à Salonique pour préserver un périmètre de sécurité autour du port et dissuader les Grecs et les Roumains, alors neutres, d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne et de la Turquie. Quelques temps après, les troupes alliées se voient renforcées par des contingents serbes, puis russes et italiens. Après leur déroute en décembre 1915, les Serbes sont évacués sur l’île de Corfou. Puis après avoir été soignés, habillés et armés par les Français, ils regagnent Salonique. Au total, près de 400 000 hommes sont cantonnés dans la ville.

Débarquement de matériel à Salonique Régulièrement approvisionné, Salonique devient un front secondaire. Y sont soignés essentiellement des malades provenant du front, touchés par la dysenterie, le scorbut et surtout le paludisme. 95 % des soldats en Serbie et en Grèce sont atteints de maladies entre 1915 et 1918. Début 1916, la ville est souvent sujette à des attaques allemandes aériennes, nocturnes la plupart du temps et qui provoquent de violents incendies.

Aéroplane allemand exposé dans la ville


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Bombardement sur Salonique

Carcasse d’un zeppelin abattu devant la Tour Blanche Suite à une manoeuvre bulgare durant l’été 1916, les Français partent à l’offensive et reprennent la ville de Florina en septembre puis Monastir en novembre aux côtés des Serbes ; les Alliés tentent de maintenir leur position dans la région. A partir de 1917, dès que la Grèce entre en guerre aux côtés des Anglais, le front de Salonique change de rôle et sa position devient plus stratégique. De nouvelles offensives sont lancées en 1918 vers le nord et la Serbie occupée. Au total, près de 300 000 Français ont combattu sur ce front d’Orient et 50 000 n’en sont jamais revenus. Ces hommes que Clémenceau a appelés avec mépris « les jardiniers de Salonique » ne sont rentrés en France pour les derniers qu’en mars 1919.


Le travail de guerre A son arrivée à Salonique, Paul Albarel est envoyé au nord à Guevgueli « une petite ville de Serbie pas très éloignée de Salonique, pas très peuplée » à une vingtaine de kilomètres du front. S’y trouvent déjà plusieurs hôpitaux. A cette époque, les médecins sont confrontés plus à des hommes malades, quelquefois touchés par des épidémies (typhus, paludisme… ) qu’à des blessures de guerre : « on nous annonce un convoi de 26 blessés et malades…il y a 24 malades et 2 blessés… ». Face à la débâcle serbe, en novembre 1915, les médecins français ont ordre de rentrer sur Salonique et s’installent à l’hôpital d’évacuation n°1. Le travail s’organise autour des tours de garde effectués à tour de rôle par chaque médecin pendant 24 heures. L’officier de garde est chargé d’évacuer les blessés soit dans les différents hôpitaux de la ville, soit sur un navire-hôpital dans la rade. Des automobiles sanitaires font les trajets.

Tente d’ambulance

Infirmière à Salonique


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L’ancienne cuisine de l’hôpital

Paul Albarel est chargé également d’aller chercher par train sanitaire les blessés et malades sur le front au nord. Outre le froid et l’inconfort des wagons, il souffre rapidement de fatigue et du manque de sommeil. C’est dans ces moments que l’officier est au plus près du front et qu’il se retrouve « sous les feux des canons, mitrailleuses et fusils ». Plus tard, en 1916, l’organisation est légèrement modifiée et Paul Albarel sera attaché à l’hôpital d’évacuation pour des gardes de 24 heures chacune. Les officiers se chargent de louer eux-mêmes leur maison et de gérer leur intendance (via «le popotier»). Chaque médecin, grâce à sa solde (16, 50 francs par jour) doit s’occuper de son propre équipement (drap, couverture, chemises…). L’été, les médecins s’installent dans des baraques entourées de jardins et de potagers.

Heure de la consultation


Les temps de repos A côté de ses devoirs militaires et médicaux, Paul Albarel consacre une grande partie de son temps à l’écriture. Il rédige tous les jours son journal de route qu’il envoie régulièrement à sa femme. Il y consigne toutes ses activités quotidiennes et ses réflexions à propos de l’Orient. Il continue à produire des œuvres personnelles : des pièces, des poésies et des chansons. Il correspond avec ses amis du Félibrige, à qui il envoie divers écrits et des poèmes relatant ses impressions sur Salonique. Lorsqu’il n’est pas de garde, les soirées se passent dans une agréable routine : lecture, causeries et parties de cartes. Les officiers fréquentent pour l’essentiel leurs confrères et quelques compatriotes. Il y a peu de contact avec la population locale. Un médecin du groupe, chargé de l’intendance, est désigné « chef de la popote ou popotier » et s’occupe principalement des provisions. Il est secondé par un cuisinier. Pour le moral des officiers, l’équipe prend l’habitude de recevoir des convives et de les régaler par de somptueux repas.

