LANDRY Nicolas - Profil démographique et socio-économique de Saint-Pierre et Miquelon 1763-1792

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Profil démographique et socio-économique d’une colonie de l’Atlantique français : Saint-Pierre et Miquelon 1763-1792

Par

Nicolas Landry Professeur titulaire en Histoire Université de Moncton, campus de Shippagan

Juin 2017

Manuscrit inédit hébergé sur le site internet l’Arche, Saint-Pierre et Miquelon.


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Table des matières

Introduction Partie I Contexte géopolitique et économique de Saint-Pierre et Miquelon Chapitre 1 L’intérêt de la France envers les îles Saint-Pierre et Miquelon, 1761-1805 1.1-Un enjeu géopolitique et historique 1.2-Description et appréciation des lieux 1.3-De maigres ressources 1.4-L’approvisionnement en bois 1.5-Une colonie indéfendable? 1.6-Administration et garnison 1.7-La réoccupation de 1783 Chapitre 2 Fonctionnement de la pêche à la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon au 18e siècle 2.1-La pêche à la morue; quelques paramètres 2.2-Fonctionnement de la pêche des habitants-pêcheurs 2.3-Besoins en main-d’œuvre des habitants : les pêcheurs-engagés 2.4-Distribution des graves 2.5-La place de l’archipel dans le commerce atlantique 2.6-Les insulaires dans le commerce atlantique et l’importance des réseaux 2.7-La contrebande de morue Partie II Démographie Chapitre 3 Portrait démographique d’une colonie française d’Amérique : Saint-Pierre et Miquelon, 1763-1828


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4.1-Une démarche de micro-histoire démographique 4.2-La situation incertaine des Acadiens 1765-1783 4.3-Analyse des recensements de l’archipel 1767-1804 4.4-Portrait démographique suite à la reprise définitive 1816-1828 Chapitre 4 Événements démographiques à Miquelon 1763-1791 7.1-Les événements démographiques à Miquelon; les naissances 7.2-Les mariages 7.3-Les décès Annexe II Événements démographiques dans l’archipel 1763-1791 Partie III Économie et société dans l’archipel Chapitre 5 Relations économiques et financières dans l’archipel 1783-1790 3.1-Ventes d’infrastructures 3.2-Baux et location de graves dans l’archipel 1784-1790 3.3-Accès aux embarcations 3.4-Prêts et endettement Chapitre 6 Contrats de mariage, inventaires après-décès et testaments dans l’archipel 1764-1789 : des indicateurs de richesse? 5.1-Les contrats de mariage 5.2-Inventaires après-décès 5.3-Testaments et autres traces de transmission patrimoniale Chapitre 7 Possessions, richesses et outils de production à Saint-Pierre et Miquelon 1764-1828 6.1-Infrastructures de l’État dans l’archipel 6.2-Environnement des habitats-pêcheurs 6.3-Veuves et subsistance dans l’archipel en 1785 Annexe I Liste des propriétaires de graves et de leurs dépendances


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Conclusion Bibliographie Liste des tableaux 1-Coûts du rétablissement de 1783 dans l’archipel 2-Les commandants pour la station de Terre-Neuve 1784-1792 3-Répartition des responsabilités entre Le Landais et l’équipage de la Marie-Josèphe en 1788 4-Données fragmentaires sur la population aux îles Saint-Pierre et Miquelon 1765-1828 5-Occupation des foyers dans l’archipel 1776, 1785 6-Écarts d’âge chez 16 couples de Saint-Pierre en 1776 7-Répartition de la population selon les genres 1776, 1785 8-Pyramides d’âges dans l’archipel (0-30 ans) 1767-1823-28 9-Répartition de la population dans l’archipel selon les genres 1762-1828 10-Contrats de mariage à Saint-Pierre et Miquelon 11-Valeur des richesses selon les inventaires après-décès à Saint-Pierre et Miquelon 1769-1789 12-Les possessions des habitants à Saint-Pierre en 1765 13-Les possessions des habitants à Miquelon en 1776 14-Les possessions des habitants à Miquelon, 1823-28 15-Unités de production familiales à Miquelon, 1823-28 16-Lieux des baptêmes en détention lorsque mentionnés 1755-1766 17-Périodes de conception, excluant les enfants n’étant pas nés dans la colonie 17631791


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Introduction Ce manuscrit n’est pas à proprement parler une synthèse historique complète sur SaintPierre et Miquelon pour la période d’avant la réoccupation définitive de 1815-161. En fait, l’ouvrage comporte trois parties. La première se compose de deux chapitres synthèse sur l’évolution géopolitique et économique de l’archipel durant la deuxième moitié du 18e siècle. La deuxième parie, elle, propose une analyse démographique de cette population insulaire, en privilégiant le cas de l’île Miquelon, peuplée en majorité d’Acadiens ayant vécu la Guerre de Sept Ans, donc la Déportation (1755-1763)2. C’est plutôt dans la troisième partie que l’on apprend à mieux connaitre le contexte économique et social dans lequel évolue cette population maritime. Population, rappelons-le, qui comporte des administrateurs, des militaires, des fonctionnaires, des marchands et des habitants-pêcheurs propriétaires. Il est donc à dire que cet ouvrage s’inscrit à mi-chemin entre synthèse partielle et essai, mais se limitant à l’étude de certaines composantes socio-économiques. Il est donc de rigueur de statuer dès maintenant sur certains aspects exclus de cette étude : l’histoire diplomatique des droits de pêche entre la France et l’Angleterre, l’état des marchés pour la morue, l’administration de la colonie, la garnison ou encore la présence et le rôle de l’Église. Bref, toutes ces thématiques que l’on retrouve habituellement dans une synthèse complète d’histoire coloniale3. Notons cependant que tout au long de cet ouvrage, je tente d’aiguiller le lecteur sur les paramètres géopolitiques de la colonie. Ainsi, après une occupation continue de l’archipel par la France de 1763 à 1778, elle doit abandonner ce territoire dans le contexte de la guerre d’indépendance américaine en septembre 1778. Les négociations diplomatiques permettent ensuite à la France de reprendre le territoire en

Il existe un certain nombre d’ouvrages de synthèse sur l’histoire générale de l’archipel, dont quelques-uns figurent dans la bibliographie de ce livre. Mais pour un accès rapide aux principaux événements marquant la période couverte dans cet ouvrage, voir surtout É. Sasco et J. Lehuenen, « Chronologie des îles SaintPierre et Miquelon (1520-1899) », 1998. www.le_hors.org/chrEd3_Intro.pdf. 2 Les lecteurs intéressés à l’histoire démographique de Miquelon durant la première moitié du 19e siècle peuvent se référer à N. Landry, « Démographie de l’île Miquelon, 1816-1850 ». 3 Mon approche ressemble de près à celle privilégiée par W. Gordon Handcock, qui choisit d’ignorer certains aspects pourtant prédominants de l’historiographie de Terre-Neuve comme l’économie de la morue, le commerce ou encore le statut politique de la colonie. Handcock, Soe Longe as there comes noe women, p. 19. 1


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janvier 1783. Mais peu après, en 1793, la France et l’Angleterre sont à nouveau en guerre et l’archipel ne sera plus vraiment français avant la remise définitive de 1815. Cette recherche s’inscrit dans la définition récente de l’histoire atlantique, telle que préconisée par les chercheurs Jerry Bannister et Gregory Kennedy. Bannister nous invite d’abord à se méfier des cadres d’analyse négligeant l’histoire régionale et privilégiant exclusivement les perspectives transnationales. Il est d’avis que pour rendre justice à l’historiographie du Canada atlantique, il est préférable d’opter pour la micro histoire. Ce serait la meilleure manière de démontrer que le Nord-Est de l’Amérique du Nord n’est pas exclusivement britannique, du moins avant 17844 et même après dans le cas de Saint-Pierre et Miquelon. Kennedy, pour sa part, met lui-aussi de l’avant la pertinence de « l’histoire régionale dans un contexte atlantique » et qu’il qualifie de « cis-atlantique ». Cette approche permet de mettre l’emphase « sur les actions des gens ordinaires tels les pêcheurs, les colons, les engagés…»5. Donc, en se référant à ces définitions, cet ouvrage ne peut donc pas revendiquer à juste titre le statut d’histoire atlantique mais plutôt d’histoire coloniale. Quoique cette étude ne respecte pas forcément une trame chronologique précise, les problématiques abordées s’inscrivent toutes dans la période 1761-17916, sauf la partie sur la démographique qui, par souci de continuité dans la collecte des données démographiques et économiques, incorporent des chiffres datant des années 1820. Les deux premiers chapitres sont donc de nature plus générale, puisqu’ils présentent un survol de l’intérêt de la France envers l’archipel et le fonctionnement des pêches. Une précision s’impose dès maintenant pour le chapitre un puisque les informations analysées proviennent surtout des mémoires administratifs, mettant l’emphase sur les défis de l’occupation et de l’exploitation de l’archipel. Ces mémoires acheminés à Versailles sont souvent truffés de commentaires négatifs envers le territoire à occuper et, à certains moments, à l’endroit de la population acadienne tentant de s’y enraciner. Qu’il soit permis ici d’ouvrir une parenthèse sur la composition de la population française de l’archipel durant la période à

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Bannister « Atlantic Canada », p. 1 et 27. Kennedy, « L’Acadie prend sa place..», p. 1.

Philipe P. Boucher estime qu’en « stricts termes économiques, la période comprise entre 1763 et 1789 fut la plus productive de toute l’époque coloniale de l’Ancien Régime ». Les Nouvelles-Frances, p. 134. 6


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l’étude. Elle compte des colons venus de France, de l’île Royale, de l’île Saint-Jean et de l’ancienne Acadie (Nouvelle-Écosse). Quoique sa composition puisse se modifier d’une occupation à l’autre, il n’en demeure pas moins qu’une bonne partie demeure d’origine acadienne, surtout entre 1763 et 1783 et particulièrement à Miquelon. Également, un aspect négligé par l’historiographie jusqu’à maintenant est que l’archipel a fait l’objet d’une occupation anglaise de 1713 à 1763. C’est pourquoi je tente d’y remédier, ne serait-ce que partiellement. Étant donné qu’il s’agit nettement d’une colonie d’exploitation (morue) et non de peuplement, autant l’administration métropolitaine que coloniale tente de limiter le peuplement au minium en raison des maigres ressources alimentaires et de matériaux de construction, en plus de ménager au maximum les susceptibilités des dirigeants britanniques terre-neuviens. Ces derniers se montrent effectivement très méfiants envers toute apparence de volonté de peuplement ou de fortification, allant au-delà des provisions du Traité de Paris de 1763. Dans de pareilles circonstances, la France préfère jouer la carte du bon voisinage. À la fois Terre-Neuve et l’archipel sont aux prises avec les mêmes défis : il est pratiquement impossible d’y subsister sans l’apport de la métropole, l’agriculture y est très difficile et les dangers de la mer sont toujours présents7. Au chapitre deux, j’aborde la question fondamentale qu’est le fonctionnement de la pêche à la fois pour les métropolitains et les habitants. Encore une fois, les mémoires administratifs dénoncent amplement des problématiques déjà existantes dans les colonies précédentes soit Plaisance et l’île Royale. Ainsi, une fois énoncées des statistiques sur les prises, les marchés et les prix de la morue, on dénonce des problèmes récurrents que sont la contrebande de morue, l’accès aux graves, la location de celles-ci, l’accès à la maind’œuvre, l’endettement des habitants auprès des métropolitains ou encore la rareté et la cherté du sel. En contrepartie, on s’intéresse peu à la place de l’archipel dans le commerce atlantique et aux stratégies déployées par les habitants pour y participer. Néanmoins, à l’occasion, on souligne l’ingéniosité démontrée par certains d’entre eux pour mettre à profit les bénéfices de la pluriactivité économique.

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W. Gordon Handcock énumère sensiblement les mêmes défis en parlant de la population anglaise de Terre-Neuve. As Long...op.cit., p. 14.


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C’est surtout à partir des parties II et III que l’étude rejoint davantage le but premier de mes travaux, soit l’analyse démographique, des indicateurs de richesse et des relations économiques qu’entretiennent les habitants entre eux mais aussi avec d’autres intervenants de l’Atlantique français. Ainsi, au chapitre quatre, je m’intéresse aux événements démographiques dans l’archipel mais en privilégiant une analyse plus fine pour Miquelon. Cela s’explique par mon intérêt envers le sort des Acadiens dans l’Atlantique suite à la Déportation de 1755. Ici encore, je tente de répondre à des questions connues de l’historiographie démographique coloniale, soit les tendances saisonnières de conception et de mariage, les causes de décès ou encore la mortalité infantile. Il y a toutefois lieu d’aviser le lecteur que l’analyse des possessions des habitants, que l’on peut associer à celle des indicateurs de richesse, a tendance à s’étendre sur l’ensemble des parties deux et trois. En effet, à la fois les recensements et les documents notariés permettent d’en connaître davantage sur le niveau d’aisance des habitants et de leur capacité à subvenir à leurs besoins, tout en tirant leur épingle du jeu dans l’organigramme économique de l’industrie des pêches. L’archipel et ses habitants sont donc loin d’être repliés sur eux-mêmes et le recours au notariat le démontre. En effet, les innombrables actes notariés dépouillés confirment les rouages permettant aux habitants d’accéder à l’immobilier, aux infrastructures, aux embarcations ou encore à la main-d’œuvre métropolitaine. Mais on y découvre aussi les effets nocifs de l’endettement. Ainsi, si l’on dressait un tableau des noms de lieux mentionnés dans les documents notariées, surtout les procurations, on constaterait les nombreux liens existants avec certaines régions de France, des Antilles et de Terre-Neuve. Donc, les chapitres quatre à sept, en ayant recours aux recensements et au notariat, mettent en relief des composantes d’analyse démographiques et économiques. Il devient alors envisageable de quantifier les capacités de production des unités familiales et les niveaux de richesses. L’on perçoit aisément la détermination des habitants à préserver l’intégrité du patrimoine familial et si possible, le faire fructifier. Il devient alors envisageable de reconstituer partiellement l’environnement matériel des habitants. Bien qu’ils bénéficient par moment de l’assistance de l’État, les habitants finissent par assoir partiellement les fondements de leur subsistance alimentaire.


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Donc, à n’en pas douter, le sort socioéconomique des familles de l’archipel occupe passablement de place dans cette recherche. D’ailleurs, selon Vincent Gourdon et FrançoisJoseph Ruggiu, « Il existerait un certain retard de l’historiographie française et francophone dans le domaine de l’histoire de la famille dans le monde colonial8 ». Pour Danielle Gauvreau, la « famille occupe une place essentielle » dans l’Ancien Régime puisque c’est le noyau de la « construction démographique et de la construction du ménage 9». C’est aussi le lieu d’une répartition du travail entre hommes et femmes alors que les premiers exercent le rôle de producteur et les deuxièmes occupent celui de la sphère domestique. Cette sphère inclut aussi une participation variable au processus de production. Comme on le verra dans le cas de l’archipel, les filles s’initient très jeunes au travail domestique ou même à l’apprentissage dans d’autres foyers alors que les garçons, eux, ont plutôt tendance à seconder le père dans ses travaux. À travers l’étude des comportements démographiques et économiques des habitants de l’archipel, je tente ainsi de déceler des stratégies. Par exemple, la pluriactivité économique devient plus envisageable pour les familles plus nombreuses dont quelques membres sont d’âge à effectuer un travail adéquat. Une solution de rechange est celle de la cohabitation. Une autre grande constance ressortant de mes observations est celle du partage des ressources. Dans un premier temps, celui des outils de production que sont les graves avec leurs infrastructures et dans un deuxième temps, celui des animaux de ferme et des maigres espaces agricoles. Également, tel qu’évoqué plus haut, toute proportion gardée, la population de l’archipel fait amplement appel au notariat à titre d’outil régulateur des relations familiales et économiques. Une petite mise en garde s’impose cependant à deux égards; les chiffres provenant des mémoires, énoncés surtout dans les deux premiers chapitres, doivent être abordés avec parcimonie puisqu’il est difficile à dire jusqu’à quel point celui qui les évoque est bien informé. Ensuite, la définition de résident exige elle aussi une mise au point; certains habitants sont plutôt des saisonniers en ce sens qu’ils sont effectivement propriétaires d’infrastructures dans l’archipel, mais n’y résident que durant la saison de

1 V. Gourdon et F-J Ruggui, « Familles en situation coloniale », p. 5. D. Gauvreau, « Nuptialité et catégories professionnelles à Québec », p. 25.

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pêche. Ainsi, dans les documents notariés, l’usage du terme « habitué » peut vouloir dire résident saisonnier autant que permanent10. Le territoire à l’étude mérite d’être présenté succinctement, mais dans un contexte contemporain. Dans un premier temps, Christian Fleury emploie certains qualificatifs pour le désigner tels que « archipel français d’Amérique du Nord, terre française résiduelle en Amérique du Nord » ou encore, de territoire permettant une « ouverture sur le monde par la pêche11». Dans un deuxième temps, en termes d’étendue territoriale, on parle d’un archipel de 242 km2 situé à 18 km de la côte terre-neuvienne. La plus grande des îles est celle de Miquelon (114 km2) jointe à Langlade (95 km2) par un bras de sable depuis le 18e siècle. Finalement, Saint-Pierre, l’île capitale, si l’on peut se permettre de la qualifier ainsi, fait 27 km2. Selon le recensement de 1999, on compte 5 618 habitants à Saint-Pierre et 698 à Miquelon12. Précisons que les distances énoncées dans les documents d’époque ont tendance à varier. Loin de moi l’intention de prétendre que jusqu’ici, l’archipel a été négligé par l’historiographie. Les études les mieux connues sont celles de Jean-Yves Ribault, de Charles de La Morandière ou encore de Michel Poirier. Plus récemment, quelques thèses ou articles forts éclairants abordent des aspects plus pointus de la vie dans l’archipel. On pense ici aux recherches de Frederick J. Thorpe, Braden Morris ou encore Charles Martijn. Néanmoins, ma recherche permet de mieux se familiariser avec les réalités démographiques et économiques des habitants de l’archipel. Comme je l’ai dit, mes travaux s’inscrivent à l’intérieur d’un programme visant à documenter les efforts des réfugiés acadiens et des colons Français de mieux s’intégrer dans cette nouvelle colonie française d’après 1763. Quant aux sources primaires utilisées, les archives coloniales françaises comprennent la correspondance officielle, les archives notariales et celles de l’état civil incluant les recensements et les registres paroissiaux. À certains endroits dans le texte, surtout dans la

Gordon Handcock, lui, utilise l’expression « dual residency » pour qualifier ce phénomène existant aussi à Terre-Neuve. Soe Long...op.cit., p. 47. 11 C. Fleury, « Discontinuités et systèmes spatiaux. La combinaison île/frontière…», p. 3. 12 Ibid., p. 26. 10


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sous-section sur les enjeux politiques, le recours à l’inventaire des archives du Colonial Office (CO 194), réalisé par Olaf Janzen, permet de présenter une perspective mieux équilibrée des évènements.


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Partie I – Contexte géopolitique et économique de Saint-Pierre et Miquelon

Chapitre 1 L’intérêt de la France envers les îles Saint-Pierre et Miquelon, 1761-1805 Comment insérer l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon à titre de sujet d’étude dans le concept de Nouvelle-France, ou encore de l’Atlantique français? Selon Catherine Desbarats et Allan Greer, dans l’esprit des autorités françaises, la désignation de frontières strictes cédait le pas à des « ambitions impériales illimitées ». En théorie, « toutes les Nouvelles-Frances canadiennes et québécoises regroupent les territoires revendiqués par la France soit la Louisiane, l’Acadie, l’Île Royale, le Canada ». Ces régions seraient en quelque sorte des « composantes régionales d’un vaste ensemble13». Si l’on s’en remet à l’approche préconisée par ces auteurs, Saint-Pierre et Miquelon trouve sa niche dans cette réalité comme « route de navigation, de commerce, sources de poisson ». Son importance se comprend en vertu du fait que les « Européens se préoccupaient autant de la légitimité de leur présence sur les eaux que sur la terre14». Comme Dominique Deslandres, je distingue « colonies de peuplement et colonies d’exploitation où il est moins pressant peutêtre d’asseoir la souveraineté politique que la souveraineté économique15». Dans ma perspective d’ensemble de l’Atlantique français, Saint-Pierre et Miquelon répond bien à cette orientation en se positionnant à la fois comme une colonie de ressource (poisson), comme dépôt commercial et, finalement, à titre d’école de formation de matelots pour la Marine Royale16. Dans le cas de l’archipel, on peut à juste titre clamer une certaine souveraineté économique grâce à « des migrations annuelles de main-d’œuvre » des pêches terre-neuviennes17. Dans

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C. Desbarats et A. Greer, « Où est la Nouvelle-France? », p. 31-33. Ibid., p. 43. 15 D. Deslandres, « ‘Et loing de France, en l’une & l’autre mer, les Fleurs de Liz, tu as fait renommer` : …», p. 101, note 23. 16 Dans l’Empire français du 18e siècle, les ports coloniaux remplissent une fonction « d’interface, de contact entre la colonie et sa métropole européenne mais aussi entre d’autres colonies d’un même empire ou d’empires différents ». J-F Klein et B. Marnot, Les Européens dans les ports en situation coloniale XVIe-XXe siècle, 17 C. Desbarats et T.Wien, « Introduction : la Nouvelle-France et l’Atlantique », p. 19-20. 14


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la foulée des travaux de Mario Mimeault qui s’intéresse à « la partie québécoise du golfe Saint-Laurent18», mon territoire d’étude demeure à la fois dans la sphère d’influence de Terre-Neuve, presque complètement anglaise depuis 1713, de la métropole et des colonies françaises de l’Atlantique après le Traité de Paris de 1763. Le projet archipel s’inscrit ainsi dans l’époque qualifiée « d’atlantisme prérévolutionnaire », qui s’étend de 1763 à 1789 environ et qui marquerait la véritable fin de cette deuxième guerre anglo-française de 100 ans19. Toutefois, Silvia Marzagalli est d’avis que ce n’est pas la Révolution de 1789 qui a compromis les échanges commerciaux, mais plutôt le conflit maritime entre la GrandeBretagne et la France à compter de 179320. Il ne fait aucun doute que la pêche hauturière et la traite négrière en seront affectées. La vie à Saint-Pierre et Miquelon sera donc assujettie à cette alternance de conflits et d’apaisements. On parle ici des périodes 17631778 et 1783-1792, suivies de trois conflits successifs entre 1792 et 181521. 1.1-Un enjeu géopolitique et historique L’archipel de Saint-Pierre et Miquelon est découvert par les Portugais vers 1520 pour ensuite être fréquenté, exploité et défendu par la France à partir de Plaisance à compter de 166022. Des voyages d’explorations de Jacques Cartier jusqu’au Traité de Paris de 1763, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon est donc loin d’êtes inhabitée ou inexploitée. Dès juin 1536, Cartier rencontre des navires de France lors de son escale dans l’archipel23. En 1670, au passage de l’Intendant de Nouvelle-France, Jean Talon, il y a treize pêcheurs français sur place et quatre habitants permanents. À la fin de cette décennie, en 1679, existe alors une habitation ou établissement de pêche exploitée par trois Bretons. Le recensement de 1687 indique que 76 personnes se trouvent à Saint-Pierre, dont 66 engagés. Cette micro société dispose même d’une église et on compte quatre cabanes. En 1691 il y a 22 habitants et une dizaine en 1693, en contexte de guerre. Cette dizaine d’habitations emploient à peu

M. Mimeault, « Du golfe Saint-Laurent aux côtes de Bretagne et de Normandie (1713-1760) :…», p. 8. M.F. Godefroy, Le dernier rêve de l’Amérique française, p. 256. 20 S. Marzagalli, « Le négoce maritime et la rupture révolutionnaire : un ancien débat revisité », p. 185. Silvia Marzagalli est rattachée au Centre de la Méditerranée moderne contemporaine de l’Université de Nice. 21 L. Pineau-Defois, « Un modèle d’expansion économique à Nantes de 1763 à 1792 : », p. 373. 18 19

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F. Lanvin, « La Rochelle et la Grande Pêche en Amérique du Nord au XVIII e siècle (1713-1789) », p. 97. H. Innis, The Cod Fisheries, p. 24.


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près 200 engagés durant la saison de pêche. Il n’y a jamais eu de véritables fortifications au 17e siècle, si ce n’est la résidence d’un habitant que l’on a adapté à cette fonction en 169424. Durant le 17e siècle, les défis que pose la vie dans l’archipel sont à peu près semblables à la situation prévalant durant la deuxième moitié du 18e siècle. Ceux désirant y demeurer dépendent presqu’entièrement des navires de la métropole pour s’approvisionner et écouler leur poisson. Ils sont tout aussi vulnérables aux attaques anglaises lors des deux guerres coloniales (d’Augsbourg et de Succession d’Espagne, 1687-1713)25. Durant le régime français, soit de 1650 à 1713, l’archipel est sous la responsabilité de la capitale française de Terre-Neuve soit Plaisance26. Les officiers subalternes qui y sont assignés ne sont toutefois pas en mesure d’empêcher la traite avec des navires anglais et contrôlent difficilement les débordements des équipages des navires métropolitains français27. Par le Traité d’Utrecht de 1713, l’article treize stipule que la France se réserve le droit de pêcher sur la côte de Terre-Neuve, depuis le Cap Bonavista jusqu’à la Pointe Riche en remontant vers le nord. Elle a aussi le droit de construire des échafauds sur cette côte et d’y maintenir des cabanes durant la saison de pêche. Les pêcheurs métropolitains français peuvent donc y préparer, saler et sécher leur poisson28. Suite au Traité d’Utrecht de 1713, arrivent dans l’archipel des navires anglais de Poole et de Guernesey, quoique leur nombre n’augmente pas très rapidement par la suite29. Dès 24

J. Chapelot, A. Geistdoerfer, E. Rieth, Les îles Saint-Pierre et Miquelon. Étude archéologique, p. 24, 2829. 25 Pour un compte-rendu succin des attaques anglaises contre l’archipel durant ces deux conflits, voir N. Landry, « La guerre de la Ligue d’Augsbourg…» et « La guerre de Succession d’Espagne..». Par ailleurs, il est important de rappeler qu’entre 1696 et 1708, les attaques françaises contre les communautés de la côte anglaise de Terre-Neuve effacent pratiquement toute trace d’habitation permanente; bateaux, maisons et autres possessions sont abandonnées à l’ennemi et détruites. C’est donc la ruine et la banqueroute pour ces habitants, comme ce le sera pour les habitants français de l’archipel durant la deuxième moitié du 18 e siècle. Handcock, op.cit., p. 45. 26 Pour plus de détail à ce sujet, voir N. Landry, Plaisance Terre-Neuve. 27 À compter de 1684 au moins, des navires de Nouvelle-Angleterre approvisionnent des pêcheurs et commerçants français de Saint-Pierre avec de la morue salée et du rhum en échange d’articles de consommation des Indes occidentales, des biens européens et des marges de crédit. C. Magra, The Fisherman’s Cause, p. 115. 28 Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802. Bibliothèque et Archives Canada (dorénavant BAC)-Manuscript Group (dorénavant MG1)-C11F, bobine F522, vol. 4, f 226. Sur ce traité voir J.K. Hiller, « Utrecht Revisited…». 29 C. G. Head, Eighteenth Century.., p. 58.


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l’année suivante, William Taverner reçoit une commission pour effectuer un voyage d’exploration, d’arpentage et de cartographie sur le segment de côte entre Placentia et Cape Raye, incluant Saint-Pierre et Miquelon30. Entre 1713 et 1763, l’archipel demeure donc très modestement habité et exploitée par les Anglais. On parle de la présence de 44 à 100 personnes qui, en 1763, déménagent à Fortune Bay31. Un aspect souvent négligé de l’historiographie du Canada atlantique est qu’entre 1713 et 1763, l’archipel donne lieu à des relations d’affaires régulières entre sujets anglais et français qui ne s’embarrassent pas des rivalités impériales. Qu’il soit permis d’en relater quelques exemples. En 1714, Jean Villedieu doit rembourser Mr Cleeve pour l’achat de 100 barils de sel, en plus d’avoir promis de lui livrer 200 quintaux de morue à Saint-Pierre. Sur cette déclaration figure la signature d’un habitant français de longue date dans la région soit Simon de Bellorme32. L’année suivante, en 1715, se déroule une transaction entre Levesque et Tulon, impliquant la vente de la moitié de la part d’une maison à Saint-Pierre pour 2000 livres33. Une autre trace d’un résident permanent dans l’archipel apparait en 1716, dans un contrat passé entre Olivier Tulon, « maitre-habitant » et Pierre Careye de Guernesey. Ce dernier fait alors partie d’une compagnie propriétaire du navire les Deux Sœurs34. Comme les Français l’ont fait au 17e siècle, les Anglais tentent eux-aussi d’étendre leur autorité administrative dans l’archipel et ce, en 1753 en y nommant alors un juge de paix35. Entre les années 1720 et 1760, quelques concessions sont accordées à des intérêts anglais dans l’archipel et font l’objet de demandes de dédommagement suite à la prise de possession par la France en 1763. Un cas plutôt bien documenté est celui d’une concession accordée en 1722 par Richard Phillips, alors gouverneur de Nouvelle-Écosse et de Placentia. Cette concession à Saint-Pierre est accordée au capitaine Diamond Sarjeant qui 30

Handcock, op.cit., p. 50. Ibid., p. 94, 102. 32 Tupper, Riggs, Isle of St.Peter’s, to Lords of Trade, Septembre 1714. Colonial Office 194, vol. 6, p. 147, bobine B-208 et 209. Rappelons que les références aux archives du Colonial Office proviennent de l’inventaire en ligne rendue disponible par le professeur Olaf Janzen du Grenfell College de Terre-Neuve. http://www2.swgc.mun.ca/nfld_history/co194/. 33 1 février 1715, CO 194, vol. 6, bobine B-208, page 147-147v. 34 Tulon, Guernesey, à Careye, Lemesurier. 28 janvier 1716. CO 194, vol. 6, bobine B-208, 209, pages 137138v. 35 J. Bannister, The Rules of the Admirals, p. 143. 31


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en vend ensuite le deux tiers à Samuel Cutt. En 1758, Sarjeant vend l’autre tiers à Robert Trail pour 750 livres sterling. En 1763, Trail demande à être dédommagé en argent pour sa perte, ou en valeur équivalente ailleurs, inclurant l’obtention d’une charge publique en Amérique36. Mais il ne leur sera pas possible de fournir des preuves tangibles de l’existence de cette soi-disant concession37. Vient ensuite une pétition d’un personnage bien connu du 18e siècle au Canada atlantique soit Joshua Mauger. Lui et ses associés Gregory Olive et John LeBreton soumettent une pétition au roi pour obtenir une compensation de pertes résultantes du transfert de l’archipel à la France en 1763. Le Board of Trade la rejette en 176738. Ces messieurs ne sont pas les seuls à s’inquiéter du transfert de l’archipel aux Français. Par exemple, George Tito, de Poole, se préoccupe de la question des pêches et de la propriété de l’archipel39. Quant à Edward Handburry, maire de Dartmouth en Angleterre, il suggère de protéger Terre-Neuve avec des vaisseaux de guerre et non en construisant davantage de fortifications40. En décembre 1761, un extrait du journal anglais Saint-James Chronicle trace un bilan des gains britanniques résultant de la Guerre de Sept Ans. Entre autres, l’Angleterre aurait réussi à éliminer la concurrence française dans l’industrie des pêches puisque l’on doute que les Français, « réduits à la possession des misérables rochers de Saint-Pierre et Miquelon, soient jamais en état de préparer » le cinquième de la morue qu’ils pêchaient autrefois. La guerre aurait donc forcé la couronne de France d’oublier ses « anciennes prétentions à la pêche sur les bancs de Terre-Neuve41». Un épisode négligé de la Guerre de Sept Ans est la conquête éphémère de Terre-Neuve par la France à l’été 1762. Dans l’optique de Mark Osborne Humphries, le contrôle de Terre-Neuve n’est alors pas uniquement un enjeu militaire pour les Anglais. Sa possession découle également d’une 36

Robert Trail and Samuel Cutt to King, London, 16 septembre 1763. CO 194, vol. 26, bobine B-215, pages 85-95. 37 Hillsbourough, Bacon, York à Earl of Halifax, 7 octobre 1763. CO 194, vol. 15, bobine B-212, pages 9596. 38 W. Sharpe, 29 mars 1765. CO 194, vol. 16, bobine B-212, p. 143. Copie d’un Ordre en Conseil rejetant la pétition de Mauger, Olive et LeBreton, 13 avril 1767. CO 194, vol. 18, bobine B-213. 39 George Tito, Poole, Bailiff, à Pownall, 5 janvier 1763. CO 194, vol. 15, bobine B-212, p. 55-56. 40 Edward Hanbury à Pownall, 21 décembre 1762. CO 194, vol. 15, bobine B-212, p. 57-57v. 41 Extrait du Saint James Chronicle, 9 décembre 1761. BAC-MG1-C11A, bobine F105, vol. 105, f 326329v.


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préoccupation économique, permettant aux Britanniques de reconstruire l’économie et d’exercer un contrôle sur la circulation des personnes et des marchandises à l’intérieur des sphères d’influence française et anglaise d’outre-Atlantique42. À la paix de 1763, selon les autorités françaises, les Anglais prétendent avoir le droit de faire la pêche sur les côtes attribuées aux Français en 1713 et soutiennent en plus que la France ne peut pas y laisser des bateaux en hivernage43. Mais comment se lit cette fameuse clause sur les droits de pêche français? Selon l’article 5, les sujets français peuvent pêcher et sécher le poisson sur les parties des côtes mentionnées dans le Traité d’Utrecht (1713), sauf au Cap-Breton et sur les îles à l’entrée du golfe du Saint-Laurent et même dans le golfe lui-même. Le roi d’Angleterre accepte toutefois de laisser les Français pêcher dans le golfe, en autant qu’ils demeurent de quatre à sept kilomètres des côtes appartement à la Grande-Bretagne et à 15 « leagues » (environ 72 km terrestre) du Cap-Breton. C’est l’article 6 qui mentionne que les Français reçoivent Saint-Pierre et Miquelon à titre d’abri pour les pêcheurs, mais où il est proscrit de construire des fortifications. La couronne française doit se limiter à bâtir des édifices civils et limiter la garnison à une cinquantaine d’hommes au maximum44. L’archipel est officiellement remis à François-Gabriel D’Angeac le 4 juillet 1763. Dès lors, Graves, à bord du navire Antelope à St-John’s, met les Lords du Commerce en garde contre les commerçants de Nouvelle-Angleterre qui rodent sans cesse dans les parages45. Durant le processus de transition de l’archipel, les Anglais documentent les pertes financières anglaises en découlant et confient à James Cooke le soin de cartographier la région46. Ce sont les capitaines Charles Douglas et Graves qui s’acquittent de cette tâche, en dressant un inventaire des biens non transportables et en embarquant les habitants

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M. Osborne Humphries, « A Calamity from which no relief can be expected : », p. 35. Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802. BAC-MG1-C11F, bobine F522, vol. 4, f 226. 44 Egremont, Whitehall à Lords of Trade, 8 mars 1763. CO 194, vol. 15, bobine B-212, p. 61-62. Pour plus de détails à ce sujet voir J.K. Hiller, « The Newfoundland Fisheries Issue in Anglo-French Treaties, 17131904 », p. 7-8. Selon cet historien, les Anglais ont alors assumé à tort que l’archipel ne pourrait jamais faire vivre une population permanente ou devenir un compétiteur commercial significatif de Terre-Neuve. 45 Graves à Lords of Trade, 4 juillet 1763. CO 194, vol. 15, bobine B-212, p. 108-109. 46 S. J. Hornsby, Surveyors of the Atlantic…p. 36. 43


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anglais47. Durant la deuxième moitié des années 1760, les archives françaises et anglaises laissent transparaître un triangle de correspondance entre D’Angeac, Hugh Palliser (gouverneur de Terre-Neuve) et le Board of Trade. À la fois Français et Anglais se plaignent réciproquement de la conduite de l’autre dans les activités de pêche le long des côtes terre-neuviennes et à proximité de l’archipel. On en revient invariablement à la problématique de l’interprétation des clauses territoriales du Traité de 1763. Par exemple, Palliser exprime son mécontentement à l’égard des Français relativement au commerce d’alcool et d’achat de poisson auprès des Anglais et néo-anglais pour compléter leurs cargaisons. Encore pire, il s’inquiète de rumeurs voulant que les Français livrent des armes et des munitions aux Micmacs du Cap-Breton48! Il ne fait pas que se plaindre puisqu’il saisit cinq vaisseaux néo-anglais en 1765, parce qu’ils commerçaient avec l’archipel. Il n’aime pas non plus le fait que des Micmacs et des Acadiens fréquentent à la fois l’archipel et la côte de Terre-Neuve. De son point de vue, ces deux groupes constituent alors une menace pour les pêches anglaises et des acteurs importants du commerce illicite avec les Français de Saint-Pierre49. D’Angeac, lui, demande à Palliser de rendre aux Français les quatre chaloupes saisies entre l’Île Verte et la côte de Terre-Neuve en 1765. Il maintient que les chaloupes pêchant près de l’archipel y sont autorisées par les provisions du Traité de Paris et que ce dernier n’impose aucune limite territoriale à cet effet50. Toujours en 1765, certains intervenants français ne semblent guère impressionnés par les possibilités qu’offre l’archipel à titre de colonie de pêche pour la France. Entre autres, Louis Bretel, dans un mémoire acheminé à la cour la même année51, estime que la pêche y sera plutôt difficile, en raison des patrouilles des frégates anglaises stationnées à TerreNeuve. D’après lui, non seulement cette présence a-t-elle pour résultat de compliquer la vie des pêcheurs, mais elle peut également nuire au libre commerce avec les pêcheurs

Charles Douglas, St.Peter’s, 6-7 juillet 1763. CO 194, vol. 15, bobine B-212, p. 200. Captain Graves à Mr Stephen’s, 20 octobre 1763. CO 194, vol. 26, bobine B-215, p. 116-117v. 48 Hugh Palliser, St-John’s, à Board of Trade, London, 9 octobre 1764. CO 194, vol. 16, bobine B-212, p. 34-37. 49 Hugh Palliser, St-John’s, à Board of Trade and Plantations, London, 3 octobre 1766. CO 194, vol. 16, bobine B-212, p. 170-173v. 50 D’Angeac à Palliser, 25 juin et 30 juin 1765. CO 194, vol. 27, bobine B-674, pages 65-65v et 66-68v. 51 Mémoire de M. Bretel. État actuel de la pêche à la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon et à TerreNeuve, 1765. BAC-MG1-C11F, bobine F521, vol. 3, f 185-190. Louis Bretel est avocat de Granville, et conseiller auprès du roi sur les pêches de Terre-Neuve à compter de 1763. 47


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anglais, ou encore avec les navires de commerce. Également, il est peu envisageable de faire de l’archipel un entrepôt pour les produits des îles françaises de l’Atlantique. D’ailleurs, ces produits ne sont-ils pas déjà acheminés directement dans les ports de France? Un autre argument formulé par Bretel, mais pas très convaincant, veut qu’il n’y ait que les habitants de l’archipel qui puissent y faire la pêche et qu’en conséquence, on ne peut plus parler d’une pépinière de matelots pour la France. Il rejette donc la possibilité de faire de ces îles un outil de négociation politique permettant à la France de « conserver un pied dans le Canada, et comme une facilité pour le reconquérir un jour ». Certains de ses arguments sont cependant plus convaincants. Par exemple, les îles ne pourront jamais être fortifiées et la surveillance constante des Anglais veille à ce qu’il n’y ait aucune disposition de prise à cet effet. C’est ce qui fait qu’à la moindre apparence de conflit, les Anglais s’empareront facilement de l’archipel. Il est même possible qu’ils n’y voient pas là une conquête, mais simplement une reprise de possession. Également, les habitants français de l’archipel pourraient peut-être même être déportés à Plaisance plutôt qu’en France52? Plus loin, Bretel se demande pourquoi la France ne céderait-elle pas l’archipel pour épargner « des sommes considérables ». Cet argent serait ensuite consacrer à l’encouragement des pêches. Sur la scène diplomatique, cet abandon permettrait peut-être de désamorcer d’autres querelles avec l’Angleterre? D’ailleurs, le prétexte de refuge pour la flotte de pêche française attribué à l’archipel n’aura plus sa raison d’être si la France finit par céder complètement son droit de pêche dans le golfe du Saint-Laurent. De toute manière, en cas de danger, toute la côte anglaise de Terre-Neuve peut servir d’abri53. En évoquant le jeu diplomatique prévalant entre la France et l’Angleterre, Bretel estime que si cette dernière s’acharne à priver la France de l’archipel, il faut en conclure que cet enjeu est plus important pour eux que pour la France54. Comme proposition à caractère diplomatique, Bretel suggère de « convaincre l’Angleterre que de la propriété des îles Saint-Pierre et Miquelon dépend celle des mers qui les baignent jusqu’à une certaine distance, ce qui devrait donner à l’Angleterre plus d’envie de les réunir à sa propriété de

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Mémoire de M. Bretel, 1765, op.cit., f 185-185v Ibid., f 186. 54 Ibid., f 187v. 53


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l’île entière de Terre-Neuve55». Il semble ainsi préconiser un droit français exclusif dans la région de la Pointe Riche de Terre-Neuve. Encore en 1765, l’ambassadeur de France remet un mémoire à lord Halifax afin de mieux dépeindre les contraintes imposées aux pêcheurs français par les Britanniques. En premier lieu, on dénonce l’exclusion des pêcheurs français du golfe par des frégates anglaises. Selon les Français, elles agissent alors « contrairement aux dispositions du traité de Paris ». En second lieu, on prétend que les pêcheurs anglais sont venus faire la pêche aux côtes des îles Saint-Pierre et Miquelon. Il semblerait donc que les Français soient souvent les victimes de « vexations et de menaces aux mains des pêcheurs et des officiers anglais 56». Les choses semblent mieux se présenter l’année suivante, du moins si l’on s’en remet à une correspondance du comte de Guerchy au duc de Choiseul57, voulant que Hugh Palliser, gouverneur anglais de Terre-Neuve, fasse maintenant preuve de bonne volonté. Le comte de Guerchy attribue ce revirement positif à ses entretiens auprès de Lord Egmond et du duc de Richmond. De son côté, Palliser maintient qu’il n’importune nullement les navires français pêchant le long de l’archipel, mais seulement ceux se trouvant dans les « havres des côtes méridionales de Terre-Neuve ». Il se dit convaincu que ceux-là s’adonnent invariablement à la contrebande. Cette tension diplomatique et géopolitique se matérialise concrètement sur le territoire même, en novembre 1767. Citons le cas de l’habitant de Saint-Pierre Guy Phélipeaux, qui fut piégé et fait prisonnier momentanément par des corsaires anglais de Terre-Neuve58. L’incident a lieu en juin, alors que Guy et son frère Gabriel sont arrêtés sur l’île Verte par trois Anglais. Ces derniers sont détachés de la chaloupe de guerre La Perle, avec mission d’attirer des Français en feignant la détresse. Ils doivent ensuite reconduire leurs prisonniers à Baie de Fortune. Quoique les frères Phélipeaux réussissent à se sortir de ce

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Ibid., f 188. Copie du mémoire donné par l’ambassadeur de France à lord Halifax, 7 avril 1765. BAC-MG1-C11F, bobine F519, vol. 1, f 250-252v. 57 Londres. Copie d’une lettre du comte de Guerchy au duc de Choiseul, 3 juin 1766. BAC-MG1-C11A, bobine F108, f 147-148. 58 Extrait d’une lettre de Monsieur d’Angéac du 23 juillet 1767, 7 novembre 1767. BAC-MG1-C11F, bobine F522, vol. 4, f 14-15v. 56


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gué tapant, le gouverneur Gabriel d’Angéac pense qu’il est alors impératif de déposer une plainte à la Cours de Londres. La question maintes fois débattue au sujet d’une soi-disant frontière maritime dans le bras de mer entre Saint-Pierre et Miquelon et Terre-Neuve, continue de tracasser les Anglais en 1769. Ils se questionnent encore sur les moyens d’imposer cette ligne de démarcation dans l’espoir d’enfin régler cette incessante dispute59. Il semble cependant que l’application de cette frontière par les patrouilles navales britanniques donne parfois lieu à des épisodes violents et en 1771, Byron s’en excuse auprès de D’Angeac60. Les Français, eux, tout en réitérant leur droit de pêcher dans cet espace maritime, souhaitent que les relations entre les deux peuples demeurent cordiales61! Cette volonté diplomatique transparait en 1770, alors que l’ambassadeur français en Angleterre parvient à convaincre le ministre britannique d’admettre que le droit de pêcher sur les côtes de Terre-Neuve s’accompagne de facto de celui d’y laisser des embarcations et des ustensiles de pêche en dépôt durant l’hiver62. Dans un tout autre ordre d’idée dépeignant bien les problèmes d’approvisionnement de l’archipel, un épisode intriguant se produit en mai 1772. C’est alors qu’une « goélette française » en provenance de SaintPierre et Miquelon accoste au port de Québec, et dont le capitaine est justement d’Angeac. Ce dernier semble être à Québec en quête d’approvisionnement en « marchandises rares dans les îles ». Il en rapporte de la farine, des biscuits et autres provisions. Les passagers comptent parmi eux l’épouse du chirurgien-major Edme Henry, des Canadiens, des Acadiens, un musicien français et une « fille noire » soit une douzaine de personnes au total. L’équipage, lui, se compose de six hommes63. De 1768 à 1779, en dépit des incessantes tractations diplomatiques, la pêche française autour de l’archipel montre une augmentation substantielle de ses prises de morue qui

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Wood, Londres, à Pownall, Londres, 31 mai 1769. CO 194, vol. 28, bobine B-675, pages 77-77v. Byron, St-John’s, à D’Angeac, 4 septembre 1771. CO 194, vol. 30, bobine B-673, p. 63-64v. 61 31 janvier 1772, CO 194, vol. 18, bobine B-213, p. 123. 62 Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802, op.cit., f 226v. 63 Navire no 3723, goélette française, 1772. Site web C.V. Campeau. http://naviresnouvellefrance.net. 60


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passent de 26 390 à 36 670 quintaux64. Ce sont surtout des navires de Granville (87 de 1763 à 1792) et de Saint-Malo (15 à 26 par année) qui pêchent et font du commerce aux environs de l’archipel65. Chez les résidents, selon Harold Innis, de 1765 à 1777, les prises moyennes sont estimées à 6000 quintaux par année66. On attribue cette croissance au plus grand nombre de goélettes et au fait que les Anglais ne s’opposent plus à la pêche française dans le détroit, ou canal séparant l’archipel de l’île de Terre-Neuve. À l’époque, le droit sur les côtes s’étend à 12 km de distance dans le canal et à l’occasion, les Anglais en refusent l’accès aux Français67. Une autre question réapparaissant de manière intermittente est celle de l’accès au bois de Terre-Neuve pour l’archipel. Le gouverneur anglais permet habituellement, aux termes de négociations, aux pêcheurs français de couper du bois pour l’entretien des chafauds et des cabanes. Par exemple, en 1776, le gouverneur Montagu émet une proclamation permettant aux Français de se prévaloir de ce privilège68. Mais à peine deux ans plus tard, on le sait, les Anglais doivent réagir suite à l’implication militaire française dans les hostilités en Amérique du Nord et ce, en faveur des rebelles américains. C’est ainsi qu’en octobre 1778, Montagu prépare des navires pour s’emparer de l’archipel. Suite à cette conquête sans effusion de sang, le Baron de l’Espérance, alors gouverneur de l’archipel, demande que les officiers français soient traités avec davantage d’égard et que les habitants soient envoyés en France. Sauf qu’il n’y a alors pas assez de navires pour suffire aux besoins69. Montagu donne suite à ces demandes et davantage d’actions sont prises pour transporter des habitants de l’archipel en France. Ceux encore en attente bénéficient d’arrangements leur permettant de se nourrir et de s’abriter jusqu’à l’arrivée d’autres navires. Les Anglais ont aussi reçu l’ordre de raser les maisons et autres dépendances70, comme les Français

Hiller estime que la pêche française a effectivement atteint ses niveaux de production d’avant 1763. La reconstitution de la flotte de pêche française et les primes sur la morue y sont aussi pour quelque chose. Hiller, « The Newfoundland Fisheries Issue..», op.cit., p. 7-8. 65 J.-F. Brière, La pêche française…, p. 140, 169. 66 Innis, The Cod Fisheries.., p. 148. 67 Histoire philosophique et politique (p. 320). BAC-MG1-C11F, bobine F521, vol. 4, f 48-48v. 68 Gouverneur Montagu, 12 novembre 1776. CO 194, vol. 33, bobine B-676, p. 36-36v. 69 Baron de l’Espérance à Montagu, 14 septembre 1778. CO 194, vol. 34, bobine B-676, p. 38-38v. 70 Montagu à George Germain, 16 octobre 1778. CO 194, vol. 34, bobine B-676, p. 42-43. 64


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l’avaient fait sur la côte anglaise lors de la Guerre d’Espagne (1702-13)71. En novembre, il ne reste plus aucun habitant dans l’archipel, du moins selon Montagu72. Par la suite, lors du Traité de Versailles de 1783, les articles quatre à six concernent les pêcheries françaises. D’abord, l’article quatre confirme la cession de l’archipel « en toute propriété à la France ». En vertu de l’article cinq, les espaces de pêche français sur la côte de Terre-Neuve s’étendent depuis le Cap Saint-Jean au nord en descendant ensuite la côte ouest jusqu’au Cap Raye. Ainsi prévalent les mêmes privilèges existants au moment du Traité d’Utrecht de 1713. De manière plus formelle, c’est le 4 avril 1783 que Londres accepte de restituer l’archipel à la France. La restitution des îles, ainsi que l’accès aux pêcheries, se déroule le 28 juillet entre le capitaine anglais Farnham et le gouverneur français par intérim Dumesnil-Ambert, qui arrivent tous deux le 30 du même mois73. On dresse les tantes de bivouac, on construisit un magasin et on prépare des chaloupes de pêche74. Cependant, l’approvisionnement en bois fait défaut et les Français en achètent à Terre-Neuve et en Nouvelle-Angleterre pour environ 570 000 livres tournois75. Mais l’année suivante, en 1784, le baron de l’Espérance se plaint déjà que les autorités anglaises de Terre-Neuve tardent à laisser les Français de l’archipel couper du bois sur la partie de la côte faisant face à Saint-Pierre et Miquelon76. Il y a donc manifestement des tensions diplomatiques et dans l’espoir de les apaiser, les Français laissent les pêcheurs anglais fréquenter les eaux au large de l’archipel, mais pas celles du canal entre Saint-Pierre et la côte de Terre-Neuve. Dans la version finale du Traité de Versailles (3 septembre 1783), on y réaffirme cependant qu’il y a bel et bien une frontière maritime dans ce fameux canal77.

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Gouverneur Montagu à George Germain, 5 octobre 1778. CO 194, vol. 34, bobine B-676, p. 34-35. Montagu, 19 novembre 1778. CO 194, vol. 34, bobine B-676, p. 46-47. 73 De juillet à septembre 1783, une série de lettres entre l’Espérance et le gouverneur Campbell abordent en détails le processus de réoccupation de l’archipel par la France. CO 194, vol. 35, bobine B-676, pages 226235. 74 Mesures prises lors de la rétrocession en 1783, 1802, op.cit., f 228v. 75 M. Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon 1758-1828 : p. 100. Il n’y a pas que l’archipel qui dépend des provisions américaines. En effet, à la veille de la Révolution américaine, Terre-Neuve s’en remet presque complètement aux provisions de Nouvelle-Angleterre. Par exemple, en 1774 seulement, 170 navires de cette colonie visitent Terre-Neuve. K. Norrie et R. Szostak, « Allocating Property Rights Over Shoreline : », p. 8. 76 Poirier, op.cit., p. 100. 77 J.K. Hiller, « The Newfoundland Fisheries Issue…», op.cit., p. 14. 72


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À la même époque, une évaluation très positive du potentiel de l’archipel émane de la plume du commissaire-ordonnateur Malherbe, en août 1784. Il réitère sans hésiter l’importance de l’archipel pour la France, en raison de l’ampleur du commerce et de la formation des matelots. Il semble au fait des données disponibles sur les prises de morue en disant que la pêche peut produire annuellement jusqu’à 90 000 quintaux de morue verte et séchée, quelques barils de langues et de noues et de 300 à 400 barriques d’huile de poisson. La navigation, elle, peut contribuer à former 1 200 matelots. Mais pour favoriser cette exploitation, il faut prohiber l’entrée de poisson étranger en France et dans les colonies d’Amérique et augmenter le droit imposé sur ce poisson. Bref, trouver un moyen pour que le prix de la morue étrangère ne soit pas moindre que celui du poisson français78. Un autre mémoire, de la nouvelle administration de l’archipel celui-là, démontre bien que l’on s’inquiète encore des menaces anglaises. La question fondamentale demeure; si l’on ne peut pas envisager de fortifier cette colonie, comment assurer aux bâtiments français « la jouissance libre et tranquille de la pêche dans les endroits déterminés par le dernier traité de paix79»? Il semble bien que l’équation demeure la même à travers les années, à savoir que si les Anglais paralysent la pêche française dans le golfe, ils privent la France « d’un grand nombre de marins très précieux » et en embauchent même sur leurs propres navires80! N’empêche qu’il semble bien s’être développé un assez bon voisinage entre certains pêcheurs de l’archipel et de la côte anglaise. Par exemple, en 1786, Barbazan rapporte que les chaloupes anglaises viennent au printemps sécher leur poisson sur les côtes de Miquelon et les chaloupes françaises font de même à l’automne sur les côtes de Terre-Neuve. Bien que contraire aux traités, cet arrangement semble convenir aux deux parties. Pour les

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Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 126. 79 Mémoire sur la nouvelle administration des îles Saint-Pierre et Miquelon, 30 octobre 1785. BAC-MG1G1, bobine F767, vol. 463, f 131. 80 Ibid., f 131. Cette situation favorise sans doute la contrebande de morue entre pêcheurs français et anglais des deux colonies. Sur cette question pour la période précédente, voir entre autres O. W. Janzen, « The Illicit Trade in English Cod into Spain 1739-1748 », p. 1-22.


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pêcheurs français, cela leur permet de prolonger leur saison en « suivant la morue dans sa marche81». Ceci dit, à certains moments, Barbazan semble douter du bienfondé de consacrer trop de ressources à l’archipel et émet déjà des hypothèses de scénarios géopolitiques peu favorables. Il estime ainsi que « la constitution de cet établissement est un obstacle à l’accroissement de la pêche et justifie en quelque sorte la conduite des armateurs ». Il parle déjà dans la perspective où la guerre apportera la misère à l’habitant et au commerçant, qui cherchera à gagner de quoi compenser les pertes inévitables que lui causera « la première année de la guerre parce que son navire sera pris » et que le pêcheur sera dans l’incapacité de le payer82. À noter que Barbazan est alors commandant de la station de Terre-Neuve83 et il se plaint auprès du commandant anglais Elliot, des « dévastations commises par les sujets de la Grande-Bretagne aux divers établissements de pêche français ». C’est donc en dépit du Traité de Versailles de 1783 que les Anglais continuent de prétendre que la formulation nuancée de certaines clauses leur permet de continuer à pêcher sur la côte française de Terre-Neuve. Encore une fois, les protestations françaises ont peu effet84. Mais les Anglais aussi ont matière à récriminations. En 1778, le commandant anglais R.C. Reynolds précise qu’il y a alors trois navires de guerre français qui patrouillent autour de l’archipel et le long de la côte française soit l’Expérience (50 tonneaux), commandé par le chevalier de Rivière, le Vigilent (26 tonneaux) et le Furet (10 tonneaux) commandé par Manseville85. Dans la foulée de cette rétrocession ou réoccupation, Bourilhon, ancien commissaire de SaintPierre, revient sur les dommages causés par les Anglais lors de leur conquête de mai 1793.

