CAHIER EVÉNEMENT
VENDREDI 12 NOVEMBRE 2021
III
Impossible n’est pas Bertrand Piccard
Bertrand Piccard propose 1 000 solutions pour protéger l’environnement de façon rentable. © SOLAR IMPULSE
Cette 7e édition des Idées mènent le monde sera marquée par la présence le vendredi 19 novembre à 21h, de Bertand Piccard, le « saventurier » suisse à la renommée planétaire.
plume" de Sophie Soleil chez "Orso Editions". © QUITTERIE LABORDE passe-t-elle donc nécessairement par la reconstruction personnelle avec la pandémie que nous avons vécue, et que nous vivons encore d’ailleurs ? Sûrement. Même s’il y a des vies plus faciles que les autres. Vivre dans un village au pied des Pyrénées, pouvoir sortir avec son chien, pouvoir voir ses enfants jouer dans le jardin, ce n’est pas la même chose que vivre dans un immeuble à Aubervilliers avec limitation dans les sorties et les rencontres, et l’obligation de rester dans un petit appartement où l’on se « marche » les uns sur les autres. Mais je crois que c’est un événement qui a obligé chacun à se poser des questions sur ce qui était le plus important pour lui. Je pense par exemple que le travail en distanciel comme on dit est une très grande mutation. L’utilisation des outils internet ne remplace pas la rencontre réelle, mais quand on a l’habitude de se rencontrer physiquement, ça aide ! Tout cela c’est une reconstruction collective et personnelle. Pour reconstruire ou se reconstruire, la notion de confiance est essentielle. Or, aujourd’hui de nombreux citoyens sont plutôt dans une situation de défiance... En fait, c’est une vieille histoire : cela a commencé il y a plusieurs siècles par la mise en cause de la religion, puis de la monarchie et des politiques lors de la grande Révolution française, et aujourd’hui avec le ciblage de tous ceux qui osent prendre des responsabilités. Puis on est passé aux journalistes et aux médias. Et maintenant, ce qui était impensable il y a encore quelques mois, on en est au ciblage des scientifiques et des médecins. Or, le médecin était la figure tutélaire, respectée et préservée de notre société. C’était à lui que l’on confiait sa vie. Et aujourd’hui, en raison de la stupéfaction
provoquée dans les consciences par les « guerres civiles » entre médecins, voilà que cette confiance est ruinée. Comment peut-on reconstruire cette confiance ? Je n’ai qu’une réponse : par l’authenticité et la cohérence. Ce qui est destructeur de confiance, ce sont les girouettes, ceux qui changent d’avis tous les quatre matins même quand ils ont proclamé à la face du monde que tel était le sens de leur vie. La France apparaît comme un pays multi-fracturé. Comment construire ou reconstruire dans ces conditions ? D’abord, il faut souligner que nous sommes le pays d’Europe qui se redresse le mieux, avec un taux de chômage inférieur à ce qu’il était avant la crise. Nous avons fait la preuve que l’on pouvait soutenir une société quand ça va mal. Il y a des points positifs dans le bilan de la France. Mais, vous avez raison, nous avons une multiplication des fractures. Trois attitudes sont possibles : essayer de réparer (la plus noble, la plus difficile, mais la plus civique) ; être indifférent (cela arrive assez souvent parce que l’on ne la vit pas dans sa propre vie) ; et choisir de cultiver les fractures, mettre de l’huile sur tous les feux pour en faire un carburant électoral. Je trouve cela détestable, déshonorant pour une certaine idée de l’homme. Dans un débat, sur un plateau de télévision, dans une salle de partisans, cela peut faire de l’audience ou des applaudissements. Mais on ne
«CE QUI EST DESTRUCTEUR DE CONFIANCE, CE SONT LES GIROUETTES, CEUX QUI CHANGENT D’AVIS TOUS LES QUATRE MATINS.»
mesure pas ce que cela peut donner, par exemple, dans les cours de récréation, qui peuvent être un univers d’une cruauté absolue. Si des adultes justifient la stigmatisation et le rejet, cela donne le harcèlement scolaire. Et le harcèlement scolaire, cela fait parfois des morts, des petites filles et des petits garçons qui mettent fin à leur vie d’enfant. Pour moi, c’est de l’inacceptable avec une majuscule. Cela provoque en moi une vague de désarroi et cela m’émeut à un point qu’il m’est difficile d’exprimer. Je m’adresse au maire de Pau. Vous avez été un maire bâtisseur : les Halles, le stade du Hameau, l’école des arts, le foirail… La construction de l’identité d’une ville et de ses habitants ne passe-t-elle que par le « dur » ? Une ville, c’est un élément d’identité. Quand tous les classements (et la France entière) se mettent à voir Pau comme une ville enviable, et que les gens m’arrêtent tous les jours pour me dire « Qu’est-ce que vous avez maintenant une belle ville » (on a fait des efforts pour cela), cela participe à l’identité de la ville. Cette identité, c’est une richesse collective, mais beaucoup plus encore : c’est un enrichissement pour les plus pauvres, ceux qui n’ont rien d’autre et qui peuvent ainsi faire visiter leur ville et ses richesses. Mais Baudelaire a eu ce vers formidable à propos des travaux d’Haussmann à Paris : « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel ». C’est pour cela qu’au nombre des grands travaux, je mets aussi le plan anti-solitude, l’habitat, la reconquête du centre-ville... Le cœur des gens est pour moi aussi important, voire plus important à reconstruire. PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC BÉLY I
« Impossible », voilà un mot que le médecin-psychiatre et explorateur suisse Bertrand Piccard semble n’avoir jamais possédé dans son vocabulaire. Avec lui, le rêve paraît destiné à devenir réalité. « Réaliste, au service du rêve », c’est d’ailleurs le thème de la rencontre à laquelle le public des Idées mènent le monde est convié le vendredi 19 novembre au palais Beaumont à Pau à 21h. Un rendez-vous à ne pas manquer tant la venue du « saventurier » le plus célèbre de la planète sera un des grands moments forts de cette 7e édition. Il faut dire que cette icône planétaire des technologies propres a de qui tenir. Son grand-père physicien, Auguste (qui inspira à Hergé le fameux personnage du professeur Tournesol) a conquis la stratosphère à bord d’une capsule pressurisée de son invention. Son père Jacques, océanographe, a parcouru les abysses et découvert des traces de vie au plus profond des océans lors d’une plongée historique (record mondial en sous-marin) dans la fosse des Mariannes.
