Rapport de PFE 2020 Lara El Kurdi

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ALIGNER LE PAYSAGE

Comment habiter l’épaisseur de la ligne?

Lara El Kurdi Rapport de PFE Sous la direction d’Emmanuelle Sarrazin et Cyrille Faivre-Aublin DE1 Alto « Habiter le paysage » Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de Seine Septembre 2020



REMERCIEMENTS

J’adresse mes sincères remerciements aux professeurs encadrants de ce projet de fin d’études, Cyrille Faivre Aublin et Emmanuelle Sarrazin. Leurs conseils avisés, leur soutien tout au long du semestre ainsi que leur patience quant à des conditions de travail particulières m’ont permis de mener à bien ce travail et je leur exprime toute ma gratitude. Je souhaite remercier également Pierre-Louis Faloci et Renato Magginetti dont les critiques toujours pertinentes ont pu m’accompagner tout au long de l’élaboration de ce projet. Je suis reconnaissante envers l’ensemble des professeurs du domaine d’étude Alto qui ont su, tout au long de mon cursus, cultiver toujours plus ma curiosité pour l’architecture et m’initier à une approche sensible de la recherche projectuelle. Enfin, je remercie l’ensemble de ma famille ainsi que mes proches amis pour leur soutien inestimable durant ces années d’études. J’apprécie sincèrement leur éternelle patience.



SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

1 APPRÉHENDER LE TERRITOIRE 1 Le Havre, une ouverture sur la mer

2 Sainte-Adresse, en balcon sur la mer

2 PROJETER UNE LIGNE TERRITORIALE 1 La ligne théorique

2 Une ligne dans le paysage

3 LA RÉPONSE ARCHITECTURALE 1 Zone d’intervention, les enjeux du site 2 Les intentions architecturales

CONCLUSION

ANNEXES


Photographie personnelle des falaises de Sainte-Adresse

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AVANT-PROPOS

Le choix de la structure de projet proposée par le domaine d’étude Alto, « Capolavori 3 : Habiter le paysage » encadrée par Emmanuelle Sarrazin et Cyrille Faivre Aublin me permet de poser la question du rapport entre architecture et paysage au coeur du processus de conception du projet. En effet, l’enseignement qui y est dispensé pose pour question fondamentale la réversibilité de l’incidence entre architecture et paysage. Le projet de fin d’études me permet ainsi d’expérimenter la manière dont l’édifice peut construire le paysage, et inversement la capacité du paysage à entrer à l’intérieur de l’édifice. Habiter le paysage, c’est alors comprendre les problématiques que soulève un territoire, et considérer le paysage observé comme élément constructif de la réflexion du projet. L’interpénétration de différentes échelles (l’édifice, le site urbain, le territoire, le paysage lointain) se retrouve alors au coeur du processus de conception : la méthode de travail suivie pour ce projet de fin d’études s’est donc appuyée sur une dynamique de croisements d’échelles propices au projet, afin de comprendre l’importance du paysage au sein de celui-ci à chaque étape de son élaboration.

A l’aube de cette recherche projectuelle, observer le travail des Land artistes m’a permis de constituer une première approche du paysage dans la mesure où le Land Art interroge la relation entre l’art et la nature au sein de ses oeuvres depuis le XXème siècle. L’art est alors exporté hors de la sphère muséale et pose ainsi la question du rapport de l’Homme avec le paysage. L’oeuvre de Land Art est à la fois l’action de l’artiste dans la nature, et le paysage lui même, dans sa forme altérée. L’oeuvre fait alors surgir la notion de trace au sein de la relation artiste-paysage. Le rapport au sol, même éphémère, qu’entretient l’artiste avec le paysage est de ce fait essentiel à son oeuvre et cette première problématique sous-jacente est ainsi un élément fondamental dans le projet de fin d’études que j’ai pu mener.

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Photographie de «Broken Circle», 1971, Emmen aux Pays-Bas © Robert Smithson

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L’oeuvre de Robert Smithson, Broken Circle, souligne l’importance de la trace laissée par l’Homme dans le paysage de par la dimension éphémère de celle-ci. L’artiste affirme que l’importance de l’oeuvre tient en grande partie en l’interaction qu’elle subit vis-à-vis du paysage entropique. L’action dégénérescente du temps sur l’oeuvre fait partie du travail voulu par l’artiste et la dimension temporelle devient alors un élément essentiel dans le rapport entre l’Homme et le paysage. Afin d’étudier l’importance du paysage dans la conception architecturale, j’ai fait le choix d’un site au paysage particulier, que sont les falaises de la commune de Sainte-Adresse. En balcon sur la Manche, en hauteur de la ville portuaire du Havre, Sainte-Adresse soulève de nombreuses questions relatives à l’insertion du projet dans le paysage. De plus, le groupe de projet « Capolavori 3 : Habiter le paysage » propose de travailler sur la ville du Havre, et de nombreux camarades ont ainsi choisi leurs sites au sein de la ville. De ce fait, travailler sur les hauteurs de Sainte-Adresse m’a permis de penser un projet en résonance avec la ville basse du Havre et de créer un lien territorial entre les deux communes, en relation avec les projets réalisés par d’autres étudiants.

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1 - Elisabeth Pénicaud 2 - Lara El Kurdi 3 - Yohann Fouchy 4 - Sidney Lathuille 5 - Victoire Bergey 6 - Sacha Luisada 7 - Camille Bouniol 8 - Simon Valero 9- Thomas Gorréguès 10 - Yong Zhang 11- Brian Hocquet

