Monsieur Nicolas HULOT Ministre de la Transition écologique et solidaire Ministère de la Transition écologique et solidaire Hôtel de Roquelaure 246, Boulevard Saint-Germain 75007 PARIS
Monsieur le Ministre,
Nous avons collectivement décidé de nous adresser directement à vous, parce que, en votre qualité de Ministre de la Transition écologique et solidaire, vous avez signé le 9 mai 2018 le texte définitif du plan d’action « ours brun » 2018-2028. Nous voulons nous adresser directement à vous car nous sommes, en nos qualités de Maires ou Présidents de collectivités des vallées du Béarn (de l’Ouzom, d’Ossau, d’Aspe, de Barétous) et du Pays-Basque (de Soule, de Cize, d’Ostabarret et de Baïgorry) les légitimes propriétaires et gestionnaires des territoires sur lesquels votre décision d’introduire deux ourses va s’imposer. Nous voulons tout d’abord affirmer que nous ne sommes pas des « Anti »… : « Anti ours », « Anti nature », « Anti biodiversité », « Anti écologie » ; comme de trop nombreux intermédiaires entre nous les Pyrénéens et le reste de notre pays, ou plus simplement entre vous et nous, tentent de nous enfermer pour nous caricaturer. Nous voulons affirmer que nous sommes au contraire « POUR »… POUR la vie dans nos vallées, POUR nos montagnes entretenues, POUR une agriculture de qualité, POUR le maintien de l’élevage, de l’artisanat et du commerce dans nos villages, POUR poursuivre le travail de nos ainés qui nous ont légué des territoires préservés, POUR encourager nos jeunes à rester ou revenir, POUR transmettre et prolonger notre culture, nos valeurs, POUR un certain art de vivre dans nos montagnes et POUR la paix dans nos villages. Nous voulons vous dire que nous avons tous été choqués, meurtris par la décision que vous avez prise sans avoir préalablement pris le temps de nous informer et de nous questionner. Aujourd’hui, vous nous appelez à la concertation, au dialogue, à la rencontre. Nous sommes désolés, Monsieur le Ministre, les mots de concertation, débat, responsabilité locale ont été utilisés chez nous bien avant la révolution française et nous en connaissons la signification. Le Petit Larousse définit quant à lui le verbe « concerter » par « …préparer une action en commun… » et l’adjectif « concerté » par « …qui résulte d’une entente… »… Votre décision est prise, la concertation n’a plus de sens, nous ne sommes pas des donneurs de leçon, nous sommes seulement des élus indignés par la brutalité de votre décision et plus encore par l'odieux chantage aux subventions émanant de représentants de l’État souhaitant que l’on vienne à tout prix à leur rencontre. Convenez-en, Monsieur le Ministre, de telles menaces ne grandissent pas la République et portent atteinte à notre fonction d’élus. ---/---
Cette écharpe tricolore que nous portons avec fierté chaque fois que nos responsabilités nous y conduisent, est le symbole le plus fort de notre engagement volontaire et désintéressé, au service de nos villages, de nos habitants, de notre territoire. C’est aussi notre contribution à notre beau pays de France. Votre décision nous choque aussi, tant elle est éloignée des préoccupations de nos territoires. Depuis un peu plus d’un siècle, nos vallées ont perdu les deux tiers de leur population pour avoir notamment défendu notre pays comme en témoigne les longues listes sur nos monuments aux morts. Malgré cette perte de population, nos montagnes continuent pourtant de fournir de nombreuses ressources naturelles à notre pays. Elles lui offrent aussi des produits alimentaires de grande qualité, des milieux naturels ouverts et accessibles, des paysages d’une grande beauté et une biodiversité renforcée chaque jour par les dents de milliers d’animaux conduits par des éleveurs transhumants. Ces derniers y consacrent leur vie contribuant ainsi à l’entretien de notre territoire, le plus souvent au prix de deux fois 35 heures de travail par semaine, rarement rémunérées au smic. Jusqu’à quand Monsieur le Ministre ? Ce n’est pas d’un projet d’introduction de deux ourses dont nous avons besoin. Nous devons construire en urgence, avec vous et vos collègues du gouvernement, un « Projet de Territoire » qui traite de la transmission et du renouvellement de l’agriculture, du commerce, de l’artisanat, des activités touristiques et aussi de l’accès à l’école publique, aux soins, aux services publics… D’un projet de territoire qui finalement témoignerait de l’égalité des chances sur tout le territoire de France. Nous savons, Monsieur le Ministre, quelles conséquences auront l’introduction de ces deux ourses qui deviendront 6 après avoir mis bas durant l’hiver prochain. Nous savons aussi que, dès 1993, les experts mondiaux que sont Christopher SERVHEEN du Montana (USA) et Djuro HUBER de l’Université de Zagreb (Croatie), préconisaient que la création d’un milieu favorable à l’ours « comme partout dans le monde », demanderait de « réduire l’influence humaine et dans la mesure du possible, qu’il serait nécessaire d’abandonner les maisons isolées et autres structures semblables (cabanes de bergers) et de les supprimer de l’habitat de l’ours ». Nous savons également qu’ils se sont bien gardés d’évoquer, dans leurs rapports, les conséquences sur les activités économiques ou celle plus traditionnelle comme la chasse. Votre projet est donc, comme l’a écrit le Muséum d’Histoire Naturelle, de reconstruire une « population d’ours autonome et viable » sur la chaîne des Pyrénées représentant au minimum plus d’une centaine d’ours, avec rapidement une quinzaine en Pyrénées-Atlantiques. Cela signifie qu’il faudra « réduire l’influence humaine » partout en Béarn et au Pays Basque. Nous ne pouvons l’accepter car au-delà du pastoralisme, cet ensauvagement programmé impactera l’ensemble des activités liées au tourisme, à commencer par les sports de montagne et de pleine nature. Or, faut-il le rappeler, ce secteur est un des piliers indispensables au maintien de la vie dans nos vallées. Ainsi, les très nombreux emplois générés par les centaines de milliers de touristes qui viennent chaque année dans nos belles Pyrénées-Occidentales s’en trouveront hélas irrémédiablement affectés. ---/---