Deux premières mondiales Bertrand Piccard, né à Lausanne en 1958, ne pouvait qu’ hériter de cette passion « génétique » pour l’exploration. En parallèle de ses études psychiatriques, il est devenu dans sa jeunesse un pionnier du vol libre et ULM en Europe. Sacré champion d’Europe de voltige en deltaplane en 1985, il remporte en 1992 la première course transatlantique en ballon. Mais c’est en réalisant deux grandes premières aéronautiques que Bertrand Piccard entre dans l’Histoire. Il boucle ainsi en mars 1999, le premier tour du monde en ballon sans escale, soit le plus long vol en distance et en durée de toute l’histoire de l’aviation. Après 20 jours d’un vol durant lequel il a failli manqué de carburant, l’explorateur s’invente un nouveau défi : accomplir un autre
tour du monde, mais en avion solaire cette fois, sans carburant, et donc sans émissions polluantes. C’est le projet Solar Impulse, concrétisé par un tour de la planète réalisé entre mars 2015 et juillet 2016. Une aventure incroyable racontée dans le livre intitulé, comme un clin d’oeil de tintinophile, « Objectif Soleil ».
Ecolo... et rentable Mais Bertand Piccard est tout sauf un conquérant de l’inutile, comme on dit. Au contraire, il donne du sens et du fond à ses exploits. Avec son coéquipier André Borschberg, il lance ainsi l’Alliance mondiale pour les technologies propres et la Fondation Solar Impulse dont le but est de fédérer les acteurs économiques des technologies des énergies renouvelables et du développement durable. Encore une fois pionnier dans sa démarche de considérer l’écologie sous le prisme de la rentabilité économique, il se fixe comme objectif d’identifier 1 000 solutions rentables pour protéger la planète », ce qu’il est parvenu à faire en avril dernier. Dans un troisième tour du monde, Bertrand Piccard veut porter le message d’une croissance propre aux décideurs politiques et économiques. A l’heure de la nécessité d’une reconstruction personnelle et collective, l’intervention de Bertrand Piccard aux Idées mènent le monde est la promesse d’une remise en question des idées reçues. Pour lui, l’exploration est un état d’esprit et la confiance dans l’inconnu un moyen d’envisager d’autres façons de penser et d’agir. Et de rendre « l’impossible » réalisable… E.B. I
Bertrand Piccard descendant du Solar Impulse à l’aéroport de Séville en 2016 après son tour du monde sans émissions polluantes. © CHRISTINA QUICLER
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« Remettre l’école au centre, mais aussi à sa juste place » La présidente du Conseil supérieur des programmes de l’Education nationale, Souâd Ayada, rappelle l’importance des fondamentaux. Agrégée et docteur en philosophie, Souâd Ayada est présidente du Conseil supérieur des programmes de l’Education nationale depuis 2017. Elle explique la nécessité de reconstruire l’école et de reconstruire par l’école, surtout après cette période de crise. En quoi le confinement a bouleversé la vie éducative et dégradé la façon d’enseigner ? Cette crise a bouleversé l’école, surtout au primaire et au collège où l’on délivre des enseignements absolument fondamentaux pour la formation des enfants et des jeunes adolescents. En même temps, l’école a été ce pilier qui a résisté à la décomposition qui a accompagné le confinement et mis à mal les liens sociaux. L’école est restée ouverte au sens où elle a toujours assumé sa mission, et les professeurs ont été héroïques : dès les premiers jours du confinement ils ont essayé de trouver des moyens de maintenir la classe. Cependant, cette période a dégradé l’enseignement car on a dû renoncer à la condition essentielle pour transmettre : la classe justement, la présence physique, le rapport vivant. Je me demande encore aujourd’hui ce que signifie enseigner sans voir le visage de ses élèves.
avec le médecin Xavier Emmanuelli. © ARCHIVES JEAN-PHILIPPE GIONNET
Le deuil interdit au temps du Covid Pour Marie de Hennezel, psychologue engagée sur la cause de la fin de vie, le Covid a provoqué l’effondrement du droit à mourir dans la dignité. C’est un combat que mène Marie de Hennezel depuis plus de 35 ans. Celle qui a intégré la première unité de soins palliatifs créée en France et qui fut la confidente de François Mitterrand durant les dernières années de sa vie, plaide pour l’amélioration des soins palliatifs. Dans son dernier ouvrage, L’Adieu interdit (éd. Plon), publié l’an dernier, Marie de Hennezel dresse un constat terrible : le tri des patients, la sédation des mourants par des professionnels le plus souvent non formés, faute de médecins.
Le tabou de la mort encore présent Elle révèle également combien le tabou de la mort est encore prégnant, y compris dans les Ehpad : « Dans des lieux de vie pour personnes âgées, qui sont aussi des
Marie de Hennezel mène le combat de la fin de vie depuis 35 ans. © DR lieux où ces personnes terminent leur vie, continuer à cacher la mort, à la taire, conduit à une forme de maltraitance. » L’impossibilité pour les familles de veiller leurs proches a déshumanisé ces derniers instants. Selon Marie de Hennezel, « chaque famille peut inventer son rituel, dont la fonction est de permettre le partage des émotions, mais surtout l’hommage rendu au défunt et la reconnaissance de sa vie, de son œuvre, de ce qu’il a laissé aux vivants. » C.D.S. I
L’enseignement à distance n’a donc pas été une grande avancée ? Je ne le crois pas. C’est un pis-aller qui s’est imposé du fait de la situation exceptionnelle que nous traversions. L’enseignement à distance était une nécessité devant la catastrophe ; il a rendu cette catastrophe supportable, sans la supprimer. Je ne souscris pas aux vues qui le présentent comme l’avenir de l’enseignement et comme un bien en soi. Mais peut-on tirer tout de même une leçon positive de cette crise ? Elle a révélé le besoin d’école en général. Les parents, qui parfois dénigrent l’école, ont vu le rôle qu’elle joue et combien il est difficile de le tenir. Car l’école, en tant qu’institution, joue un rôle fondamental : les parents ne sauraient se substituer aux professeurs. Cela a aussi rappelé cette donnée incontournable : l’école est cet espace vivant où, dans la classe, se noue la relation singulière entre un professeur et un élève. Reconstruire par l’école, c’est bien, mais n’en demande-t-on pas trop à l’école ? C’est vrai. Nous avons un rapport très symptomatique à l’école. En France, elle est profondément liée à la constitution même de la République et dans l’imaginaire collectif, elle doit remplir un rôle essentiel. On a donc tendance à considérer l’école comme le sauveur, comme ce qui va nous per-
Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes. © PHILIPPE DEVERNAY mettre de “refaire” République par exemple, de retisser ce qui, dans la société française, s’est perdu. Mais on en attend trop, et beaucoup trop. Il faudrait d’abord cesser de lui demander de faire ce qui n’est pas dans ses missions. Par le passé, il y avait une distinction qui tenait la route : l’école avait pour rôle d’instruire et la famille ou d’autres structures sociales prenaient en charge l’éducation. Maintenant, on demande à l’école de tout faire. Il faut non seulement remettre l’école au centre, mais aussi à sa juste place.