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INTRODUCTION Les falaises rocheuses de Sainte-Adresse culminent au dessus de la Manche, tel un phare rayonnant, premier signal de l’embouchure de la Seine sur le territoire français. Les hauteurs de la commune viennent protéger la ville basse du Havre, et se positionnent en résonance avec les falaises voisines de Trouville, de l’autre côté de la ville portuaire. Sainte-Adresse s’élève à plus de 100 mètres au dessus de la Manche et la brutalité de la topographie vient alors poser la question de la limite. Les éléments naturels constituant le paysage des falaises de Sainte-Adresse s’affrontent : la falaise abrupte touche l’eau de la mer qui se jette sur les rochers en ses pieds. Le paysage particulier de Sainte-Adresse pose ainsi la question de la limite, non seulement quant aux éléments naturels de celui-ci mais aussi dans le rapport entre la limite urbaine de la ville et la nature intouchée de la falaise. On pourrait se demander où se trouve la limite de cette urbanité. Le paysage naturel constituerait-il une limite à l’étalement urbain que connaît Sainte-Adresse? Le paysage urbain est-il en voie à s’étendre sur le paysage naturel ? Le site que j’ai retenu pour ce projet de fin d’études se trouve sur le Cap de la Hève, plateau en lisière de la commune de Sainte-Adresse, en contact direct avec les falaises de la ville. Le plateau rassemble la majeur partie des grands équipements de la ville tels que des équipements scolaires, ou encore sportifs. Afin de comprendre la complexité du paysage de Sainte-Adresse, je me suis rapidement posée la question du sol du Cap de la Hève. En effet, la composition du sol permet de comprendre le caractère fragile de ce paysage qui apparaît pourtant aux premiers abords comme massif et imposant. La constitution de la roche des falaises présente des éléments fragiles conférant au site une exposition d’érosion relativement importante. La falaise est un élément en constante évolution avec le temps, qui nous rappelle directement à la notion d’entropie évoquée auparavant dans les travaux de Robert Smithson. Je tenterai donc dans ce travail projectuel de prendre en compte cette action du temps sur le paysage et de chercher une réponse architecturale à l’érosion de la falaise.

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Photographie personnelle des falaises de Sainte-Adresse

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Enfin, le paysage de Sainte-Adresse aux allures abruptes de par ses imposantes falaises me fait me poser la question de l’intervention architecturale en son sein comme objet contenant de l’urbanité et comme manifestation plus ou moins visibles dans le paysage naturel des falaises. Je choisi d’appréhender le paysage de la ville de Sainte-Adresse en commun avec deux étudiants du groupe de projet « Capolavori 3 : Habiter le paysage » afin de construire le paysage en relation avec nos trois périmètres d’intervention sur le territoire. Conduire une approche générale du territoire en groupe nous a amenés à projeter une forme urbaine commune posant les questions primordiales du rapport de l’architecture à la limite de la falaise, et de son rapport au sol rocheux du Cap. Je préciserai par la suite le cheminement de pensée qui s’est effectué tout au long de ce semestre quant à l’élaboration de cette intervention territoriale commune, ainsi que la réflexion théorique qui nous a accompagné tout au long du processus de conception architectural. Le projet de fin d’études tente de répondre aux interrogations soulevées par la géométrie de la ligne, et de faire entrer le paysage au coeur de cette ligne habitée. Dans cette recherche par le projet, habiter le paysage revient finalement à se poser la question de comment habiter la ligne.

Comment habiter l’épaisseur de la ligne? Le projet de fin d’étude propose ainsi l’implantation d’une école de danse linéaire et d’un ensemble de logements étudiants et d’une médiathèque de quartier aux abords de la limite de la falaise du Cap de la Hève. Ce rapport prétend dans un premier temps à traduire la compréhension que j’ai pu conduire des enjeux du territoire de Sainte-Adresse, pour ensuite présenter les hypothèses d’approches en groupe de ce territoire et enfin montrer l’évolution de la réponse architecturale proposée répondant à la problématique posée.

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APPRÉHENDER LE TERRITOIRE

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Le Havre

Rouen

SchĂŠma personnel, les relations entre Le Havre, Rouen et Paris de par la Seine

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Paris

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SchÊma personnel, carte de situation de la ville du Havre Š Yohann Fouchy

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1 LE HAVRE, UNE OUVERTURE SUR LA MER « Paris, Rouen, Le Havre, une seule ville dont la Seine est la grande rue », Napoléon Bonaparte lors de sa visite au Havre en 1802

L’appel à projet « Réinventer la Seine » lancé en 2016 propose de créer une liaison urbaine entre trois villes longeant la Seine, Le Havre, Rouen et Paris. L’ambition du concours est de redynamiser l’axe économique social et culturel de la Vallée de la Seine et d’imaginer une possible future extension de l’activité de ces villes vers l’ouverture maritime que propose le Havre grâce à son port particulièrement important sur la scène européenne et internationale. En outre, il apparait indispensable de penser cette ouverture quant à la ville de Paris, capitale rayonnante mais ne présentant aucun accès immédiat à la mer. Ce projet permettrait alors de conférer à la capitale une puissance maritime importante par le biais du port du Havre. La ville du Havre est aujourd’hui le premier port français en matière de commerce extérieur et de trafic de conteneurs. La ville endosse ainsi, de par sa situation géographique privilégiée, une place stratégique au sein des relations entre la France et l’ensemble des pays européens. La ville se positionne en interface entre le territoire français et le reste du monde, de par de nombreux axes maritimes qui passe par le port du Havre. La ville dessert en effet plus de 500 port dans le monde, dont plus de la moitié se trouvent en Asie. Mais le port du Havre ne rayonne pas uniquement de par les nombreux flux de marchandises y passant, mais aussi grâce à sa notoriété en termes de croisières touristiques. Le Havre est effectivement le premier port de croisière français en Manche-Atlantique. La popularité du port pour les touristes s’explique de par sa proximité avec la ville de Paris. Actuellement, la distance qui sépare Le Havre de Paris est de 2h15 en TGV et 2H30 en bus via l’autoroute. Là encore le chemin ouvert par Le Havre vers Paris parait alors évident.

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Carte du Havre en 1530, source inconnue

Carte du Havre en 1947, source inconnue

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Le Havre est fondé en 1517 par François Ier avec comme intention d’en faire le premier port militaire français. La ville revêt alors une fonction de forteresse, pour protéger le port d’éventuelles attaques. L’activité commerciale prospère du port engendre dès lors le déclin progressif de sa fonction militaire et l’expansion de la ville. La Révolution Industrielle et le négoce des matières premières permettent au Havre de devenir l’un des ports les plus importants de France. La ville devient une ligne maritime phare reliant l’Europe aux États-Unis avec l’accueil des bateaux de croisière comme la France. Au début du XXème siècle, le Havre est alors une station balnéaire réputée attirant la haute société française et européenne. Cette activité touristique entraîne l’urbanisation des fronts de mer. Le paysage de la ville attire les artistes impressionnistes qui y trouvent une source d’inspiration importante, comme peuvent en témoigner les peintures de Claude Monet dont le célèbre « Impression soleil levant » de 1872. Mais cette période d’âge d’or prend fin avec le début de la Première Guerre mondiale qui vient modifier le paysage de la ville considérablement. En effet 150 hectares de son centre urbain sont détruits par la guerre et doivent par la suite être reconstruits. S’ensuit donc une période de reconstruction du centre-ville menée par l’architecte Auguste Perret. Ce dernier propose un plan de ville tramé et orthogonal et privilégie le béton armé pour la construction de nouveaux édifices. La pensée rationnelle et organisée de ce nouveau centre urbain ainsi que l’utilisation du principe de préfabrication permettent une reconstruction de la ville rapide tout en lui conférant une nouvelle image de ville moderne. Le Havre retrouve alors son activité prospère grâce à la reprise de ses activités commerciales portuaires, et le développement des industries du pétrole, de la chimie et de l’automobile.