Compte-rendu de Barbazan au ministre sur l’état misérable des pêcheurs de Miquelon et des remèdes à y apporter, 6 juin 1786. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 153v. 82 Ibid., f 154. 83 À compter de 1785, l’archipel n’est plus sous l’autorité d’un gouverneur mais plutôt d’un commandant. Ce dernier est à la tête d’un groupe d’une soixantaine d’hommes en plus de compter sur les services d’un commandant en second, d’un ordonnateur et aussi commissaire de la Marine, d’un juge d’amirauté, d’un contrôleur et d’un capitaine de port. Éventuellement, ce commandant sera soumis à l’autorité du commandant de la station de Terre-Neuve. O. Guyotjeannin, Saint-Pierre et Miquelon, p. 44. 84 Mesures prises lors de la rétrocession, 1802, op.cit., f 226. 85 Rapport du Commandant R.C. Reynolds à bord du HMS Echo, 1788. CO 194, vol. 21, bobine B-213, p. 169-174. 81


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Il va jusqu’à dire que l’archipel est pour ainsi dire au même point où il était au moment de sa découverte! 1.2-Description et appréciation des lieux En 1762, le journal britannique St-James Chronicle décrit Saint-Pierre comme étant composé de « deux petites îles et une autre moins grande qui n’en est pas éloignée ». Ce sont les îles Saint-Pierre au sud de Terre-Neuve, et Miquelon qui elle, est beaucoup plus grande selon les cartes anglaises, mesurant environ « trois quarts de lieux86 de longueur87 ». De manière générale, les îles Saint-Pierre sont composées de montagnes très escarpées, couvertes de mousse sous laquelle il y aurait du porphyre88. Tel qu’évoqué auparavant, les îles ont néanmoins quelques terres labourables et il y a déjà eu un petit fort français du nom de Fort Saint-Louis89. Un mémoire français de 1764 est plus détaillé en disant que SaintPierre est en quelque sorte formée de cinq îles et îlots, en plus de plusieurs rochers. On nomme donc l’île de Saint-Pierre, l’île aux Chiens (devenue l’île aux marins), l’île-auPigeon, l’île au Bourg et le Grand Colombier. On énumère ensuite d’autres points de référence tels le Petit Saint-Pierre, qui serait une simple roche à l’entrée de la passe de l’Est, l’île Matane qui est à l’intérieur de la rade, l’îlot Noir qui forme le sud sud-est de Saint-Pierre, les Tenailles et plusieurs rochers « à fleur d’eau et sous l’eau dans la partie sud-est de l’île et dans celle de l’Ouest90». L’île aux Chiens est également montagneuse et aride, quoique les montagnes y soient moins élevées que celles de Saint-Pierre. Là non plus ne se trouve aucune ressource pour le bois ou la culture et les propriétaires de graves n’y séjournent que durant la saison de pêche, avant de revenir dans leurs maisons de Saint-

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Lieux ou lieue; ancienne mesure équivalente à environ 4 km. Dans un mémoire de 1764, on mentionne que Saint-Pierre fait 16 km de circonférence et est très exposée aux grands vents à l’année longue. Port-au-Prince, Mémoire sur l’île Saint-Pierre adressé à Monsieur le comte d’Estaing par monsieur Poulin de Courval, 26 septembre 1764. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 76. 88 Porphyre; roche volcanique rouge foncé et compacte, mêlée de cristaux blancs. 89 Extrait du Saint James Chronicle sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, 4 décembre 1762. BAC-MG1G1, bobine F767, vol. 463, f 70. 90 Port-au-Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon 26 septembre 1764, op.cit., f. 77. Voir aussi pour une description encore plus précise, O. Guyotjeannin, Saint-Pierre et Miquelon, op.cit., p. 13. Il précise entre autres que les trois principales îles de l’archipel sont Saint-Pierre, Langlade et Miquelon et que les deux dernières sont jointes par un « cordon littoral ». 87


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Pierre. Là-aussi, les hautes marées répandent parfois trop d’humidité sur le poisson pour qu’il puisse sécher91. Aux yeux de certains observateurs, Saint-Pierre « ne forme qu’un tas de montagnes difformes ou même de rochers vifs92 ». La terre à la surface du sol n’aurait qu’un pouce et quart de profondeur, les réserves en bois sont plutôt maigres et se limitent surtout à des sapins d’un à deux mètres de haut. Il ne faut donc pas que les colons se fient sur cette faible ressource pour se ravitailler en bois de chauffage contre le « froid excessif qu’il fait dans cette partie du monde93 ». Mais la rade pourrait, selon Courval, abriter de dix-neuf à vingt gros vaisseaux. Par marrée de pleine lune, il y a 4,5 mètres d’eau dans l’entrée de la rade. Les petites îles et îlots mentionnés plus haut forment en quelque sorte un « retranchement admirable contre l’impétuosité des flots qui viennent rompent avec fureur94». L’été il n’y a donc pas à s’inquiéter des hautes marées mais il en est autrement l’hiver. Néanmoins, les fonds de la rade semblent rocheux et sablonneux, ce qui rend difficile de s’y encrer avec sureté. Il semble y avoir trois moyens ou « passes » pour entrer dans le port de Saint-Pierre; celle de l’est entre le petit Saint-Pierre et l’île au Pigeon pour les vaisseaux du roi, celle du nord-est entre le Cap à l’aigle et le petit Saint-Pierre. Il y a aussi deux passes dans la partie sud qui ne conviennent qu’à de petits bâtiments, car il n’y a pas assez d’eau pour les gros vaisseaux95. Un autre mémoire des années 1760 réitère sensiblement les mêmes observations en termes d’environnement96. On y répète que pour éviter les mauvaises surprises, les bâtiments tirant quatre mètres d’eau peuvent accoster mais seulement lors des marées les plus hautes. Par contre, les navires tirant trois mètres d’eau peuvent entrer dans le Barachois en tout temps

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Ibid., f 121. Port-au-Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, 26 septembre 1764, op.cit., f 77v. La partie septentrionale de Saint-Pierre est d’ailleurs surnommée « montagne » avec comme plus haut sommet un pic de 207 mètres. Guyotjeannin, op.cit., p. 14. La ville de Saint-Pierre comme tel se développe « en contrebas de la montagne », au nord d’un havre naturel relativement bien protégé soit le Barachois, Ibid., p. 23. 93 Port-au-Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, 26 septembre 1764, op.cit., f 77v. 94 Ibid., f 77v. 95 Ibid., f 78. 96 Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon et le rôle que les Acadiens peuvent y jouer, 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 81. 92


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à marée haute97. La rade de Saint-Pierre, la seule apte à recevoir des vaisseaux au mouillage, demeure néanmoins vulnérable aux coups de vent violents du nord nord-est et les nombreux rochers près de la surface coupent les câbles des navires 98. Qui plus est, le port au Barachois de Saint-Pierre ne semble nullement adapté à accueillir des bâtiments du roi, puisque l’accès n’est favorable qu’à des navires tirant entre trois et quatre mètres d’eau99. On revient aussi sur le maigre potentiel agricole d’un terrain qui « n’est susceptible d’aucune espèce de culture » puisque se composant surtout d’une mousse ou tourbe très épaisse, sous laquelle filtre une eau douce. Qui plus est, ces plaines comportent des étangs d’eau douce très peu poissonneux. Le port de Saint-Pierre a la forme d’un fer à cheval et sur la plaine qui le surplombe sont construits les édifices du roi, des habitants et les graves établies100. Mais les plus optimistes répètent que la rade et le port de Saint-Pierre sont assez spacieux pour faire sécher tout le poisson débarqué par les bâtiments. En contrepartie, une bonne partie de ces terrains est trop marécageuse pour servir de graves. Pour en former, il faudrait élever le terrain de pratiquement un mètre. De plus, pour favoriser l’écoulement de l’eau accumulée, il est besoin de creuser des rigoles le long des rochers et dans la plaine. Ce serait ainsi la seule manière d’empêcher le poisson étendue ou en piles sur les graves, d’être envahie par la mer. Si c’est là un projet nécessitant passablement de dépense, il est néanmoins possible d’y substituer des vigneaux. Bien entendu, les choses se compliquent en raison du fait que le terrain demeure alors marécageux et humide. L’expérience s’est d’ailleurs avérée peu concluante pour un propriétaire d’un terrain de la sorte, situé « au fond du port ». Il y avait effectivement établi des vigneaux, mais sans jamais pouvoir y faire sécher convenablement son poisson. Ce genre de produit ne peut se conserver assez longtemps pour être transporté en Europe et doit s’écouler entièrement en « Amérique pour

Réfutation du mémoire précédent par d’Angeac, 29 octobre 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 85. 98 Mémoire sur la nouvelle administration des îles Saint-Pierre et Miquelon, 30 octobre 1785. BAC-MG1G1, bobine F767, vol. 463, f 131. 99 Ibid., f 131v. 100 Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 120. 97


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l’usage des nègres ». Cette catégorie de poisson porte le nom de réfaction et se vend à très bas prix, permettant à peine à l’armateur de faire ses frais ou encore de récupérer la valeur des avances accordées aux pêcheurs101. À environ 3 km de Saint-Pierre se trouve l’île à Langlade qui fait 8 km de long, est haute dans sa section sud et basse dans la partie nord. C’est là qu’on remarque une anse en forme de fer à cheval, où l’on peut jeter l’ancre dans 11 à 12 mètres d’eau. Courval se veut moyennement optimiste en disant espérer qu’ « on pourra tirer pendant quelques années du bois de cette île pour Saint-Pierre102». Il parle aussi d’un cap ayant été percé par la force des vagues. Dans le canal qui sépare alors Langlade de Saint-Pierre, il y aurait de 80 à 128 mètres d’eau! Dans une perspective d’échanges commerciaux dans l’Atlantique français, Courval recommande aux navires de partir de Saint-Domingue, de la Martinique et autres lieux pour l’archipel à compter du 25 février afin d’y arriver vers la fin mars ou début avril. Les capitaines de ces bâtiments doivent au préalable recevoir des consignes précises pour faciliter l’entrée dans le Barachois de Saint-Pierre. Ainsi, ils doivent se munir d’un très bon câble, d’un bon filage et d’une ancre d’au moins 25% plus forte que ce qu’ils utilisent d’habitude. Ce serait le seul moyen de « soutenir le mouillage de la grande rade », en attendant d’entrer dans « le petit port ». Les navires les plus aptes à fréquenter ce port sont les brigantins, les goélettes et bateaux ayant un tonnage variant de 60 à 110103. Vient ensuite l’île Miquelon, à 1,5 km de Langlade. En 1760, ces deux îles n’en formaient qu’une seule mais la force de la mer les a séparées. L’île Miquelon est d’environ 20 km de long sur 60 de circonférence104. L’on a déjà mentionné que c’est l’île la plus boisée de l’archipel et la plus susceptible à la culture. À la pointe nord de Miquelon, se trouve une grande anse pouvant accueillir des embarcations durant l’été où elles peuvent y jeter l’ancre dans 11 à 14 mètres d’eau, sur un fond de sable et de glaise.105

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Ibid., f 121. Ibid., f 79. 103 Ibid., f 79. 104 Goyotjeannin parle de Miquelon comme ayant plutôt 13 km de long sur 10km de large, op.cit., p. 15. 105 26 septembre 1764, Port-au-Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, op.cit., f 79. 102


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Un autre mémoire, anonyme celui-là, prétend que le port de Miquelon n’est pas aussi favorable au débarquement qu’à Saint-Pierre. D’Angeac semble partager cet avis puisqu’il recommande que lorsqu’elles mouillent dans la rade de Miquelon, les chaloupes jettent l’ancre plutôt loin du rivage. Autrement, au moindre vent fort du nord-est, elles sont projetées sur la côte ou se remplissent d’eau106. Lorsque le vent souffle avec force en provenance de l’est, « l’ancre ne peut tenir au mouillage » sur ce fond en sable très fin qui n’a pas assez de consistance pour résister à la force du vent107. En contrepartie, les bâtiments et navires y sont en sureté jusqu’au début septembre alors qu’ils doivent transférer à Saint-Pierre108. Quant au havre de petite Miquelon, il faut le limiter aux chaloupes. La grande Miquelon, elle, est « un pays plat » où l’établissement repose sur un terrain « rapporté par la mer, couvert de gazon » mais totalement sablonneux et toujours imbibé « d’eau jusqu’à un pied de sa surface109». Même les bâtiments pontés pêchant sur les bancs peuvent être vulnérables, s’ils mouillent trop près des chafauds pour débarquer leur morue. Parfois, la grosse mer peut durer plusieurs jours et la morue restant trop longtemps à bord risque de s’échauffer et de ne retirer qu’un prix moindre. Aucun pêcheur ou entrepreneur ne veut perdre le fruit d’un voyage sur le Grand Banc110! L’île Miquelon, bien que d’une étendue plus imposante que celle de Saint-Pierre, demeure en tous points semblable « par rapport aux plaines sur le sommet des montagnes et aux étangs d’eau douce ». Les embarcations peuvent y accéder dans la partie est par une rade entourée des deux côtés par des montagnes, plus hautes à droite qu’à gauche. Ces montagnes sont entièrement garnies de mousse et sans aucun arbre. Au fond de cette rade se trouve un isthme paraissant avoir été fermé par le sable amené sans cesse par la mer; il en a résulté la « réunion des deux montagnes111». On trouve dans cet isthme des étangs d’eau jaunâtre, dont le plus grand est envahi par les vagues d’eau salée. Le sol de Miquelon « paraît être susceptible de culture », quoique les brouillards très épais ne permettent pas Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 88v. Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784, op.cit., f 121v. 108 Ibid., f 82v. 109 Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1784, op.cit., f 87v. 110 Compte-rendu de Barbazan au ministre, 6 juin 1786, op.cit., f 152v. 111 À la reprise de 1783, le baron de l’Espérance constate avec étonnement que la grande et la petite Miquelon sont maintenant liées par une dune de sable très large. Ce phénomène découlerait de « l’affreuse tempête » de février 1782. Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802. BAC-MG1-C11F, bobine F522, vol. 4, f 228v. 106 107


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aux semences de germer et encore moins d’atteindre la maturité 112. En contrepartie, les pâturages sont « excellents et très abondants ». Au moment où Malherbe rédige son rapport en 1784, la petite Miquelon est toujours « réunie à la grande113» et il s’y trouve également quelques pâturages avantageux. On note aussi un peu de bois dont un habitant a déjà voulu tirer profit, en faisant abattre plus de 80 cordes. Mais il a du tout abandonner sur place puisqu’incapable d’accoster ses embarcations en raison des rochers sur cette section de côte114. Si la rade de Miquelon est « belle et spacieuse », elle souffre toutefois, tel qu’évoqué aupravant, d’un fond trop sablonneux pour y maintenir des navires ancrés solidement « par des vents d’est et d’ouest ». La plage de Miquelon, elle, demeure un très bon endroit pour faire sécher la morue. On pourrait même y préparer jusqu’à 200 000 quintaux115! Pour corriger les dangers de la rade de Miquelon, Barbazan propose la construction de jetées. Quoique facile à faire, une pareille construction demeure dispendieuse et qui sait si les sables amenés par les fortes vagues ne vont pas bientôt combler ou remplir l’intérieur de la rade? Mais il n’en demeure pas moins qu’il y a urgence, puisque les bâtiments de commerce ne veulent presque plus accoster dans cette rade. Parmi les navires ayant « péri sur l’île, pas un n’était sur ses ancres »! Mais Barbazan blâme aussi la négligence de certains capitaines qui ne s’informent pas auprès de collègues plus expérimentés. Il cite

Pour la colonie voisine de Terre-Neuve, l’historiographie traditionnelle estime que la productivité agricole suffit à peine à répondre à la subsistance familiale. Mais à compter de la fin du 18 e siècle, les colons ne se contentent plus des simples carrés de pommes de terre et les familles tentent de trouver des moyens d’accroître la production alimentaire pour diminuer leurs dépenses et leur dépendance envers les marchands. Le potentiel agricole le plus intéressant se situe alors dans les péninsules d’Avalon et de Bonavista. Ce serait à compter de 1785 que les habitants clôturent leurs terres, les cultivent et élèvent des bestiaux. S. Cadigan, « The Staple Model Reconsidered : », p. 52. 113 Mais cette « réunion » de la grande et de la petite Miquelon cause des embûches aux pêcheurs en chaloupe. Ainsi, pour se rendre dans la partie ouest, où le poisson est plus abondant, il fallait auparavant trois heures. Ce laps de temps permettait à la fois de pêcher de la boëtte, pêcher la morue et revenir à SaintPierre ou à Miquelon avec une pleine charge. Depuis la réunion des deux Miquelon, ce même périple peut s’étirer sur trois jours! Qui plus est, les pêcheurs suspectent que la « réunion » a aussi eu pour effet d’éloigner la morue et la boëtte puisque ces poissons n’ont plus « leur passage ordinaire entre les deux îles ». Mémoire de Malherbe, août 1784, op.cit., f 125v. 114 Ibid. f 121v. 115 Rappelons qu’un quintal pèse environ 49 kg. Au Canada après 1760, on parle de 112 livres. Un quintal de morue sèche équivaut à 150 morues. Brière, op.cit., p. 33, note 3. 112


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l’exemple d’un navire qui, de 1763 à 1778, a fait régulièrement la pêche à Miquelon sans aucune avarie mais sans le nommer116. Après la réoccupation définitive de l’archipel par la France, un mémoire de 1819 réitère en gros les mêmes observations que ceux de la deuxième moitié du 18e siècle117. Les grande et petite Miquelon ne sont alors pas séparées et ne forment qu’une même île. L’île SaintPierre est paraît-il « élevée », ses côtes sont escarpées à l’exception de la partie sud-est qui est plutôt « basse, plate et marécageuse dans quelques endroits ». La seule partie de l’île qui soit habitée est située sur le bord du Barachois et forme le bourg de Saint-Pierre. L’eau potable est abondante, mais le bois de chauffage manque totalement et l’on remarque « fort peu de terre végétale », les légumes y sont rares et leur récolte ne se concrétise « qu’à force de soins118». L’île Miquelon n’est séparée de celle de Saint-Pierre que par 8 km de distance. La partie de Miquelon appelée Langlade ou petite Miquelon, est élevée à l’est et couverte de bois dans cette section. Au fond d’une baie exposée au nord-est, des dunes de sable se sont jointes et ont fermé le passage existant autrefois. Mais de chaque côté de cette dune, les fonds ne permettent pas aux navires de s’approcher trop près de la terre et il peut se produire des naufrages durant l’hiver. Surtout dans la partie du sud-ouest. En contrepartie, cette dune facilite la communication avec le bourg de Miquelon119. 1.3-De maigres ressources! Les nombreux mémoires relatés dans la section précédente permettent aussi de dresser un inventaire des maigres ressources à la disposition des habitants de l’archipel. Par exemple, on a déjà mentionné qu’entre les montagnes de Saint-Pierre se trouvent « quantité d’étangs où l’on pêche des truites mais en petite quantité ». Bien que l’île produise certains types de graines, il semble qu’elles soient nocives à la consommation par les bestiaux qui souffrent alors de diarrhées. En contrepartie, il est possible de confectionner « de la sapinette, breuvage très bon pour prévenir le scorbut » chez les humains120. L’île Miquelon renferme pour sa part plusieurs lacs d’où l’on tire des truites, des anguilles et l’on peut même chasser 116

Barbazan au ministre, 6 juin 1786, Ibid., f 153. Notes sur les îles Saint-Pierre et Miquelon. Ministère de la Marine et des colonies, N.D. c.a. 1819. BACMG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 165. 118 Ibid., f 165v. 119 Ibid., f 166. 120 Port-au-Prince, 26 septembre 1765, op.cit., f 78. 117


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le loup marin en automne et en hiver121. D’autres chroniqueurs utilisent un ton pouvant surement être qualifié d’optimisme excessif en ce qui a trait aux ressources de l’archipel, outre la morue. L’un de ces auteurs avance même qu’il est facile d’y faire des jardins qui produisent des légumes « supérieurement ». C’est tout aussi vrai lorsqu’il tente de convaincre le lecteur que le bois de chauffage s’y trouve « en quantité122». Miquelon serait même « abondante non seulement en bois de chauffage, mais même en bois de construction pour les petits bâtiments et pour les maisons ». L’île serait toute aussi favorisée en termes de pacage et réussirait même à approvisionner Saint-Pierre en foin! Il est donc possible, ou à tout le moins envisageable, d’y élever un bon nombre de bestiaux et de volailles. Le jardinage y est également abondant et de bonne qualité 123. Il s’y trouve aussi des gibiers tels des perdrix, des outardes et du gibier de mer en abondance124. Ce type de ressources se trouve aussi à Terre-Neuve et ce, en grande quantité. En réplique à ces commentaires forts positifs sur les ressources de l’archipel, d’Angeac propose ses propres observations au Ministère de la Marine. D’abord, il admet que l’île Saint-Pierre bénéficie de lacs où l’on puisse pêcher truites et anguilles mais pas en grande quantité. Il va jusqu’à écrire qu’une famille de six personnes ne peut même pas en tirer sa subsistance pour un an125. Même chose pour les jardins qui, bien qu’ils rapportent « en suffisante quantité d’herbages », répondent difficilement « aux peines de la culture ». Contrairement à d’autres, d’Angeac s’étend bien davantage sur la problématique du bois de chauffage et de construction; question abordée dans la prochaine section. Il admet qu’à Miquelon, le jardinage « y vient assez bien » et l’on y cultive des salades, des choux, des

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Ibid., f 79. Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon, 1768, op.cit., f 80. 123 Ibid., f 82. Les Français n’en étaient pas à leur première expérience en termes de colonie au potentiel agricole limité. Autant à Plaisance qu’à l’Île Royale, ils durent déployer passablement d’efforts pour subvenir à leurs besoins alimentaires. À défaut d’être en mesure de pratiquer une véritable agriculture, ils exploitent des potagers, élèvent du bétail et aménagent de petites fermes. On réussit même à cultiver du blé, des céréales et des légumes dans les potagers de Plaisance. N. Landry, Plaisance Terre-Neuve 1650-1713. p. 109-111. K. Donavan, « Imposing Discipline Upon Nature : », p. 21-22. 124 Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon, 1768, op.cit., f 82. 125 Observations sur le mémoire ci-contre, qui m’a été envoyé de la Cour et s’écarte de la vérité en plusieurs points, 29 octobre 1768. BAC-MG1-G1, bobine F676, vol. 463, f 91v. 122


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navets et autres légumes. Mais n’empêche que ces récoltes ne répondent pas toujours aux efforts investis126. Au début du 19e siècle, le potentiel agricole de Miquelon semble pourtant en avoir convaincu plus d’un. Ainsi, « au commencement de la dune de Miquelon à 17 km environ du Cap Percé » est située « la ferme du gouvernement ». À proximité coule une rivière qui « arrose » les jardins et les prairies. Un peu plus loin se trouve une seconde ferme appartenant à un habitant de Saint-Pierre qui y élève des bestiaux et cultive des légumes. Il y a aussi passablement de foin puisque « la dune en est couverte ». À l’autre extrémité de la dune se trouve une « laiterie du gouvernement » et près du Grand Barachois, une autre ferme, celle-ci appartenant à des cultivateurs normands qui s’y établissent à la demande du gouverneur de la colonie. Les fermiers qui habitent ces fermes sont au nombre de huit à dix127 et la culture des pommes de terre se porte plutôt bien sur cette section de Miquelon, mais « les bras manquent pour la cultiver ». 1.4-L’approvisionnement en bois Tel qu’évoqué jusqu’ici dans le texte, la rareté du bois dans l’archipel constitue un handicap avec lequel l’administration française doit composer. D’Angeac se montre beaucoup plus explicite face à ce défi de taille. D’abord, il s’insurge contre toute rumeur voulant que l’île Saint-Pierre possède du « bois de chauffage en abondance » et va jusqu’à dire que dans deux ans (1770), il ne restera sur Saint-Pierre que le bois impossible à transporter jusqu’à un lieu d’embarquement. La tourbe, bien qu’abondante, une fois allumée, ne fournit qu’une « chaleur médiocre » et ne se compare même pas au plus mauvais bois128. Il va jusqu’à dire « qu’on a jamais pu trouver dans les tristes bois de cette colonie que quelques mauvaises pousses dont on s’est servi faute de meilleurs matériaux ». Ce serait plutôt grâce au bordage de pin et de chêne de Nouvelle-Angleterre, qu’il est possible de construire des embarcations de pêche. Plusieurs habitants importent même de France le bois entrant dans

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Ibid., f 88. Notes sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, n.d. c.a. 1819, op.cit., f 166-166v. 128 Observations sur le mémoire ci-contre, 29 septembre 1768, op.cit., f 85. 127


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la construction des chaloupes. À tel point que toutes les planches de chêne venues de Bayonne en 1763 pour le compte du roi, sont employées à cet usage129. À Miquelon, il est vrai que le bois est plus abondant et de meilleure qualité mais un fait demeure; sur toutes les îles de l’archipel, « l’on n’a jamais pu rencontrer une pièce de bois » atteignant au moins sept mètres de long sur quatre pouces de diamètre. D’ailleurs, toutes les quilles des chaloupes construites dans l’archipel sont composées de plusieurs morceaux. Durant les premières années de la colonie, quelques « prusses130» fournissent les îles mais avec le temps, toutes les constructions effectuées dans l’archipel comportent au moins la moitié de leur bois qui provient d’ailleurs. À la fin des années 1760, il s’avère pratiquement impossible de trouver un seul arbre pouvant servir de mât de chaloupe sur les trois îles131. Face à une lacune aussi évidente, il devient d’autant plus impératif de prendre des « arrangements pour la fourniture des bois et autres matériaux » lors de la rétrocession de 1783. La coupe du bois sur la côte de Terre-Neuve doit continuellement faire l’objet de négociations avec les autorités anglaises132. Il s’en suivra que pendant la paix de 1783 à 1793, les habitants de l’archipel et les métropolitains venant pour la pêche d’été peuvent couper du bois à Terre-Neuve mais exclusivement dans la « baie du Désespoir » 133. Cette baie est distante de Saint-Pierre d’environ 72 km et de 40 km de Miquelon. Bien que la coupe du bois s’est déjà faite dans la baie de Fortune, au début du 19e siècle cela s’annonce plus difficile en raison de la croissance démographique à cet endroit. Vers 1819, les habitants de l’archipel achètent du bois des Anglais à vingt francs la corde134. 1.5-Une colonie indéfendable?

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Ibid., f 85v. Prusse ou « spruce » en anglais, est en réalité une catégorie d’épinette. 131 Observations sur le mémoire ci-contre, 29 octobre 1768, op.cit., f 87v. 132 Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802. BAC-MG1C11F, bobine F522, vol. 4, f 227v. En 1785, une tempête emmène une partie du bois entreposé pour la construction et des briques sont ensablées. Le baron de l’Espérance dénonce alors le comportement de certains habitants qui volent des matériaux pour se construire des « maisons plus grandes que prévues ». Poirier, op.cit., p. 102. 133 Paris. Lettre de Bourilhon, ancien commissaire de Saint-Pierre, au directeur de l’Administration générale des colonies, vers 1804. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 155v. 134 Notes sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, n.d. c.a. 1819, op.cit., f 165. 130


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Dans un mémoire du baron de l’Espérance, ce dernier dresse un bilan peu favorable à l’établissement de fortifications dans l’archipel. D’abord, il semble facile pour l’ennemi de débarquer un peu partout le long des côtes sans être en mesure de prévoir où. Également, la présence de nombreux marais complique les mouvements de troupes. Il en découle qu’une garnison ne profiterait pas beaucoup des avantages pouvant offrir des « fortifications coûteuses ». Il ne peut en être autrement puisque tous les matériaux, sauf peut-être le moellon135, doivent venir de l’extérieur de l’archipel. L’Espérance suggère plutôt de s’en tenir à la construction d’un bastion à quatre faces, situé sur une colline et armée chacune de six pièces de canon. Ce petit fortin servirait de refuge devant des forces supérieures en nombre. Cette modeste infrastructure de défense devrait se situer davantage à l’intérieur de l’île Saint-Pierre, que le long des côtes. En ce qui a trait à contrôler l’entrée des vaisseaux dans la rade, le gouverneur préconise l’installation d’une batterie sur l’île aux Chiens, dans sa partie nord-est. Une deuxième batterie, à la Pointe à Bertrand, défendrait l’entrée de la passe du sud et une troisième se trouverait en face de la rade et « la battrait de toutes parts ». Donc, en résumé, trois batteries composée chacune de huit pièces de canons pour un total de 24 et trois mortiers soit un par batterie136. Les recommandations émanant d’un rapport d’un officier du génie sur les possibilités d’aménagement d’infrastructures de défense dans l’archipel, ressemblent à s’y méprendre à celles de l’Espérance, à savoir que les îles « ne peuvent jamais devenir un poste capable de quelque résistance en cas de guerre, et que ce serait une pure perte que l’on ferait des dépenses pour la fortifier137». 1.6-Administration et garnison Bien que nombre de mémoires émettent des suggestions sur la composition souhaitable de la garnison de l’archipel, les décisions des autorités se doivent de tenir compte à la fois des clauses restrictives des traités avec l’Angleterre depuis 1763 et des contraintes budgétaires.

135 136

Moellon; pierre de petite taille pour construire un mur. Mémoire non daté dressé par le gouverneur le baron de l’Espérance concernant le plan de défense des

îles Saint-Pierre et Miquelon, BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 110-111. Rapport sur les mémoires que MM de Carphilet et Malherbe ont adressé concernant l’administration et les budgets civiles et militaires des îles, 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 115. 137


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Le baron de l’Espérance, par exemple, suggère une garnison de 250 hommes répartis en deux compagnies d’infanterie de 100 hommes chacune. Une troisième compagnie, limitée à 50 hommes, en serait une d’artillerie. À chacune des deux compagnies d’infanterie seraient rattachés cinq officiers soit un capitaine en pied, un capitaine en second, un premier lieutenant, un second lieutenant et un sous-lieutenant. Pour la compagnie d’artillerie, les officiers impliqués comprendraient un capitaine, un lieutenant en premier et un en second. À l’île Miquelon, l’on aurait un commandant avec un grade supérieur pour une petite garnison détachée de celle énoncée plus haut. Miquelon aurait aussi une batterie d’une douzaine de canons pour défendre la rade138. Carphilet et Malherbe, pour leur part, proposent plutôt de réduire autant que possible les frais administratifs et militaires de la colonie. Ainsi, au lieu de 250 hommes de troupe, ils se limitent à 130, dont une trentaine pouvant travailler à titre d’ouvriers. Une fois l’essentiel des travaux de réinstallation effectués, la troupe pourrait même être réduite à « une simple garde de 60 hommes, dont 40 pour Saint-Pierre et vingt pour Miquelon »139. La troupe serait sous les ordres d’un capitaine commandant, de deux lieutenants et d’un souslieutenant. Ils suggèrent même qu’il est inutile d’y maintenir un gouvernement. Pourquoi ne pas plutôt mandater l’officier de Marine qui commande chaque année le navire du roi patrouillant autour de l’archipel, de « rendre compte à son retour140». Même cure d’austérité du côté de l’administration civile puisqu’on recommande de la limiter à six postes dont trois à Saint-Pierre; un commissaire des classes, un capitaine de port et un garde-magasin. À Miquelon, l’on se limiterait à un syndic des classes et à un lieutenant de port141. Globalement, les dépenses passeraient de 114 552 livres tournois à 68 566 soit une économie de 49 986 livres. En revanche, les fonds ainsi économisés pourraient être réaffectés à « encourager la pêche, seul objet auquel les habitants puissent Mémoire non daté dressé par le gouverneur le baron de l’Espérance, op.cit., f 111. Il renchérit en disant qu’en envoyant deux frégates aux îles à chaque printemps, le roi peut éviter les litiges et mêmes les accrochages avec les voisins anglais de Terre-Neuve. De 1688 à 1815, la France et la Grande-Bretagne s’affrontent au moins sept fois dans des conflits ayant des retentissements croissants dans les colonies. B. Lesueur, Les troupes coloniales d’Ancien Régime. Pour de plus amples informations sur la composition de la garnison de l’archipel entre 1783 et 1790, voir BAC-MG1-D2C, bobine F1471, vol. 10, f 332-335. 139 Rapport sur les mémoires de Carphilet et Malherbe, 1784, op.cit., f 116. 138

140 141

Ibid., f 116. Ibid., f 116v.


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se vouer et le seul que désire la présente administration ». On pourrait même faire « repasser en Europe tout (habitant) qui, n’étant pas pêcheur, ne peut qu’y devenir à charge ou du moins inutile142». En mars 1785 est finalement arrêté un projet de budget se montant à 67 464 livres, soit environ 1000 livres de moins que le chiffre avancé par Carphilet et Malherbe l’année précédente. De plus, en termes de changement hiérarchique, c’est au capitainecommandant de la compagnie d’infanterie que l’on confie la responsabilité de commandant-ordonnateur de la colonie143. Il y a donc bel et bien « réunion de la place de gouverneur des îles à celle de commandant des forces navales dans l’Amérique Septentrionale144». Également, on réitère qu’étant donné qu’aucune des deux îles n’est défendable par terre, il est préférable de s’en tenir à « une petite escadre de deux vaisseaux et deux frégates ». Il n’y a toutefois pas aux îles des « rades et des baies en état de contenir en sûreté les plus fortes armées navales », pouvant s’opposer à ce que les Anglais sont en mesure de stationner à Terre-Neuve et au Cap-Breton145. Pour résumer, en 1785, l’administration civile de l’archipel comporte un gouverneurcommandant des forces navales, deux officiers des classes, un commissaire et un syndic des classes à Miquelon. Les effectifs de la garnison passent de 60 à 30 hommes dont vingt à Saint-Pierre et dix à Miquelon, provenant du Corps Royal de la Marine. Cette troupe se compose donc d’un capitaine d’armes, d’un sergent de fusiliers, de trois caporaux, d’un tambour, de huit grenadiers et de seize fusiliers. Ils reçoivent comme mandat de « faire observer la police et le bon ordre » aux nombreux marins, aux habitants et même empêcher la contrebande de morue146. Les séjours de service de la troupe devraient se limiter à une année avant d’être remplacée. Le contingent de 60 hommes alors dans l’archipel, pourra être réaffecté aux autres colonies d’Amérique avec leurs officiers. En « relevant » chaque

142

Ibid., f 116v. Versailles. Projet de budget des îles Saint-Pierre et Miquelon, 13 mars 1785. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 159-160. En 1766, l’établissement d’Acadiens à Belle-Île en Mer se voit consacrer un budget de 56 000 livres. C. Hodson, The Acadian Diaspora. p. 167. 144 Mémoire sur la nouvelle administration des îles Saint-Pierre et Miquelon, 30 octobre 1785. BAC-MG1G1, bobine F767, vol. 463, f 131-134. 145 Ibid., f 131v. 146 Ibid., f 131v. 143


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année la troupe, cela les empêche de devenir trop familiers avec les habitants et de peutêtre fermer les yeux sur la contrebande de morue étrangère. Du côté de l’administration civile, il faut néanmoins maintenir à Saint-Pierre des hommes publics pour « faire les recouvrements des sommes dues par les habitants, pour mettre en règle toutes les écritures relatives aux recettes et aux dépenses, pour en dresser les bordereaux et faire la distribution des vivres et des effets qui existent dans les magasins147». Ces mêmes officiers participeraient également à maintenir l’ordre et « la police parmi les habitants pendant l’absence du gouverneur-commandant ». Au moment où se formule ces propositions, les officiers civils en poste appelés à devenir « inutiles » sont les deux écrivains principaux soit sieurs Pièche de Loubières et Devers. On suggère de libérer Devers et de maintenir De Loubières comme commissaire des classes. Également, le sieur Bourichon pourrait combler les fonctions d’écrivain et de contrôleur. Ce dernier serait paraît-il « intelligent et actif148». Il faudra toutefois envoyer un autre écrivain de France pour remplacer le sieur De Grandmaison, « dont le tempérament ne peut supporter le climat froid149». Cependant, les propositions du mémoire sur la nouvelle administration de 1785 se chiffrent à 85 000 livres par année, soit bien au-delà des 68 000 livres du budget projeté par Versailles. Pour revenir aux fonctions attribuées à la petite escadre des quatre bâtiments, ils doivent en principe « stationner » où pêchent des navires de la flotte française sur la côte de Terre-Neuve. Le commandant des forces navales, lui, repart en France une fois la pêche terminée au Petit Nord150. Si les auteurs souhaitent que les hommes de troupe soient relevés à chaque année, ils limitent les états de service de gouverneur-commandant à pas plus de trois années consécutives. On invoque l’argument que la « station de Saint-Pierre étant trop pénible » pour être « prolongée au-delà de cela151». Son successeur devra, durant 147

Ibid, f 132v. Ibid., f 133. 149 Ibid., f 133. 150 Ibid., f 133v. Pour une meilleure compréhension géographique du secteur côtier de Terre-Neuve appelé Petit Nord, le lecteur peut se référer à Brière, op.cit., p. 51. Il s’y trouve une carte identifiant les lieux de pêche des Français à cet endroit de 1765 à 1772. Le Petit Nord se trouve sur le littoral nord de l’île de Terre-Neuve entre le cap Bonavista et la Pointe Riche. On le désigne aussi comme le French Shore. Site de l’aménagement linguistique au Canada (SALIC). http://uottawa.ca. « Les rivalités franco-britanniques en Amérique du Nord ». 151 Ibid., f 133v. 148


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l’année précédant le début de son service, se familiariser avec « tous les endroits de pêche déterminés par le Traité de Paris, ainsi qu’avec la colonie dans tous ses rapports152». 1.7-La réoccupation de 1783 La reprise et la réoccupation de l’archipel par la France en 1783, implique entre autres d’y faire repasser les habitants en ayant été expulsés en 1778. Encore cette fois-ci, comme au lendemain du Traité de Paris de 1763, l’administration s’entend pour n’y installer d’abord que les habitants jugés « utiles » qui, selon les besoins, seront nourris pendant un ou deux ans. On leur envoie aussi des ustensiles de pêche dont le remboursement peut se faire en morue. Il faut également faire des arrangements pour la fourniture en bois et autres matériaux, nécessaires à la remise en état des édifices publics et de ceux des habitants. On prévoit une dépense totale de 1 058 000 livres tournois153. Pour assurer l’approvisionnement en bois et en matériaux de construction, le Consul de France à Boston est encore sollicité154. Compte tenu des éléments d’information présentés auparavant dans ce texte, il ne faut guère se surprendre de constater que l’administration française s’applique à mieux garantir la coupe du bois sur la côte de Terre-Neuve, tout en tentant d’agrandir les espaces de graves. Le transport des habitants ne se déroule pas en un seul voyage puisqu’il en vient 510 la première année et d’autres en 1784, sur les navires en partance de Saint-Malo, de Brest, de Lorient et de Rochefort. Ces bâtiments transportent également les membrures de chaloupes de pêche (10 à 10,6 mètres de quille), des bordages, des matériaux et agrès pour les mettre en état de naviguer ou d’aller en pêche. On amène également des ustensiles de pêche, des outils, des tonneaux de sel, des vivres, du fer, du charbon de terre pour les forges et, bien entendu, une douzaine d’ouvriers. Des chaloupes sont également prévues pour la coupe et le transport du bois, à partir de la côte de TerreNeuve155. Certains changements administratifs évoqués plus haut dans ce texte se matérialisent puisque l’archipel devient bientôt une station ou abri pour les pêcheurs plutôt qu’une 152

Ibid. Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, 1802. BAC-MG1C11F, bobine F522, vol. 4, f 227. 154 Au sujet du rôle des consuls français, voir A. Mézin, Les consuls français du siècle des Lumières. 155 Mesures prises lors de la rétrocession des îles en 1783, 1802, op.cit., f 227v. 153


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véritable colonie. La garnison se limite dès lors à une compagnie de 60 hommes en 1785, sous les ordres du capitaine-commandant et non d’un gouverneur. On parle dorénavant de la station de Terre-Neuve, sous la surveillance de commandants-stationnaires parcourant les havres de la côte où pêchent des Français156. À chaque retour en France, suivant la mission de station, ces commandants remettent des mémoires contenant des constats et des suggestions. Ces dernières reviennent invariablement à quelques problématiques prédominantes: encourager davantage la pêche, mieux défendre les droits français stipulés dans les traités d’Utrecht, de Paris et de Versailles, construire une jetée à Miquelon et accorder des avances aux pêcheurs pour qu’ils puissent se procurer de meilleures embarcations. On estime alors que l’équipement entier d’un esquif se chiffre à 3 200 livres et celui d’un doris à 1 100 livres157. Les ouvriers envoyés en 1783 comportent des charpentiers de maisons, des menuisiers, des maçons et des serruriers. On a déjà mentionné qu’ils font partie d’une compagnie militaire soit, dans ce cas-ci, la Compagnie Franche des îles Saint-Pierre et Miquelon. Leur enrôlement se limite à quatre ans. À noter que le gouvernement nomme alors l’habitant Bernard Lafitte, à titre d’entrepreneur officiel de l’archipel pour la reconstruction. C’est l’ordonnateur qui se charge ensuite de conclure des ententes avec Lafitte. Ce dernier, pour sa part, supervise les ouvriers-soldats mis à sa disposition et puise ses matériaux au magasin du roi. Lafitte passe aussi des ententes avec certains habitants, pour construire leurs maisons et cabanes. Il survient toutefois un problème de conflit d’intérêt lorsque Lafitte utilise les ouvriers-soldats pour ce genre de contrats, tout comme lorsqu’il emploie des matériaux destinés aux édifices publics tel des planches et des bardeaux158.

156

Ibid., f 229v. Ibid., f 229v. Pour de plus amples détails sur les fonctions des commandants-stationnaires de TerreNeuve, voir le cas du Sieur Bataille en 1791. Mémoire du roi pour servir d’instruction au sieur Bataille, nouveau commandant de la station française de Terre-Neuve, 20 avril 1791. BAC-MG1-C11C, bobine F505, vol. 7b, 18 pages. 158 Paris. Lettre de Bourilhon, ancien commissaire de Saint-Pierre, au directeur de l’administration générale des colonies concernant les préparatifs à effectuer en vue de la reprise de possession des îles Saint-Pierre et Miquelon, vers 1804. BAC-MG1-G1, bobine 767, vol. 463. Au printemps 1783, en l’absence des nouveaux administrateurs, des navires américains arrivent à Saint-Pierre en mars et débarquent tout de même des matériaux de construction à marée basse. Mais par la suite, avec le reflux de marée haute, beaucoup de matériaux sont apportés par la mer. Il y en a également de volés par les marins français arrivés les premiers dans la colonie, ou par quelques capitaines américains. Paris. Lettre de Bourilhon au directeur de l’administration générale des colonies, vers 1804, op.cit., f 156. 157


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C’est finalement en 1815, au terme de longues années de guerre et de « blocus maritime » (1793-1815), que les flottilles morutières des ports français de l’Atlantique reprennent la grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve. Didier Poton rappelle que les « traités reconnaissent la souveraineté française sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon et leurs droits de pêche sur le French Shore. La France retrouve ainsi le cadre diplomatique du Traité de Paris de 1763 »159. Le moins que l’on puisse dire à la lecture des mémoires acheminés à Versailles par les administrateurs coloniaux, est qu’ils perpétuent certains préjugés dénonçant la trop grande dépendance des habitants envers les secours de la métropole. Pourtant, c’est alors le prix à payer pour maintenir les intérêts de la pêche française à Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent. Tableau 1 Coûts du rétablissement de 1783 dans l’archipel Nourriture pour 1200 habitants

260 000 livres

Avances en ustensiles de pêche

100 000 livres

Reconstruction-habitations-particuliers

358 000 livres

Construction-bâtiments civils

160 000 livres

Appointements et soldes

180 000 livres

Total

1 058 000 livres

Source : 1802, Mesures prises lors de la rétrocession des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1783, op.cit., f 227v. Tableau 2 Les commandants pour la station de Terre-Neuve 1784-1792 1784

Grauchin

1789

Vaugiraud

1785

Girardin

1790

De Broves

1786

De Barbazan

1791

De Paroy

1787

Médisa

1792

Cerralton

1788

De Rivière

D. Poton, « Retrouver Terre-Neuve; la ‘tournée du Nord` », dans M. Augeron, J. Péret et T. Sauzeau (dir.), L’Atlantique franco-canadien. p. 294. 159


43 Source : 1802, Mesures prises lors de la rĂŠtrocession des ĂŽles, op.cit., f 229v.


44

Chapitre 2 Fonctionnement de la pêche à la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon au 18e siècle En France, entre 1670 et 1830 environ, le nombre de pêcheurs actifs se chiffre entre 25 000 et 30 000 hommes. En ce qui a trait au nombre de « gens de mer », le nombre se gonfle à 60 000 et même 80 000160. Marc Pavé qualifie de « pêcheur à temps plein » celui qui s’embarque pour pratiquer son métier, alors que s’il pêche « au large », il utilise des engins spécifiques pour la capture du poisson. C’est l’anthropologie maritime qui, au début des années 1980, table sur « six critères caractérisant de manière universelle » l’activité de pêche soit la production quotidienne, l’incertitude des revenus, l’exclusivité masculine dans la capture, la division complexe du travail et du système de répartition des profits, la mobilisation de moyens substantiels pour la préservation du poisson et une insertion marquée des pêcheurs dans les échanges161. Avant d’aborder la thématique du fonctionnement des pêches dans l’archipel, il est utile de se référer aux rendements affichés dans la production de morue à Plaisance et à l’île Royale. En 1698, à Grand et Petit Plaisance, le nombre de vaisseaux métropolitains se chiffre à environ une quarantaine et ils emportent près de 80 000 quintaux de morue en France. En 1704, sur les 50 navires présents, 43 sont en pêche et en troc et transportent 123 000 quintaux de morue sur les marchés extérieurs. En 1707, on parle de 127 180 quintaux162. Au 18e siècle à l’île Royale, les meilleures années en termes d’exportation de morue sont 1713 et 1719 avec 156 000 quintaux, 1730 avec 165 000 et 1737 avec 147 000163. La valeur européenne de la morue oscille alors entre 20 et 25 livres le quintal, soit environ le double du prix de vente dans la colonie qui varie entre dix et douze livres164. 2.1-La pêche à la morue; quelques paramètres

160

M. Pavé, La pêche côtière en France (1715-1850). p. 85. Y. Breton, « L’anthropologie sociale et les sociétés de pêcheurs. », p. 7-27. Cité dans Pavé, op.cit., p. 88. 162 N. Landry, Plaisance Terre-Neuve (1650-1713) op.cit. p. 80. 163 C. Moore « The Other Louisbourg : », p. 80, 86. 164 En Nouvelle-Angleterre au 18e siècle, produire de la morue salée pour l’exportation nécessite un investissement beaucoup plus élevé qu’un siècle auparavant. En 1765, les pêcheurs néo-anglais attrapent 19 075 000 poissons qui, après apprêtage, pèsent 39 200 000 livres (15 680 000 kg). Il s’agit d’une augmentation substantielle entre 1716 et 1765. Magra, op.cit., p. 35, 79. 161


45

En 1764, selon des propos émanant d’habitants-pêcheurs anglais de Terre-Neuve, SaintPierre peut accueillir de 100 à 200 bateaux de pêche, montés par environ 1 000 hommes pour travailler à la pêche à la morue165. Cette pêche se déroule autour de l’île et celle de printemps rapporte davantage. Un bateau peut débarquer l’équivalent de dix quintaux de morue par jour, alors que les pêches d’été et d’automne en chaloupe donnent des rendements quotidiens évalués à trois quintaux ou plus166. Mais parfois, la morue est pratiquement absente durant des laps de temps d’entre huit à dix jours. Pour la boëte167, on se sert du capelan, du hareng et à l’occasion du maquereau et même de coquillages. La morue de l’archipel a la réputation d’être « la meilleure de tout le septentrion » et celle du Chapeau rouge de Terre-Neuve est de trois à quatre livres tournois plus cher la centaine. À titre d’évaluation globale, 200 chaloupes peuvent débarquer de 350 à 380 quintaux chacune lors de bonnes saisons. Ce qui se chiffre à un total de 70 000 quintaux à quatorze livres tournois du quintal, pour un revenu total de 980 000 livres tournois. À cela s’ajoutent 600 barriques d’huile de poisson à 110 livres tournois la barrique pour un revenu total de 66 000 livres168. Dans la colonie voisine de Terre-Neuve, de 1755 à 1760, le total de poisson exporté sur les marchés se chiffre à une moyenne annuelle de 297 777 quintaux169.

165

À Terre-Neuve entre 1750 et 1775, la pêche côtière occupe en moyenne de 175 à 200 chaloupes et emploi de 875 à 1000 engagés. S.T. Cadigan, Newfoundland and Labrador.., p. 64. 166 Selon La Morandière, la pêche d’automne (octobre à la mi-novembre) rapporte en moyenne 80 quintaux par chaloupe. Ces morues restent dans le sel jusqu’à la fin d’avril de l’année suivante, alors qu’elles sont séchées sur les graves. Elles sont vendues dans les îles d’Amérique, d’où les goélettes métropolitaines et coloniales rapportent de la mélasse, du tafia, du sucre et du café. C. de La Morandière, Histoire de la pêche française, p. 788-789. 167 En France, les appâts sont importés du Danemark et de Norvège, surtout suite à la cession du Canada en 1763. Auparavant, la France maintient sa propre production grâce à sa pêche morutière, mais elle chute ensuite de 2 000 à 3 000 barriques. Les prix oscillent entre sept et huit livres au début du 18 e siècle, avant d’atteindre 24 livres en 1766, augmenter en flèche à 75-80 livres en 1773, avant de retomber autour de 60 livres vers 1789. Pavé, op.cit., p. 116. 168 Port-au Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon adressé à Monsieur le comte d’Estaing par Poulin de Courval, 26 septembre 1764. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol.463, f 76-79v. Deux historiens présentent des chiffres sur la production et les exportations de morue en partance de l’archipel. Jean-Yves Ribault estime d’abord que de 1765 à 1791, 973 041 quintaux sont exportés soit une moyenne annuelle de 51 212. La Morandière, pour sa part, situe la moyenne annuelle à 49 293 quintaux mais de 1766 à 1776 seulement. J-Y Ribault, Les îles Saint-Pierre et Miquelon. La vie dans l’archipel sous l’ancien régime, op.cit., p. 84. La Morandière, op.cit., p. 808. 169 Osborne Humphries, op.cit., p. 57. En 1790, les habitants-pêcheurs de cette colonie comptent pour près de 50% de la production morutière de Terre-Neuve. K. Norrie et R. Szostak, « Allocating Property Rights Over Shoreline…» p. 3.


46

Quoique certains observateurs de l’époque estiment que la pêche à l’archipel n’est pas aussi abondante qu’à l’île Royal, ils admettent que la morue pêchée en chaloupe à proximité des bancs puisse être de meilleure qualité que celle pêchée en goélette plus au large. Les prix sont toutefois supérieurs à ceux qui existaient à l’île Royale soit de 18 à 21 livres tournois le quintal, plutôt que de 18 ou 19 livres170. Lorsque vient le temps de chiffrer la productivité potentielle de Saint-Pierre et de l’île aux Chiens réunie, un observateur de l’époque fonde son bilan sur les activités combinées de 230 chaloupes et de vingt goélettes pour en arriver à un total de 42 500 quintaux. Pour Miquelon, il pense qu’on peut équiper le même nombre de chaloupes171. Rappelons que la pêche en brigantins et en goélettes rapporte davantage et cela, de manière plus régulière que les chaloupes. Ces deux types de bâtiments pontés se rendent sur les grands bancs, dont celui de Saint-Pierre, à 72 km de cette île. Le poisson y est plus abondant que le long des côtes et il y reste plus longtemps. À l’occasion, de plus grandes chaloupes s’y aventurent mais n’y demeurent qu’à condition que le temps soit calme. Mais en général, la majorité des chaloupes s’en tiennent à la pêche côtière soit jusqu’à 20 ou 24 km au large. Les autres types d’embarcations ne s’éloignent jamais au-delà de 8 km de la rive172. D’Angeac vient nuancer, parfois fortement, les propos qu’il juge trop optimistes mentionnés dans les paragraphes précédents. D’abord, il remet en doute le fait que la pêche rapporte autant dans l’archipel qu’à l’île Royale puisqu’elle n’a semble-t-il pas « procuré un bien-être à tous ceux qui la font173». Une première mise au point consiste à préciser que

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Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon et le rôle éventuel que les Acadiens peuvent y jouer, 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 80-84. La Morandière parle de vingt livres le quintal « en échange de traite » et de dix-huit livres en argent lorsqu’elle est marchande. Il y a presque toujours un huitième de rebut, qui se vend de dix à quatorze livres le quintal pour les îles de l’Amérique. La Morandière, Tome II, op.cit., p. 788. 171 Mémoire anonyme, 1768, op.cit., f 82v. 172

Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 124. Sur la côte anglaise de Terre-Neuve durant les années 1730, on parle d’une soixantaine de petites communautés d’habitants-pêcheurs possédant des « fishing rooms ». Ils pratiquent la pêche en chaloupe alors que la « shipfishery » est l’affaire des goélettes ou « schonners » sur les bancs. Par exemple, à Bay Bulls, en moyenne, chaque habitant possède deux bateaux montés par quatre à cinq hommes. Chaque habitant peut s’attendre à un rendement de 200 quintaux par bateau soit 45 par homme. J. Mannion, « Population and Economy : », p. 248. 173 Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 85v.


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la morue prise par les goélettes sur le Grand Banc et sur celui de Saint-Pierre, est plus grande que celle pêchée par les chaloupes à proximité des côtes. Il admet toutefois que dans les deux cas, cette morue soit « très supérieure en qualité à celle prise à Louisbourg174». Il réitère ensuite la remarque formulée par Courval en 1764, sur les possibles périodes de temps où la morue ne donne plus. Toutefois, il nous renseigne davantage sur la question de la boëtte en expliquant que durant une quinzaine de jours le capelan « donne » et la morue se pêche alors en grand nombre, bien qu’elle soit plutôt petite. La pêche de cette boëtte se fait à l’aide des demi-chaloupes, des canots ou encore de chaloupes se servant de rets et de filets. Malherbe, lui, est d’avis que la première catégorie de böette, le hareng175, arrive à la fin de l’hiver et demeure jusqu’à la Saint-Jean (24 juin), suivi du capelan qui reste environ un mois. C’est ensuite le maquereau qui habite les eaux de l’archipel pendant à peu près la même durée. Une deuxième catégorie de hareng, celui dit d’automne, est plus gros que celui de printemps et fréquente l’archipel jusqu’à la fin de la pêche d’été soit à la Saint-Michel, en septembre. À l’occasion, lorsque ces espèces manquent, le pêcheur peut avoir recours à des mollusques ou coquillages. Sur le Grand banc et sur celui de Saint-Pierre, en désespoir de cause, on utilise aussi des « entrailles et des têtes de morue176». Si l’on se remémore les échos des tiraillements diplomatiques énoncés au chapitre précédent, il ne faut pas se surprendre que les administrateurs français répètent que la pêche se pratiquant autour de l’archipel se compare à celle faite ailleurs en termes de rendement. Pour y arriver, il faut simplement que les pêcheurs français puissent s’y adonner à 4 km des côtes de Terre-Neuve, face à celles de l’archipel. Mais, tel qu’évoqué dans le chapitre précédent, les patrouilles incessantes des croiseurs anglais limitent l’accès à ce secteur et il arrive même que les Anglais saisissent des chaloupes françaises177.