«ON A TROP TENDANCE À CONSIDÉRER L’ÉCOLE COMME LE SAUVEUR » A-t-on délaissé depuis trop longtemps les fondamentaux, indispensables pour une solide (re)construction ? On ne reconstruit rien sans s’assurer que les fondations sont solides. La crise a également révélé que cette reconstruction, aujourd'hui nécessaire, l’est en vérité depuis plus longtemps pour l’école, car ses fondations ont été fragilisées depuis de nombreuses décennies. Des atermoiements politiques, l’empilement des réformes et la multiplication des missions ont obscurci la destination de l’école. Comment participez-vous à cette reconstruction ? Il faut des fondations claires, simples, autour de ce qui, dans chaque discipline enseignée, est élémentaire. Au Conseil supérieur des programmes, on essaie de concevoir, autant que cela est possible dans la société française d'aujourd'hui, des contenus d’enseignement, à tous les niveaux de la scolarité, centrés sur des éléments essentiels, loin des idéologies contemporaines et de la pression sociale. Des préoccupations contemporaines, comme l’éducation au développement durable, méritent sans doute d’être prises en compte. Mais l’école ne doit pas être détournée de l’urgence qui est la sienne, celle de re-
hausser le niveau des élèves. Quelles matières vous inquiètent le plus aujourd’hui ? Les mathématiques, bien sûr. On peut se demander si nous aurons encore des médailles Fields dans 30 ans. Or, le rayonnement de la connaissance et de la science n’est pas pour rien dans le rayonnement d’une nation. Cependant, la situation la plus grave reste à mes yeux celle de l’enseignement du français. Nous assistons à une destruction de notre langue qui va de pair avec le déclin de sa présence dans le monde. Le “globish” (jargon commun et simplifié de l’anglais, NDLR) séduit et s’impose. Et nous ne sommes plus unanimement convaincus que l’apprentissage du français s’ancre dans l’étude de la littérature française. Il paraît aussi nécessaire de reconstruire le rôle du professeur, de plus en plus remis en cause... Oui, l’autorité du professeur est remise en question, est bafouée. Cela ne date pas d’hier, mais de plusieurs décennies. Le symptôme de cet effacement de l’autorité du professeur fut le slogan des années Jospin : “l’élève au centre”. Et non plus les savoirs, la culture, la connaissance. Or, l’autorité d’un professeur n’est pas celle d’une personne, mais celle des savoirs qu’il maîtrise et transmet. Quand les savoirs ne sont plus une priorité pour l’individu et pour la société tout entière, l’école, forcément, finit par en subir les conséquences. Dans notre département, il existe des écoles de la 2e chance, qui permettent de rattraper les décrocheurs. Comment amplifier ces initiatives ? Ce sont des initiatives formidables, qui méritent d’être généralisées. Tous les dispositifs autour des décrocheurs, de l’obligation de formation des 16-18 ans sont essentiels. Il faut convaincre absolument tous ces jeunes que se dessine pour eux une voie qui leur permettra de trouver leur place dans la société. PIERRE-OLIVIER JULIEN I
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Souâd Ayada
Boris Cyrulnik
Philippe Val
Rachel Khan
François Villeroy de Galhau
N Actrice, écrivaine, juriste Danseuse classique, championne de France d’athlétisme, puis juriste en droit public international, Rachel Khan, née à Tours en 1976, mène des travaux sur les droits fondamentaux et le principe de non-discrimination. Conseillère à la culture de Jean-Paul Huchon en Île-deFrance jusqu’en 2015, elle entame une carrière d’actrice, scénariste, puis écrivaine. «Racée», son essai sorti en 2021 aux Editions de l’Observatoire, a obtenu le Prix du livre politique.
N Gouverneur de la Banque
N Philosophe Née au Maroc en 1970, Souâd Ayada est arrivée en France à l’âge de 4 ans. A 23 ans, elle décroche le Capes et l’agrégation de philosophie et enseigne en lycées et en classes préparatoires jusqu’à la fin des années 2000, avant d’être nommée inspectrice générale. En 2017, elle devient présidente du Conseil supérieur des programmes. Elle prône un «retour aux fondamentaux» dans les programmes scolaires et veut réactiver le lien entre la France et son école.
N Journaliste, chroniqueur N Médecin, neuropsychiatre Défenseur acharné de l’esprit criet psychanalyste tique et de la laïcité, Philippe Val, Né en 1937 à Bordeaux, Boris Cyrul- 69 ans, a été tour à tour journanik est devenu une personnalité liste, chroniqueur, humoriste, écrimédiatique et un essayiste célèbre vain, chansonnier... A la tête de pour ses ouvrages de psychologie et Charlie Hebdo pendant 17 ans, puis de récits de vie. Il a notamment vul- patron de France Inter, il officie augarisé le concept de «résilience» jourd’hui comme éditorialiste à défini comme le fait de renaître de Europe 1. Il y apporte son éclairage sa souffrance. Auteur de 18 livres sur les grands sujets qui animent pour 2,5 millions d’exemplaires la société. Il est également l’auteur vendus. Il a publié en 2019 «La nuit, d’une quinzaine d’essais et de pluj’écrirai des soleils», et en 2021 sieurs ouvrages dont le dernier en «Des âmes et des saisons : psycho- 2020, «Allegro Barbaro» (Ediécologie» (Odile Jacob). tions de l’observatoire).
de France
Haut fonctionnaire né à Strasbourg, François Villeroy de Galhau est gouverneur de la Banque de France depuis 2015. Dans le contexte de pandémie, il a écrit en 2020 au président de la République Emmanuel Macron pour l’inciter à privilégier la stabilité fiscale et à établir une stratégie de reconstruction passant par la confiance des ménages et la coopération des entreprises. Son dernier ouvrage : «Retrouver confiance en l’économie» (Odile Jacob).
Qui sont les invités du salon pal © ASTRID DI CROLLALANZA
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Sylvie Brunel
Jean Le Cam
Raphaël Glucksmann
Jean-Louis Georgelin
Marie de Hennezel
N Géographe et écrivaine Spécialiste des questions de développement, Sylvie Brunel, 61 ans, a travaillé pendant plus de 15 années dans l’humanitaire et a publié une trentaine d’ouvrages consacrés au développement, et notamment à la famine. Professeur à la Sorbonne depuis 2007, chroniqueuse régulière sur Arte, elle a développé au cours de sa vie une approche critique du tiers-mondisme, de l’humanitaire et du développement durable. Elle vient de publier chez Albin Michel «Manuel de guérison à usage des femmes».
N Constructeur, navigateur Héros du dernier Vendée Globe (son cinquième !) à 61 ans, Jean Le Cam a gagné le coeur des Français en terminant quatrième après avoir effectué le sauvetage de Kevin Escoffier dont le bateau avait coulé dans l’Atlantique Sud. Il est surnommé le «roi Jean» du fait d’un palmarès de skipper impressionnant, triple vainqueur notamment de la Solitaire du Figaro, et vainqueur de la Transat Jacques Vabre avec Vincent Riou en 2013. Il se raconte sans fard et sans filtre dans «Yes We Cam» (Seuil).