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Le Havre Sainte-Adresse

SchĂŠma personnel de la dĂŠlimitation entre la ville haute et basse du Havre, et distinction de la commune de Sainte-Adresse

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Le relief de la ville du Havre admet une certaine délimitation entre une Ville basse, en relation directe avec l’eau de la Manche et le port, et une Ville haute, qui constitue l’urbanité habitant la pente au Nord du quartier historique. Les deux plateaux sont reliés par un funiculaire et par 89 escaliers. Le plateau haut concentre aujourd’hui plus de 62% de la population havraise dans un ensemble de villas et maisons, souvent cernées de parcs et forêts. Il bénéficie ainsi d’un point de vue panoramique sur la ville basse, le port et le paysage maritime lointain. La commune de Sainte-Adresse, enclavée entre la ville haute du Havre et la Manche s’oppose au Havre de par son relief important. Elle entretient ainsi un autre rapport à l’eau, dont elle s’élève de plus de 100 mètres par ses falaises de craie.

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Photographie aÊrienne de Sainte-Adresse, Š Google Earth

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Gravure de Sainte-Adresse vue depuis le Havre, datant du 19ème siècle, artiste inconnu

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2 SAINTE-ADRESSE, EN BALCON SUR LA MER Sainte-Adresse subit une rupture significative avec la ville basse du Havre de par l’importance de sa topographie et essuie de ce fait une rupture qui se veut finalement aussi sociale: bien qu’elle ait dans le passé profité du rayonnement économique et culturel du Havre, Sainte-Adresse connaît aujourd’hui une situation de mise à distance vis-a-vis de la ville portuaire. La commune fait face à un phénomène de désertification de son territoire de par la limite naturelle que représentent les falaises abruptes de son paysage, et qui tendent à délimiter une finalité quant à la promenade maritime présente le long du littoral havrais. La promenade havraise ne propose aucun moyen d’ascension douce vers le plateau haut de Sainte-Adresse (piéton ou cyclable) ce qui matérialise clairement la scission existante entre les deux communes. La fin de la promenade littorale havraise, au pied des falaises du Cap de la Hève est ainsi nommée « le bout du monde » comme si rien ne pouvait s’y trouver au delà. Un premier enjeu capital apparaît alors comme évident en une possible liaison entre les deux communes ainsi qu’une redynamisation des activités délaissées de SainteAdresse.

Schéma personnel de la volonté de relier la promenade littorale basse du Havre à une potentielle nouvelle promenade le long des falaises

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Figure 1

Figure 2

Figure 3

Figure 4

Figure 1 - promenade littorale le long de la plage du Havre à proximités de restaurants Figure 2 - promenade littorale s’avançant vers les falaises de Sainte-Adresse Figure 3 - promenade littorale le long des villas cotières Figure 4 - promenade littorale amenant au «bout du monde»

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Limon Argile rouge à silex Craie

Argile de Gault Pouding ferrugineux

Marne

Sable et grès ferrugineux Argile Kimméridgien

Schéma personnel, coupe de la constitution géologique de la falaise de Sainte-Adresse

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Le paysage des falaises du Cap de la Hève est particulièrement complexe de par sa nature géologique. En effet, la constitution des falaises regroupe des éléments minéraux très divers en strates sédimentaires: on peut alors retrouver des strates d’argile, de marne, et bien entendu de craie. La vulnérabilité de certains de ces composants vis-à-vis de l’eau fragilise la structure de la falaise qui subit un phénomène lent d’érosion au cours du temps. Le site est par ailleurs protégé (site Natura 2000, ENS). La fragilité des falaises de Sainte-Adresse pose la question d’une intervention visant à soutenir la falaise face à son effritement. Je tenterai au cours de cette recherche par le projet de comprendre comment l’épaisseur de la ligne peut soutenir le paysage face au processus de dégénérescence auquel il est sujet.

La ville de Saint-Adresse s’est formée de deux manières distinctes résultant de la topographie du lieu: le relief concave du vallon d’Ignauval constitue une tranchée qui vient créer un îlot sur la falaise, détaché du reste de la ville. La trace de la vallée semble résulter de l’ancienne présence d’un cours d’eau à cet endroit qui se jetait dans la mer. Dans ce vallon, les maisons résidentielles et le pavillonnaire se sont propagés de manière concentrique afin de se protéger des vents marins. Les habitations et les rues courbes suivent la topographie du site et tournent le dos au Havre.

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SchĂŠma personnel, carte de la topographie de Sainte-Adresse

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Schéma personnel, coupe territoriale au niveau de la batterie de Dollemard

Schéma personnel, coupe territoriale rapprochée au niveau de la batterie de Dollemard © Yohann Fouchy

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SchÊma personnel, carte du bâti de Sainte-Adresse

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Schéma personnel, coupe territoriale au niveau du «bout du monde»

Schéma personnel, coupe territoriale au niveau du phare du Cap de la Hève

Schéma personnel, coupe territoriale rapprochée au niveau du phare du Cap de la Hève © Yohann Fouchy

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Schéma personnel, carte d’analyse des programmes présents à Sainte-Adresse

Zone pavillonnaire Logements de Perret Villas côtières Equipements militaires Signalisations maritimes Equipements publics

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La prolifération du pavillonnaire arrive jusqu’au plateau du Cap de la Hève où se trouvent les équipements principaux de la commune. On y retrouve ainsi un ensemble d’équipements scolaires, sportifs et militaires. La commune de SainteAdresse, à dominante résidentielle, manque inévitablement d’équipements pouvant remettre en valeur l’attractivité du territoire vis-à-vis de la ville voisine du Havre. De plus, ce plateau surplombant la rivière de maisons pavillonnaires semble marquer nettement le manque évident de centralité au sein de la commune. Situé vers une extrémité de la commune, presque sur les derniers bouts de terre de la falaise se trouvent les quelques équipements de la ville. Le projet de fin d’études vise alors à revaloriser le Cap de la Hève afin de l’ériger en réelle centralité périphérique de Sainte-Adresse, tout en y injectant des activités culturelles appelant au rassemblement des habitants de la ville ainsi que du Havre.