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Ibid., f 85v. En France, jusqu’au 18e siècle, il existe bien une « grande pêche » du hareng. Elle se déroule au large des Shetlands au printemps et de Yarmouth (Angleterre) en automne. Un premier salage se déroule à bord même des navires. Il semble toutefois, comme pour la morue à Saint-Pierre et Miquelon, que le hareng fasse alors l’objet d’une contrebande non-négligeable. Par exemple, des pêcheurs français « achètent de la production hollandaise à bas prix et la font passer illégalement en France ». Pavé, op.cit., p. 96. 176 Mémoire par Malherbe, août 1784, op.cit., f 124-124v. 177 Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 85v. 175


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Une nuance importante, parfois absente de certains propos jugés trop optimistes, est la variation des prix selon les catégories de qualité de morue. Le prix moyen de dix-huit à 21 livres tournois le quintal est généralement reconnu, mais il est faux de croire que l’on obtienne ce prix pour toutes les morues. Ainsi, la morue de moindre qualité ou de réfaction, forme parfois le tiers mais très souvent au moins le quart de la production d’une saison de pêche. Elle ne se vend alors que de dix à douze livres tournois le quintal et rajuste le revenu global à une équivalence de seize à dix-sept livres le quintal tout au plus. À titre d’exemple de productivité potentielle, un mémoire de 1768 tente d’évaluer la capacité de pêche des 32 habitations de pêche de Saint-Pierre et de l’île aux Chiens. Il arrive au chiffre de 22 660 quintaux de morue séchée et à 100 000 le nombre de morues vertes178. Des calculs jugés trop optimistes par certains, parlent plutôt de 42 500 quintaux de morue séchée. Quoiqu’il en soit, en se référant au chiffre de 22 660, on parle alors d’une moyenne de 708 quintaux par habitation contre 1328 dans le cas de 42 500. Dans les deux scénarios, ce sont-là des chiffres réalistes s’apparentant à ceux mentionnés occasionnellement dans bien d’autres documents. Vers 1768, Saint-Pierre et l’île aux Chiens comptent en réalité, quoiqu’elles ne soient pas toutes productives à chaque année, 47 concessions de pêche octroyées. En théorie, chacune peut employer six chaloupes et deux « voitures pontées » ou goélettes. Mais encore faut-il que les propriétaires ou détenteurs de concessions soient suffisamment dynamiques et déterminés pour faire fructifier un tel investissement. Souvent, certains d’entre eux se découragent suite au « mauvais succès de leur première entreprise179». D’autres chiffres nous apprennent qu’il y moins que 230 chaloupes à Saint-Pierre et à l’île aux Chiens en 1766, et pas plus de 128 en 1763. Une observation redondante revient dans plusieurs mémoires, à savoir que ce ne sont pas les « terrains de pêche qui manquent » mais plutôt les « moyens de les faire valoir180». En ce qui a trait à la productivité moyenne des chaloupes, elle peut atteindre 300 quintaux mais pas forcément à chaque saison. Il est parfois même difficile de surpasser 200 quintaux et en 1768, il semble même que la moyenne ne dépasse pas 130 quintaux! Même les habitants-pêcheurs « insolvables » Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 85v. Ibid., f 86. 180 Ibid., f 86. 178 179


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estiment qu’il s’agît-là d’une pêche « très bonne, comparée aux précédentes181». Certaines chaloupes, « à l’exception de l’année dernière (1767) et celle-ci (1768), n’ont jamais l’une dans l’autre fait 100 quintaux », dont un quart est de la morue de réfaction vendue à moitié du prix de la marchande182. Difficile à dire pourquoi d’Angeac semble insister pour contester à la baisse les résultats avancés par d’autres intervenants. Peut-être est-ce là une stratégie visant à renforcir la notion voulant que l’archipel ne soit pas en mesure d’accueillir un trop grand nombre d’habitants? 2.2-Fonctionnement de la pêche des habitants-pêcheurs En 1786, un observateur explique qu’il y avait auparavant quatre classes d’exploitants fréquentant l’archipel mais que la dernière a mystérieusement disparu183. En premier lieu, il voit comme une seule et même catégorie les habitants sédentaires et les propriétaires de graves. Ce qui n’est pas nécessairement le cas, puisque l’on peut être sédentaire sans pour autant se voir garantir une grave ou encore l’exploiter soi-même. En deuxième lieu, il y a bien entendu les armateurs français qui envoient leurs navires pour la pêche en colonie. En troisième lieu viennent les navires métropolitains ne pêchant pas et se limitant au commerce. Finalement, quelle était donc cette quatrième catégorie de pêcheurs ayant disparue? Malherbe les désignent comme des marins métropolitains venant pêcher à leur compte en chaloupes184. Il semble qu’en principe, le fruit de leur pêche leur permette de rembourser les armateurs du prix de leur voyage de passage et des avances reçues. S’ils ont alors des surplus de morue, ils peuvent les vendre dans l’archipel ou les charger sur un

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Ibid., f 86. Ibid., f 91. Selon La Morandière, en 1776 la production totale de Saint-Pierre, de l’île aux Chiens et de Miquelon se chiffre à 109 000 quintaux de morue sèche et verte, à 744 barriques d’huile de morue et à 150 barriques de rogue. Le tout évalué à 2 168 000 livres. La Morandière, Tome II, op.cit., p. 824-825. Pour les années 1785, 1786 et 1788, il suggère des chiffres pour la production de quintaux de morue sèche soit 35 190, 77 000 et 66 000. (Pages 837-839.) D’après Marc Pavé, la rogue est un appât constitué d’œufs de morue salés. Pavé, op.cit., p. 111. 183 Lors d’une assemblée des habitants de Liboure, le 27 août 1780, on déplore les faibles résultats de la campagne de pêche à Saint-Pierre et Miquelon. Presque tous les armateurs ont essuyés des pertes, de sorte que bien des matelots et leurs familles en souffrent. M. Goyhenetche, « La pêche maritime en Labourd : », p. 15. Du côté de Saint-Malo, les négociants arment huit ou dix navires chaque année pour la pêche dans l’archipel. R. Durand, « Le commerce en Bretagne au XVIII e siècle », p. 456. 184 Pour la Gaspésie au 18e siècle, Mario Mimeault estime qu’il existe deux catégories de pêcheurs soit « les autonomes qui travaillent à leur compte et les engagés qui travaillent pour un employeur ». En général, le contrat des engagés s’étend « du 5 mai au 25 août ». « La continuité de l’emprise des compagnies de pêche », p. 62. 182


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navire retournant en France. La plupart du temps, ils laissaient leurs chaloupes dans la colonie. Malherbe regrette leur disparition puisqu’ils contribuaient, selon lui, à augmenter la quantité de morue en circulation et constituaient de bons prospects à titre de matelots185. Il semble que cette catégorie de pêcheurs se compare aux « bye-boat keepers » à TerreNeuve. Ces derniers viennent sur des navires avec leurs propres engagés en payant le coût de transport. Une fois sur l’île, leur pêche se pratique comme celle des habitants mais ils retournent toutefois en Angleterre à la fin de la saison. Ils laissent toutefois leurs chaloupes sur place186. Tel que mentionné maintes fois auparavant, l’un des grands défis à surmonter pour les habitants-pêcheurs du Régime français est de s’approvisionner auprès des navires métropolitains. Ils doivent à la fois obtenir assez de provisions pour vivre jusqu’à la saison de pêche suivante, sans pour autant s’endetter outrageusement. Le fournisseur, une fois sa marchandise vendue, termine l’été en collectant son dû avant de repartir ou non en France. Il ne se soucie guère du sort de l’habitant durant l’hiver à venir. Le marchand tente « d’enlever toute sa pêche en entier » à l’habitant et refuse parfois même d’accorder des avances, à être remboursées la saison suivante. S’il le fait, c’est à des prix « exorbitants et presque toujours à des conditions dures qui le mettent (l’habitant) de plus en plus hors d’état de se libérer187». On croirait entendre les propos des gouverneurs français postés à Plaisance entre 1650 et 1713. Pour démontrer à quel point il est alors difficile pour les habitants-pêcheurs de réaliser des profits, un dirigeant de l’archipel cite l’exemple de six marchands métropolitains de SaintMalo ayant investi dans la pêche aux îles de 1764 à 1766; Ravel, Trehouart, Deslandes, Desmarais, Marie et Deslandelles188. Ils abandonnent éventuellement « cette branche de commerce » en raison des pertes qu’elle leur a causées. Selon le système en vigueur, ils

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Malherbe. Mémoire sur la pêche à la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 16 juillet 1786. BACMG1-C11F, bobine F523, vol. 5, f 119. 186 Norrie et Szostak, op.cit., p. 3. Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 87. Ce système prévalait aussi à Plaisance, à l’île Royale et en Gaspésie. 188 On pourrait aussi mentionner Jacques (II) Rasteau, négociant de La Rochelle, qui arme des navires pour les colonies françaises d’Amérique, dont l’archipel, entre 1750 et 1770. B. Martinetti, Les négociants de La Rochelle au XVIIe siècle, p. 112. 187


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amènent avec eux aux îles tout ce qui est nécessaire pour la pêche et paient leurs équipages au tiers (tiersiers). En principe, ces marchands s’attendent à un revenu d’environ 3 000 livres tournois par chaloupe. Mais cela ne doit pas être le cas puisque certains d’entre eux ont abandonné des chaloupes et ont laissé des « habitations en friche189». Les armateurs de l’archipel semblent beaucoup plus conservateurs lorsque vient le temps d’évaluer les revenus d’une chaloupe, puisqu’ils s’en tiennent à 200 livres tournois pour une saison. On parle ici de la pêche d’été se terminant à la Saint-Michel190, puisque celle d’automne « dédommage à peine de la dépense ». Les habitants tentent alors de rentabiliser au maximum leur investissement dans les pêcheurs-engagés-hivernants. En ce fameux jour de la Saint-Michel dans l’archipel, les habitants pêchant seulement en chaloupe doivent vendre leur morue sur la grave « au prix qui est réglé » par les acheteurs. Ils écoulent ainsi cette morue en bonne partie auprès des capitaines des navires métropolitains. Le paiement se fait à la fois en argent, en provisions et en outils de pêche en fonction de la saison suivante191. En dépit des défis énumérés jusqu’à présent, les administrateurs français répètent que l’archipel, avec le banc de Saint-Pierre et le Grand banc, offrent les conditions propices pour la pêche en goélette (pontée) ou en « très grandes » chaloupes sur le banc de SaintPierre192. Un intervenant réitère de vieux principes en répétant que la croissance des pêches autour de l’archipel, aura comme effet de « former le plus grand nombre de matelots » pour la France193.

Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 91v. Ce dernier est d’avis qu’à Miquelon, la pêche en chaloupe n’a jamais rapporté autant qu’à Saint-Pierre et cela, avec le même nombre d’embarcations. Ibid., f 89. 190 En 1783, les marins-pêcheurs basques pêchent sur les bancs de morue aux abords des îles Saint-Pierre et Miquelon pour ensuite ramener leurs prises sur la grave pour y être « bénéficié » et séchées. La saison se termine le jour de la Saint-Michel, le 29 septembre, et se déroule ensuite le partage du poisson sur la grave de Saint-Pierre. Conformément au règlement du 20 juin 1743, l’armateur s’en réserve les quatre septièmes alors que les pêcheurs se partagent les trois septièmes restants. M. Lafourcade, « Saint-Jean-de-Luz, port de pêche au XVIIIe siècle », p. 298. 191 Mémoire par Malherbe, août 1784, op.cit., f 126v. 192 Ibid., f 122. 193 En 1788, selon le sieur Pièche de Loubières, contrôleur général à Saint-Pierre, la pêche ordinaire d’une goélette avoisine les 700 quintaux par saison. La part de l’armateur est le 4/7, soit 400 quintaux et 300 quintaux pour l’équipage. La Morandière, op.cit., p. 835. 189


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À Miquelon comme à Saint-Pierre, la pêche est bel et bien le seul moyen de subsistance des habitants. Le climat y est dur et le sol aride194. Ce sont les hommes qui pêchent alors que les femmes et les enfants préparent la morue sur la grave195. Ce sont aussi ces derniers qui cultivent quelques légumes, mais nettement insuffisants pour être qualifiés de ressources alimentaires significatives. La pêche exige du sel, des voiles, des cordages, du biscuit ou encore de l’eau-de-vie196. Tout est vendu aux prix que décide l’armateur et ce, sous forme d’avances à être remboursées en morues. Toutefois, un administrateur estime que les prix ont augmentés d’un quart en comparaison de ceux d’avant la Guerre d’indépendance américaine. Mais la morue, elle, se vend encore à vingt livres tournois le quintal par le pêcheur197! Il en demeure néanmoins que l’on peut déjà parler de véritables unités de production familiales. Comme chez les habitants anglais de Terre-Neuve198, les familles françaises de l’archipel possèdent la propriété et les outils pour apprêter le poisson, cultiver la terre et construire des maisons. La question des primes de pêche françaises favorisant l’exportation du poisson, bien qu’abordée plus loin dans cet ouvrage, mérite qu’on s’y arrête dès maintenant. De manière plus précise dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de favoriser l’exportation de la morue aux îles, en France et à l’étranger. Mais il ne semble pas qu’elle ait pour autant diminuer

Pour Terre-Neuve, tel que mentionné auparavant, l’agriculture rapporte davantage que ce que laisse entendre l’historiographie traditionnelle. Norrie et Szostak parlent de grains, de légumes, de l’élevage des porcs, des vaches et des moutons. Norrie et Szostak, op.cit., p. 7. 195 En France aussi, quoique la capture du poisson demeure l’affaire des hommes, les activités terrestres sont une sphère plutôt féminine. Pavé, op.cit., p. 85. 196 Dans la pêche se déroulant des deux côtés de la Baie des Chaleurs à la fin du 18e siècle, les infrastructures sur une habitation de pêche sont assez semblables à celles de l’archipel à la même époque : maison de l’habitant, magasins et entrepôts pour les « marchandises et agrès de pêche comme les lignes, ains, faux, plomb, voiles, grappins. On entrepose aussi des provisions telles du beurre, de la mélasse, de la farine, des pois et des biscuits ». Mimeault, « La continuité de l’emprise..», op.cit., p. 61-62. 197 Compte-rendu de Barbazan au ministre, 6 juin 1786, op.cit., f 15-150v. En 1786, Malherbe sonne l’alarme pour dénoncer certaines irrégularités dans les poids des barriques et futailles. C’est dans ces genres de contenants que sont transportés en colonie le vin et les liqueurs. En temps normal, leur poids doit être d’au moins 12 kg mais certaines barriques et futailles ne pèsent souvent que 10 kg. Le poids s’en trouve donc diminué d’un sixième sur les barils de spiritueux et d’un cinquième sur les barils de légumes. Pour enrayer ces malversations, Malherbe suggère qu’au moment du débarquement, chaque contenant suspect soit pesé en présence d’officiers de l’amirauté. En cas d’irrégularité, on saisirait le tout pour être vendu à l’enchère et dont les profits seraient répartis chez les moins nantis de la colonie. 15 juillet 1786, Malherbe, Mémoire sur la pêche de la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon, BAC-MG1-C11F, bobine F523, vol. 5, f 119-123. 198 Cadigan, « The Staple Model Reconsidered..», op.cit., p. 51. 194


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l’appétit des armateurs. D’ailleurs, à l’été 1786 à Saint-Pierre et Miquelon, ils font passer de dix à cinq sols le montant offert aux pêcheurs pour qu’ils apportent tous leur morue à Saint-Pierre. Qui plus est, pour plusieurs pêcheurs ayant des chaloupes non-pontées, il arrive que leur morue se mouille durant le trajet et compromette leur saison en entier199! Les habitants-pêcheurs sont donc contraints d’écouler leur morue à un prix fixe, peu importe le prix offert sur les marchés. Comme le dit si bien Barbazan, il « semble y avoir peu de justice dans un marché qui n’oblige qu’une des deux parties ». Le moindre incident arrêtant ou retardant la pêche, risque ainsi de plonger une et même plusieurs familles dans la misère durant l’hiver suivant une mauvaise saison200. Pour en revenir à la prime, deux points fondamentaux soulèvent alors des questions. Premièrement, l’habitant-pêcheur n’en profite pas puisqu’il ne peut pas, dans la majorité des cas, exporter lui-même sa morue. Deuxièmement, avant l’instauration de la prime encourageant l’exportation, il ne restait que rarement de la morue invendue dans l’archipel. Pourtant, si le commerçant français ne réussit pas à répondre à la demande aux îles de l’Atlantique sud et des marchés étrangers, il ouvre la porte de ces mêmes marchés à la morue anglaise et américaine201. Mais il n’y a pas que la prime qui puisse encourager les habitants-pêcheurs. Par exemple, le roi pourrait leur fournir du sel au prix de l’île de Ré soit à cinq ou six livres tournois la barrique, plutôt qu’à vingt livres comme c’est le cas dans l’archipel. En enlevant ainsi le monopole du transport du sel aux navires marchands métropolitains, ces derniers devraient amener davantage de « comestibles et autres objets utiles à la colonie ». Idéalement, les magasins du roi devraient se remplir de sel dès l’automne, assurant ainsi aux pêcheurs les moyens de débuter la pêche dès que possible le printemps suivant. Ils ne dépendraient donc plus de l’attente angoissante que leur imposent les navires métropolitains202.

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Compte-rendu de Barbazan au ministre, 6 juin 1786, op.cit., f 151. Ibid., f 151v. 201 Ibid., f 151v-152. À noter que dans un mémoire non daté mais fort probablement rédigé après 1790, un auteur anonyme suggère de prélever deux livres tournois le quintal de la prime pour les remettre aux habitants-pêcheurs. Notes sur la nécessité et sur les moyens les plus économiques de faire des approvisionnements aux îles Saint-Pierre et Miquelon, n.d. Après 1790. BAC-MG1-C11F, bobine F523, vol. 5, f. 158v. 202 Compte-rendu de Barbazan au ministre, 6 juin 1786, op.cit., f 154v. 200


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N’empêche que depuis l’époque de Plaisance, les administrateurs coloniaux déplorent inlassablement la dépendance des habitants-pêcheurs envers les traitants métropolitains203. C’est encore à eux-seuls que l’habitant peut troquer le produit de sa pêche en retour d’avances s’exprimant en vivres, en effets de pêche et vêtements. Pourtant, sans la morue des habitants, le traitant armerait à perte. Les deux groupes sont donc condamnés à vivre ensemble, puisque partageant des intérêts communs204. Tous s’entendent pour dire que dans un monde idéal, une hausse des prix des produits en France s’accompagne aussi d’une hausse en colonie. Cela doit cependant s’accompagner d’une augmentation du prix de la morue « en proportion », afin de maintenir un équilibre entre le traitant et l’habitant. Pourquoi donc, au début de la pêche à chaque printemps, les administrateurs n’établiraientils pas le prix de la morue « proportionnellement aux prix des objets apportés par le traitant205»? Autrement, l’habitant replongera dans une spirale d’endettement envers le traitant et dont il ne pourra jamais s’acquitter. Inlassablement, chaque année, les autorités de l’archipel tentent d’évaluer les besoins en approvisionnement des habitants durant l’hiver et de trouver des sources fiables pour l’assurer. Il n’y a rien là de bien nouveau, puisque l’on privilégie toujours d’échanger la morue des habitants contre les denrées venant de France. En cas de disette, une entente préalable avec les États-Unis permettrait d’obtenir des provisions auprès des commerçants de Boston. Également, des denrées obtenues par le biais du Consul de France à New York peuvent être envoyées aux îles en juin et juillet. De 1787 à 1790, il semble que les besoins moyens de la population durant l’hiver se chiffrent à 220 quarts de farine et 200 quarts de lard. On parle ici de deux denrées fondamentales dans le régime des insulaires206. Mais il n’y a pas seulement l’approvisionnement en vivres qui s’avère problématique puisque celui en outils et équipement de pêche l’est tout autant. En principe, les vaisseaux

En 1788, près de 262 000 quintaux de morue, d’une valeur de sept millions de livres tournois, découlent de la pêche française et les Antilles en reçoivent pour une valeur de 4, 6 millions de livres. P. Butel. « Succès et déclin du commerce colonial français », p. 1084. 204 Malherbe, Mémoire sur la pêche de la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 16 juillet 1786, op.cit., f 120v. 205 Ibid., f 120. 203

206

Notes sur la nécessité et sur les moyens les plus économiques de faire des approvisionnements aux îles Saint-Pierre et Miquelon, n.d. Après 1790, op.cit., f 156.


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métropolitains en provenance des ports de Saint-Malo, Grandville, La Rochelle et Bayonne se doivent de répondre à ces besoins. Mais tel ne semble pas être le cas. Comme conséquences de ce manque d’outils de pêche et de sel, on rapporte des interruptions des activités de pêche. Par exemple, en 1787 à Miquelon, une partie de la pêche d’été aurait été perdue sans les 100 tonneaux de sel fournis par le Ministère de la Marine. En 1788 et 1789, il faut même recourir aux Anglais et aux Américains pour des lignes de pêche et du sel207. Quel serait donc un moyen de pallier ces difficultés d’approvisionnement? Peut-être en établissant un dépôt d’équipement, d’outils et de sel dans l’archipel? Si oui, que doit-on y trouver? D’abord, on en estime le coût à environ 36 000 livres tournois par année pour : 300 barriques de sel, 1 500 lignes de pêche, douze ancres (20 à 200 kg), vingt grappins (24 à 32 kg), douze aulnes de toiles, 30 filets à hareng, quatre milliers de plomb et 8 000 hameçons208. Reste maintenant à déterminer la procédure de gestion de ces stocks entreposés dans un magasin sous le contrôle de l’État, et écoulés aux prix « ordinaires » de la colonie. Suite à l’inventaire en octobre, les administrateurs de la colonie peuvent informer la métropole des besoins à combler pour la saison suivante. Le transport, lui, peut se faire à l’aide d’une gabarre209 faisant voile pour l’archipel avant la mi-mars et arrivant en avril. Elle débarquerait le deux tiers de son sel et le trois quarts des autres marchandises à Saint-Pierre et le reste à Miquelon. Ce processus devrait prendre environ trois semaines et permettrait ensuite un voyage à New York vers le 20 mai, pour récupérer les 220 quarts de farine et les 200 quarts de lard achetés par le Consul de France. On parle ici d’un périple de quatre à six semaines, permettant un retour à Saint-Pierre en juillet210. 2.3-Besoins en main-d’œuvre des habitants : les pêcheurs-engagés

207

Ibid., f 157-157v. Ibid., f 157v. 209 Gabarre; ancien bâtiment de charge dans la marine de guerre, souvent plate, pour le transport des marchandises. Elles existent dès le 15e siècle et font alors de 2 à 10 tonneaux, munies d’une quille, d’un mât et d’une voile carrée. Pavé, op.cit., p. 108. 210 Notes sur la nécessité et sur les moyens, n.d. Après 1790, op.cit., f 158-158v. 208


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Depuis les tout débuts de l’établissement de la pêche sédentaire en Amérique du Nord, l’habitant-pêcheur n’a jamais pu combler ses besoins de main-d’œuvre en colonie211. Encore en 1786 dans l’archipel, il doit en recruter à Bayonne et à Saint-Jean-de-Luz, qu’il préfère aux engagés des autres ports du royaume. L’habitant les paie à la part et leur remet leur portion de morue une fois la pêche terminée. Ils contractent alors de nouveaux engagements pour l’année suivante, avant leur départ pour la France, amenant avec eux soit leur portion de morue, ou l’argent obtenu par sa vente212. Les succès de recrutement peuvent néanmoins être compromis pour toutes sortes de raisons. Par exemple, lorsque vient le temps de négocier le coût et les conditions de voyage des engagés entre la France et la colonie. Des administrateurs dénoncent alors les malversations de certains armateurs abusant de la situation en exploitant outrageusement les engagés. Depuis les débuts de la pêche sédentaire en Amérique, ces derniers ont toujours voyagé à bord des bâtiments en partance de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz en payant chacun quatre quintaux de morue. Ils emportent aussi leurs vivres. En 1785, les consignes administratives ont été respectées à l’allée, mais pas au retour. Dans un premier temps, par un ordre des armateurs, les capitaines ont voulût exiger un coût de 60 livres tournois par engagé pour la traversée, en plus de l’usuel coût en morue213. Bien entendu, les engagés protestèrent qu’il s’agissait-là d’une grave infraction à la coutume. Dans un deuxième temps, à leur départ de France, des capitaines forcent des engagés d’accepter des avances dont la valeur varie de 100 à 150 livres tournois et ce, à un taux d’intérêt de 13,5% par mois. L’engagé doit payer « en morue de choix » au taux de 13.10.0 livres tournois le quintal, soit une perte de sept livres sur le prix de vente ordinaire. Respecter de pareilles conditions risque de laisser l’engagé sans aucun bénéfice pour sa pêche. Le Commandant de la station de Terre-Neuve, le sieur Charles de Girardin, apprit que ces arrangements résultent d’un « concordat » ou collusion orchestrée entre les armateurs de Bayonne et de

Durant la période à l’étude, le problème du recrutement de la main-d’œuvre parait moins aigue en Nouvelle-Angleterre. Dans cette région, l’augmentation rapide de la population offre davantage d’options aux entrepreneurs. On y semble de moins en moins enclins à embarquer des membres de la famille ou des travailleurs migrants. Magra, op.cit., p. 56. 212 Malherbe, Mémoire sur la pêche de la morue, 16 juillet 1786, op.cit., f 120. 213 À Terre-Neuve, la loi Palliser de 1775 oblige d’instituer des contrats d’engagement par écrit. On y mentionne l’obligation de mettre de côté jusqu’à 40 shillings pour défrayer le passage de chaque engagé. S. T. Cadigan, « Merchant Capital, the State, and Labour in a British Colony : », p. 19. 211


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Saint-Jean-de-Luz en 1784. Les capitaines de navires métropolitains ne respectant pas ces consignes, risquent de se voir imposer des amandes pouvant atteindre 500 livres tournois de la part de leur armateur. Le Commandant Girardin ordonne tout de même aux capitaines métropolitains en partance de l’archipel, de ramener les engagés en France. Ces derniers peuvent aussi amener leurs vivres, mais doivent accepter de « faire le quart à bord » et de travailler aux mêmes besognes que l’équipage du bâtiment214. Si les engagés acceptent ces conditions, les armateurs ne doivent pas leur imposer des avances « non usités 215» ou non désirées. Cette soi-disant collusion des armateurs, vise probablement à décourager les engagés d’aller travailler pour les habitants-pêcheurs. Les documents d’archives permettant de mieux cerner les conditions de travail des pêcheurs-engagés métropolitains dans l’archipel, se limitent à huit. De plus, ils ne couvrent que la courte période de 1784 à 1789. Il demeure donc difficile de dresser une synthèse hermétique des clauses contractuelles énoncées dans ces ententes. D’abord, lorsque les choses ne se déroulent pas au goût des équipages ou des entrepreneurs, les parties peuvent toujours s’entendre pour se désister ou annuler une entente. C’est ainsi qu’un acte de désistement annule un contrat passé à Saint-Jean-de-Luz entre quinze hommes et les sieurs Richemond et Garnauld. Il semble s’agir de deux équipages dont l’un est en goélette et l’autre en chaloupe216. Un autre entrepreneur, Lefebvre, représentant de la Société Ernouf, de Granville, passe une convention avec cinq pêcheurs. Mais là-aussi semble transpirer une certaine insatisfaction des pêcheurs envers le déroulement de la saison 1783, et ils demandent des garanties par écrit pour celle de 1784. Ils exigent tous un versement salarial de 250 livres à la Saint-Michel, en déduisant les avances reçues de Lefebvre217.

214

Malherbe, Mémoire sur la pêche de la morue, 16 juillet 1786, op.cit., f 122-122v. En 1788, le contrôleur général de l’archipel, Pièche de Loubières, explique que les engagés « pour se dédommager des sommes considérables que les armateurs basques les forcent à prendre à un intérêt exorbitant pour obtenir un passage sur leurs navires », exigent que l’habitant pour lequel ils doivent faire la pêche paye pour leur passage fixé à quatre quintaux de morue de choix. À cet « abus », ils ont joint celui d’exiger encore que l’habitant prélève sur les 4/7e qui lui reviennent, 10% du produit total de la pêche pour avoir conditionné la morue. La Morandière, Tome II, op.cit., p. 835. 216 Désistement de quinze pêcheurs de leur contrat d’engagement avec Richemond et Garnauld, 19 mai 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 63-63v. 217 Convention entre Lefebvre et cinq pêcheurs : Jean Beust, Jacques Avril (?), Jacques Belois, Joseph Noël Boulet et Jean Letellier, 15 juin 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 64-65. En Nouvelle215


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Un autre engagement implique le négociant de l’archipel Dumontier avec Martin Fagonde, parlant au nom de quatre autres pêcheurs, pour faire la pêche sur la goélette la Charlotte. Les engagés reconnaissent avoir reçu des vivres et autres fournitures qu’ils s’engagent à rembourser à la Saint-Michel, en espèces sonnantes ou en morues marchandes. Il semble que cet équipage soit en hivernage dans la même cabane et ensemble, ils devront rembourser un total se situant entre 643 et 788 livres tournois218. C’est sensiblement la même entente que celle conclue entre Maisonneuve Mannet, capitaine de Saint-Malo, et Pierre Harriet, maître de goélette de Saint-Jean-de-Luz. Ce dernier doit former un équipage de huit hommes à Bayonne, pour pêcher au 3/7 dans une goélette sur les bancs de l’archipel. Ils ont leur passage payé sur l’un des navires de Rodrigue Frères219. De son côté, l’habitant-pêcheur Antoine Desroches s’entend avec le sieur Fontaine et cinq autres engagés pour qu’ils s’embarquent sur la goélette la Petite Annette pour la pêche d’été. Notons que le sieur Fontaine rempli le double rôle de capitaine et de trancheur, secondé par un saleur, deux compagnons, un décolleur et un mousse220. Là-aussi, l’entente respecte la coutume des 3/7, selon l’ordonnance de l’île Royale de 1743. Conformément aux intentions manifestées depuis le 17e siècle dans ce genre d’entente, l’équipage s’engage à armer le plus vite possible afin d’être en mesure d’appareiller au premier vent favorable. Il s’agit ensuite de pêcher sans interruption jusqu’à la Saint-Michel, en septembre. Les parts se répartissent comme suit; huit au capitaine-trancheur, quatre au saleur, quatre à chaque compagnon et 2,5 au décolleur pour un total de 23. L’armateur, de son côté, est Angleterre aussi, les marchands utilisent un système de parts dans la rémunération des équipages soit le 5/8. Cette portion est alors divisée entre les pêcheurs, peu importe le nombre de poissons pêchés par chacun. La part est plutôt déterminée selon le rang, l’âge et l’expérience. Magra, op.cit., p. 44-45. 218 Obligation par Martin Fagonde à Dumoutier, 24 mai 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 153-154. Les autres pêcheurs sont Martin Heuty, Jean Lafitte, Baptiste Delore et Bertrand Laye. Fagonde agit aussi à titre de trancheur et c’est lui qui reçoit la plus grande valeur en avances avec 46 livres, suivi de Lafitte avec 36 livres. La capacité à exercer plusieurs fonctions à bord constitue un argument de plus pour être engagé. Selon Emmanuelle Charpentier, 15% des terre-neuvas cumulent deux et même trois tâches ou fonctions. E. Charpentier, op.cit., p. 284. 219 Convention entre Maisonneuve Mannet et Pierre Harriet, 2 octobre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 167-167v. L’on peut ici ouvrir une parenthèse sur Michel Rodrigue, fils d’un marchand d’origine portugaise établi à Port Royal en Acadie. Il débute sa carrière à titre de pilote du roi avant de devenir capitaine de navire. Établi négociant à La Rochelle à partir de 1745, il y reste jusqu’à son décès en 1777. Martinetti, op.cit., p. 68. 220 Pour 249 mousses des quartiers de Saint-Brieuc, Morlaix et Roscoff en Bretagne du 18e siècle, l’âge moyen se situe aux environs de quinze ans entre 1751 et 1762. Le salaire, lui, est de cinq livres par mois. Charpentier, op.cit., p. 266, 269. Pour plus de détails, voir M. Bouyer, « La place des mousses dans les effectifs du département maritime nantais au XVIII e siècle », p. 79-93.


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responsable de vendre l’huile de morue et de verser la part qui revient à l’équipage. Il semble que le saleur puisse également se mériter une gratification équivalente au dixième de la pêche, avant son partage entre l’armateur et l’équipage. Bien entendu, si un ou plusieurs membres de l’équipage retardent le départ de la goélette par « désobéissance ou dérangement », le ou les coupables doivent dédommager l’armateur221. On en apprend davantage sur ce que l’entrepreneur doit fournir à l’équipage dans une convention entre Lelandais, représentant de Ganné Lainé de Granville, et les six hommes d’équipage de la goélette la Marie-Josèphe222. Ils reçoivent du sel, des lignes, des calles et crocs « suivant l’usage » et de la nourriture. Cette entente est plutôt élaborée. Conformément à ce qui a été mentionné auparavant, les morues et huiles résultant de la pêche, seront « partagée par moitié entre le propriétaire et l’équipage » sur la grave à la Saint-Michel. Le sieur Lelandais, lui, agit à titre de maître de grave, fournissant ses propres graviers et touche 5% de la « totalité de ladite pêche », découlant de tous les voyages et de la « masse lors du partage ». Tableau 3 Répartition des responsabilités entre Le Landais et l’équipage de la Marie-Josèphe en 1788. Obligations de Le Landais

Obligations de l’équipage

Fournir une goélette en état de pêcher

Gréer et équiper la goélette

Fournir la grave

Pêcher

Fournir le sel

Fournir les vivres pour l’équipage et le gravier

Fournir les lignes et calles

Payer la moitié des avaries

Payer le salaire et nourriture du maître-gravier

Remettre la goélette convenablement échouée

221

La boëtte sera fournie à frais communs.

Engagement de pêcheurs par Antoine Desroches, 12 février 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 212-214v. 222 Convention entre Lelandais et l’équipage de la goélette la Marie-Josèphe, 10 juin 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 219-223.


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Un autre habitant de l’archipel, Alexis Mancel fils, est engagé par l’habitant André Chevalier dit Lhermite, pour monter sa chaloupe de pêche avec trois autres hommes de son choix. Cependant, l’équipage peut être appelé à faire à la fois la pêche et le cabotage jusqu’à la Saint-Michel. Chevalier versera un salaire de 600 livres en espèce à Mancel, « à la déduction toutefois des avances qu’il lui aura faite ». À titre de bénéfices supplémentaires pour l’équipage, ce dernier a le privilège de se prévaloir des profits de six sorties de pêche à raison de vingt livres tournois le quintal de morue marchande223. Finalement, la veuve Dupont, habitante de Saint-Pierre, embauche Pierre Bertoun pour commander sa goélette de pêche. Ici aussi le contrat repose sur le partage au 3/7, avec un équipage de neuf hommes dont trois compagnons, un décolleur et un mousse. La dame Dupont accepte de payer le passage de Bertoun et à six de ses hommes, surtout si la pêche est satisfaisante. Finalement, si le dernier voyage sur les bancs se termine après le 20 septembre, l’équipage a la latitude de cesser ses activités224. 2.4-Distribution des graves Selon l’ordonnance de la Marine de 1681, il est important de concéder les graves en priorité aux navires métropolitains. Cela n’empêche pas qu’il y ait sans cesse de nombreuses dérogations et cela, pour toutes sortes de raisons d’ordre local. Ce fut le cas à Plaisance et à l’île Royale et ça l’est également à Saint-Pierre et Miquelon225. Le premier gouverneur, d’Angeac, s’adonne à des « calculs fort délicats pour répartir les graves entre ses subordonnés d’une part et les capitaines venus de France226». Le ministre de la Marine, de

Engagement d’Alexis Mancel par André Chevalier dit Lhermite, 14 mai 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 283-284v. À noter qu’en 1788, Jean-Baptiste Cormier reçoit 65 livres en salaire de Bernard Lafitte pour son engagement sur le navire le Debon, de Bordeaux. Quittance par veuve Françoise Cormier et Jean-Baptiste Cormier à Bernard Lafitte, 11 décembre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 266 bis-226v. 224 Engagement de Pierre Bertoun par la veuve Dupont, 13 octobre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 308-308v. 225 En Bretagne existe alors un système d’affermage pour tendre des lignes, des filets ou pour exploiter des pêcheries. Par exemple, à Cherrueix, on mentionne des baux à ferme de six ans à raison de 180 livres par année. La pêcherie des Islouses, à Hirel, est cédée pour 850 livres en 1759, et un tiers de la pêcherie de Bricourt, près de LaHoule, est vendue pour 1 500 livres en 1781. Charpentier, op.cit., p. 95. 226 La Morandière, op.cit., p. 783. 223


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son côté, accorde une concession de 40 toises de terrain au granvillais Ravenel dès l’été 1763. Ce dernier, lieutenant de frégate, désire s’installer pour la pêche sédentaire avec douze chaloupes. Au printemps 1765, le ministre constate cependant des lacunes dans le processus d’attribution des graves puisque d’anciens habitants de l’île Royale, n’ayant pas les moyens de les exploiter, les louent à des capitaines de navires métropolitains. Un bel exemple est celui du sieur Beaubassin, qui loue la plus grande partie de la sienne (pour 30 chaloupes). Également, le sieur (Jean?) Bertrand occupe la Pointe Lucas, ancienne habitation La Hongrie-Lucas, où il n’emploie qu’une chaloupe et loue le reste de sa grave227. Le ministre demande ainsi à d’Angeac d’exercer son jugement en privilégiant les anciens habitants de l’île Royale, mais pas au point de leur accorder des étendues de graves dépassant leur capacités d’exploitation. D’habitude, les habitants n’ayant ni grave ni échafaud, doivent eux-aussi en louer en payant en argent ou avec l’équivalence de 5% du produit de leur pêche228. Mais en 1768, bien que les emplacements de pêche aient déjà été accordés, on attend toujours la confirmation des concessions par la cour. À Miquelon, par exemple, il semble y avoir des graves que l’on peut « naturellement former en levant le gazon 229». Encore en 1784, comme auparavant, l’administration insiste pour que ces graves ne soient confiées qu’à de véritables habitants-pêcheurs. Cette année-là, les administrateurs coloniaux Carphilet et Malherbe estiment que cette distribution semble s’être réalisée avec assez d’ « équité » à Miquelon, mais pas à Saint-Pierre. Sur l’île de Saint-Pierre, les graves sont d’abord réparties entre 25 personnes mais dont les étendues varient trop en superficie. Quelques-unes sont vraiment plus grandes que d’autres et un bon nombre sont louées par leurs concessionnaires, plutôt qu’exploitées par euxmêmes. Tel qu’évoqué plus haut, ces contrats de location ou baux sont payés en argent ou en retour de 5% du produit de la pêche des locataires. Il en résulte que ceux louant leur grave, ne peuvent espérer augmenter le nombre de leurs chaloupes ou encore obtenir du

227

Ibid., p. 784-785, 787. Ibid. p. 786-787. 229 Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 89. 228


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crédit pour s’acheter « les choses nécessaires à l’entretien de leurs familles » et renouveler leurs outils de pêche230. Les objectifs du roi semblent donc être clairs soit d’annuler les concessions de graves de ceux n’étant pas de véritables habitants-pêcheurs, réduire et équilibrer l’étendue des graves pour permettre l’accès à un plus grand nombre d’habitants231. L’historien Jean-Yves Ribault a bien cerné les activités d’acquisition et d’accès aux graves par la société d’Estebetcho en 1784 : achat de la grave de Noël Ross pour 1 800 livres, location de celle de la veuve de Jacques Milly (Jeanne Clément) pour 1 000 livres par année, location de celle de François Loyer-Deslandes à 5% du produit de pêche et finalement, location de celle de la veuve Beaubassin au même taux232. Il ne faut jamais oublier que les chiffres invoqués pour illustrer la dimension des graves, ne signifient pas toujours des espaces entièrement adaptés au séchage de la morue. Idéalement, le terrain doit être bien sec, facilitant le séchage sur des « broussailles, des feuilles (branches) de sapin, comme sur les cailloux, dont les graves sont composées 233». Il n’y a donc souvent qu’une étendue limitée de toises pouvant être mise en valeur, à proximité d’espaces « trop marécageux pour en faire des graves ou des vigneaux »234. Cette cohabitation de terrains à qualité variable pour l’exploitation des graves s’applique aussi à l’île aux Chiens, où seulement quelques sections de graves sont en opération en 1784235. Une bonne sécherie exige un certain nombre de jours ensoleillés, puisque la brume et la pluie constituent de grandes embûches risquant de compromettre une bonne saison. Une trop grande humidité peut même provoquer un changement de couleur de la chaire de la morue. Cette dernière passe alors de « blanchâtre à rougeâtre » et on constate même, à l’occasion, l’apparition de vers qui contaminent le poisson et qui perd ainsi passablement de valeur236. C’est pourquoi ce genre de morue est classé de réfaction et est expédiée

230

Rapport sur les mémoires que messieurs de Carphilet et Malherbe, 1784, op.cit., f 117. Ibid., f 117. En France, un Arrêt du Conseil d’État du 26 août 1732 porte sur les parcs et pêcheries de l’amirauté de Saint-Malo. On y stipule que 64 pêcheries seront détruites aux frais de leur propriétaire et seize subiront le même sort dans l’amirauté de Saint-Brieuc en 1733. Charpentier, op.cit., p. 215. 232 Ribault, « Les îles Saint-Pierre et Miquelon. La vie dans l’archipel sous l’Ancien Régime », op.cit., p. 73. Voir aussi La Morandière, op.cit., p. 784. 233 Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784, op.cit., f 120v. 231

234

Ibid., f 120v. Ibid., f 121. 236 Ibid., f 123v. 235


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exclusivement aux Antilles le printemps suivant. Il s’agit d’ailleurs du seul marché viable pour une bonne partie de la morue d’été de l’archipel, suite à la saison de 1784. Les activités de sécherie sont alors perturbées par des « brouillards très épais » et des pluies « très abondantes », qui ont avarié une assez grande quantité de morue mises à sécher sur les graves237. Les observateurs et chroniqueurs s’intéressant à la problématique d’une distribution équitable des gaves, acceptent que la priorité soit accordée aux anciens habitants de l’île Royale et de l’Acadie, à titre de dédommagement découlant des épreuves de la Guerre de Sept Ans. Après tout, ils ont été chassés d’Acadie et de l’île Royale par les Anglais. Mais tel que mentionné auparavant, l’octroi de ces concessions impose aux bénéficiaires l’obligation d’exploiter eux-mêmes ces graves, en pratiquant la pêche seul, en unités familiales, en association avec d’autres habitants ou encore en société avec un armateur. Il demeure hors de question de permettre à ces concessionnaires de louer ces graves à fort prix, à des exploitants désespérés. Dans de pareilles circonstances, ces derniers deviennent ainsi condamnés à remettre chaque année une partie de leur poisson au concessionnaire en guise de loyer, grugeant sur un bénéfice déjà insuffisant238. En guise de remède à cette situation indésirable, Malherbe propose de saisir les concessions des contrevenants pour les réunir au domaine du roi239. Ce faisant, ces graves deviennent ainsi disponibles pour d’autres armateurs ou pêcheurs, intéressés à les occuper et à les exploiter eux-mêmes à chaque année. Cela mettrait fin aux abus commis par des concessionnaires absents qui, en France, se contentent d’attendre de toucher le montant du loyer sans investir dans l’entretien de leurs concessions240. Chez des petits pêcheurs en chaloupe de l’archipel, surtout des Acadiens, l’obligation de payer une location de grave risque de leur laisser à peine de quoi rembourser les dépenses de la saison de pêche et les priver d’acquérir les provisions et les hardes pour les protéger, eux et leurs familles, des risques de l’hiver. Toutefois, en dépit de ce que préconisent les observateurs les plus généreux, il est douteux qu’un accès gratuit à une grave leur permette 237

Ibid., f 125. Ibid., f 122. 239 Les mêmes solutions sont invoquées à Plaisance entre 1672 et 1713. Landry, Plaisance Terre-Neuve, op.cit., p. 342-350. 240 Mémoire de Malherbe, août 1784, op.cit., f 122v. 238


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à la fois de rembourser les avances à l’armateur et de se prémunir pour passer l’hiver. Il n’est pas plus certain qu’à moyen et long terme, cela permette à ces petits pêcheurs soit d’acquérir d’autres chaloupes ou d’en monter de plus grandes241? La problématique des graves dormantes est récurrente à chaque saison. Comme en 1784, alors que seulement 25 graves fonctionnent à Saint-Pierre, dont certaines en location. Pour Miquelon, la distribution des graves semble poser moins de problème puisqu’elle semble avoir été faite proportionnellement au nombre d’habitants s’y étant installés en 1763-64. N’empêche qu’en 1784, certaines semblent vraiment plus grandes que celles octroyées par la suite avec l’arrivée de nouveaux habitants, ou encore en vertu de la croissance démographique. Cet état de chose n’empêche pas que quelques habitants, bien loin de se servir d’étrangers pour entretenir leurs graves et prendre soin de leur poisson, y emploient leurs femmes et leurs enfants242». À son avis, les terrains de l’isthme de Miquelon sont plus aptes à être exploités pour des graves puisque la majeure partie est « remplie de graviers (grands cailloux plats) ». Des progrès considérables peuvent même être réalisés en ce sens et sans trop de frais, mais à une condition : créer un abri dans une partie de la rade pour les goélettes et les chaloupes. Cela permettrait ainsi d’augmenter le nombre d’embarcations en opération pour les habitants243. En juin 1786 s’élabore finalement un projet d’ordonnance royale sur les graves de l’archipel. Il en découle la confirmation du droit des habitants de détenir « l’exclusivité des graves situées sur les côtes de ces îles ». Rappelons néanmoins que les habitants jouissaient déjà de ce droit, du moins provisoirement, de 1763 à 1778 soit jusqu’à la dernière conquête anglaise. Le roi a toujours présumé que les habitants poursuivaient constamment la mise en valeur de ces concessions. Entre autres, en les occupants de manière permanente à titre de lieu de séchage et de salage de leur poisson. Mais il persiste encore un problème

241

Ibid., f 122v-123. Ibid., f 123. À compter de la fin du 18e siècle à Terre-Neuve, la pêche des résidents devient prédominant puisqu’ils obtiennent des droits de propriété. Les femmes, elles, jouent un rôle de plus en plus important en exerçant parfois un emploi à l’extérieur des pêches. Tel que mentionné auparavant, la pêche devient donc dominée par la production familiale. Cadigan, « Merchant Capital..», op.cit., p. 19. En 1793, un marchand de Dartmouth explique qu’à Conception Bay, il n’y a pratiquement aucun engagé au service des familles. Handcock, op.cit., p. 106. 243 Mémoire de Malherbe, août 1784, op.cit., f 123v. 242


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remontant à l’époque de Plaisance, soit celui des habitants-absents et des habitants-loueurs. Il semble bien que les fautifs se croient, à tort, propriétaires à part entière de ces graves alors qu’en réalité, ils ne le sont qu’à la condition de les exploiter eux-mêmes. En les louant à des armateurs pour de l’argent ou une part de poisson, ces concessionnaires violent les règles d’octroi. De plus, tel que mentionné ailleurs dans ce texte, des locataires moins fortunés y engouffrent une bonne partie du maigre bénéfice provenant de leur campagne de pêche244. Le roi décide néanmoins d’accorder en « toute propriété » aux habitants ainsi qu’aux armateurs français, les graves qu’ils exploitent en date du 7 juin 1786. Pour profiter de ce privilège, les personnes visées doivent se « rapporter » au contrôleur de la colonie avant la fin de l’année. Dans le cas où ces mêmes personnes cessent d’exploiter eux-mêmes leurs graves, ces dernières sont réunies au domaine royal en attendant d’être concédées à d’autres intéressés. Il devient également interdit de louer des graves ou des terrains propres à en recevoir. Le roi accorde toutefois un compromis visant sans doute à encourager les moins fortunés, les sans-terres et les entrepreneurs-armateurs à poursuivre leurs activités dans l’archipel. Ainsi, « Elle (Sa Majesté) veut bien permettre aux seuls habitants qui ne seraient pas en état de se procurer des bâtiments et embarcations de pêche, ainsi que les avances nécessaires pour les exploiter, de les louer à la charge par eux de l’entretien desd graves et des édifices qui y seraient construits ou qu’ils y construiront pour l’usage des capitaines et équipages employés à la pêche245». Certaines nuances apparaissent pour, le roi l’espère, atténuer les abus attribuables à la culture de la location. En premier lieu, le pourcentage maximum demandé pour la location sera plafonné à 3% et non 5% du produit de la pêche du locataire. En deuxième lieu, les graves et les terrains incultes seront concédés gratuitement aux armateurs métropolitains et coloniaux. Mais leur étendue sera attribuée « au prorata du nombre de bâtiments et d’embarcations qu’ils pourront employer ». En troisième lieu, le roi envisagerait de dédommager un propriétaire de grave cessant ses activités, en tenant compte des investissements qu’il y aura consentis en infrastructures. Le nouveau propriétaire serait 244

Grand Montreuil, près de Versailles, Malherbe, 7 juin 1786, BAC-MG1-C11F, bobine F523, vol. 5, f 124v. 245 Ibid., f 125.


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ainsi tenu de dédommager l’ancien, en fonction d’une « estimation faite de gré à gré », en présence d’administrateurs de la colonie. Du même coup, toutes les concessions et actes relatifs aux graves et terrains n’ayant pas été préalablement approuvés par les administrateurs coloniaux ou par le roi lui-même, sont déclarés nuls246. Finalement, le roi exige une reconfiguration des graves à Saint-Pierre. En effet, celles le long du port ou Barachois sont exploitées et occupées presqu’exclusivement en longueur et très peu en profondeur. Il faut donc concéder d’autres espaces axés davantage sur la profondeur si le terrain le permet, et répartir entre un plus grand nombre de propriétaires, celles trop étirées sur la largeur. Pareil remaniement permettrait à un nombre supérieur de concessionnaires d’avoir accès à de la grave247. Avant de conclure sur la question d’accès aux graves, permettons-nous d’examiner un contrat pour « faire de la grave », entre Dupleix Silvain Frères et les Guillard. Ces derniers, peut-être frères, sont résidents de Saint-Pierre et s’engagent à faire 300 toises carrées de grave dans une habitation des Silvain à l’île aux Chiens. Les Silvain leur fournissent brouettes, outils, pelles et pinces de fer. Les Guillard, pour leur part, se portent garant de leur entretien et de les rendent ou les acheter une fois le contrat terminé. L’entente implique également de fournir un canot avec avirons et un baquet. Les Silvain leur fournissent les vivres mais les Guillard doivent les payer, sauf seize pots de mélasse248. 2.5-La place de l’archipel dans le commerce Atlantique L’approche méthodologique gouvernant cette étude de la population franco acadienne de l’archipel, s’inspire des théories préconisées par des praticiens de l’histoire atlantique. Ainsi, cette recherche met de l’avant le fait que les activités de cette microsociété coloniale du 18e siècle, s’articulent aux réseaux d’échanges économiques et de relations impliquant la circulation des personnes et des biens autour de l’Atlantique. Dans le cas de l’archipel, l’essentiel de ces échanges semblent se concentrer vers la France, les Antilles, la Nouvelle-

246 247

248

Ibid., f 125. Ibid., f 125.

Marché conclu entre Jean et Charles Thomas Guillard et Dupleix Silvain frères, 13 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 173-174,


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Angleterre et Terre-Neuve. C’est aussi l’étude de femmes, d’hommes et de classes sociales, évoluant en périphérie de l’Empire français durant la deuxième moitié du 18e siècle249. Poulin de Courval semble être un observateur bien informé sur les rouages du commerce atlantique du 18e siècle. Il est d’avis que les navires propres au commerce de l’Atlantique français doivent être d’un tonnage variant entre 60 et 110 tonneaux. En partance des colonies du sud, ils doivent transporter du café, du sucre brut et un peu de coton vers les colonies du nord, surtout celles de Nouvelle-Angleterre et du Canada, devenu depuis peu britannique250. En échange de ces produits, on offre des planches et des morues de l’archipel. À noter qu’il ne semble pas envisageable pour l’archipel, de se passer de la Nouvelle-Angleterre et du Canada pour son approvisionnement. De Courval rappelle qu’à l’époque de Louisbourg, la valeur de ce commerce soi-disant prohibé avec la NouvelleAngleterre pouvait atteindre trois millions de livres tournois par année! Il affirme, comme d’autres d’ailleurs, que la santé commerciale de l’archipel dépend grandement du maintien de la paix puisque son commerce s’inscrit dans l’axe de ceux du Canada et des colonies de la Martinique et de Saint-Domingue. Un autre auteur est d’avis que le commerce avec la Nouvelle-Angleterre prendra encore davantage de vigueur si l’on accorde la liberté à ces navires néo-anglais de décider euxmêmes du moment propice de leur visite. Ils peuvent ainsi éviter de se faire importuner par les patrouilleurs anglais de Terre-Neuve. Certaines de ces visites de navires néo-anglais peuvent même parfois survenir durant l’hiver251. En contrepartie, un administrateur pense que le commerce des marchands de l’archipel avec les îles méridionales n’est pas si considérable que certains le prétendent. Par exemple, en 1768, cinq bâtiments viennent de Saint-Domingue et de la Martinique, dont trois seulement furent armés dans l’archipel l’année précédente252. Il reconnait lui-aussi le potentiel des échanges avec la Nouvelle-

Pour un résumé efficace de l’évolution de l’histoire atlantique, voir A. Potofsky, « New Perspectives in the Atlantic », p. 383-387. Un autre chercheur, W. Jeffrey Bolster, estime que l’océan atlantique devient un lieu commun sur l’étude des activités coloniales partagées. « Putting the Ocean in Atlantic History : 15001800 », p. 19-47. 250 Port-au-Prince. Mémoire sur les îles Saint-Pierre et Miquelon par M. Poulin de Courval, adressé à monsieur le comte d’Estaing, 26 septembre 1769. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 79v. 251 Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon, 1768, op.cit., f 82. 252 Réfutation du mémoire précédent par D’Angeac, 29 octobre 1768, op.cit., f 85v. 249


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Angleterre, mais pas tant que la Grande-Bretagne continue de maintenir des patrouilleurs autour de l’archipel à longueur d’année. Il rappelle le cas de navires de Boston venus dans l’archipel en décembre, justement pour éviter les croiseurs anglais. Mais il n’en aurait vu aucun de Nouvelle-Angleterre depuis 1766, du moins pas durant l’hiver253. En relation avec la question des primes favorisant l’exportation du poisson français, il en découle forcément d’interdire l’entrée du poisson étranger dans les ports de France et dans ceux des colonies françaises. Sinon, il faut alors lui imposer une taxe ou un droit d’entré permettant de « rétablir l’égalité des prix », pour que la pêche française ne souffre pas d’une telle concurrence. Il faut également statuer sur la pertinence de maintenir ou non la « gratification » ou prime de 25 sols du quintal de morue en provenance d’Amérique, vendue en France. La mise en œuvre de cette prime remonte au 19 mai 1775254. Chaque année à la fin de l’automne, des quantités de poisson sont exportées en France et en Amérique à partir de l’archipel. Rappelons qu’une série d’exemptions sont mises en vigueur par la France entre 1763 et 1787 et de 1783 à 1792, en plus de nombreuses autres s’ajoutant par la suite255. À la morue s’ajoutent aussi ses produits dérivés soit l’huile, les langues et les noves. Sur une très petite échelle, on exporte aussi de l’huile de loup-marin. Finalement, quelques pêcheurs de Miquelon tentent de faire la chasse aux baleineaux256. 2.6-Les insulaires dans le commerce atlantique et l’importance des réseaux Les composantes constituant l’industrie des pêches de l’archipel, s’inscrivent dans des rouages à la fois complexes et impliquant des risques financiers. Le dépouillement de quelques documents pertinents permet de mieux saisir certains aspects de la question. Tel qu’observé auparavant, l’historiographie a déjà assez bien circonscrit des problématiques telles l’embauche d’engagés et l’accès à la propriété et aux graves. Il peut toutefois s’avérer difficile de colliger assez d’informations pour mieux saisir les défis qu’affrontent les

253

Ibid., f 87. Rapport sur les mémoires que monsieur de Carphilet et Malherbe ont adressé, 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 117v. 255 Pour connaître en détail l’essentiel de ces nombreuses primes, voir J-F Brière, La pêche française op.cit., p. 256-259. 256 Mémoire concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon par Malherbe, août 1784, op.cit., f 125v. 254


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entrepreneurs coloniaux de l’archipel. D’abord, ils doivent tenter de former des sociétés257. Un bel exemple de ce genre d’entente, transpire de la convention liant les sieurs Edme Henry, Jean Mainville, Pierre Saint-Martin et Jean Chiveau (Chibeau?). Cette société, en 1788, est propriétaire des goélettes la Barke et la Maréchal de Lévis, de même que du brigantin la Marie et de deux esquifs. Les partenaires conviennent d’abord que tous les comptes de l’armement des bateaux pour l’année précédente (1788) sont acceptés. L’avoir net de la société se chiffre alors à 16 654 livres. Mais lorsqu’on effectue le décompte de la valeur des parts individuelles, on en arrive au total de 27 000 livres; Henry pour 14 087, Mainville pour 4 461, Saint-Martin pour 8 000 et Chiveau pour 2 706. Les partenaires décident donc d’entreprendre ensemble la saison 1789258 et encore-là, ils conviennent que les comptes du dernier armement sont acceptés de tous. Les dépenses de cet armement atteignent 27 000 livres, répartis comme suit : Henry (747 livres), Mainville (7 202 livres), Chiveau (4 048 livres) et Saint-Martin (15 000 livres). Chaque partenaire demeure « intéressé » pour 2/7 et Chiveau pour 1/7. Il semble que Saint-Martin, l’actionnaire principal, soit également le porte-parole de la société puisque ses partenaires, par le biais d’une procuration, l’autorisent « en cas de bruit de guerre » au printemps 1790, de faire « pour mieux de leur intérêt259». La société existant entre Jean Bunel et François Chevalier, elle, semble plus modeste que la précédente. Les deux associés aspirent à faire la pêche, le cabotage et « autre navigation ». Bunel est habitant de Saint-Pierre et Chevalier est de Granville. L’entente couvre les activités qui se déroulent durant l’été, jusqu’à la Saint-Michel, en barquette ou en chaloupes. Les deux s’entendent sur l’obligation de se consulter dans « toutes les opérations de leur société ». Pour faciliter le tout, ils tiennent « un livre ou journal des dépenses et des recettes de leur société », afin de faire un bilan à la Saint-Michel260.

L’acte de société se définie comme étant un « traité, une convention, une association et une promesse ». Il y est mentionné la durée et le but de l’association, les sommes investies et les possibles raisons d’une dissolution toujours envisageable. N. Dufournaud et B. Michon, « Les femmes et le commerce maritime à Nantes (1660-1740) ». 258 Convention entre les sieurs Henry, Mainville, Saint-Martin et Jean Chiveau, 14 octobre 1788. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 244-246. 259 Convention entre les sieurs Henry, Mainville, Saint-Martin et Jean Chiveau, 7 octobre 1789. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 304-305v. 260 Société formée par Jean Bunel et François Chevalier, 19 mai 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 285-285v. 257


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Durant la période à l’étude, tel que mentionné auparavant, ces entrepreneurs peuvent réclamer une prime de pêche qu’ils désignent comme étant une « gratification accordée pour l’importation de morues aux îles » d’Amérique. Elle est versée par l’État et se chiffre alors à douze livres le quintal. C’est pour l’obtenir que Bernard Lafitte remet une procuration à David Eyma, d’Eyma et Frères, pour toucher la prime. À ce moment-là, Lafitte est à charger une goélette de 55 tonneaux avec une cargaison de morue à destination de Saint-Pierre de la Martinique. Le navire est commandé par Claude Bernard Lafitte, fils aîné de Bernard261. Avec le même objectif en tête, Pradère Niquet remet lui-aussi une procuration à Dubois Martin, négociant de Saint-Malo, pour que ce dernier réclame au nom de Niquet le montant de la gratification (prime de pêche) lui revenant sur 224 quintaux de morue sèche soit 2 688 livres. La cargaison en question vient tout juste d’être chargée sur le navire le Fils unique, appartenant au sieur Lissabe. Comme Lafitte, cette cargaison est destinée à La Martinique. C’est de cette colonie que les certificats et titres nécessaires pour réclamer ladite gratification sont envoyés à Dubois Martin, à Saint-Malo, qui lui s’occupe du recouvrement de la prime262. Finalement, deux autres démarches assez similaires élaborent davantage sur les responsabilités ou obligations qu’impliquent ces procurations. Certaines clauses laissent croire que les entrepreneurs tentent de prévoir le pire! Ainsi, André Lavaquière et Claude Martin, propriétaires de la goélette Marie Hélène, font de David Guilbaud, le commandant de ce navire, leur représentant. La destination est encore une fois La Martinique avec un chargement de 893 quintaux de morue sèche, « et autres objets ». Une clause prévoit même la marche à suivre si un malheur survient. Ainsi, en plus des propriétaires du navire, Claude Martin est également du voyage. Mais en cas de décès ou de maladie de ce dernier, Guilbaud doit « gérer et administrer lad cargaison ». À son retour dans l’archipel, il doit en rendre compte à l’autre propriétaire, Lavaquière. Les deux propriétaires disent s’en

261

Procuration par Bernard Lafitte à David Eyma, 18 novembre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 262-263. 262 Procuration par Pradère Niquet à Dubois Marin19 décembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 179-180.