N Homme politique, essayiste Fils du philosophe André Glucksmann, Rapahel Glucksmann est notamment l’auteur de «Génération gueule de bois» en 2015, «Notre France» en 2016 et «Les enfants du vide» en 2018. Après un passage à Alternative libérale, il lance la même année le parti «Place publique». A la tête d’une liste commune avec le PS et Nouvelle Donne, il est élu aux élections européennes de 2019. Il vient de publier en 2021, chez Allary Editions «Lettre à la génération qui va tout changer».
N Général d’armée Chef de l’état-major particulier du président de la République de 2002 à 2006 puis chef d’EtatMajor des Armées de 2006 à 2010, Jean-Louis Georgelin, 73 ans, s’est vu confier la charge par Emmanuel Macron en 2019 de superviser la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame dont la destruction partielle par un incendie a ému le monde entier. Il a insisté plusieurs fois sur l’objectif de sa mission : « Rendre la cathédrale au culte catholique dans cinq ans».
N Psychologue et écrivaine Marie de Hennezel, est connue et reconnue pour son engagement dans l’amélioration des conditions de la fin de vie et pour ses ouvrages sur ce thème. Depuis une dizaine d’années, elle contribue au changement de l’image dans notre société du vieillir et du grand âge. Dans son dernier livre , «L’Adieu interdit» (Plon), Marie de Hennezel évoque une des nombreuses souffrances provoquées par la pandémie de Covid-19 : celle de n’avoir pu accompagner un proche en fin de vie.
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© FRANCESCA MONTOVANI
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Étienne Klein
Marc Dugain
José Bové
Arnaud Fontanet
Nicolas Baverez
N Physicien et philosophe des
N Romancier, réalisateur Après avoir travaillé dans la finance et dirigé des compagnies aériennes, Marc Dugain a entamé à 35 ans une carrière littéraire en racontant le destin de son grand-père maternel, gueule-cassée de la guerre 14-18 dans «La chambre des officiers» en 1998. Son dernier roman, «La volonté» (Gallimard) est cette fois consacré à son père. Marc Dugain a également un parcours de réalisateur, avec tout dernièrement une adaptation de l’oeuvre de Balzac «Eugénie Grandet».
N Syndicaliste agricole,
N Médecin épidémiologiste Âgé de 60 ans, ce spécialiste en épidémiologie des maladies infectieuses et tropicales, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, est aussi chercheur à l’Institut Pasteur où il dirige l’unité de recherche d’épidémiologie des maladies émergentes. Membre du conseil scientifique mis en place par Emmanuel Macron pour la gestion du Covid-19 en France, il contribue à éclairer la décision publique et analyse régulièrement l’évolution de la pandémie.
N Historien et économiste Spécialiste de Raymond Aron et Alexis de Tocqueville, Nicolas Baverez est éditorialiste au Point et au Figaro. Auteur de nombreux essais comme «Les trente Piteuses» (Flammarion), ou «La France qui tombe» (Perrin), il est souvent qualifié de «décliniste». Son dernier ouvrage, «(Re)constructions» (L’observatoire) ne nuira pas à cette réputation. Mais s’il pointe du doigt les erreurs françaises dans la gestion du Covid, il se penche aussi sur les actions à mettre en oeuvre pour redresser le pays.
sciences
Etienne Klein dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au sein du Commissariat à l’énergie atomique, et s’intéresse aux implications philosophiques des découvertes des physiciens et à l’évolution des rapports entre la science et la société. Etienne Klein anime tous les samedis sur France Culture l’émission «Science en questions». Dernier opus de ce féru d’ulta-trail et d’alpinisme : «L’esprit du corps» (Robert Laffont).
ancien député européen
Agriculteur de 68 ans, membre de la Confédération paysanne, José Bové est une des figures du mouvement altermondialiste. Il est notamment connu pour avoir «démonté» le McDonald’s de Millau et son combat contre les Organismes génétiquement modifiés et sa participation à des actions d’arrachage illégal. Il a été député européen de 2009 à 2019 après avoir conduit la liste Europe Ecologie pour la circonscription Sud-Ouest en France.
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«Il ne faut pas espérer faire changer d’avis les complotistes» © DR
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Jean-Marc Sauvé
François Lecointre
N Haut fonctionnaire Ancien élève de l’ENA, et vice-président honoraire du Conseil d’Etat, il est nommé en 2018 président de la commission d’enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l’église catholique en France. En acceptant la tâche, il souligne que «seul l’établissement de la vérité permettra de sortir de l’ère de suspicion (...)». Le rapport de la commission a été rendu le 5 octobre dernier, faisant état de 216 000 victimes depuis 1950 et de 3 000 agresseurs.
N Général d’armée Chef d’Etat-major des armées de juillet 2017 à juillet 2021, après avoir été chef du cabinet militaire du Premier ministre de 2016 à 2017, François Lecointre, 59 ans, a eu un rôle déterminant pour la construction du plan stratégique des armées de 2019 à 2021 «dans un monde en état de crise permanent soumis à une hausse de la conflictualité». Opposé à la tribune des militaires publiée dans «Valeurs actuelles», il estime que la neutralité de l’armée est «à préserver à tout prix».
lois © DR
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Alain Bauer
Thomas Huchon
N Professeur de criminologie Alain Bauer, 59 ans, exerce au Conservatoire national des arts et métiers, à New York et à Shanghai. Ancien grand maître du Grand Orient de France, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages sur la franc-maçonnerie et d’une quarantaine sur la criminalité. Il a été conseiller de Michel Rocard et consulté par Nicolas Sarkozy et Manuel Valls sur les questions de terrorisme et de sécurité. Il vient de publier chez Gründ « Encyclopédie des espionnes et des espions».
N Journaliste, auteur et réalisateur Spécialiste du web, des fake news et des théories complotistes, Thomas Huchon, journaliste sur Spicee, intervient régulièrement sur Europe 1 et LCI. En 2017, il réalise le documentaire «Comment Trump a manipulé l’Amérique», diffusé l’année suivante sur Arte. Lors des élections européennes de 2019, avec l’aide de 6 étudiants qui ont incarné avec des faux profils des militants politiques sur Facebook, il a mis en lumière la place du réseau social dans «la nouvelle fabrique de l’opinion».
© FRANCESCA MANTOVANI/GALLIMARD
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Claude Habib
Bertrand Piccard
N Auteure et professeure
N Psychiatre et explorateur Fils d’un océanographe et petit-fils d’un astrophysicien déjà pionniers en leurs temps, Bertrand Piccard est entré dans l’Histoire en réalisant deux grandes premières aéronautiques : un tour du monde en ballon sans escale et un tour du monde en avion solaire sans carburant. Depuis, il ne cesse de parcourir le monde pour faire passer le message que l’on peut concilier écologie et rentabilité économique, et que les énergies renouvelables peuvent générer une croissance propre.
de littérature française
Professeure émérite à l’université de Paris III, Claude Habib est membre du comité de rédaction de la revue Esprit. La plupart de ses oeuvres a comme sujet les relations hommes-femmes. Figure du féminisme différentialiste, elle défend une certaine «galanterie à la française», les vertus du couple et de la maternité. Dans «La question trans» qui vient de paraître chez Gallimard, elle se penche sur l’expansion du phénomène de la transidentité.