Photographie personnelle du pavillonnaire présent dans le vallon de Sainte-Adresse

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Schéma personnel, photomontage des éléments militaires présents sur le cap de la Hève

Figure 1

Figure 2

Figure 1 - Photomontage personnel de la barrière menant aux sémaphores Figure 2 - Photomontage personnel de la barrière menant à une base de CRS

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Enfin, l’histoire militaire de la ville semble perdurer dans le paysage urbain de celle-ci: à l’aube de sa construction, la position surélevée stratégique du lieu a déterminé l’implantation d’un phare servant de premier repère visuel depuis la mer sur le Cap de la Hève. De nombreux autres éléments militaires ont ensuite vu le jour au littoral des falaises: le sémaphore s’élève ainsi loin au dessus du sol rocheux, proche du phare et de l’école de la marine marchande (aujourd’hui en cours de réhabilitation en ensemble de logements), et plus au Nord se trouvent d’anciens bunkers ensevelis à moitié, traces de l’occupation allemande durant la seconde guerre mondiale. Enfin, nous pouvons observer sortir du sol de craie la batterie de Dollemard datant de 1894, en cours de réhabilitation actuellement. Cet univers militaire très présent sur la pointe Sud de la ville de Sainte-Adresse confère au lieu des notions de protection, d’univers clos et d’interdits. Nous pouvons ainsi voir que beaucoup de parcelles appartenants à des institutions militaires sont enclavées par des barrières. Le plateau présente donc à plusieurs reprises des lieux d’interdiction, de secrets et de surveillance. Le projet de fin d’études a donc pour ambition de venir rompre ces enclaves et d’ouvrir une grande promenade au coeur du paysage naturel du plateau, tout en requalifiant le plateau du Cap de la Hève. L’un des enjeux qui sera enfin traité sera de créer des relations directes entre cette nouvelle centralité et les quartiers résidentiels de la ville. Le projet urbain aura en effet pour objet de contenir l’urbanité grandissante du vallon vers la limite naturelle de la falaise.

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PROJETER UNE LIGNE TERRITORIALE

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Elisabeth

Lara

Yohann

SchĂŠma personnel des situations des trois projets se situant Ă Sainte-Adresse

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Photographie personnelle des falaises de Sainte-Adresse

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Perspective du projet de centre de recherche, 2019 © Noémie Gautreau

Perspective du projet de l’Amer, 2018 © Marion Surribas

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1 LA LIGNE THEORIQUE La pratique de l’architecture au sein d’une école d’architecture diffère de la réalité du métier d’architecte. Elle a pour objectif de nous permettre de construire notre pratique future en interrogeant des principes fondamentaux. Nous prenons donc le parti-pris dans cette recherche de nous soustraire à certaines contraintes et considérons par exemple que certains équipements (notamment militaires) situés actuellement sur le plateau du Cap de la Hève peuvent être démolis et/ou déplacés. A travers ce projet, il s’agit de proposer une restructuration du plateau du Cap de la Hève qui, à l’heure actuelle, ne propose pas de véritable urbanité. Notre objectif et notre problématique sont donc de créer un nouveau centre pour SainteAdresse par l’implantation de nouveaux équipements et espaces publics fédérateurs sur le plateau. Pour se faire, nous avons également choisi de conserver deux projets de PFE réalisés par deux étudiantes il y a un et deux ans : le centre de recherche et l’« Amer ». Le projet mené par Noémie Gautreau est un centre de recherche prenant place au Nord de Sainte-Adresse au niveau de la rencontre entre le vallon résidentiel et la falaise. Le choix de cet emplacement résulte d’une volonté de rétablir la continuité de la promenade le long de la falaise et ainsi recréer une liaison entre les deux parties de cette dernière. Le centre de recherche s’installe donc dans la continuité de la falaise et entre en résonance avec le tissu pavillonnaire situé au coeur du vallon.

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Centre de recherche

L’Amer

Schéma personnel de la lisaison souhaitée entre les projets de Noémie et Marion le long des falaises

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Dans le cadre de son projet de fin d’étude, Marion Subbiras a effectué un travail sur la verticalité de la falaise. Elle a ainsi choisi d’implanter comme équipement sur le site choisi un centre d’étude sur la peinture normande qu’elle a appelé « Amer ». Sa volonté est, par l’implantation d’un équipement public, de venir redynamiser le plateau du Cap de la Hève mais aussi de relier le niveau haut et le niveau bas de la falaise de Sainte-Adresse. La question de la liaison et de l’articulation de ces différents projets avec les projets que nous traitons cette année mais aussi avec la ville et le grand paysage est donc au coeur de notre sujet. Afin de créer ces articulations, notre première intuition a été de nous appuyer sur la figure de la ligne. Une figure que l’on retrouve d’ailleurs dans les deux projets expliqués plus tôt. Les extrémités de la lignes seront ainsi constituées par les projets du centre de recherche et de l’Amer. Au pied de celui-ci, en contrebas de la falaise, le projet de Sidney Lathuille, étudiant travaillant cette année sur « le bout du monde », vient créer un socle et une articulation qui fait le lien avec la promenade littorale jusqu’au Havre.

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Paul Klee, «ligne active», chapitre 1, Esquisses pedagogiques, édition Albert Langen, Munich, 1925, p. 6

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En nous appuyant sur une étude approfondie du site mais aussi sur un travail de recherches théoriques et architecturales nous avons établi différents scénarios d’implantations d’une ou de plusieurs lignes dans le site. Tout d’abord, nous nous sommes concentrés sur les questions théoriques que soulevait la figure géométrique de la ligne. La ligne droite est en effet une figure géométrique dont la puissance en contraste avec la limite naturelle organique de la falaise permet de créer une importante ligne de crête le long de celle-ci et ainsi de reconnecter cette dernière à la ville. Cette promenade linéaire devient alors non seulement une intervention urbaine visant à redynamiser la limite de la ville que représente la limite naturelle de la topographie de la falaise, mais aussi une réelle empreinte à l’échelle territoriale. Le choix de la ligne comme figure génératrice de la promenade, en opposition à l’état actuel du sentier qui se veut sinueux et peu visible, s’explique de par les problématiques qui gravitent autour de cette forme : la ligne est tout d’abord une figure de liaison dans le sens où elle est continuité de deux extrémités, deux points distants et autonomes. En cela, cette figure de ligne répond directement à notre volonté de créer une liaison entre les différents projets présents sur le site. En partant du postulat de Paul Klee, la ligne est « un point en mouvement » autour de laquelle agissent des forces. Cela signifie alors que l’une des caractéristiques de cette forme géométrique est d’induire un mouvement, de générer un flux.