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remettre « entièrement à la prudence et probité » de Guilbaud263. Quant à Élisabeth Herpin, elle place toute sa confiance dans son fils Charles Philipon de la Mouline, pour régler ses affaires en France relativement à l’armement des goélettes la Jeanne Louise et l’Élisabeth Charlotte. Au moment de passer cet acte, on l’a dit « indisposée mais saine de raisonnement et d’esprit ». C’est donc son fils unique Charles, « digne de confiance », qui passe à SaintMalo dans le navire les Deux-Sœurs264. Les voyages dans l’Atlantique sont donc une occasion de régler des comptes, de livrer des cargaisons ou encore de réclamer des sommes dues. Le recours aux lettres de change est bien sûr d’usage courant. Ainsi, à la veille de partir en France à l’automne, Destebetcho, négociant de Saint-Pierre, se voit nommé procurateur pour « tirer des lettres de change sur led sieur Bourdoitz » son armateur. Destebetcho a eu le « malheur de perdre son navire dernièrement à Miquelon » et ces circonstances le forcent à passer en France sur le navire du sieur Bourdoitz. Ce dernier semble être négociant à Saint-Jean-de-Luz et son navire se nomme les Deux Patriotes, sous le commandement de Michel Detcheverry et c’est à ce titre qu’il emprunte des magasins du roi « des vivres et autres objets fournis à l’équipage du navire » à la veille de son départ265. Une fois la saison de pêche terminée vient le temps du désarmement des goélettes mais qui, à l’occasion, donne lieu à des arrangements permettant le transport d’hommes ou de marchandises. Citons l’exemple du désarmement de la goélette l’Amitié en septembre 1785. Celui s’en chargeant est Charles-Léger Marchal, de Saint-Pierre, représentant Guillaume Mancel et Desperle, de Brest, ses « commettants et associés ». Une permission de désarmement doit toutefois être obtenue des autorités coloniales de l’archipel. En l’occurrence, messieurs Girardin, commandant de terre et de mer, et De Loubières, commissaire des classes266. Le capitaine de l’Amitié est François Raffy, qui assure avoir

263

Procuration donnée à David Guilbaud par André Lavaquière et Claude Martin, 19 décembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 326-327v. 264 Procuration par Élisabeth Herpin à son fils Charles Philipon de la Mouline, 10 décembre 1784. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 93-94. Sur le rôle des femmes dans le commerce maritime et l’armement pour la pêche, voir N. Dufournaud et B. Michon, op.cit., p. 1. De ces mêmes auteurs, voir aussi « Les femmes et l’armement morutier…», p. 93-113. 265 Procuration par Michel Detcheverry à Destebetcho, 5 novembre 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 130-130v. 266 Le rôle du commissaire est de recenser les gens de mer aptes à servir sur les navires du roi.


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terminé sa pêche sur les bancs et qui propose à Mancel de lui fournir un équipage basque, sous le commandement du sieur Charagogne. Ce serait au cas où Marchal voudrait remettre le navire à la mer, pour une autre destination. En échange, Raffy demande pour lui et son équipage un passage gratuit en France sur le brigantin l’Union267. 2.7-La contrebande de morue Dans le premier chapitre de cet ouvrage, j’ai soulevé l’épineuse question de la contrebande; préoccupation constante chez les autorités anglaises de Terre-Neuve et à un niveau moindre chez les Français. Cependant, tant du côté français qu’anglais, plusieurs intervenants font part de leurs suggestions pour contrer ce phénomène nuisible aux relations diplomatiques. Par exemple, ajouter huit matelots aux 30 hommes de garnison de Saint-Pierre pour effectuer des patrouilles d’inspection des bâtiments et des chaloupes. Mais cela peut-il contribuer à empêcher « l’introduction de la morue étrangère »? À titre d’incitatif, ces patrouilleurs pourraient recevoir le tiers de la valeur du poisson et des embarcations saisies. Le même partage serait appliqué à l’amande imposée à l’acquéreur de cette morue de contrebande268. N’oublions-pas que certaines circonstances encouragent et facilitent la contrebande : le pressant besoin de denrées, la proximité de Terre-Neuve et la grande circulation de chaloupes de pêche autour de l’archipel. D’ailleurs, à toute heure du jour et même de la nuit, autant les chaloupes anglaises que françaises entrent dans la rade et dans le port de Saint-Pierre. C’est surtout la nuit que se déroule le transbordement du poisson à bord des bâtiments. Certains d’entre eux mouillent près de l’île aux Chiens, pour y attendent les chaloupes. Il y a aussi l’île aux pigeons et l’île aux vainqueurs qui servent d’entrepôt ou de lieux de rendez-vous. Quant à « l’île Vista », que les Anglais disent leur appartenir, elle est fréquentée par certaines chaloupes françaises pour y prendre des chargements269.

267

Convention entre Marchal et le capitaine François Raffy, 25 septembre 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 113-114. 268 Mémoire sur la nouvelle administration des îles Saint-Pierre et Miquelon, 30 octobre 1785. BAC-MG1G1, bobine F767, vol. 463, f 132v. Sur la question de la contrebande de morue entre Terre-Neuve et l’archipel, voir Frederick J. Thorpe, « The Debating Talents of the First Governor of Saint-Pierre et Miquelon…», p. 67. 269 Grand Montreuil, près de Versailles, Malherbe. Moyens d’arrêter l’introduction aux îles Saint-Pierre et Miquelon de la morue anglaise, 6 juin 1786. BAC-MG1-C11F, bobine F523, vol. 5, f 126.


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C’est fort probablement en raison d’une pénurie de main-d’œuvre, que certains habitants de l’archipel embauchent parfois des équipages anglais pour faire la pêche. Une fois la pêche d’été terminée, dans les premiers jours d’octobre, ces mêmes chaloupes vont quérir du bois « à la grande terre » et en profitent pour charger des morues qu’elles recouvrent de deux rangs complets de bois et attendent la nuit pour décharger leur butin. Ce trafic est surtout évident à partir de Miquelon en raison de la proximité de Terre-Neuve, et aussi parce qu’un bon nombre d’habitants français parlent anglais270. Parmi d’autres suggestions pouvant enrayer la contrebande de morue, certains estiment sage de changer les troupes le plus souvent possible pour les « empêcher de contracter des habitudes avec les habitants ». Ensuite, envoyer chaque année deux bâtiments de 55 à 60 tonneaux aptes à visiter les anses pour en faire sortir les chaloupes anglaises. Chaque bâtiment doit pouvoir compter sur au moins un officier sachant parler et écrire l’anglais. Ces bâtiments doivent être en patrouille jusqu’au départ des navires de commerce, à la fin de la pêche. Deux autres moyens envisageables pour freiner la contrebande consiste à interdire l’accès des chaloupes anglaises à la rade de Saint-Pierre, sauf en cas de grands vents, et à poster un soldat sur chaque chaloupe allant chercher du bois sur la côte de TerreNeuve. La location de chaloupes et d’équipages anglais doit également être prohibée. D’abord, cela nuit aux charpentiers de France et de l’archipel qui construisent des chaloupes pour ce marché. Ensuite, l’engagement de matelots anglais est contre-indiqué pour favoriser la formation des patrons et des matelots français271. Les inquiétudes provoquées par de soi-disant activités de contrebande ne sont pas partagées par tous. Pour certains, il ne faut pas s’inquiéter de voir les pêcheurs de Miquelon se rendent pêcher « à mi canal » entre l’archipel et Terre-Neuve. De toute façon, ces derniers n’ont tout simplement pas les moyens de payer la morue anglaise, n’ayant aucun argent en espèce. D’ailleurs, les croiseurs anglais fouillent les embarcations de pêche anglaises de Terre-Neuve, en confisque parfois le contenu et vont même jusqu’à déporter ces pêcheurs fautifs en Angleterre272!

270

Ibid., f 126v. Malherbe, Moyens d’arrêter l’introduction aux îles Saint-Pierre et Miquelon de la morue anglaise, 6 juin 1786, op.cit., f 127-127v. 272 Compte-rendu de Barbazan au ministre, 6 juin 1786, op.cit., f 153v. 271


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À la lecture de ces quelques mémoires clés produits durant la deuxième moitié du 18e siècle, l’on est à même de mieux saisir les enjeux majeurs associés à l’intérêt que la France porte aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Les administrateurs qui s’y succèdent abordent à peu près tous les mêmes défis associés à l’occupation de cette colonie d’outre-mer; l’exiguïté du territoire, la rareté des ressources alimentaires et du bois, les dangers de la navigation à l’approche des côtes, la proximité des Anglais, l’avidité des marchands métropolitains, la dépendance et la pauvreté des habitants, la rareté et la cherté de la maind’œuvre ou encore, l’occupation et l’exploitation des graves. À tous ces maux, chacun suggèrent ses remèdes. Sans doute bien au fait de ces impondérables, les autorités françaises en prennent leur parti puisqu’elles ont fait le pari que sans ces petites îles et les quelques fonctionnaires et habitants s’y trouvant pour en affirmer la possession, la grande pêche française en Amérique serait compromise. Jean-François Brière soulève une problématique moins connue de l’historiographie des pêches du 18 e siècle soit celle de la pêche à la faux. Quoique cette technique soit alors pratiquée sur une assez large échelle, elle demeure controversée. Alors que ceux qui la condamnent lui reproche de causer des blessures au poisson sans même le pêcher, ses défenseurs mettent de l’avant son principal avantage soit de pouvoir pêcher sans appâts. Cette technique de pêche demeure autorisée, sauf à Saint-Pierre et Miquelon après 1765273. « Ordonnance bannissant la méthode de pêche appelée fauche et moulinet, dont la pratique cause beaucoup de blessures à la morue et qui est vue par les autorités comme une destruction inutile de la ressource ». Cette ordonnance découle d’une requête soumise aux autorités de l’archipel par les négociants et habitants de la colonie, impliqués dans la pêche à la morue en bâtiment et en chaloupe sur les bancs et aux environs des îles Saint-Pierre et Miquelon. Ils condamnent l’usage de ces outils de pêche par certains particuliers. La technique utilisée avec ces outils exige que la pêche se fasse par un mouvement qu’effectue le pêcheur avec sa ligne en la jetant au fond et en la retirant « à toute force pour tâcher de l’arracher par toutes les parties du poisson » avec l’hameçon qui n’est autre chose qu’une cale de plomb en forme de hareng « où sont calée et saisi deux ains ». Cette méthode serait ainsi préjudiciable à la pêche puisque la majeure partie des mouvements que fait le pêcheur « portent à faux et blaisent une quantité considérable de morues; moyen extrêmement nuisible suivant les connaissances de tous les habitants qui ont pratiqué cette pêche et disent qu’une morue blessée devient comme enragée et plus meurtrière que ne le serait une…»

273

Brière, op.cit., p. 52.


75 Source : 1 juin 1765, au Bourg de l’île Saint-Pierre. Ordonnance de François-Gabriel d’Angeac et de JacquesFrançois Barbel. BAC-MG1-C11F. Bobine F520, vol. 2, f 62-62v.

Partie II - Démographie Chapitre 3 Portrait démographique d’une colonie française d’Amérique : Saint-Pierre et Miquelon, 1763-1828. Dans un souci de continuité de mes travaux sur les colonies de Plaisance274 et de l’île Royale275, ce chapitre s’intéresse à l’histoire démographique, sociale et économique de Saint-Pierre et Miquelon durant la deuxième moitié du 18e siècle. Afin de se familiariser davantage avec cette population originaire à la fois de Terre-Neuve (post-1713), de l’île Royale (1713-58), d’Acadie (post-1763) et de France (post-1763), j’estime approprié de dépouiller les recensements et listes produites à compter de 1763 soit au moment de la première prise de possession par la France au lendemain du Traité de Paris mettant fin à la Guerre de Sept Ans276.

274

N. Landry, Terre-Neuve. Une colonie française en Amérique 1650-1713, op.cit. N. Landry, « Processus d’inventaire des biens chez les gens de pêche à l’île Royale au 18 e siècle », p. 71-92. Du même auteur, voir aussi « Culture matérielle et niveaux de richesse chez les pêcheurs de Plaisance et de l’île Royale, 1700-1758 », p. 101-122. 276 Afin d’éviter la répétition d’informations redondantes, je précise que toutes ces références se trouvent dans la série BAC-MG1-G1. Je me contente ensuite d’indiquer les numéros de microfilms de volume et de folios. 11 novembre 1765, Île Saint-Pierre. Liste des Acadiens réfugiés à Miquelon, bobine F691, vol. 458, f 3-3v. 15 mai 1767, Familles acadiennes qui sont maintenant aux îles Saint-Pierre et Miquelon, bobine F691, vol. 459, f 27-39 (reproduction dans Poirier, op.cit., p. 201-218). 25 mars 1768, Liste des Acadiens provenant de l’émigration des îles Saint-Pierre et Miquelon restant au Port Louis, bobine F691, vol. 458, f 50. 1774, Liste des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon proposés à Monseigneur pour la ration, bobine F767, vol. 463, f 54v. 1776, État des maisons, cabanes, étables, boulangeries, échafauds existant à Saint-Pierre et Miquelon dressé par le gouverneur le baron de l’Espérance, bobine F767, vol. 463, f. 7v. 3 mai 1778, Recensement des familles habitant aux îles Saint-Pierre et Miquelon, bobine F767, vol. 463, f 15-44v. 1779, État des sommes payées aux habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon pour leur subsistance, bobine F695, vol. 494, 15 pages. 15 mars 1783, Liste des anciens habitants de l’Acadie résidant à Cherbourg, demandant à passer à Saint-Pierre et Miquelon, bobine F697, f 34-35. 23 décembre 1783, Recensement dressé par le gouverneur, le baron de l’Espérance, des établissements de l’Île SaintPierre. Noms des propriétaires et état des bâtiments, bobine F767, vol. 463, f 50-52v. 1804, Recensement des îles Saint-Pierre et Miquelon, bobine 767, vol. 463, f 67-68v. Les listes pour la période 1823-1828 proviennent de Poirier, op.cit. 275


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4.1-Une démarche de micro-histoire démographique Fidèle à la grande tradition historiographique en histoire sociale, l’étude de la population de l’archipel passe par le dépouillement des sources quantitatives que sont les listes de personnes débarquant des navires, de celles expulsées de l’archipel ou y revenant et les recensements officiels. Dans le cas présent, on parle d’au moins 16 listes et recensements de tous genres s’étalant sur la période 1765 à 1823-28. Ce débordement sur le 19e siècle vise avant tout à ouvrir une fenêtre sur le moment fondateur de la réoccupation définitive de l’archipel par la France. Ceci dit, je partage néanmoins les réserves exprimées par d’autres historiens sur la fiabilité de ces types de sources277. Je répète qu’on ne parle pas toujours de véritables recensements, mais parfois de listes censées répondre à certaines préoccupations de la métropole. Par exemple, les listes des migrants se réinstallant dans l’archipel lors des reprises par la France, entre autres en 1816. Cette démarche de micro-histoire démographique se veut donc une étape permettant de se familiariser avec cette population que le lecteur découvrira encore davantage dans nombre d’actes notariés tels les contrats de mariage, les inventaires après-décès, les transactions financières et foncières ou tout bonnement dans les mémoires administratifs. L’historiographie sur les suites de la Guerre de Sept Ans et les tentatives de reconstruction coloniale de la France dans l’Atlantique, a jusqu’à maintenant eu tendance à mettre plus d’emphase sur le changement que la continuité. Une de ces tendances est, entre autres, de négliger le rôle joué par les Français et les Acadiens dans ce nouvel ensemble atlantique dominé par les Britanniques après 1763278. À l’instar de Braden Morris, mes travaux aspirent à faire ressortir la continuité sociale et culturelle dans le Nord-Est de l’Amérique du Nord après 1763 et ce, à Saint-Pierre et Miquelon279. Continuité en ce sens que la France désire maintenir un établissement de pêche à l’entrée du golfe du Saint-Laurent et, qui plus

Christine Lamarre est d’avis que c’est à compter du 16 e siècle que débute, chez les administrateurs, les démarches de dénombrements des populations d’Europe. Rappelons qu’au 18 e siècle, nombre d’intervenants Français semblent convaincus que la France se dépeuple. On s’intéresse de plus en plus à connaître le nombre de naissances, de mariages, de décès ou encore de distinguer les hommes des femmes et des enfants. C. Lamarre, « Population et société à Dijon dans les années 1780-1790 », p. 401-414. 278 Loin de nous l’idée de prétendre que cette recherche réponde parfaitement aux balises de cette histoire atlantique dont les travaux débutent vers 1989. Pour un bon résumé des orientations de cette école historique, voir F-J. Ruggiu, « Une noblesse atlantique? », p. 39-63. 279 B. Morris, « Those two insignificant Islands : », p. 6. 277


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est, peuplé en bonne partie d’anciens habitants-pêcheurs et de marchands de ses deux colonies de pêche précédentes vouées aux mêmes fins ou à peu près soit Plaisance et l’ile Royale280. Mais, tel que démontré au premier chapitre, l’archipel s’avère hautement vulnérable puisque conquis par les Anglais à neuf reprises entre 1690 et 1793281. Pour la période à l’étude, on rappelle d’abord la conquête de septembre 1778, suivie de la rétrocession à la France par le Traité de Versailles de 1783. Vient ensuite une autre conquête anglaise en mai 1793 suivie de la restitution définitive de 1815-16, lors du deuxième Traité de Paris282. Avant d’aller plus loin, est-il utile de rappeler que dans l’esprit des autorités françaises au lendemain du Traité de Paris de 1763, l’archipel n’est pas destiné à devenir une colonie de peuplement mais plutôt de ressource soit la morue283. Bref, l’archipel est d’abord et avant tout appelé à jouer le rôle de poste de pêche français à proximité du golfe du Saint-Laurent et de Terre-Neuve, de point de chute, d’abri, de lieu de ravitaillement ou de commerce pour la flotte de la grande pêche284. Les historiens La Morandière285 et Brière286 ont déjà abordé De tout temps dans l’histoire de ces trois colonies, on distingue les habitants sédentaires des engagés saisonniers et hivernants dans certains cas. Dans le cas de l’archipel, ces hivernants sont surtout originaires de Bretagne et du Pays Basque. Ils traversent l’Atlantique sur des navires de Saint-Malo et Bayonne venant faire la pêche, du commerce (traite) ou encore les deux. Les fonctions de ces pêcheurs-engagés consistent avant tout à pêcher dans des chaloupes et à apprêter le poisson sur les graves. Quelques-uns finissent par travailler à leur compte. D’abord en louant une chaloupe, une section de grave et même de chafaud. À l’occasion, ils peuvent même devenir eux-mêmes habitants-pêcheurs sédentaires ou permanents. Voir entre autres J-Y Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 », p. 19. Des travaux récents rappellent à l’occasion l’importance pour la France de conserver les pêcheries de Terre-Neuve au lendemain du Traité de Paris de 1763. Voir entre autres les chapitres de R. Litalien et de D. Poton dans 1763. Le Traité de Paris bouleverse l’Amérique (sous la direction de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière). Poton va même jusqu’à écrire qu’en « conservant l’accès aux côtes de Terre-Neuve obtenu en 1713 et en obtenant Saint-Pierre et Miquelon dans l’estuaire du Saint-Laurent, la monarchie française sauve l’activité de la grande pêche qui mobilise plusieurs milliers de marins et assure le ravitaillement du royaume en poisson salé et séché ». p. 126. 281 Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 », op.cit., p. 65. 282 Ibid., p. 6. 283 Quoiqu’il n’entre pas dans nos objectifs d’effectuer des comparaisons avec d’autres colonies françaises de l’Atlantique en terme de taille de population, on peut toujours mentionner l’île Saint-Barthélemy. En 1784 elle compte 739 habitants et 1 601 en 1812. À l’image de l’archipel, ce territoire subi également des « ruptures notables » résultants des « heurts entre la France et l’Angleterre » et, du point de vue de son étendue, ne représente qu’une « infime partie de la Franco-Amérique ». Y. Lavoie, « Histoire sociale et démographique d’une communauté isolée : », p. 411-427. 284 Frederick Thorpe est également d’avis que l’archipel doit exercer la double fonction d’abri-refuge de la flotte de pêche métropolitaine et de succéder aux anciennes colonies de l’île Royale et de Plaisance, à titre de colonie de pêche sédentaire en Amérique du Nord. Thorpe, op.cit., p. 63. 285 La Morandière, op.cit. 286 Brière, op.cit. 280


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cette question de façon exhaustive. En 1765, du moins à Saint-Pierre, un recensement fait état de 99 personnes dont 85 hommes et seulement quatre femmes 287. Les travaux de Michel Poirier nous amènent d’ailleurs à parler de la situation des Acadiens dans l’archipel288. 4.2-La situation incertaine des Acadiens 1765-1783 Il n’est pas toujours facile d’identifier clairement les Acadiens dans le cadre des mouvements de population post-1763, dans l’Atlantique français. Alors que les autorités françaises semblent confondre Acadiens et Canadiens, Étienne-François de Choiseul tente de simplifier l’équation en qualifiant ces deux groupes « d’habitants du Golfe du SaintLaurent, des Acadiens, des pêcheurs de l’île Saint-Jean, de Louisbourg, qui désirent être envoyés à l’île Miquelon289». Idéalement, d’Angeac, premier gouverneur de l’archipel, doit tenter de limiter le nombre de familles acadiennes à une centaine, tout en faisant de son mieux pour n’accepter que des pêcheurs, des ouvriers, mais en aucun cas « d’habitants indolents », comme ce fut supposément le cas lors de la reprise de l’île Royale en 1748. Mais le premier gouverneur de l’archipel devient vite dépassé par les événements puisque les arrivés d’Acadiens dépassent de loin ses pronostics. Également, les incitatifs de Choiseul auprès des Acadiens pour les attirer à Cayenne se soldent par un échec290.

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Poirier, op.cit., p. 195-199. Deux ouvrages récents portant sur les pérégrinations des Acadiens entre 1755 et 1800, ne s’intéressent pas vraiment à la situation des déportés à Saint-Pierre et Miquelon et n’y consacre que quelques lignes. Voir C. Hodson « Des vassaux à désirer. Les Acadiens de l’Atlantique français », p. 111-139. Également, JF. Mouhot, Les réfugiés acadiens en France 1758-1785. Cependant, l’article de Georges Arsenault et d’Earle Lockerby aborde mentionne les parcours de quelques habitants de l’archipel durant les années 1760. « Les Acadiens à l’Île Saint-Jean et aux îles de la Madeleine dans les années 1760 ». 289 Mouhot, op.cit., p. 49. Un aspect quelque peu inconnu de l’historiographie de ces pérégrinations acadiennes est leur capacité à récupérer de l’argent, semblant gelé, dans les suites données au remboursement de la monnaie de cartes après 1763. Ainsi, Sophie Imbeault estime qu’au printemps 1765, l’abbé de l’île-Dieu, vicaire général de l’évêque de Québec à Paris, détient 23 553 livres en papiers du Canada qui lui ont été adressées par des Acadiens réfugiés à Saint-Pierre et Miquelon. S. Imbeault, « Que faire de tout cet argent de papier? Dans 1763. Le Traité de Paris.., op.cit., p. 161-162. Dans une autre étude, Olivier Puaud s’intéresse à la migration des marins entre l’Atlantique français et certains ports de France. « Les marins d’Amérique du Nord rapatriés dans les ports du littoral français ». 290 Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 » op.cit., p. 11-12, 15. Cet auteur a reconstitué la chronologie de ces arrivées : une centaine de familles à l’été 1763 avec d’Angeac, suivi de 115 individus des colonies anglaises d’Amérique, en août 1764, 110 autres en provenance de l’île Royale et de l’île Saint-Jean, en octobre 1765, 111 de l’île Saint-Jean et d’Halifax, suivis de près par 72 288


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Peu à peu, les autorités françaises doivent bien finir par admettre que les réfugiés acadiens s’organisent bien mieux que prévu puisqu’ils construisent des maisons, des chaloupes, des esquifs et cultivent des jardins. Les autorités finissent par distinguer les Acadiens agriculteurs en provenance de l’île Saint-Jean et de Nouvelle-Écosse, de ceux venant plutôt de l’île Royale, déjà familiers avec le commerce et la pêche. Les premiers optent plutôt pour Miquelon, un peu plus fertile que Saint-Pierre en matière d’agriculture. Cela ne les empêche pas de pratiquer la pêche avec de plus en plus de conviction. À la longue, d’Angeac finit même par éprouver une certaine sympathie à leur endroit291. La brève analyse qui suit nous en apprend davantage sur l’identité et le nombre d’Acadiens dans l’archipel, lors de certaines périodes d’incertitude entre 1765 292 et 1783293. On sait qu’en dépit de l’intérêt manifesté envers l’archipel par bon nombre d’Acadiens, les autorités françaises craignent alors le surpeuplement de cette minuscule colonie devant être approvisionnée presqu’entièrement par la métropole294. Dans un premier temps, j’analyse une liste d’Acadiens anciennement de Beauséjour, réfugiés à Miquelon en 1765295. Ils n’y demeurent pas bien longtemps puisqu’ils sont ensuite embarqués pour la France à bord du brigantin Les deux Amis, par ordre du duc de Choiseul296.

autres réfugiés de la Pointe Beauséjour. Le 1er août 1766, le ministre de la Marine somme d’Angeac d’expulser quiconque n’est pas pêcheur. Quant au roi, il souhaite que les Acadiens sur place se redirigent vers la France ou l’Amérique, tout en laissant planer la menace d’une interruption définitive des rations royales en mai 1767. 291 À Terre-Neuve durant les années 1760, l’administration coloniale anglaise est soit indifférente au peuplement ou s’applique même à le décourager. Handcock, op.cit., p. 38. 292 À noter que cette année-là, les autorités britanniques ordonnent la tenue d’un recensement pour le Canada (Vallée du Saint-Laurent en bonne partie). D’autres suivent en 1789, 1790, 1822 et 1825. En 1765, le Canada en question compte ainsi 80 300 habitants. Y. Landry, « Étude critique du recensement du Canada de 1765 », p. 323-351. 293 Ces listes sont à la fois disponibles dans l’ouvrage de Michel Poirier et sur le site http://www.arche=musee-et-archives.net. 294 Frderick J. Thorpe explique que même l’île Miquelon n’a pas le potentiel agricole permettant d’y établir une population acadienne se vouant exclusivement à cette activité. Thorpe, op.cit., p. 63. Choiseul les invite aussi à se rendre à Kourou, en Martinique ou encore à Saint-Domingue. De plus, il ne veut pas inquiéter les Anglais de Terre-Neuve en faisant débarquer un trop grand nombre d’Acadiens dans l’archipel. Cette correspondance de février 1763 est citée dans J.Y. Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 », op.cit., p. 10-11. 295 Île Saint-Pierre. Liste des Acadiens de Beauséjour réfugiés à Miquelon, 11 novembre 1765. BAC-MG1G1, bobine F691, vol. 458, f. 3-3v. 296 Pour mieux connaître le rôle de « terre d’accueil » joué par le littoral saintongeais « au rythme des guerres et des traités de paix » voir T. Sauzeau, « Le littoral Saintongeais, terre d’accueil pour les étrangers au XVIIIe siècle? », p. 123-133.


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Les données nominatives de 1765 révèlent que 42 passagers reçoivent alors une ration ordinaire, sauf le sieur Pierre Gautier qui bénéficie du privilège de « passager à la table ». Ce qui signifie peut-être qu’il est invité à manger à la table du capitaine. L’on est à même d’identifier huit familles dont celles de Jean et Pierre Arsenau, de Joseph Hébert, de Michel Boudrot, les frères Michel et Joseph Bourg, René Poirier, Jean Lirot, Joseph Gaudet et finalement la famille de veuve Marie Blanche Boudrot (veuve Lassonde). Quatre de ces familles sont sans mère, sans pour autant spécifier si le père est veuf ou non. On fournit aussi les noms, le genre et l’âge des enfants. En mai 1767, un recensement des familles acadiennes effectué à Miquelon révèle un total de 551 personnes incluant les noms, âges et provenances297. C’est la tranche d’âge des moins de quinze ans qui domine avec 45% des entrées298. Sur les 551 personnes nommées, 540 (98%) sont associées à un foyer où s’assemble une moyenne de 5,5 personnes, dans un contexte de familles élargies pour la plupart. Le nombre de familles comptant un couple et des enfants leur étant associés est de 97, dans lesquelles on dénombre 320 enfants pour une moyenne de 3,2 par famille. Neuf personnes sont en veuvage dont sept femmes. La majorité de ces arrivants acadiens sont en provenance de Boston (26%), d’Halifax (21%) et de Chedabouctou (18%). Comme je le fais plus loin dans ce texte, on peut ici aussi construire des histoires de familles. Par exemple, quelques-uns de ces arrivants traversent la Déportation à un âge avancé dont Marguerite Bourg (78 ans) et son mari Jacques Vigneau, François Blanchard père à 93 ans et Ursuline de Saint-Castin à 71 ans. Le tableau quantitatif qu’il est possible de brosser en 1768299, lui, fournit essentiellement le même genre d’informations que les sources précédentes. On mentionne simplement que

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Familles acadiennes qui sont maintenant aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 15 mai 1767. BAC-MG1G1, bobine F691, vol. 459, f. 27-39. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 201-218. 298 Richard Lalou et Mario Boleda nous mettent en garde contre la démarcation que signifie l’âge de quinze ans. Selon eux, « Il est fort probable que les populations du passé n’avaient pas une notion très précise de l’âge. La jeune personne recensée était inscrite avec les enfants de moins de quinze ans, peut-être plus à cause de son allure physique qu’en raison de son âge exacte. Aussi doit-on penser que les effectifs dénombrés dans chacune des catégories réfèrent davantage aux enfants et adultes tels que la société les concevaient à l’époque, qu’à des groupes d’âges clairement définis ». « Une source en friche : les dénombrements sous le régime français », p. 59. 299 Liste des Acadiens provenant de l’émigration des îles Saint-Pierre et Miquelon restant au Port-Louis, 25 mars 1768. BAC-MG1-G1, bobine F691, vol. 458, f. 50. Cette même année, des évaluations divergent quant à la population de l’archipel. Certains l’estiment à 1 550 avant l’émigration forcée alors que d’Angeac est d’avis qu’elle n’a jamais dépassée 1 200. Ce dernier parle plutôt de 900 habitants, en plus de


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ce sont des Acadiens provenant de l’émigration des îles Saint-Pierre et Miquelon, se trouvant au Port-Louis (près de Lorient en France) le 24 mars. On y compte vingt personnes regroupées en cinq familles en plus de deux individus soit Charles Cailladec, de Québec, dix-neuf ans, et de Vincent Le Menaz, de Louisbourg, 45 ans. On note aussi la présence de Julien Rogery, de Grandville, « habitué à Louisbourg » et de la famille de Paul Hébert, « Acadien ». Barthelemy Cosset est dit être de Saint-Pierre, Amand Bonnevie est Acadien et Jean Fouquet est de l’île Saint-Jean300. À la fin des années 1760, quatre demandes de laisser-passer d’habitants désirant quitter l’archipel pour la France, nous en apprennent passablement sur certains parcours de ces déplacés de l’Atlantique français en contexte de tourmente géopolitique. En 1767, Jacques Blinn, 67 ans, sa femme Françoise Durand, 63 ans et leurs enfants Bertrand (quinze ans) et Françoise (dix-huit ans) souhaitent s’installer à Saint-Malo. Ils sont venus de l’archipel sur La Félicité qui les a débarqués à La Rochelle. Blinn est originaire de Grandville et est demeuré à Louisbourg depuis les débuts de la colonie soit en 1713 ou à peu près. L’enracinement de sa femme Françoise dans l’Atlantique remonte à encore plus loin puisqu’elle est originaire de Plaisance à Terre-Neuve301. Deux mois plus tard, en mars, Guillaume Patry souhaite aller rejoindre sa famille à Saint-Malo. Originaire de cette ville et âgé de 64 ans302, il est débarqué du vaisseau du roi La Fortune à Rochefort. Un autre ancien de Louisbourg, Jean Blinn, 35 ans, est charpentier-pêcheur et désire passer lui-aussi à Saint-Malo où il s’attend d’être « employé » à court terme. À noter qu’il ne demande pas à laisser l’archipel mais il en est plutôt « congédié » par les autorités303. Finalement, Paul Patry, fils de Guillaume, est âgé de 24 ans et désire rejoindre son père à Saint-Malo après

400 compagnons-pêcheurs logés chez les habitants. 29 octobre 1768, Réfutation du mémoire précédent par d’Angeac op.cit., f 87, 300 Dans sa thèse doctorale, Christian Fleury utilise les travaux de Stephen White pour reconstituer les parcours de certaines familles aboutissant dans l’archipel à la même époque. Mentionnons Jean-Baptiste Villedieu, Jean et François Mancel, Antoine-Julien Chesnais, Barbe Chesnel, Jean-Baptiste Lebuffe et finalement Augustin Benoit. Ce dernier et son épouse Françoise Thériault seront tour à tour à Saint-Servan en 1760, aux Malouines avec Bougainville, à Saint-Malo en 1769 et à Saint-Pierre et Miquelon en 1772. À chaque occasion, leur présence est confirmée par une naissance. Finalement, Augustin meurt dans l’archipel en 1790. Fleury, op.cit., p.143-148. 301 Laissez-passer pour Jacques Blinn et sa famille, 1 janvier 1767. BAC-MG1-G1, bobine F693, vol. 488, 1 p. 302 Laissez-passer autorisant Guillaume Patry d’aller rejoindre sa famille à Saint-Malo, 1 mars 1767. BACMG1-G1, bobine F693, vol. 488, 1 page. 303 Laissez-passer accordé à Jean Blinn, 1 février 1768. BAC-MG1-G1, bobine F693, vol. 488, 1 page.


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être débarqué à La Rochelle304. À noter qu’en 1769, quelques familles de Saint-Pierre s’estiment incapables de subsister aux îles et désirent retourner en France. C’est ainsi que le 24 octobre les familles Dubordieu, Martin, Guillaume Desroches et Pierre Dupont, une trentaine de personnes au total, s’embarquent sur le navire du roi l’Expérience, en route vers la métropole305. Au début de la décennie suivante, en 1773, Jacques Carbonnel écrit sans doute au nom de plusieurs habitants déplacés et désirant continuer à recevoir leur subsistance du roi306. Il est originaire de Lessey en Normandie et a été pêcheur de morue à Louisbourg et dans l’archipel. Il raconte son cheminement à Pierre-Étienne Bourgeois De Boynes, Secrétaire d’État au Ministère de la Marine. Ce serait à l’âge de treize ans qu’il arrive à Louisbourg où, après avoir pêché au service d’habitants-pêcheurs, il devient lui-même pêcheur indépendant. Comme d’autres à la même époque, il associe directement sa première faillite à la chute de Louisbourg en 1758. Une fois revenu en France, il s’établit à Granville où il « se fait classer » comme matelot et « fait deux campagnes pour le service du Roi » en plus de quelques voyages de commerce maritime. En 1763, la paix revenue, il répond à l’invitation d’aller habiter à Saint-Pierre et Miquelon sur la promesse d’une concession de terrain et de fournitures pour sa subsistance. C’est à Miquelon que Carbonnel installe sa famille, construit et meuble une maison, cultive un jardin et se construit une embarcation de vingt à 26 tonneaux pour aller pêcher. Il prépare ensuite sa morue sur une portion de chafaud et de grave louée d’un autre habitant. Mais juste au moment où il commence à « jouir d’une certaine aisance », le gouverneur lui signifie, comme à plusieurs autres, que le roi leur ordonne de « tout abandonner pour repasser précipitamment en France ». Le lendemain même, lui et sa famille doivent s’embarquer en emmenant seulement « les hardes les plus nécessaires ». Il n’a même pas la permission d’embarquer ne serait-ce que quelques quintaux de morue qui, à Saint-Pierre,

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Laissez-passer pour Paul Patry, 29 décembre 1768. BAC-MG1-G1, bobine F693, vol. 488, 1 page. Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon », op.cit., p. 18. Ce constat rejoint les observations d’Handcock pour Terre-Neuve sur la grande mobilité de cette population pionnière. Certains de ses membres hésitent à s’installer pour de bon et optent soit de retourner en Angleterre ou de continuer vers la Nouvelle-Angleterre. Handcock, op.cit., p. 17 306 Carbonnel, Jacques. Demande de fonds, 1773. BAC-MG1-E, bobine F565, vol. 62, 4 pages. Cette année-là, trois autres familles choisissent de partir pour le Canada. Ribault, « La population des îles SaintPierre et Miquelon », op.cit., p. 18. 305


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lui rapportent au moins vingt livres le quintal. Il perd ainsi 150 quintaux (3 000 livres) de morue en plus d’une barrique d’huile. C’est ce qu’il considère alors comme étant sa deuxième faillite. Une fois de retour en France, Carbonnel s’établit à Cherbourg où, « comme les autres », en parlant des Acadiens et des Canadiens, lui et sa femme reçoivent la pension de 60 sols par jour chacun et de trois sols pour chacun de leurs trois enfants. C’est donc la cessation appréhendée de cette pension qui le pousse à supplier le roi de « la continuer de peur d’être réduit à la mendicité307». Des données de 1770, pour leur part, sont plus élaborées que celles de la décennie précédente. D’abord, la mention des noms individuels permet d’identifier les membres de familles acadiennes « congédiées » de l’archipel et installées « en dépôt » à La Rochelle. Elles y séjournent en attendant de connaître leur nouvelle destination. Les informations fournies permettent de s’adonner à un exercice démographique conduisant à une meilleure connaissance de ces familles. En plus des prénoms, noms et âges, on donne les lieux de naissance et, à l’occasion, on mentionne la profession. L’équilibre entre les genres est pour ainsi dire égal soit 47 hommes et 48 femmes, pour un total de 95 personnes. La cohorte est plutôt jeune avec 72% chez les 30 ans et moins et 42% chez les quinze ans et moins. La très grande majorité (80%) sont nés dans une colonie française de l’Atlantique soit l’Acadie (20%), Louisbourg (40%) ou encore Miquelon (20%). Chez les dix-neuf personnes nées en France, treize sont de La Rochelle. Sur les quelques quinze professions mentionnées, une douzaine sont de nature maritime dont surtout la pêche avec neuf mentions. Chez ces derniers, mentionnons Jean Bourg, Jean Blin, François Dubordieu, l’orphelin de quinze ans, Louis Léger, Pierre Gaudet, un calfat, et Pierre Josse308. On sait qu’en raison de la Guerre d’indépendance américaine et le parti pris de la France en faveur des rebelles américains, les Acadiens sont obligés de laisser l’archipel en octobre

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Cherchant tous les prétextes possibles pour diminuer les dépenses relatives à la distribution de rations par le roi, Choiseul est d’avis que les Acadiens allant dans l’archipel ne doivent pas en recevoir. Son argument repose sur le fait que contrairement à ceux allant à Cayenne, « ils retournent dans le climat d’où ils sont sortis ». Mouhot, op.cit., p. 407, note 92. 308 À titre de complément d’information, mentionnons une liste de 1779, dénombrant 337 personnes recevant des rations pour leur subsistance. Dans ce cas-ci, je n’ai pas départagé les hommes des femmes. On parle d’un total de 55 342 livres soit une moyenne de 163 livres par personne. État des sommes payées aux habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon pour leur subsistance pendant l’année 1779, 1779. BACMG1-G1, bobine F695, vol. 494, 15 pages.


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1778 et lors de la reprise de septembre 1783, « une partie seulement des anciens habitants » peuvent y retourner309. C’est du moins de cette manière que l’on désigne « d’anciens habitants de l’Acadie310» résidant alors à Cherbourg, mais demandant à passer à SaintPierre et Miquelon. Ce qui est intéressant à propos de cette liste est que tous ceux y figurant, se trouvent soudainement un passé de pêcheurs ou de marins. Sans doute savent-ils que c’est ce que les autorités recherchent pour l’archipel. La liste comprend treize familles et l’âge est donné pour 57 personnes. Encore une fois la répartition hommes-femmes est à peu près équivalente, soit 49% pour les premiers et 51% pour les deuxièmes. Environ 49% du groupe sont âgés de 30 ans ou moins et 23% de quinze ans ou moins. N’empêche qu’on y retrouve un certain nombre de patriarches. Ainsi, Marie Joseph Moulaison, veuve de Joseph d’Entremont, est âgée de 75 ans, suivie d’une autre veuve soit Marguerite d’Entremont, veuve de Pierre Landry, 72 ans. Finalement, chose plutôt rare dans les réalités démographiques d’Ancien Régime, la présence d’un couple âgé dont les deux conjoints sont toujours vivants soit Charles d’Entremont (67 ans) et Marie-Josèphe Landry (65 ans)311. Pour revenir aux professions déclarées, j’en recense dix-sept dont treize marins et trois charpentiers-marins. Mais quelques-uns témoignent d’un passé impliquant des activités de pêche fort concrètes avant 1755 : Joseph d’Entremont père, mort en France, faisait la pêche au Cap Sable de même que Jacques d’Entremont père. Jean Granger, lui, demeurait à PortRoyal où, avec son père, il pêchait dans une goélette. Pierre Landry père, pour sa part, avant de mourir en passant en France, pêchait au Cap Sable avec ses enfants. Mais il semble qu’une fois à Cherbourg, ces mêmes enfants « ne peuvent rien faire pour gagner leur vie ». En revanche, ils assurent qu’à Saint-Pierre, ils « pourraient travailler à la grave ». Dans la même foulée, David d’Entremont, dix-sept ans, fils d’Anne Landry, veuve de Joseph 309

Mouhot, op.cit., p. 279-80. Alain Clément pense que dans le contexte de cette expansion outreAtlantique, persiste en France la crainte d’une « hémorragie démographique ». On favorise plutôt un « peuplement très progressif, en envoyant les moins utiles ». Sauf pour les îles à sucre qui, en raison de la présence d’une main-d’œuvre servile, échappent à cette phobie du dépeuplement métropolitain au profit des colonies. « Du bon et du mauvais usage des colonies : », p. 103. 310 Liste des anciens habitants de l’Acadie résidant à Cherbourg, demandant à passer à Saint-Pierre et Miquelon, 15 mars 1783. BAC-MG1-G1. Bobine F697, vol. 459, f. 34-35. 311 La population anglaise de Terre-Neuve, elle, est grandement affectée par le conflit de la Guerre d’indépendance en raison de l’embargo américain sur l’exportation de denrées alimentaires vers l’île. Au contraire, les guerres napoléoniennes semblent plutôt provoquer l’augmentation de la population. Handcock, op.cit., p. 104.


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d’Entremont, estime qu’en « faisant la pêche à Saint-Pierre » il pourrait faire subsister sa mère plus facilement qu’à Cherbourg! Joseph Landry, pour sa part, faisait la pêche à PortRoyal avec son père, décédé à Cherbourg. Sans doute était-il en société avec son frère Pierre. Finalement, Simon d’Entremont pêchait aussi au Cap Sable, Jean-Baptiste Lamoureux, maintenant marin, dit avoir déjà été marchand à l’île Saint-Jean et JeanBaptiste Galerre, 40 ans, est charpentier et marin. 4.3-Analyse des recensements de l’archipel 1767-1804 En vertu des nombreuses ruptures dans la présence des colons dans l’archipel, je n’aspire pas à encrer mon analyse dans une logique de longue durée. Je parle plutôt de photographies ou de moments d’observation de cette population, durant le dernier tiers du 18e siècle. Quoique pour pallier cette lacune, je prolonge ma démarche jusqu’au début des années 1820. C’est ainsi que mon analyse de micro-histoire démographique vise d’abord à présenter des données globales, avant de faire place à un examen plus pointu des données disponibles. Dans ses travaux pionniers sur l’archipel, Jean-Yves Ribault nous permet justement de construire quelques tableaux récapitulatifs. Lorsqu’on examine les chiffres compilés par ce dernier, on constate de modestes fluctuations du nombre total de personnes qui varie mais demeure modeste: 1 984 (1776), 1 048 (Saint-Pierre seulement en 1778) et 1 195 (1784). En 1794, le nombre de résidents s’établit à 1 502. En 1776, 63% de la population est sédentaire et 37% est hivernante seulement312. En 1784, au moins 50% de la population résidente est masculine. Rappelons qu’en avril 1767, suite au départ de 763 personnes pour la France ou l’Amérique, les îles ne comptent plus que 300 habitants sédentaires313. À noter qu’un document de 1774 renseigne sur les habitants de l’archipel que les autorités locales proposent pour recevoir « la ration314». On parle d’une quarantaine de personnes dont l’état, ou la qualité, est loin de faciliter une intégration harmonieuse. On y dénombre au moins neuf veuves âgées entre 60 et 80 ans, le nommé Richard, 80 ans, souffre d’asthme Ici il est permis de penser qu’il s’agit de gens de pêche évoluant dans la pêche française aux environs de l’archipel ou le long des côtes du Petit-Nord. Je remercie un évaluateur anonyme de cet ouvrage pour ce commentaire. 313 Ribault, « La population de Saint-Pierre et Miquelon », op.cit., p. 17. 314 Liste des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon proposés à Monseigneur pour la ration, 1774. BACMG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 5v. 312


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et son épouse, 76 ans, est infirme, la veuve Olson est estropiée et chargée de cinq enfants, le nommé Renaud est « pulmonique », accompagné de sa femme et de ses deux enfants mais « ne peut rien faire pour gagner sa vie ». La femme de Pierre Onel, pour sa part, est chargée de quatre enfants mais a été abandonnée par son mari, alors que le sieur LeBlanc laisse quatre orphelins âgés entre huit et douze ans. Un couple âgé est aussi en difficulté puisque Jacques Blin, 75 ans, est « très inférieur et affecté de la vue » et son épouse est âgée de 69 ans. Finalement, Sébastien Pinot et son épouse Marie-Gabrielle Bannet, doivent trouver le moyen de faire vivre sept enfants! Le tableau quatre démontre sans équivoque que la population résidente de l’archipel ne dépasse jamais 2 000 personnes de 1767 à 1794. On sait cependant qu’il en est autrement durant la saison de pêche alors que la population peut facilement doubler. Ce n’est donc pas tellement la croissance de la population globale qui m’intéresse, mais plutôt sa composition. J’ai également appliqué cette grille d’analyse pour les recensements de 1776 à l’ensemble de l’archipel et de 1785 pour Miquelon. J’ai ainsi pris en compte le nombre de foyers et la moyenne de personnes par foyer. Le tableau cinq, quant à lui, révèle que cette dernière varie entre quatre et 5,6 entre 1776 et 1785315. Ces chiffres chutent autour de quatre lorsqu’on se limite au nombre d’enfants pas famille. À titre de coup de sonde, le tableau six présentes les résultats d’une courte étude comportant seize couples de SaintPierre pour évaluer l’écart d’âge entre les conjoints. Il s’avère qu’il se révèle parfois assez significatif puisque la moyenne se situe entre seize et dix-huit ans. Prenons comme exemples le couple Jean Joly et Marie Radoub (30 ans d’écart) ou encore celui de Jacques Gaboche et Odette Le Roy (28 ans d’écart). Tel qu’évoqué auparavant, certains foyers dépassent la famille nucléaire traditionnelle et se classent sous le vocable de famille élargie316. Ainsi, on note la présence d’orphelins, de neveux et nièces ou encore un fils avec sa femme dans la maison paternelle. Dans ce dernier

315

Recensement des familles habitant les îles Saint-Pierre et Miquelon, 3 mai 1778. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 15-44v. Recensement dressé par le gouverneur, le baron de l’Espérance, des établissements de l’île Saint-Pierre. Noms des propriétaires et état des bâtiments, 23 décembre 1783. BACMG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 50-52v. 316 La définition de famille élargie proposée par François Lebrun implique qu’à la famille conjugale s’ajoutent des membres apparentés autres que les enfants eux-mêmes. La vie conjugale sous l’Ancien Régime, op.cit., p. 308.


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cas, on convient qu’il puisse s’agir d’une situation temporaire ou financièrement avantageuse. Comme je l’ai fait remarquer plus haut, les autorités françaises tiennent à limiter le peuplement de l’archipel en raison de sa petitesse et de ses maigres ressources alimentaires. N’empêche que mon intérêt envers cette petite population peut se manifester autrement, entre autres en dressant des pyramides d’âges. J’ai déjà parlé du cas d’un contingent acadien présent dans l’archipel en 1767. L’équilibre entre les sexes est pratiquement à 50 / 50 chez ces derniers. Je jette maintenant mon dévolu sur la population étudiée à partir des dénombrements de 1776 pour les deux îles et de Miquelon pour 1785. La première question à se poser relève encore une fois de l’équilibre entre les genres. On note toutefois une légère supériorité masculine alors que les hommes comptent toujours au moins 53% de la population résidente. Un signe indubitable de vitalité démographique est la répartition avantageuse des groupes d’âges plus jeunes. On parle d’abord et avant tout des quinze ans et moins. Pour le contingent acadien de 1767, il compte 45% des effectifs, 52% pour l’archipel en 1776 et 46% pour Miquelon en 1785. Si j’étends mon calcul aux 30 ans et moins, les résultats sont les suivants soit 487 personnes sur les 543 personnes composant le groupe acadien de 1767 dont je connais l’âge ou 89%. En 1776, 1 078 personnes sur les 1 204 recensées dans l’archipel ont 30 ans ou moins soit encore-là 89% de la population. Pour Miquelon en 1785, on parle de 331 personnes dont 75% du total soit le même résultat pour cette section de l’archipel qu’en 1776. Certaines personnes réussissent à vivre assez longtemps en dépit d’un contexte de vie difficile et ce, à la fois alimentaire, climatique, économique et politique. Ainsi, en 1767 dans le contingent acadien, seize personnes ont entre 61 et 75 ans et deux entre 76 et 96 ans! Pour l’archipel en 1776, je dénombre 27 personnes au-delà de 61 ans et treize à Miquelon en 1785317.

317

En 1786, Barbazan estime la population de Miquelon à 500 personnes réparties en 92 familles logées dans 78 cabanes. Compte-rendu de Barbazan au ministre sur l’état misérable des pêcheurs de Miquelon et des remèdes à apporter, 6 juin 1786. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 150. En octobre 1789, la famille de Noël Ross choisit de rentrer en France, se disant incapable de subsister plus longtemps dans l’archipel. De plus, Laurent Sire et Ambroise Hébert choisissent pour leur part le Canada. On parle d’un total de dix-neuf personnes. Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon », op.cit., p. 18-19.


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Dans un autre ordre d’idée, le recensement de 1785 à Miquelon nous informe sur les occupations économiques ou professionnelles. Il importe ici de revenir brièvement sur la thématique de la pluriactivité. Cette problématique de recherche occupe une place importante dans l’historiographie des littoraux du 18e siècle. Ainsi, en parlant de la part de la pêche comme activité d’appoint sur le littoral de Dunkerque au Havre, Marc Pavé estime que « la polyvalence est une nécessité dans une société d’ancien régime où la précarité est grande318». Par exemple, à Charruiez sur la côte bretonne, « la pêche est présentée comme nourricière pour les deux tiers des paroissiens au détriment de la terre qui nourrit l’autre tiers des habitants319». Mais aux travaux de la terre ou de la mer, peuvent s’en ajouter d’autres forts différents. Ainsi, sur les 135 occupations révélées pour Miquelon en 1785, 86% semblent bel et bien liées aux pêches. Il faut toutefois prendre en compte que les compilateurs ont tendance à souligner la pluriactivité des habitants. Par exemple, 23 habitants sont qualifiés de pêcheurs-charpentiers-calfats. Mais chez ces derniers, quelques-uns sont également maître d’équipage, constructeur de chaloupe ou encore commandant de goélette. À noter la mention de dix-huit occupations non reliées à l’activité maritime320. Il existe également un recensement nominatif et récapitulatif pour 1804 quoiqu’à ce moment-là, l’archipel est techniquement anglais. Il présente la composition des familles incluant les noms, prénoms, âges et le nombre total de personnes pour chacune. Il semble avoir été préparé par cinq compilateurs soit Jean et Jérôme Mouton, Guillaume Petitpas, François Leborgne et Jean Giffard321. Étant encore une fois en contexte géopolitique perturbateur, cette liste se limite à 23 foyers soit 90 personnes au total. Mais à l’instar de

318

319

Pavé, op.cit., p. 54.

Charpentier, op.cit., p. 21. Gérard LeBouëdec pense que les « jeunes paysans montant à bord des morutiers pour devenir des graviers sur les rives de Terre-Neuve et de Saint-Pierre et Miquelon ressemble plutôt à une nécessité pour glaner quelques revenus qui vont permettre à l’exploitation familial de perdurer ». « Gens de mer, sociétés littorales et pluriactivité : », dans G. LeBouëdec, F. Ploux, C. Cérino et A. Geistdoerfer (sous la direction de), Entre terre et mer. Sociétés littorales et pluriactivités (XVe-XXe siècle), p. 45. 321 Recensement des îles Saint-Pierre et Miquelon, 1804. BAC-MG1-G1, bobine 767, vol. 463, f 67-68v. Dans l’original, le titre est « État et dénombrement des familles des habitants-pêcheurs des îles Saint-Pierre et Miquelon ». 320


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ce qui a été relaté précédemment, on en extrait d’intéressantes histoires de vie dans l’Atlantique français à partir de ce petit archipel. Ces parcours sont fortement marqués par les impondérables de la guerre. Pensons entre autres aux prisonniers de guerre. Dès le début de la Guerre de Sept Ans, la rétention des prisonniers par les Anglais a pour objectif d’épuiser la réserve de marins dont dispose la Royale322. Selon Thierry Sauzeau, il y a bien un système d’échange de prisonniers existant à compter de 1780 mais par la suite, la durée de captivité semble avoir tendance à s’accroître323. Il semble bien qu’un certain nombre d’Acadiens de l’archipel figurent parmi ces détenus. D’abord, qu’en est-il des deux fils de Guillaume Petitpas? François, 27 ans, est en prison en Angleterre alors que son frère Pierre, 26 ans, est embarqué sur un navire corsaire. Guillaume et sa femme Angélique Sceau, 59 ans, se retrouvent ainsi seuls avec leur fille de dix-sept ans. Difficile d’envisager faire fructifier un établissement de pêche dans de pareilles circonstances! Mais les frères Petitpas ne sont pas les seuls de l’archipel en service. Ainsi, Jean Chevalier, 36 ans, est embarqué sur un brigantin « pour la République », laissant derrière lui deux jeunes enfants soit Joséphine, dix ans et Aimée, huit ans. Également, le fils de Jean Mouton, Louis, 21 ans, est en prison quelque part, Bertrand Hiriard, 32 ans, est lui-aussi embarqué sur un corsaire, Jean Como est aussi en prison et sa femme Thérèse Mouton, 24 ans, l’attend avec trois jeunes enfants âgés de deux à six ans. Elle n’est pas la seule puisque François Detcheverry est également sur un corsaire et sa femme Marie Cormier s’occupe seule de quatre enfants¸ âgés de deux à huit ans. François est possiblement apparenté à Pierre Detcheverry, également sur un corsaire et père de trois enfants âgés de deux à huit ans. Signalons aussi les deux Michel Leborgne, âgés de 50 et 27 ans, dont le premier est en prison et l’autre sur un corsaire. Pour le premier, sa femme Geneviève Sceau, 46 ans, a la chance d’avoir une famille de six enfants mais âgés de huit à dix-neuf ans. La situation n’est pas si rose pour Baptiste Briand, en prison à Plymouth et dont la moyenne d’âge des sept enfants n’est que de six ans!

322 323

Charpentier, op.cit., p. 186. T. Sauzeau, Les marins de la Seudre du sel charentais au sucre antillais XVIII e-XIXe siècle, p. 45-46.