Un moment de détente

Tout occasion est bonne (comme la remise de la croix de la Légion d’honneur au docteur Corbel) pour partager des moments festifs et des repas de gala : hors d’œuvres variés, bouillabaisse, pigeonneaux farcis, artichauts farcis, galantine de volaille, aspic de foie gras, gâteau aux pêches et à la confiture d’abricots, dessert varié, vin ordinaire - Sauterne –Muscat – Champagne, café.


15 Paul Albarel en conclut …« Avec ces menus on peut faire la campagne d’Orient sans trop s’en ressentir. Et tous les jours, à quelque chose près, c’est pareil. Décidément il faudra dire au Général Sarrail de donner la croix de guerre à notre popotier. » Parmi les sorties, le cinéma occupe une place de choix : « Après souper on sort pour aller à un autre cinéma… Jamais de ma vie, je ne passerai autant de temps au cinéma… » Les officiers apprécient énormément les concerts variés proposés par les « cliques » française et étrangères au pied de la Tour Blanche, et tout autant les rares soirées mondaines. Néanmoins, ces quelques soirées au théâtre, genre café-concert, ne compensent pas une certaine lassitude et un grand manque familial ressentis par les hommes.

Défilé des musiques étrangères Le cuisinier de la « popote »

Officiers à Salonique


Les officiers entourés d’enfants

Promenades dans Salonique Dès leur installation à Salonique, la promenade devient un rituel immuable pour les officiers. A partir de février 1916, Paul Albarel et Joseph Pigassou se rapprochent : «Après déjeuner nous allons avec Senty rejoindre le Dr Pigassou…» Paul Albarel profite de ses sorties pour acheter des produits locaux et artisanaux pour lui et sa famille : « En rentrant, j’achète trois boîtes de loucoumes pour les petites gourmandes de Névian… » Il sort par tous les temps, visite des monuments, découvre les mœurs et coutumes.

Vue générale de Salonique avec au fond la ville haute et ses remparts

La ville haute


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Eglise du prophète Elie transformée en mosquée, « mosquée du palais » dont le minaret fut touché par un obus bulgare en 1915

La tour Trigoniou au cœur des remparts construite pendant la brève occupation vénitienne au XVe siècle


L’Orient pittoresque Paul Albarel, comme beaucoup de ses compatriotes, apprécie le pittoresque de l’Orient qu’il relève au fil de ses déambulations. Il décrit ainsi avec force détails les petits métiers rencontrés… Il y croise aussi des vendeurs de limonades, de loucoumes, ou même d’huile d’olive….

Tenue traditonnelle des juifs

« A noter aussi les boîtes des cireurs qui sont de vrais ouvrages d’art j’en ai vu une en marqueterie, toutes ne sont pas ainsi mais il y en a certaines qui sont vraiment jolies ». Cette ville, hellénisée en 1912 après quatre siècles de loi ottomane, regroupe une population d’origines et de confessions diverses. A la veille du premier conflit mondial, il est vrai de dire que « Salonique est une ville grecque par son origine historique, juive par sa population, turque par son pouvoir politique ». Au fil de leurs promenades, Paul Albarel et Joseph Pigassou rencontrent « quelques types extraordinaires » : les Juifs, les plus nombreux « se reconnaissent facilement ils portent de longues robes, de longues barbes blanches…». Les Musulmans « portent le costume d’Orient avec une longue robe, cela nous parait bizarre ».


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Les Grecs portent une tenue « assez cocasse » et sont étroitement associés à « la figure imposante…celle d’un pope » qui marque beaucoup Paul Albarel : « on en rencontre beaucoup, tous ont de longs cheveux et une barbe immense. Ils portent tous une robe noire ressemblant à notre soutane et sont coiffés d’un tuyau de poêle… » A travers ses photographies, Joseph Pigassou s’attache à saisir la simplicité des scènes du quotidien et l’authenticité de la population cosmopolite qui peuple Salonique. Loin du pittoresque, il nous fait découvrir des instantanés d’une réalité qui est en train de changer à jamais… Ces « fragments d’Orient », qui renforcent les représentations stéréotypées, témoignent d’une rencontre qui à l’évidence, n’a pas eu lieu entre l’Orient attendu et l’Orient rencontré.


L’Orient rêvé, l’Orient vécu L’image anticipée de Salonique ne correspond pas à la réalité que découvre Paul Albarel lors de son arrivée en Grèce. Une déception s’installe lorsqu’il débarque avec ses compagnons. Comme beaucoup de ses compatriotes, il s’attendait en effet, à découvrir « l’Orient, région éclatante, où le soleil est beau comme un roi dans sa tente ! », chanté par Victor Hugo et il se sent profondément frustré lorsque « le soleil ne veut pas apparaître ». Les conditions climatologiques extrêmes ne correspondent pas à la vision fantasmée et sublimée, hors des contingences matérielles, que Paul Albarel, comme beaucoup de ses collègues officiers, nourris de littérature orientaliste, avait de l’Orient.