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Figure 1

Figure 2

Figure 3

Figure 4

Figure 1 - Photographie de Richard Serra, «Shift», 1972 à King City, Ontario, Canada Figure 2 - Photographie de Richard Long, «A Line made by walking», 1967, Angleterre Figure 3 - Photographie de Michel Heizer, «Double Negative», 1970, Nevada, Etats-Unis Figure 4 - Christo et Jeanne-Claude, «Running Fence», Sonoma et Marin Counties, Californie, - Photographie de Gianfranco Gorgoni - © 1976 Christo

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Ainsi, la ligne est à la base même de la notion de la promenade architecturale, introduite par Le Corbusier dans la publication du premier volume de L’Œuvre complète, en 1929. La figure de la ligne permet donc de traverser, d’arpenter le paysage tout en proposant des moments de pauses dans ce mouvement, introduits par les éléments architecturaux que nous introduisons le long de celle-ci. La figure de la ligne suggère dès lors une dimension temporelle de par le fait qu’elle suscite un mouvement, action qui se déploie dans le temps. Cette dimension temporelle est notamment très présente dans les oeuvres de Land Art : nous y avons pu retrouver la figure de la ligne dans les projets de Richard Serra (Shift, 1970), Richard Long (Line made by walking, 1967), Michael Heizer (Double Négative, 1969) ou encore Christo et Jeanne-Claude (Running Fence, 1967). La trace de la ligne dans le sol est plus ou moins, selon les oeuvres, de caractère éphémère dans le paysage. Celui-ci se trouve être modifié, mais pas indéfiniment dans le temps.

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Schéma personnel de la ligne qui relie deux extrémités

Schéma personnel d’une ligne théorique reliant les éléments importants présents sur les falaises de Sainte-Adresse

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Comme nous avons pu le voir précédemment, le Land Art pose la question d’habiter le paysage, et le rapport de l’artiste au sol est très important quant à son intervention dans celui-ci. La promenade urbaine que nous souhaitons mettre en place le long de la falaise de Sainte-Adresse pose elle aussi cette question du rapport au sol, et devient une réelle empreinte dans celui-ci en marquant ainsi le paysage de par son caractère géométral. Enfin, nous nous sommes posé la question de l’organisation que générait la figure de la ligne : qu’est ce qui fait ligne? Les éléments de projet ponctuels que nous souhaitons implanter le long de la falaise sont les constituantes de la ligne urbaine. Cette dernière existe de par les relations, visuelles et palpables, qui s’organisent entre ces éléments.

Cette question d’organisation de fonctions, de surfaces autour d’un axe a été soulevée durant notre recherche urbaine grâce à l’analyse de la composition du projet de bains publics d’Aurelio Galfetti à Bellinzona en Suisse, en 1967. Le projet se compose d’une ligne urbaine épaisse et habitée (passerelle au milieu des bains publics) desservant des bassins de part et d’autre de celle-ci et dont la partie haute constitue une promenade reliant deux lieux distincts sur le territoire suisse. En effet la ligne de promenade relie la ville historique de Bellinzona au fleuve du Tessin et acquière ainsi un rôle de passerelle au sein du territoire. Ce projet présente des similitudes dans son contexte urbain avec la falaise de Sainte-Adresse dans la mesure où il relie la ville aux éléments naturels du paysage proche de celle-ci ; tout comme nous souhaitons le faire à travers le projet urbain de la promenade littorale haute de Sainte-Adresse. En outre, cette sorte de ramification de la figure de la ligne s’observe aussi dans le travail de Vittorio Gregotti pour l’université de Calabre en 1972, projet de campus universitaire qui s’étend sur plus de 3km. Là encore, nous avons pu observer que la ligne articule l’ensemble des surfaces (qui sont les différents bâtiments d’enseignement du campus) et permet de penser un projet comme un ensemble unitaire constitué de plusieurs éléments malgré un très grand périmètre d’intervention.

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Schéma personnel, figure de la ligne de la passerelle des bains publics de Galfetti à Bellinzona

Gregotti Associati, plan de l’Université de Calabre, 1974, Cosenza - Publication Domus, juin 1986

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SchĂŠma personnel des courbes de la topographie du vallon de Sainte-Adresse

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2 UNE LIGNE DANS LE PAYSAGE Suite à la recherche théorique en lien avec la figure de la ligne qui nous avons pu effectué, nous nous sommes concentrés sur un paramètre majeur du site qui se trouve être sa topographie particulière. Nous avons alors imaginé différents moyens de révéler cette topographie si particulière. Par ailleurs, la question du parcellaire et du tissu urbain a également été très importante pour ce travail. Le rapport au tissu pavillonnaire répétitif et désordonné soulève des problématiques très actuelles d’urbanisme et d’étalement urbain dans un moment où les questions environnementales sont d’une importance capitale. La question de comment terminer cet urbanisme pavillonnaire se pose donc. Les différentes hypothèses que nous avons développées nous ont apportées des questions et des problématiques qui nous ont permis d’enrichir nos connaissances du terrain par le projet. Ce travail préliminaire nous a également permis de déterminer l’emplacement des projets que nous souhaitions développer ensuite. Pour première hypothèse d’implantation urbaine, nous avons réfléchi à une ligne s’inscrivant dans la continuité de la promenade littorale du Havre et permettant de relier les deux projets des années passées. Afin de positionner cette ligne de façon précise dans le site nous nous sommes appuyés sur la topographie du site et notamment sur le tracé des courbes de niveau. Nous avons dans un premier temps placé une courbe qui reprend le tracé de la topographie du vallon le long de la falaise. La courbe ainsi posée connecte le centre de recherche et l’Amer et permet de révéler le tracé topographique du site. Cette situation périphérique de la ligne permet de créer une limite au bord de la falaise et vient contenir l’urbanité. Cette position permet d’installer une nouvelle ligne d’horizon visible depuis les habitations situées dans le vallon qui revêt alors une fonction de signal au sein de la ville afin de signifier la présence d’une activité en bord de falaise. Située en hauteur, la ligne permet également de protéger le centre de Sainte-Adresse des vents. En effet, les conditions sur le plateau sont extrêmes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart des habitations sont installées dans le coeur du vallon. Ainsi construire en limite de falaise permettrait de faire barrière pour le centre du plateau aujourd’hui délaissé. Afin de connecter cette courbe qui suit la falaise aux quartier pavillonnaires, des lignes rayonnantes sont également ajoutées.