90

4.4-Portrait démographique suite à la reprise définitive 1816-1828 Ce survol portant sur la population de l’archipel suite à la reprise définitive par la France en 1815-16, se fonde sur cinq listes dressées par Poirier, à partir des rôles d’embarquement des colons dans les ports de France324. Dans un premier temps, suite au dépouillement de ces listes, j’ai cerné l’âge de 560 personnes se réinstallant dans l’archipel : 58% sont des hommes et 67% de la population est âgée de 30 ans ou moins. Pour les quinze ans et moins c’est 27%. En ce qui a trait au nombre d’enfants par famille, trois sont à signaler soit celles d’Étienne Coste et Catherine-Adélaïde Annouch (neuf enfants dont six fils), deux avec huit enfants soit celles de Joseph Briand et de Jean-Baptiste Girardin. La famille de Joseph Cormier et Jacquette Le Tousse brave la traversée avec une très jeune famille soit six enfants de douze à un an, et dont la moyenne est de cinq ans seulement. Un certain nombre de migrants n’ont pas peur des recommencements puisque ce contingent comporte quatorze personnes d’au-delà de 66 ans dont Jean Philibert (70 ans), sa femme Suzanne Charretier (69 ans), la veuve Jeanne-Suzanne Mancel (69 ans) et finalement Jean Coste (70 ans). Ce dernier revient d’ailleurs avec sa famille élargie puisqu’en plus de ses six enfants, son fils Jean (41 ans) a sa propre famille de trois enfants. Dans un deuxième temps, je connais les lieux de naissance pour 389 personnes dont 64% sont nés en Amérique du Nord et 35% en France. C’est Miquelon qui domine avec 85% pour l’Amérique du Nord et pour ceux nés en France, Le Havre, Nantes et La Rochelle comptent pour 61%. Certaines familles se sont même constituées dans plusieurs lieux et même durant la traversée de l’Atlantique! Trois exemples illustrent parfaitement le partage territorial des naissances. Pour Étienne Coste, sept de ses enfants sont nés au Havre et

324

Colons réfugiés à Saint-Servan en 1816, ayant été désignés pour passer sur la flute du Roy La Revanche, dont neuf sont déjà rendus à Saint-Pierre depuis 1815 et les autres sont passés en 1816 sur des bâtiments particuliers. Mais ils doivent tous recevoir la ration de sa majesté, une fois dans la colonie. AN. Col. C 127, f 167-168. Joint à la lettre de Monsieur Bourrilhon du 2 juillet 1816. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 447-448. Liste des personnes qui ont obtenu le passage sur la flute du Roy La Revanche, pour se rendre aux îles Saint-Pierre et Miquelon, qui ne doivent pas recevoir de rations du magasin de sa Majesté. AN. Col. C 12-7, f 161-167. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 449-453. Liste des colons réfugiés qui ont embarqué au port de Rochefort sur la flute du Roy La Salamandre pour retourner aux îles, 15 juin 1816. AN, Col. 12-7, f 115-118. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 454-456. Liste des colons réfugiés qui ont été embarqués au port de Rochefort sur la galère du Roy La Lionne pour retourner aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 2 juillet 1816. AN. Col. C12-7. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 457. Liste des colons qui ont été embarqués au port de Brest sur la flute du Roy La Caravane pour retourner aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 1 juillet 1816. AN. Col. C 12-7. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 458-462.


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quatre à Miquelon; chez Jean-Baptiste Comeau, six ont vu le jour à Port-Louis (près de Lorient en France) et quatre à Miquelon et dans le cas de Pierre Poirier, cinq sont nés à Nantes et quatre à Miquelon. Deux autres exemples révélateurs de ces nombreuses migrations apparaissent chez Nicolas Vigneau et Marie Benoit (veuve Vigneau). Pour le premier, deux enfants sont nés au Havre, un à Miquelon et un autre aux îles de la Madeleine alors que pour la deuxième, on note quatre lieux différents soit Calais, Honfleur, le Havre et Saint-Servan325! Finalement, Jean Poirier et Eugénie Poirier sont tous deux nés en mer! Le premier durant une traversée à l’été 1768 en revenant de La Rochelle et la deuxième entre Nantes et Brest lors du retour de 1816326! Pour la dernière phase de mon étude, les résultats se doivent d’être qualifiés d’approximatifs en raison de la nature de la source. Michel Poirier a effectué une compilation « d’après un matricule et l’état des propriétés des habitants » à partir des archives départementales de Saint-Pierre et Miquelon (SC 717). Ces données avaient à l’époque été compilées entre 1823 et 1828327. Sur un total de 417 personnes figurant à la liste, 52% sont des hommes ou garçons et 47% des femmes ou filles. On déclare huit veufs, douze veuves, deux veuves et deux veufs remariés de même que dix-huit décès. Tout comme lors de mes analyses précédentes, certaines situations ressortent du lot. Un beau cas d’une famille exclusivement masculine est celle de Jean Briand, 79 ans, veuf, chez qui demeure son fils Jean, 52 ans, également veuf, avec ses deux fils célibataires Auguste (23 ans) et Vital (21 ans). Les quatre familles nombreuses se démarquant le plus sont celles d’Étienne Coste (douze enfants), de Pierre Poirier (onze enfants), de Jean-Baptiste Comeau (dix enfants) et de Jean Gaspard (neuf enfants). À l’autre bout du spectre se trouvent des gens vivant seuls : les veuves Bodin et Boudrot par exemple. Par contre, la veuve Étienne Coste, née Madeleine Hébert, 64 ans, n’a pas à s’inquiéter pour son avenir. Elle partage sa demeure avec ses six enfants soit quatre garçons et deux filles. L’entreprise de pêche familiale est probablement entre les mains de Joseph (40 ans), Simon (36 ans), Pierre (32 ans) et Benjamin (30 ans).

325

Poirier, op.cit., p. 509. Ibid., p. 505-506. 327 Ibid., p. 492-511. 326


92

Seul Barbe (?) (34 ans) et Pierre sont mariés. Mais Jean-François Detchevery, au contraire, n’est pas dans une position enviable puisque sa femme Mélanie Richard meurt en octobre 1826, le laissant veuf avec quatre enfants nés entre 1820 et 1826. C’est peut-être ce qui explique pourquoi il loge chez son beau-père? Les épisodes géopolitiques marquant l’histoire de l’archipel entre 1763 et 1815, empêchent d’appliquer les méthodes d’analyse démographiques conventionnelles. C’est ce qui explique que j’ai tenté d’effectuer des démarches relevant plutôt de la micro-histoire, en m’intéressant à d’autres aspects que la croissance démographique sur la longue durée. On peut en venir à la conclusion que cette population, en dépit des obstacles rencontrés, ne souffre pas de débalancements trop évidents entre la représentation des genres ou encore entre les tranches d’âges. Il s’agit somme toute d’une population possédant les outils ou les fondements favorisant une évolution normale. On sait que la période suivant la reprise définitive favorise une augmentation démographique modeste mais constante, puisque le nombre de personnes passe de 800 en 1820 à 6 482 en 1902328. Tableau 4 Données fragmentaires sur la population aux îles Saint-Pierre et Miquelon 1765-1828 Années

Population mentionnée

1765

99 (Saint-Pierre)

1767

551 (familles acadiennes)

Total-1 250

1776

S-P (1208), Miquelon (776)

Total-1 984

1778

1 048 (Saint-Pierre)

1784

1 195 (Saint-Pierre-763)

1785

633 (S-P)

Miquelon (432)

1793

607 (total)

1794

1 502

328

Poirier, op.cit., p. 173.


93 1804

90

1816

560

Tableau 5 Occupation des foyers dans l’archipel 1776, 1785 1776

1776

1785

Saint-Pierre

Miquelon

Miquelon

Foyers - 139

119

79

Pers/foyer- 574 = 4

641- 5,3

447- 5,6

Familles- 100

101

70

Enfants- 309

412

286

Enfants / fam.- 3

4

4

Tableau 6 Écarts d’âge chez 16 couples de Saint-Pierre en 1776 Loyer Deslandes

Marie Arrondel

15 ans d’écart

Pierre Baron

Marianne Martin

22

Guillaume La Roche

Guillemette Valet

15

Guillaume Trognac

Sophie Bertrand

21

Étienne Beaudry

Françoise Martin

21

André Mores

Sébastienne Arrondel

20

Jacques Regaut

G. Radou

15

Jean Joly

Marie Radoub

30

Jean Buisson

Modeste Marcadet

16


94 Michel Auliot

Claudine Lelièvre

14

Jacques Caboche

Odette Le Roy

28

Jean Lop

Anne Deveau

15

Hubert Colon

N. Guerin

25

Claude Morin

Marie Le Buff

27

Tableau 7 Répartition de la population selon les genres, 1776, 1785 1776 (total)

1785 (Miquelon)

hommes

646 (53%)

231 (53%)

femmes

558 (46%)

207 (47%)

Tableau 8 Pyramides d’âges dans l’archipel (0-30 ans), 1767-1823-28 1767

1776

1785*

1816

1823-28

0-15 ans

45%

52%

46%

27%

50%

0-30 ans

75%

69%

75%

66%

70%

*1785Miquelon

Tableau 9 Répartition de la population de l’archipel selon les genres 1767-1828


95 1767

1776

1785*

1816

1823-28

Hommes

49%

53%

53%

58%

53%

Femmes

50%

46%

47%

42%

47%

*1785Miquelon

Chapitre 4 Événements démographiques à Miquelon 1763-1791 Ce chapitre s’intéresse aux événements démographiques dans l’archipel, mais en privilégiant une analyse plus fine pour Miquelon en raison de la forte proportion de réfugiés acadiens d’après la Déportation de 1755. Je m’intéresse ici à des problématiques plutôt classiques des études de démographie historique telles que les tendances saisonnières de conception et des mariages, les causes de décès ou encore la mortalité infantile. L’Ordonnance de Saint-Germain-en-Laye de 1667, oblige les curés de France et des colonies à tenir leurs registres en double et à remettre une copie à l’autorité civile une fois l’année terminée329. Ces registres contiennent des actes de baptêmes, de mariages et de sépultures. Pour les actes de baptêmes, on fournit la date de naissance, le nom de l’enfant, celui des parents, du parrain et de la marraine. Il s’y trouve également, comme à Miquelon, les noms des témoins et autres personnes apparentées ou non. Dans le cas des actes de mariage, le célébrant spécifie les noms, âges, état ou qualité et la demeure de chacun des partis. À Miquelon, on remarque divers lieux d’origine soit de France ou des anciennes colonies française d’Amérique du Nord soit l’Acadie, l’île Royale ou encore l’île Saint-Jean. Un acte de mariage implique aussi la présence de quatre témoins, en précisant les liens de parenté avec les futurs époux. N’oublions pas que les nouveaux mariés doivent signer l’acte et le prêtre est tenu de préciser s’ils savent signer ou non. À Miquelon, le prêtre spécifie aussi cette information pour bon nombre de témoins et autres personnes présentes. Pour les actes de décès, deux

329

R. Roy et H. Charbonneau, « Le contenu des registres paroissiaux canadiens du XVII e siècle », p. 86.


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personnes signent330. Comme le soulignent Raymond Roy et Hubert Charbonneau, les actes canadiens du 17e siècle comportent des lacunes331 également présentes dans les registres de Miquelon; la date de naissance n’y est pas toujours, l’âge au mariage n’apparaît que rarement, la profession des hommes pas plus souvent. Mais la mention de l’origine géographique des époux, elle, est plutôt consistante. Pour Miquelon, la très grande majorité des époux sont qualifiés « d’habitants de cette île » ou « du lieu ». Pour les décès par contre, l’on ne connaît pas toujours les noms des parents ou conjoints quoique l’âge est donné dans la très grande majorité des cas. Mais avant d’aller plus loin dans mes réflexions méthodologiques, il est de mise d’apporter quelques précisions sur les limites de ma démarche. De 1763 à 1815, « la mission catholique des îles Saint-Pierre et Miquelon » accueille huit missionnaires dont quatre sont des « membres de la Congrégation du Saint-Esprit332». À la fin de chaque année, le missionnaire se doit de remettre les registres au gouverneur de l’archipel pour qu’ils soient acheminés au ministre de la Marine. De manière globale, l’étude des événements démographiques pour l’île de Miquelon jusqu’en 1791 bénéficie de 23 années d’observation. Certaines années sont manquantes mais pour lesquelles, à l’occasion, on se contente de proposer les données globales avancées par les prêtres sur place. N’oublions pas non plus que ces lacunes sont en bonne partie attribuables aux impondérables géopolitiques, forçant l’évacuation de la colonie à certains moments. À titre d’exemples de lacune, précisons d’abord que pour 1772, je n’ai des données que pour Saint-Pierre soit 57 actes, mais rien pour Miquelon. Il y a ensuite absence complète d’actes pour 1776 alors que pour 1777 et 1778, je ne possède encore-là que des chiffres globaux soit 54 et 53 actes. C’est là que se termine la première période d’occupation de l’archipel333.

330

Ibid., p. 87. Ibid., p. 88-93. 332 L. Codignola, « Missionnaires français à Saint-Pierre et Miquelon à l’époque des révolutions (17631816) », p. 140. 333 Les documents cités ici-bas se trouvent sur les bobines suivantes soit F598, vol. 413, F599, vol. 413, F600, vol. 414 et F601, vol. 415. Bibliothèque et Archives Canada. Manuscript Group 1 (MG1), Série G1. Dépôt des papiers publics des colonies; état civil et recensements. Saint-Pierre et Miquelon. 1763-1787. Paroisse Saint-Pierre. Registre des actes de baptême, mariage et sépulture. Registre composite, formé de cahiers disparates reliés ensemble. 1763-1772 original, 69 pages; 1772 original, 11 folios; 1773 original; 331


97

La deuxième période d’occupation, elle, s’étend de 1783 à 1791, sans interruption et avec des données complètes. En termes de référence archivistique, les originaux des registres paroissiaux de l’archipel sont incorporés dans la série G1. C’est là que se trouve l’ensemble des papiers publics des colonies, incluant l’état civil et les recensements. Avant de passer à un bilan global, il est important de revenir sur deux précisions fondamentales soit que je n’ai pas le détail de tous les actes et que mon analyse des évènements démographiques se limite plutôt à Miquelon. Au grand total pour Saint-Pierre et Miquelon et les deux périodes d’occupation, on parle d’un total de 2 221 actes334 pour une période d’observation d’environ 24 ans soit une moyenne de 92 par année : 1 345 baptêmes, 316 mariages et 562 sépultures. Saint-Pierre étant l’île abritant la capitale de la colonie, elle se démarque avec 1 244 actes en comparaison de 786 pour Miquelon. La population de cette dernière est en très grande majorité d’origine acadienne. Deux constats apparaissent immédiatement relativement aux moyennes annuelles de naissances et de décès dans les deux îles. Ainsi, en dépit de sa plus petite population, la moyenne de naissances annuelle de Miquelon est de 27 en comparaison de 32 pour Saint-Pierre. Même constat pour le nombre de mariages alors que la moyenne annuelle de Miquelon n’est que de deux points inférieure à celle de Saint-Pierre. Finalement, on signale un nombre annuel de décès beaucoup plus élevé pour Saint-Pierre avec dix-neuf contre seulement six pour Miquelon.

1774 originaux, 17 folios; 1775 originaux, 11 folios; 1776-1777 manquent; 1778 se trouve dans le registre de Notre-Dame-des-Ardillers, Miquelon, 1778, page 23; 1779-1782 manquent; 1783 copie d’extraits, 11 pages; 1783-1784 seconde minute, 59 pages; 1785-1786 copie certifiée, 27 folios et 4 pages. Voir aussi pour Saint-Pierre. Registre des actes de baptême, mariage et sépulture. Volume composite, formé de cahiers disparates reliés ensemble. 1788 copie collationnée par Jean Longueville, préfet apostolique, p. 124, 21-30; 1789 copie collationnée par Jean Longueville, préfet apostolique, p. 1-20, 25-37; 1790 copie collationnée par Jean Longueville, préfet apostolique, 32 pages; 1791 copie collationnée par Jean Longueville, préfet apostolique, il existe une double pagination : une pagination séparée pour chaque cahier, à l’encre noire, et une pagination continue à l’ancre rouge. Pour Miquelon : Paroisse Notre-Dame des Ardillers. Registre des actes de baptême, mariage et sépulture. Il y a un index nominatif au début de la bobine. Volume composite, formé de cahiers disparates reliés ensemble. 1763-1771. Copie certifiée par Paradis, vice-préfet apostolique. 65 f. Quelques actes originaux. 1772. Manque. 1773. Copie certifiée par Paradis. 21 f. 1774. Original. 35 pages. 1775. Original 25 pages. 1776. Manque. 1777. Original. 21 pages. 1778. Original. 29 pages. Au f 23, actes de Saint-Pierre. 1779-1782. Manquent. 1783. Extraits par Jean Longueville, prêtre (2 pages). 2 pages. 1784. Copie certifiée par Jean Longueville, prêtre. 11 pages. 1785. Copie certifiée par Jean Longueville, prêtre. 12 pages. 1786. Copie certifiée par l’abbé Allain. 9 pages. 1787. Copie certifiée par l’abbé Allain. 12 pages. 1788. Copie certifiée par l’abbé Allain. 8 pages. 1789. Copie certifiée par l’abbé Allain. 14 pages. 1790. Copie certifiée par l’abbé Allain, 11 pages. 1791. Copie certifiée par l’abbé Allain, 23 pages. 334 L’on est donc très loin des 26 644 actes du Canada pour le 17e siècle selon Roy et Charbonneau, op.cit., p. 86. Voir aussi G. Hynes pour Port Royal. « Some Aspects of the Demography of Port Royal…» p. 3-17.


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7.1-Les événements démographiques à Miquelon; les naissances Tel que précisé plus haut, le dépouillement détaillé des actes disponibles se limite à Miquelon. La première particularité à mentionner est que Miquelon, encore plus que SaintPierre, s’avère comme étant une colonie d’accueil des réfugiés acadiens après la Déportation de 1755 soit à compter de 1763 plus précisément. C’est pourquoi, durant la première phase d’occupation, les registres comptent 87 actes de baptêmes d’enfants nés à l’extérieur de la colonie et déjà baptisés mais pas forcément par un prêtre. Une fois à Miquelon, les parents de ces enfants désirent en quelque sorte formaliser ces baptêmes dans un registre officiel mais en spécifiant la date antérieure de baptême. En majorité, ces enfants semblent être nés en captivité durant la Déportation, en ancienne Acadie, en Angleterre ou dans l’une des treize colonies anglaises d’Amérique du Nord. C’est ainsi que 72% de ces naissances à l’extérieur de Miquelon se concentrent durant la période 1761-64, soit 46 filles et 41 garçons. Au passage, mentionnons deux naissances en mer en 1768 soit Charles Hébert et Jean-Baptiste Vigneau. Hébert voit le jour sur le Cénacle et est ondoyé par le maître-charpentier du navire. Quant à Vigneau, il « reçoit l’eau » des mains de Jacques Hébert mais on ignore sur quel navire. Tableau 16 Lieux des baptêmes en détention lorsque mentionnés 1755-1766. Ancienne Acadie

27

Halifax

2

Île Saint-Jean

13

Terre-Neuve

1

Chedabouctou

12

Angleterre

7

Île Royale

3

France

1

Colonies anglaises

10

Extrait d’un baptême « perdu dans les guerres dernières ». Il s’agit ici de l’extrait de baptême d’Armand Bonnavie dit Beaumont. Son authenticité est confirmée sous serment par Joseph Dugas et Magloire Hébert. Ces derniers sont qualifiés d’« anciens Acadiens » et d’amis des parents de Bonnavie. Cette démarche d’authenticité s’explique par la disparition d’une partie des registres de Port Royal. Bonnavie, lui-même « aujourd’hui homme mûr », mentionne que sa mère et sa marraine lui


99 rappelèrent fréquemment qu’il était né le 15 mars 1735 à Port Royal en ancienne Acadie. Ses parents étaient Jacques Bonnavie, dit Beaumont, « de son vivant forgeron » et Marguerite Laure, son épouse en première noce. Les deux sont depuis décédés. Son parrain était Joseph Laure et sa marraine Nanette LeBlanc, épouse de Joseph Landry. Source : Registre de Miquelon, 1773, BAC-MG1-G1, bobine F598, volume 413. p. 12.

Si j’exclus ces naissances survenues à l’extérieur de Miquelon, l’on arrive à un sous-total de 369 entre 1763 et 1777 soit 198 garçons (53%) et 171 filles (46%). Durant la deuxième période d’occupation (1783-1791), le nombre de baptêmes335 atteint 164 soit une moyenne de dix-huit par année dont 88 garçons (53%) et 76 filles (46%). Donc, dans les deux périodes, on constate un léger déficit du nombre de filles. Toutefois, même dans le cas des naissances à Miquelon, des impondérables surviennent. Par exemple, le phénomène d’ondoiement. Par ondoyés, on entend des enfants dont le baptême n’implique que « l’ablution baptismale, sans les rites et prières habituelles ». Cela peut donc inclure des enfants décédés « avant trois jours et à trois jours ou plus336». À Miquelon entre 1763 et 1778, on repère au moins quatorze ondoyés et vingt entre 1783 et 1791. Durant la première période d’occupation, en plus des quatorze ondoyés, d’autres situations particulières se présentent. D’abord, seize enfants n’ont pu être apportés à l’église à court terme « en raison de la longueur du chemin et de la dureté de la saison ». Parfois, l’absence du prêtre fait qu’il incombe à la sagefemme, dont Madeleine Poirier, d’ondoyer l’enfant ou de lui donner l’eau même en l’absence de danger apparent. De 1783 à 1791, on mentionne aussi la sagefemme Françoise Arsenault qui ondoie à deux occasions en plus de Louis Thériault à quatre occasions. Citons aussi le cas de Sophie Orly, fille de Louis dit Jolycoeur, sergent invalide pensionné de Sa Majesté, qui est ondoyée le 30 juillet 1784 à bord du navire l’Aunis. Lors des baptêmes à l’église, le choix des parrains et marraines retombe très majoritairement sur des personnes apparentées, surtout des oncles et tantes. Certains notables apparaissent plus d’une fois à titre de parrains dont Dame Anne Claire du Pont de Renom, épouse du baron de l’Espérance, à au moins sept occasions. Le négociant Alexis335

On avait parfois tendance à attendre le dimanche, jour chômé, pour faire baptiser le nouveau-né. R. Roy, Y. Landry et H. Charbonneau, « Quelques comportements des Canadiens au XVII e siècle d’après les registres paroissiaux », p. 64. 336 L. Gadoury, Y. Landry et H. Charbonneau, « Démographie différentielle en Nouvelle-France…», p. 370.


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Bertrand Dubois est choisi quatre fois, de même que le chirurgien-major du roi Blaise André Arnaux. Les militaires, pour leur part, ont tendance à privilégier des collègues. Ainsi, le soldat Dominique La Salle est parrain trois fois et le lieutenant d’infanterie et major André d’Angeac à deux reprises. L’une des questions fondamentales à laquelle s’intéressent depuis longtemps les travaux de démographie historique, consiste à cerner les périodes annuelles de conceptions. Par exemple, Lorraine Gadoury, Yves Landry et Hubert Charbonneau expliquent qu’en Nouvelle-France, « pour la population rurale, les conceptions culminent au début de l’été (mai-juin), puis baissent jusqu’à atteindre un creux en septembre et surtout en octobre alors que les travaux des champs demandent plus d’efforts »337. La remontée de novembre et décembre, elle, serait attribuable aux nombreuses unions d’automne. Dans mes propres recherches sur Caraquet, il apparaît que la majorité des conceptions se déroulent de novembre à mars. Avant 1755, on observe la même tendance à Port Royal où la majorité des conceptions surviennent durant les mois d’hiver et très rarement de juin à septembre338. À Miquelon pour la période 1763-1791, il est possible d’évaluer la période de conceptions pour 486 naissances et la majorité se situe d’août à janvier soit 59%. (Voir Annexe II). 7.2-Les mariages Les chercheurs Danielle Gauvreau, Vincent Gourdon et François-Joseph Ruggiu ont déjà mis de l’avant l’importance de la famille dans les sociétés d’Ancien Régime339. À l’époque moderne, la famille constitue « le fondement de l’ordre politique et social dans le monde colonial, au même titre que dans les métropoles340». Dans un premier temps, la famille remplit bien entendu la fonction de « reproduction démographique et de construction du ménage ». Mais dans un deuxième temps, ce ménage devient une nouvelle unité de production et de reproduction. Chaque nouvelle union fait converger la gestion de la maison, de la famille et d’une activité économique de nature agricole, artisanale ou même maritime.

337

Gadoury, Landry et Charbonneau, op.cit., p. 373. Landry, Une communauté acadienne en émergence, op.cit., p. 62-63. 339 Gauvreau, « Nuptialité et catégories professionnelles à Québec pendant le régime français », op.cit., p. 25. 340 Gourdon et Ruggiu, « Familles en situation coloniale », op.cit., p. 9. 338


101

En Nouvelle-France entre 1680 et 1699, la fréquence des mariages de septembre et octobre a tendance à céder la place aux unions célébrées plutôt en janvier et février. Le nombre de nuptialités devient donc beaucoup moindre de mars à septembre341. Notons aussi que l’Église prohibe les mariages durant les périodes du carême et de l’Avent, expliquant les « creux de mars et décembre342». Également, de manière générale, on évite les mariages le vendredi et le samedi puisqu’il « s’agissait de journées d’abstinence, le dimanche à cause de l’obligation d’assister à la messe dans sa propre paroisse ». Jusqu’à un mariage sur deux se déroule le lundi et deux sur trois le lundi ou le mardi343. La première question qui m’intéresse est de savoir s’il existe une tendance saisonnière forte pour la célébration des mariages à Miquelon entre 1764 et 1791. Les données disponibles permettent d’examiner 126 actes de mariages. Comme dans le cas des baptêmes relaté auparavant, un certain nombre d’unions se veulent plutôt des confirmations d’engagements déjà convenus avant d’arriver à Miquelon. On parle ici de quatorze mariages durant la période 1760-1766. Par exemple, certaines unions convenues en 1762 ne sont officialisées qu’en 1766. On pense ici aux couples Joseph Dugas/Louise Arsenaud, Jacques Sire/Angélique Dugas de même que Charles Gautreau/Françoise Bourg. De manière globale, les années les plus fructueuses en termes de nombre d’unions sont 1766 (quinze), 1787 (douze), 1765, 1771 et 1790 avec onze par année. Il ne fait aucun doute que décembre (38) et janvier (27) sont les mois privilégiés pour convoler en justes noces puisqu’ils regroupent 65 des 126 unions ou 51% du total. D’où viennent les conjoints? Vingt-quatre sont de France, 83 d’ancienne Acadie (Nouvelle-Écosse), 30 de l’île Royale, cinq de l’île Saint-Jean et trois sont nés dans les environs de Boston en captivité. En filigrane de ce bilan quantitatif se manifeste un certain nombre d’actes dont les détails démontrent la diversité de situations se présentant au prêtre. Je débute par un exemple de la formulation décrivant les cas d’unions contractées en captivité, avant d’arriver dans l’archipel. Ainsi, le 16 octobre 1763, Joseph Sire et Josèphe Hébert font confirmer leur

Roy, Landry et Charbonneau, « Quelques comportements…», op.cit., p. 56. Gadoury, Landry et Charbonneau, op.cit., p. 368. 343 Roy, Landry et Charbonneau, op.cit., p. 63. 341 342


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union du 22 février 1762. Ils sont alors détenus en Angleterre et n’entrevoient pas d’être libérés à court terme. Ils s’unissent avec le consentement de leurs parents respectifs et en présence de témoins dignes de foi, « avec promesse de se présenter en face de l’Église aussitôt que faire se pourrait ». Ce qu’ils accomplissent effectivement à Miquelon et avec le privilège d’avoir le gouverneur de l’Espérance comme témoin344. C’est le même scénario pour Pierre LeBlanc et Marie Bourgeois, mariés en Angleterre le 11 avril 1760 et se remariant à Miquelon le 27 octobre 1763. Finalement, Jean-Baptiste Thériault et Marie Sire sont le troisième couple dans cette même situation et officialisent leur union le 27 novembre 1763. Mais on pourrait aussi relater les cas de Jean Cormier/Rosalie Vigneau de même que Louis le Male/Marie Cormier. Une deuxième catégorie de situations quelque peu spécifiques est celle des mariages de militaires de la garnison. D’abord, celui du soldat Jacques Cobes avec Josette Roy le 3 septembre 1767. Cobes est sergent de la Compagnie du baron de l’Espérance, résidant habituellement à Saint-Pierre et natif du Béarn. Tel que l’exige le protocole militaire, pour se marier il reçoit d’abord la permission de son capitaine d’infanterie et commandant à Miquelon soit Louis Benjamin De la Boucherie, lui-même sous les ordres de D’Angeac345. Un cas similaire se produit le 26 novembre 1770 lors du mariage de Louis Daniel la Combe, lui-aussi soldat de la Compagnie de l’Espérance. Il obtient la permission en question tel que le confirme un certificat produit à Miquelon le 3 mars de la même année. Il est intéressant de noter qu’il épouse une veuve de militaire soit Simone Solet qui, en première noce, était l’épouse du défunt Louis Blacquière, sergent dans la même compagnie346. Lors de la deuxième occupation, en octobre 1786, le soldat-ouvrier de la Compagnie Franche, François Fontel, détient la permission du sieur Danseville, commandant et ordonnateur de l’archipel, pour épouser Félicité Madeleine Cercle (?) le 10 octobre347. Pierre Guyon, lui, obtient son « congé du service du Roy » le 1 juillet 1788, avant d’épouser Louise Cormier

344

Mariage entre Joseph Sire et Josèphe Hébert, 16 octobre 1763. BAC-MG1-G1. Dépôt des papiers publics des colonies; état civil et recensements. 1763-1771. Copie certifiée par Paradis, vice-préfet apostolique. Bobine F598, vol. 413. 345 Mariage entre Jacques Cobes et Josette Roy, 3 septembre 1767. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 346 Mariage entre Louis Daniel la Combe et Simone Solet, 26 novembre 1770. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 347 Mariage entre François Fontel et Félicité-Magdeleine Cercle (?), 10 octobre 1786. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413.


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le 7 janvier 1789348. Quant à Jean-Baptiste Colin, originaire de Toulon en Provence, il exhibe les « actes de désengagement et de dégagement » lui ayant permis d’obtenir luiaussi son « congé de service du Roi ». Le 9 janvier 1787, il épouse Marie Boudrot, veuve d’Allain Poirier349. À ces cas peuvent s’ajouter ceux de trois autres militaires se mariant à Miquelon et traversant le même processus soit le soldat-ouvrier Thomas Le Noir, le tambour Louis Hurot et le sergent Pierre Adrien. Les trois épousent des Acadiennes soit Esther Poirier, Marie Sire et Madeleine Hébert et obtiennent tous des permissions de leur supérieur. Ces unions se concrétisent entre 1787 et 1790. D’autres scénarios ou situations valent aussi la peine d’être soulevés. Sans trop de surprise, la problématique de la dispense pour cause de consanguinité se présente assez souvent et il devient superflu de multiplier les exemples350. Le cas de Pierre Arseneau et Marie Sire illustre bien cette problématique, alors que le prêtre « accorde la dispense du second au troisième degré, peut-être du troisième degré au troisième degré de consanguinité ». Cette hésitation puise sa source dans le fait que les époux « s’expliquent avec tant de bonacité (simplicité excessive?) que avec toute notre compréhension nous ne pouvons rien statuer de juste là-dessus351». Une situation sans doute plus litigieuse est celle de l’union entre Félix Gaudet et Marie-Anne Cormier le 30 octobre 1774. Cet acte révèle probablement l’un des exemples les plus élaborés de dispense puisqu’il s’agit de « consanguinité du trois au trois du côté du père et de l’épouse et de la mère de l’époux, et cela du trois au quatre du côté des mères des époux352»! En filigrane de ce cas se profile deux situations où le prêtre exerce son pouvoir discrétionnaire pour faire exception. D’abord, dans le cas précédent, le prêtre explique que « Le mariage célébré un dimanche, eu égard que la saison avançait fort et que les familles de ces époux avaient à se rendre incessamment à leurs logements

348

Mariage entre Pierre Guion et Louise Cormier, 7 janvier 1789. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. Mariage entre Jean-Baptiste Colin et Marie Boudrot, 9 janvier 1787. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 350 Vincent Gourdon et François-Joseph Ruggiu expliquent que dans les cas de « communautés stables sur plusieurs générations à partir d’un noyau réduit de familles, il en résulte un trop plein de parents proches. La marché matrimonial devient réduit, surtout si le respect des interdictions canoniques reste fort ». « Familles en situation coloniale », op.cit., p. 12. 351 Mariage entre Pierre Arseneau et Marie Sire, 15 septembre 1767. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 352 Mariage entre Félix Gaudet et Marie-Anne Cormier, 30 octobre 1774. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 349


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lointains, et de se rendre à Saint-Pierre pour leurs affaires de familles indispensables353». Également, une autre exception est consentie en mars 1785 alors que le prêtre a « donné la bénédiction nuptiale malgré le temps prohibé du carême354». D’autres types de complications surviennent lors de l’union entre Jean-Baptiste Gautier et Barbe Lavigne. Gautier est fils du défunt Joseph Nicolas Gautier, « de son vivant négociant à Port Royal ». Mais on semble tenter d’établir plus clairement que Jean Gautier soit le frère de Joseph Nicolas, selon un acte notarié rédigé à l’île Saint-Jean le 4 janvier 1754. Sans doute pour tenter de mettre fin à cette incertitude, le prêtre déclare s’être « contenté » de ce témoignage, étant donné que le registre des extraits de l’île Saint-Jean « s’étant perdu dans les guerres » et aussi en raison de « l’approbation des témoins du côté de l’époux ». Du côté de l’épouse, à noter que son frère Charles Lavigne agit à titre de tuteur en vertu d’un acte notarié du 28 janvier 1770355.

« Disposition juridique d’une permission de mariage ». Mon cher père! (Michel Perryguy) « Permettez-moi que j’ai l’honneur de vous écrire la présente, et pour vous dire que tout le monde est en bonne disposition. Comme je me trouve disposée de prendre un établissement avec un jeune homme, vous m’avez donné votre consentement avec beaucoup de grâce. Mais quand il a été question de publier les bancs, monsieur le curé (Miquelon) nous a demandé le consentement écrit par main de notaire, sans quoi il ne nous marierait pas. Duquel présent nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour le faire consentir, mais ça été en vain. En conséquence, mon cher père, je vous demande une grâce, si vous souhaité me l’accorder, de m’envoyer votre consentement par notaire ou faite par les mains du curé (de Sar dans l’évêché de Bayonne) ». Il semble que cette démarche s’avère fructueuse si l’on s’en remet à une entrée du registre de Miquelon en date du 19 avril 1775. D’abord, l’authenticité de cette lettre et de la réponse qui en découle est confirmée par les témoignages ou serments de quatre témoins originaires de Sar et ses environs soit Pierre Fagondes, Merain Perryguy, Michel Labadi et Michel Arybourg. Le tout convainc le vice-préfet apostolique de Miquelon

353

354

Ibid.

Mariage entre Charles LeBlanc et Anne Lavigne, (non daté) mars 1785. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 355 Mariage entre Jean-Baptiste Gautier et Barbe Lavigne, 29 janvier 1770. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413.


105 d’accorder sa permission de mariage à Jeanne Miquel Perryguy et ce, « à qui bon lui semblera sûr qu’il est de sa sagesse et de sa prudence ». Source : Presbytère de Miquelon, 19 avril 1775. BAC-MG1-G1, bobine F598, vol. 413.

Une autre question de tutelle survient le 17 avril 1770 lorsque le baron de l’Espérance accepte d’être « créer tuteur ad hoc » de Thérèse Raiyé, lors de son union avec Joseph Génengre ou Lénengre, originaire de Louisbourg356. Même constat lors du mariage entre Étienne Coste et Madeleine Hébert, tous deux mineurs, le 28 janvier 1777. C’est alors François, frère aîné d’Étienne, qui lui sert de « tuteur ad hoc » pour la célébration du mariage. Un cas fort intéressant se manifeste en mars 1785 lors de l’union entre Charles LeBlanc et Anne Lavigne, eux aussi mineurs. À cette occasion, le tuteur « honoraire » de LeBlanc est le sieur Guilbeau (Guillebeault) de l’île Saint-Pierre. Il semble cependant que ce dernier s’oppose à ce mariage lors d’une réunion tenue le 19 décembre 1784. L’on ne sait cependant pas comment la suite des événements permet finalement à la cérémonie de prendre place357. Une autre situation particulière où se déroule la lecture d’un document, mais cette fois rédigée outre-mer, est lors de l’union entre Pierre Darraspe et Anne Mancel le 23 octobre 1774. L’époux est originaire de Saint-Jean-de-Luz et âgé de 23 ans. Avant la cérémonie, il exhibe des « lettres patentes en parchemin initialisées Louis Jean Maria de Bourbon, duc de Penthièvre, amiral de France », en date du 11 février 1774. Les lettres sont également signées par Laborde de Lissade, lieutenant-général. Ce dernier appose sa signature sur ces lettres au greffe du siège de l’amirauté de Bayonne. Les documents reconnaissent formellement que Darraspe était « pilote de navire pour le voyage de chasse à la baleine et de Terre-Neuve358». Finalement, un événement particulier survient le 10 février 1790 à l’occasion du « renouvellement de mariage » entre Claude Poirier (75 ans) et Marguerite Sire (68 ans). Lesquels sont parvenus à atteindre le cap des « 50 ans de mariage » et qui veulent ainsi «

356

Mariage entre Joseph Génengre (?) et Thérèse Raiyé, 17 avril 1770. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 357 Mariage entre Charles Leblanc et Anne Lavigne, 1 mars 1785. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 358

Mariage entre Pierre Darraspe et Anne Mancel, 23 octobre 1774. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413.


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remercier Dieu de leur avoir accordé des jours aussi longs et heureux ». Ils désirent ainsi, en face de l’Église, « ratifier leurs promesses qu’ils avaient faites à Dieu de le servir ». L’on ne se surprendra pas d’apprendre qu’un grand nombre de personnes assistent à cette cérémonie359. 7.3-Les décès Selon la chercheure Danielle Gauvreau, « Les niveaux de mortalité élevés de l’Ancien Régime brisent souvent les couples et privent certaines familles d’enfants 360». En France à compter de la fin du 18e siècle, « la mortalité masculine » est passablement accentuée par les guerres de la Révolution et de l’Empire361. Pourtant, cette période funeste est précédée d’un cycle d’étapes favorables à l’augmentation de l’espérance de vie. Effectivement, de 1749 à 1779 se manifeste « une légère amélioration ». Il n’en demeure pas moins qu’avant la Révolution, près de 50% des enfants meurent avant l’âge de 10,5 ans. Idem du côté de la mortalité féminine qui chute de moitié à compter de la décennie 1770. De façon globale, de 1740 à 1789, l’espérance de vie à la naissance demeure cependant inférieure à 27 ans pour les garçons et à peine supérieure à 28 ans pour les filles362. En Nouvelle-France entre 1625 et 1799, on dénombre 208 000 actes de sépulture363. Durant l’Ancien Régime, l’Église impose un « délai minimum d’un jour entre le décès et la sépulture364». À noter que dans les registres de Miquelon comme dans ceux de la Nouvelle-France, les causes de décès ne sont pas toujours spécifiées. En Nouvelle-France, ce qu’Yves Landry et Rénald Lessard appellent les « décès prématurés » ou accidentels surviennent entre l’âge de cinq et 50 ans et la noyade joue un rôle important. Cette fatalité afflige surtout les cinq à 35 ans365. Ainsi, dans la communauté de Lachine durant le Régime français, la mortalité infantile compose plus de la moitié (56%) des décès. On parle ici

359

Renouvellement de mariage entre Claude Poirier et Marguerite Sire, 10 février 1790. BAC-MG1-G1. Bobine F599, vol. 413. 360 Gauvreau, op.cit., p. 26. 361

Y. Blayo, « La mortalité en France de 1740 à 1829 », p. 123. Blayo, op.cit., p. 130, 133-34. 363 Y. Landry et R. Lessard, « Les causes de décès aux XVII e et XVIIIe siècles…», p. 509. 364 Ibid., p. 510. 365 Ibid., p. 519. 362


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d’enfants de moins de deux ans366. À Port Royal en Acadie jusqu’en 1755, les trois quarts des nouveau-nés atteignent l’âge adulte alors qu’en France 50% seulement survivent jusqu’à l’âge de 20 ans367. À la lecture de ces données, on constate qu’en Acadie, les décès en bas âge semblent faire moins de dommage qu’en métropole et que dans la Vallée du Saint-Laurent à la même époque. Dans mes recherches sur Caraquet pour la première moitié du 19e siècle, j’estime qu’environ 24% des enfants ne vivent pas au-delà de 12 ans368. Lorsque l’on aborde le bilan global des décès à Miquelon pour la période 1763-1791, le nombre d’actes examinés se chiffre à 131, dont 86 de 1763 à 1777 et 45 de 1784 à 1791. Ce qui revient à une moyenne annuelle de 6,2 pour l’ensemble de la période. Mais conformément au constat historiographique énoncé plus haut, la mortalité infantile est élevée puisque 50% de ces décès impliquent des enfants âgés de moins que cinq ans. Chez les personnes adultes et actives (quinze à 59 ans), on rapporte 42 décès soit 32% du total et pour ceux d’au-delà de 60 ans, on parle de quatorze cas ou 10% du nombre total de décès. Comme je l’ai fait pour les naissances et les mariages, la question des décès comporte des cas qualitatifs valant la peine qu’on s’y arrête. D’abord, précisons que les noyades sont assez fréquentes telles que le démontrent un bon nombre de décès. L’incident le plus notoire est sans doute la noyade des trois frères Pinet survenue le 6 septembre 1767. Cette tragédie fauche Jean-Baptiste (seize ans), Charles (dix ans) et Louis (sept ans); fils de Charles Pinet. Leurs jeunes vies se terminent dans l’étang de Miquelon369. Un sort comparable attend Jean Senpeau (40 ans), noyé dans « les glaçons de l’Étang de l’écluse de Miquelon », le 24 décembre de la même année 1767. Il est alors veuf de Cécile Lafargue et originaire de Saint-Jean-de-Luz. L’inhumation se déroule « en présence d’une multitude de personnes », comme pour les frères Pinet370.

366 367

368

Ibid., p. 525. G. Hynes, op.cit.

N. Landry, Une communauté acadienne en émergence. Op.cit., p. 70. Inhumations de Jean-Baptiste, Charles et Louis Pinet, 6 septembre 1767. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 370 Inhumation de Jean Senpeau, 24 décembre 1767. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 369


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L’année 1771 est toute aussi fertile en noyades de jeunes hommes. D’abord, un engagé de 35 ans, compagnon-pêcheur, meurt au domicile de Jacques Sire qui l’a soigné « par charité pour le seigneur371». Quant à Claude Pierre Dufour, 21 ans, il était second dans la goélette la Créole, partie de Saint-Malo au printemps 1771372. Mais le malheur frappe avec encore plus de force en octobre avec trois noyades de jeunes hommes. D’abord, Jean Cormier « noyé sur les bords de notre rivage et trouvé dans le goémon373». Il est âgé d’environ 40 ans, aurait disparu vers le 20 septembre et n’a été retrouvé que le 5 octobre. C’est ce jour-là que son corps est « apporté par ordre de ces messieurs de la justice représentée dans monsieur de Savigny, juge à Saint-Pierre374». Il semble donc qu’il meurt quelques jours seulement avant Jean Lafourcade (dix-huit ans), natif de Guétary (diocèse de Bayonne). Ce dernier serait décédé vers le 24 septembre, « noyé dans l’Étang » et retrouvé le 14 octobre. Il était garçon-pêcheur chez Dupleix-Silvain. Une hypothèse plausible veuille qu’il disparaisse en compagnie de Jean-Baptiste(?), noyé au même endroit. Il a alors vingt ans et aussi à l’emploi de Dupleix-Silvain375. Selon le prêtre, les funérailles de ces deux jeunes engagés se déroulent en présence d’ « une multitude de peuple ». En juin 1773, c’est au tour de l’engagé Pierre Leurdon (?), 32 ans, de décéder chez un habitant de Miquelon soit Pierre Arsenault, « qui l’avait à la charge » de sa chaloupe à titre de compagnon. La victime était originaire de l’Évêché de Quimper376. Lors de la deuxième occupation de l’archipel, en février 1788, « le corps d’un homme apporté par la mer sur le rivage à l’ouest de l’île (Miquelon) » n’est connu que par son prénom soit Yves, âgé d’environ 36 ans et natif de Bayonne. Durant cet hiver-là il demeure à Langlade chez René Mesley et il est inhumé dans le cimetière de Miquelon, conformément à « la réquisition de l’officier de l’amirauté377».

Inhumation d’un compagnon-pêcheur, 19 mai 1771. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. Inhumation de Claude Pierre Dufour, 20 mai 1771. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 373 Emmanuelle Charpentier souligne avec justesse qu’en Bretagne, « Les cadavres venant sur l’estran rappellent la fragilité de l’existence et incarnent les dangers inhérents à la mer et au littoral ». Il y a ensuite des procès-verbaux de rédigés à propos de ces cadavres trouvés sur la grève et dont « sont chargés les officiers des amirautés », conformément à l’Ordonnance de la Marine. Charpentier, op.cit., p. 162. 374 Inhumation de Jean Cormier, 5 octobre 1771. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 375 Inhumations de Jean Lafourcade et de Jean-Baptiste(?), 15 octobre 1771. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 376 Inhumation de Pierre Leurdon, juin 1773. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 377 Inhumation d’Yves ?, 18 février 1788. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 371 372


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À côté de la thématique prédominante des noyades, apparaît un éventail de cas disparates dont le contenu traduit bien les autres scénarios relevés dans les registres. Par exemple, la question de l’ondoiement abordé lors de l’analyse des naissances, est ici illustrée en mai 1768. En effet, une entrée du 22 mai mentionne les funérailles d’un « enfant anonyme » ondoyé à la maison « en raison de mort ». C’est alors la sage-femme « du lieu » qui s’en charge soit la veuve Bouillard. Cet enfant est le fils de Jean Gilles dit Plaisance, soldat de la Compagnie de l’Espérance et de Marguerite Robin378. Le même mois, Élie François David, 28 ans, décède en laissant Jeanne Malet, « jeune femme qu’il venait d’épouser quelques mois avant sa sortie de France, à Saint-Malo379». En 1777, le fils du boulanger du roi à Saint-Pierre, Jean-Pierre Tournier, meurt chez sa nourrice, épouse d’Honoré Gautreau vers l’âge d’un an380. Deux femmes que l’on peut qualifier d’épouses de notables décèdent en 1769 et 1770 soit Dame Anne de La Tour381 (épouse de Paul LeBlanc) à 31 ans et Dame Clair Dupont de Renon, épouse du baron de l’Espérance. Cette dernière est alors âgée de 56 ans et a le privilège d’être inhumée « vers six heures de relevé sous l’église paroissiale » de Miquelon382. Certains décès enregistrés en 1770 et 1771 révèlent aussi des histoires intéressantes. D’abord, à peine un an après le décès d’Anne de La Tour, son mari Paul LeBlanc (36 ans) meurt à son tour383. Ensuite disparait celle étant alors sans doute la doyenne de l’époque soit Anne Marguerite Bourg, qui laisse cette terre à l’âge de 96 ans! Elle était l’épouse en secondes noces de Jacques Vigneaux384. En 1774, on déplore des victimes autant chez les plus jeunes que les plus âgées. Chez les personnes encore très actives, citons celle de 22 ans et une autre de 44 ans. Chez les plus âgées, soit en milieu de soixantaine, mentionnons Anne Sire et Marie-Judith Béliveau. Il est probable que le décès de Jean Poirier (44 ans), boulanger du roi, sème une certaine

Inhumation d’un enfant ondoyé, 22 mai 1768. BAC-MG1-G1. F598, vol. 413. Inhumation d’Élie François David, 11 mai 1768. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 380 Inhumation de Tournier, 8 janvier 1777. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 378 379

381

Inhumation de Dame Anne de La Tour, 17 janvier 1769. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. Inhumation de Dame Anne Claire Dupont de Renon, 22 mai 1770. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 383 Inhumation de Paul LeBlanc, 21 mai 1771. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 384 Inhumation d’Anne Marguerite Bourg, 13 novembre 1770. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 382


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inquiétude à Miquelon. Les pertes sont encore plus frappantes en 1775 avec sept victimes en très bas âge, une dans la vingtaine et deux pionniers soit Louis Béliveau (65 ans) et Léonard Lhermitte (64 ans). D’autres cas attirent aussi mon attention durant la deuxième occupation. D’abord, des funérailles devant surement susciter de l’intérêt en cette journée du 18 avril 1784 sont celles de Jean-Baptiste Buchet de Chateauville, capitaine de la Compagnie Franche de Miquelon. Il est âgé de 48 ans et les deux témoins sont des notables soit le chirurgien-major Gabriel Gaillard et le commissaire aux classes Louis Thériault ou Thériot385. L’émoi est peut-être au rendez-vous en juillet de la même année, alors que deux très jeunes enfants sont rapidement enterrés « à cause de maladie contagieuse ». Il s’agit de Joseph Orly et de Victoire Hébert, cette dernière âgée d’un an à peine386. En septembre, événement peut-être unique durant toute la période à l’étude, un prêtre capucin, Pierre Boyer, de Toulon en Bourgogne, décède après un séjour d’à peine trois mois sur l’île. Il serait supposément venu de Nouvelle-Angleterre « incognito387». Viennent ensuite quelques morts violentes, tout comme durant la période précédente. D’abord, Joseph Sala, matelot-pêcheur natif de Saint-Martin « au pays de Labour », péri à la mer dans la chaloupe où il pêche avec le propriétaire Amand Sire388. Deux jeunes garçons de 15 ans, Louis Boudrot et Amand Hébert, sont trouvés morts dans la plaine « suffoqués par le mauvais temps » en décembre 1785389. Un homme de 48 ans, Paul Petitpas, meurt noyé en novembre 1787390. Qui sait, sans cette malchance peut-être aurait-il pu atteindre un âge aussi avancé qu’Anne Arsenaud (veuve Jacques Hébert), 78 ans, Charles Lavigne 68 ans ou encore Louis Orly 68 ans. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on dépouille des registres paroissiaux datant du Régime français, ceux de l’archipel comportent eux-aussi des lacunes avec lesquelles j’ai dû composer. Rappelons que mon corpus comporte 23 années d’observation impliquant 2 221 actes et que le focus de ma recherche porte exclusivement sur Miquelon en raison de la 385

Inhumation Jean-Baptiste Buchet de Chateauville, 18 avril 1785. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. Inhumation de Joseph Orly, 23 juillet 1784. Inhumation de Victoire Hébert, 12 juillet 1784. BAC-MG1G1. Bobine F598, vol. 413. 387 Inhumation de Pierre Boyer, 22 septembre 1784. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 388 Inhumation de Joseph Sala, 27 juillet 1785. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 389 Inhumations de Louis Boudrot et Amand Hébert, 14 décembre 1785. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 390 Inhumation de Paul Petitpas, 26 novembre 1787. BAC-MG1-G1. Bobine F598, vol. 413. 386


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forte présence acadienne. Quelques phénomènes émergent de cette analyse. D’abord, le nombre d’actes (baptêmes et mariages) s’avérant en réalité des confirmations d’événements démographiques survenus en exil. Ensuite, on relève quelques naissances en mer, des ondoiements ou encore des demandes de dispenses en raison de liens consanguins. Certains chiffres gagnent à être mentionnés à nouveau pour Miquelon durant la période 1763-1791. Par exemple, 59% des conceptions surviennent d’août à janvier, 51% de mariages sont célébrés en décembre-janvier et 50% des décès impliquent des enfants de cinq ans ou moins.

Annexes II Événements démographiques dans l’archipel 1763-1791 SaintPierre Années 1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769 1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777 1778 1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789 1790 1791

Miquelon Baptêmes 8 25 45 27 35 25 18 29 22 31 22 35 40

Mariages 2 6 12 9 5 5 6 1 5 11 9 11 4

Décès 4 23 14 11 14 9 14 13 10 15 14 32 26

Total 14 54 71 47 54 39 38 43 37 57 45 78 70

35 12 58 35 35 38 42 40 38 41 736

8 1 15 15 9 9 10 12 12 8 185

10 5 39 6 26 37 34 28 36 13 433

53 18 112 56 70 84 86 80 86 62 1244

Années 1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769 1770 1771

Baptêmes 33 32 51 45 37 23 23 30 29

Mariages 5 5 11 15 6 0 0 9 11

Décès 2 2 3 6 7 6 6 5 8

T 40 39 65 66 50 29 29 44 48

T 54 93 136 113 104 68 67 87 85

1773 1774 1775

29 37 41

2 7 2

3 12 8

34 56 51

79 134 121

1777

38

3

13

54

1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789 1790 1791

1 9 21 21 18 23 21 22 25 609

1 6 3 3 12 3 11 10 6 131

0 11 8 4 5 4 5 2 7 129

2 26 32 28 35 30 37 34 38 786

Tableau 17 Périodes de conception excluant les enfants n’étant pas nés à Miquelon 1763-1791

20 138 88 98 119 116 117 120 100 2221


112 Janvier

45

Juin

40

Novembre 49

Février

40

Juillet

36

Décembre

42

Mars

39

Août

52

Total

486

Avril

41

Septembre 49

Mai

40

Octobre

53

Partie III – Économie et société dans l’archipel

Chapitre 5 Relations économiques et financières dans l’archipel 1783-1790 Ce chapitre tente de reconstituer les méandres des transactions financières permettant aux négociants et à certains notables de l’archipel de tirer leur épingle du jeu dans le commerce et la pêche, autant dans la colonie qu’ailleurs dans l’Atlantique français. En premier lieu, je m’intéresse aux stratégies d’accès à l’immobilier soit les graves, les infrastructures et les embarcations. En deuxième lieu, je tente de démontrer comment certains habitants moins nantis tentent de composer avec l’endettement391. 3.1-Ventes d’infrastructures Dans la première tranche de cette recherche, je m’intéresse aux ventes d’infrastructures ou immobilières, si l’on s’en remet au langage notarial. On parle donc de terrains, de portions de terrains, avec ou sans maisons, de graves pour la pêche ou même d’habitations de pêche Pour Sylvain Vigneron, même les habitants des campagnes françaises d’Ancien Régime « s’insèrent dans un microcosme social qui se définit par des échanges de toutes natures, sociaux, familiaux, économiques, culturels. Cet historien a exploité à bon escient les actes de ventes passés devant les notaires de la ville de Cambrai de 1681 à 1791. S. Vigneron, « La sphère des relations foncières des ruraux…». p. 120. 391


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complètes392. Au total, la valeur de ces transactions se chiffre à 20 139 livres tournois soit une moyenne de 843 livres chacune. Il n’est guère surprenant de constater que la moyenne la plus élevée (2 215 livres) soit pour les habitations de pêche. Mais dans les autres cas, il s’avère difficile de cerner les critères pouvant déterminer les prix quoique la dimension et l’emplacement des terrains puissent constituer des facteurs non négligeables. Techniquement, la majorité de ces terrains donnent accès à la mer mais en général, l’espace est plutôt restreint et les voisins assez rapprochés. Par exemple, la propriété vendue par le marchand Charles Le Clerc est située à l’arrière de l’édifice du « gouvernement » de la colonie à Saint-Pierre, celle vendue par le négociant Bernard Lafitte aux sieurs Mancel et Desperle a « face à la rue et du côté de la mer », bornée d’un côté par le terrain de Vital Chevalier et de l’autre par celui du sieur Laboussage et enfin, le terrain et habitation vendue par l’habitant Jean Marcadet aux marchands Rodrigue Frères se trouvent au Barachois de Miquelon. Le cas de Noël Ross est intéressant puisqu’il vend trois petites portions de terrain à ses enfants. Ces parcelles sont découpées à même la propriété du père, située « au nord de la montagne, à l’est et au sud de la rue, et à l’ouest du terrain de René Ross ». Pour sa part, Guillaume Desroches Chevalier achète un terrain d’André Chevalier dit Lhermitte, avec l’avantage qu’il est adjacent au sien et lui permet ainsi d’agrandir sa propriété de 777 mètres carrés. Cette nouvelle acquisition est située face à « l’hôpital en allant à la mer ». Il ne s’y trouve toutefois aucune bâtisse. Certaines ententes comportent parfois des clauses de droit de passage. Ainsi, lorsque Jean-Baptiste Silvain vend un terrain à Angélique Dugas, cette dernière obtient aussi l’accès à un passage de quatre à cinq mètres restant entre les limites des deux terrains. Il en ressort donc que chaque propriété se situe en référence à ses voisins, à la rue, à la mer, à l’église, à des terrains « non bâti », à des établissements du roi, à la montagne, etc. Mais est-il tout de même possible de déterminer jusqu’à quel point les prix sont ou non dictés

392

Sur le littoral de Bretagne au 18e siècle, ce sont les transferts de propriétés qui dominent soit des maisons, des terres ou encore des « bâtiments d’exploitation ». Près de 83% de ces transferts impliquent des sommes en deçà de 599 livres et pratiquement 50% se situent à moins de 199 livres. À titre d’exemples, en 1733 le 1/6 d’une barque pour 130 livres ou encore en 1730, l’achat d’un bateau avec ses ustensiles pour 145 livres. Charpentier, op.cit., p. 334.