Le journaliste Thomas Huchon, s’est fait une spécialité de décrypter les fake news et les théories complotistes. Participant à une émission sur LCI, «le Club anti-complot», les vendredis à 17h, il revient pour nous sur ce phénomène qui ébranle notre société. Quelle est la différence entre une fake news et une théorie du complot ? Les fake news sont des mensonges fabriqués comme tels, pour nous mentir. C’est différent des fausses informations qui résultent d’une erreur. La théorie du complot, c’est l’instrumentalisation de la fake news pour en faire une idéologie. C’est comment on passe de “j’ai le téléphone qui me colle au bras après mon vaccin” à “il y a des nanoparticules dans le vaccin pour dominer la population”. Ce phénomène n’est pas nouveau. Sait-on d’ailleurs quelle est la première fake news de l’Histoire ? On en voit depuis très longtemps en effet. Dans ce phénomène, il y a quelque chose qui relève de la croyance. Et la religion, d’une certaine manière, peut s’y apparenter. Je me prénomme Thomas, et j’ai souvent utilisé l’image de Saint Thomas comme celui qui luttait contre les fake news, celui qui vérifiait les informations. Mais je me suis rendu compte que Saint Thomas n’était pas celui qui vérifie, mais celui qui corrobore le mensonge. Ce n’est pas le saint patron des fact-chekeurs, mais celui des complotistes. Cependant, en général, on remonte plutôt au moment où ces phénomènes de croyance passent dans la culture populaire, et surtout au moment où elles ont des conséquences. Comme au Moyen Age, avec la pandémie de peste bubonique : à ce moment on va accuser les juifs de mettre la maladie dans les puits. A la fin de la royauté aussi, on va retrouver ce qui ressemble à des fake news, qui sont des libelles, des textes écrits sous fausse identité qui racontent par exemple que Marie-Antoinette mange des enfants au petit-déjeuner. Voltaire avait écrit : “Les gens qui pensent sont critiques, les malins sont satiriques, les pervers font des libelles”. A l’époque, cela se diffusait sous le manteau. Aujourd’hui, Internet a complètement changé la donne. Justement, Internet a-t-il le monopole des fake news ? La majorité de ces mensonges circule avant tout sur Internet. Mais certaines chaînes comme CNews chez nous ou Fox News aux EtatsUnis lui font une belle concurrence. Le problème, c’est que cette information de mauvaise qualité est partout dorénavant car des gens ont compris que cela faisait de l’audience. Avec la crise sanitaire, le phénomène des fake news a pris
Thomas Huchon présente tous les vendredis sur LCI «le Club anti-complot». © DR de l’ampleur, parce qu’elle nous a jetés vers l’inconnu, parce qu’elle a créé de la peur. Est-ce que ce sont les premiers moteurs de la fabrique à fake news ou y a-t-il d’autres mécanismes ? Les mécanismes sont avant tout émotionnels. Dans des moments de crise, de changement de régime, de basculement, on voit ressortir ces choses-là. L’être humain cherche à faire face à son monde, mais pour cela il a besoin de le comprendre. Le Covid, on ne le comprend pas. Les explications compliquées des scientifiques n’ont pas beaucoup de pouvoir sur notre cerveau. Alors que les solutions simples, la création d’un coupable, ça, ça a beaucoup d’impact. On joue un jeu un peu inégal entre la vérité et le mensonge, rendu pervers par les algorithmes et la manière dont on accède à l’information aujourd’hui.
« CELUI QUI SAURA LE MIEUX UTILISER LES THÈSES COMPLOTISTES GAGNERA LA PRÉSIDENTIELLE » Comment déjouer le plus facilement possible les fake news alors ? Vous parlez notamment d’arrêter l’information gratuite… Les médias vendent un produit, qui est de l’information qui se veut de la meilleure qualité possible. Une relation de confiance se crée avec le client et pour la conserver, il faut continuer à proposer cette info de qualité. Mais quand on brise la relation de l’achat, cela brise la relation de confiance entre le journaliste et celui qui s’informe. Alors que lorsque l’info est payante, il y a très peu de chance d’être désinformé puisque l’on veut que vous reveniez l’acheter. L’autre moyen pour éviter les pièges des fake news, c’est d’utiliser son esprit critique, d’être formé aux médias. Cette éducation doit-elle se développer à l’école ? Des choses sont faites, déjà, souvent en dehors du temps consacré aux programmes scolaires. Il faudrait créer carrément une ma-
tière “éducation aux médias” à l’école, voire même une matière “éducation au numérique”. Cependant, le problème ne concerne pas seulement les plus jeunes, qui seraient les plus perméables aux fake news. Certaines enquêtes montrent que ceux qui diffusent le plus de fausses informations, ce sont les plus de 60 ans. Votre émission, à la télé, sur une chaîne d’info qui plus est, est-ce le meilleur endroit pour toucher ceux qui sont le plus exposés aux fake news ? C’est un peu se demander, quand on est pompier, comment parler au pyromane. Les rationalistes et les complotistes ne représentent en réalité que 5% de la population chacun. Au milieu, il y a 90% des gens qui sont perdus. Et c’est à eux qu’on parle. En revanche, il ne faut pas espérer faire changer d’avis les complotistes. Cela n’arrive que très rarement. Le basculement étant émotionnel, nos arguments n’auront que peu d’impact. Les cas qui se présentent sont souvent à rapprocher de ceux des sectes. Fake news et théories complotistes peuvent aussi devenir des armes de déstabilisation massive en politique. Comment appréhendez-vous la prochaine présidentielle ? Celui qui monte aujourd’hui, c’est celui qui rejette le plus fort les médias. Ce n’est pas un hasard. C’est celui qui fait du Trump. Je pense que celui qui saura mieux utiliser les thèses complotistes gagnera la présidentielle. A côté, en effet, la fabrication de fake news par des puissances étrangères est une réalité. Plusieurs pays se sont lancés, les Russes, les Indiens, la Chine dorénavant. Et là, ce ne sont pas 10 000 personnes mobilisées comme en Russie, mais 20 millions, derrière des ordinateurs, qui désinforment. Vous paraissez très pessimiste ? Oui, je le suis. Aujourd’hui, ce phénomène prend parce que cela s’adresse aux pires aspects de l’être humain. Or, nous ne sommes pas prêts à vivre un tel retournement de civilisation. On ne comprend rien à ce qui nous arrive. PIERRE-OLIVIER JULIEN I
VIII
CAHIER EVÉNEMENT
Rachel Khan : les mots pour libérer la pensée
VENDREDI 12 NOVEMBRE 2021
Notre-Dame : reconstruction d’un symbole national Le général Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’État-major des Armées, a été chargé, par le président de la République, de superviser le chantier de reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Rachel Khan, actrice, auteure, ex-conseillère politique, et tant d’autres choses ! © DR
Parcours atypique, pensée complexe et lumineuse, Rachel Khan défend la nuance face aux idéologies. Les mots, qu’elle utilise comme elle les déconstruit, sont ses meilleures armes. Ancienne athlète de haut niveau, danseuse de hip-hop, puis actrice, conseillère politique, désormais auteure… Rachel Khan ne rentre dans aucune case, et cela lui va plutôt bien, on dirait. Avec « Racée » (Éditions de l’Observatoire), elle a frappé un grand coup en 2021, remportant le Prix du livre politique, mais surtout bousculant quelques dogmes dans cet essai condensé et brillant. Car Rachel Khan, dans sa propre diversité (elle démonte ce mot-là par exemple dans son ouvrage) ne se contente pas d’une carrière protéiforme. Fille d’un père gambien et d’une mère française juive, elle devait difficilement se retrouver dans les cases que crée notre société où les idéologies, pratiques grilles de prêt-à-penser, semblent reprendre une certaine vigueur. Parmi ses cibles, certains « décoloniaux », notamment, qu’elle torpille avec leurs réunions en non-mixité, ce qu’elle résume comme un « dérèglement identitaire ».