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Schéma personnel, première proposition de ligne territoriale

Schéma personnel, deuxième proposition de ligne territoriale

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Schéma personnel, troisième proposition de ligne territoriale


Par la suite la courbe est devenue lignes droites. Nous l’avons dans un premier temps transformée en trois lignes obliques parallèles aux tangentes de la falaise. La ligne située la plus au Sud reprend l’axe de la route du Cap venant du Havre. Le projet de l’Amer vient alors s’y connecter et faire la liaison avec la promenade littoral du Havre en contrebas. Nous avons ensuite effectué une nouvelle transformation en passant de trois à deux lignes, toujours parallèles aux tangentes de la falaise. Avec une ligne qui suit le tracé initié par le projet du centre de recherche et une seconde ligne qui suit l’axe de la route du Cap. Cette simplification de la figure permet de souligner et d’accentuer ces deux axes forts du site. Pour seconde hypothèse de projet, nous avons souhaité révéler la topographie du site en venant installer des lignes transversalement aux courbes de niveau et non plus parallèlement. La rencontre entre la ligne et la topographie permet ainsi de révéler cette dernière à l’image du travail de Richard Serra avec l’oeuvre de land art Shift. L’installation de plusieurs lignes fortes permet de créer des percées visuelles qui dirigent le regard vers la mer tout en venant souligner la topographie du site. Le positionnement de ses lignes dans le site s’appuie sur le parcellaire et reprend le tracé de voies existantes. Par ailleurs, ces dernières viennent s’étendre au coeur du plateau. Nous avons ainsi fait le choix de faire place nette en retirant les bâtiments existant : les locaux des CRS, le collège et les équipements sportifs. Cette intervention en profondeur permet de réorganiser l’ensemble du plateau. Afin de relier ses lignes entres-elles, des tracés perpendiculaire sont dessinés. Les lignes originales deviennent alors grille et permettent de réorganiser le plateau en créant une trame ayant la capacité de s’étendre et de se prolonger sur le reste du plateau et de la ville. Nous avons finalement choisi de poursuivre notre travail à travers la première proposition de réponse urbaine aux problématiques posées par le site.

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Schéma personnel, plan masse général incluant les cinq projets présents sur le site © Yohann Fouchy

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Cependant, ce travail d’expérimentation sur la grille nous a permis de réfléchir à l’installation dans le site de plusieurs lignes parallèles et de voir comment ces lignes peuvent prendre place dans le site et ce qu’elles y induisent. En installant une ou plusieurs lignes en périphérie du plateau nous soulevons plusieurs problématiques quand au rapport dialectique entre la ligne et son environnement construit et nonconstruit : Comment la ligne se rattache-telle au tissu existant? Quelle est sa capacité a instaurer une nouvelle organisation du territoire ? Parallèlement au travail de positionnement de la figure de la ligne dans le site nous nous sommes questionnés sur la façon de construire et d’habiter cette ligne. Nous avons ainsi réfléchi à plusieurs hypothèses et façons de bâtir / construire ces « lignes », notamment au travers d’un travail en coupe.

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Schéma personnel, proposition de ligne habitée réalisée par Elisabeth

Schéma personnel, proposition de ligne habitée réalisée par Yohann

Schéma personnel, proposition de ligne habitée réalisée par moi-même

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Nous avons émis comme première hypothèse de faire de la ligne une passerelle habitée, à l’image du projet des bains publics de Galfetti. L’idée de venir surélever le bâtiment en créant une passerelle habitée résulte d’une volonté de conserver une promenade au sol naturelle aux abords de la falaise. Nous avons alors réfléchi à plusieurs hypothèses de passerelles habitées avec des variations en termes de circulation mais aussi de structure. L’une des données que nous avons prise en compte lors de la constitution de ses passerelles a été le climat littoral et les vents d’Ouest importants. Nous avons ainsi réfléchi à des passerelles où la circulation se situe plutôt au centre de la passerelle ou bien latéralement, à l’Est afin d’être protégé du vent. Dans ces bâtiments, le toit terrasse constitue également une promenade qui supplante la mer d’un côté et la ville pavillonaire de Sainte-adresse de l’autre créant ainsi une dichotomie entre deux paysages. Nous avons également réfléchi à la capacité de la ligne de se construire dans le temps avec la constitution d’une mégastructure au sein de laquelle les programmes viendraient s’intégrer comme autant de modules différents, à l’image du plan Obus de Le Corbusier à Alger.

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Le Corbusier, photographie de maquette du plan Obus, 1930, Alger - © Fondation Le Corbusier/ADAGP

Le Corbusier, croquis d’un bâtiment du plan Obus, 1930, Alger - © Fondation Le Corbusier/ADAGP

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Celui-ci propose en effet, en plus d’une Cité d’Affaires et d’une Cité de Résidences sur les terrains de Fort-L’Empereur, une autoroute qui traverserait toute la ville d’Alger, supportée par une structure de béton dans laquelle se logeraient des habitations. Ces habitations semblent dans les croquis de l’architecte être de styles architecturaux différents. Cette précision est essentielle car elle signifie que Le Corbusier pense la ligne comme un élément d’organisation au sein de la ville mais dont il ne souhaite définir au préalable toutes les composantes. Les habitations semblent être des cellules qui seront par la suite habitées différemment selon l’individu s’y trouvant. Cette décision de la part de Le Corbusier traduit la volonté de celui-ci de projeter une structure générale importante au sein de la ville mais de laisser cette structure se modifier au cours du temps et de lui conférer ainsi un caractère évolutif. Ainsi, dans cette hypothèse de travail, la ligne urbaine en élévation prendrait alors la forme d’une grille habitée créant ainsi un jeu d’opacités et de transparences modulables qui viendrait rythmer le paysage de l’horizon de la falaise. L’implantation de ces lignes en résultante du travail de recherche expliqué plus tôt crée ainsi un jeu d’éloignement-rapprochement vis-à-vis de la ligne de crête naturelle de cette dernière. Les segments de la ligne s’éloignent et se rapprochent successivement du bord de la falaise proposant ainsi des vues sur la mer qui évoluent à chaque instant. Entre la ligne et la falaise, des espaces naturels de promenades sont ainsi conservés. Chaque portion de la ligne a également un rapport particulier avec son environnement proche construit et non construit. Ainsi nous avons identifié différents cas de figures où la situation de la ligne et les vues depuis cette dernière sont bien particulières. Au niveau de la batterie de Dollemard, la ligne passe derrière une émergence de la falaise. Selon sa hauteur, la ligne a ou n’a pas de vue sur la mer et peut alors complètement se fondre derrière la roche et la végétation. Tandis qu’au niveau du Cap, la ligne située sur un point culminant a une vue dégagée de part et d’autre avec à l’Ouest, la mer et le Havre et à l’Est, la ville de Sainte-Adresse. Enfin, la figure de la ligne s’est exportée à l’échelle de l’édifice au sein du projet que j’ai souhaité mener au cours de ce semestre de travail. Les diverses problématiques sousjacentes à la recherche effectuée en groupe se retrouvent finalement au coeur de la conception du projet architectural.