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par les dimensions de la propriété vendue? Pour y arriver, du moins de manière partielle, j’ai calculé le prix au pied carré ou à la toise carrée lorsque c’était possible. Dans le premier cas, je bénéficie de seize données exprimées en pieds carrés (reconvertis en mètres) et dans le deuxième cas, de seulement trois données exprimées en toises carrées. En ce qui a trait au prix de vente calculé au pied carré, il n’atteint jamais la livre et dans le cas de la toise carrée, il dépasse la livre deux fois sur trois et une fois c’est deux livres. La surface moyenne de seize terrains exprimée en pieds carrés est de 780 mètres et de 3 655 toises pour les trois habitations de pêche complètes. Encore ici se dessine une certaine hiérarchie dans les surfaces en pieds carrés, allant des deux plus petites (93 et 162 mètres) aux plus grandes (1 822 et 1 671 mètres). La plus grande surface exprimée en pieds carrés est celle vendue par Marie-Gabrielle Bannet (veuve Sébastien Pinault) à Pierre Guirouflet. Les deux sont habitants et le terrain en question (24 par 24 mètres) fait face à la rue et est attenant à la grave Martin et au terrain de la boulangerie du roi. La vente se matérialise pour 500 livres. Le défunt Sébastien Pinault avait obtenu ce lot, figurant « sur le plan topographe de ce Bourg393». En revanche, la plus petite surface (93 mètres carrés) est celle vendue par Noré (Norée) à Louis le Male, vente ratifiée par Charles Jouet en 1789. Ce dernier est alors négociant à Saint-Pierre et occupe la moitié (partie de l’est) d’une habitation de pêche concédée en 1764 à feu Sieur Louis Jouet, son père. En 1773, en l’absence de Jouet, le Sieur Noré vend à l’habitant Louis le Male, une parcelle de l’habitation pour 215 livres394. D’autres questions me viennent tout naturellement à l’esprit dans le cours de cette analyse des ventes de propriétés; qui sont ceux qui transigent, les ententes contiennent-t-elles des clauses spécifiques et finalement, y décèle-t-ton des arrangements familiaux? Invariablement, les préambules de chaque acte de vente permettent d’identifier les personnes impliquées dans ces transactions, leurs lieux de résidence et leur état ou qualité. C’est ainsi qu’il devient possible d’identifier au moins 51 personnes que je regroupe en cinq grandes catégories soit les habitants (25 = 49%), les marchands ou négociants de la

Vente d’un terrain par Marie-Gabrielle Bannet à Pierre Guirouflet14 août 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 197-198. 394 Ratification par Charles Jouet de la vente d’une partie de terrain faite par Noré à Louis le Male, 20 janvier 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 271-272. 393


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colonie (neuf), les négociants et capitaines des navires métropolitains (huit), les militaires et fonctionnaires (six) et les métropolitains sans mention de statut particulier (trois). Mais ici se manifeste une sous-catégorie sociale très minoritaire, que l’on peut qualifier d’habitants-fonctionnaires, soit Boullot (capitaine de port), Pierre Lourteig (employé aux magasins du roi) et Denis Itan dit Champagne (boulanger du roi). Les véritables militaires et représentants du roi provenant alors de la métropole sont Danseville, chevalier de Saint-Louis et commandant-ordonnateur, Marc-Antoine Defourny, sergent-major de la Compagnie Franche, Jacques Salager, sergent de la même compagnie Franche. La catégorie négociante de la colonie est fort bien représentée avec Jean-Baptiste Dupleix Silvain, Charles Le Clerc, Bernard Lafitte (également qualifié d’architecte), le sieur Mémoire, les sieurs Rodrigue Frères, Guillaume Desroches, Michel Destebetcho et Charles Jouet. À côté d’eux se profilent des capitaines de navires métropolitains et autres négociants de passage. Certains de ceux-ci agissent souvent à titre de procurateurs pour des marchands métropolitains ou forains, ayant des intérêts coloniaux. Chez ces derniers, mentionnons La Touche Pinault (représentant du sieur Bourdé de Lorient), Rémi François Desperle et Charles Léger Marchal (représentants de Mancel et Desperle, négociants de Brest et fournisseurs des hôpitaux militaires de la Marine). Finalement, à ces représentants peuvent s’ajouter des hommes tels Nicolas Servan-Olivier Mannet (négociant et capitaine de navire) de Saint-Malo, Jean Noël, de La Rochelle, ou encore Jean Balargué, de Bayonne. Chez la catégorie sociale dominante en terme de nombre, les habitants, il est important de mentionner que l’on y compte cinq veuves; Charlotte Daccarrette (Leneuf de Beaubassin), Angélique Dugas (Jean-Baptiste Leblanc), Anne Bro (Breau?) (Jean-Baptiste Radoue), Marie-Gabrielle Bannet (Sébastien Pinault) et Jeanne LeTourneur (Jacques Debon). À noter que Daccarrette et Bannet, agissent comme tutrices de leurs enfants mineurs respectifs. Cela m’amène à parler des ententes contenant des clauses quelque peu spécifiques. D’habitude, elles se retrouvent dans la deuxième moitié des actes d’entente. La première section de ce type de documents notariés est plutôt consistante en termes de contenus puisqu’on y mentionne les noms des vendeurs et acheteurs, leur qualité ou état, leur lieu de


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résidence, la dimension des parcelles, ce qu’on y trouve, les parcelles adjacentes et les dispositions pour le paiement de l’achat; comptant et en argent (espèce sonnante), par deux paiements ou plus, par exemple à la Saint-Michel (29 septembre), en lettres de change, en billets à ordre, parfois à être honorés en France, payables à la fois en argent et en marchandises et effets. Régler des comptes à la Saint-Michel est alors une pratique très répandue puisque c’est la fin de la saison de pêche d’été, lorsque la plupart des navires retournent en France ou vers d’autres colonies. Au-delà de ces moyens assez bien circonscrits, se profilent souvent des obligations accompagnants ces versements d’argent. On pense ici au remboursement de sommes non payées pour l’obtention de matériaux provenant des magasins du roi, ou encore de l’acceptation par l’acheteur d’effectuer des travaux d’amélioration ou d’aménagements sur la propriété acquise. Par exemple, suite à la vente d’une propriété aux sieurs Rodrigue Frères par Jean Marcadet, ce dernier s’engage à « brûler les prairies et raccommoder les cabanes » sans qu’il n’en coûte rien aux Rodrigue. En revanche, ces derniers doivent fournir les outils et les matériaux nécessaires à la construction d’une cabane. Marcadet peut aussi continuer à couper du foin sur la propriété afin de combler les besoins alimentaires d’une vache par année, gardée en hivernement395! Un deuxième exemple implique une famille prestigieuse et dont les origines remontent à la colonie de Plaisance au 17e siècle. C’est ainsi que Charlotte Daccarrette, veuve le Neuf de Beaubassin, est représentée par Jean-Baptiste Dupleix Silvain lors d’une vente de terrain à l’habitant Robert Mancel. En fait, les deux parties cherchent à régler une question de bornes de terrain incertaines. L’acte de concession original en faveur de feu Beaubassin, remonte à 1769. Il semble que Mancel doive verser une compensation pour obtenir ou pour continuer de profiter d’une parcelle supplémentaire au coût de 420 livres, payables en lettre de change à La Rochelle en décembre 1785396. Mais un acte de vente de 1789 ne fait rien pour dissiper le flou planant sur les limites de la concession. Dans ce cas, le sieur Noré

Vente d’une propriété par Jean Marcadet aux sieurs Rodrigue Frères, 13 décembre 1783. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 55-56. Marcadet reçoit cette concession en 1766 au Barachois de Miquelon et il l’a vend aux Rodrigue pour 600 livres, dont 200 livres en espèce et le reste en marchandises. 396 Confirmation du titre de vente d’un terrain dépendant de la succession Le neuf de Beaubassin, par Charlotte Daccarrette à Robert Mancel, 11 septembre 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 7273v. 395


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(Norée) vend une partie de terrain à Louis le Male, mais dont les limites semblent causer une certaine confusion. En effet, on parle d’une petite portion de terre inculte n’ayant pour borne « que grosse pierre ». Ce terrain est adjacent à la grave Beaubassin, mais le vendeur ne peut en fournir aucune garantie sur ses limites, « plus ou moins reculées qu’elles sont dans le plan des concessions de graves déposé au gouvernement397». Dans d’autres situations, se négocient des clauses impliquant un droit de résidence en échange d’un loyer398. Je pense ici à un cas impliquant encore Charlotte Daccarrette, à nouveau représentée par Silvain. Cette fois, Daccarrette vend un terrain à une autre veuve soit Angélique Dugas (Jean-Baptiste Leblanc). Il s’agit d’une parcelle de 7 par 19 mètres, cédée pour 420 livres. Les deux parties conviennent en plus que dame Dugas jouira de quatre ou cinq mètres de terrain qui « se trouvaient restés entre les limites » de son terrain et la cabane de pêche construite sur la même habitation, en échange d’un loyer de trois livres par année durant dix années consécutives soit jusqu’en 1794. De plus, dame Dugas obtient que cette petite lisière de terrain soit « murée399». Il y a aussi des situations où l’acheteur accepte de rembourser la solde due pour la construction d’une maison et ce, au moment où le vendeur lui remet la propriété. Ainsi, en 1785, le commandant Danseville permet à l’officier Salager de vendre sa propriété. Toutefois, cette dernière a été construite avec des matériaux obtenus des magasins du roi; planches, chaux, briques, etc. Cette situation implique que l’acquéreur s’engage à payer ces matériaux dans l’espace de deux ans400. C’est en respectant cette clause que Nicolas Servan Mannet achète la propriété de Salager, en spécifiant que l’acheteur « se met entièrement au lieu et place dud Sr Salager » pour rembourser les « fournitures qui lui ont été faites des magasins du roi », employées à la construction de la maison se trouvant déjà

Ratification par Charles Jouet de la vente d’une partie de terrain faite par Noré à Louis le Male, 20 janvier 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 271-272. 398 La cohabitation peut représenter une source de revenu supplémentaire. Le premier degré consiste à verser un loyer pour l’occupation d’une ou plusieurs pièces du logement, d’où une vie commune fondée sur un rapport pécuniaire. Centaines de ces ententes sont officialisées devant notaires. On peut aussi penser à un arrangement lorsqu’une personne devenue âgée ou malade, n’est plus en mesure de subvenir à ses besoins. Charpentier, op.cit., p. 311. 399 Vente d’un terrain par Jean-Baptiste Dupleix Silvain, représentant Charlotte Daccarrette, à Angélique Dugas, 29 septembre 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 74-75v. 400 Permission accordée par Danseville à Salager de vendre sa propriété, 15 août 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 109. 397


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sur la propriété. En principe, la somme de 324 livres doit être versée à Salager au moment où il s’embarquera dans la frégate la Belette, pour l’Amérique à l’automne401. La même réalité prévaut lorsque Danseville permet à Louis Harel de vendre sa maison à Henri Antoine Defourny. Ce dernier accepte lui-aussi de rembourser « les matériaux qui seront dû au magasin du roi » et ayant été « employés à construire ladite maison ». Fait intéressant à noter, on précise que ce paiement ne devient obligatoire que « ci-après exigé par les administrateurs de la colonie402»! Même constat pour l’acte de vente d’une propriété par Michel Charrier à Yves Lescourbet et Julien Trublet. Ces messieurs doivent se charger de payer au roi les matériaux livrés aux vendeurs par les administrateurs de la colonie403. En termes de description des infrastructures des habitations de pêche et des responsabilités réciproques des deux parties, trois documents permettent d’en apprendre davantage à ce sujet. Par exemple, lorsque l’Acadien Jean Poirier en vient à une entente avec Balangué et Fils de Bayonne, représenté dans l’archipel par monsieur Lafourcade. Balangué écrit d’abord à Poirier qu’il désire acheter sa grave et que Lafourcade lui remettra la moitié de la somme demandée, et le « reste à la Saint-Michel ». Balangué demeure tout de même inquiet, puisqu’il craint que « la paix dont nous jouissons encore ne sera pas pour des années. Dieu veuille que je me trompe404». Poirier accepte formellement l’offre de Balangué, incluant son « habitation, son esquif et autres effets » pour 1 260 livres. Il confirme que l’esquif est calfaté, prêt à être mis à l’eau et que l’équipage est engagé405. André Chevalier dit Lhermite et son épouse Françoise Carrot, eux, ayant d’abord obtenu une concession de grave en 1786, décident de la vendre aux habitants Lourteig et Martin trois ans plus tard pour 2 400 livres. Toutefois, les acheteurs doivent accepter de respecter l’acte de location, déjà passée en faveur des sieurs Desroches Frères en 1788. Comme dans

Vente d’une propriété par Jacques Salager à Nicolas Servan Olivier Mannet, 15 août 1785. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 107-108v. 402 Vente d’une propriété par Louis Harel à Henry Antoine Defourny, 14 octobre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 85-87. 403 Vente d’une propriété par Michel Charrier et son épouse à Françoise Treguy, Yves Lescourbet et Julien Trublet, 1 novembre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 256-257. 404 Lettre de Balangué Fils à Jean Poirier, 15 février 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 216217v. 405 Déclaration de Jean Poirier concernant la cession de son établissement de pêche à Balangué, 6 mai 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 215-215v. 401


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le cas de la grave du défunt Beaubassin, il semble que là-aussi les vendeurs n’aient « aucune garantie quelconque quant aux limites plus ou moins étendues de ladite habitation ». On sait également que les acheteurs doivent s’entendre à ce sujet avec le commandant de l’archipel406. Finalement, François Le Boyer obtient 2 500 livres lorsqu’il vend une partie d’un établissement de pêche à Alexandre Gilles Blanchard. Le Boyer est de Bretagne et Blanchard de Saint-Servan, près de Saint-Malo. À l’origine, cette concession est accordée à François Milly en 1763 et Boyer, lui, l’a acquise des héritiers Milly. Blanchard reçoit également la moitié du chafaud et de tous les matériaux nécessaires à la construction d’une saline407. Noël Ross, pour sa part, représente le cas classique du père tentant de doter ses enfants Étiennette, Jeanne et Charles de chacun une parcelle de terrain. Il leur alloue un total de 410 mètres carrés, dont 194 mètres carrés à Charles. Le coût total de la vente se chiffre à 600 livres. Étiennette est l’épouse d’Henry Lemoyen, alors que Jeanne est connue comme dame veuve Joseph Malvillain. Sa parcelle est minuscule soit de 5 mètres sur 5 mètres408. C’est sans doute avec la même idée en tête que Charles Jouet cède une partie de grave à Élisabeth Norée, tout en se réservant les trois autres quarts pour ses enfants. Cette restriction veut dire que Norée ne peut éventuellement vendre que cette seule partie de l’habitation. Il s’agit là-aussi d’un moyen pour maintenir une partie du patrimoine familial à la disposition des héritiers409. Comme cela se produisit à quelques reprises dans les colonies de pêche que furent Plaisance, l’Île Royale et la Gaspésie, à Saint-Pierre aussi certains habitants risquent de perdre leur propriété pour cause d’endettement410. Ainsi, en 1787, Jacques Legentil cède ses droits de propriété dans un établissement de pêche à La Touche Pinault, Marchal et Vente d’un établissement de pêche par André Chevalier dit L’hermite à Lourteig et Martin, 10 septembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 298-299v. 407 Vente d’une partie d’un établissement de pêche par François Le Boyer à Alexandre Gilles Blanchard, 9 octobre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 306-307. 408 Vente de portions de terrains par Noël Ross à ses enfants, 12 juillet 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 66-66v. 409 Cession de droits dans un établissement de pêche par Charles Jouet à Élisabeth Norey, 28 septembre 1783. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 51-51v. 410 Dans la France d’Ancien Régime, l’endettement n’est pas spécifique aux gens de mer mais semble toutefois y être davantage répandue. Cet endettement découle le plus souvent de dépenses quotidiennes, de versement d’impôts, de location de logement, d’une terre, d’achat de matériel pour équiper un bateau, etc. Charpentier, op.cit., p. 315-316. 406


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Destebetcho, négociants « habitués de cette île ». La transaction englobe les cabanes, le chafaud, un esquif, les effets et ustensiles de pêche. Ils peuvent exploiter l’habitation à leur convenance, « jusqu’à parfait payement des sommes » que Legentil leur doit à eux et à d’autres créanciers de l’archipel. Par contre, les bénéficiaires s’engagent à ne pas laisser l’habitation se détériorer411. Notons qu’une entente antérieure a déjà été conclue entre les mêmes individus, confirmant dès lors les difficultés financières de Legenty. À ce momentlà, il « abandonne et hypothèque » à ses créanciers Bannet, La Touche Pinault, Le Male, Lourteig, tous habitants, « ses droits et prétentions à la jouissance de son habitation de l’Anse à Tréhouard ». Il leur doit tous de l’argent et cette cession s’applique jusqu’à « parfait paiement de leurs créances ». Ils détiennent également la priorité pour la sécherie des morues et s’assurent 5% de la pêche de Legenty. Ce dernier doit aussi verser un loyer pour sa propre chaloupe et ses dépendances, à raison de douze quintaux de morue marchande. Enfin, il leur abandonne le tiers des salaires et bénéfices pouvant découler de son travail sur ladite habitation. Et ce, autant à titre de maître de grave, maître de chaloupe, « ou autrement ». S’il ne rencontre pas les conditions dictées ci-haut, il « sera déchu du privilège de travailler sur ladite grave et de se servir de ladite chaloupe ». Les créanciers ont alors le droit de faire « vendre judiciairement ou de louer tous les objets qui peuvent lui appartenir en cette colonie412». Toujours dans une perspective de règlement de comptes, deux négociants de Saint-Pierre passent une convention en 1786 soit Mémoire de Blagnac et Bernard Lafitte. Blagnac vend à Lafitte la moitié du terrain anciennement détenu par le sieur Claparedon, acquis en 1775 de la société Rodrigue Frères. Depuis la dernière reprise de l’archipel par la France, Lafitte y a construit à ses frais maisons et magasins. Mais suite à la vente d’une parcelle de 10 mètres sur 10 mètres par Lafitte aux sieurs Mancel et Desperles en octobre 1783, le terrain convoité par Lafitte auprès de Blagnac s’en est trouvé réduit à 15 mètres de face à la rue de l’intendance sur 21 mètres de profondeur. C’est donc cette parcelle que Mémoire de Blagnac vend à Lafitte pour 750 livres. Le terrain ne sera toutefois payé qu’en 1786 pour,

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Cession de droits de propriété dans un établissement de pêche par Jacques Legenty à La Touche Pinault Marchal et Destebetcho, 30 octobre 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 204-205v. 412 Entente conclue entre Jacques Legenty et ses créanciers Marchal Bannet, négociant, La Touche Pinault, Le Male, Lourteig, Masson et Guillaume Desroches, habitants, 10 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 208-209.


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semble-t-il, régler leurs comptes. Blagnac reconnait que Lafitte lui a accordé un crédit de 1 000 livres pour « sa demie de 2 000 livres », découlant de la vente de la parcelle à Mancel et Desperles. Par la même occasion, Blagnac et Lafitte annulent un marché passé entre eux en octobre 1764 pour vente d’une portion de terrain. Il reste donc à Blagnac une parcelle de 7 mètres sur 21 mètres, attenante à la propriété de veuve Debon (Jeanne-Marie Letourneur) à l’est et au sieur Pradère Niquet au nord. Lafitte s’engage alors à enlever son magasin de cette parcelle413. Également, il arrive que des propriétés changent de mains par donation. Ainsi, en 1772, Louis Jouet fait don de propriété à Élisabeth Banet et Jean Norée. Jouet est négociant et capitaine de navire et désire ainsi « récompenser » Banet pour « ses bons services414». De manière plus précise, Jouet lui cède la moitié d’un terrain lui ayant été octroyé par d’Angeac à Saint-Pierre, incluant certaines bâtisses et cabanes « bâties et à bâtir ». Elle peut également utiliser la moitié du chafaud415. Dans une entente survenant entre la veuve Louis Frécourt (Marie-Jeanne Fich), habitante, et Auguste-Marie Hervé de Saint-Malo, la veuve cède à Hervé ses droits sur le terrain situé à Saint-Pierre, concédé à son défunt mari en 1784 par l’administration de l’archipel. Le terrain fait 20 mètres carrés. L’entente inclut les matériaux de construction obtenus des magasins du roi à ce jour soit 520 mètres de planche en bois de charpente, 24 kg de clous, 20 kg de clous à madrier, 16 kg de clous de cinq pouces, six serrures, six pentures avec leurs gonds et quatre milliers de bardeaux. Comme on l’a vu dans d’autres ventes relatées plus haut, ici aussi celui recevant la propriété s’engage à payer ces matériaux au roi si on lui réclame. En contrepartie, la veuve, elle, se voit garantir un logement dans la maison qu’Hervé envisage de construire sur le terrain en question. Cette dernière donnerait en principe sur la rue de l’Étang, aura neuf mètres de large avec une cheminée au milieu et un cabinet. La veuve sera aussi maîtresse du logement qui lui est réservé et décidera de son

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Convention entre Mémoire de Blagnac et Bernard Lafitte. Quittance par Blagnac à Lafitte datée du 24 septembre 1789, 7 janvier 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 139-140v. 414 Chez les négociants de La Rochelle au 18e siècle, il arrive que pour récompenser les domestiques de « leurs services et leur attachement à la maison », ils se voient attribuer des vêtements, meubles, bijoux et même argent. Martinetti, op.cit., p. 211. 415 Donation de propriété par Louis Jouet à Élisabeth Banet et Jean Noré, 4 février 1772. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 267-268v.


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ameublement et de ses besoins. Elle s’attend aussi d’avoir accès à une cour et un jardin, à l’arrière de la maison416. Le dépouillement de ces transactions permet donc d’identifier des mentions de concessions, dont je fournis deux exemples. Ainsi, en 1764, Jacques Treguy reçoit un terrain de D’Angeac et de l’ordonnateur Jacques-François Barbel. Il est situé à Saint-Pierre et Treguy peut « y faire bâtir maison, chafaud et jardin », borné par le terrain de François Dubordieux et celui de Pierre Bertrand417. Deux ans plus tard, en 1766, c’est au tour de Jean Marcadet de pourvoir s’établir, cette fois au Barachois de Miquelon. Il y demeure jusqu’en 1778, lors de la prise de l’archipel par les Anglais et en 1783, Malherbe lui accorde la permission de s’y ré-établir ou de « louer et même vendre ladite habitation418». 3.2-Baux et locations de graves dans l’archipel 1784-1790 Quels types d’informations retrouve-t-on dans les documents de baux et de locations de graves? D’abord, sur ces terrains, on dénombre généralement un certain nombre d’infrastructures dont une grave aménagée, la maison, des magasins, un jardin, un chafaud, une ou des cabanes, une saline et une cour. Lorsque vient le temps de s’entendre sur les obligations des deux parties, on commence d’abord par négocier des conditions de paiement incluant la séquence des versements, les montants, les échéances, et si le tout est payé en argent, en marchandises ou avec un pourcentage de la pêche. Les parties peuvent aussi négocier des travaux d’amélioration, ou encore des clauses compensatoires en cas de guerre. D’après les quatorze actes de notre corpus, la durée moyenne des baux est de 4,5 ans à un coût d’environ 683 livres par année. D’abord, qu’en est-il des négociations pour fixer les conditions de paiements? En 1784, Charles Jouet et Michel Noré, tuteur des enfants mineurs de feu Jean Noré, passent une entente de bail pour deux graves avec Edmée Henry (chirurgien-major), Jean Mainville et Pierre Saint-Martin. Le loyer s’étend sur sept ans et les locataires verseront un paiement

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Donation réciproque entre la veuve Frécourt et Auguste Marie Hervé, 28 novembre 1785. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 135-137. 417 Concession d’un terrain par Dangeac et Barbel à Jacques Treguy, 1 août 1764. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 117-117v. 418 Permission accordée à Jean Marcadet de s’établir au Barachois de Miquelon, 30 octobre 1766. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 57.


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annuel de 350 livres, le jour de la Saint-Michel (29 septembre). Ces paiements peuvent s’effectuer en espèces sonnantes ou en « belle morue marchande » de prime, à raison de vingt livres le quintal. En plus du paiement ainsi convenu, une clause plutôt inusitée apparaît soit qu’Edmée Henry, chirurgien major de la colonie, offre gratuitement des soins à Charles Jouet et à ses enfants mineurs Michel, Christian et Blaise pendant toute la durée du bail! Les deux autres sections de ce document reviennent régulièrement dans les autres baux et contrats de locations, soit les toujours possibles rénovations ou encore le processus prévalant en cas de guerre. Ainsi, si les sieurs Edmée Henry et société décident de construire des bâtiments ou d’effectuer quelque « amélioration » que ce soit, ils le font à leurs frais et au seul bénéfice des propriétaires une fois le bail terminé. Ce genre de condition revient de manière à peu près constante dans la majorité des ententes. Ensuite, en cas de guerre, les locataires n’ont qu’à remettre l’établissement aux propriétaires et le loyer cessera. Les frais du loyer ne s’appliqueront que jusqu’à ce jour419. En juin 1785, au moment de partir en France, Jouet nomme le sieur Alexis-Bertrand Dubois, négociant de Saint-Pierre, pour collecter le loyer à sa place mais aussi pour verser 200 livres à titre de remboursement des matériaux reçu des magasin du roi par la veuve Norée. Une autre somme de 50 livres sera versée pour les même raisons mais cette fois-ci, pour des matériaux achetés par Jouet lui-même420. La même année, Jouet loue une autre propriété, cette fois à Marsans Saruble, capitaine de navire de passage à Saint-Pierre. Dans ce cas-ci, le versement du loyer s’effectue à chaque 15 mai et en espèces sonnantes. À noter que le locataire a alors déjà versé un dépôt de 300 livres, pour couvrir la première des trois années du bail. Dans le cas des toujours possibles rénovations, on parle plutôt d’ « entourage du jardin ou de bâtiment421».

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Bail de deux graves par Carles Jouet et Michel Noré à Edme Henry, Jean Mainville et Pierre SaintMartin, 14 octobre 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 80-84v. Geneviève Le Tourneur est un peu plus précise lorsque vient le temps de négocier le processus à suivre en cas de guerre. Ainsi, si la colonie était cédée à « l’ennemi » après le mois de juin, le locataire Dujardin Pinte de Vin devrait payer la moitié du loyer annuel soit 450 livres. Bail d’un établissement de pêche et d’un magasin par Geneviève Le Tourneur à Dujardin Pinte de Vin, 22 septembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 302-303. 420 Procuration par Charles Jouet au sieur Dubois, 4 juin 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 9798. 421 Location par Charles Jouet à Marsans Saruble d’une propriété, maison, magasin, 30 avril 1785. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 95-96.


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Pour sa part, la veuve Bonnière, habitante de Saint-Pierre, s’entend avec De Croix et Geoffroy pour qu’ils lui versent 5% « de toutes les morues qui seront bonifiées sur ladite grave ». On parle ici de la morue marchande et résultante de tous les voyages de pêche, en goélette ou en chaloupe, effectués durant la saison. La grave en question est située sur l’île aux Chiens422. L’entente entre Loyer Deslandes et Bertrand Doyambehere, représentant du sieur Dascoul, implique également un paiement de « 5% de la pêche totale desdits deux bâtiments » et ce, sur tous les voyages de la saison. Doyambehere peut donc bénéficier de la même partie de grave en 1789 qu’en 1788, et peut même « l’augmenter autant qu’il le jugera à propos ». Une clause assez particulière figure à cette entente à savoir qu’ « en cas de mort dud armateur (Dascoul) avant l’époque des armements à Saint-Jean-de-Luz », le présent acte devient « de nul effet » et Doyambehere doit en prévenir la dame Deslandes par lettre à Saint-Pierre et Miquelon, ainsi que son mari à Granville423. Toutefois, à l’occasion, un imbroglio peut surgir au sujet des droits de propriété d’infrastructures se trouvant sur une grave. C’est le cas lorsque Jacques Treguy reçoit un paiement à la fois en argent et en vivres « pour la subsistance de sa famille », pour la location d’une grave à Guillaume Mancel424. Mancel et son associé Jacques Richard, doivent ainsi déclarer formellement que la « moitié de chafaud et sa moitié de saline » appartiennent bel et bien au sieur Toursac. Ils désirent par le fait même rassurer ce dernier à ce sujet, mais en l’avisant que ces droits « ne pourront s’étendre sur les augmentations » que Mancel fera sur la grave jusqu’à la fin du bail. À moins que les parties s’entendent à ce sujet425.

Location d’une grave par la veuve Bonnière à Lefrêne Descroix et Guillaume Geoffroy, 17 octobre 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 124-125v. 423 Location d’une grave par Loyer Deslandes à Bertrand Doyambehere, représentant Dascoul, 30 octobre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f. 254-255. 424 Quittance par Jacques Treguy à Guillaume Mancel, pour le loyer d’une grave, 29 octobre 1787. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 201. Sur le point de partir en France en octobre 1787 avec sa famille, Treguy fait d’André Lavaquière son procurateur. Ce dernier est habitant et négociant de Saint-Pierre et doit s’occuper de collecter le loyer de cette grave auprès du locataire Guillaume Mancel. On parle d’un paiement de 500 livres par année, versé à la Saint-Michel, en espèces ou en morues loyales et marchandes. Procuration par Jacques Treguy à André Lavaquere, 28 octobre 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 199-200. 425 Déclaration de Jacques Treguy et Guillaume Mancel concernant certains droits de propriété de Toursac, 29 octobre 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 202-203. 422


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Deux autres baux d’établissements de pêche diffèrent passablement de ceux évoqués jusqu’à maintenant en termes de responsabilités mutuelles des propriétaires et des locataires. Dans le premier cas, Geneviève Le Tourneur loue à Dujardin Pinte de Vin, capitaine de Saint-Malo, son habitation de pêche de l’île aux Chiens et son magasin « en ville », près de l’habitation Silvain, de même que le terrain sur lequel il se trouve. Alors que la propriétaire ne s’engage à effectuer aucuns travaux d’amélioration426, c’est tout le contraire dans l’entente liant Jacques Treguy à Pierre Jacques Richard, de Normandie. Treguy accepte à construire un chafaud pour deux chaloupes, de fournir le bois et les clous et de « monter lui-même » cette infrastructure en garantissant sa disponibilité pour le début de la prochaine saison de pêche. En contrepartie, les équipages de Richard doivent l’assister dans cette tâche. Également, si Richard lui-même effectue des travaux d’amélioration sur l’établissement en question, Treguy en tiendra compte. Par exemple, si Richard décide de construire la saline « à la queue dudit chafaud projeté », Treguy pourrait enlever du loyer le coût des planches et des piquets nécessaires au projet. Cette déduction s’appliquerait seulement sur la dernière année du bail427. À l’occasion, la location se limite à des édifices spécifiques et mon corpus comporte six cas de ce genre; maisons, magasins, terrains sur lesquels se trouvent ces édifices, boulangerie, dépendances de tout genre, jardin. Dans à peu près tous ces cas, les locataires doivent s’attendre à devoir effectuer des travaux d’amélioration quelconques. Pour les propriétaires, il s’agit là d’une occasion rêvée d’accroître la valeur d’une propriété tout en retirant un loyer. Globalement, la durée moyenne de ce genre de baux est de quatre ans à un coût moyen annuel de 741 livres. Parfois, comme pour l’entente liant l’habitante dame Debon aux charpentiers Jean Doumergue et Jean Garnache, on parle en réalité de deux contrats. Dans un premier temps, elle loue sa maison située entre celles des sieurs Lafitte et de veuve Debon fille, avec le terrain pour 500 livres. Dans un deuxième temps, s’ajoutent un magasin avec une partie de cour pour 100 livres. Pour les deux cas, il s’agit d’un loyer d’un an seulement puisqu’il est

Bail d’un établissement de pêche et d’un magasin par Geneviève Le Tourneur à Dujardin Pinte de Vin, 22 septembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 302-303. 427 Location d’un établissement de pêche par Jacques Treguy à Pierre Jacques Richard, 26 septembre 1790. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 115-116. 426


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possible que ces deux charpentiers de maisons soient employés par le roi pour simplement reconstruire les infrastructures essentielles à la réoccupation de la colonie par la France. Mais leurs temps libres sont obligatoirement consacrés à « achever la maison » qu’ils ont loué et au terme du bail, dame Debon mère peut décider d’en déduire les coûts du loyer en question428. La même journée, cette même veuve Debon loue pour neuf ans une maison et une boulangerie à Denis Itan dit Champagne, à raison de 350 livres par année. L’entente inclut la cheminée simple dans la maison et aucune rénovation particulière n’est mentionnée. Toutefois, tout est annulé le 1er novembre 1792 par consentement mutuel et le solde dû par Champagne se chiffre à 125 livres. Ici aussi, on se préoccupe des répercutions d’une guerre prochaine et si cela devait survenir, le locataire ne verserait que la moitié du loyer429. Un citoyen américain, Joseph Powell, est installé à Saint-Pierre en 1787 et loue une propriété de Jean Philibert pour 1 200 livres par année durant quatre ans. Cela inclue maison, terrain et dépendances. Il se retrouve en plein milieu d’un réseau de voisins importants dans l’économie de l’archipel: Niquet, Debon, Vital Chevalier, Ross et Martin. Le sieur Philibert se réserve toutefois l’emplacement d’un « magasin dernièrement brûlé » quoique Powell a la liberté « d’en clôturer » l’emplacement et de s’en servir jusqu’à ce qu’il soit réclamé par le propriétaire. Le loyer est versé à chaque six mois, soit 600 livres d’avance au 15 octobre et 600 livres au 15 avril. On y ajoute 200 livres d’avance annuelle pour payer le loyer de la quatrième année. Les avances seront toutefois remboursées au cas où la guerre viendrait interrompre l’entente. Avant de remettre la maison à Powell, Philibert doit cependant la « couvrir de bardeaux, finir des chambres du haut ainsi que remplacer des carreaux aux vitres ». Un « billard avec ses billes » est inclus dans la location. De son côté, Powell s’engage d’y faire poser un tapis430! Il y a aussi passablement de travaux d’impliqués dans l’entente liant Jean Bunel et Nicolas Dufresne. La location de « la maison, son jardin et dépendances » est effective pour six Bail d’une propriété par la veuve Lebon à Jean Doumergue et Jean Garnache, 7 avril 1786. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 146-147. 429 Bail d’une propriété par la veuve Debon à Denis Itan dit Champagne. Annulation de ce bail le 1 er novembre 1792, 7 avril 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 148-150v. 430 Bail d’une propriété par Jean Philibert à Joseph Powell, 24 mars 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 186-188v. 428


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ans, à raison de 200 livres par année. Le coût plutôt modeste du loyer s’explique peut-être en raison des nombreux travaux à effectuer sur la maison et ce, aux frais du locataire; faire une cheminée en briques maçonnées, les planchers du haut et du bas à « embouffter », le toit de la maison à réparer, installer les châssis et les vitres manquants. Si le locataire effectue tous ces travaux promptement, la première année du loyer sera gratuite. Il est également convenu que les paiements du loyer se fassent en espèce et non en morues431. Au contraire, la location d’une boulangerie par Bernard Lafitte père à Jacques Dandonneau et Jean Basset, ne mentionne aucune obligation de travaux d’amélioration et se limite à une année pour un loyer de 1 800 livres. Les locataires reçoivent par contre tous les ustensiles et effets nécessaires. Pourra être déduit du loyer le « montant des cuissons du pain », consommé par la maison Lafitte et les équipages de ses bâtiments de pêche. Au cas où le garçon Lafitte décide d’abandonner son travail à la boulangerie, il doit être remplacé par Dandonneau jusqu’au retour de Basset, passé en France. Lafitte père s’engage à tenir compte du temps que Dandonneau consacrerait à cette tâche, au moment de finaliser le paiement définitif432. Dans les situations où des ententes surviennent entre parents, on peut à l’occasion voir poindre certaines particularités à l’intérieur des clauses standards. Par exemple, en 1786, Marguerite Banet, veuve Pinault, est habitante à Saint-Pierre et tutrice de ses enfants mineurs. Elle accepte de louer une partie de sa grave de l’île aux Chiens à son frère Pierre Joseph Banet pour sept ans, à raison de 300 livres par année. La propriétaire insiste pour dire « qu’elle n’entrera dans aucune dépense pour les bâtiments, chafauds, cabanes, saline et améliorations que led sieur fera ou pourra faire durant la durée du présent bail ». Contrairement à d’autres ententes, au terme du bail, il n’y aura plus que la moitié des « bâtisses et améliorations » qui appartiendront en toute propriété à la veuve Pinault433. 3.3-Accès aux embarcations

Bail d’une propriété par Jean Bunel à Nicolas Dufresne, 19 mai 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 286-287. 432 Location de la boulangerie par Bernard Lafitte à Jacques Dandonneau et Jean Basset, 10 novembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 323-325v. 433 Location d’un partie d’une grave par Marguerite Banet à Pierre-Joseph Banet, 4 avril 1786. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 144-145v. 431


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Dans cette section, je m’intéresse aux ventes et locations d’embarcations que sont les chaloupes, barquettes, esquifs, bateaux ou goélettes434. En tout, on parle de 23 transactions dont quatorze ventes de chaloupes. Pour ces dernières, la moyenne se chiffre à 695 livres par chaloupe alors que pour les quatre goélettes, elle est de 6 875 livres. Fait à noter, dix de ces chaloupes sont vendues par des habitants anglais de Terre-Neuve à des Français de l’archipel. En ce qui a trait aux trois esquifs changeant de mains, leur prix moyen est de 644 livres et pour une barquette il est de 440 livres. En général, avec la chaloupe viennent « tous les agrès et apparaux ». Sauf que dans la vente par Martin Doyle à Jean-Baptiste Heurtaud, l’entente exclue « l’ornière et le grappin 435». Au moins une de ces ventes résulte probablement du malheur d’un autre. Ainsi, en 1786, le sieur Curgabandoux dit Toursac, habitant, vend deux chaloupes à Guillaume Mancel pour 1 140 livres. Hors, Toursac s’était vu adjugé ces deux chaloupes lors de la vente judiciaire ayant eu lieu peu avant à l’amirauté de Saint-Pierre. Elles ont auparavant appartenues aux sieurs Rodrigue Frères qui, on le sait, finissent par abandonner leur entreprise dans l’archipel. Après avoir effectué l’inventaire des chaloupes, le prix initial est diminué de 60 livres parce que la voile n’est pas comprise. Les versements doivent se faire à la Saint-Michel, « soit en espèces, soit en morues loyales et marchandes », à raison de vingt livres le quintal. Mais leur valeur peut être réduite, si jamais on ne les classe pas marchandes436. Un paiement peut aussi se faire en bois, ressource rare dans l’archipel. C’est précisément ce que demande la veuve Dupont à l’habitant François Pichot, en 1787. La moitié du prix de vente sera versée en bois franc, à raison de 25 livres la corde et le reste en espèce437. Dans le cas de la vente d’une barquette en 1786, si jamais l’acheteur Jacques Treguy n’est pas en mesure de verser le paiement en espèce sonnante à la Saint-Michel, il est obligé de Sur la côte anglaise de Terre-Neuve durant les années 1730, la vente d’une chaloupe peut rapporter de 20 à 25 livres sterling. Mannion, op.cit., p. 240. 435 Vente d’une chaloupe de pêche par Martin Doyle à Jean-Baptiste Heurtaud, 22 août 1784. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 48-48v. La barquette vendue par Lemoine à Jacques Treguy en 1786 fait huit mètres de quille avec ses mâts, voile et avirons. Vente d’une barquette par Lemoine à Jacques Treguy, 17 mai 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 152-152v. 436 Vente de deux chaloupes par Toursac à Guillaume Mancel, 7 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 171-172. 437 Vente d’une chaloupe par la veuve Dupont à François Pichot, 13 mars 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 184-185. 434


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« remettre ladite voiture au sieur vendeur » avec tous les gréements et ustensiles. Ce qui revient à dire que Treguy aurait en quelque sorte loué la barquette, pour l’équivalent de 240 livres438. Lorsque Dupleix-Silvain Frères vendent deux esquifs à Guillaume Mancel en septembre 1788, ce dernier doit verser 750 livres en octobre, 200 livres au printemps 1789 lors de la livraison de sa morue d’automne (1788) et un dernier versement de 600 livres à la Saint-Michel 1789, pour un total de 1 550 livres439. Le même Mancel, associé à Charles Lemarchand, achète également un autre esquif, cette fois de Claude Martin. L’embarcation fait dix mètres de quille, incluant un grappin, les manœuvres, un compas, un balancier et un gouvernail. Le tout pour 350 livres, à verser en morues marchandes (vingt livres le quintal) à la Saint-Michel et le reste à celle de 1790440. Finalement, lorsque Edmée Henry loue une barquette de Charles La Mouline, elle vient avec « tous ses apparaux, une aunière, deux grappins, trois avirons, un compas et un gouvernail ». Le tout pour 200 livres payables en « espèces sonnantes et pas autrement ». En cas de perte de l’embarcation, le locataire doit verser 500 livres à La Mouline441. L’on ne se surprendra pas de constater que les actes de ventes de goélettes sont plus élaborés que ceux des chaloupes. Là aussi, un inventaire de l’embarcation est effectué au moment de la vente. Ainsi, sur le Dauphin (60 tonneaux), se trouvent du « sel, gréement, apparaux » et autres « appartenances442». Dans une convention conclue en septembre 1787, on constate la complexité pouvant transpirer de ce genre de transaction et surtout en cas de guerre. Bernard Lermett est alors capitaine du navire le Basque, de Bayonne, et il s’entend avec John Powell, récemment « habitué en cette île » de Saint-Pierre. Les deux hommes complètent ainsi la vente de la goélette les Deux Sœurs, dont le coût total atteint 4 000 livres. L’enjeu se limite ici au versement de la deuxième moitié du prix convenu, soit 2 000 livres que Lermett reconnaît devoir à Powell. Notons cependant que ces deux hommes Vente d’une barquette par Lemoine à Jacques Treguy, 17 mai 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 152-152v. 439 Vente de deux esquifs par Dupleix-Silvain Frères à Guillaume Mancel, 30 septembre 1788. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 237-239. 440 Vente d’un esquif par Claude Martin à Guillaume Mancel et Charles Lemarchand, 17 septembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 300-301. 441 Location d’une barquette par Charles La Mouline à Edme Henry, 15 mai 1786. BAC-MG1-G3. Bobine F632, vol. 478, f 151-151v. 442 Vente d’une goélette, le Dauphin, par Benjamin Petitpas à Latouche Pinault, Dujardin et Jacques Cannevas, 28 juillet 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 224-225. 438


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agissent à titre de représentants, pour conclure une transaction effectuée entre les sieurs Tacker de Boston et le sieur Mullom de Bayonne, armateur de Lermett. Grâce à Lermett et Powell, agissant comme représentants, Tacker est ainsi en mesure de vendre la goélette à Mullon. Selon ma compréhension de l’entente, la transaction doit se conclure au plus tard en mai 1788, à la condition qu’il n’y ait pas de « guerre réellement déclarée entre l’Angleterre et la France443». La vente du bateau le Postillon (30 tonneaux), elle, s’étend de mai à août 1788. En mai, le négociant Jean Dandaule, de Saint-Pierre de la Martinique, nomme le négociant Bernard Lafitte, habitant de Saint-Pierre, comme son « procureur spécial et général », pour vendre ce navire dans l’archipel « au prix le plus avantageux ». C’est finalement André Lafitte qui s’avère être l’acheteur et ce, pour la somme de 8 000 livres444. C’est toutefois l’entente entre Pierre Letourneur et Servan de Malvillain qui nous en apprend le plus sur les détails de ce genre de transaction. Dans ce cas-ci, Letourneur décide de vendre ses parts détenues dans la goélette la Marie-Jeanne à Malvillain. Les deux sont habitants de Saint-Pierre et le deuxième est capitaine de navire. Les parts sont donc vendues pour 3 500 livres, dont le paiement s’effectuera à raison d’au moins 1 000 livres par année à compter de septembre 1787. Entre autres conditions, durant les trois prochains voyages de la Marie-Jeanne en France ou ailleurs, Letourneur bénéficie d’ « un tonneau de port gratis d’encombrement » pour le transport de marchandises qu’il jugera à propos. Au moment de conclure l’entente, le navire s’apprête justement à appareiller pour la France avec une cargaison de morues sèches et d’huile de poisson. Avec les revenus de la vente, Malvillain s’engage à rembourser les dettes contractées l’année précédente pour l’armement de la goélette. Ensuite, l’argent restant sera divisé en deux parts dont l’une réservée à Letourneur, qui recevra le tout en espèces ou en marchandises. En cas de perte

443

Convention entre Bernard Lermett et Joseph (John?) Powell, 2 novembre 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 206-207v. Il semble que les sieurs Tacker et Mullom tentent ici de former une société, en investissant chacun 2 000 livres dans la goélette les Deux Sœurs. Mais la guerre risque de changer les choses et si Powell est en mesure de sauver la goélette, il pourrait en devenir propriétaire. De son côté, pour espérer devenir officiellement propriétaire de la goélette, Lermett doit verser l’argent au plus tard le 30 mai 1788. 444 Vente du bateau le Postillon par Bernard Lafitte, représentant de Jean Dandaule à André Lafitte. Procuration par Jean Dandaule à Bernard Lafitte datée du 13 mai 1788, 18 août 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 226-229.


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du bâtiment à Saint-Malo ou ailleurs, le débit est porté au compte de Malvillain qui doit alors verser l’équivalent des 3 500 livres à Letourneur. Cet argent proviendrait en principe de la « rentrée des assurances445». Finalement, au moment du déchargement des morues en France, Malvillain ne doit contracter aucun autre frais que ceux relatifs au débarquement. Au retour vers l’archipel, il est responsable de ramener un garçon (mousse) gratuitement446. Finalement, à l’automne 1788, des capitaines de navires s’échangent deux goélettes. C’est ainsi que La Touche Pinault et Dujardin Pinte de Vin, cèdent la Bonne Mère à Gilbert en échange de la Joséphine. On estime la valeur de cette goélette à 8 100 livres. À l’origine, Gilbert l’a acquise lors d’une vente judiciaire à l’amirauté de Saint-Pierre. En réalité, les contractants estiment alors que le navire en tant que tel vaut 6 000 livres et que sa cargaison peut rapporter 2 000 livres « en traite » à Saint-Malo447. Mais d’où viennent les personnes effectuant ces transactions et quelles sont leurs « qualités » ou état? Neuf sont des Anglais de Terre-Neuve vendant des chaloupes à des habitants de l’archipel et sept sont des capitaines de navires de France, de passage dans la colonie. Mais la majorité, vingt-quatre, sont habitants de l’archipel dont quelques-uns sont négociants tels Pierre Douville, Bernard Lafitte, Edmée Henry fils, Pierre Vigneau, Destebetcho, Guillaume Hiriart, Le Moyne ou encore Dupleix Silvain Frères. Mais en plus d’acheter ou de louer des embarcations, les intéressés peuvent aussi en faire construire, que ce soit chaloupe, esquif ou même goélette. Ainsi, l’habitant Jean Bunel s’entend avec Lefresne Descroix et Geffroy pour leur fournir les bois et autres matériaux nécessaires à la construction de deux chaloupes. L’une sera de 10 mètres de quille et l’autre de 10,6 mètres et ce, au coût total de 540 livres. Les quilles, l’étambot et l’étrave seront en merisier ou en « prusse » (épinette). Par la même occasion, Bunel loue aux mêmes

En 1751 à La Rochelle, Emmanuel Weis et compagnie se spécialisent dans l’assurance maritime. Ils assurent autant les navires étrangers que français jusqu’à 40 000 livres. Les associés sont solidaires dans les pertes et les profits. Martinetti, op.cit., p. 132. À Salem et Marblehead en Nouvelle-Angleterre, les marchands de poisson assurent également leurs vaisseaux et ce, autant pour la pêche que le commerce. Magra, op.cit., p. 41. 446 Vente de ses parts dans la goélette la Marie-Jeanne par Pierre Letourneur à Servan de Malvillain, 2 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 168-169v. 447 Échange des goélettes la Bonne Mère et la Joséphine entre le sieur Gilbert et les sieurs La Touche Pinault, Dujardin Pinte de Vin et Canneval, 12 octobre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 240241. 445


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personnes un chafaud, une grave et une saline pour la pêche d’automne de deux chaloupes, à raison de 100 livres448. La même année, en 1785, Bernard Doyambehere passe un marché avec l’habitant Armand Vigneau de Miquelon pour que ce dernier lui construise un esquif de 10 mètres de quille sur 3,2 mètres de banc, y compris la « mature proportionnée », gouvernail, vergues, ballastant, bordage en pain, en frêne, en merisier ou en chêne d’au moins un pouce d’épaisseur. L’embarcation devra être livrée le 15 avril 1786, pour 700 livres en espèce. Cependant, Doyambehere doit fournir deux quintaux de clous et du mortier avant qu’il ne reparte pour la France à l’automne449. Finalement, l’habitant Abraham Vigneau accepte de « hausser et mettre en goélette la chaloupe du sieur Jean Lefebvre ». Il s’agit en fait de construire une chaloupe pour la somme de 400 livres, remis en deux versements avant et au terme de l’ouvrage. Les paiements se font en espèce ou en vivres, au choix de Vigneau450. 3.4-Prêts et endettement Dans l’historiographie des pêches du Canada atlantique, une bonne place est consacrée au phénomène d’endettement des pêcheurs. La même réalité s’applique aux habitants et commerçants de l’archipel qui, à l’image de ceux de Plaisance, de l’île Royale, de la Gaspésie ou de Terre-Neuve, sont souvent confrontés à des conditions financières difficiles. Les quelques rares documents disponibles, permettent d’observer la situation financière de certains habitants entre 1784 et 1789. Ces documents révèlent en réalité deux situations soit l’une où les dettes contractées sont en-deçà de 1 000 livres, et l’autre où l’on constate des montants plutôt importants. Dans la première catégorie, la moyenne des montants en jeu est de 372 livres pour les quatre cas en question. D’abord, François Anquetil et Charles Fouquet jouent de malchance puisque qu’Anquetil égare le document d’obligation démontrant que Jacques Richard leur

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Marché conclu entre Jean Bunel et Lefresne Descroix et Geoffroy, 5 octobre 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 120-121v. 449 Marché conclu entre Bernard Doyambehere et Armand Vignau dit son Petit, 13 octobre 1785. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 122-123. 450 Marché entre Abraham Vigneau et Jean Lefebvre, 2 décembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 177-178v. Ce dernier représente Ganne Lainé et Compagnie de Granville.


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doit 100 livres chacun. Mais la formulation de l’acte de quittance n’est pas clair, à savoir si la dette est ou non remboursée ou si elle le sera dans un avenir rapproché451. Vient ensuite l’exemple typique d’un habitant fortement endetté et condamné à des conditions de remboursement plutôt excessives. Ainsi, en novembre 1786, Jacques Legentil, natif de Granville mais devenu « habitué » de Saint-Pierre, reconnait devoir un total de 827 livres au capitaine de navire La Touche Pinault. Un premier emprunt de 400 livres est contracté pour « son urgent besoin » et doit être remboursé dans quatre ans soit en 1790. À titre d’intérêt, Legentil verse à Pinault un quintal de « belle morue de prime loyale et marchande » au jour de la Saint-Michel. Pour garantir ce prêt, Legentil « hypothèque et engage tous ses biens situés en France ou ailleurs ». Entre autres, sa « partie et portion d’héritage » lui revenant de son père. Toutefois, à défaut de remboursement complet au terme des quatre années prévues, Pinault peut continuer de recevoir le quintal de morue annuel ou vingt livres en espèce, aussi longtemps qu’il le juge convenable et cela, « sans préjudice du remboursement » de son capital qu’il est en droit d’exiger à sa convenance. Le deuxième prêt, de 427 livres celui-là, doit être remboursé au domicile de Pierre Chenel dans la paroisse de Saint-Pierre, près de Granville. Mais la date de remboursement est plus pressante, soit en mars 1787. À défaut de quoi, Chenel recevra la part de l’héritage du père de Legentil452. En troisième lieu, Pierre Richard, de Genêt en Normandie, reconnait devoir 262 livres au négociant Destebetcho et s’engage à le rembourser en « bonnes et valables morues marchandes ou réduites » à la Saint-Michel soit dans un délai de trois mois453. Finalement, une situation sans doute commune dans les colonies de l’Atlantique français, soit un prêt contracté pour payer un passage en France. Ici, Jean Jugeau de Arrangoitz reconnaît que François Fagonde, de Bidart, lui a prêté 200 livres pour « son besoin et son passage à

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Quittance par Pierre Jacques Richard à François Anquetil et Charles Fouquet, 14 octobre 1784. BACMG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 79. 452 Obligation par Jacques Legentil à La Touche Pinault, 10 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 210-211. 453 Obligation par Pierre Richard à Destebetcho, 15 juin 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 292-292v.


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Bayonne ». Le remboursement est prévu pour septembre 1790, en France ou dans l’archipel et ce, « en espèces sonnantes et non autrement454». Pour les deux cas impliquant des montants bien au-delà de 1 000 livres, le premier illustre parfaitement les rouages du crédit prévalant dans l’Atlantique français d’Ancien Régime. En 1786, le capitaine de navire Jean Noël agit pour Jacquelin et Fils de La Rochelle, lorsqu’il exhibe une procédure et sentence des juges consules de Paris. On parle ici de deux billets consentis par Pierre Banet, négociant de Saint-Pierre, à La Rochelle en 1784 à l’ordre des sieurs Richemont et Carreault, également négociants. Ces derniers les refilent ensuite aux sieurs Claude Charles et Co de Marseille. Mais ces billets sont ensuite protestés à leurs échéances respectives au domicile de M.P.C. Lambert, banquiers à Paris. Au terme de toutes ces démarches légales, les frais de la sentence et intérêts font passer le compte en souffrance à 4 960 livres. Sans attendre, Banet rembourse en espèce cette dette à Noël, qui lui remet les deux billets originaux « dument acquittés455». Chaque situation nécessite des mécanismes de remboursement prévalant dans de pareilles circonstances. En avril 1784, Claude Martin consent une obligation de 5 419 livres à Joseph Mouillé, marchand de Saint-Malo, et un billet à ordre est endossé par Martin au profit du sieur Mouillé. Ce billet est par contre contesté par faute de paiement, suivi d’un acte notarié en 1785 passé devant Bourinau et Cadoret à Saint-Malo. C’est Michel Pagelet, capitaine de navire et représentant de Joseph Mouillé, qui se présente chez le négociant de SaintPierre Claude Martin pour tenter d’en arriver à des arrangements de remboursement exigés de ce dernier. Le processus implique finalement cinq versements de 1 000 livres le 25 octobre de chaque année et un autre de 420 livres en 1791456. Ce qu’il y a à retenir de cet enchevêtrement de transactions, est que les gens de mer de l’archipel sont bien au fait de la puissance du notariat à titre d’outil juridique, économique et financier. Il s’agit indéniablement d’un outil légalisant et garantissant leurs transactions et leurs investissements. Les négociants et habitants de l’archipel font ainsi étalage de leur 454

Obligation par Jean Jugeau de Arrangoitz à François Fagonde Arrangoitz, 20 octobre 1789. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 309. 455 Déclaration de Jean Noël en faveur de Pierre Banet, 26 juin 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 159-159v. 456 Convention entre Claude Martin et Michel Pagelet, représentant Joseph Mouillé, août 1786. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 160-161.


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habilité à exploiter les rouages du crédit pour étendre et sécuriser leurs activités et ce, autant en France qu’ailleurs dans l’Atlantique français. Mais il ne semble pas que les administrateurs métropolitains se succédant à Saint-Pierre et Miquelon leur reconnaissent ces mérites, puisqu’ils se complaisent plutôt à répéter les mêmes critiques que leurs prédécesseurs de Plaisance et de l’île Royale. La capacité déployée par les négociants insulaires semble pourtant aller à l’encontre de l’image de misérabilisme que l’on tente de coller immanquablement à l’ensemble de la population de l’archipel, et surtout aux Acadiens de Miquelon.


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Chapitre 6 Contrats de mariage, inventaires après-décès et testaments dans l’archipel 1764-1789 : des indicateurs de richesse? Parmi l’arsenal méthodologique permettant d’évaluer, ne serait-ce que sommairement, les niveaux de richesse durant l’Ancien Régime, le dépouillement des contrats de mariage, des testaments et des inventaires après-décès demeure une démarche profitable. Pour l’archipel, le greffe a conservé 37 contrats de mariages, près d’une vingtaine d’inventaires après-décès entre 1764 et 1789, une poignée de testaments et quelques donations. C’est donc en superposant les données recueillies de ces documents à ceux provenant des recensements que les connaissances sur les niveaux de richesse des habitants de l’archipel nous deviennent plus familiers. Cette approche s’inscrit dans une mouvance méthodologique adoptée dans des études plus récentes, portant sur les mouvements de population. Bien que les études statistiques des données de recensements soient toujours de mise, un intérêt accru s’est manifesté envers des analyses plutôt biographiques. L’on parle ici de rassembler des informations sur des individus, tirées des registres paroissiaux, des testaments, des inventaires après-décès, etc. Cette stratégie permet aux chercheurs d’en apprendre davantage sur les migrants euxmêmes et leurs actions457. 5.1-Les contrats de mariage Le code juridique associé à cet événement démographique qu’est le mariage, a déjà fait l’objet de plusieurs études. D’abord, l’historien Jacques Péret est d’avis que le mariage sous l’Ancien Régime implique souvent une entente entre deux familles, en vertu d’un ensemble de paramètres visant à « renforcer le patrimoine et la position sociale de la famille 458

». Plusieurs autres historiens ont déjà abordé cette question en répétant qu’à l’époque,

surtout en milieu rural, se marier est pour ainsi dire une norme incontournable. Les célibataires y sont une denrée rare! Josette Brun nous rappelle que cette institution est alors « au cœur de l’organisation sociale, le mari et l’épouse formant une nouvelle unité de 457 458

Handcock, op.cit., p. 104. J. Péret, Les paysans de Gâtine au XVIIIe siècle, p. 178.