Une voie étroite, une corde raide La tâche n’est pas aisée dans un climat électrique autour des questions du racisme, alors que des communautés longtemps opprimées, marginalisées, voire « invisibilisées », se réveillent à juste titre. Le propos de Rachel Khan n’est pas de délégitimer des combats comme la visibilité. Son livre commence d’ailleurs par l’histoire… D’un autre livre, l’ouvrage collectif « Noire n’est pas mon métier ». Sortie en 2018, l’initiative convoquait 16 femmes noires, la plupart des actrices, qui à la première personne racontaient leur parcours, souvent confiné à leur couleur de peau. Mais au fil des réunions du collectif, Rachel Khan perçoit une nouvelle forme d’enfermement dans les discours de certaines de ses camarades. On l’aura compris, à Malcolm X, Rachel Khan préfère Martin Luther King, un universalisme qu’elle ne retrouve pas forcément dans les nouveaux mouvements d’é-
mancipation, la voie est étroite, la pente raide, Rachel Khan avance sur un fil, le sien. Un chemin complexe, surtout au temps des réseaux sociaux, où l’invective est de mise, la simplification est la règle en 280 caractères. Sur Twitter, où elle s’exprime pourtant, on l’a traitée de « nègre de maison », pour avoir critiqué les réunions en nonmixité et un certain communautarisme.
Un humour à toute épreuve Mais en femme d’une culture impressionnante, elle poursuit le fil de sa pensée. « Racée », son livre, a ceci de vivifiant qu’il vient « déconstruire » certains déconstructivismes. Et qu’il s’appuie sur les mots, décortiqués, expliqués, commentés, à la lumière bienveillante de quelques figures tutélaires et intellectuelles, en premier lieu desquelles Romain Gary, dont Rachel Khan fait son compagnon de commentaires et de pensée, une pensée à la fois complexe et de bon sens, qui voit dans les excès de certains, les travers qu’ils sont censés dénoncer. Edouard Glissant, l’inventeur de la créolisation, a aussi sa place dans ce cheminement. Au fil des pages, et des mots, Rachel Khan déroule le fil d’une pensée en liberté, et en même temps extrêmement structurée. Surtout, elle fait montre d’un humour salvateur. L’autodérision n’étant pas la moindre de ses qualités. « Me voici casée, comme l’oncle Tom ! Pourtant, afro-yiddish, je ne suis pas de la diversité, j’ai la diversité en moi, nuance ». Rachel Khan se joue des mots avec malice, surtout ceux, vides de sens, qui ne servent que d’éléments de langage. Son (court) passage comme conseillère politique (à la Région Île-de-France lorsqu’elle était dirigée par JeanPaul Huchon) vaut quelques lignes désopilantes sur l’emploi des mots vides de sens par les politiques, contraints pourtant de faire sens commun dans une société qui se fracture. Une saillie parmi d’autres qui montre la complexité d’une pensée, qui renvoie à la complexité des mots, et montre les innombrables possibilités de Rachel Khan. Son parcours l’avait déjà démontré, « Racée » en fait une profession de foi. N.R. I «Racée», par Rachel Khan (Ed de l'Obersvatoire), 16 euros.
La tâche, immense, ne semble pas lui faire peur. Le général JeanLouis Georgelin, ancien chef d’État-major des Armées (entre 2006 et 2010) a été missionné par le président Emmanuel Macron « afin de piloter » le chantier, symbolique, de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, victime d’un terrible incendie le 15 avril 2019. Une entreprise qui dépasse de loin le simple cadre des travaux publics et dont l’écho franchit largement les frontières du pays. Plus de deux ans après l’incendie, où en est le chantier de reconstruction de Notre-Dame ? Depuis l’incendie, nous n’avons pas chômé ! Actuellement, nous venons de passer une étape très importante car nous avons achevé la phase de sécurisation et de consolidation de l’édifice. Tous les travaux d’urgence ont été faits : nous pouvons désormais affirmer que la cathédrale est solide et que l’on peut la reconstruire sur ses piliers. Nous pouvons donc basculer désormais sur la reconstruction, proprement dit, des parties détruites ou endommagées par l’incendie. Nous avons lancé les premiers appels d’offres de travaux. Deux consultations sont en cours pour la restauration de la flèche et des transepts et pour la réalisation de restaurations intérieures. J’invite d’ailleurs toutes les entreprises PME, TPE, artisans - à candidater, seuls ou en groupement. Au total, le chantier de restauration de la cathédrale conduira à l’attribution de plus d’une centaine de lots. Qu’est-ce qui fait, à vos yeux, la spécificité de ce chantier ? Il a trois caractéristiques. Tout d’abord, il doit être réalisé sous la contrainte de temps. Nous sommes tous mobilisés pour qu’en 2024 - délai fixé par le président de la République - nous puissions rouvrir la cathédrale au culte et à la visite. Le tout en respectant toutes les règles (Code du travail, bâtiment historique) qui nous sont imposées. C’est un défi que notre nation s’est donné, et quelque part, c’est un peu son honneur qui est en jeu. Même si nous devons faire face à différents aléas : la crise sanitaire, les intempéries, les contraintes imposées au chantier, qui se déroule dans un environnement marqué par le plomb. Deuxième élément : notre pays a battu le record de la philanthropie en Europe, avec environ 840 millions récoltés, pour quelque 340 000 donateurs issus de 150 pays. C’est donc un chantier qui a les moyens de son finan-
La cathédrale Notre-Dame de Paris sécurisée, lors de son chantier de reconstruction. © PATRICK ZACHMANN / MAGNUM PHOTOS cement, élément important pour gagner la bataille des délais. Enfin, cette reconstruction est une affaire médiatique universelle. Tout le monde suit ce chantier. Preuve en est : je suis invité à Pau pour en parler ! Cela prouve l’émotion, très forte, ressentie après l’incendie, dans le monde entier. Un intérêt qui ne retombe pas et nous oblige à ne pas faillir dans notre tâche. Quelle est la principale difficulté que vous rencontrez ? C’est de mobiliser, à 100 % et 24 heures sur 24, toutes les équipes du chantier sur les délais qui nous sont imposés. Le tout sans se laisser distraire par les gens, à l’extérieur, qui nous expliquent tous les matins la façon dont nous devrions procéder ! Ces travaux allient savoir-faire millénaire et techniques modernes ... Nous allons certes reconstruire à l’identique, mais en utilisant les technologies modernes de notre époque. Par exemple pour la flèche, nous sommes partis des plans d’Eugène Viollet-le-Duc, mais en ajoutant des modélisations en trois dimensions comme quand nous avons cintré tous les arcs-boutants et les voûtes. Un travail réalisé au millimètre près par une PME de Meurthe-et-Moselle. Quel est l’impact de votre expérience militaire dans ce projet ? J’ai voulu constituer une « task
Le général Jean-Louis Georgelin. © ALEXIS KOMENDA / C2RMF