La description de la vieille ville, autrement dit les quartiers orientaux, témoigne de cette déception : « plus on monte, plus on entre dans la ville lépreuse. Il y a des taudis sordides où grouille une population sale, déguenillée, dégoûtante ».


21 C’est la même frustration lorsqu’il va « patauger dans la boue et constater une fois de plus la véracité du jeu de mots qui est à la mode ; on appelle en effet Salonique sale unique ». Finalement, l’Orient acceptable est celui qui correspond aux critères européens. C’est ainsi que Paul Albarel apprécie « la nouvelle ville… où on découvre de jolies villas avec des arbres, la grande rue de Salonique, la rue Venizelos où il y a des magasins superbes... ». C’est la même désillusion qui s’exprime lorsque Paul Albarel traverse la ville et décrit la population rencontrée, loin des Odalisques de Delacroix et de l’Aziyadé de Loti. C’est ainsi qu’il en arrive à ce jugement terrible, à la mesure de sa déception : « Il est vrai…que ce peuple a bien baissé dans mon estime. Je crois que cette impression sera rapportée par tous ceux qui auront fait la campagne d’Orient. J’ai d’ailleurs noté ma façon de penser à ce sujet dans une ode en languedocien que j’ai intitulée : Désillusion ». Paul Albarel témoigne ainsi au fil des pages de cette déception partagée par un grand nombre d’officiers de l’Armée d’Orient qui, nourris de références littéraires et historiques, ont débarqué à Salonique, à la recherche des charmes d’un Orient imaginaire qui ne résistera pas à l’épreuve de la réalité.


Que sont-ils devenus ? Rentré fin juin 1917 en France, Paul Albarel termine la guerre à l’hôpital complémentaire n°12 de Castelnaudary. Il est démobilisé le 1er janvier 1919 et vient s’installer à Narbonne, rue du Lieutenant-Colonel Deymes. Tout en exerçant son métier de médecin, il poursuit, dès son retour à Narbonne, ses activités au sein du Félibrige et est élu Majoral du Félibrige par le Consistoire de Marseille en juillet 1918. Il continue à publier de nombreuses œuvres occitanes, tout en gérant la parution de la revue « la Cigalo Narbouneso ».

En 1923, il organise l’inauguration du boulevard Frédéric Mistral à Narbonne et les fêtes somptueuses en l’honneur du félibre provençal. Il disparaît le 15 juillet 1929 à Montpellier, des suites d’une intervention chirurgicale. Il a alors 55 ans.


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Joseph Pigassou rentre en France en même temps que Paul Albarel à bord de l’ « Odessa », le 23 juin 1917. Il est aussitôt affecté à La Salvetat-sur-Agoût (Hérault) puis en décembre 1917 au 142e régiment d’infanterie à Mende puis Lodève. Le 19 mars 1918, il épouse Marguerite Augé de Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne) avec qui il aura quatre enfants : Paul en 1919, Janine en 1920, Lucienne en 1923 et Jean en 1939. Il est enfin affecté en août 1918 est au 19e escadron du Train, 28e compagnie chargée de l’évacuation des métaux sur le front de la Somme, avant d’être démobilisé le 5 février 1919. Joseph Pigassou s’installe alors à Narbonne avec sa famille au 7 quai Victor Hugo où il exerce son métier de stomatologue. En 1932, il est décoré de la Légion d’Honneur et nommé au grade de chevalier pour son action en Tunisie, avantguerre, dans la lutte contre les épidémies. A cette époque, Joseph Pigassou abandonne quasiment la photographie au profit de la peinture et de l’aquarelle. Son œuvre sera grandement influencée par le frère de sa tante Arsène, l’artiste gruissanais Louis Bonnot dit Lina Bill. En 1939, il quitte Narbonne avec sa famille et part s’installer à Mas-Grenier, sur les terres de son épouse Marguerite.

Il y décède le 27 septembre 1961 à l’âge de 83 ans. Finalement, Paul Albarel et Joseph Pigassou resteront très liés puisqu’après-guerre, Madeleine Albarel sa fille cadette épousera Emile Augé, le beau-frère de Joseph Pigassou…


HORAIRES D’OUVERTURE

Mardi, mercredi, jeudi et samedi de 10h à 18h Vendredi de 10h à 20h Horaires d’été (du 1er juillet au 31 août) Du mardi au vendredi de 9h à 16h Samedi de 9h à 13h

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