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production et de consommation459». Le mariage à l’époque moderne, selon Dufournaud et Michon, serait davantage une affaire tout court, soit « commerciale et financière, qu’une affaire de sentiments460». Dans le cadre de cette étude, je limite ma démarche à deux objectifs soit compiler les montants d’argent mentionnés dans les contrats et m’attarder à relater certains extraits plus révélateurs. Au cours de l’Ancien Régime, la tendance à faire rédiger ou produire un contrat de mariage se propage à toutes les classes de la société ou à peu près. Selon Jacques Poumarède, ces contrats ont pour effet « d’encadrer la gestion et la sauvegarde des biens patrimoniaux et d’assurer la santé financière des conjoints. Même après le décès d’un des conjoints, le survivant et surtout la veuve, continue de profiter d’une certaine sécurité financière ». Il apparaît que trois composantes répondent à ces objectifs soit le douaire, la communauté de biens et le régime dotal461. Un certain nombre de termes reviennent de manière constante dans les contrats puisqu’ils fixent de manière juridique les cadres de l’entente entre les conjoints. On pense à douaire462 préfix463, dot, donation réciproque ou encore mutuelle, préciput égal et réciproque, donations entre vifs, préciput fixe, donation viagère au survivant, etc. Le contrat de mariage devant notaire prend place quelques jours avant la célébration religieuse à l’église. C’est là que se décident maints aspects juridiques et financiers de l’union à venir. Suite au dépouillement des contrats de mariage de l’archipel, je connais une vingtaine de montants associés au douaire464 et qui se situent entre 400 et 10 000 livres. Les plus significatifs sont ceux découlant des unions Dubois-Lagroix (10 000 livres), l’Espérance-

459

J. Brun, Vie et mort du couple en Nouvelle-France. Québec et Louisbourg au XVIII e siècle, p. 5. Dufournaud et Michon, « Les femmes et le commerce..», op.cit., p. 316. 461 J. Poumarède, « Mariage », dans L. Bély (sous la direction de), Dictionnaire de l’Ancien Régime, p. 799. Voir aussi Martinetti, op.cit., p. 93. 462 Le douaire est l’usufruit « sur les biens du mari défunt, permettant à la veuve de subsister après le décès du mari en touchant des revenus sans pour autant être propriétaire des biens ». En général, la valeur du douaire ne repose que sur « les biens propres du mari, surtout sur la valeur des immeubles détenus au moment de l’union des conjoints ». Poumarède, op.cit., p. 800. 463 Le douaire préfix apparaît au Moyen Âge alors que « le mari va dorénavant douer son épouse. Cette disposition lui permet plus de flexibilité lorsque vient le temps de déterminer la quantité et la qualité des biens à céder à sa veuve. En général, la veuve conservait son douaire en cas de remariage ». Poumarède, op.cit., p. 800. 464 Les travaux de Jacques Péret révèlent que le montant des dots est presque toujours identique pour les deux conjoints. Péret, Les paysans, op.cit., p. 180. 460


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Rodrigue (3 000 livres)465, Henry-Ross (4 000 livres) et Devers-Arondel (3 000 livres). Pour leur part, les douaires provenant des unions Talon-Baron, Morin-Lebuffe et Harixague-Josset atteignent 2 000 livres. Finalement, quatre douaires sont à 1 000 livres soit pour les unions Debon-Letourneur, Banet-Arondel, Paris-Julien et Guichon-Marcadet. Lorsqu’on s’attarde à l’examen des montants déclarés pour le préciput466, il y en a quatorze de connus dont les plus élevés se chiffrent à 1 000 livres pour les unions Dubois-Lagroix, Morin-Lebuffe, Talon-Baron et Devers-Arondel. Ce qui revient à des moyennes de 1 194 livres pour le douaire, 589 livres pour le préciput et 1 585 livres pour moyenne de la valeur totale des montants d’argent mentionnés. Je travaille de manière plus exhaustive avec les contrats davantage explicites et les plus riches en termes de scénarios possibles soit 24. Lorsque vient le temps de dresser un bilan des montants total indiqués, les plus substantiels varient entre 12 000 et 3 000 livres. Les noms des couples mentionnés sont assez semblables à ceux énoncés pour les douaires les plus substantiels. On retient ainsi les couples Dubois-Gaillard (12 000 livres), Le MassonChevalier (10 000 livres), L’Espérance-Rodrigue (4 500 livres), Ross-Henry (4 200 livres) et Devers-Arondel (4 000 livres). Trois couples sont dans la fourchette des 3 000 à 4 000 livres soit Morin-Lebuffe, Talon-Baron, Paris-Julien et Lafitte-Phélipot. Certains contrats impliquent des chiffres en-déca des données énoncées plus haut. Par exemple, dans le contrat passé entre Augustin Thomas, soldat dans la Compagnie Franche, natif de Barbel, et Marie Baron, veuve Arbinet, née à Louisbourg. Le couple est uni en commun « en tous leurs meubles conquêt, immeubles467», il y a donation viagère468 au survivant, la future amène 500 livres à la communauté et le préciput réciproque n’est que

Ribault mentionne que dans le cas du mariage l’Espérance-Rodrigue, le préciput égal et réciproque de 1 500 livres au survivant s’ajoute à une donation mutuelle en cas de non-postérité, à la réserve de 30 000 livres à partager au décès du baron entre ses neveux et nièces. Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 », op.cit., p. 43. 466 Le préciput est un droit reconnu à une personne, notamment aux époux en cas de décès d’un conjoint, de prélever, avant le partage, une somme d’argent sur certains biens de la masse à partager. 467 « Les immeubles appartenant à chaque époux avant le mariage ne tombaient pas en communauté et demeuraient leurs biens propres. À la dissolution, le conjoint survivant recevait en pleine propriété la moitié de la masse commune des meubles et acquêts mobiliers et immobiliers, l’autre moitié allant aux héritiers du défunt, ses enfants ou, à défaut, ses collatéraux ». J. Poumarède, op.cit., p. 800. 468 Cette clause du contrat de mariage implique que le donateur se dépouille irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire ou bénéficiaire. 465


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de 200 livres469. Dans ce que John Dickinson appelle leur trousseau, « les mariées apportent normalement un lit complet (couette, traversin, couverture et tour de lit), un coffre ou armoire, des draps, serviettes, nappes, leurs vêtements, de la vaisselle d’étain et des animaux470». Un certain nombre de contrats permettent ensuite de dégager tantôt quelques constances ou, au contraire, des particularités singulières. D’entrée de jeu, les contrats spécifient les noms des futurs, leurs lieux de résidence de même que ceux de leurs parents respectifs, leurs occupations. On indique également si la future est ou non mineure et dans la majorité des cas, suivent une ou deux listes de témoins pour chacun des conjoints. On précise les liens de parenté de chacun avec les futurs et s’ajoutent parfois des noms d’amis ou de voisins, dont on nomme souvent les occupations ou le statut social. En général, la présence de dignitaires se manifeste pour les contrats des notables ou étant plus aisés financièrement. Ainsi, sans spécifier pour quels couples, on rencontre ici et là les premiers dignitaires de la colonie tels le gouverneur Gabriel d’Angeac, le commissaire-ordonnateur JacquesFrançois Barbel, le capitaine d’infanterie Louis-Benjamin de la Boucherie, les capitaines de navire Pierre Hiribourre et Germain Héroulx, le conseiller du roi et commissaireordonnateur René-Alexandre de Beaudeduit, le sous-commissaire et contrôleur de la Marine Antoine Morin, son frère le garde-magasin Claude Morin, les négociants Pierre Mémoire de Blagnac, François Loyer-Deslandes, Pierre Boullot, Dominique Dascombe, Jean-Baptiste Lessenne, François Milly, Pradère Niquet, Charles Léger Martin et Charles LeClerc, le marchand-résident Bernard Laffite, le chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, commandant et ordonnateur Nicolas Danseville, Henri Pièche de Loubierres, commissaire des classes, Jean Mainville, chirurgien et Charles Boullot, capitaine de port. On note donc un amalgame de gradés militaires et de notables commerçants, mais également détenteurs de charges publiques. Vient ensuite la promesse de se prendre pour époux à l’église. On rappelle la prépondérance de la Coutume de Paris, peu importe si les époux demeurent dans un autre pays par la suite.

469

Contrat de mariage entre Augustin Thomas et Marie Baron, 20 juin 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 191-196. 470 J. A. Dickinson, « L’évaluation des fortunes normandes au XVIII e siècle : », p. 259.


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Les dettes de chacun seront « payées sur les biens de celui ou celle d’où elles proviendront, sans que l’autre ni ses biens soient tenus ni obligés471». Les futurs seront « unis en commun et tous biens meubles et immeubles faits et payés pendant leur future communauté472». On parle alors aussi de « donation mutuelle473». Maints exemples peuvent être évoqués à titre de formules exprimant les engagements du futur envers la future. Entre autres, on utilise parfois la variante « donation réciproque ». Le cas de l’union entre Pierre Loya et Jeanne Suzanne Mansel mérite sans doute d’être mis de l’avant à titre d’exemple évocateur de ces formules confirmant l’engagement de l’homme envers la femme. Entre autres, on l’imagine, pour la rassurer financièrement. En 1767, les deux sont domiciliés à Miquelon. Loya, en cas de décès, promet à son épouse qu’elle recevra « tous meubles, immeubles, dettes, droits, actions, biens à venir474». Cet arrangement fait l’objet d’un suivi par Mansel puisqu’elle commande l’enregistrement de l’acte de donation en mai 1768 475. On spécifie bien sûr que les biens de la future et ceux de ses parents, échoueront au mari à la mort des parents de la femme. Chacun des deux époux, en cas où il n’y aurait pas d’enfant découlant de leur union « fait à celui des deux qui survivra à l’autre une donation entière de tous les biens qui appartiendront à la communauté au moment de la mort de l’un des deux futures conjoints476». Dans la quasi-totalité des cas, le contrat spécifie la valeur de ce que la future apporte à la communauté, découlant du « fruit de ses épargnes et en meubles, hardes et linge », dont le tiers « entrera en communauté et les deux autres tiers demeurant à ladite future épouse477

471

Voir entre autres le contrat de mariage entre Pierre Harixague et Hélène Josset, 30 janvier 1768, BACMG1-G3, bobine F632, Vol. 478, f 12-13. 472 Contrat de mariage de Jean-Pierre Tournier et Perrine Boullot, 4 février 1764. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 3-4. Précisons que le terme commun implique que « les biens des époux se fondaient en commun et auxquels s’ajouteraient les acquêts du ménage. À la dissolution du mariage, le conjoint survivant gardait tout le patrimoine, à condition qu’il y ait eu un enfant né vivant ».J. Poumarède, op.cit., p. 800. 473 Contrat de mariage de Jean Berin Douague et Catherine Toyon, 2 janvier 1774. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 31-33. 474 Donation par Pierre Loya à sa future épouse Jeanne Suzanne Mancel, 24 novembre 1767. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 9-10v. 475 Requête de Jeanne Suzanne Mancel pour l’enregistrement de la donation par Pierre Loya à sa future épouse, Mai 1768. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 11. 476 Contrat de mariage de Jean Tournier et Perrine Boullot, 4 février 1764. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 3-4. 477 Contrat de mariage entre Pierre Guirouflet et Marie Suzanne Poumeau, 10 avril 1784. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 58-62.


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». La somme du douaire peut varier. Ainsi, dans le contrat Paris-Julien, les futurs conjoints « se sont mutuellement fait dons et donation viagère au survivant des deux » 478. Ladite Geneviève Julien, elle, « apporte au mariage, du fruit de ses épargnes et en meubles, linge à son usage » la somme de 1 200 livres dont le tiers entre en communauté alors que les deux autres tiers demeurent sa propriété. Également, le futur a « doué » la future de 1 000 livres et en cas qu’il n’y ait pas d’enfant résultant de cette union, le douaire sera réduit à 600 livres. Le préciput réciproque, lui, est de 800 livres479. Deux contrats expriment des biens de manière plus explicite que par de simples montants d’argent. Dans celui unissant Bernard Laffite et Jeanne Phélipot, le père de cette dernière, Guy Phélipot, lui donne en dot480 et « en toute propriété » la moitié d’une habitation de pêche lui ayant été concédée sur l’île aux Chiens en avril 1764 par d’Angéac. Cette propriété est alors évaluée à 1 500 livres. De l’autre côté, Bernard Lafitte, père du futur époux, promet lui donner « pareille somme de 1 500 livres, à titre d’avancement d’hoirie 481

». Jean Noré, lui, amène à la communauté cinq chaloupes de pêche estimées à 2 500

livres, en plus d’une moitié de terrain reçu du sieur Louis Josset, négociant et capitaine de navire. À cela s’ajoute la moitié des bâtisses et cabanes déjà sur ce terrain et dont la valeur est aussi de 2 500 livres, pour un total de 5 000 livres. Norée donne aussi à sa future épouse un douaire de 150 livres, même montant que le préciput482.

478

Il arrive que des actes de donation viagère soient rédigés plus tard dans la vie du couple. Par exemple, en 1787, François Brehier, 58 ans et Marie-Thérèse Martin, 48 ans, « en gage d’amitié qu’ils ont l’un pour l’autre depuis leur union comme mari et femme et voulant s’en donner des nouvelles preuves réciproques ». Ils expliquent qu’en raison de leurs « infirmités », ils ont plus que jamais besoin l’un de l’autre. L’acte implique ici leurs biens meubles, immeubles, acquêts et propres. Ils se disent pauvres, ne possédant que quelques meubles et gréements de pêche. Leur petite maison planchée leur a été donnée par le roi et le tout ne peut être évalué qu’à une « très modique somme ». Donation viagère réciproque entre François Brehier et Marie-Thérèse Martin, 11 juin 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 189-190. 479 Contrat de mariage entre Louis Joseph Auguste Paris et Geneviève Julien, 29 octobre 1785. BAC-MG1G3, bobine F-632, vol. 478, f. 126-129. 480 Les filles à marier sont dotées, obligation incombant au père ou au frère de la future épouse. La dot « permet ainsi de marier plus facilement les filles en contribuant aux dépenses du mariage et assure aux veuves les moyens de survivre. Pendant le mariage, l’époux détient le pouvoir d’administrer et percevoir les revenus découlant de la dot en raison de l’incapacité juridique de l’épouse ». J. Poumarède, op.cit., p. 800-801. 481 Contrat de mariage entre Claude Bernard Lafitte et Jeanne Phélipot, 15 novembre 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f. 131-134. 482 Contrat de mariage entre Jean Norée et Élisabeth Babet, 5 février 1772. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 269-270v.


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Un arrangement s’avoisinant aux deux précédents est celui spécifié dans le contrat entre Pierre-Aimé Le Masson et Louise Chevalier. Le Masson, capitaine de navire « habitué à Saint-Malo actuellement en cette île », est sans doute réjouie d’apprendre que le père de Louise, le négociant Vital Henry Chevalier, « accorde et donne en dot » à sa fille la somme de 10 000 livres, dont un premier versement de 6 000 livres en mars 1790. On mentionne aussi l’existence d’un vaisseau mais sans préciser si Le Masson en devient propriétaire, ou s’il ne reçoit qu’une part dans son exploitation. L’associé de Vital Henry est son frère Grands Champs Chevalier. Il y a aussi une maison à Saint-Malo valant 4 000 livres, qui revient au futur couple. Le tiers de la somme de 10 000 livres entre en communauté et « y demeurera propre à ladite future épouse483 ». Trois autres contrats nous éclairent sur les conventions des remariages, c’est-à-dire impliquant au moins l’un des deux conjoints d’une union précédente. Par exemple, lorsqu’ Hélène Josset, veuve du défunt Pierre Harixague, marchand de la colonie, épouse Jacques Arondel, natif de Louisbourg. Les biens qu’apporte Hélène consistent en « ses reprises et conventions portées au contrat de mariage d’entre elle » et son premier mari, dont l’union remonte à 1768. On parle ici de meubles et immeubles lui appartenant « par droit de communauté484». Rappelons qu’elle avait pris cette décision suivant l’inventaire aprèsdécès. C’est le même processus prévalant pour Madeleine Blin, veuve de Pierre-François Denot, qui se remarie avec Denis Treguy. Elle dépose au contrat « l’inventaire de sa précédente communauté485». Finalement, Jean-Pierre Tournier et Anne Mancel sont tous deux veufs au moment de leur mariage. Eux aussi déposent les « inventaires respectifs des biens de leur précédente communauté486». À ces trois cas s’ajoute celui de Marie Benoist, c’est-à-

483

Contrat de mariage entre Pierre-Aimé Le Masson et Louise Chevalier, 20 octobre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 310-310v. À Louisbourg entre 1713 et 1744, suite au dépouillement de 116 contrats de mariage, Josette Brun en conclu que « les parents préfèrent faciliter l’établissement des fiancés en leur permettant d’habiter chez eux ou d’utiliser leurs installations de pêche pendant un certain temps ». Brun, op.cit., p. 68. 484 Contrat de mariage entre Jacques Arondel et Hélène Josset, 21 mars 1772. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 21-24. 485 Contrat de mariage entre Denis Treguy et Madeleine Blin, veuve de Pierre-François Denot, 2 mai 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 279-282v. 486 Contrat de mariage entre Jean-Pierre Tournier et Anne Mancel, 28 novembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 314-317v.


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dire que ces contrats impliquent tous une clause de tutelle487 des enfants du mariage précédent. Ainsi, Tournier s’engage à ce que les enfants de la première union de Mancel « seront élevés, nourris, entretenus aux dépens de la nouvelle communauté jusqu’à l’âge de quinze ans au moins ». Tournier va « régir, gouverner et administrer leur personne et biens », conjointement avec Mancel et « même continuer ladite tutelle en cas de prédécès de la mère488». Une nuance apparaît cependant dans le contrat entre Treguy et Blin, alors que l’on mentionne que la tutelle pourra se prolonger jusqu’à l’âge de dix-huit ans. 5.2-Inventaires après-décès On peut citer plusieurs historiens louangeant l’utilité des inventaires après-décès à titre de source incontournable servant à mieux connaitre l’histoire sociale et économique des populations d’Ancien Régime. D’abord, Jean-Pierre Wallot estime que de manière générale, les archives notariales informent sur « les transactions économiques et sociales, les niveaux de vie (contrats de mariage et inventaires après-décès), l’organisation de la famille et la transmission du patrimoine489». Plus récemment, d’autres historiens ont utilisé ce genre de sources pour l’étude de la carrière d’un tailleur du 18e siècle490 ou encore pour mieux connaître les niveaux d’endettement causés par les soins médicaux dans la région de Québec sous le Régime français491. Durant l’Ancien Régime, il n’est pas obligatoire de faire rédiger un inventaire après-décès, sauf lorsque vient le temps de revendiquer le statut d’héritier bénéficiaire. On rappelle que cet exercice consiste à identifier et à consigner de manière officielle la description des biens d’une personne décédée. Qui plus est, en vertu de la Coutume de Paris, la veuve « ne peut

Selon Jean-Philippe Garneau, « c’est au nom de la puissance publique que le juge préside à l’élection de ceux ou celles qui représentent les jeunes enfants déclarés incapables par le droit civile ». Il est d’avis que l’on y décèle « une triple représentation de l’autorité; le chef de ménage, le pouvoir masculin dans l’espace public et la puissance publique dans l’ordre monarchique ». À Beaupré près de Québec entre 1725 et 1784, le trois quarts des familles « font procéder à une élection de tutelle ». « Le rituel de l’élection de la tutelle et la représentation du pouvoir colonial », p. 45, 47. 488 Contrat de mariage entre Jean-Pierre Tournier et Anne Mancel, 28 novembre 1789, op.cit. Voir aussi Contrat de mariage entre Antoine François Legerrie et Marie Benoist, 3 septembre 1773. BAC-MG1-G3, bobine, F632, vol. 478, f 27-28. 489 J-P Wallot, « Culture matérielle et histoire : l’étude des genres de vie au Canada », p. 5-6. 490 A. Jauze, « À propos de Jean Wilheim, tailleur d’habits à Bourbon au début du XVIII e siècle : », p. 141154. 491 S. Tésio, « Les dettes pour frais médicaux parmi les populations du Perche et du gouvernement de Québec, 1690-1780 », p. 259-292. 487


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renoncer à la communauté des biens avec son défunt époux qu’après » la prise d’inventaire492. Les travaux historiques effectués jusqu’à présent démontrent que trois personnes sont en général aptes à effectuer un inventaire soit un notaire, un officier royal ou même un membre du clergé. À l’occasion, un officier de navire ou un capitaine peuvent également se charger de cette tâche lors d’un décès en mer. Les règles imposent aux intéressés de respecter un délai maximum de trois mois pour demander l’inventaire. Ces personnes peuvent être le survivant des conjoints, les héritiers du défunt, ses créanciers ou encore ses légataires. L’imposition du délai de trois mois émane de l’Ordonnance de procédure civile de 1667493. Un bel exemple de ce genre de rassemblement familial élargi réside dans l’inventaire le plus élaboré de mon mince corpus, soit celui de la défunte Anne La Tour, femme de l’Acadien Paul LeBlanc. Lors de la rencontre préparatoire à l’inventaire, le 27 janvier 1769, on dénombre six personnes, tous des hommes, soit Joseph Dugas Père, Joseph Guilbeau, beau-frère de la défunte, Joseph Vigneau Père, Charles Le Clerc et André Paris Père. Une fois l’inventaire terminé, le contenu sera laissé « à la garde et sage conduite de Joseph Guilbeau et d’Alexandre Le Blanc », accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants494. Habituellement, l’inventaire commence par identifier les personnes intéressées et présentes qui signent le document. L’inventaire en tant que tel contient des listes de biens mobiliers, immobiliers, des papiers, les dettes actives et passives, etc. 495. L’on a l’impression d’accompagner le notaire dans chaque pièce, d’ouvrir avec lui les coffres, les armoires et de parcourir la propriété. Le processus d’inventaire peut prendre plus d’une journée et l’on se doit de noter l’heure et la date de chaque session. Plus les biens sont nombreux, plus il y a de chance de devoir faire appel à des priseurs familiers avec les items à évaluer. On les O. Poncet, « Inventaire après-décès », dans Bély (sous la direction de), Dictionnaire de l’Ancien Régime, op.cit., p. 677-678. Un exemple de renonciation pour l’archipel est celui exprimé par Modeste Le Buffe à la succession de son défunt mari Pradère Nicquet en 1788. Nicquet était négociant à Saint-Pierre et décédé en septembre 1788. Elle préfère abandonner « avec confiance tous les objets de la succession et l’arrangement de ses affaires » aux créanciers du défunt. D’ailleurs, le résultat de la vente de liquidation ne suffit pas à rembourser toutes les dettes. Renonciation par Modeste Le Buffe à la succession de son défunt mari Pradère Niquet, 25 octobre 1788. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 253-253v. 493 Poncet, op.cit., p. 677-678. 494 Inventaire de la succession de Paul LeBlanc, 1769-1771. BAC-MG1-E, bobine F848, vol. 478. 492

Péret, Les paysans de Gâtine…op.cit., p. 133. On pourrait y ajouter les outils, stocks de blé ou de poisson, de bois, etc. Les dettes, elles, sont passives ou actives. 495


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appelle parfois huissier-priseur. Ils peuvent aussi être accompagnés d’experts pour déterminer la valeur d’items particuliers. On peut penser aux outils de pêche et à la morue de l’archipel par exemple. À la toute fin du document d’inventaire, le conjoint survivant doit confirmer la véracité des dettes actives dont il a au moins la connaissance. Le survivant ou survivante doit également préciser s’il ou elle a dépensé de l’argent appartenant à la succession depuis le décès. Par exemple, suite au décès d’Anne La Tour, sa fille Manon Le Blanc doit déclarer un don que lui fait sa mère avant sa mort soit des « nippes et hardes ». L’assemblée des parents doit donc approuver ce don. La veuve Louise Josset doit elle-aussi justifier la disparition de certains items de la succession du défunt Jean Julien. Elle explique que depuis son décès, elle a dû « dans son grand besoin », vendre six couverts d’argent, ainsi que la montre en or et les boucles d’argent de son défunt mari, en plus de tous ses outils de menuiserie496. Ainsi, bien que les inventaires après-décès aient fait l’objet de maintes critiques depuis les années 1960 et surtout 1970, leur utilité pour déterminer les niveaux de richesse et à titre de sources d’histoire matérielle demeure incontestable497. Dans le cadre du projet archipel, je bénéficie de dix-huit inventaires (1769-1789) dont la qualité est variable. Les montants apparaissant au tableau onze sont ceux résultant des évaluations (ou prisées) et liquidations ou ventes suivant l’inventaire. Un examen détaillé de chaque inventaire laisse apparaître de multiples trajectoires de fortunes chez ces quelques habitants de l’archipel. Il en ressort également une certaine hiérarchie des fortunes et des statuts sociaux498. Par exemple, les quatre compagnons-pêcheurs disparus en mer affichent de très modestes bilans. Mais attention, l’inventaire se limite ici au contenu de leur coffre. Pour y voir plus clair, il est impératif d’effectuer des regroupements. Ainsi, être qualifié d’habitant ne signifie pas pour autant d’être compartimenté dans une catégorie de niveaux de richesse rigide. Également, 496

Succession, Jean Julien et sa veuve Louise Josset, 1769-1784. BAC-MG1-E, vol. 233, bobine F783. Lorsque vient le temps d’évaluer la fiabilité des inventaires, John Dickinson pense qu’il ne s’agit pas d’un outil sans faille pour « mesurer la richesse », mais cette source « conserve toute sa valeur comme indicateur de niveau de vie ». Ainsi, il peut parfois se révéler des écarts significatifs entre « l’évaluation et le prix réel » découlant des ventes ou liquidations de successions. Dickinson, op.cit., p. 247. 498 Dans ses recherches sur les marins de la Seudre, Thierry Sauzeau en classe 36 « sous la barre des 700 livres de biens ». Sauzeau, « La pluralité des marins du long cours…», op.cit., p. 5. Quant à Marc Pavé, il estime que les possessions des marins se limitent le plus souvent au petit mobilier, à quelques vêtements et des filets. Pavé, op.cit., p. 89. Dans son étude sur la Bretagne, Emmanuelle Charpentier présente 32 marins dont la fortune ne dépasse pas les 100 livres d’après leurs inventaires après-décès. Charpentier, op.cit., p. 241-243. 497


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il faut se rappeler que dans certains cas, on ne donne que la valeur des effets retrouvés dans le coffre si le défunt meurt loin de chez-lui. Chez ceux périssant en mer, Jean Diron est compagnon sur la goélette La Louise pour le compte du Sieur Jean Hébert, de Miquelon, qui va périr sur les bancs de Saint-Pierre. L’incident survient lors du fameux « coup de vent » du 12 septembre 1775499. Il partage ainsi le même destin que Jean Dornain et Gabriel Lafitte, tous deux noyés à bord de la même goélette500. Trois autres « gens de mer »501 décèdent dans des circonstances toutes aussi tragiques. Ainsi, en 1777, Michel Dithurbide, charpentier de navire, meurt à l’hôpital de Fort SaintPierre de La Martinique502. À noter que Pierre Loya et Alexandre Moreau, tous deux considérés comme des habitants de l’archipel, meurent eux-aussi en mer. Il semble que Moreau ait sombré dans la même chaloupe que Jean David 503. Pas plus chanceux, Pierre Le Boulanger succombe à une chute sur la glace en 1785504 et Jean Lafitte, matelot sur un navire de Bayonne, décède dans l’archipel en 1784505. La suite des trajectoires financières de ces gens de mer morts en fonction, n’est pas forcément constituable et cela pour une bonne raison. Dans les cas de cinq d’entre eux soit Jean Diron, Pierre Le Boulanger, Gabriel Lafitte, Jean Dornain et Jean Lafitte, on ne connaît que la valeur résultant de la vente du contenu de leurs coffres ou des « effets ». Le 499

Inventaire après-décès de Jean Diron, 1776. BAC-MG1-E, bobine F826, vol. 135, 4 pages. Au sujet de cette grande tempête, voir A. Ruffman, « The Multidisciplinary Rediscovery and tracking of The Great Newfoundland and Saint-Pierre et Miquelon Hurricane of September 1775 », p. 11-23. 500 Inventaire après-décès de Jean Dornain, mai 1776. BAC-MG1-E, bobine F826, vol. 136, 4 pages. Inventaire après-décès de Gabriel Lafitte, 4 septembre 1776. BAC-MG1-E, bobine F785, vol. 245, 4 pages. 501 Par gens de mer, Olivier Puaud entend « ceux qui pratiquent la pêche et la navigation ». Plus précisément, les habitants-pêcheurs résidents et non les pêcheurs-engagés de la métropole qui viennent dans la colonie durant la saison de pêche. Puaud, op.cit. p. 6. Voir aussi Landry, « Processus d’inventaire des biens chez les gens de mer à l’île Royale au 18e siècle », op.cit. Sur cette même thématique des gens de mer, voir Albert-Michel Luc. Cet auteur propose une dénomination des types de gens de mer soit maître de chaloupe, capitaine, maître de barque, maître-pêcheur, pêcheur, etc. « Les gens de Ré au XVIII e siècle (1681-vers 1790) : » dans Le Bouëdec et al. Entre terre et mer. Sociétés littorales et pluriactivités (XVeXXe siècle), op.cit., p. 104. 502 Inventaire après-décès de Michel Dithurbide, 4 juin 1777. BAC-MG1-E, bobine F826, vol. 135, 10 pages 503 Pierre Loya, Sa mort en mer, succession, 1769. BAC-MG1-E, bobine F868, vol. 294, 4 pages. Inventaire après-décès d’Alexandre Moreau, 7 juillet 1769. BAC-MG1-E. bobine F873, vol. 316, 25 pages. À noter que l’inventaire de Jean David se trouve dans le même document que celui de Moreau. 504 Inventaire après-décès de Pierre Le Boulanger, 1785. BAC-MG1-E, bobine F708, vol. 245, 5 pages. 505 Inventaire après-décès de Jean Lafitte, 1784. BAC-MG1-F, bobine F785, vol. 245, 5 pages.


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contexte ou processus de ces évaluations et ventes nécessite certaines mises au point méthodologiques et comparatives. Quoique s’appliquant à la période antérieure soit 17001758, les résultats d’études sur Plaisance et Louisbourg peuvent s’avérer éclairantes506. Ainsi, sur les 27 pêcheurs-engagés pour lesquels il existe un inventaire à Plaisance et à l’île Royale, dix se sont noyés et deux sont morts à l’hôpital. Pour mes cinq gens de mer de l’archipel dont je viens de parler, la valeur moyenne du contenu de leur coffre à la vente est de 48 livres. Chez cette même cohorte, le nombre moyen d’items mentionnés est de seize alors qu’il est de 34 pour la cohorte de Plaisance-île Royale. Mais cette comparaison n’est pas envisageable puisque pour cette dernière cohorte, les résultats d’inventaires incluent les items trouvés dans leurs cabanes et non pas seulement dans leurs coffres. On peut en dire tout autant pour la valeur moyenne des effets de la deuxième cohorte. Ainsi, pour huit pêcheurs-engagés de l’île Royale, elle s’établit à 62 livres, ce qui les rapprochent un peu plus de la moyenne de 48 livres de la petite cohorte de l’archipel. Mais que trouve-t-on au juste dans les coffres de nos malheureux gens de mer de l’archipel? Il en ressort une certaine uniformité des contenus soit 25 types d’items différents où prédominent les chemises (douze), les gilets (onze), les paires de bas (neuf), les culottes (huit), les mouchoirs (six) et cinq paires de souliers. Cette énumération correspond aux observations d’Emmanuelle Charpentier qui elle parle d’une moyenne de cinq paires de culottes, de six chemises, d’un gilet et de deux vestes507. Toujours dans l’archipel, je propose une deuxième cohorte de gens de mer, limitée à trois cas, mais dont les niveaux de richesse sont plus élevés que ceux de la cohorte précédente. Tel qu’évoqué auparavant, Michel Dithurbide est charpentier sur le navire l’Élisabeth, basé dans l’archipel. Au moment de décéder à l’hôpital du Fort Saint-Pierre de La Martinique, sa seule héritière connue est Catherine Darragy, sa veuve habitant Bayonne. Pour régler ses affaires dans l’Atlantique français, elle a constitué comme procureur général le Sieur Dominique Larralde, capitaine en second sur l’Élisabeth. Elle lui donne pouvoir de « retirer et recevoir du trésorier de la Marine de Saint-Pierre le montant des gages, les outils de son

Landry, « Culture matérielle et niveaux de richesse chez les pêcheurs de Plaisance et de l’île Royale, 1700-1758 », op.cit. 507 Charpentier, op.cit., p. 289. 506


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métier, les meubles et effets appartenant à son défunt mari ». Larralde doit aussi s’occuper de régler les affaires du défunt : dettes, créances, etc. Ce dernier avait déjà fait, à bord de l’Élisabeth et en présence des officiers, l’inventaire du contenu du coffre de Dithurbide. Lors d’une vente à bord du navire, on récolte 34 livres. Le coffre contenait aussi seize livres en argent et le salaire dû à Dithurbide par l’armateur Lafitte se chiffre à 146 livres, pour un total de 278 livres. À titre de fondé de pouvoir des héritiers, Larralde devient donc responsable de remettre cette somme à la veuve508. Notons que la vente d’effets d’un mort à bord permet entre autres de « renouveler les hardes usées 509», chez les membres d’équipage. Mais à l’arrivée du navire au port, les parents d’un mort sont en droit de se voir remettre les effets du disparu ou le résultat de leur vente à bord. Il est toutefois plus difficile d’être concis pour rendre compte du processus d’inventaire conjoint d’Alexandre Moreau et de Jean David. Le 7 juillet 1769 sur les 8h du matin le Sieur Montory, habitant-pêcheur de l’archipel, comparait au greffe de l’amirauté de la colonie. Il déclare la disparition ou « perte » de l’une de ses chaloupes dans laquelle prenaient place Moreau et David, en date du 5 juillet. Dans un premier temps, se déroule comme prévu l’inventaire du contenu des coffres. Jusque-là rien de très surprenant puisque les items s’y trouvant concordent d’assez près avec ceux énumérés pour les disparus de la première cohorte de mon étude : sept mouchoirs, cinq paires de bas, quatre paires de culottes, quatre gilets, deux coffres, deux chemises. S’y ajoutent un fusil, deux couteaux, une couverture et un oreiller. Dans le cas de Moreau, on retrouve cependant plusieurs comptes acquittés par le défunt, sauf une somme de huit francs qu’il doit toujours à Marie Langlois. Les choses deviennent plus intéressantes lorsqu’il s’agit d’effectuer la vente des parts de pêche des deux défunts, soit le maître de chaloupe Moreau et le compagnon-pêcheur David. Comme à l’habitude, la vente en question est annoncée et « affichée par les lieux et endroits accoutumés, notamment à la porte de l’église, là où s’assemble ordinairement le plus de monde ». Mais il faut d’abord se transporter à l’île aux Chiens, sur la grave du sieur Montory pour la vente des parts de pêche. Comme à l’accoutumé, il y a appel aux Inventaire après-décès de Michel Dithurbide, charpentier du bateau l’Élisabeth, 4 juin 1777. BAC-MG1E, bobine F826, vol. 135, op.cit. 509 Charpentier, op.cit., p. 290, 295. 508


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enchérisseurs par le tambour pour leur donner la chance de se rendre à l’adjudication de la morue ou parts qui devront être payées comptant au greffier Mounier. Les prix offerts par les enchérisseurs varient entre quatorze et dix-sept livres du quintal. C’est finalement le sieur Étienne Beaudry qui remporte l’enchère à raison de dix-sept livres du quintal, pour un total de 276 livres qu’il paie comptant. La quantité de quatorze quintaux revient aussi à la succession de Jean David. C’est encore Beaudry qui s’accapare de cette morue qui lui coûte 250 livres, pour un grand total de 526 livres. Il semble que globalement, les héritiers de Moreau aient droit à 328 livres et ceux de David à 283 livres. C’est finalement Claude David, frère de Jean, qui réclame cet argent au greffe de l’amirauté le 3 octobre 1770. Vient finalement la troisième et dernière cohorte, comportant huit cas, où l’on retrouve les niveaux de richesse et le nombre de possessions les plus élevés. Elle se prête mieux à une approche quantitative et la valeur moyenne des inventaires est d’environ 2 626 livres. Le 9 novembre 1789, Pierre Tournier dépose une requête lui permettant de soumettre au greffe de la juridiction royale une copie d’un inventaire de son crue510. Tournier est habitant de l’archipel et veuf de Perrine Boulot. Le document qu’il dépose au greffe est ce que les notaires appellent un « inventaire à l’amiable ». La rédaction de ce document s’est donc déroulée « en présence de parties intéressées », sans doute pour éviter le dépérissement des effets. C’est sans oublier qu’une telle démarche permet d’éviter des frais substantiels à la famille511. Dans ce cas-ci, l’inventaire se déroule en présence de Charles Boulot, capitaine de port, de Bernard Lafitte père, de Charles Le Clerc et de Pierre Branch, tous négociants, de même que de l’estimateur soit l’habitant Pierre Giroufflet512. Un cas plus pressant est celui du couple d’habitants Mathurin Hamon et de sa veuve Marie Renot. Le 1er mai 1787, Catherine Clermont, cousine germaine du défunt Hamon, se présente au siège de l’amirauté pour signaler au juge civil et criminel Jean-Baptiste Dupleix

510

John Dickinson estime que les inventaires effectués par les parents ne sont pas plus fiables que ceux rédigés par des notaires. Dickinson, op.cit., p. 247. 511 Dans le cas de l’inventaire de Jean Noray (Norée), les coûts de gestion par le greffe se chiffrent à 120 livres; apposition des scellés, inventaire, taxe pour l’ordonnance des requêtes, nomination de la tutelle, rassemblement des parents, demande de vente judiciaire des effets, apposition d’affiches, tambour et appel. La vente de liquidation rapporte 993 livres, en plus de 225 livres découlant de la vente d’un terrain. Succession de Jean Noray, 1785. BAC-MG1-E, bobine F873, vol. 323, 25 pages. 512 Inventaire des biens et effets de la communauté entre Pierre Tournier et feu Perrine Boulot, 9 novembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 313-322v.


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Sylvain, la mort subite de la veuve « venant à l’instant même de passer de vie à trépas 513». À titre d’héritiers, la veuve laisse deux enfants mineurs et Silvain doit immédiatement se rendre chez la veuve pour « apposer les scellés sur lesdits meubles et effets appartenant à leur succession » et s’assurer de la « conservation des droits desdits mineurs514». L’apposition du sceau royal de la juridiction se déroule en présence de Catherine Clermont et de Mathurin Hamon, l’aîné desdits mineurs. La situation est toute aussi pressante à la mort de l’épouse de l’habitant Jean Noray (Norée) en 1784. Le 5 août, Dupleix Silvain approuve l’initiative d’un subalterne de s’être « transporté avec les cachets de la juridiction » pour apposer les scellés sur la maison du défunt. Silvain avait appris la mort de Noray par l’entremise de Jacques Bedeau. Mais il semble se faire l’écho de l’opinion générale en confirmant « le peu de confiance que l’on ajoute dans le frère de la défunte qui se trouva nantie des clefs515». Le 18 août de la même année, suite au décès de Philipon Lamouline, on procède plutôt à la « levée des scellés » pour permettre l’inventaire et la vente des effets de la succession de Lamouline et d’Élisabeth Herpin. La procédure découle d’une réquisition du fils aîné; le négociant Alexis-Bertrand Dubois516.

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Apposition des scellés et inventaire chez la veuve Marie Renot, 1 mai 1787. BAC-MG1-E, bobine F646, vol. 217, 11 pages. 514 Il faut également rassembler les membres de la famille apparentée au veuf Paul Le Blanc lorsqu’il décède en 1771. La formation d’une tutelle est nécessaire puisque Le Blanc laisse trois garçons et une fille, âgés respectivement de cinq à onze ans. Les membres de la famille alors présents sont Alexandre Le Blanc, frère de Paul, Jean Dugas, beau-frère du défunt et de la défunte Anne LaTour, Abraham Dugas, lui-aussi beau-frère de la défunte. Également présents, d’autres parents que sont Jean Labé, Joseph Babin et Simon Le Blanc. C’est finalement Joseph Guilbeau qui est nommé tuteur et subrogé-tuteur. Tel que mentionné auparavant, il devient responsable de régir et gouverner les enfants, de même que leurs biens meubles et immeubles. Suite au décès de François Le Tiecq en 1773, la procédure de tutelle confirme que la mère demeure tutrice de ses enfants Pierre, François, Toussaint et Louise. Le frère de la veuve (Sébastienne Rondel), Jacques Rondel, devient subrogé-tuteur. Tutelle, François Le Tiecq et Sébastienne Rondel, 1773. BAC-MG1-E, bobine F865, vol. 283, 20 pages. 515 Succession de Jean Noray, habitant des îles Saint-Pierre et Miquelon, 1785. BAC-MG1-E, bobine F873, vol. 323, 25 pages. 516 Philipon Lamouline, habitant des îles Saint-Pierre et Miquelon. Inventaire au levé des scellés, 20 mai 1785. BAC-MG1-E, bobine F847, vol. 252, 15 pages. Dubois découvrira sans doute que le 12 août 1784, Lamouline contracte une dette de 240 livres envers le contrôleur de la Marine à Saint-Pierre par l’achat de six quarts de farine pris des magasins du roi. Cette démarche lui permettait alors « d’expédier les deux goélettes La Jeune Louise et L’Élisabeth Charlotte en mer. À ce moment-là, Lamouline s’engage à rembourser sa dette au plus tard le 20 mai 1785. Inventaire au levé des scellés pour Charles Philipon Lamouline, 1785. BAC-MG1-E, bobine F847, vol. 252, 15 pages.


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Une démarche courante des procédures judiciaires, économiques et notariales de l’Ancien Régime est le recours à la procuration517. C’est cette option que privilégie Louise Josset, future veuve de Jean Julien, décédé dans l’archipel en 1784. D’abord, en mars 1769 à Bayonne, elle nomme l’habitant-négociant Bernard Lafitte à titre de son procurateur dans l’archipel518. C’est donc lui qui est responsable de mettre de l’ordre dans les affaires de la succession, suite au décès de Julien à Saint-Pierre. Cela implique la vente de la maison et dresser un bilan des dettes actives et passives du défunt dans l’archipel. Les personnes à qui la succession pourrait ensuite devoir de l’argent, ne doivent cependant n’être payées qu’après la vente de la maison. Pour arriver à remplir son mandat, Lafitte reçoit l’aide du lieutenant Jean-François Larriguy. Finalement, la maison, incluant les terrains et les dépendances, est vendue pour 410 livres. L’on est donc à même de constater que l’étude du contexte de la prise d’inventaire ouvre la porte à une multitude de scénarios. Le meilleur exemple à relater est celui de François LeTiecq et de sa veuve Sébastienne Rondel. Les documents inclus dans l’inventaire révèlent une véritable petite saga dépeignant bien les événements perturbateurs que subissent parfois certains habitants de l’archipel. On parle ici, pour Rondel, d’un certain nombre de correspondances s’étalant de 1773 à 1807. Ce parcours documentaire plutôt tortueux débute en 1773 suite au décès de François Le Tiecq, maître voilier aux îles. Tel que le veux l’usage, sa veuve Sébastienne Rondel devient tutrice de ses enfants mineurs et le sieur Jacques Rondel subrogé-tuteur. Ces nominations sont approuvées par les sieurs Bernard Lafitte, Gabriel Lamouline et Antoine Desroches. On rappelle que la responsabilité de Sébastienne est alors de « diriger et gouverner en sa qualité de mère tutrice les personnes de ses enfants et leurs biens ». En ce qui a trait à Jacques Rondel, il « veillera à la conservation des biens des enfants mineurs519».

Selon Benoit Grenier et Catherine Ferland, l’épouse est en quelque sorte « une procuratrice naturelle » en qui le mari met toute sa confiance. Entre 1700 et 1765 à Québec, on dénombre 265 procurations dont le mandataire est une femme et ce, sur un total de 1 271 actes de procurations soit environ 1/5 du total. « ‘Quelque longue que soit l’absence ‘ : procurations et pouvoir féminin à Québec au XVIII e siècle », p. 197. 518 Jean Julien, habitant et sa veuve Louise Josset. Succession, 1769-1784. BAC-MG1-E, bobine F783, vol. 233, 25 pages. 519 François Le Tiecq, maître voilier et Sébastienne Rondelle, sa veuve, 1773. BAC-MG1-E, bobine F865, vol. 283, f 10. 517


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Dans ce dossier, deux pièces de correspondance semblent destinées à faire la lumière sur la validité de certains droits de propriété de terrains. D’abord, une lettre ou déclaration datée du 24 mai 1787 par Nicolas Antoine Dandane Danseville, commissaire ordonnateur des îles. Il confirme que Pierre Le Tiecq et un autre habitant né Talon, ont à l’origine obtenu du gouverneur le baron de l’Espérance, le droit de construire de petites maisons sur un terrain appartenant à la veuve Ferré, « qui n’en n’avait jamais joui depuis qu’il avait été concédé ». Les deux demandeurs se partagent donc ce terrain de onze toises carrées en deux moitiés, en attendant d’obtenir le brevet de concession. En vertu d’une autre correspondance émanant du Département de la Loire inférieure, on se questionne sur d’autres aspects de la question. D’abord, qui est cette Blanche LeBlanc, se disant veuve de Pierre Le Tiecq (probablement apparenté à François)? Quoiqu’il en soit, elle explique qu’au moment de l’invasion de l’archipel par les Anglais (sans spécifier d’année), elle possède sur les terrains de sa concession une maison d’habitation, une cour et deux magasins. Sa famille est alors composée d’elle-même, 48 ans, et de son fils Pierre Gratien Le Tiecq, 23 ans. Fermons cette longue parenthèse pour en revenir à ma préoccupation première soit d’évaluer les possessions de certains habitants. En 1771, la vente de liquidation des biens d’Anne La Tour rapporte 118 livres. Mais Simon Le Blanc, frère (?) du défunt Paul LeBlanc, révèle alors que la veuve La Tour détenait un tiers de la goélette La Françoise, échouée dans la rade de Saint-Pierre. Elle jauge 30 tonneaux et est partagée avec Joseph Dugas Père et Joseph Babin. Cette part de goélette va donc échoir à Simon. À la mort de Paul Le Blanc, la vente de ses effets rapporte 910 livres mais comme Anne La Tour, il possède d’autres biens. Il détient alors le huitième de la goélette La Caille, échouée dans la rade, en société avec Abraham Dugas et Alexandre Le Blanc. En ce qui a trait à la goélette La Charlotte, un huitième des bénéfices reviennent aux enfants mineurs de Paul Le Blanc soit 117 livres et douze livres pour La Caille pour un total de 129 livres520. Il reste aussi des animaux tels une vache, « la moitié » d’un petit bœuf de l’année chez Babin,

Ce partage d’investissements dans des embarcations est chose courante à l’époque. Selon Emmanuelle Charpentier, « rares sont les marins propriétaires d’un bâtiment en entier ». Sur les côtes de Bretagne on retrouve aussi des mentions de parts dans des chaloupes, dans des barques. Ces parts peuvent varier entre un trente-deuxième et la moitié. Par exemple, 7/32 d’une barque à Saint Brieuc peut valoir 875 livres alors qu’un quart de chaloupe peut être évalué à 7 livres. Charpentier, op.cit., p. 334-335. 520


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un bœuf de deux ans en « hivernement » au Barachois de Miquelon chez Jean Richard à raison de vingt livres de loyer. La vente, suite à l’inventaire, rapporte 1 055 livres mais les articles vendus « ont resté pour l’intérêt et bénéfice des enfants mineurs ». Les membres de la famille estiment important de « garder un fonds immobilier pour l’intérêt desd enfants ». Ceci dit, tout n’est pas réglé. En effet, le défunt Le Blanc avait investi en société dans une cargaison avec Babin et Dugas pour 1 200 livres. C’est pourquoi on attend le retour du navire transportant cette cargaison de France, prévu au printemps 1772521. À noter qu’on néglige parfois de mentionner toutes les pièces d’une maison et ses dépendances. Quoi qu’il en soit, Pierre Tournier et Perrine Boulot ont une maison contenant une cuisine, une salle, deux chambres et un grenier. À l’extérieur, sur leur terrain, on remarque une boulangerie, un magasin, un jardin de sept mètres par 18 mètres et une grave. C’est sans compter un autre terrain à Langlade avec une cabane522. Chez Jean Julien, on note, en plus de la pièce principale où se trouve souvent la cuisine, deux chambres et une salle. Ils sont également propriétaires d’un autre terrain de 24 mètres par 21 mètres. Finalement, François Le Tiecq a une maison avec salle, deux chambres, en plus d’une autre maison de dix mètres par sept mètres et un magasin. En terminant, comme on le constatera dans le prochain chapitre, les données des recensements nous en apprennent souvent davantage sur la composante immeuble que ces quelques inventaires. 5.3-Testaments et autres traces de transmission patrimoniale Bien que le corpus archivistique de l’archipel soit limité pour la période à l’étude, il demeure possible d’en connaître davantage sur les modes de transmission du patrimoine dans cette colonie. Ces sources éparses qui se résument à quelques testaments et donations, peuvent s’ajouter aux contrats de mariage et aux inventaires après-décès pour enrichir nos connaissances en ce sens. Les sept testaments dont je dispose permettent d’entrer plus avant dans les stratégies de transmission patrimoniale, quoique dans certains cas, les arrangements préconisés apparaissent plutôt complexes.

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Inventaire de la succession de Paul Le Blanc, 1769-1771. BAC-MG1-E, bobine F848, vol. 478. Après avoir « liquidé » l’inventaire, Pierre Tournier déclare des créances de 2 932 livres et des dettes de 6 225 livres. La vente des effets rapportent 729 livres. Il exploitait une boulangerie de sept mètres de large par huit mètres de long. Inventaire des biens et effets de la communauté entre Pierre Tournier et feu Perrine Boulot, 9 novembre 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 318-322v. 522


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Je m’intéresse d’abord à un testament de 1764, celui du capitaine de navire Couffoulens, de son vivant aux commandes du bâtiment les Deux-Amis. Il nomme Lapeire, négociant de Saint-Domingue, comme exécuteur testamentaire pour régler ses affaires dans cette colonie et à Saint-Pierre. Le contenu du testament semble découler d’informations recueillies dans le journal financier de Couffoulens. Les comptes sont exprimés à la fois en argent et en marchandises, incluant des comptes en souffrance, dont plusieurs sont des montants à lui être remboursés par une panoplie d’individus. Lapeire se voit donc confier des papiers en très mauvais état, pour tenter de remplir ses fonctions d’exécuteur testamentaire. La somme totale d’argent en jeu atteint 27 635 livres, dont une partie semble revenir à Lepeire luimême soit 7 400 livres. Cela s’explique par le rôle de représentant de ce dernier dans les transactions de Couffoulens. Pour le reste de la somme à récupérer, il semble alors envisageable d’avoir recours à une série de mesures à prendre contre certaines personnes dont Beaupoil Cainier, contre « une négronne libre » nommée Marguerite, contre Jean Mason, économe chez madame Pagrat, contre feu Lamoulline (de Saint-Pierre et Miquelon) et contre Berôn Beaulieu523. Les traces documentaires laissées par les testaments de Louis Jouet et de son fils Charles, laissent paraître la complexité inhérente à cette volonté des habitants de l’archipel de protéger leur patrimoine pour qu’il demeure sous l’emprise familiale. Notons que cette famille apparaît à quelques occasions dans des transactions de toutes sortes au chapitre 5. D’abord, Louis fait enregistrer son testament au greffe de Saint-Pierre le 9 mars 1774 et décède dès le lendemain. Ce testament mentionne alors que Jean Norray héritera de la grave de Jouet à sa mort, en autant qu’il le nourrisse jusqu’à la fin de ses jours. Ce qu’il a fait de manière jugée satisfaisante par Charles Jouet, fils de Louis. À la mort de Jean, ce dernier laisse deux enfants mineurs qui doivent donc hériter de la section d’habitation et de grave appartenant à leur défunt père. Le terrain en question fait onze mètres de face à la mer, sur 32 mètres de profondeur. Sur ce dernier se trouve un magasin de sept mètres par dix mètres, construit aux frais de Charles mais avec des fournitures du roi. Il est fort probable que de leur vivant, Louis Jouet et Jean Norray possédaient chacun leur maison mais construites

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Testament de Couffoulens, capitaine du bateau les Deux-Amis, 13 septembre 1764. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 1-2.


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sur le même terrain. Ils exploitaient donc la gave en commun. C’est donc fort probablement la maison de Norray et sa section de grave que Charles doit céder aux héritiers524. L’un d’eux est peut-être Élisabeth à qui Charles cède une partie de grave en 1783, tel que relaté auparavant. On se souvient aussi que Norray père avait vendu une parcelle de 93 mètres carrés à Louis le Male mais que cette vente n’est ratifiée qu’en 1789 par Charles Jouet. À la lecture des documents expliquant les démarches de Charles, il faut comprendre qu’il avait investi temps et argent dans l’exploitation de cette habitation qu’il devait maintenant céder aux héritiers. Il s’y résigne mais en imposant trois conditions; il mentionne un certain nombre de personnes contre lesquelles il semble vouloir se protéger en cas de réclamations imprévues (lesdits mineurs Noray, Michel Coustard dit Mini et Blaise, son frère maternel), il conserve les profits tirés de l’exploitation de cette habitation jusque-là et impose aux héritiers de verser annuellement 100 livres à Michel Corestare, leur oncle maternel, et cela « durant toute leur vie ou jusqu’à la mort » de ce dernier. Faute de quoi, ils seront déchus de leur droit à la grave. En « attendant sa mort », Charles spécifie qu’il se réserve « la jouissance des loyers et revenus » de cette grave et que les orphelins n’en hériteront qu’à ce moment-là. À sa mort, sa partie de terrain dont il se sera servi jusque-là, incluant « bâtisses et dépendances », seront cédés à Marie-Jeanne Jouet, fille maternelle de son défunt frère aîné Louis Jouet, du Cap Français à l’île de Saint-Domingue et à son frère paternel, Louis (II), fils du défunt Louis. Ce dernier serait alors à Port au Prince525. Charles désire également régler un vieux dossier remontant à l’époque de l’île Royale. Il explique qu’une somme de 650 livres avait été confiée à son défunt père (Louis) par un habitant de la Baie des Espagnols à l’île Royale, soit Paul Grivoire Moris. Ce dernier décède en 1757, de même que son épouse et ses enfants, à l’exception d’un « enfant au berceau ». La famille est alors décimée par une « maladie épidémique ». Cet argent devait ensuite être remis à cet enfant mais la prise de Louisbourg en 1758, empêche cette démarche de se concrétiser. L’enfant demeurant introuvable, l’argent s’est éventuellement « trouvé confondu dans la succession » de feu Louis. Selon les informations de Charles, 524

Charles Jouet, 24 juillet 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 80. Voir aussi Bail de deux graves par Charles Jouet et Michel Norée, tuteur des enfants mineurs de feu Jean Norée, à Edme Henry, Jean Mainville et Pierre Saint-Martin, 14 octobre 1784. 525 Acte d’acquiescement par Charles Jouet aux dernières volontés de son père Louis Jouet, 27 janvier 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 273-274v.