force », comme l’on fait dans une opération militaire. Et ainsi imposer une planification rigoureuse, condition primordiale pour tout succès. Dans la planification militaire, on identifie les modes d’action « amis » ou « ennemis ». On optimise les premiers (compétences des architectes, des compagnons, soutien de l’opinion publique et moyens financiers), on évite ou réduit l’impact des seconds (contraintes ou éléments perturbateurs au chantier). C’est donc mon rôle dans ce chantier de reconstruction. Ce défi est aussi inédit par son symbole et sa portée... Cette cathédrale est d’abord la grande église métropolitaine de la France, expression la plus aboutie des racines chrétiennes de notre pays. Le président de la République a voulu que ça soit un catholique qui soit en charge de cette reconstruction ( Jean-Louis Georgelin est de confession catholique). C’est important de rappeler que nous ne reconstruisons pas juste un musée de l’art gothique ou de Viollet-le-Duc, mais avant tout une église catholique. Au final, je veille à ce que toutes les voix soient prises en compte : autant celles de ceux qui voient en Notre-Dame un témoignage de l’art, mais aussi par exemple celle de l’archevêque de Paris, qui porte le projet d’aménagement liturgique de l’édifice. Mais l’influence de Notre-Dame dépasse le simple cadre religieux. C’est le grand monument de l’Histoire de France, finalement. Beaucoup de grands évènements de notre pays s’y sont déroulés (célébration des victoires militaires des rois de France, sacre de Napoléon, Te Deum de la fin de la Première Guerre mondiale, celui de la deuxième avec le Général de Gaulle, cérémonie en hommage aux victimes des attentats de 2015). C’est donc un vrai symbole, marqueur de l’identité de Paris et de notre pays. Une influence qui dépasse nos frontières, ce qui fait que l’intérêt de sa reconstruction importe aux quatre coins du globe. MATHIEU HOUADEC I
CAHIER EVÉNEMENT
VENDREDI 12 NOVEMBRE 2021
IX
Jean-Marc Sauvé : «On peut arriver à une forme de réconciliation entre les victimes et l’Eglise» La commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a rendu un rapport édifiant. Son président nous livre ses analyses et sentiments. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a dévoilé début octobre son rapport final, un travail conséquent, dont la matrice fut les témoignages des victimes, rendant l’ampleur de faits terribles sur ces 70 dernières années. Son président Jean-Marc Sauvé, haut fonctionnaire, ancien vice-président du Conseil d’Etat, nous parle de l’impact de cette enquête édifiante et de comment une reconstruction peut être possible dorénavant. Choc. C’est le mot qui revient sans doute le plus pour qualifier le rapport de votre commission. Mais c’est le choc de quoi ? De l’horreur ou de la vérité ? C’est d’abord le choc des chiffres. Ce rapport révèle un double désastre. Le premier, celui des violences sexuelles dans notre société : 5,5 millions de personnes en France ont été sexuellement agressées durant leur minorité et pour 38% par des viols. C’est considérable. Pour l’Eglise catholique, nous avons recueilli 2 750 signalements , repéré 4 800 victimes à travers les archives de l’Eglise, et mené une enquête sur un échantillon de 28 000 personnes. Ceci nous a permis de dénombrer 216 000 victimes de religieux, et on monte à 330 000 en intégrant les victimes de laïcs en mission d’Eglise. C’est en effet aussi le choc de la vérité, car ces faits ont été dissimulés. Parce qu’on n’a pas su les voir ou parce qu’on ne l’a pas voulu. Même si la hiérarchie de l’Eglise n’a été informée que de 4% des affaires, cela représente tout de même plus de 8 000 victimes. Il aurait fallu faire preuve d’une plus grande vigilance. Mais l’Eglise, pendant très longtemps, a d’abord cherché à éviter le scandale et à se protéger, dans le silence.
« LE PLUS IMPRESSIONNANT, C’EST LE POIDS DE LA SOUFFRANCE » Qu’est-cequivousaimpressionné au fil des auditions de victimes qui se disent aujourd’hui “empêchées devivre”? Des vies abîmées, oui, et parfois des vies détruites. Mes collègues et moi avons entendu 243 victimes, nous avons eu aussi les témoignages de 1 628 personnes, reçu près de 3 000 courriers et mails, sans compter les appels. Dans cette masse considérable, le plus impressionnant était le poids de la souffrance et les conséquences des agressions sexuelles sur la vie des personnes. Souvent plusieurs dizaines d’années après les faits, plus de la moitié des victimes vont “mal” ou “très mal”.
Les séquelles les plus fortes se constatent dans la vie personnelle, la vie affective, la vie sexuelle. Par exemple, avant même que la commission ne commence à travailler, des personnes que je connaissais dans mon milieu professionnel entraient dans mon bureau. Je me demandais pourquoi, et au bout de deux minutes je comprenais. Ce sont des personnes qui ont mené des vies professionnelles en apparence normale, voire brillantes et qui vous disent : “J’ai tout raté dans ma vie”. Et chacune fait remonter à l’agression subie l’origine de ce qu’elles n’ont pas réussi ensuite. C’est quelque chose de proprement inconcevable. On se doutait bien qu’il y avait des conséquences, mais on ne pouvait pas imaginer qu’elles puissent être aussi graves et durer aussi longtemps. En outre, il n’y a pas de connexion claire entre la gravité des agressions et la gravité des conséquences, spécifiquement dans l’Eglise. Car l’abus sexuel, dans ce cadre, fait suite à un abus spirituel, à la transgression d’un pacte. Abuser de la conscience des personnes - c’està-dire de ce qui est le plus fragile et le plus intime -, profiter de son statut de paternité pour finalement assouvir des pulsions sexuelles, laisse des blessures très profondes.
apporter à ces victimes qui désirent une reconnaissance, alors que souvent les faits sont prescrits ? Une instance dans l’Eglise est nécessaire, pour examiner les demandes des victimes, pour que leur qualité de victime soit officiellement reconnue. Une première étape, et certains n’attendent que cela. Nous pourrons aussi, si les victimes le souhaitent, transmettre leurs témoignages à cette instance. D’ailleurs, on prend déjà un grand soin à transmettre tous nos éléments aux archives de France, pour que, le cas échéant, cela puisse contribuer à la manifestation de la vérité. Ensuite, si les victimes demandent une indemnisation, elle devra être accordée, mais pas en fonction d’un barème. Il faudra plutôt regarder attentivement ce qu’ont été les conséquences des agressions sur la santé et la vie des personnes. L’Eglise devra les indemniser. Mais elle devra aussi reconnaître sa responsabilité par des gestes solennels et symboliques. Il ne s’agit pas de faire un discours, une prière et dire qu’on passe à autre chose. Il faudra des démarches concertées avec les victimes.