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LA RÉPONSE ARCHITECTURALE

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SchĂŠma personnel, plan masse du projet Ă la date du 17 juillet

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1 ZONE D’INTERVENTION : LES ENJEUX DU SITE La zone d’implantation du projet se trouve sur l’actuel terrain du phare du Cap de la Hève. Ce terrain présente des enjeux primordiaux quant à la déqualification du plateau du Cap dans la mesure où il se trouve en bordure d’espaces verts naturels et constitue alors un lieu de connexion entre le paysage naturel et la ville de Sainte-Adresse.Je choisi donc à cet endroit de me poser la question de la limite, en tentant d’implanter deux bâtiments linéaires et un espace public extérieur tels des vecteurs de dialogue entre le paysage urbain de la ville et la limite naturelle que représente la falaise escarpée. Le site d’intervention choisi se trouve par ailleurs au début du sentier de promenade littoral existant (ainsi que dans notre pensée territoriale de groupe quant à notre proposition de nouvelle promenade maritime) ce qui lui confère une importante fonction d’accueil de la population avant de s’engager dans le chemin longeant la côte de la falaise. De plus, le site se trouve être, dans l’hypothèse territoriale que nous proposons pour ce projet de fin d’études, une articulation de deux lignes de force sur le littoral. De ce fait, j’ai mené une pensée urbaine servant ce point névralgique d’accroche entre les lignes de force : ce noeud stratégique est alors une rotule entre les projets de Yohann (à l’Est du site sur lequel j’interviens) et celui d’Elisabeth (au Nord). Le projet sur lequel j’ai travaillé présente de plus une proximité avec le campus universitaire pensé par Yohann qui le pose alors en dialogue direct avec ce dernier : la question des espaces publics comme liaison architecturale est donc aussi une piste de travail que j’ai souhaité aborder au cours du semestre. Enfin, les conditions météorologiques et d’altimétries particulières du bout de la falaise de Sainte-Adresse m’on amenée à me poser la question de la protection comme élément important du projet, que l’on retrouve tant bien dans les décisions urbaines (creux des espaces publics) que dans la réflexion architecturale (des logements étudiants protégés du vent).

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Photographie personnelle du site d’intervention et du phare

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Photographie personnelle du site d’intervention et du phare

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Schéma personnel, coupe longitudinale du bâtiment de l’école de danse à la date du 17 juillet

Schéma personnel, coupe longitudinale du projet à la date du 17 juillet

Schéma personnel, coupe transversale du projet à la date du 17 juillet

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2 LES INTENTIONS ARCHITECTURALES La question du traitement du sol se trouve au coeur de ce projet de fin d’études. En effet, le sol extérieur est un élément de promenade au sein du projet architectural jusqu’à l’échelle territoriale : comme précisé précédemment, le projet se trouve être en articulation entre la ville et la promenade le long de la falaise naturelle, ce qui a pour conséquence de générer un parcours qui se veut orienté, guidé, jusqu’à la limite de la falaise, de part les éléments architecturaux constitutifs du projet. Une esplanade semi-enterrée dans le sol est proposée afin de pouvoir se protéger des intempéries du site et du caractère dangereux du bout de la falaise laissé libre d’accès. La promenade du projet a pour objet de guider l’individu jusqu’aux projets d’Elisabeth et plus au Nord, de Noémie afin de créer une liaison piétonne qui endosserait alors le rôle de promenade littorale haute (en continuité de la promenade basse présente au Havre).

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Schéma personnel du parcours du corps au sein des espaces publics extérieurs du projet à la date du 17 juillet

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L’un des enjeux principaux de ce projets se trouve dans la question du mouvement du corps, en lien direct avec le sol qu’il parcourt. En effet, le sol est ici considéré comme liaison entre l’urbanité du plateau du Cap de la Hève et le littoral naturel des falaises mais aussi et avant tout comme outil de travail pour les danseurs. Ainsi, le programme du projet (l’école de danse) m’a permis d’arpenter une thématique particulière qui est celle du mouvement du corps et de la déambulation de celui-ci dans l’espace. J’ai tenté à travers ce projet de comprendre la relation du danseur avec le sol sur lequel il exprime son art et ai donc posé la question essentielle de la nature de la scène de danse contemporaine. Pour se faire, je me suis intéressée à l’évolution de la notion de studio de danse durant les siècles passés et ai donc pu introduire la notion de la nouvelle scène contemporaine au sein du projet.

Ainsi, le projet explore la ville comme nouveau studio de danse, dans une volonté de prolongement de l’espace de travail des danseurs en dehors de l’édifice. Le paysage naturel de la falaise, de la mer et de l’horizon lointain deviennent alors le décor de la représentation artistique, comme le Mont Vérità dans l’expérience de danse de Rudolf Laban en 1914. La ville elle, est décor scénique urbain, et la scène de danse propose ainsi deux paysage différents comme toile de fond au spectacle de danse. Comme dans la chorégraphie de Trisha Brown organisée sur les toits de NewYork « Roof Piece » en 1973, l’espace urbain devient un studio à ciel ouvert propice au mouvement corporel en lien avec l’architecture environnante.

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Photographie d’une séance de travail de Rudolf Laban, 1914, Monte Verità

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Photographie de la chorégraphie de Trisha Brown «Roof Piece», 1973 New York

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Photographie aérienne du «Serpent» de Daneri, 1960’s, Gênes, Italie

Photographie du «Serpent» de Daneri, 1960’s, Gênes, Italie

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De plus, le projet a pour objectif de créer un réel centre de rassemblement en l’espace public de l’esplanade : celle-ci se trouve en effet encerclée par le campus universitaire pensé par Yohann à l’Est et par le centre de recherches proposé par Marion, l’étudiante d’il y a deux ans, au Sud. Ainsi, elle est une articulation entre les trois projets et constitue un espace public fédérateur fort au sein du Cap de la Hève qui permet de redynamiser le plateau.

Enfin, la question de l’épaisseur de la ligne en tant que figure à l’origine de l’édifice est une préoccupation essentielle au sein du projet. En effet, la ligne du bâtiment de l’école de danse est habitée dans son épaisseur par le paysage : je souhaite à travers ce projet faire entrer le paysage à l’intérieur de l’édifice. La question de l’épaisseur du mur constituant une sorte de cadre pour le paysage est par exemple l’une des composantes essentielles de cette recherche par le projet.