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l’orphelin devenu adulte serait peut-être alors à Belle-Île-en Mer. Finalement, Charles règle la question en versant un don aux héritiers de feu Grivoire en 1785526. Pour le négociant Bernard Lafitte, les procédures testamentaires sont assez clairement expliquées. En septembre 1786, il est malade mais sain d’esprit et de mémoire. Il demande alors de faire rédiger ses dernières volontés en présence de Vital Chevalier, lui-aussi négociant, et de l’habitant Louis Detchevery. L’exécuteur testamentaire est un autre négociant, soit Pradère Niquet : « son voisin et bon ami », à qui il demande de « lui rendre ce dernier témoignage d’amitié ». Par cette démarche, il révoque tout autre testateur et testament qu’il pourrait avoir fait avant celui-ci. Il semble qu’il soit alors père de quatre enfants dont deux mineurs, à qui il laisse tous ses biens. Il précise que les deux aînés ont déjà reçu 400 livres et « toutes les hardes lui appartenant ». Pour les autres biens, « de quelque nature qu’ils fussent », ils devront être partagés également en quatre parts. Il ajoute avoir également donné à son fils aîné la quantité de 60 à 75 quintaux de morue. Lafitte n’oublie pas « sa gardienne », en lui donnant deux quarts de farine et deux cordes de bois puisque c’est elle qui l’a soigné durant sa maladie. Viennent ensuite ses recommandations d’homme d’affaire averti à l’endroit de ses enfants. Envers ceux qui doivent de l’argent à la famille, il faut « prendre tous les moyens de douceur » pour obtenir paiement de ceux lui ayant « donné des preuves de constante attachement ». Il recommande également de faire fructifier la boulangerie et le loyer des maisons sur « d’aussi longs termes que possible ». Si jamais les circonstances exigent la dissolution de la société ou entreprise familiale, le partage doit se faire « à l’amiable sans dispute, ni discussion527». En marge du testament traditionnel, se profilent d’autres types de procédures visant à réclamer des successions. Ainsi, en 1786, Jacques Legenty (Legentil), devenu « habitué et résident en cette colonie », fait de Pierre Chenel son procurateur. Les deux sont originaires de Granville et Chenel devient chargé de réclamer la « portion d’héritage » revenant à Legenty, à partir de la succession de son père à Granville. Il a également le pouvoir de recevoir « toutes rentes, loyers à lui dû » ou encore de « payer et solder les sommes qu’il 526

Don de Charles Jouet aux héritiers de feu Paul Grivoir, 4 juin 1785. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 99-99v. 527 Testament de Bernard Lafitte, 7 septembre 1786. BAC-MG1-G3, vol. 478, f 162-163. Le décès du chef de famille peut parfois résulter en des tiraillements entre les enfants survivants. Dufournaud et Michon, « Les femmes et le commerce..», op.cit., p. 364.


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peut devoir ». Spécialement au sieur Latouche Pinault, dont Legenty est débiteur pour une somme de 427 livres, somme devant être remboursée en mars 1787. Cette dette découle de l’achat de vingt quintaux de morue sèche, qu’il a livrés en guise de paiement « du fond de l’habitation » acquise par son défunt père. Cette habitation fait donc partie de la succession à laquelle il a justement droit528. Quant à Geneviève Benoist, épouse de Jean-Baptiste Dupleix Silvain, elle donne procuration aux sieurs Campet et Alexis-Bertrand Dubois pour récupérer sa part de la succession de son oncle défunt, M.F. Fiedmont. Les procurateurs doivent s’adresser au sieur Campet, demeurant à Paris. Il est exécuteur testamentaire de feu Piedmont, décédé à Belleville en 1788. Benoist s’attend de recevoir « tous les objets à elle légués », par le testament du défunt. Les procurateurs doivent également prendre connaissance des biens et effets, titres ou espèces, et s’occuper de défendre ses intérêts lors du partage des biens avec les « dénommés dudit testament ». Une fois la part de Benoist sécurisée, les procurateurs doivent la vendre au prix jugé convenable et donner quittance des sommes reçues529. C’est essentiellement la même approche préconisée par Jean-Philippe Bourrilhon qui nomme Jean-Baptiste Calvet pour « prendre connaissance des biens et effets délaissés par feu Marie Grand, sa mère », et ceux de sa tante maternelle, « feu Suzanne Grand, dont il est héritier par testament ». Bourrilhom est alors écrivain ordinaire des colonies dans l’archipel et Calvet est « marchand certifié au Languedoc », même lieu d’origine que Bourrilhom. Les biens obtenus doivent être vendus par Calvet530. Il arrive aussi que de leur vivant, parents et enfants s’entendent pour clarifier le partage des biens et le sort réservé à un parent vieillissant. Les actes de donation contribuent également à éviter les frictions entre héritiers. Par exemple, en 1785, l’habitante Marie-Jeanne Frécourt, veuve en dernier lit de Louis Frécourt, de son vivant habitant et capitaine de navire, s’entend sur une « donation réciproque » avec Auguste Marie Hervé de Saint-Malo. Ce dernier est fils de feu Jean Hervé et de feu Hélène Frécourt et est justement à Saint-

528

Procuration par Jacques Legenty à Pierre Chenel, 13 novembre 1786. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 175-176. 529 Procuration par Geneviève Benoit, épouse de Jean-Baptiste Dupleix Silvain, aux sieurs Campet et Dubois, 26 mai 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 288-291. 530 Procuration par Jean-Philippe Bourrilhom à Jean-Baptiste Calvet, 22 août 1789. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 295-297.


158

Pierre au moment où Marie-Jeanne convient de ce qui suit avec lui : La dame Frécourt « subroge » Auguste Marie Hervé, majeur, en tous les droits sur un terrain concédé antérieurement à feu Jean Frécourt, son premier mari, en 1784. Il s’agit d’une parcelle mesurant 20 mètres « sur chaque face », borné au sud par la grave d’Antoine Morin et au nord par le jardin du roi. En plus du terrain, la veuve cède tous les matériaux obtenus du magasin du roi soit 520 mètres de planches en bois de charpente, 24 kg de clous à construire, 16 kg de clous à madrier, 16 kg de clous de cinq pouces, six serrures dont quatre de cabinet et deux de portes, six pentures avec leviers et quatre milliers de bardeaux. En contrepartie de ce qu’il reçoit, Auguste Marie s’engage à payer ces matériaux aux magasins du roi et fournir un logement à la veuve dans la maison qu’il se propose de construire sur le terrain reçu. Le logement sera de trois mètres par sept mètres, avec une cheminée au milieu et la veuve en sera la maîtresse531. Pour sa part, la donation par la veuve Debon à son fils Denis s’avère plutôt élaborée et complexe. Elle implique aussi une transaction entre les frères Denis et Jacques Debon, pour le partage d’une propriété. La veuve Debon est en fait Gilette Lemanquet, ancienne habitante de l’île Royale et de Saint-Pierre, depuis son établissement en 1763. Denis est son fils aîné, également habitant. La veuve tient à mettre de l’ordre dans les affaires familiales en signe « d’attachement qu’elle porte » à son fils, et par principe de justice à son égard. Également, elle désire éviter toute discussion entre Denis et son frère Jacques, relativement à la maison qu’elle a fait bâtir et qu’elle occupe en commun avec Denis. C’est sur son terrain que se trouve cette bâtisse, parcelle obtenue de Jacques en octobre 1768. Ce terrain leur a été concédé en commun en 1764 par d’Angeac et Barbel, respectivement gouverneur et ordonnateur. La veuve confirme qu’au cours des trois dernières années (1785-87), Denis a travaillé et déboursé de manière substantielle à la construction de cette demeure. Il serait donc à son avis injuste de « lui ôter la propriété ». La veuve cède également les matériaux obtenus des magasins du roi mais qui demeurent impayés, ce dont Denis devra se charger. Sur ces matériaux, il y en a pour 500 livres ayant été consacrés à l’habitation de l’île aux Chiens. À cela s’ajoute aussi l’obligation de fournir la subsistance à sa mère « pendant qu’elle vivra ». Au moment d’accepter ces conditions, Denis et la 531

Donation réciproque entre la veuve Frécourt et Auguste-Marie Hervé, 28 novembre 1785. BAC-MG1G3, bobine F632, vol. 478, f 135-137.


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veuve ont comme témoins les habitants Vital Chevalier, René Ross et Jean Philibert. De leur côté, les frères Denis et Jacques en viennent également à une entente quant à la portion de terrain demeurant la propriété de ce dernier. Ils s’entendent aussi pour débuter la construction de l’appartement et de la cuisine de leur mère, au plus tard en mai 1787532. Tel qu’évoqué auparavant, les nombreux rebondissements géopolitiques affectant l’archipel et sa petite population, ne favorisent pas les études sérielles dans la longue durée. N’empêche que le dépouillement de ce cursus archivistique plutôt réduit, confirme néanmoins que les habitants de cette colonie sont bien au fait des avantages de la Coutume de Paris et de la puissance de cet outil juridique qu’est le notariat. Comme ailleurs dans l’Atlantique français, les habitants de Saint-Pierre et Miquelon cherchent à protéger leur patrimoine familial et à se munir contre les impondérables économiques de leur époque. Tableau 10 Contrats de mariage à Saint-Pierre et Miquelon Couples

Argent total

Couples

Argent total

Couples

Argent total

Tournier-

600 livres

Harriague-

2 000

Dubois-

12 000

Boullot Noré-Babet

2 800

Josset

Gaillard

Arrondel-

Lafleur-Guérin

900

Desroches-

1200

Josset Morin-Le

3 000

Douage-Toyon

1000

Bouffe LeBlanc-

Copiau 200

Comeau Talon-Baron

L’Espérance-

4 500

Rodrigue 3 000

Devers-

Richemont

532

1 100

Paris-Julien

600

Visel 4 000

Arondel Fénélon-

Lavaquière-

Girouflet-

1 300

Poumeau 3 000

Lafitte-

3 100

Phélipot

Donation par la veuve Debon à son fils Denis. Transaction faite entre Denis et Jacques Debon pour le partage d’une propriété, 9 mars 1787. BAC-MG1-G3, bobine F632, vol. 478, f 181-183v.


160 Louteig-

2 400

Guichon-

Vigneau Fuce-Henry

2 600

Thomas-Baron

700

1 000

Treguy-Blin

1 300

1 800

Turnié-Mancel

1 400

Marcadet 4 200

MalaysMancel

Lemasson-

10 000

Richard-

Chevalier

Villanou

Tableau 11 Valeur des richesses selon les inventaires après-décès à Saint-Pierre et Miquelon 1769-1789 Années 1769

Noms Alexandre Moreau

Valeur en livres

Occupations

604

pêcheur

1769

Jean David

533

pêcheur

1769

Pierre Loya

2 388

habitant

1769

Paul Le Blanc

118

habitant

1773

François Le Tiecq

3 134

Maître-voilier

1776

Gabriel Lafitte

35

décolleur

1776

Jean Diron

21

pêcheur

1777

Michel Dithurbide

278

charpentier

1769-84

Jean Julien

2 280

habitant

1784

Jean Lafitte

104

matelot

1785

Mathurin Josset

?

habitant

1785

Pierre Le Boulanger

29

habitant

1785

Joseph Le Blanc

118

pêcheur

1785

Philippe Lamouline

1 513

habitant

1785

Jean Noray

993

habitant

1787

Mathurin Hamon

729

habitant


161 1789

Pierre TurniĂŠ

7 374

habitant


162

Chapitre 7 Possessions, richesses et outils de production à Saint-Pierre et Miquelon, 1764-1828 Dans le cadre du projet archipel, l’un des principaux objectifs à atteindre consiste à déterminer ou reconstituer l’environnement matériel des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon. Certes, un bon nombre d’entre eux reçoivent l’aide de l’État pour s’implanter ou se réimplanter durant la période à l’étude. Mais à moyen terme, il leur a bien fallût s’accrocher davantage au stade de l’autosubsistance. Ou du moins, faire preuve d’une détermination perceptible de l’atteindre. Pour espérer reconstituer au moins partiellement cette seconde moitié du 18e siècle dans l’archipel, j’utilise une série de mémoires et de recensements. Mais avant de m’intéresser aux habitants proprement dit, j’estime important de présenter les infrastructures mises en place par l’État. 6.1-Infrastructures de l’État dans l’archipel Arrêtons-nous d’abord à ce qui existe sur place en 1776, conformément à la liste dressée par Beaudoucet533. Cette dernière révèle dix-huit édifices civils dont treize à Saint-Pierre et cinq à Miquelon. Quelles conclusions y-a-t-il à tirer des observations ou données consignées dans ce document? Premièrement, leurs usages : logement pour les militaires et les ecclésiastiques, les chirurgiens, la pratique du culte, le soin des malades, l’entreposage de marchandises ou encore pour la production alimentaires de base. On a bien sûr des cimetières. Deuxièmement, on peut parler de superficies standardisées en fonction de l’usage et du rang militaire des occupants. Ainsi, on a un magasin de 30 mètres sur 15 mètres, des casernes, suivi par l’hôpital de 21 mètres sur 16 mètres et les deux chapelles de 20 mètres sur 8 mètres. Viennent ensuite les logements militaires, ceux des aumôniers et des chirurgiens-majors. On constate rapidement un ordre plus ou moins décroissant des superficies habitables en fonction du rang militaire : logement du gouverneur à Saint-Pierre (20 mètres sur 9 mètres), celui du capitaine à Miquelon (16 mètres sur 7 mètres) et celui de l’ordonnateur (15 mètres sur 9 mètres) à Saint-Pierre. C’est aussi à Saint-Pierre que l’on trouve les logements des autres officiers militaires et qui se limitent à une superficie de 18 mètres par 8 mètres et ce, dans un même espace. Les espaces

533

Liste dressée par Beaudoucet, énumérant les bâtiments civils situés sur les îles Saint-Pierre et Miquelon qui ont besoin d’être réparés, 19 août 1776. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 8-11.


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habitables des deux chirurgiens-majors (11 mètres sur 8 et 8 mètres sur 4) sont assez comparables à ceux des deux aumôniers à 11 mètres sur 8 mètres. Cette même logique hiérarchique s’observe dans la disposition des intérieurs. Par exemple, le logement du gouverneur est le seul ayant trois chambres, comme c’est le cas du logement du capitaine à Miquelon. Également, le gouverneur a plusieurs cabinets534 alors que d’autres officiers en ont trois chacun. Ces édifices de logement ont tous au moins une cheminée, sauf ceux des trois plus haut gradés qui en ont chacun deux. Tous ont une cuisine, quelques-uns ont aussi un jardin et une cour. L’ordonnateur, lui, a la chance d’avoir un salon et une petite salle. Le gouverneur semble être le seul à bénéficier d’une étable alors que l’ordonnateur a « une moyenne cour, un marécage et un cabanon ». On constate aussi une certaine constance dans la mention que les cours et jardins sont entourés de palissades de piquets ou de planches atteignant souvent 2,5 mètres de haut535. Le style et les matériaux de construction des édifices de logement ou autres sont assez standards. On parle ici de structures construites en piquets de bois plantés dans le sol à la verticale, atteignant de trois à quatre mètres de longs; en chêne ou en pin. La boulangerie du roi est aussi en piquets mais qui sont doublés avec des planches. Sur la caserne de Miquelon se trouvent des planches de bois en crépi536, qu’on aimerait aussi placer pardessus les piquets. Toujours à Miquelon, la maison de l’aumônier est « bâtie en madriers de bois de pin de deux pouces d’épaisseur ». La chapelle du roi, quant à elle, a les « trois quarts en piquets de bois de chêne, l’autre quart en madriers de pin ». Mais qu’en est-il de la finition intérieure de certains édifices? Le logement de l’ordonnateur à Saint-Pierre a un intérieur « lambrissé537», celui de l’aumônier est fini en planches alors que la caserne a un « crépi en méché en dedans ». On mentionne aussi des planches de bois et du crépi pour les casernes de Miquelon, alors que la maison de l’aumônier est aussi lambrissée en dedans. On ne s’étonne pas non plus que les édifices à fonction autres que

534

Ces cabinets, au 18e siècle, peuvent être des « meubles de rangement verticaux ». Péret, Les paysans de Gâtine au XVIIIe siècle, op.cit., p. 221. 535 La Morandière parle de « petits pieux de sapin recouverts de planches et de bardeaux importés de Nouvelle-Angleterre ». La Morandière, op.cit., p. 797. 536 Crépi; couche de plâtre, de ciment d’aspect raboteux, dont on revêt une muraille. 537 Lambris; revêtement en marbre, en stuc ou en bois, formé de cadres et de panneaux sur les murs d’une pièce.


164

pour du logement contiennent des espaces spécifiques. Par exemple, dans les locaux du chirurgien-major on trouve des pharmacies, l’hôpital de Saint-Pierre abrite six lits dans une salle et un appartement pour panser les malades et les blessés. Les chapelles du roi, elles, ont bien sur des tribunes alors que la maison de l’aumônier comprend une sacristie avec un clocher sur quatre piliers et une petite croix entourée de planches. À Miquelon, la maison servant de chapelle a aussi une sacristie où l’on trouve un tabernacle, une balustrade, des fonds baptismaux, une chaire et un confessionnal. La boulangerie est forcément équipée d’un bon four et d’une cheminée. 6.2-Environnement des habitants-pêcheurs En 1768, d’Angeac et ses contemporains s’accordent pour dire qu’à peu près chaque habitant est logé dans une maison qu’il a bâti et qu’il fait la pêche dans une chaloupe qu’il a aussi construite. On peut cependant admettre d’amblée que la qualité des intérieurs puisse laisser à désirer. À Miquelon, les habitations ressemblent davantage à des « cases » qu’à de véritables maisons. La plupart sont « complétées de piquets en terre, sans doublage, d’une couverture de gazon et d’une cheminée en torchis de foin en terre grasse 538». À l’intérieur, il n’y aurait la plupart du temps qu’une seule pièce avec plancher en terre battue ou en galets. Ces premières cabanes ne devaient pas dépasser les 25 mètres carrés. Le plan d’une maison de pêcheur réalisé en 1797 laisse voir une surface de 49 mètres carrés avec deux chambres de 2,5 mètres sur 3,5 mètres, en plus d’une pièce commune. Cette dernière fait environ sept mètres sur 4,5 mètres539. Est-il maintenant envisageable de reconstituer l’environnement des habitants-pêcheurs de l’archipel, du moins de manière quantitative? En 1765 à Saint-Pierre, on dénombre un total de 138 structures que sont les maisons, les magasins (entrepôts), les cabanes (de pêcheurs ou d’entreposage) et les chafauds540. En termes d’embarcations, les mentions de demi-

538

Mémoire anonyme concernant les îles Saint-Pierre et Miquelon et le rôle éventuel que les Acadiens peuvent y jouer, 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 81v. Également, voir Réfutation du mémoire précédent par d’Angeac, 29 octobre 1768. BAC-MG1-G1, bobine F767. Vol. 463, f 88. 539 Poirier, op.cit., p. 69, 71. Un mémoire de 1784 suggère que les maisons de Saint-Pierre sont trop spacieuses et doivent ressembler davantage à celles de Miquelon. Bref, se limiter à un seul étage et « telles que des pêcheurs doivent en avoir »! Rapport sur les mémoires que Messieurs de Carphilet et Malherbe ont adressé, 1784. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 117. 540 Saint-Pierre, 1765, SLND, Archives Nationales, Service outremer, G1, vol. 467, cité dans Poirier, op.cit., p. 195-199. Sur la question des usages attribués aux infrastructures d’entreposage, Tommy Simon


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chaloupes, de chaloupes541, de wary (doris)542, toutes non-pontées, dominent les embarcations en termes de nombre. Mais comme ce fut le cas dans les autres colonies françaises du golfe du Saint-Laurent au 18e siècle (Plaisance, l’île Royale, Gaspésie) les niveaux de capacités de production et donc de richesse, varient. En 1776543, les 1 984 habitants sédentaires et saisonniers de l’archipel se partagent un total de 580 infrastructures. En y regardant de près, on constate que ce ne sont pas toutes les maisons qui ont des cabanes, des magasins, des étables et même des chafauds. Le baron de l’Espérance, gouverneur de l’archipel, évalue à 358 600 livres l’investissement nécessaire à la remise en état de ces infrastructures. Si l’on s’aventure dans toutes sortes de conjectures, on peut aussi dire que l’État investi en moyenne 180 livres par habitant ou encore 618 livres par infrastructure. On se rend également compte que certains habitants prédominent en termes de possession d’infrastructures et d’embarcations. On pense ici à la famille Rodrigue qui possède sept bâtisses et dix embarcations dont cinq chaloupes, une demi-chaloupe, dix doris et 5,4 parts de navire ou bâtiment ponté544. La dimension en mètres carrés de ces bâtisses se chiffre à 1 693. Deux autres habitants se démarquent pour les mêmes raisons alors que la dame Pelletier s’est intéressé au cas des établissements de pêche opérant à Mont-Louis en Gaspésie durant le Régime français. Pour qualifier ces espaces de rangement et d’entreposage, il emploi des termes tels que cabanon, cabanot ou simplement entrepôt. Vivre et pêcher dans les Notre-Dame. p. 92. 541 En 1789, il en coûte environ 3 208 livres pour armer une chaloupe. Les chaloupes des habitants mesurent de 10 mètres à 11 mètres de quille, grées à voiles latines ou carrées, armées de dix hommes pour deux chaloupes soit les pêcheurs et les graviers. Ribault, « Les îles Saint-Pierre et Miquelon. La vie dans l’archipel », op.cit., p. 62. Voir aussi La Morandière, op.cit., p. 786-87. 542 La Morandière appelle aussi les « wories » de petits canots pouvant rapporter de 50 à 60 quintaux de morue, en pêchant le long des côtes en été. Les chaloupes, elles, en prennent entre 180 et 200 durant la même période. La Morandière, op.cit., p. 786-787. Ribault avance que jusqu’en juin 1789, l’usage du wary est seulement toléré pour les pêcheurs pauvres. Il le décrit comme une petite embarcation à fond plat, d’origine anglaise, utilisée par les pêcheurs français à Terre-Neuve depuis le milieu du 18e siècle. Le coût moyen pour armer ce genre d’embarcation est d’environ 1 110 livres en 1789. Ribault, « Les îles SaintPierre et Miquelon. La vie dans l’archipel sous l’ancien régime », op.cit., p. 71. 543 État des maisons, cabanes, étables, boulangeries, échafauds existant à Saint-Pierre et Miquelon dressé par le gouverneur le baron de l’Espérance, 1776. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 7v. 544 Antoine Rodrigue, ancien habitant de Louisbourg, occupe la fonction de capitaine de port à Saint-Pierre. Sa femme lui donne huit enfants et sa fille Jeanne-Françoise devient baronne d’Empire en 1775 en épousant Charles-Gabriel-Sébastien, baron de l’Espérance, gouverneur de l’archipel. Ribault, « La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793 », Revue française d’histoire d’outre-Mer, Tome 53, no 190-191, 1966, p. 46. Toutefois, la société Charles Rodrigue Frères déclare faillite le 16 octobre 1792. Elle existait depuis 1783, incluant Antoine. Ribault, « Les îles Saint-Pierre et Miquelon. La vie dans l’archipel sous l’Ancien Régime », op.cit., p. 66.


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Lagroix et le négociant Pradère Nicquet possèdent respectivement neuf et sept bâtisses de même que huit et 7,5 embarcations. Les dimensions de leurs bâtisses et infrastructures se chiffrent respectivement à 731 mètres et 1 340 mètres carrés. À noter que le terme bâtisses inclut les chafauds. Vient ensuite Michel Senechaux (Stévécheaux), qui détient sept embarcations dont deux bâtiments pontés et quatre chaloupes. Finalement, Pierre Letourneur affiche sept mentions d’infrastructures pour 220 mètres carrés et huit embarcations dont une pontée et six chaloupes. Au total, la superficie en mètres carrés des infrastructures bâties se chiffre à 18 923 soit une moyenne de 274 mètres pour 69 habitants en ayant déclaré lors du dénombrement de 1776. On constate ainsi que les meneurs dépassent largement la moyenne. Du côté de Miquelon, toujours en 1776, semble prévaloir une grande dynamique de partage ou d’investissements en commun ou en société545. Cela s’applique d’abord et avant tout aux infrastructures de pêche et même au cheptel! Plusieurs cas peuvent être relatés. Pierre Sire et son fils Jacques semblent préconiser cette approche d’exploitation familiale. Pierre, 65 ans, partage un magasin avec Jacques, une grave avec l’un de ses gendres, une moitié de goélette, une demi-chaloupe et même un cheval. Jacques, quant à lui, possède une demie grave, une demi-goélette, une demi-chaloupe, un autre tiers de chaloupe et un canot. Il est également possible que Jean Cormier dit Brélé, 35 ans, soit associé et apparenté à Pierre Cormier « brélé », 36 ans. Mais la répartition des avoirs nous porte à croire qu’ils sont parties prenantes d’une « société » plus étendue. Ils ont bien chacun leur maison mais Jean a aussi une étable, alors que Pierre possède un magasin et même une boulangerie! Lorsqu’on examine les infrastructures de pêche, les deux possèdent un tiers de grave, un tiers de chaloupe, un tiers de goélette et un sixième de chafaud. C’est un peu le même constat du côté de Joseph Dugas fils, 29 ans, propriétaire d’une maison, d’un magasin et d’une étable. Quoiqu’il semble être occupant d’une grave complète, il fait lui aussi partie d’une société avec un tiers de goélette, un demi canot et même un demi cheval! Il détient toutefois une chaloupe complète. D’autres individus se On peut parler de société d’armement lorsque des membres d’une même famille mettent leurs capitaux en commun pour armer un certain nombre de bâtiments en se partageant les bénéfices. Ribault, « Les îles Saint-Pierre et Miquelon », op.cit., p. 65. Cet historien parle des trois plus importantes de l’archipel durant la période à l’étude soit Boullot Frères, Henry-Mainville, Chibeau-Saint-Martin, de même que Rodrigue Frères. 545


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démarquent nettement par leur grand nombre d’animaux dont Joseph Richard, Joseph Vigneau et Abraham Vigneau. Ils possèdent respectivement douze, dix-huit et vingt moutons chacun546. Chez les entrepreneurs de pêche, c’est un non résident qui semble dominer ou du moins se situer dans le peloton de tête. Le sieur François Berrade est capitaine de navire de Bayonne et vient tous les ans dans la colonie pour la saison de pêche. Il est propriétaire d’une habitation de pêche incluant grave, maison, trois cabanes de pêcheurs-engagés, un chafaud, douze chaloupes et une barquette. Il arrive aussi qu’il y ait usage commun de cabanes de pêcheurs, du moins pour six cas à Miquelon en 1776. Un cas intrigant est celui de Pierre Coste qui, cette année-là à Miquelon, détient la moitié d’une étable, la moitié d’un cheval et d’une vache de même qu’une demie grave et une demi-chaloupe. En dépit de ces nombreux exemples de partage ou de sociétés, il n’en demeure pas moins que l’on dénombre 37 habitants-pêcheurs étant uniques détenteurs d’une grave contre 33 qui en détiennent une demie ou un tiers. La tendance est fort différente pour les chafauds avec seulement cinq propriétaires à part entière. Dans un autre ordre d’idée, un recensement partiel réalisé en 1783 tente d’émettre des degrés d’appréciation de l’état des édifices à Saint-Pierre. L’on est alors en mode retour dans la colonie suite à la Guerre d’indépendance américaine. On constate ainsi que huit cabanes sont finies mais seulement deux sont entourées de piquets. Pour les maisons, douze sont commencées, treize sont recouvertes de bardeaux et huit sont qualifiées de provisoires547. À Saint-Pierre en 1784, les habitants détiennent 99 439 toises carrées de grave ou de terrain le long des deux côtés du Barachois et de l’île aux Chiens. Pour Miquelon, on parle de 78 340 toises carrées, dont 8 860 (11%) sont mises en valeur. La

Selon Valérie D’Amour et Évelyne Cossette, le bétail représente un « bien capital, une force de traction et une composante de l’alimentation familiale ». Ces deux auteures estiment également que la quantité de « bêtes possédées » et leur qualité peuvent s’avérer être des « facteurs de hiérarchie sociale » sur l’île de Montréal sous le Régime français. « Le bétail et l’activité économique en Nouvelle-France… », p. 217218. 547 Recensement fait ce jour des établissements de l’île Saint-Pierre par nous, baron de l’Espérance, gouverneur, 23 décembre 1783. Archives nationales, Service Outre-mer, G1, volume 463, f 50 et suivants, Cité dans Poirier, op.cit., p. 448-349. Suite au Traité de Versailles du 24 mai 1783, la France décide de rétablir les infrastructures de l’archipel en y consacrant un crédit de 700 000 livres, dont 350 000 livres pour les constructions. Poirier, op.cit., p. 99. 546


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totalité de ces étendues de grave peut permettre de sécher 28 447 quintaux de morue, à raison de vingt-cinq toises carrées de grave pour chaque quintal548. Le recensement de 1785 pour Miquelon, quant à lui, permet d’en apprendre un peu plus sur les multiples combinaisons d’arrangements possibles dans le partage des outils de pêche. On dénombre 24 propriétaires de parts de chaloupes (quart, demi, deux tiers ou encore trois quarts) contre trois pour les navires de pêche sur les bancs. Il y a aussi quatre propriétaires de doris et 30 de chaloupes entières. Du côté des chaloupes, Alexis Poirier détient une part dans l’une et une autre complète alors que Jean Poirier en a trois entièrement à lui et Jean Sire en a deux. Pour la pêche au large, Louis Poirier possède un quart de navire et deux tiers de chaloupe pour la pêche côtière. Joseph Bourgeois, lui, est propriétaire de la moitié du brigantin Le Papillon qui coule en 1783. Il est aussi possible d’identifier formellement au moins six unités de production soit celles des frères François et Joseph Briand, Louis Blacquière et son oncle Jean Gautier, Joseph Doucet et son oncle François Briot, Jean-Baptiste Gautier et son neveu Louis Blacquière, Joseph Hébert avec son beau-frère Jean Coste et finalement Charles Hébert avec un associé inconnu. De tous ces types d’arrangements, ressort la prépondérance des liens de parenté et des patronymes acadiens549. Il s’en dégage là-aussi une multitude d’arrangements envisageables pour accroître les revenus familiaux et limiter les dépenses. Cinq exemples s’avèrent plutôt révélateurs à cet égard. Jean Briand a une chaloupe en plus d’avoir travaillé comme maître de grave pour trois autres chaloupes en 1785, Jean Boudrot a lui-aussi une chaloupe mais qu’il décide de louer, préférant un revenu plus substantiel à titre de maître de grave, François Buot a une chaloupe faisant la pêche à un chafaud dont il est le saleur et finalement, Joseph Chiasson détient une moitié de chaloupe en plus d’être commandant de goélette. Les commentaires du recenseur portent à croire qu’il estime que certains pêcheurs se démarquent davantage. Par exemple, François Coste est « excellent pêcheur » et l’un des « habitants des plus aisés

548

La Morandière, op.cit., p. 789. Recensement des habitants de Miquelon, 12 novembre 1785. Archives Nationales, Service Outre-Mer, G1, vol. 463, f 54-65. Cité dans Poirier, op.cit., p. 360-374. 549


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de l’île ». Pierre Coste, lui, serait même le « meilleur pêcheur de l’île, ne faisant jamais moins de 300 quintaux, quelque ingrate que soit la pêche550». Un autre indice permettant de mesurer la santé économique d’une unité de production familiale relève aussi de la perception des recenseurs : « Avec les seuls bras de sa famille » ou encore « il n’emploi aucun bras étrangers », « n’a employé que sa famille à ce genre de travail ». De là l’intérêt de se poser la question à savoir si la taille des familles peut avoir un impact sur la rentabilité d’un établissement de pêche. Bref, en vertu de la composition des foyers, pouvons-nous spéculer sur l’avenir économique ou financier de chacun? Ces familles peuvent-elles être confiantes dans l’avenir ou sont-elles plutôt vulnérables à la moindre malchance? J’ai d’ailleurs déjà appliqué cette méthode à l’étude d’une autre population maritime du golfe du Saint-Laurent, soit celle de la communauté acadienne de Caraquet au Nouveau-Brunswick551. Dans le contexte qui m’intéresse, soit Miquelon en 1785, j’ai sélectionné six cas d’analyse me semblant forts pertinents. Ce sont toutes des familles complètes où les moyennes d’âges des conjoints portent à croire que le nombre d’enfants est près de la limite, du moins dans la grande majorité des cas. On parle de 45 ans pour les hommes et de 38 ans pour les femmes. D’abord, la famille de Célestin Briand compte cinq garçons dont quatre sont âgés de 21 à dix ans et donc parfaitement en mesure d’assister leur père dans l’exploitation de sa propre chaloupe552. Briand épargne ainsi des salaires d’engagés, autant en terme de compagnons de chaloupe que de graviers. Jean Cormier semble lui-aussi en bonne position. Quoiqu’il ne détienne qu’une demi-chaloupe, il est cependant maître de grave pour deux chaloupes et n’a employé que sa famille pour sa propre pêche. En plus, il possède « un très grand jardin ». Quoique Jean Mouton ait déjà 50 ans en 1785, il jumèle les revenus de son entreprise de pêche à ceux de commis à l’amirauté de Saint-Pierre. Il n’a qu’un doris mais dans lequel deux de ses quatre fils pêchent, alors qu’un troisième est compagnon dans une

550

Recensement des habitants de Miquelon, 12 novembre 1785. Cité dans Poirier, op.cit., p. 361-363. N. Landry, Une communauté acadienne en émergence. 552 Selon Josette Brun, « entre les âges de douze et vingt ans, les enfants sont considérés comme de jeunes adultes en apprentissage que l’on prépare à prendre en mains les tâches du parent de même sexe. Cependant, même si les garçons peuvent être apprentis à partir de douze ans, ils ne sont considérés comme de jeunes hommes qu’à partir de quatorze ou quinze ans. Une veuve sur quatre peut éventuellement être épaulée par un fils, et une sur trois par un fils ou un gendre ». Brun, op.cit., p. 70. 551


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autre chaloupe. Leur moyenne d’âge est de seize ans! Ce qui signifie qu’en plus de traiter et de manutentionner leur morue sans aide externe, la famille cultive deux jardins répondant partiellement à leur subsistance alimentaire. À l’autre bout du spectre, François Briand se retrouve à une étape de vie familiale où la sécurité financière s’avère moins prometteuse sur le moyen et long terme. Père de neuf enfants, il a bien trois fils mais dont la moyenne d’âge est de treize ans soit l’âge minimum permettant d’espérer une contribution minimale en terme de main-d’œuvre. L’inquiétude doit d’ailleurs être palpable à l’automne 1785 puisque François étant malade, il n’est pas en mesure d’équiper sa chaloupe pour la pêche. Toutefois, cela n’empêche pas JeanBaptiste et François fils de pêcher à titre de compagnons dans la chaloupe de leur oncle Joseph, l’associé de François père. Le reste de la famille semble être en mesure de « faire la grave » et de s’occuper du jardin. Il est également probable que François père souhaite trouver mari à ses filles Françoise (dix-huit ans) et Marie (dix-sept ans) avant trop longtemps. Quoiqu’en raison du nombre de jeunes enfants encore à la maison, on peut imaginer que l’épouse, elle, espère qu’une des deux filles puissent l’assister encore quelques années dans les tâches domestiques. Une situation assez analogue est celle d’Honoré Gautreau, dont l’âge moyen des quatre fils n’est que de sept ans. Mais il a la chance de partager son foyer avec son beau-frère Étienne (24 ans) et sa belle-sœur Louise (dix-huit ans). La contribution d’Étienne, tout dépendant du temps qu’il restera dans ce foyer, répondra partiellement au besoin de main-d’œuvre d’Honoré en attendant qu’au moins un de ses fils soit en âge de contribuer à part entière à l’entreprise familiale. On pense surtout à Jacques (quatorze ans), qui revendique déjà le statut de compagnon dans la chaloupe de son père. Un cas quelque peu comparable à Honoré est celui de Félix Hébert. La moyenne d’âge de ses trois fils n’est que de huit ans mais les frères de Félix, soit Joseph (23 ans) et Étienne (quinze ans), demeurent avec lui et travaillent comme compagnons-pêcheurs. Toutefois, précisons que seul Étienne monte la chaloupe de Félix puisque son frère Joseph est employé dans celle de Jean Coste, son beaufrère, avec qui il est associé. C’est souvent un mariage bien orchestré qui vient renflouer une unité de production familiale battant de l’aile. On a un bel exemple en 1785 à Miquelon. Charles Hébert (dix-


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huit ans) est fils de feu Paul Hébert et le recensement ne mentionne pas la présence de sa mère. Il occupe une maison avec ses trois frères (onze à seize ans) et sa sœur Cécile (30 ans). Finalement, Cécile épouse un « pêcheur étranger », Louis Michel, qui se met à la tête de l’habitation et achète une chaloupe dans laquelle Charles et son frère François sont compagnons553. Dans un souci de continuité de cette enquête, je m’intéresse également à la situation des habitants suite à la reprise permanente de 1815-16. C’est-à-dire à savoir si cette stabilité géopolitique si longtemps attendue modifie les paramètres financiers des habitantspêcheurs, ou si l’on s’en remet toujours à une panoplie de stratégies de mise en commun des ressources humaines, des outils et équipement de pêche. En 1818 sur l’île Miquelon, on dénombre 78 espaces de grave et 48 demeures d’habitants 554 alors qu’en 1828, s’y trouvent 54 maisons et une quarantaine de graves actives. Sur la liste de 1823-28 pour Miquelon, il est possible de compiler les possessions immobilières pour 56 habitants soit maisons, jardins, graves, goélettes et autres embarcations (chaloupes, barquettes, canots, doris), chafauds, animaux et salines555. Tous ont bien entendu une maison sauf quatre personnes soit J.F. Detcheverry, Antoine Dinard, la veuve Blondin et Louis Briand. La veuve Blondin loge chez François Detcheverry alors qu’Antoine Dinard est boulanger pour le gouvernement et bénéficie d’un logement. Il ne fait donc pas de pêche, ce qui explique qu’il n’a pas de grave ni d’embarcation. Quant à J-F Detcheverry, il est veuf de fraiche date et demeure chez son beau-père avec ses quatre jeunes enfants. En termes de graves; 34 habitants en ont une, douze en ont deux, trois en ont trois, deux en ont quatre et Jean Poirier en a six! La veuve Pierre Coste et Pierre Poirier en ont chacun quatre. Les douze goélettes appartiennent à douze propriétaires différents, bien que le portrait se précise lorsqu’on compile le total des embarcations. Les mieux nantis sont Joseph Gautier avec six suivi de Pierre Guyon avec cinq, de F. Girardin, Joseph Briand et Jean Biche avec quatre chacun. La moyenne du nombre individuel d’animaux est de 4,9

553

Recensement des habitants de Miquelon, 12 novembre 1785. AN, SOM, G1, vol 463, f. 54-565. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 366. 554 Poirier, op.cit., p. 463-467. 555 T. Simon Pelletier parle de saline comme étant un entrepôt spécialisé où est rangé le sel, construit en pièce sur pièce avec une dimension de sept mètres carré. Vivre et pêcher, op.cit., p. 91. Dans le cas de l’archipel, on parle surtout de salines rattachées aux chafaud.


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pour ce groupe de 56 habitants. Mais le calcul de cette moyenne se fait en réalité sur 47 habitants puisque neuf n’ont aucun animal. C’est Jean Durand qui domine avec 30, suivi de Louis Poirier avec vingt, de Jean Doucet avec dix-neuf et de la veuve Étienne Coste avec seize. En ce qui a trait aux salines, 23 des 56 habitants en détienne une soit 41%. Dans cette liste de 1823-28, un total de 106 personnes déclare une occupation économique officielle dont 101 à titre de pêcheurs. Mais en arrière-scène de toutes ces données se profilent encore une fois différents types d’associations permettant d’opérer une unité de production. Alors que certaines regroupent exclusivement le père et les fils, d’autres révèlent maintes options. L’on a donc identifié ou reconstitué une quinzaine d’unités de production familiale pères-fils et quelques autres impliquant des beaux-frères, des neveux, des beaux-pères ou encore des gendres. Derrière ce tableau quantitatif pointe donc une multitude de situations parfois avantageuses et quelques fois compensatoires. Louis-François Briand, 34 ans, est père de huit enfants dont le plus vieux n’a que dix ans. Mais L-François travaille en société avec son beau-frère Benjamin Vigneau. Il est permis de supposer que Louis-Pierre (dix ans) contribue et que dans un an ou deux on pourra aussi compter sur Prosper-Olivier (huit ans). Jean Durand (59 ans), aubergiste né à Angoulême, est propriétaire d’une maison et d’une étable servant de bergerie au Grand Barachois mais détient aussi « une demi part dans une goélette avec monsieur Calvet qui est alors en France556». Jean Gaspard, pour sa part, est loin de ceux apparaissant à notre tableau puisque six de ses huit enfants sont des filles et les deux fils sont âgés de un à deux ans seulement. Même si Gaspard n’a que 26 ans, il devra patienter près de huit ou dix ans avant de pouvoir compter sur l’aide d’un de ses fils. Pierre Poirier, lui, n’a qu’un fils travaillant activement avec lui mais ses autres fils Abel et Eugène sont âgés de dix et neuf ans et commencent sans doute à contribuer. À 53 ans, Pierre en a bien besoin! La situation de Joseph Vigneau, elle, ressemble à celle de L.F. Briand. Son fils Henri est bien trop jeune pour contribuer mais Joseph travaille en société puisqu’il « a la moitié des parts dans la goélette l’Espoir et deux doris portés à Pierre Petitpas557».

556

Poirier, op.cit., p. 500.

557

Ibid., p. 510.


173

L’on est donc à même de constater qu’en ce début de 19e siècle suivant la reprise définitive de la colonie par la France, les réalités socioéconomiques n’ont pas particulièrement changées. Il y règne toujours des stratégies d’entraide et de partage permettant, on l’espère, de rentabiliser les activités de pêche des habitants. 6.3-Veuves et subsistance dans l’archipel en 1785 Sur les côtes de France, les veuves doivent pratiquer d’autres métiers si elles sont pauvres. Marc Pavé explique que les plus riches exploitent habituellement un « patrimoine constitué d’une embarcation ou de parts de celle-ci558». L’on est en droit de se demander qu’elle est la situation des quatorze veuves de Miquelon en 1785559. Sont-elles toutes ou non en position d’assurer leurs vieux jours? Bénéficient-elles de la présence d’un noyau familial en mesure de poursuivre l’exploitation familiale? Exercent-elles une activité d’appoint à celle de la pêche560? Les quatorze veuves en question affichent une moyenne d’âge de 45 ans. Une chose est certaine, elles ne sont pas seules puisqu’en moyenne, près de cinq autres personnes partagent leur foyer et chaque veuve peut compter sur au moins deux fils. Ce qui me préoccupe le plus est de comprendre d’où proviennent les revenus de certaines d’entre elles. Dans le foyer de Geneviève Dingle (Daigle?), son fils Pierre (31 ans), pêcheur, semble fournir l’essentiel du revenu familial. Il travaille de concert avec son gendre, Louis Poirier, qui demeure dans la même maison. La veuve a également un « très grand jardin » qu’elle cultive avec l’aide de sa bru Rosalie Poirier (22 ans) et de sa nièce Marguerite (treize ans). Pour Théotiste Bourgeois, non seulement profite-elle des revenus de pêche de son fils Pierre (dix-huit ans) mais aussi de ceux de sa fille Marie (24 ans), couturière. Madeleine Sire (41 ans), elle, semble en position plutôt enviable puisqu’elle a quatre fils dont Jean (21 ans) et Joseph (dix-neuf ans) qui pêchent déjà alors que Mélaine,

558

Pavé, op.cit., p. 86. À Terre-Neuve, bien que la majorité des veuves se remarient assez rapidement, quelques-unes opèrent des pêcheries en engageant des employés, d’autres louent leur propriété ou encore effectuent des travaux rémunérés. Handcock, op.cit., p. 93. 560 Les veuves de l’archipel répondent-elles aux critères élaborés par l’historiographie qui, dans le cas de la Nouvelle-France, les désignent comme des « favorisées » en leur conférant un statut élevé et un champ d’action élargie. Également, la dure réalité du vieillissement a une contrepartie avantageuse; une charge familiale moins lourde ou des enfants assez âgés pour constituer une source de soutien. L’étude de Josette Brun révèle que la moyenne d’âge au veuvage à l’île Royale tourne autour de la quarantaine. Brun, op.cit., p. 3, 38. 559


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(treize ans) et Pierre (onze ans) peuvent envisager d’effectuer du travail de garçon de grave à courte échéance. Pour l’instant, ils nettoient les morues en prélevant les « langues et noves561 » qu’ils sèchent et vendent à raison de 30 livres le quart. Bien sûr ils contribuent également à l’entretien du jardin. Selon Du Mesnil Ambert, auteur du recensement de 1785 à Miquelon, « ce que font les enfants de cette veuve est un exemple suivi de beaucoup d’autres ». On en arrive ensuite à Françoise Dugas qui exploite une boutique d’étoffe dont les revenus s’ajoutent à ceux de la pêche de sa chaloupe. Elle a tout de même sept enfants dont cinq filles et ses fils n’ont que quatorze et douze ans. Si l’on inclut une orpheline qu’elle héberge, l’âge moyen de ses enfants n’est que de neuf ans! On s’accorde sur le fait que ses fils peuvent contribuer quelque peu aux activités de la chaloupe familiale, mais surement avec l’aide d’engagés. Les revenus de couture contribuent aussi au bien-être de la famille de Marie Vigneau. Parmi ses neufs enfants, dont sept filles, Marie (23 ans) et Louise (21 ans) sont effectivement couturières. Leur frère Joseph (19 ans) est quant à lui propriétaire des trois quarts d’une chaloupe. À ces revenus s’ajoutent les fruits anticipés d’ « un des meilleurs jardins de l’île » Miquelon. En résumé; quoique la moyenne d’âge des enfants ne soit que de quatorze ans, au moins cinq d’entre eux contribuent substantiellement au revenu familial. La couture fait également partie de la vie d’Anne Hébert, « couturière en linge » et mère de cinq enfants dont trois filles. La plus âgée, Adélaïde (dix-neuf ans), est également couturière. Les deux autres enfants sont « placés chez des parents », peut-être justement afin d’alléger les exigences de leur fournir la subsistance ou encore pour vivre l’apprentissage d’une occupation rémunérée quelconque. Les deux fils d’Anne, Joseph (treize ans) et Pierre (huit ans), s’occupent sans doute des trois bêtes à cornes et du jardin familial. En ce qui a trait à Marie Cormier, elle travaille à titre de blanchisseuse pour la garnison et l’hôpital alors que deux de ses trois filles, Anastasia (dix-sept ans) et Marie (seize ans), travaillent comme domestiques. C’est peut-être la famille de Marguerite Dugas qui dépend

Noves; partie de la morue située sur l’épine dorsale, pouvant alors servir dans la soupe. On sait aussi que les rogues ou raves se vendent aux Basques pour la pêche au hareng et de la sardine, au prix de 25 à 30 livres tournois la barrique produite par 50 quintaux de morue. Ribault, « Les îles Saint-Pierre et Miquelon. La vie dans l’archipel », op.cit., p. 58. 561


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le plus des revenus de pêche puisque trois de ses fils, âgés de 22 à dix-sept ans, travaillent dans ce domaine. L’aîné est même maître de grave et les deux autres sont compagnons de chaloupe. Le plus jeune fils (quinze ans) s’occupe sans doute du jardin et des quatre pièces de bestiaux, avec l’aide de sa jeune sœur Marie (douze ans). Cette incursion du côté des possessions des habitants de l’archipel, donne une certaine idée des éléments nécessaires à l’atteinte d’un niveau de vie raisonnable. Les plus chanceux des habitants ont sans doute obtenu une concession de grave leur permettant de partir du bon pied. Viennent ensuite les outils de production que sont les embarcations, les chafauds, les salines et autres dépendances telles les cabanes de pêcheurs, d’entreposage de sel et d’ustensiles de pêche. Il apparaît probable que les familles ayant la chance d’avoir suffisamment de membres pour travailler en sociétés ou du moins travailler en commun, augmentent leurs chances de mieux vivre de la pêche. En dépit des évaluations parfois simplistes des administrateurs, il est faux de croire qu’il y a absence de nuances dans les capacités de production des habitants. Un certain nombre peuvent à juste titre être qualifié d’élite, puisqu’ils ont des embarcations plus grosses et bénéficient d’infrastructures mieux fournies. Tableau 12 Les possessions des habitants à Saint-Pierre en 1765 Infrastructures

Embarcations

maisons

71

Pontées

14

magasins

21

Chaloupes (parts ou

55

entières) cabanes

34

chafauds

12

Total

138

Demi-chaloupes

9

Source : Saint-Pierre, 1765, SLND, Archives Nationales, Services Outre-mer, G1, volume 467. Reproduit dans Poirier, op.cit., p. 195-199 Tableau 13


176 Les possessions des habitants à Saint-Pierre et Miquelon en 1776 Infrastructures

Embarcations

Cheptel

maisons

237

brigantins

2

Bestiaux

272

magasins

89

bateaux

1

chevaux

78

cabanes

116

chaloupes

225

moutons

132

étables

79

canots

123

chèvres

53

chafauds

52

Demi-

14

cochons

15

chaloupes boulangeries

7

forges

2

Source : État des maisons, cabanes, étables, boulangeries, échafauds existant à Saint-Pierre et Miquelon dressé par le gouverneur le baron de l’Espérance, 1776. BAC-MG1-G1, bobine F767, vol. 463, f 7v. Tableau 14 Les possessions des habitants à Miquelon, 1823-28 maisons

54

goélettes

11

jardins

77

boulangeries

2

chaloupes

11

animaux

287

auberge

1

Canots/barquettes

16

chafauds

5

doris

58

graves

40

embarcations

96

salines

19

Source : Archives départementales de Saint-Pierre et Miquelon (SC 717), cité dans Poirier, op.cit., p. 492511. Tableau 15 Unités de production familiales à Miquelon, 1823-28


177 Pères

Fils

Moyennes d’âges

Joseph Briand

4

12-18

Étienne Coste

7

10-21

Vve Étienne Coste

2

33, 40

Joseph Cormier

4

12-19

Joseph Doucet

2

22, 32

J-B Giradin

3

16-23

François Girardin

4

8-25

Pierre Guyon

2

23-26

Pierre Poirier

1

23

Pierre Petitpas

2

10, 15

Source : Archives départementales de Saint-Pierre et Miquelon (SC 717) dans Poirier, op.cit., p. 492-511.

Annexe I Liste des propriétaires de graves et de leurs dépendances562. Dans un document non daté, mais fort probablement de la fin du 18 e siècle, on dresse une liste de 46 concessionnaires de graves avec leurs étendues en toises, accompagnées d’observations à savoir si ces graves sont occupées ou non par leurs concessionnaires. Sinon, sont-elles habituellement louées à un autre exploitant? Il semble toutefois que cette liste se limite aux établissements de Saint-Pierre et de l’île aux Chiens. On fait aussi la nuance entre le nombre de toises occupées ou vacantes, dans un bon nombre de concessions. Globalement, sur un total de 191 810 toises carrées, on en arrive à 83 954 toises carrées théoriquement occupées (43% du total disponible), mais on ajoute qu’il en reste 107 856 de disponibles ou 56%. Peut-on en arriver à une moyenne par concessionnaire? Oui, soit 1 825 toises carrées par concession plus ou moins fonctionnelles.

562

Document no 24. Liste des propriétaires des graves et de leurs dépendances, non daté. BAC-MG1-G1, bobine F698, vol. 467, 5 pages.


178 Les deux plus grandes concessions avec chacune 14 400 toises carrées sont celles de Landel, Marié Piquelin et Co. Mais huit concessions sont en-deçà des 1 000 toises carrées dont les deux plus petites, de 400 toises carrées, appartiennent à Alexis-Bertrand Dubois et à Michel Aubois. Également, sur 45 mentions de statut des concessions, on constate que 48% sont inoccupées ou louées à d’autres exploitants et 31% semblent être exploitées par les concessionnaires attitrés. J’aborde ici quelques cas mieux documentés. À Saint-Pierre, la concession du sieur Pierre Mémoir de Blagnac n’est pas occupée et cet habitant est alors à la Guadeloupe où il termine ses affaires avant de revenir dans l’archipel. Un deuxième cas s’avère plutôt complexe. François Loyer Deslande a obtenu une concession mais dont trente toises sont louées au sieur Desbetcho. L’auteur du mémoire mentionne que ce dernier est marin et qu’il termine des affaires à la Martinique. Mais il ne semble pas avoir connu de succès sur cette grave où, en dépit d’y avoir construit des vigneaux d’environ un mètre de haut, il ne peut pas empêcher l’humidité « d’avarier » sa morue. Les conditions de location peuvent varier mais la plupart du temps, on demande 5% du produit de la pêche du locataire. Mais parfois, on s’entend plutôt sur des sommes d’argent fixes pour un certain nombre d’années. Par exemple, six ans à 300 livres par année ou encore 100 livres par année pour trois ans.


179

Conclusion Les nombreux rebondissements géopolitiques affectant l’archipel et sa petite population, ne jouent guère en faveur d’études sérielles s’inscrivant dans la longue durée. Les nombreux administrateurs se succédant dans l’archipel, abordent ou dénoncent tous à peu près les mêmes défis associés à l’occupation et l’exploitation de ce territoire exiguë d’outremer. Reviennent constamment les remarques relatives à la rareté des ressources alimentaires, l’absence d’un approvisionnement fiable et régulier en bois, les dangers de la navigation à l’approche du littoral, la proximité des Anglais, l’avidité des marchands métropolitains au détriment des habitants, la rareté et la cherté de la main-d’œuvre ou encore l’occupation et l’exploitation des graves. À tous ces maux, chacun suggère ses remèdes qui, à plusieurs égards, se recoupent. Pourtant, ceux et celles familiers avec l’histoire des anciennes colonies de Plaisance et de l’île Royale connaissent déjà assez bien le fonctionnement des pêches françaises à Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent. Ainsi, les critiques adressées à ses composantes sont les mêmes qui reviennent depuis 1650 puisque le système n’a à peu près pas changé. Les épisodes géopolitiques marquant l’histoire de l’archipel entre 1763 et 1815, empêchent d’appliquer les méthodes d’analyse démographiques conventionnelles. C’est ce qui explique le recours à des démarches relevant plutôt de la micro-histoire, en s’intéressant à d’autres aspects que la croissance démographique longitudinale. L’on est ainsi à même de constater, en dépit des impondérables géopolitiques lui étant imposés, que cette petite population affiche un profil lui permettant d’évoluer normalement. Par exemple, on ne dénote aucun déséquilibre entre les genres et les pyramides d’âges illustrent une population plutôt jeune. N’empêche qu’en dépit de leur isolement et de leurs modestes moyens, le dépouillement de ce cursus archivistique confirme que les habitants de Saint-Pierre et Miquelon sont bien au fait des avantages de la Coutume de Paris et de la puissance de cet outil juridique et économique qu’est le notariat. Comme ailleurs dans l’Atlantique français, les habitants de l’archipel cherchent à protéger leur patrimoine familial et à se munir contre les impondérables économiques de leur époque. Ce sont les avantages de cet outil juridique


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qui leur permettent de vaquer à leurs affaires dans la colonie, en métropole et ailleurs dans l’Atlantique français. Une manière de jauger le niveau de vie ou de richesse des habitants, consiste à tenter de mesurer leurs possessions. L’on est alors à même de tabler sur les éléments nécessaires à l’atteinte d’un niveau de vie raisonnable. Les plus chanceux détiennent une concession de grave avec les outils de production que sont goélettes, chaloupes, salines, chafauds, cabanes, sel et ustensiles de pêche. La viabilité d’un établissement de pêche passe ainsi par la constitution d’une unité de production familiale, permettant de travailler en société, incluant hommes, femmes, fils et filles. Il est donc faux de croire, comme semblent l’être convaincus les administrateurs, qu’il y a absence de nuances dans les capacités de production des habitants. Finalement, mon incursion dans les registres paroissiaux de l’archipel confirme qu’ils comportent des lacunes avec lesquelles j’ai dû composer. Il n’en demeure pas moins que certains phénomènes émergeants de cette analyse méritent qu’on s’y arrête; un bon nombre d’actes de mariages et de naissances sont en réalité des confirmations d’événements démographiques survenus en exil, on note quelques naissances en mer, des ondoiements, des tendances saisonnières dans les conceptions et les mariages ou encore des mortalités infantiles assez fréquentes. De manière globale, cette recherche démontre, qu’en dépit d’une période de relative stabilité politique relativement courte (1763-78 et 1783-91), la population de l’archipel manifeste une volonté notoire de demeurer et de prospérer dans l’Atlantique français. Qui plus est, la petite population d’origine acadienne de Miquelon devient la seule d’après 1763 à se maintenir dans le giron colonial français et ce, à l’entrée même du golfe du SaintLaurent et entourée de colonies britanniques! Mais au-delà du fait que francophones de l’archipel et anglophones de Terre-Neuve fassent malgré eux les frais des conflits entre deux empires, ils partagent souvent les mêmes défis et les mêmes maux. Par exemple, alors que des centaines d’Acadiens subissent de nombreux déplacements entre 1755 et 1815, les Anglais de Terre-Neuve connaissent sensiblement le même sort durant les deux guerres d’empires précédentes (1687-1713). Également, les habitants de Terre-Neuve sont attaqués à nouveau en 1762 par les Français


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et souffrent passablement de privation durant la Guerre d’indépendance américaine. Finalement, à divers moments durant le 18e siècle, autant l’Angleterre que la France se montrent réticents à laisser un trop grand nombre de colons s’installer sur les côtes de Terre-Neuve et dans l’archipel. De plus, si les autorités françaises et anglaises font de leur mieux pour enrayer la contrebande, les simples « settlers » de Terre-Neuve et les habitantspêcheurs de Saint-Pierre et Miquelon s’en accommodent plutôt bien. D’autres facettes de l’histoire coloniale de l’archipel restent donc à exploiter. Par exemple, il faudrait mieux connaître les rouages administratifs, ou encore mieux mesurer l’ampleur du trafic maritime entre la métropole et Saint-Pierre et Miquelon.


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Colonial

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d’Olaf

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