Jean-Marc Sauvé rencontrera le pape François dans quelques semaines. © DR
« PARLER, UNE ÉTAPE SANS DOUTE NÉCESSAIRE POUR SORTIR DU TRAUMATISME » Parler, n’est-ce pas le premier pas essentielversunereconstruction? L’évocation du traumatisme conduit à le revivre et c’est une épreuve considérable. J’ai pu le constater, par exemple lors de six auditions. Six hommes, portant chacun une histoire différente, âgés de 45 à 75 ans, solides par ailleurs, mais à un moment leur voix se brise, des larmes coulent, ils ne pouvaient plus parler. Oui, la parole aide à libérer une souffrance, mais avant, elle avive ce traumatisme. C’est sans doute une étape nécessaire pour en sortir. Mais difficile. Certains ont renoncé finalement à témoigner, d’autres, après leur audition, ont eu beaucoup de mal à relire leur témoignage, quelques-uns ont mis un an pour nous renvoyer leur texte, et d’autres ne l’ont pas fait. Est-ce que votre rapport, seul, n’a pasdéjàunevaleurrestauratrice? Oui. Des associations de victimes avec qui on a travaillé m’ont dit que notre rapport était déjà une réparation. Et depuis le 5 octobre, on reçoit de nombreux témoignages, très émouvants, de personnes qui nous disent : “Nous sommes reconnues dans ce que nous avons vécu”. Les gens nous remercient avec beaucoup de chaleur. Notez aussi qu’une des annexes au rapport s'intitule “De victimes à témoins”. Elles étaient enfermées dans leur souffrance et désormais elles sont des témoins
objectifs d’une situation. Elles ont changé de statut. Leurs témoignages n’ont pas été traités comme des papiers administratifs, qu’on laisse dans un tiroir. Ils ont servi à chaque développement du rapport et ça permet de montrer à quel point leur parole a été pour nous un fil d’Ariane. Vous dites qu’il ne peut y avoir d’avenir commun sans travail commun de vérité, de pardon et de réconciliation. Mais comment se réconcilier avec cette figure de l’autorité qui s’est dévoyée ? Le travail de vérité, on y a contribué pour le cas de l’Eglise, sous réserve de ce que fera ensuite la Ciivise, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants qui prend le relais et va faire une mise à plat complète dans tous les milieux de la société. Ensuite, quand on écrit pardon et réconciliation, il n’y a évidemment pas une injonction faite aux victimes de pardonner à l'Église ou aux prédateurs. C’est plutôt “demander pardon”. Nous disons clairement que l’Eglise est responsable car elle n’a pas su voir, n’a pas pris des mesures rigoureuses qui s’imposaient et n’a pas su faire preuve de discernement dans la sélection ou la formation des prêtres. Nous faisons dans ce rapport des recommandations substantielles en la matière. Car derrière toute vocation, il faut regarder ce qui est explicite et ce qui est implicite. On le voit dans l’affaire de Lyon. Un certain nombre de personnes sont entrées dans le sacerdoce, en
réalité pour assouvir des pulsions pédophiles. Certains réclament la fin du célibat des prêtres pour régler le problème.Etes-vous d’accord ? Non, vraiment pas. Le célibat n’a pas été la cause de ce qu’il s’est passé. Surtout pas avec des mineurs. Le choix du célibat a été la conséquence, pour certains pédophiles, d’une perversion.
« JE CROIS QU’IL Y A UN CHEMIN DE SALUT ET QU’IL EST POSSIBLE DE PASSER DE CETTE FANGE À LA VIE ET À LA LUMIÈRE » Mais y croyez-vous vraiment, à cette réconciliation des victimes avec l’Eglise ? Je le crois et je l’espère. Je mesure cependant la difficulté. Si un travail en profondeur est mené par l’Eglise, à la fois pour reconnaître sa responsabilité, réparer, autant qu’il est possible, le mal qui a été fait, mais aussi pour éviter à nouveau ce qui a conduit à ces abus, alors on peut arriver à une forme de réconciliation. Aujourd’hui, il y a toujours énormément de colère chez les victimes. Notre travail l’a peut-être atténuée. En allant plus loin, je ne dis pas qu’on reviendra à une sortie d’embrassade généralisée entre les victimes et l’Eglise, mais on peut revenir à plus de paix. Quelles indemnisations faut-il
Que direz-vous au pape François que vous rencontrerez dans quelques semaines au Vatican? Que ce travail soit fait par l’Eglise si les gouvernements ne le font pas. Nous lui dirons également, avec les membres de la commission, ce qu’a été notre perception. Je pense qu’on évoquera aussi certaines de nos 45 recommandations, on insistera sur certains aspects, notamment les questions qui relèvent du pape lui-même. Qu’avez-vous, vous, homme croyant,dû reconstruire après ce travail de trois ans ? Il faut apprendre à vivre sereinement avec la douleur et la souffrance qui nous ont été transmises. Si on écoute comme des technocrates, on se verrouille, on prend des notes et ça peut aller. Mais si on écoute comme un être humain, quelqu’un qui porte un fardeau, il y a un transfert qui s’opère. A partir du moment où nous ne sommes pas des robots, nous aussi, par ricochet, on est un peu cabossés. Mais ce mal être n’est rien à côté de celui des victimes. Si j’en viens sur le terrain de la foi, oui les chrétiens ont vu une institution défaillante. Alors qu’elle est censée apporter le salut, la liberté intérieure, elle a fait œuvre de mort. C’est profondément choquant d’en prendre conscience. A titre personnel, ce cheminement dans cette commission m’a conduit à rééquilibrer la part de l’institution Église, avec son humanité et donc ses faiblesses, et la part de la parole de Dieu, à laquelle chacun peut accéder. Et j’ai pris conscience que ma foi avait un lest plus profond que les religieux qui se sont révélés défaillants. Cependant, je crois tout de même qu’il y a un chemin de salut et qu’il est possible de passer de cette fange à la vie et à la lumière. PIERRE-OLIVIER JULIEN I