L’expérience de l’Ariège, présentée par vos services comme une réussite biologique au plan de l’ours, est une catastrophe en cours au plan social, humain et agricole. Il y a désormais 41 ours dans un territoire de taille équivalente à nos vallées béarnaises. Les éleveurs sont poussés à bout les uns après les autres, les durées de transhumances se réduisent de plus en plus, certaines estives sont d’ores et déjà abandonnées. Pourtant, les scientifiques l’affirment, « l’utilisation pastorale optimale d’une estive se traduit par la présence de plus de 250 espèces botaniques différentes quand une estive désertée par la transhumance voit sa richesse de biodiversité s’appauvrir jusqu’à moins de 40 espèces différentes »... Enfin, Monsieur le Ministre, nous devons parler de sécurité. Le Code Général des Collectivités Territoriales, dans son article L.2212-2 alinéa 7, nous impose la mission de « …obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ». Notre rôle d’élus est donc de protéger les biens et les personnes qui sont ou viennent dans nos territoires. Pour exemple, sur nos vallées béarnaises, ce sont plus de 80.000 brebis, 20.000 vaches, 3.500 chevaux, 2.500 chèvres et 3.000 ruches qui transhument dans 6.500 km² de territoire d’estives, conduits par près de 250 transhumants. Comment voulez-vous que nous puissions répondre à nos obligations de sécurité ? Ce sera tout simplement impossible. Pour autant, nous n’ignorons pas que votre décision fera peser sur nous, les Maires, de nouvelles responsabilités. A cet égard, la lecture de l’avis du Conseil d’État du 29 juillet 2008, rappelant que la responsabilité des Maires peut être recherchée devant le Juge Administratif sur le fondement de l’article L.2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales, indique clairement que nous serons concernés par les conséquences de votre décision. Pire, la mise en jeu de la responsabilité pénale des élus pouvant être recherchée pour mise en danger d’autrui, sur le fondement de l’article 223-1 du Code Pénal, fait froid dans le dos. C’est pourquoi, les Maires prendront des arrêtés interdisant la divagation des ours introduits sur leur territoire. Nous prierons les éventuels candidats à l’introduction de ces prédateurs, sur leur commune, de prendre avec vous les mesures nécessaires de cantonnement. La carte des Maires des communes concernées des Pyrénées-Atlantiques, jointe à ce courrier, démontre de façon éclatante combien nous sommes majoritairement en total désaccord avec votre projet. Enfin, nous vous rappelons que Madame LEPAGE, dans le rapport d’enquête parlementaire n°825 enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 2 mai 2003, intitulé « Prédateurs et pastoralisme de montagne », à la question « Seriez-vous prête à procéder de nouveau à des réintroductions d’ours ? » répondit à la commission : « Non, je pense que je ne le referais pas, sauf à encourager ceux qui localement auraient envie de le faire. Je pense que cela doit être géré au niveau de la région et du département et non pas imposé par l’Etat ». (Tome I, p. 52). Pour finir de caractériser l’impact social et humain de l’introduction de prédateurs, nous vous invitons, par ailleurs, à recueillir le témoignage de Madame la Préfète de l’Ariège qui reconnait ouvertement qu’elle est en difficulté et pire désemparée sur ce sujet. ---/---
Pour toutes ces raisons, nous vous en conjurons, Monsieur le Ministre, abandonnez votre projet d’introduire de nouveaux prédateurs dans nos montagnes du Haut-Béarn, du Pays-Basque, et sur l’ensemble de la chaîne pyrénéenne. Nous vous assurons, Monsieur le Ministre, de nos salutations respectueuses.
Les signataires de ce courrier : 100 communes 7 Commissions Syndicales 9 Groupements Pastoraux 1 Association de défense du pastoralisme
Copies à : - Président de la République - Premier Ministre - Ministre de l’Agriculture - Ministre de la Cohésion des Territoires - Président du Conseil Régional de Nouvelle Aquitaine - Président du Conseil Départemental des Pyrénées-Atlantiques - Président du Comité de Massif - Commissaire à l’Aménagement des Pyrénées - Préfet de Région Nouvelle Aquitaine - Préfet des Pyrénées-Atlantiques - Sous-Préfet d’Oloron-Sainte-Marie - Sous-Préfet de Bayonne - Parlementaires des Pyrénées-Atlantiques - Président de la Communauté d’agglomération du Pays-Basque - Président du Pôle métropolitain du Pays de Béarn - Président de la Communauté de Communes du Haut-Béarn - Conseillers Régionaux Montagne et Agriculture - Conseillers Départementaux Montagne et Agriculture - Président de la Chambre d’Agriculture, EHLG - Président des Syndicats Agricoles FDSEA, CDJA, - Confédération Paysanne, ELB - Président de l’Association des Maires des Pyrénées-Atlantiques - Président de la Fédération des Chasseurs 64 - Président du GIC Montagne