Croquis personnel de l’épaisseur du bâtiment de logements habitée en coursive

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Plan masse de l’immeuble de logments d’Alfonso Reidy, Pedregulho, Rio. © : https://www.researchgate.net/figure/Figura-9-Pedregulho-plano-conjunto-arquitetura-contemporanea-Brasil-revista_fig7_262700011

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Lors de cette recherche j’ai pu observer deux bâtiments de logements très particuliers dont la forme suit une ligne organique en résonance avec le paysage environnant : l’édifice A du quartier de Forte di Quezzi de Luigi Carlo Daneri construit à Gênes entre 1956 et 1958 et le complexe d’habitations de Pedregulho d’Alfonso Reidy à Rio de Janeiro, en 1947. L’édifice A du quartier de Forte di Quezzi est un complexe de logements sociaux pensé par Luigi Carlo Daneri en collaboration avec Eugenio Fuselli. Cet édifice prend part au quartier résidentiel Forte di Quezzi construit dans les années 1960 dans les hauteurs des collines de Gênes. Dans le cas de la Casa Forte Quezzi, la ligne sinueuse du bâtiment suit la topographie du site, et matérialise presque la courbe des collines de celui-ci. La courbe organique de la ligne se pose alors en parallèle à la ligne de crête de la colline qui surplombe le quartier Quezzi. Dans ce bâtiment, tout comme dans le complexe de Reidy à Rio, la figure de la ligne permet de créer un rapport entre le quartier - la ville, et le paysage environnant. Dans les deux projets, on comprend que la linéarité de l’édifice permet de projeter des espaces communs qui suivent le mouvement de la ligne : Daneri propose aux habitants un étage commun extérieur, qui s’étend sur toute la longueur de l’édifice. La déambulation, le mouvement en général y sont suggérés alors de par la forme de la ligne qui suscite comme nous l’avons vu précédemment le mouvement du corps dans l’espace généré.

Le bâtiment de logements de Reidy se trouve lui sur une pente naturelle et boisée, au Nord de Rio. Le long bâtiment de logements présente lui une large coursive desservant les appartements où les individus peuvent se retrouver et parcourir l’ensemble de l’étage telle une promenade intérieure, intégrée au bâtiment. Ainsi, grâce à l’analyse de ces édifices, j’ai pu comprendre comment en creusant la ligne pensée tel un volume, il était possible de venir habiter son épaisseur et de créer des flux internes à la figure géométrique.

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Photographie de maquette personnelle Ă la date du 5 mai

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Photographie de maquette personnelle Ă la date du 17 juillet

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Photographie de maquette personnelle Ă la date du 17 juillet

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Croquis personnel du projet à la date du 26 juin PERSPECTIVE DEPUIS LE CREU DE LA GRANDE PLACE, REGARDANT VERS L’ÉCOLE DE DANSE ET LA MER

Croquis personnel du projet à la date du 26 juin PERSPECTIVE DEPUIS LE CHEMIN CREUSÉ MENANT À L’ÉCOLE DE DANSE

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CONCLUSION

Sainte-Adresse observe la mer depuis ses hauteurs, les falaises calcaires abruptes de celle-ci surplombant la Manche ainsi que la ville basse du Havre. Habiter le paysage de Sainte-Adresse pose des questions de limites, qu’elles soient en rapport avec les éléments naturels du site ou entre l’urbanité du Cap de la Hève et les étendues naturelles des bouts de falaises. Arpenter ce territoire particulier et tenter d’établir un dialogue direct entre celui-ci et les terrains pavillonnaires de la ville devient alors une préoccupation majeure du travail que j’ai pu mené au cours de ce semestre. Une ligne territoriale commune à trois projets établit en ce sens un lien concret entre les architectures ponctuelles le long de la falaise et l’activité concentrée sur le plateau du Cap de la Hève. Cette ligne urbaine a pour objectif premier de constituer une seconde promenade maritime, dans la continuité de celle existante au Havre en partie basse de la ville, et de désenclaver la côte littorale qui est aujourd’hui mise à l’écart du reste de la ville. Le projet architectural s’inscrivant sur le site actuel du phare de la ville prétend lui jouer un rôle d’articulation au sein de cette ligne de promenade littorale, tant bien vis-à-vis des projets s’y trouvant qu’entre l’urbanité du Cap de la Hève et le littoral sauvage des hautes falaises rocheuses. L’école de danse permettrait au sein de ce site de valoriser les hauteurs de Sainte-Adresse tout en offrant un nouveau cadre de travail aux danseurs : il s’agit ici d’arpenter le paysage par la danse, par le mouvement du corps dans son environnement. Un travail du sol est alors mené afin de constituer un nouveau support de travail pour les danseurs : la ville est alors la nouvelle scène de danse et le paysage entre ainsi au coeur du travail artistique. L’école de danse dont la forme linéaire suit l’axe de force territorial tracé en groupe est habitée dans son épaisseur et cherche de ce fait à faire entrer le paysage en son sein. La linéarité du bâtiment en bout de falaise contraste avec le paysage rocailleux et sinueux de la côte : l’architecture compose avec ce paysage singulier, elle le modifie, le révèle, et le questionne. L’horizon de la mer observée sur les falaises de Sainte-Adresse se retrouve en l’horizon architectural crée de par la ligne territoriale menée à l’origine même de ce projet. C’est à cet instant que naît une ambiguïté merveilleuse : le paysage et l’architecture se nourrissent l’un l’autre en s’interpénétrant jusqu’au détail d’une fenêtre, tel un tableau impressionniste.

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ANNEXES

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Photographie de «Broken Circle», 1970, Emmen, Pays-Bas © Robert Smithson

Croquis de réalisation de l’oeuvre «Broken Circle», 1970 © Robert Smithson

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Croquis de réalisation de l’oeuvre «Broken Circle», 1970 © Robert Smithson

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Claude Monet, ÂŤImpression soleil LevantÂť, 1872, Le Havre, huile sur toile

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Claude Monet, «La pointe de la Hève, Sainte-Adresse», 1864, Le Havre, huile sur toile

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Carte postale du Cap de la Hève, date et hauteur de la photographie inconnus

Carte postale vue du ciel du Cap de la Hève, date inconnue © Collection-jfm.fr

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Lesueur, vues et coupes géologique des falaise de Sainte-Adresse, date inconnue © gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France

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